L’étranger éloigné et le droit au procès équitable
p. 59-100
Texte intégral
1L’action unilatérale de la puissance publique est aujourd’hui contrariée par le développement des principes de l’Etat de droit qui lui imposent des règles de forme et de procédure et donnent aux administrés des droits subjectifs pouvant lui être opposés. Cette évolution se traduit par le renoncement à certains mythes fondateurs du droit administratif, comme celui de l’indépendance du droit répressif et disciplinaire1, symbole de la puissance étatique. Celui-ci emprunte de plus en plus les principes du droit pénal comme la règle non bis in idem ou le droit au procès équitable. Il s’agit non plus seulement de reconnaître des droits aux individus mais d’assurer leur effectivité en leur donnant la possibilité d’obtenir auprès du juge la garantie et la réalisation de ces droits. Le droit à un procès équitable apparaît ainsi comme la matrice des droits de l’individu.
2Pourtant, face à la réalisation progressive des principes de l’Etat de droit qui se sont largement diffusés et concrétisés à travers la jurisprudence constitutionnelle, judiciaire, administrative, européenne et communautaire, les derniers “bastions” disciplinaires deviennent plus visibles et plus jaloux de leurs prérogatives. Le contentieux des étrangers éloignés en est une illustration évidente. Il est un des derniers remparts de la souveraineté étatique, constituant un droit d’exception.
3Si l’article 8 de la CEDH consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale est largement utilisé dans le contentieux des étrangers par les juges européens et nationaux, il n’en est pas de même pour le droit au procès équitable. Les exigences de l’article 6 de la CEDH2, s’imposent à la quasi totalité du contentieux des sanctions administratives et des mesures discrétionnaires à caractère défavorable grâce à une interprétation large de son champ d’application. Ces dispositions deviennent ainsi l’axe de la juridiciarisation des droits de l’homme et des libertés publiques. Son inapplicabilité au contentieux des étrangers éloignés révèle la nature pleinement souveraine et disciplinaire de cette matière. Pour les juges européens le premier critère d’invocabilité de cet article, relatif au “caractère civil des droits et des obligations contestés”, fait ici défaut. Qu’il s’agisse du contentieux de l’expulsion, de la reconduite ou de l’interdiction du territoire, à chaque fois un élément discrétionnaire tenant à l’ordre public fait obstacle à son application3. Or, c’est bien lorsque le pouvoir d’Etat est le plus fort, que l’individu apparaît démuni et que la protection de la CEDH devrait être la plus effective possible en raison du principe de la prééminence du droit. En ce qui concerne le second critère, la Cour européenne a depuis longtemps considéré que l’expulsion d’un étranger constituait une procédure distincte des poursuites ou des condamnations pénales, affirmant que “la nature de l’infraction, la nature de la sanction et sa gravité” ne relevaient pas de l’application de l’article 64. La jurisprudence du Conseil d’État est également claire sur la question : ni la reconduite à la frontière, ni la procédure d’expulsion ne sont susceptibles d’être contestées devant le juge administratif par le biais de l’article 6 de la CEDH : ces mesures ne constituent pas des sanctions et relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’État5. Les prérogatives régaliennes l’emportent ici sur la liberté d’aller et de venir, le droit au séjour et la liberté individuelle.
4Ce caractère disciplinaire est également mis en lumière par la difficile application des textes externes ou internes, qui peuvent venir compenser l’inapplicabilité de l’article 6 de la CEDH. Les articles 5 § 46 et 137 de la CEDH insistent sur les exigences européennes en matière d’efficacité des recours. En ce qui concerne le droit au recours effectif, l’étranger doit avoir accès à un organe impartial et indépendant. Mais l’article 13 consacre un droit secondaire, sa violation dépendant de celle d’un autre droit substantiel protégé par la CEDH. Et de manière générale, en matière de mesure d’éloignement des étrangers, l’effectivité du recours est contrariée par la non-suspension de la mesure d’éloignement. Concernant directement les étrangers expulsés, l’article 1er du Protocole no 7 de la CEDH (entré en vigueur le 22 octobre 1984) dispose qu’un “étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir : a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, b) faire examiner son cas, et c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité (…)”. Toutefois, ces garanties sont de portée limitée puisque leur application est réservée aux étrangers résidants régulièrement sur le territoire d’un Etat membre. De plus, l’alinéa 2 de ce même article prévoit des exceptions importantes : l’État peut renvoyer l’étranger avant l’exercice des droits énumérés lorsque l’expulsion est “nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale”.
5De nombreux autres textes internationaux et nationaux consacrent les droits de la défense en matière de procédures juridictionnelles et administratives. Mais là encore, les principes du procès équitables sont difficiles à mettre en œuvre en matière de contentieux des étrangers éloignés. Les incessantes modifications législatives du droit des étrangers, visant à contrer les avancées jurisprudentielles en matière de garanties procédurales, montrent la volonté de limiter ces dernières et de donner à l’administration une entière liberté d’action.
6La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration et la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile8 ont déjà largement entamé les principes du droit à un procès équitable, notamment en matière de délai raisonnable, de publicité des audiences, de droit à l’information et d’impartialité. Le projet de loi Besson datant de mars 2010, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le12 octobre 2010 est actuellement en examen devant la Commission du Sénat. Il vise la transposition de directives européennes relatives à l’entrée et au séjour des étrangers et la simplification des procédures d’éloignement9. Ce texte constitue une énième réforme du droit des étrangers qui prolonge la logique du renforcement de la lutte contre l’immigration “subie” et l’acharnement visant à diminuer les garanties procédurales bénéficiant aux étrangers en instance d’éloignement. Et ceci toujours dans un même but : faciliter la tâche de l’administration. Dans la lignée des lois antérieures, ce texte prévoit une mise à l’écart du juge des libertés et de la détention (§I), affaiblit les garanties procédurales pouvant bénéficier aux étrangers éloignés (§II) et contribue à créer une véritable justice d’exception (§III).
I – LA MISE A L’ÉCART DU JUGE DES LIBERTéS ET DE LA DÉTENTION
7Les dernières lois adoptées en matière d’immigration consacrent une véritable méfiance envers le juge des libertés et de la détention, considéré comme un “empêcheur d’expulser efficacement”10. Le projet de loi vise à retarder son intervention (A) et à neutraliser son pouvoir de contrôle en matière de détention des étrangers (B).
A – Le caractère tardif de l’intervention du juge des libertés et de la détention
8Pour le conseil constitutionnel, selon un principe fondamental reconnu par les lois de la République, “relève de la compétence du juge administratif l’annulation ou la réformation des décisions prises dans l’exercice des prérogatives de puissance publique par des autorités relevant du pouvoir exécutif”. L’annulation des décisions administratives relatives à l’entrée et au séjour en France des étrangers, qui constitue l’archétype de la décision régalienne, relève donc du contentieux administratif par nature11. Mais selon l’article 66 de la constitution, relèvent de la compétence exclusive du juge judiciaire les décisions ou les activités portant atteintes à la liberté individuelle notamment en cas de détention. Si le placement en zone d’attente (1) ou en rétention (2) d’un étranger en instance d’éloignement relèvent du domaine purement administratif, il n’en est normalement plus de même pour leur prolongation qui peut être assimilée à une détention. Ces lieux étant par ailleurs qualifiés de lieux de privation de liberté par la Commission nationale consultative des droits de l’homme12.
1) Le cas de l’étranger placé en zone d’attente
9Pourtant, en matière de placement de l’étranger en zone d’attente, les réformes législatives successives retardent l’intervention du juge des libertés et de la détention pour les décisions de prolongation (a). D’autre part, le projet de loi Besson consacre une nouvelle notion, la “zone d’attente itinérante” qui limite encore l’intervention du juge (b).
a) L’intervention tardive du juge des libertés et de la détention en matière de zone d’attente
10Dans sa décision du 25 février 1992, le conseil constitutionnel a considéré que “le maintien en zone d’attente, comme le placement en rétention, en raison de l’effet conjugué du degré de contrainte qu’il revêt et de sa durée, a néanmoins pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet au sein de l’article 66 de la Constitution : si la compétence pour décider du maintien peut être confiée par la loi à l’autorité administrative, le législateur doit prévoir selon des modalités appropriées l’intervention de l’autorité judiciaire pour que celle-ci exerce la responsabilité et les pouvoirs de contrôle qui lui reviennent”13. Le juge des libertés et de la détention doit donc pouvoir intervenir au plus vite pour assurer le contrôle du maintien en zone d’attente.
11Actuellement, c’est l’autorité administrative qui prend la décision de placement en zone d’attente, tandis que le juge judiciaire n’est saisi aux fins de prolongation seulement quatre jours après le placement initial. Le maintien peut être prolongé pour une durée de huit jours sur accord donné par le juge des libertés et de la détention saisi à cet effet par la police aux frontières. Au terme de cette période, l’administration peut à nouveau saisir le même juge, aux fins d’obtenir l’autorisation d’une nouvelle prolongation, de huit jours également. Or, comme la durée moyenne des placements est inférieure à trois jours, dans la majorité de cas, les conditions du maintien en zone d’attente ne font l’objet d’aucun contrôle judiciaire, l’étranger bénéficiant du seul contrôle du juge administratif.
12De manière générale, on peut interroger la conventionalité de la législation relative aux mesures de placement en zone d’attente qui sont prises par l’autorité administrative ne donnant suite qu’à une information sans délai du procureur de la République, selon l’article L. 221-3 du CESEDA. En effet, dans son récent arrêt Medvedyev II du 29 mars 201014, la Cour Européenne des Droits de l’Homme estime que l’article 5 de la CEDH impose que toute personne arrêtée doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires – à l’exclusion du ministère public. Il résulte de cette décision que l’arrestation d’une personne, son placement en garde à vue et le prolongement de cette mesure ne peuvent s’envisager que sous le contrôle d’un juge du siège. Mais selon le Conseil constitutionnel, les magistrats du siège comme ceux du parquet assurent de manière égale la protection de la liberté individuelle15. L’information du Procureur de la République suffit donc à rendre constitutionnelle cette procédure. Le même raisonnement peut être étendu à la rétention administrative.
b) La “Zone d’attente itinérante”
13Se saisissant de l’occasion de transposer une directive européenne, le ministère de l’Immigration a introduit dans son nouveau projet de loi des dispositions innovantes concernant la création de “zones d’attente itinérantes” (art. L 221-2 CESEDA). Suite à l’arrivée massive de centaine de Kurdes de Syrie débarqués en Corse en janvier 2010, le ministre de l’immigration propose la fiction juridique d’une “zone d’attente itinérante”, constituée par tout groupe d’étrangers découvert à l’intérieur du territoire en dehors d’un poste frontalier et supposé composé de primo-arrivants.
14La zone d’attente est un espace physique, créé et défini par la loi du 6 juillet 1992, qui s’étend “des points d’embarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles des personnes”. Elle est instituée par voie d’arrêté préfectoral dans un port, un aéroport ou une gare ouverte au trafic international (articles L. 221-1 et suivants du CESEDA). Cette procédure permet aux préfets de créer des lieux d’enfermement en fonction des arrivées de migrants. Depuis la loi “Sarkozy” du 26 novembre 200316, il est déjà prévu qu’une zone d’attente puisse être créée “à proximité du lieu de débarquement” et non plus seulement dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international, dans un port ou un aéroport17.
15La nouvelle zone d’attente itinérante introduite par le projet de loi Besson pourrait s’étendre du lieu de découverte au point de passage frontalier le plus proche lorsqu’il est manifeste qu’“un groupe d’étrangers” vient d’arriver à la frontière en dehors d’un poste frontière. Il n’est même plus besoin pour l’autorité administrative d’instituer une zone d’attente, celle-ci étant constituée dès lors que la présence “d’un groupe d’étrangers” est constatée. On peut interroger la compatibilité du projet de loi avec la directive communautaire qu’il vise à transcrire. En effet, le projet de loi ne mentionne aucune condition d’urgence, ni ne s’appuie sur le caractère exceptionnel de la situation comme le prévoit la directive communautaire 2008/115/CE.
16Les amendements introduits par la commission de l’assemblée nationale précisent néanmoins que ce groupe d’étrangers doit être composé d’au moins 10 individus, et qu’il doit se trouver sur un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres, la zone d’attente s’étendant alors du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche. Mais il semble que l’absence de précision législative ne puisse échapper à la censure du Conseil constitutionnel qui a déjà considéré dans une décision du 18 janvier 1995 que la formulation générale et imprécise de la loi portait atteinte “aux principes essentiels sur lesquels repose la liberté individuelle”, ni à celle de la CEDH qui déjà eu l’occasion de condamner la France en raison de l’institution des zones d’attente, considérant qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté devait être “suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout danger d’arbitraire”18.
17Particulièrement en matière de demande d’asile, la création de cette zone d’attente itinérante permet d’accélérer la procédure d’examen et évite ainsi l’intervention du juge des libertés et de la détention. Dans ce cas, le demandeur d’asile peut faire l’objet, après un bref entretien avec l’OFPRA, en moins de 96 heures (c’est-à-dire avant le premier passage devant le juge des libertés et de la détention), d’une décision de refus d’admission au titre de l’asile (RATATA) si sa demande est considérée comme manifestement irrecevable. Pourtant, en matière d’asile, il s’avère nécessaire que le juge judiciaire puisse intervenir rapidement, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, pour assurer la protection des demandeurs d’asile à la frontière, dont le seul recours réside aujourd’hui dans le référé-liberté demandé au juge administratif.
18De plus, les mineurs isolés pourront également être placés dans ces zones d’attentes ad hoc. Or, cette privation de liberté paraît largement inadaptée pour les mineurs sachant que l’exigence légale de désigner un administrateur ad hoc sera difficilement réalisable dans ces conditions de mobilité, empêchant ainsi toute représentation de l’enfant. Pourtant, comme l’a exigé la CEDH, “la situation d’extrême vulnérabilité doit être déterminante et prédominer sur la qualité du séjour illégal”19.
2) Le cas de l’étranger placé en rétention administrative ou assigné à résidence
19L’allongement de la durée de rétention (a) et la multiplication des situations dans lesquelles un étranger peut faire l’objet d’une mesure de privation de liberté, comme le recours à l’assignation à résidence (b), imposent plus que jamais un recours accru au juge des libertés et de la détention. Or, le projet de loi retarde là encore son intervention.
a) La rétention administrative
20Pour décider du placement en rétention administrative, le juge administratif dispose d’une compétence exclusive20. Le juge judiciaire intervient seulement en cas de demande de prolongation au bout de 48 heures.
21Cette mesure porte pourtant bien atteinte à la liberté individuelle puisqu’elle entraîne pour l’étranger une entrave à sa liberté de déplacement, de communication et à son droit au recours21. Et c’est bien sur le fondement de l’article 66 de la Constitution que le Conseil constitutionnel avait censuré en 1980 les dispositions de l’article 6 de la loi “Bonnet” légalisant les centres de rétention administrative. Ce texte de loi ne prévoyait l’intervention du juge judiciaire pour prolonger, audelà de sept jours, ce “régime de détention auquel l’étranger est soumis”. Pour le Conseil un tel délai portait atteinte au principe en vertu duquel “la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible”22.
22Néanmoins, l’article 37 du projet de loi repousse l’intervention du juge des libertés et de la détention, qui doit se prononcer sur le maintien en rétention des étrangers, dans les 5 jours au lieu de 48 heures aujourd’hui. Un étranger peut ainsi être privé de liberté pendant une semaine sans voir un juge, si l’on additionne au temps de la rétention, le temps de la garde à vue suite à son interpellation par les forces de police.
23Le gouvernement justifie cette intervention tardive du juge judiciaire par le fait que le contrôle opéré par le juge administratif qui statue dans les 72 heures du placement en rétention suffirait à lui seul à assurer l’effectivité du contrôle juridictionnel23. Or, en raison de la séparation des pouvoirs, ces deux contrôles n’ont pas le même objet ni la même finalité. Le contrôle du juge administratif porte sur la légalité interne et externe de la décision administrative de placement en rétention, tandis que le contrôle du juge des libertés et de la détention porte sur la régularité des conditions d’interpellation et sur l’exercice effectif de ses droits par la personne retenue.
24Il faut rappeler en outre que la Cour de cassation a restreint la possibilité pour le retenu de saisir de sa propre initiative le juge des libertés d’une demande fondée sur l’article R. 552-17, en considérant qu’“un étranger n’est recevable à demander au juge judiciaire qu’il soit mis fin à sa rétention qu’après que la prolongation de celle-ci a été ordonnée”24. Si la Cour de cassation maintient sa jurisprudence, aucun contrôle des droits du retenu ni de la régularité de la procédure ne pourra donc, en toute hypothèse, être exercé par le juge judiciaire pendant les cinq premiers jours de rétention. Ceci contrarie la directive européenne qui exige clairement que le contrôle juridictionnel de la légalité de la rétention intervienne “dans les meilleurs délais” - qu’il soit exercé par le juge judiciaire ou par le juge administratif.
25Il est également à noter que le juge judiciaire pourra prolonger la rétention de 20 jours, au lieu de 15 aujourd’hui. Au terme de ce nouveau délai, la rétention pourra encore être prolongée de 20 autres jours. La durée maximale de rétention passe ainsi de 32 à 45 jours, comme le permet la directive “Retour” qui prévoit une durée maximale de 18 mois. Cette possibilité de prolongation n’est cependant toujours pas accompagnée de la possibilité pour le juge de moduler sa durée pour l’adapter aux circonstances. Cette impossibilité entre également en contradiction avec les stipulations de la directive retour qui précise que la rétention doit être l’ultime recours pour préparer et exécuter la reconduite à la frontière. En effet, selon l’article 15 de la Directive, la rétention administrative doit cesser lorsqu’il “apparaît qu’il n’existe plus de perspectives raisonnables d’éloignement pour des raisons juridiques ou autres”.
b) L’assignation à résidence
26La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration prévoit que l’étranger assigné à résidence pendant une procédure de RALF a l’obligation de se présenter quotidiennement aux services de police et non plus périodiquement. Il en résulte une pression forte maintenue sur les étrangers en instance d’éloignement qui les prive toujours plus de leur liberté individuelle.
27L’article 561-1 étend cette possibilité aux étrangers qui justifient être dans l’impossibilité de quitter le territoire français ou ne peuvent ni regagner leur pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays, jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. La décision d’assignation à résidence peut être prise pour une durée maximale de six mois, et renouvelée une fois ou plus dans la même limite de durée, par une décision également motivée. L’étranger, astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l’autorité administrative, doit alors se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. L’autorité administrative peut également prescrire à l’étranger la remise de son passeport ou de tout document justificatif de son identité.
28Le projet de loi étend cette possibilité pour les étrangers en instance d’éloignement, en alternative à la rétention administrative. L’autorité administrative peut recourir à cette mesure alternative lorsque l’exécution de l’obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qu’elle n’est reportée que pour des motifs techniques tenant à l’absence d’identification, de documents de voyage ou de moyens de transport, à l’encontre d’un étranger qui présente des garanties de représentation effectives. Cette faculté peut laisser penser à un traitement plus favorable pour l’étranger. Mais il est à craindre que l’administration ne fasse un usage excessif de l’assignation à résidence dans le but de continuer à placer sous surveillance des étrangers tout en évitant les complexités procédurales qu’implique le placement en rétention administrative. En effet, cette mesure, prise par l’administration, peut être prononcée pour une durée de 45 jours, renouvelable une fois, alors que le juge judiciaire ne peut la prononcer que pour 40 jours. A cette prise de décision d’assignation à résidence et de son prolongement exclusivement administratif s’ajoute un privilège de juridiction de l’administration qui se fait juger par ses pairs. Là encore, le juge des libertés et de la détention se voit retirer une de ses attributions naturelles.
29Un amendement parlementaire a introduit en outre une nouvelle procédure d’assignation à résidence avec surveillance électronique. Elle prévoit que lorsque l’étranger est père ou mère d’un enfant mineur résidant en France dont il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation dans les conditions prévues à l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans et lorsque cet étranger ne peut pas être assigné à résidence en application de l’article L. 561-2 du présent code, l’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique. La décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique est prise par l’autorité administrative pour une durée de cinq jours. La prolongation est prononcée par le juge de la liberté et de la détention s’effectue dans les mêmes conditions que la prolongation de la rétention administrative. L’assignation à résidence avec surveillance électronique emporte, pour l’étranger, interdiction de s’absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par l’autorité administrative ou le juge des libertés et de la détention en dehors des périodes fixées par ceux-ci. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le seul lieu désigné par le juge des libertés et de la détention pour chaque période fixée. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à la personne assignée le port, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, d’un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre chargé de l’immigration et le ministre de la justice. La mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. Le contrôle à distance de la mesure est assuré par des fonctionnaires de la police ou de la gendarmerie nationales qui sont autorisés, pour l’exécution de cette mission, à mettre en œuvre un traitement automatisé de données nominatives. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance peut être confiée à une personne de droit privé habilitée dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Dans la limite des périodes fixées dans la décision d’assignation à résidence avec surveillance électronique, les agents chargés du contrôle peuvent se rendre sur le lieu de l’assignation pour demander à rencontrer l’étranger. Ils ne peuvent toutefois pénétrer au domicile de la personne chez qui le contrôle est pratiqué sans l’accord de celle-ci.
30Ces différentes mesures risquent d’affaiblir encore plus le droit au procès équitable des étrangers éloignés, en raison de l’isolement dans lequel elles les placent, les privant d’un recours souvent salutaire aux différentes associations présentes sur les lieux de rétention ou de zone d’attente.
B – L’affaiblissement des pouvoirs du juge des libertés et de la détention
31Différents textes d’origine gouvernementale montrent la volonté de légaliser des détournements de procédure qui privilégient la voie administrative de l’éloignement, entourée de moins de garantie, au détriment de la voix judiciaire (1). Le projet de loi Besson consacre quant à lui une interdiction faite au juge judiciaire de tenir compte de certaines irrégularités de procédure (2).
1) Les détournements de procédure légalisés
32La loi “sécurité et liberté” de 1993, la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers25 ainsi qu’une circulaire de 2006 renforcent les possibilités de contrôles de la population immigrée et contribuent à la confusion des opérations de police administrative et de police judiciaire en la matière.
33La tendance est à privilégier la voie administrative de l’éloignement, tout en utilisant les dispositifs pénaux permettant de retenir l’étranger. La circulaire du 21 février 2006 du ministre de l’intérieur et du garde des sceaux vise à contrer la réticence des services préfectoraux à engager des procédures d’interpellation, au profit de la notification par voie postale des arrêtés de reconduite à la frontière. Pour ce faire, le ministre de l’intérieur rappelle les conditions de légalité des contrôles d’identité et des interpellations sur la voie publique, aux guichets de la préfecture, au domicile et incite à organiser des opérations de contrôle ciblées dans les logements foyers et les centres d’hébergements ou dans les quartiers connus pour abriter des personnes en situation irrégulière. Dans cette perspective, les Procureurs doivent prendre plus de réquisitions autorisant les contrôles d’identité dans un périmètre déterminé et une période de temps précisée.
34On assiste ainsi à une pénalisation massive de la lutte contre l’immigration irrégulière (accompagnée du rôle accru des Parquets dans les “pôles d’éloignements” en préfecture), par la mise en œuvre de l’éloignement des étrangers dans un cadre pénal légal, afin d’éviter de remettre en liberté les étrangers interpellés pour un vice de procédure. Mais il y a lieu ici d’évoquer un risque de détournement des procédures pénales dans un but d’éloignement administratif.
35Ainsi, en ce qui concerne les interpellations au guichet d’une préfecture, la circulaire précise qu’il n’y a pas d’obstacle juridique à l’interpellation en cas de présentation spontanée au guichet. Le ministre rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’interpellation d’un étranger suite à une convocation en préfecture ne constitue pas un piège dans la mesure où la procédure de reconduite à la frontière lui a été clairement expliquée. Les seules conditions retenues étant la loyauté dans la convocation (absence d’ambigüité sur le motif de la convocation) et l’obligation de procéder à l’examen effectif de la situation. Mais le modèle proposé par le ministre en annexe de la circulaire précise que les convocations doivent être brèves et simples et n’ont pas à mentionner la procédure de reconduite à partir du moment où l’arrêté de reconduite est définitif et exécutoire. Il précise en outre que toutes les indications relatives à l’éventualité d’un placement en rétention, tout descriptif de la procédure sont à proscrire. Il y a donc ici une volonté de détourner la jurisprudence de la Cour de cassation.
36Celle-ci dans un arrêt du 6 février 2007, considère que les interpellations aux guichets consécutives à une convocation en préfecture pour réexamen de la situation d’un étrangers est déloyale donc nulle26. Le Conseil d’Etat a quant à lui considéré que la circulaire de 2006 était certes impérative, mais légale, comme n’instaurant pas de procédé déloyal pour les interpellations en préfecture, car elle prévoit la possibilité de contester l’arrestation opérée sur la base de cette convocation dans un cadre individuel27. Pourtant, comme l’ont relevé plusieurs associations, cette circulaire semble mettre en œuvre un détournement de procédure, en extrayant de la jurisprudence civile un “habillage juridique” pour piéger les étrangers irréguliers. Il semble alors que le respect de l’Etat de droit se limite à celui de la forme juridique des actes. De plus elle vise à dissuader les étrangers d’entreprendre des procédures de régularisation en se rendant en préfecture.
37En ce qui concerne les interpellations dans un logement-foyer, un centre d’hébergement accueillant des personnes sans-papiers, la circulaire tente de détourner certaines procédures. Ainsi en est-il pour les interpellations qui ont lieu à proximité du local concerné qui constitue une interpellation sur la voie publique. Elle mentionne pour se faire la procédure de vérification de situation administrative des étrangers (art L 611-1). Les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à séjourner en France. Les agents de police n’ont alors pas à se soumettre aux conditions de légalité des contrôles d’identité. Mais selon la jurisprudence constitutionnelle et judiciaire, ils doivent se fonder sur des “éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne”28 et ne doivent pas s’appuyer sur des critères discriminatoires. La circulaire considère que la condition d’extranéité est remplie par l’entrée et la sortie dans ces lieux et justifie ainsi le contrôle. Il y a lieu pourtant de relever que ces opérations interrogent le principe de nondiscrimination dans la mesure où la sélection s’opère en pratique sur des critères tenant à l’apparence physique.
38La circulaire mentionne ensuite la procédure du contrôle d’identité judiciaire de l’article 78-2 CPP qui vise la poursuite d’infractions. Ces contrôles sont menés à l’initiative des agents de police, ou sur réquisition du Procureur dans des lieux et périodes de temps déterminés. La circulaire rappelle la Jurisprudence “Saint-Bernard” de la Cour de cassation de 1997 pour les occupations d’église par les collectifs de sans-papiers, qui invoque l’occupation sans titre d’un bâtiment, d’une église pour revendiquer l’irrégularité de leur situation administrative qui constitue un indice faisant présumer la commission du délit de séjour irrégulier29. Ces jurisprudences ont vocation à couvrir tous les contrôles effectués lors d’une occupation d’espaces publics ou d’églises par les collectifs de sanspapiers. De plus, le Procureur de la République peut désigner certains quartiers, ou les environs des foyers où la population étrangère est importante, pour mener des opérations de contrôle d’envergure, afin de faciliter la tâche de la police dans la poursuite de l’immigration clandestine. Mais cette pratique heurte encore le principe de non-discrimination, car elle implique une sélection subjective des personnes dans le périmètre déterminé.
39En ce qui concerne les contrôles effectués à l’intérieur du local, la circulaire distingue deux situations. Dans les parties privatives, seules peuvent être réalisées des missions de police judiciaire (dans le cadre d’une enquête préliminaire, d’une enquête de flagrance, ou d’une enquête rogatoire). Dans les espaces collectifs, hors des cas de flagrance et de commission rogatoire, l’assentiment exprès du gestionnaire doit être recueilli. Mais la circulaire demande aux préfets d’inviter les gestionnaires des centres à exercer une vigilance particulière, et à solliciter les forces de police.
40De même, la procédure de vérification d’identité et de la garde à vue, qui demeure possible même si la mesure ne débouche pas sur des poursuites pénales, sont en réalité très souvent utilisées pour laisser prospérer la seule procédure administrative d’éloignement. En ce qui concerne le recours à l’article 78 du CPP pour la comparution immédiate des personnes en situation irrégulière, la tendance est au classement sans suite des poursuites pour recourir à l’éloignement administratif. Dans son arrêt du 7 février 2007, Ligue des droits de l’homme, le CE n’a pourtant pas constaté de détournement de procédure.
41Enfin, pour compenser la libre circulation dans l’espace Schengen tout en permettant le contrôle de l’immigration clandestine, depuis la loi de 1993, et plus encore avec la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, on note une absence de conditions de fond pour la légalité des contrôles frontaliers (gare, aéroport, port). Il suffit que les autorités de police agissent dans le périmètre concerné. Suite aux Accords de Schengen, la loi du 10 août 2003 permet de procéder à des contrôles d’identité systématiques à bord des trains internationaux dans les 20 km suivant la frontière. Le nouvel art 78-2 du CPP prévoit désormais que lorsque le contrôle a lieu à bord d’un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des 20 km. De plus, sur les lignes ferroviaires présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des 50 km suivants. Il apparaît clairement que la finalité de cette mesure n’est pas la lutte contre le terrorisme, les travaux parlementaires révélant la finalité de démantèlement des réseaux d’immigration irrégulière. Il y a là également un problème de la compatibilité avec le code des frontières Schengen du 13 avril 2006 qui rappelle que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans vérification aux frontières, sur les personnes, quelque soit la nationalité de ces dernières, et que les contrôles opérés par les autorités nationales ne doivent pas avoir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
2) L’interdiction faite au juge de tenir compte des irrégularités de procédure
42Le juge judiciaire ne se prononce pas seulement sur la requête de l’administration tendant à la prolongation du maintien en zone d’attente ou en rétention administrative. En matière de maintien en zone d’attente, il doit au préalable vérifier qu’il n’y a pas eu d’atteinte aux droits fondamentaux et que la procédure préalable à sa saisine a bien été régulière (délai de notification du maintien en zone d’attente, accès effectif à un interprète ou un conseil, respect des droits inhérents au maintien en zone d’attente…). Dans le cas contraire, la procédure est invalidée sans qu’il n’ait pu se prononcer sur l’objet initial de la requête dont il a été saisi. En matière de rétention administrative, le juge judiciaire a également montré une certaine audace en étendant son contrôle aux mesures d’interpellation, de contrôle d’identité et de garde à vue qui ont précédées la décision de rétention administrative et dont elle n’est que le prolongement30. Il fait également respecter les règles de procédure relatives à la tenue de l’audience et à l’exercice des voies de recours. Ainsi, le juge judiciaire contrôle les détournements de procédure.
43Or, selon le projet de loi, le juge sera empêché de tirer les conséquences de certaines irrégularités de la procédure. En effet, il prévoit un article L. 222-3-1 (pour la zone d’attente) et un article L. 552-2-1 (pour la rétention) selon lesquels seule une irrégularité “ayant un caractère substantiel” et “ayant eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger” est susceptible d’entraîner la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente ou de rétention. Or les nullités susceptibles d’être invoquées par un étranger placé en zone d’attente ou en rétention administrative sanctionnent généralement des irrégularités substantielles devant être considérées comme étant d’ordre public, puisque sont toujours en cause, des droits dont l’exercice touche à la liberté individuelle. De plus, la notion de procès équitable implique à la charge du tribunal l’obligation de se livrer à un examen effectif et complet des moyens des parties, obligation contrariée ici par le projet de loi.
44Suivant la même logique, il prévoit de réduire les pouvoirs du juge d’appel appelé à se prononcer sur l’opportunité du maintien en zone d’attente ou en rétention en lui interdisant d’examiner le moyen tiré d’une irrégularité qui serait antérieure à un précédent examen du dossier et qui n’aurait pas été soulevé devant le premier juge. Cette disposition constitue une entorse au principe de l’effet dévolutif de l’appel, selon lequel les juges d’appel sont investis du devoir de statuer à nouveau, en fait et en droit, sur l’ensemble du litige (article 561 du Code de procédure civile). Les parties peuvent en effet invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves (art. 563 CPC). L’article L. 222-1-1 du CESEDA concernant la zone d’attente et l’article 552-8 pour la rétention administrative, prévoient qu’“à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité ne peut être soulevée après l’audience prévue à l’article précédent, à moins qu’elle ne porte sur une irrégularité postérieure à celle-ci”. Il en est de même pour les irrecevabilités en cause d’appel (article L. 222-6-1 et 552-9-1).
45Cette disposition pourrait être considérée comme contraire à l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dans la mesure où elle amenuise considérablement le droit à un recours effectif. En effet, en raison du délai très bref dont dispose le premier juge pour statuer, il lui sera difficile de sanctionner les irrégularités de procédure commises dans l’urgence par les autorités administratives. Ici encore, il s’agit de donner satisfaction à l’administration, qui se plaint d’un contrôle des juges considéré comme trop “tatillon”. La Commission Mazeaud mise en place en juillet 2008 pour préparer ce projet de loi, n’hésitait pas à souligner la “ permissivité” des juges des libertés et de la détention31. Elle a considéré que “ces erreurs exposent l’administration à être désavouée par le juge. Souvent inéluctable, la censure juridictionnelle met alors à néant un travail administratif qui, en dépit des irrégularités commises, pouvait être justifié sur le fond”. Outre le raccourcissement du délai dont dispose le juge pour se prononcer sur la prolongation du maintien en zone d’attente qui passe à 24 h, ce nouveau dispositif diminue largement son pouvoir d’examen.
46De plus, le maintien en zone d’attente n’est qu’une faculté pour le juge judiciaire qui peut refuser la prolongation au motif que l’étranger dispose de garanties de représentation suffisantes32. Le contrôle du juge est donc réalisé in concreto, au cas par cas, et de manière précise. Or, avec l’adoption définitive du nouveau projet de loi Besson, interdiction sera faite au juge de tenir compte des garanties de représentation offertes par l’étranger. En effet, l’article 9 du projet prévoit d’insérer un nouvel alinéa à l’article L. 222-3 du CESEDA, selon lequel “l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente”.
47Dans le cadre d’une rétention administrative, un étranger peut solliciter du juge judiciaire une assignation à résidence, pour laquelle la justification de garanties de représentation est prescrite. Mais s’agissant de la zone d’attente, le juge judiciaire peut soit faire droit à la demande de l’administration, c’est-à-dire prolonger le maintien pour une durée de huit jours, soit refuser, ce qui entraîne de facto l’admission de l’étranger sur le territoire français, avec un sauf-conduit de huit jours. Dans le cadre de l’appréciation qu’il porte au cas par cas, le juge judiciaire évalue alors l’ensemble des éléments qui lui sont présentés par l’administration d’une part, et par l’étranger d’autre part. Il peut notamment tenir compte des garanties de représentation de l’étranger (détention par l’étranger d’un billet de retour, d’une réservation hôtelière, présence de famille en France…).
48Le gouvernement tente une fois encore de contrecarrer les pouvoirs du juge judiciaire saisi de requêtes en prolongation du maintien en zone d’attente : même s’il constate qu’il n’y a pas de risque à laisser entrer la personne sur le territoire, le juge ne pourra fonder une décision de refus du maintien en zone d’attente sur cette seule constatation. Cette disposition vise là encore à instaurer un traitement procédural discriminatoire, au détriment des étrangers, donnant toute liberté à la police aux frontières, et vise à réduire considérablement la possibilité pour le juge d’apprécier la nécessité ou non d’un enfermement, dont le maintien deviendrait alors quasi-automatique. Ce faisant, le projet de loi consacre un déséquilibre qui contrevient gravement aux principes du procès équitable.
II – L’AFFAIBLISSEMENT DES GARANTIES PROCEDURALES BENEFICIANT A L’ETRANGER
49Le droit à un procès équitable n’implique pas seulement le droit au juge, mais concerne également l’ensemble des garanties procédurales qui entourent ce droit. L’activité administrative est soumise à des procédures, devant respecter le droit d’être entendu, la présentation des motifs de la décision et l’information concernant les voies de recours ouvertes contre la décision. Ces droits de la défense garantissent à l’individu une procédure équitable qui respecte la défense des intérêts des individus face à l’intérêt général. La consécration des droits de la défense constitue d’ailleurs la première étape de la construction des “principes généraux du droit” consacrés en place par le juge administratif français à partir de 1945 contre les excès de la puissance publique33. Il est à noter que ces droits ont également valeur constitutionnelle et que le juge constitutionnel a expressément affirmé leur application au contentieux administratif34.
50Ils impliquent plus précisément le principe du contradictoire (A) et le principe de l’égalité des armes (BI) auxquels les législations successives en matière d’immigration portent délibérément atteinte.
A – L’atteinte au principe du contradictoire
51Le principe du contradictoire a très tôt été reconnu comme principe général du droit35, puis consacré par l’article 16 du code de procédure pénal et l’article 5 du code de justice administrative. La contradiction est la condition d’exercice du principe des droits de la défense. Elle emporte la faculté pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter. Elle implique le droit de comparaître à l’audience et le droit d’être entendu, ainsi que le droit à un interprète et à un conseil. Or, dans le projet de loi Besson, le juge sera tenu de prendre en compte les contraintes de l’administration et de considérer avec bienveillance les retards dans la notification ou l’exercice effectif des droits, portant ainsi atteinte au droit à l’information de l’étranger placé en rétention ou maintenu en zone d’attente (1). Ces droits sont particulièrement affaiblis en cas de situation exceptionnelle (2).
1) L’atteinte au droit à l’information
52L’article 5§2 de la CEDH36 prévoit des exigences procédurales en cas de privation de liberté, même si celle-ci est régulière. Consacrant le droit à l’information, il impose des conditions de forme, lors de la privation de liberté en zone d’attente ou en rétention administrative, pour permettre à l’étranger de comprendre les faits reprochés et ainsi préparer sa défense. L’individu maintenu en zone d’attente ou en rétention doit être informé, en temps utile, des raisons de sa privation de liberté pour pouvoir préparer sa défense. L’information doit être complète, rapide et intelligible, impliquant le droit à un interprète37. L’influence du droit communautaire s’est également faite sentir de manière très nette en ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure d’expulsion ; ainsi la directive 64/22/CEE du 14 février 1964 impose la consultation préalable d’une autorité indépendante devant laquelle tout intéressé qui se voit refuser un titre de séjour ou contre lequel l’administration envisage de prendre une mesure d’expulsion, peut faire valoir ses moyens de défense et se faire assister d’un conseil. Cela a permis d’étendre le principe du contradictoire à des mesures de police administrative.
53Le droit français consacre quant à lui le droit à l’information de l’étranger dans une langue qu’il est susceptible de comprendre. Depuis la réforme du 26 novembre 2003, l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit qu’en rétention administrative, l’étranger est “informé dans une langue qu’il comprend et dans les meilleurs délais, que pendant toute la période de rétention, il peut demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil ainsi que d’un médecin, et communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix”. De même, en zone d’attente, l’article 35 quater de cette ordonnance exige que l’étranger maintenu soit “informé dans les meilleurs délais qu’il peut demander l’assistance d’un interprète et d’un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d’attente”. Mais, s’il est prévu par l’article L. 512-2 du CESEDA que l’étranger ait la possibilité de demander que les “principaux éléments” des décisions qui lui sont notifiées lui soient communiqués dans une langue qu’il comprend, l’étranger n’est pas automatiquement informé de ce droit. Par ailleurs, le décret du 22 août 2008 portant modification du CEDESA supprime l’exigence de la présence du conseil de l’étranger lors des audiences de prolongation en zone d’attente ou en rétention. De plus, si la loi du 11 mai 1998 prévoyait une information “ immédiate” des droits en rétention et en zone d’attente, la loi du 26 novembre 2003 exige seulement une information “dans les meilleurs délais”.
54En matière de rétention administrative, le projet de loi Besson précise que cette notification des droits ne sera réalisée qu’“à compter de l’arrivée au lieu de rétention”, et non plus pendant toute la durée de rétention, permettant ainsi de laisser prospérer des procédures souvent irrégulières lors de longs transferts en centres de rétention. Cette restriction des droits pendant le transfert des personnes contredit la jurisprudence issue des arrêts de la Cour de cassation du 31 janvier 200638, enjoignant au juge judiciaire de vérifier si l’étranger a été, dès son placement en rétention, mis en mesure d’exercer effectivement les droits qui lui sont reconnus.
55Il en est de même pour les placements en zone d’attente pour lesquels ni le régime de la garde à vue, ni celui de la rétention administrative ne sont applicables. Or, la notification des droits aux étrangers doit être ici la plus rapide possible en raison de la possibilité pour l’administration de refouler des étrangers avant même qu’ils aient pu avoir accès à un interprète, un avocat, un médecin ou une personne de leur choix. Ce vide juridique risque de générer des situations arbitraires pour des personnes qui demandent l’asile en France pour des risques souvent vitaux.
1) Une information retardée pour les situations exceptionnelles
56Ce retard dans la notification des droits s’aggrave en cas de situations exceptionnelles, lorsqu’il y a une présence simultanée d’un nombre important d’étrangers en situation irrégulière placés en rétention administrative. Les articles 2 et 26 du projet de loi Besson stipulent alors que la notification des droits s’opère dans les meilleurs délais possibles, pour permettre aux agents administratifs d’accomplir cette formalité, et en fonction de la disponibilité des interprètes dans la circonscription administrative concernée et au-delà. Le juge est alors contraint de tenir compte “des circonstances particulières liées notamment au placement en rétention d’un groupe d’étrangers pour l’appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, à l’information des droits et à leur prise d’effet”.
57La directive “retour” précise pourtant que “lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l’État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, décider d’accorder pour le contrôle juridictionnel des délais plus longs que ceux prévus à l’article 15, paragraphe 2, troisième alinéa, et de prendre des mesures d’urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celles énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2”. Ainsi, selon la directive, si les conditions de rétention peuvent être différentes en cas de situations exceptionnelles, les procédures doivent rester les mêmes, impliquant seulement un allongement des délais de traitement. Il semble donc que les dispositions du projet de loi contredisent ce principe en ce qu’elles permettent de priver les étrangers de leurs droits à l’information pendant toute la durée de leur transfert entre les locaux de garde à vue et les centres de rétention.
A – L’atteinte au principe de l’égalité des armes
58L’égalité des armes est une condition de l’équilibre entre les parties, surtout entre l’intéressé et le ministère public ou l’administration. Elle implique une égalité dans la communication des pièces, dans la présentation et l’examen des pièces, et la participation équilibrée à l’instance (1). Elle implique également une égalité des moyens qui peut être mise à mal en cas de litige opposant un individu à l’Etat, lorsqu’une règle de procédure n’est appliquée qu’au bénéfice de l’Etat (2).
1) Un appel suspensif au profit du seul ministère public
59La CEDH s’est déjà prononcée sur l’effet suspensif et le caractère effectif d’un recours en matière d’éloignement. Dans l’arrêt Gebremedhin contre France du 26 avril 200739, la Cour considère que l’absence d’un recours juridictionnel de plein droit suspensif contre les refus de demande d’asile à la frontière est contraire aux art 13 (droit au recours) et 3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants).
60La loi de 2007 a alors introduit une possibilité de recours à caractère suspensif, un référé-liberté, dans un délai de 48 h suivant la notification de refus d’asile. Les voies de recours sont celles de l’art L 523-1 du CJA, c’est-à-dire un recours non suspensif devant le Conseil d’Etat qui doit statuer dans un délai de 48 H. Or l’effectivité du recours devrait prévaloir pendant toute la procédure et non pas seulement en première instance. Surtout, l’on peut faire remarquer qu’il s’agit d’un référé-liberté qui statue uniquement sur le caractère manifestement infondé ou non du recours et non d’un véritable recours au fond. On peut donc continuer à s’interroger sur la conformité de ce dispositif avec l’exigence du recours effectif de la CEDH.
61Par ailleurs, le décret du 22 août 2008 portant modification du CEDESA40 a rendu l’appel non suspensif contre l’ordonnance de placement en rétention. Par contre, l’administration peut le faire faire déclarer tel par le juge s’il lui apparaît que l’étranger ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l’ordre public.
62En cas de décision du juge de mettre fin au placement en zone d’attente, le Procureur en est automatiquement informé. L’étranger est alors maintenu à la disposition de la justice pendant 4 heures. Le projet de loi Besson, étend cette durée à 6 heures. Ici, l’égalité des armes est remise en cause par le fait que l’appel d’une décision de maintien en zone d’attente peut être suspensif au profit du seul Procureur de la République. Cet allongement du délai permet de neutraliser plus facilement encore une décision favorable à l’étranger, et accentue l’inégalité qui résulte déjà de ce que cet appel suspensif est réservé au seul procureur de la République41. Cela contredit les principes directeurs de transposition de la directive “retour” qui contient plusieurs stipulations sur l’effet suspensif des recours, dans le but de garantir leur effectivité. La mise en parallèle avec le droit au recours effectif prévu par la directive est d’autant plus pertinente que l’on ne peut pas parler d’un droit à un recours effectif dans l’hypothèse où les délais durant lesquels l’étranger est susceptible de contester la mesure dont il fait l’objet sont réduits au maximum.
63A noter enfin que les États membres ont jusqu’au 24 décembre 2010 pour adopter les mesures réglementaires, législatives et administratives nécessaires pour se conformer à la directive communautaire “retour”, à l’exception toutefois de la disposition qui prévoit que “les États membres veillent à ce que l’assistance juridique et/ou la représentation nécessaires soient accordées sur demande gratuitement…” pour laquelle un délai de transposition plus long est accordé (jusqu’au 24 décembre 2011). Cette exception illustre les difficultés à harmoniser une politique touchant de près au bon vouloir étatique en matière de droits et de garanties procédurales qui pourraient être assurées aux étrangers en situation irrégulière. Le projet de loi prévoit que l’étranger frappé d’une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire peut demander l’aide juridictionnelle au plus tard au moment de l’introduction de sa requête. Or, cette disposition semble contraire avec la directive communautaire qui précise que “les États membres veillent à ce que l’assistance juridique et/ou la représentation nécessaires soient accordées sur demande gratuitement conformément à la législation ou à la réglementation nationale applicable en matière d’assistance juridique”. L’aide juridictionnelle devrait donc pouvoir être sollicitée à n’importe quel stade de la procédure, et par les personnes frappées d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire. Cette absence de possibilité est encore plus attentatoire aux droits de la défense puisque l’étranger est alors menacé d’un éloignement dans un délai très bref.
2) La difficile introduction des demandes d’asile des étrangers éloignés
64Le nouveau projet de loi Besson affaiblit le droit à un examen de la demande d’asile en instaurant une nouvelle procédure prioritaire, portant ainsi atteinte au principe du droit d’asile et au principe de l’égalité des armes. L’article 75 du projet de loi précise “que constitue une demande d’asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou ses modalités d’entrée en France afin d’induire en erreur les autorités”.
65La Commission nationale consultative des droits de l’homme a déjà eu l’occasion de condamner le “recours excessif aux procédures prioritaires de demande d’asile, appliquées à près d’un quart des demandes d’asile et non assorties de toutes les garanties requises pour un examen équitable des dossiers, notamment celle d’un délai raisonnable d’instruction et le droit au recours suspensif42.
66De manière générale, si le demandeur est arrêté avant d’avoir pu accéder au guichet asile d’une préfecture, il peut se voir opposer une mesure d’éloignement, et notamment être placé en rétention ou en zone d’attente. Ainsi, avant même d’avoir pu commencer les démarches relatives à sa demande d’asile, il peut être mis dans une situation ne lui permettant pas un examen complet de sa demande avec le risque d’être éloigné plus rapidement vers son pays d’origine.
67Or, former une demande d’asile en rétention administrative s’avère difficile en raison du caractère expéditif de la procédure dite “prioritaire” concernant les demandeurs déboutés. Cette procédure permet difficilement d’apprécier avec objectivité les risques de persécution encourus en raison du court délai de 48 heures imparti pour former le recours, de l’obligation de rédiger en français la demande sans droit à un interprète, ni à un avocat. L’OFPRA dispose de 96 heures pour examiner la demande, ce qui représente un délai largement insuffisant. En cas de rejet, le demandeur peut exercer un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, mais celui-ci n’est pas suspensif. Le demandeur peut donc être renvoyé avant même que la Cour ait examiné son recours. Celle-ci refuse d’ailleurs d’examiner ce recours si la personne a déjà été renvoyée dans son pays d’origine.
68Le projet de loi Besson permet en outre à l’autorité préfectorale d’assortir l’obligation de quitter le territoire d’une interdiction de retour sur le territoire français, avec une possibilité d’extension de l’interdiction à tout le territoire Schengen. Cette disposition supprime toute chance de voir sa demande réexaminée par un autre pays européen. D’ailleurs cette nouvelle mesure de l’interdiction du territoire français revient à consacrer de nouveau une double peine pour les étrangers déjà frappés d’une mesure d’éloignement. Son caractère de sanction est indéniable et justifie d’autant plus que lui soit appliqué les exigences du droit au procès équitable de l’article 6 de la CEDH.
III – L’ATTEINTE AU PRINCIPE DE LA BONNE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE
69Le contentieux des mesures d’éloignement des étrangers est un contentieux de masse, constituant le premier contentieux en volume, et nécessitant un traitement juridictionnel rapide. Mais cette exigence de rapidité porte parfois atteinte à l’impartialité de la justice (A). De plus, les modifications législatives du droit des étrangers éloignés rendent l’accès à la justice très difficile en raison de la diversité des sanctions pouvant être prises à l’encontre des étrangers et de la variabilité des délais de recours dans chaque cas, générant qui plus est des jurisprudences contradictoires (B).
A – Les atteintes à l’impartialité et à l’équité de la procédure
70Dès la loi du 10 janvier 1990 la compétence du contentieux des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière a été transférée au juge administratif, dans le cadre d’une procédure expéditive et en juge unique totalement dérogatoire de la procédure administrative de droit commun. La loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration et la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile établissent le raccourcissement des délais de recours et de jugement, et l’extension du recours à un juge unique (1). Elles prévoient également la possibilité de la délocalisation des salles d’audience dans les zones d’attente et l’extension du recours aux moyens de télécommunication audiovisuelle pour les audiences de prolongation de rétention dans les centres de rétention administrative (2).
1) Des procédures accélérées et le recours au juge unique
71En France, le respect d’un délai raisonnable de jugement devant les juridictions administratives a été consacré comme un principe général du droit43 Ce principe est généralement invoqué en matière de procédures considérées comme trop longues44, mais il doit également pouvoir permettre l’exercice d’une justice de qualité, souvent mise à mal lorsque le juge dispose d’un délai très bref pour statuer.
72Le projet de loi Besson fixe à 24h le délai dans lequel le juge des libertés et de la détention devra se prononcer sur le maintien en zone d’attente et en rétention, alors qu’il était seulement précisé jusqu’à maintenant qu’il devait statuer “sans délai”. De même, le placement en assignation à résidence, qui peut être prononcé pour 45 jours, entraîne automatiquement la mise en place d’un examen à juge unique, dans le délai de 72 heures de la contestation de l’obligation de quitter le territoire français, du refus de délai de départ volontaire et de l’interdiction de retour. Si l’urgence liée à la privation de liberté en matière de rétention ou d’assignation à résidence justifie le recours à un juge unique dans le cadre d’une procédure accélérée, il n’en est plus de même, en cas d’annulation de la rétention ou de l’assignation à résidence, pour l’examen de la légalité de l’obligation de quitter le territoire français, du refus de délai de départ et de l’interdiction du territoire qui nécessite un retour aux délais et procédures normaux.
73Ce caractère “expéditif” du jugement semble être incompatible avec les exigences du droit au recours effectif de l’article 13 de la CEDH. En effet, la brièveté du jugement limite la possibilité d’échange des mémoires entre les parties, et contraint le juge à rendre un jugement précipité.
74La procédure du juge unique, quant à elle, garantit beaucoup moins l’impartialité du jugement que la procédure collégiale. De plus, le juge unique ne peut prononcer des injonctions45 ; il peut alors sembler surprenant que ce même juge soit compétent pour confirmer un arrêté de reconduite à la frontière et non pour enjoindre l’administration de ne pas procéder à l’exécution d’une telle mesure si son illégalité est constatée.
75L’attribution à certains juges du pouvoir de statuer seul – par dérogation au principe général de collégialité – a eu pour fonction première de permettre un traitement juridictionnel efficace de l’urgence. Il s’agissait de mettre la juridiction administrative en mesure d’intervenir rapidement, de statuer “sans délai” dans le cadre de procédures spécifiques. Les procédures de jugement par ordonnance instituées par les textes de 1984 et 1990 visaient uniquement à permettre la clôture rapide d’instances manifestement avortées (pour cause de désistement des parties, de non-lieux à statuer ou d’irrecevabilité manifeste) et le prononcé immédiat des rejets de demandes de sursis à exécution. Mais la loi du 8 février 1995 traduit surtout la détermination du législateur français à réduire la durée moyenne des instances de contentieux administratif46. L’extension du champ du jugement par ordonnance a été animée par un nouveau principe : l’exclusion a priori de la collégialité dans toutes les hypothèses de litige “simple”. Or, le contentieux des étrangers éloignés est loin de constituer un contentieux simple.
76Le décret du 29 juillet 200447 permet le rejet par ordonnance des recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière “entachés d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance”. Or, l’absence de formalisme dans l’introduction des requêtes contre les APRF et la possibilité de régularisation à l’audience étaient les contreparties du caractère exceptionnel de cette procédure qui porte le délai de recours à 48 heures, institue un juge unique qui doit rendre son jugement dans les 72 heures.
77S’agissant du contentieux administratif général, particulièrement du contentieux des refus de séjour, il a été entrepris une réforme consistant à généraliser les ordonnances de “séries”. Pour cela l’article R. 222-1 du CJA a été modifié par un décret du 28 juillet 200548 permettant le rejet par ordonnances de certaines requêtes qui, “sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu’elle a déjà tranchées ensemble par une même décision passée en force de chose jugée ou à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux ou examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d’Etat en application de l’article L. 113-1”.
78La loi de 2006 donne la possibilité au président du tribunal administratif de désigner un magistrat administratif honoraire pour 3 ans, compétent pour statuer sur les litiges relatifs aux arrêtés de reconduite à la frontière. Le décret du 23 décembre 2006 portant réforme du contentieux administratif pour désengorger la juridiction administrative, principalement en matière de droit des étrangers, a étendu le champ des rejets par ordonnances décidées par les seuls présidents de formation de jugement, sans audience publique et sans examen sur le fond. La procédure du rejet au tri des requêtes peut avoir lieu si les arguments de forme sont “manifestement infondés”, si les arguments sont irrecevables, inopérants ou sans précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ou assortis de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien. Ici encore, il s’agit de réduire l’accès au juge, à la collégialité des jugements.
79Lors de la codification par voie d’ordonnance le gouvernement a discrètement fait glisser la liste des exceptions au principe de collégialité de la partie législative vers la partie règlementaire du code de justice administrative. Dans sa décision du 20 juillet 2006 relative à la loi sur l’immigration49, le conseil constitutionnel a reconnu la compétence du législateur pour définir ces exceptions pouvant compromettre l’indépendance du juge, la séparation des pouvoirs et le droit à un tribunal impartial. Mais ici, le conseil constitutionnel n’a pas censuré le fait de procéder par décret à la généralisation du juge unique.
80Le recours au juge unique a été étendu par la loi 27 novembre 2007 qui introduit un recours à caractère suspensif, un référé-liberté, dans un délai de 48 h suivant la notification de refus d’une demande d’asile. Cette même loi de 2007 institue une procédure de rejet au tri pour irrecevabilité des requêtes. Le juge peut se dispenser d’une procédure contradictoire par ordonnance motivée si la requête est entachée d’une irrecevabilité manifeste ou est manifestement infondée. Le jugement peut être rendu sans conclusions du commissaire du gouvernement. Cette procédure porte manifestement atteinte au principe de motivation des décisions juridictionnelles qui implique l’obligation pour le juge de se livrer à un examen effectif des moyens soulevés50. De même en ce qui concerne la motivation des obligations de quitter le territoire français, l’avis du CE du 19 octobre 2007 Hammou51, a considéré que la motivation de cette mesure se confond avec celle du refus ou du retrait du titre de séjour, toute en maintenant la distinction entre les deux. D’ailleurs, la loi de 2007 a supprimé l’exigence de motivation des décisions d’obligation de quitter le territoire français.
2) La délocalisation des audiences et l’atteinte à la publicité de la procédure
81La publicité, condition de clarté et de régularité des débats, par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, contribue à préserver la confiance des justiciables dans la justice. Le principe de publicité impose que tout tribunal tienne des audiences publiques, pour éviter une justice secrète qui échappe au contrôle du public. Elle garantit au justiciable l’indépendance et l’impartialité du tribunal qui a entendu sa cause ainsi que la réalisation effective du principe du contradictoire52. Ce principe signifie que le procès ait lieu dans une salle d’audience de tribunal ouverte au public et aux médias.
82Or, la loi du 26 novembre 2003 a introduit la possibilité de tenir des audiences avec des moyens de communication audiovisuelle ou de constituer des salles d’audiences ad hoc développant le moyen du “procès rendu à distance”. De même, l’instauration des salles d’audience dans les zones d’attente peut faire craindre que l’étranger ne bénéficie pas d’une réelle indépendance et impartialité du juge en raison de la non publicité des débats.
83Complétant ce dispositif, en matière de reconduite à la frontière, le décret du 29 juillet 2004 a modifié les règles de compétence territoriale des tribunaux administratifs pour les étrangers maintenus en rétention administrative. Par dérogation au droit commun, depuis le 1er janvier 2005, ce n’est plus tribunal administratif du ressort de la préfecture auteur de l’arrêté de reconduit qui est compétent mais le tribunal du ressort du centre de rétention administrative où est placé l’étranger en instance d’éloignement (R. 776-3 CJA). Une telle règle rend particulièrement difficile la défense de l’étranger dès lors qu’il est placé dans un centre éloigné de son domicile, de sa famille et de son défenseur habituel. La loi du 24 juillet 2006 prévoit également que lorsque le préfet place un étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français en rétention administrative, il est prévu que dans ce cas, dès notification par le préfet au tribunal administratif du placement en rétention, et à condition que la décision n’ait pas été rendue ou soit en état d’être jugée, le tribunal transmet l’affaire au tribunal du ressort du centre de rétention. Les actes de procédure accomplis régulièrement devant le TA saisi restent valables devant le tribunal auquel est transmise l’affaire (Art. R. 777-8 CJA).
84La loi du 20 novembre 2007 prévoit également la possibilité d’une audience délocalisée dans la salle d’audience de la zone d’attente par communication audiovisuelle. Ce mécanisme est déjà prévu pour les audiences du juge judiciaire chargé de se prononcer sur la prolongation du maintien en zone d’attente. Et le décret du 22 août 2008 portant modification du CEDESA (art L 552-12) en matière de rétention administrative prévoit une extension du recours aux moyens de télécommunication audiovisuelle pour les audiences de prolongation de rétention dans les centres de rétention administrative. Ce recours n’est actuellement possible qu’avec le consentement de l’étranger, la loi supprime cette condition pour limiter le nombre de transferts qui peuvent être contraires à la dignité des étrangers, en établissant une présomption de consentement.
85Or, la délocalisation des audiences de prolongation de rétention administrative plaçant le juge à l’abri du regard de la cité, génère un raccourcissement des délais de jugement, et prive l’étranger du droit à un traitement individuel de son dossier. La Cour de cassation a décidé de mettre un terme à cette pratique de délocalisation des salles d’audience dans les centres de rétention dans un arrêt remarqué du 16 avril 2008, Moraru, Boulzazane, Abbas53. Elle précise que “la proximité immédiate exigée par l’article L. 552-1 du CESEDA est exclusive de l’aménagement spécial d’une salle d’audience dans l’enceinte d’un centre de rétention”. Elle étend l’interdiction de prononcer sur des actes criminels dans un établissement pénitentiaire aux centres de rétention, la délocalisation des audiences portant atteinte à l’apparence d’impartialité et l’indépendance des magistrats.
86Le rapport remis par la commission Mazeaud en juin 2008 propose, au titre de l’amélioration du contentieux du droit des étrangers, de “vaincre les réticences des magistrats à tenir des audiences ailleurs que dans l’enceinte ordinaire du tribunal”54. Selon elle, la conformité de ces salles d’audience aux exigences légales, comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel suffit à en rendre légitime l’utilisation. Le projet de loi Besson prévoit la systématisation des audiences par visioconférence, afin de réduire les coûts liés aux escortes et la délocalisation des audiences du juge administratif. Une résistance massive a été initiée par le Syndicat de justice administrative pour rappeler la nécessaire “solennité” des lieux de justice : “la justice doit être rendue dans un lieu dédié et solennel, seul à même d’assurer des débats sereins et pacifiés mais également l’autorité du juge. Il s’agit-là d’une garantie essentielle pour tout justiciable. Par ailleurs, le juge administratif siégeant en tenue civile, le lieu de justice revêt une dimension d’autant plus symbolique pour les parties”. Les magistrats sont également inquiets pour leur indépendance car “une telle mesure expose en outre le juge aux pressions administratives et porte gravement atteinte à son indépendance et au principe de publicité des audiences”. Enfin, les auteurs de la pétition démontrent que l’argument de l’économie d’argent ne tient pas la route car “l’application de cette mesure impliquerait la construction sur tout le territoire de locaux distincts susceptibles d’être investis par le juge administratif. Ces locaux devraient être entièrement équipés pour permettre au juge administratif de rendre sa décision (matériel informatique, connexion internet, documentation…”.
87Si cette loi est adoptée en l’état par le Sénat il risque de se constituer une justice expéditive, qui ne garantit ni l’impartialité, ni l’équité, ni la publicité des procédures.
B – La complexité des procédures d’éloignement : une atteinte à la sécurité juridique
88Le principe de sécurité juridique implique que “les citoyens soient, sans que cela appelle des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout, imprévisibles”55.
89La sécurité juridique traduit deux impératifs : la qualité et la prévisibilité du droit. Or la clarté de la règle (1) et la prévisibilité du droit (2) en matière de contentieux des étrangers éloignés font défaut en l’état actuel du droit.
1) La complexification du schéma procédural et l’atteinte à la sécurité juridique
90Suite aux diverses modifications législatives du CESEDA, l’insécurité juridique générée par la multiplication et la complexité des mesures d’éloignement est criante. Il en est ainsi particulièrement de l’imbroglio juridique né de la création des obligations de quitter le territoire français destinées à remplacer les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF) et des distinctions procédurales subtiles entre obligation de quitter le territoire français avec ou sans délais de départ volontaire, assorties ou non d’une interdiction de séjour.
91La loi du 24 juillet 2006 a mis en place un nouveau dispositif d’éloignement pour les étrangers qui se voient refuser un titre de séjour, ou son renouvellement. Alors qu’auparavant ils étaient simplement “invités” à quitter le territoire, sans effets juridiques, et si au bout d’un mois ils n’avaient pas quitté le territoire ils pouvaient se voir opposer un APRF, la loi introduit l’obligation de quitter le territoire français (“OQTF”) pour réaliser la fusion de trois mesures auparavant distinctes et susceptibles de recours distincts : l’invitation à quitter le territoire français à la suite d’un refus de séjour (délais de recours de 2 mois non suspensif), l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (pouvant être pris un mois après la notification de l’IQTF, délai de recours de 48h ou 7 jours), et la décision fixant le pays de renvoi (mêmes délai de recours que APRF). Depuis le 30 décembre 2006, tout étranger qui reçoit de la préfecture une décision de refus ou de retrait de son titre de séjour assortie d’une OQTF dispose d’un délai d’un mois pour déposer un recours devant le tribunal administratif contre la décision de refus de séjour et la mesure d’éloignement. Ce délai ne peut en aucun cas être prolongé, même par un recours gracieux ou hiérarchique. Passé ce délai d’un mois, l’OQTF vaut mesure d’éloignement contraignante et peut être exécutée d’office sans qu’il soit besoin pour l’administration de prendre une nouvelle décision56.
92Mais le mécanisme de l’OQTF comporte de nombreuses incertitudes que la jurisprudence et la loi se sont efforcées de résoudre. Ainsi en est-il des relations entre OQTF et refus de séjour. Si le refus de séjour entraine OQTF, a contrario, l’impossibilité de quitter le territoire lui donne droit au séjour (ceci mettrait fin aux cas des “ni expulsables ni régularisables”). Mais il semble que la jurisprudence maintienne l’indépendance des deux décisions.
93Dans un avis du 12 mars 2008, M. B., et un avis du 28 mars 2008, M. Bouali, le conseil d’Etat a précisé que le préfet ne pouvait prendre une OQTF sans avoir préalablement refusé un titre de séjour, mais que le préfet n’était pas obligé d’assortir son refus de titre de séjour d’une OQTF. Dans un arrêt du 28 novembre 2007, M. Towo Menjadeu, il considère que la requête en référé-suspension d’une décision de refus de séjour assortie d’une OQTF est recevable même si un recours contentieux a été introduit par ailleurs car le recours contre une décision de refus de séjour n’a d’effet suspensif que sur la seule OQTF57.
94La loi de 2006 a surtout généré un imbroglio juridique entre APRF et OQTF. En effet, L’APRF subsiste dans les cas où l’irrégularité est constatée en dehors de toute demande de titre de séjour. De plus, la loi a reculé l’entrée en vigueur de ce mécanisme jusqu’à la publication du décret adaptant le code de justice administrative. Ce décret, daté du 23 décembre 2006, a été publié au Journal officiel du 29 décembre et la réforme est donc entrée en vigueur le 30 décembre58. Or la loi n’a prévu aucun mécanisme transitoire, pour les étrangers qui se sont vu opposer un refus de séjour avant le 29 décembre (avant l’entrée en vigueur de la loi de 2006) – et qui, n’ayant pas fait l’objet d’un APRF – ne peuvent donc faire l’objet d’une mesure d’éloignement.
95Se rendant compte de cette “faille” dans le dispositif d’éloignement des étrangers, le ministère de l’immigration a cru pouvoir la combler par une circulaire du 22 décembre 200659 : cette manœuvre consistait à prétendre que les étrangers qui ont fait l’objet d’un refus de séjour avec “invitation à quitter le territoire” avant le 29 décembre et qui n’ont pas déféré à cette invitation, autrement dit sont restés sur le territoire français, “ont objectivement rejoint, du fait de leur maintien en France, la situation d’irrégularité de séjour, sans demande de titre de séjour [qui permet de prendre un arrêté de reconduite à la frontière”. Par une ordonnance du 15 février 2007, GISTI et autres60, le Conseil d’État, saisi en référé, a prononcé la suspension de la circulaire du ministère de l’Intérieur qui proposait aux préfets une interprétation manifestement illégale des nouvelles dispositions législatives sur l’éloignement. L’étranger à qui on refuse ou retire un tire de séjour n’est pas dans le cas d’un étranger irrégulièrement entré sur le territoire ni dans celui d’une personne qui se maintient sur le territoire au-delà de 3 mois.
96Une nouvelle circulaire du 16 février 200761 a donc préconisé de réexaminer la situation de l’étranger au regard du séjour, et à prendre une nouvelle décision de refus de séjour assortie d’une OQTF. En pratique les préfets ont visé la demande initiale déjà rejetée par une décision antérieure, ou bien considèrent qu’ils sont saisis d’une nouvelle demande née de l’interpellation de l’étranger en 2007. Le problème est qu’il n’ya pas de nouvelle demande réelle. Le préfet se saisit donc lui-même. Il s’ait alors d’un refus de séjour spontané qui n’est pourtant pas prévu par la loi. Ce problème a donné lieu à des interprétations jurisprudentielles constructives.
97Pour le tribunal administratif de Rouen et de Cergy Pontoise, il s’agit d’une erreur de droit ou d’un détournement de procédure. Mais dans son avis du 28 novembre 2007, M. Barjamaj62, le Conseil d’Etat a considéré que la loi de 2006 contenait un régime transitoire implicite, limité dans le temps (délai raisonnable) d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Ce régime permet de réexaminer une demande de titre de séjour ayant fait l’objet d’une décision de rejet pour lui opposer un nouveau refus sur la base de la situation de fait et de droit existant à la date de ce réexamen, et pouvant être assorti d’une OQTF. Le Conseil d’Etat ne consacre donc pas la possibilité d’un refus de séjour spontané car il exige le réexamen de la demande antérieure. Celle-ci entre alors dans le champ de l’obligation de motivation et de débat contradictoire préalable prévu par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000.
98Dans un avis du 12 mars 2008, M. V, le Conseil d’Etat devait répondre à la question de savoir si l’administration pouvait prendre un ARLF en cas de refus ou de retrait d’un titre de séjour assorti ou non d’une OQTF63. Il a répondu que depuis janvier 2007, seule l’OQTF est légale pour les étrangers réguliers à qui on refuse un titre. Pour les étrangers irréguliers, si le préfet refuse le titre sans OQTF ou avec OQTF il peut légalement prendre un ARLF. De même, dans l’avis du 28 mars 2008, M. Bouali le Conseil d’Etat considère que lorsqu’un arrêté de reconduite à la frontière pris avant le 29 décembre 2006 n’a pas été exécuté pendant un délai anormalement long, la mesure d’exécution de cette arrêté n’est pas illégale. La loi précise en outre la possibilité de prendre un ARLF contre un étranger n’ayant pas exécuté une OQTF prise depuis au moins un an.
99Loin de simplifier les procédures d’éloignement, le projet de loi Besson qui se présente pourtant comme une “loi de transposition de directives relatives à l’entrée et au séjour des étrangers et de simplification des procédures d’éloignement” complique en réalité encore plus le contentieux des étrangers tout en facilitant l’exécution des mesures policières. Il renforce le pouvoir discrétionnaire des préfets, en multipliant les options ouvertes pour procéder à l’éloignement des étrangers faisant l’objet d’une décision de séjour négative ou en situation irrégulière et par conséquent l’insécurité de leur situation.
100A l’imbroglio juridique de la distinction entre obligation de quitter le territoire français et arrêté de reconduite à la frontière, fait suite une nouvelle complexification du schéma procédural avec la distinction des obligations de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire et sans délai de départ volontaire, avec ou sans interdiction de retour. On assiste ainsi à une multiplication des décisions d’éloignement, risquant de faire exploser ce contentieux déjà très lourd et d’empêcher une justice équitable. Le projet de loi institue ainsi un véritable labyrinthe procédural qui va à l’encontre du principe de sécurité juridique. En effet, les décisions pouvant être prise pour sanctionner le séjour irrégulier sont désormais les suivantes : l’APRF (qui subsiste dans trois hypothèses ; cas de l’étranger signalé au SIS, l’étranger condamné à une interdiction du territoire français, et l’étranger muni d’un visa si sa présence menace l’ordre public ou s’il fait l’objet d’une accusation de travail illégal), le refus de séjour pouvant être contesté ans le délai de deux mois ou dans le délai de 30 jours si le refus est assorti d’une OQTF, l’OQTF et la fixation du pays de renvoi qui peuvent être contestés dans le délai de 30 jours, ou de 48 heures en cas de placement en rétention, la décision de ne pas accorder un délai de départ volontaire contre laquelle peut formé un recours dans le délai de 30 jours ou de 48h en cas de placement en rétention, l’interdiction de retour contestable dans le délai de 30 jours ou dans le délai de 48 heures en cas de placement en rétention, le refus d’abrogation de l’interdiction de retour pouvant être contesté dans le délai de deux mois, le placement en rétention avec un délai de 48 heures, l’assignation à résidence contestable dans le même délai, et enfin, l’arrêté ministériel d’expulsion contre lequel un recours peut être réalisé dans le délai de deux mois. Un amendement parlementaire a en outre introduit l’obligation, sauf raison humanitaire, de notifier une interdiction de retour sur le territoire français à un étranger qui s’y est maintenu au-delà du délai de départ volontaire.
101Cette complexité du schéma procédural entraine par ailleurs un risque de divergence de jurisprudence entre les juges judiciaire et administratif, et entre les décisions rendues par le juge de l’urgence et celles rendues en formation collégiale.
2) Le risque de divergence des jurisprudences
102Les droits de la défense des étrangers sont loin d’être pleinement assurés, en raison de la complexité de ce contentieux hybride, à la fois administratif, civil et pénal et de la dualité des juridictions rendant l’accès à la justice difficile.
103En effet, nous venons de voir que le juge administratif et le juge judiciaire étaient tous deux compétents, en matière de placement en rétention administrative ou en zone d’attente. Mais ce contentieux génère une spécialisation des compétences de chaque juge qui intervient dans son propre domaine. Le juge de la prolongation de la rétention administrative n’étant pas le même que celui du placement en rétention ou du prononcé d’une décision d’éloignement. Le juge est donc conduit à traiter un acte isolé de l’ensemble de son contexte. De plus, ce contentieux est à la fois administratif, civil, et pénal. Certaines dispositions du code pénal prévoient ainsi certaines peines pour des infractions à l’entrée et au séjour, ou pour soustraction à une mesure d’éloignement. Aussi les différents organes juridictionnels qui interviennent en cette matière n’appliquent pas la même jurisprudence et leurs décisions n’ont parfois aucun effet sur celles des autres. Par exemple, l’illégalité d’une RALF constatée par le juge répressif ne s’impose pas au juge civil, et une remise en liberté décidée par le juge judiciaire statuant sur la prolongation de la rétention n’annule pas la procédure administrative de la RALF, puisque seul le juge administratif peut la contrôler. Ce cloisonnement rigoureux des différentes procédures va à l’encontre d’un procès équitable qui exige l’accessibilité et la clarté de l’ensemble de la procédure.
104La volonté récemment exprimée de simplifier la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, voire d’unifier le contentieux de l’entrée, du séjour et de l’éloignement des étrangers au profit du juge administratif ou d’une juridiction spécialisée, exprimant la méfiance envers le juge des libertés et de la détention, pose encore une fois le problème de la nature disciplinaire et discrétionnaire de cette matière.
105Le Syndicat de la juridiction administrative, lors de son Congrès extraordinaire du 15 décembre 2007, s’est majoritairement opposé à de telles propositions en rejetant notamment le transfert du contentieux de la rétention à la juridiction administrative ou encore le transfert du contentieux des étrangers dans sa globalité à de nouvelles juridictions administratives spécialisées qui seraient créées à cette occasion.
106Par un arrêté du ministre de l’immigration du 30 janvier 2008 une commission a été mise en place afin de réfléchir sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration. Cette commission avait notamment pour mission de réfléchir à une simplification de la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et administratives. Pour simplifier la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, le gouvernement a envisagé la création d’une juridiction spécialisée. Or, le principe fondamental reconnu par les lois de la République qui consacre la séparation des autorités administratives et judiciaires fait obstacle à ce que l’unification de ce contentieux se fasse au profit du juge judiciaire, en l’absence de modification de la Constitution. Dès lors, seule la création d’une juridiction administrative spécialisée semble possible pour unifier ce contentieux.
107De même, la création d’une telle juridiction spécialisée en matière de contentieux des étrangers risque d’une part d’absorber la Cour nationale du droit d’asile – qui est actuellement la plus importante des juridictions administratives spécialisées. D’autre part, cette unification peut faire craindre à la constitution d’une justice expéditive qui ne s’accompagne pas des garanties procédurales suffisantes pour constituer un traitement rapide. Elle fait craindre la disparition de principes comme celui de la collégialité, de la présence du commissaire du gouvernement (pour les refus), du recours suspensif (pour les éloignements), du passage automatique devant un juge “dans les plus brefs délais” (en cas de placement en rétention), de la possibilité de bénéficier d’un avocat de permanence ou commis d’office, d’un interprète, de la possibilité de libération en cas de vice dans la procédure de privation de liberté, de la possibilité d’annulation de la procédure d’éloignement et du refus par voie d’exception, de la possibilité d’appel et de cassation… Il faudrait également apporter des garanties équivalentes aux magistrats appelés à siéger au sein de cette juridiction, notamment en termes d’indépendance, d’inamovibilité ou d’évolution carrière.
108Suite à la complexité législative et jurisprudentielle, générant un contentieux massif, le rapport de la commission Mazeaud du 11 juillet 2008 a tout d’abord rejeté le projet d’unification constitutionnelle du contentieux des étrangers. En contrepartie, elle avance plusieurs pistes de réflexion reposant sur le principe d’un maintien du système en place. Elle propose de supprimer l’obligation de quitter le territoire, d’instituer un recours administratif obligatoire devant une commission départementale avant tout recours contentieux contre un refus de séjour, d’élargir les cas d’examen simplifié et de dispense de conclusions devant la juridiction administrative afin d’alléger la tâche du juge et de rendre la Cour nationale du droit d’asile compétente pour se prononcer sur les recours suspensifs formés par les demandeurs d’asile à la frontière.
109Pour permettre un traitement efficace de ce contentieux, et pouvoir désengorger les tribunaux sans porter atteinte à la qualité de la justice, il serait préférable d’instaurer, en matière de décisions de séjour, des procédures contradictoires préalables qui permettent la présentation d’observations orales ou écrites avant le prononcé du refus, un système de médiation, le rétablissement des commissions de séjour. Il faudrait, aussi et surtout, redonner un intérêt au recours administratif préalable (recours gracieux ou hiérarchique) dont le caractère suspensif a été supprimé par le décret du 23 décembre 2006. Ne convient-il pas également de repenser dans sa globalité le statut de l’étranger, pour remédier aux complications générées par les législations successives depuis l’ordonnance de 1945. Il appartient à la doctrine de mettre en avant des principes juridiques cohérents, au lieu d’attendre l’existentialisme et le pragmatisme jurisprudentiel qui vient répondre a posteriori aux incertitudes et aux lacunes de la réglementation. Comme le recommande la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le droit des étrangers devrait pouvoir bénéficier d’une “politique cohérente, stable, et lisible dont la qualité ne se mesure pas à son degré de réactivité aux circonstances du moment”64.
***
110Si l’on ajoute à ces nombreuses atteintes au droit au procès équitable, celles résultant du raccourcissement des délais de recours65, l’extension du recours à la notion d’urgence, et l’application dérogatoire du droit des étrangers sur les territoires d’outre-mer, on aboutit alors à l’élaboration d’un véritable droit d’exception, constituant, depuis longtemps déjà, mais toujours plus, “le laboratoire du pire” en matière d’atteinte au procès équitable.
111Le droit est à la fois un instrument aux mains du pouvoir mais également, une arme pour lutter contre les empiètements du pouvoir. Le droit à un procès équitable constitue ainsi un droit-mère. Comme la rappelle Danièle Lochak, “l’idée que les individus ont des droits subjectifs, et que ces droits sont opposables au pouvoir, imprime un droit une dimension dialectique et induit une certaine forme de réciprocité […]”. Or, en ce qui concerne le droit des étrangers éloignés, “toute forme de réciprocité dans la mise en œuvre du rapport juridique est abolie, puisque l’étranger, privé de la faculté de se défendre, a fortiori de contester ou de revendiquer, est presque totalement démuni pour s’opposer aux empiètements et aux abus ; la dimension contradictoire et conflictuelle du droit s’éteint elle aussi, faute de contradicteur capable d’opposer ses prétentions à celles du pouvoir”66.
Notes de bas de page
1 Pour Jacques Mourgeon, la répression administrative est fondée sur un pouvoir disciplinaire primaire : “le propre de la répression administrative est de remplir une fonction toujours disciplinaire, tenant au cadre institutionnel spécifique dans lequel elle se développe, qui fait du droit administratif répressif un droit original et cohérent” J. Mourgeon, La répression administrative, LGDJ, 1967, p. 13. Ce droit disciplinaire trouve donc à s’appliquer par des formes diverses. Placé à côté du droit public de l’Etat, il s’exprime de manière instinctive par l’expulsion hors du groupe.
2 Article 6 de la CEDH : “Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle […]”.
3 Ainsi, l’admission ou l’expulsion du territoire sont considérées comme relevant de l’exercice de la puissance publique ; Comm. EDH 17 décembre 1976, Agee c./ RU, req. no 7729/76, DR 7 p. 164.
4 L’affaire Maaouia a exclu avec clarté l’application de l’article 6 de la CEDH au contentieux des étrangers. En l’espèce, la Cour a estimé que la mesure de police d’interdiction de territoire constituait une mesure préventive, et ce, même si elle avait été prononcée dans le cadre même d’une procédure pénale ; CEDH 5 octobre 2000, Maaouia c./ France, req. no 39652/98. Cette jurisprudence relative à la notion de “matière pénale” semble incohérente. Les droits et obligations à caractère civil, relevant des concepts européens autonomes, n’excluent pas comme en France le droit administratif, et “l’accusation en matière pénale” intègre aussi la répression administrative, notamment en matière fiscale. La Cour ne semble pas non plus tenir compte de la gravité et de la sévérité des mesures d’éloignement comme l’expulsion, l’interdiction du territoire, la mise en rétention ou en zone d’attente qui constituent des mesures de privations de liberté emportant des conséquences importantes pour liberté individuelle des étrangers au même titre qu’une sanction pénale. Exceptionnellement, les juges européens et administratifs appliquent l’article 6 de la CEDH aux contentieux des étrangers victimes d’un déni flagrant de justice en raison d’une expulsion ou d’une interdiction de territoire. Le juge européen accepte le recours à l’article 6 lorsque les procédures suivies dans l’État de destination sont contraires à ses exigences. Il en est de même lorsque l’étranger est dans l’impossibilité d’obtenir un laissez-passer des autorités françaises et qu’il est exposé de ce fait à un jugement par défaut (Comm. EDH 2 décembre 1992, Youcef Ayadi c./ France, req. no 18000/91). Cette application extra-territoriale de l’article 6 de la Convention contrarie à son inapplicabilité de principe sur le territoire des Etats membres.
5 CE sect. 22 mars 1991, Mme Sti, Leb. Rec. p. 100. Le Conseil d’Etat invoque tout de même ce principe, mais sans faire application de l’article 6 de la CEDH en matière de reconnaissance du statut de réfugié ; CE, no 304386, 4 décembre 2009, Mohamed A. Il infirme en l’espèce une décision de l’ancienne Commission des recours des réfugiés (devenue la Cour nationale du droit d’asile) qui n’a pas visé une note en délibéré produite par le requérant en violation de la règle générale de procédure, inspirée de l’article 6 § 1 de la CEDH. Ainsi, sans modifier sa jurisprudence selon laquelle “la commission ne statuant pas sur des contestations de caractère civil, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant elle aurait méconnu les stipulations du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne (...) est, en tout état de cause, inopérant et doit être écarté”, le Conseil d’Etat poursuit sa construction jurisprudentielle qui conduit à soumettre la Commission nationale du droit d’asile à “toutes les règles générales de procédure dont l’application n’a pas été écartée par une disposition législative expresse ou n’est pas inconciliable avec son organisation”. Mais cette jurisprudence ne concerne pas les procédures d’éloignement.
6 “Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale”.
7 “Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles”.
8 Loi no 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, JO, 26 juillet 2006 ; Loi no 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, JO 21 novembre 2007.
9 Ce projet de loi assure la transposition de trois directives européennes qui créent un premier cadre juridique global et harmonisé pour une politique européenne de l’immigration : la directive “retour” du 16 décembre 2008, la directive “carte bleue” du 25 mai 2009, et la directive “sanctions” du 18 juin 2009. Il s’inspire également des propositions du rapport sur la politique des migrations de la commission présidée par M. Pierre Mazeaud, remis le 11 juillet 2008. Son objet s’attache plus particulièrement à assurer la transposition de la directive 2008/115/CE du Parlement européen, du Conseil et de la Commission du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, qui doit être transposée avant le 24 décembre 2010. La directive fixe la durée de rétention à 18 mois au maximum pour des personnes étant entrées ou ayant séjourné “irrégulièrement” sur le territoire européen. Elle prévoit également la possibilité d’enfermer et de renvoyer des mineurs non accompagnés, et d’expulser des personnes vers des pays dont ils ne sont pas ressortissants. Elle interdit aussi le retour sur le territoire européen pour une période pouvant aller jusqu’à 5 ans, à compter du jour de leur renvoi.
10 GISTI, Analyse collective du projet de loi “Besson” du 30 mars 2010, juin 2010, http://www.gisti.org.
11 C. const., Déc. 28 juillet 1989, DC no 89-261, Conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, AJDA, 1989, p. 619, note Chevallier.
12 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, 5 juillet 2010.
13 C. const., Déc. 25 février 1992, DC no 92-307, JO, 12 mars, AJDA 1992, p. 656.
14 CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c/ France, req. No 3394/03
15 C. Const., Décision du 11 août 1993, DC no 93-119, Loi modifiant la loi no 93-2 portant réforme du code de procédure pénale, Rec., p. 224.
16 Loi no 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration au séjour des étrangers en France et à la nationalité, JO no 274, 27 novembre 2003.
17 Cet élargissement de la définition avait été décidé en anticipant la censure annoncée par le tribunal administratif de Nice de la décision préfectorale par laquelle avait été créée dans un camp militaire désaffecté une zone ad hoc destinée à recevoir 900 Kurdes arrivés par bateau à Fréjus (TA Nice, 9 décembre 2005, req. no 0102466).
18 C. Const., 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, DC no 94-352, Rec., p. 169 ; CEDH, 25 juin 1996, Amuur c/ France, aff. no 17/1995/523/609.
19 CEDH, 12 octobre 2010, Mubilanzila Mayeka c/ Belgique, aff. no 25389/05.
20 TC 20 juin 1994 Madaci et Youbi, Rec. p. 603.
21 Les juges de l’ordre judiciaire comme ceux de l’ordre administratif ont à plusieurs reprises eu l’occasion de mettre en cause les conditions de rétentions ; TGI Toulouse, Ord. JLD, 18 février 2008, Kocharyan : le juge est venu rappeler que le placement en rétention d’un couple et de leur bébé constitue un traitement inhumain. L’éloignement a fourni également l’occasion au juge administratif d’engager la responsabilité pour faute présumée en raison des obligations positives pesant sur l’État en application de l’article 2 de la CEDH du fait du décès d’un étranger en centre de rétention administrative qui était “dépourvu de tout service médical” en alignant ainsi le régime des personnes retenues sur celui des personnes détenues ou gardées à vue (TA Marseille, 9 février 2006, Dalila Slimani).
22 C. Const., Décision du 9 Janvier 1980, DC no 79-109, Loi relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national d'immigration.
23 Dans un communiqué de presse du 14 février 2010, le Syndicat de la Justice Administrative a lui-même insisté sur le but affiché de ce projet qui est de permettre au tribunal administratif de statuer avant même que le juge des libertés et de la détention ne se soit prononcé sur la régularité de la procédure d’interpellation de l’étranger.
24 Cour Cass., 1re civ., 30 sept. 2009, no 08-15790.
25 Loi 2006-64 23/01/2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (JO 24 janvier 2006, p. 1129).
26 Cour Cass. 1re civ., 6 févr. 2007, Benhamoudi, no 05-10. 880 : la convocation d’un étranger au motif d’un réexamen de sa situation, en vue de l’interpeller, est une “pratique déloyale”, contraire à l’article 5 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. De même, dans un arrêt du 25 juin 2008, Préfet du Calvados c/ Otabor, no 07-14.985, la Cour de cassation confirme l’annulation du placement en rétention administrative d’une étrangère interpellée par la police dans les locaux de la préfecture où elle avait été convoquée en vue de compléter une demande d’asile. Selon la cour, “l’administration ne pouvait utiliser la convocation à la préfecture de [la requérante] pour un examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention”. Elle précise néanmoins que l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière à la sortie d’un tribunal ne présente pas de caractère déloyal dès lors que l’administration n’est pas à l’origine de la convocation et que l’interpellation a eu lieu sur la voie publique, Cour Cass., 23 janv. 2008, Gharred. no 06-21.340.
27 CE 7 février 2007, Fasti, Gisti, LDH, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature, Mrap, Cimade, no 292607.
28 La jurisprudence exige des “signes objectifs d’extranéité”, le critère de la pratique d’une langue étrangère ou le critère de l’apparence physique ne pouvant être retenus, Cass. Civ. 14 décembre 2000, req no 99-20089.
29 V. également la jurisprudence “Square Séverine”, Cass 2° civ., 14 juin 2005, 04-16.942 selon laquelle est licite le contrôle d’un étranger à l’extérieur d’un square où manifestent des sans papiers, alors qu’il s’apprête à y entrer pour y rejoindre les manifestants.
30 V. pour la régularité du contrôle d’identité, Cour Cass. 2° civ., 28 juin 1995 Bechta, Bull. civ. II, no 211, p. 122 ; pour la régularité de la garde à vue, Cour Cass. 2° civ, 28 juin 1995, Mpinga c/ Préfet du Calvados, Bull. civ., II, no 212, et pour la régularité de la détentionprécédant le placement en rétention, Cour Cass 2e civ., 28 juin1995 Abed Bahtsou, Bull. no 216, p. 124. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 6 de la CEDH à la procédure de la garde à vue, la Cour de cassation l’a reconnu dans un arrêt de la chambre criminelle du 19 octobre 2010, aff no 5699, 5700, 5701. Bien que la chambre criminelle ait décidé de suspendre les effets de la CEDH jusqu’à la date limite fixée par le Conseil Constitutionnel pour permettre les modifications législatives nécessaires à la mise en conformité de la garde à vue française avec les dispositions de l’article 6-3, cette jurisprudence réaffirme toutefois le principe de l’application directe de la CEDH en matière de procédures qui précèdent ou conduisent à la rétention administrative.
31 Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration, juillet 2008, La Documentation française, Collection des rapports officiels, Paris, 2008.
32 Cour Cass. 2° civ., 15 novembre 1995, Préfet de Seine-Saint-Denis c/ Mme Isey, Bull. civ., no 276, p. 163 ; Cour Cass. 2e civ., 4 janv. 1996, Préfet de la Seine-Saint-Denis c/ Omoruyi, no 94-50.056.
33 CE. Ass., 26 octobre 1945, Aramu et autres, Rec., p. 213. Le principe des droits de la défense devant les juridictions administratives avait déjà été reconnu par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 2 juin 1913 Téry, Rec. 736, concl. Corneille.
34 Cons. Const., 2 décembre 1976, Prévention des accidents du travail, DC 76-70 DC, Rec., p 39 ; Cons. Const. 20 juillet 1977, DC no 77-83, Rec. 39. Ce principe fut d’abord consacré comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, puis déduit de l’article 16 de la DDHC, Cons. Const., 30 mars 2006 DC no 2006-535, Rec. 50.
35 Le “principe général” du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle date de 1958 (C.E., 12 février 1958, Kouch, Rec., p. 9, confirmé par CE Ass. 12 octobre 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, Rec. 370. 5), mais la règle est bien plus ancienne. En témoigne, la célèbre formule employée dans la motivation de l’arrêt Villes de 1918, selon laquelle : “aucun document ne saurait être régulièrement soumis au juge sans que les parties aient été mises à même d’en prendre connaissance”, C.E., 10 août 1918, Villes, Rec., p. 841.
36 “Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle”.
37 CEDH, 5 février 2002, Conka, req. no 51564/99.
38 Cour Cass, 1° civ., 31 janvier 2006, Mme Aurelia X c/ Préfet de police de Paris, aff no 142,. 04-50.121.
39 CEDH, 26 avril 2007, Gebremedhin contre France, req. no 25389/05.
40 Décret no 2008-217 du 22 août 2008 portant modification du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en matière de rétention administrative.
41 Sous la contrainte de la CEDH, la Cour de cassation a considéré comme incompatibles avec ce principe les dispositions du code de procédure pénale qui ouvraient au procureur général un délai d’appel plus long que celui accordé aux autres parties, Cour Cass. Crim., 17 septembre 2008.
42 CNCDH, Avis du 29 juin 2006.
43 C.E. Ass., 28 juin 2002, Garde des sceaux, ministre de la justice c. Magiera, A.J.D.A., juillet-août 2002, Chroniques, p. 596 et s. Dans cet arrêt, le juge a considéré que la méconnaissance du droit à un délai raisonnable constituait un fonctionnement défectueux du service de la justice fondé sur les articles 6 et 13 de la CEDH et sur les principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives. Mais la gestion des délais d’instruction et de jugement est laissée à l’appréciation souveraine du juge. Dans un arrêt du 17 juillet 2009, Ville de Brest, no 295653, le CE est cependant revenu sur la jurisprudence Magiera quant au calcul du délai raisonnable : la durée propre à chaque instance d’une procédure est désormais susceptible d’être vérifiée (si la durée globale de jugement n’a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l’Etat est néanmoins engagée si la durée de l’une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive). La Cour de cassation en reste quant à elle à une évaluation globale de la procédure, Cour Cass. Civ. 1°, 25 mars 2009, M. Argimiro, req. no 07-15-575.
44 La CEDH, dans un arrêt du 20 novembre 2008 Gunes c/ France, no 32157/06, a condamné la France pour avoir refusé d’indemniser un requérant qui se plaignait de la durée excessive d’une procédure.
45 CE 3 novembre 1997 Préfet de police / Ben Gerthouchi, req. no 176387.
46 Loi no 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
47 Décret du 29 juillet 2004, relatif aux contentieux des arrêtés de RALF, modifiant la partie réglementaire du code de JA, JO 3 août 2004, p 13819.
48 Décret no 2005-859 du 28 juillet 2005 relatif à l’aide médicale de l’Etat et modifiant le décret no 54-883 du 2 septembre 1954 modifié pris pour l’application de l’ensemble des dispositions du décret du 29 novembre 1953 relatif à la réforme des lois d’assistance.
49 C. Const., 20 juillet 2006, DC no 2006-539, Loi relative à l’immigration et à l’intégration Recueil, p. 79.
50 La règle de motivation des jugements compte parmi les principes premiers du droit français puisque sa consécration date de 1935 (CE. Sect., 1er mars 1935, Platon, Rec., p. 270). En matière d’éloignement, le Conseil d’Etat veille à ce que les arrêtés d’expulsion soient motivés en la forme comme l’exige la loi de 1979 (CE, Sect., 24 juillet 1981, Belasri, Rec., p. 322), même en cas de déclenchement de la procédure d’urgence absolue (CE, Sect., 13 janvier 1988, Albina, Rec., p. 5). Mais dans l’arrêt Hamouni du 27 juillet 2005, le Conseil a considéré que l’article R 222-1 du code de justice administrative qui permet de rejeter par ordonnance sans tenue d’une audience préalable les requêtes ne méconnaissait pas les principes du droit au procès équitable. Dans le même sens, la décision d’expulsion prise en urgence absolue ne répond à aucune obligation de forme, elle n’impose aucune garantie de procédure : le droit à être entendu n’existe pas. Seule subsiste l’obligation de motiver la mesure d’expulsion, l’urgence absolue ne pouvant priver l’étranger de cette garantie fondamentale.
51 CE Avis du 19 octobre 2007, Hammou, req. no 306821, AJDA 2007, p. 2009.
52 L’Article 6 du CJA reconnaît ce principe pour l’ensemble des juridictions administratives. Il est également consacré en tant que principe général du droit pour les juridictions judiciaires, CE, 4 octobre 1974, Dame David, rec. p. 464. Ce principe s’applique également aux juridictions administratives spécialisées. Depuis 1996, le Conseil d’État admet la publicité des audiences comme règle de principe en matière de contentieux disciplinaire, C.E. Ass., 14 février 1996, Maubleu, Rec., p. 34. Le principe de la publicité des débats judiciaires impose que ceux-ci se déroulent dans un lieu ouvert au public, CE 16 janvier 1976, Dreyfus, Rec., p. 46.
53 Cour Cass, 1° civ., 16 avril 2008, Moraru, Boulzazane, Abbas (3 affaires), no 559, 560, 561.
54 La Documentation française, Collection des rapports officiels, Paris, 2008, p. 92.
55 CE, Rapport annuel 2006, EDCE no 57, Doc ; Fr. 2006, V. p. 281. Dans un arrêt du 24 mars 2006 Société KPMG, le Conseil d’Etat consacre ce principe sans en faire formellement un principe général du droit, CE, req. 288460, AJDA 2006, p. 1028. La cour de cassation dans un arrêt du 20 février 2001, a écarté pour la première fois une loi en raison de l’insuffisante qualité de sa rédaction en se fondant sur les articles, 6, 7 et 10 de la CEDH, Cour Cass. Crim. 20 février 2001, JCP, G, 10114, pp. 1357-1360. Elle consacre officiellement ce principe dans un arrêt du 30 janvier 2003, Cour Cass. Civ. 2°, 30 janvier 2003, Fillaud c/ CRCAM de Loire-Atlantique, D. 2003, comm., pp. 2722-2725. Pour le conseil constitutionnel, l’obligation d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit, sont des objectifs de valeur constitutionnelle impliquant une obligation positive de portée générale pour les pouvoirs publics, C. Const., 16 décembre 1999, D.C no 99-421, Loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, Rec. p. 136. L’article 2 de la loi de 2000 selon lequel “les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès simple aux règles de droit qu’elles édictent” consacre cette exigence.
56 Le Conseil d’Etat n’a rien trouvé à redire sur la légalité du décret du 23 décembre 2006 qui établit ce délai de recours d’un mois à partir de la notification de l’OQTF, qui supprime toute prorogation du délai et qui prévoit un enregistrement unique et une instruction commune pour les deux requêtes ainsi que le rejet par ordonnance, CE, 20 juin 2007, USMA, LDH et autres, req no 302040.
57 CE, Avis, 28 mars 2008, M. Bouali, req. no 311893
58 Décret no 2006-1791 du 23 décembre 2006 relatif au contrat d’accueil et d’intégration et au contrôle des connaissances en français d’un étranger souhaitant durablement s’installer en France et modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (partie réglementaire).
59 Circulaire INT /D/06/00114/C du 22 décembre 2006 relative à l’obligation de quitter le territoire français (art 52 de la loi de 2006, art 511-1 du CESEDA).
60 CE, Ordonnance du 15 février 2007, GISTI et autres 2007, req. no 300968.
61 Circulaire 07/00020/C du 16 février 2007, Application des dispositions de l’article L 511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
62 CE, Avis no 306901 en date du 28 novembre 2007.
63 CE, Avis, no 310252 en date du 12 mars 2008, M. V.
64 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, 5 juillet 2010.
65 Alors qu’actuellement l’étranger soumis à une mesure d’expulsion avec obligation de quitter le territoire français dispose d’un délai de 30 jours pour déposer un recours, le projet de loi Besson prévoit la possibilité pour l’administration de décider un départ sans délai de retour volontaire, ne laissant qu’un délai de 48 heures pour déposer un recours. De plus, la comparution devant le juge des libertés et de la détention risque d’intervenir après l’expiration du délai au-delà duquel il est possible de former un recours contre l’obligation de quitter le territoire français assortie d’une interdiction de retour qui est désormais de 48 heures ou contre les mesures de reconduite à la frontière exécutables d’office. Cette situation génère ainsi un déni de justice flagrant.
66 D. Lochak, Etranger : de quel droit ?, PUF, 1° édition, 1985, p. 209.
Auteur
Docteur en droit, Université Toulouse 1 Capitole Membre de l’Institut Maurice Hauriou (IMH)
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