Préfaces
p. 11-23
Texte intégral
Corinne Mascala
Professeur agrégé de Droit privé et Sciences criminelles
Présidente de l’Université Toulouse Capitole
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Monsieur le Préfet,
Madame le Maire,
Madame la Députée,
Madame la représentante du Président du Conseil départemental,
1Monsieur le Doyen,
Cher(e)s collègues,
Cher(e)s étudiant(e)s,
Mesdames, Messieurs,
C’est avec un réel plaisir que j’ouvre cette journée consacrée à « La territorialité de la laïcité » organisée par notre Antenne universitaire de Montauban. Je soulignerai évidement le caractère particulier de cette journée qui se déroule le jour de l’hommage rendu au Colonel Arnaud Beltrame, officier de gendarmerie, lâchement assassiné le 24 mars 2018 par un terroriste à Carcassonne et auquel l’ensemble des participants à ce colloque comme la Nation Française ont rendu hommage pour le sacrifice de sa vie. Cette journée lui est dédiée.
2Je tiens à vous faire part de ma très grande satisfaction de voir que pour la septième année consécutive, devant un public toujours aussi nombreux, cette journée illustre la vivacité de la recherche à l’Université Toulouse Capitole.
3Les colloques organisés dans notre université permettent de montrer que la recherche en droit existe, contrairement à ce qu’une opinion commune souvent véhiculée laisse croire, qu’elle est féconde et de très grande qualité, qu’elle n’est pas seulement académique mais également pratique, le lien fort, constant et essentiel qui unit les professionnels du droit et l’université en témoigne.
4Ces journées de réflexion montrent et démontrent, et cela est toujours très utile dans le monde contemporain qui perd parfois les bons repères, combien le rôle de l’université dans notre société est important et doit être valorisé.
5Son rôle est essentiel tant dans la formation initiale des étudiants que dans la recherche, les deux étant indissociables et caractérisant ses missions premières.
6Le rôle de l’université doit être également déterminant dans sa contribution à des sujets de société aussi fondamentaux que celui qui est abordé aujourd’hui : la laïcité.
7Il est de la responsabilité des universités et des universitaires, d’assumer ce rôle sociétal en interpellant sur des sujets fondamentaux pour l’avenir et la réussite du vivre ensemble, comme peut l’être le thème de la laïcité. Il est de la responsabilité des universités et des universitaires - en l’occurrence les professeurs des facultés de droit -, de contribuer à apporter le regard objectif du juriste et ainsi de permettre autant que faire se peut, d’éviter les fausses interprétations, les instrumentalisations, les transgressions et de favoriser au contraire le débat, la confrontation des idées, la compréhension et l’ouverture d’esprit.
8En France, nous avons conçu un principe de laïcité universaliste, séparant résolument le religieux et la chose publique. La société évoluant en permanence, il est normal que le principe de laïcité soit sans cesse confronté à l’épreuve des faits, à la réalité quotidienne et aux diversités qui caractérise notre monde contemporain.
9La laïcité, valeur républicaine fondamentale, principe d’organisation de l’État, est sujette à une conquête permanente. Conquête de l’émancipation, rempart protecteur, garantie de neutralité, la laïcité renvoie chacun d’entre nous à son statut d’individu libre, à son autonomie morale et intellectuelle, hors de toute communauté de soutien ou d’affiliation.
10Les six précédentes journées ont permis d’aborder la laïcité dans tous ses états et de poser des questions essentielles et souvent brulantes d’actualité. Je vous en rappelle les thèmes : Laïcité ensemble une société de droit ; Europe et laïcité ; La laïcité s’enseigne-t-elle ? ; Le sens de la laïcité : Le vrai défi de la démocratie ; La laïcité à l’œuvre et à l’épreuve.
11Malgré l’étendue de la réflexion déjà menée, la richesse du sujet n’est pas épuisée puisque cette année encore un thème nouveau a été trouvé autour de cette question de la laïcité.
12L’originalité du thème choisi cette année repose sur l’approche de droit comparé de la laïcité : laïcité française et laïcité au-delà des frontières sont les deux axes de réflexion de cette journée. Les éclairages de droit comparé apportés par les différentes interventions et les débats qui suivront sont essentiels et sans aucun doute très riche pour comprendre comment d’autres pays appréhendent la laïcité, ce qui permet de comparer et de confronter l’approche française aux autres modèles juridiques.
13Ce colloque a été organisé par Hiam Mouannès, Maître de Conférences en droit public, Vice-présidente de l’Université Toulouse Capitole en charge des délocalisations, qui se dévoue depuis de nombreuses années sans compter au quotidien pour promouvoir la réussite et la notoriété de notre Université et de son Antenne de Montauban. Je profite de ces quelques mots pour la remercier de son implication sans faille pour le service public universitaire et pour sa fidélité à mes côtés dans mon équipe de direction.
14Les colloques organisés avec brio par Hiam Mouannès connaissent toujours un grand succès lié tant au choix des thèmes et qu’à la qualité des intervenants, ceux qui sont réunis aujourd’hui en témoignent encore une fois et illustrent la richesse de nos centres de recherche qui sont représentés par leurs éminents chercheurs : ce qui est bien sûr pour la Présidente de l’université Toulouse Capitole une grande satisfaction.
15À n’en pas douter cette journée de réflexion sera très riche et la publication des interventions permettra d’inscrire la richesse de la réflexion dans les mémoires.
Philippe Nélidoff
Professeur des universités
Doyen de la Faculté de Droit et de Science politique de l’Université Toulouse Capitole
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16Mon intervention sera relativement brève mais grave. Je crois que nous vivons depuis maintenant le début de ces colloques, c’est à dire depuis 2012, des moments particulièrement sombres dans notre pays, dans notre région, dans votre ville même de Montauban qui nous accueille aujourd’hui. Il n’y a pas, Dieu merci, que des moments sombres mais ils sont quand même trop nombreux.
17On a projeté tout à l’heure les photos de toutes ces victimes d’attentats terroristes depuis 2012. Elles sont nombreuses, elles sont trop nombreuses, elles frappent toutes les tranches d’âge, toutes les appartenances religieuses, elles frappent tous les Français et, comme vous, je ne voudrais pas que dans les années qui sont devant nous, cette liste de portraits de Français, de Françaises, dont la vie a été fauchée, s’allonge de manière interminable.
18Ces jours-ci encore vous le savez, la barbarie, le terrorisme, ont frappé à nos portes. Les victimes de ces derniers attentats vont être honorées et inhumées aujourd’hui. Une octogénaire de religion juive a été assassinée encore ces jours derniers. La liste est trop longue il faut que cela s’arrête.
19Au-delà des colloques, des travaux scientifiques, en tant que citoyens, en tant que citoyennes, nous devons participer à cette résistance de tous les instants. Comment organiser la résistance ? C’est la question qui se pose aujourd’hui et je le dis de manière grave. La résistance me semble-t-il, doit s’organiser en particulier autour de cette notion de territoires de la République et autour de la notion de laïcité qui résume les valeurs cardinales de notre République : liberté, égalité, fraternité. Et il ne faut pas oublier dans ce triptyque ce qu’on a appelé trop souvent le maillon faible qu’est la fraternité. Nous sommes tous solidaires les uns des autres dans notre pays, quel que soit notre âge, quelle que soit notre situation de famille, quelle que soit notre profession, quelle que soit notre religion, que nous ayons ou n’ayons pas de religion, nous devons cultiver au plus haut point les valeurs de la République. A commencer par la fraternité : nous devons nous considérer, au-delà de nos diversités et de nos différences -qui sont légitimes- comme des frères et sœurs, comme les membres d’une même famille.
20Dans ces territoires, c’est l’objet de ce colloque, je vois deux grands chantiers qu’il faut réinvestir.
Le premier, c’est évidemment tout ce qui est lié à l’école, à tous les niveaux. Tout à l’heure, un membre du conseil départemental nous disait qu’elle appartenait au premier degré. Il n’y a pas de degré hiérarchique dans l’éducation. L’éducation passe d’abord par la famille. L’éducation c’est le primaire, le secondaire, le supérieur, nous sommes tous solidaires les uns des autres dans cette mission fondamentale qui est celle de l’éducation des jeunes générations. Et il nous appartient tous, là où nous sommes, de tout mettre en œuvre, de manière sincère, sans ménager notre peine, sans se laisser aller au découragement ou à la lassitude, pour transmettre aux jeunes qui nous sont confiés ces valeurs fondamentales, ce triptyque de la République française qui d’ailleurs résume en grande partie la question de la laïcité.
21Le deuxième point que je veux signaler dans ces territoires qui ont été perdus par la République depuis trop longtemps, perdus mais pas de manière définitive, concerne tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont un territoire où se déversent des tombereaux de haine en toute impunité et en toute irresponsabilité juridique. Il est trop facile de déverser cette haine sur les réseaux sociaux et j’appelle tous les responsables à agir pour que cela cesse également.
22Enfin, je rappelle, que l’une de nos missions à l’université, comme vient de le dire notre présidente, est de cultiver la concertation, le débat, l’écoute entre tous. Nos universités, nos facultés doivent être des lieux privilégiés, des territoires où se pratiquent la concertation, le débat, le dialogue, le respect mutuel. Je le dis aujourd’hui en tant que doyen de la faculté de droit de Toulouse. Je souhaite que dans nos facultés de droit, nous soyons exemplaires dans le respect de cet esprit de dialogue qui se trouve au cœur de nos traditions universitaires. Il n’y a pas d’autre voie que celle du dialogue.
23Je remercie notre collègue et amie, Hiam Mouannès, d’avoir su durant toutes ces années organiser ces colloques autour de la notion de laïcité étudiée sous des angles différents et qui se sont complétés au fil des années. C’est ainsi que nous contribuons, en tant qu’universitaires au débat public sur un sujet devenu essentiel pour la cohésion sociale et ce que l’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble ».
Xavier Bioy
Professeur à l’Université Toulouse Capitole
Membre de l’Institut Maurice Hauriou
Codirecteur du master « Droit des libertés »
Responsable du Diplôme interuniversitaire « Normes et religions »
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24Évoquer la laïcité par le prisme de la territorialité peut surprendre de prime abord. La Laïcité s’envisage en effet comme se rapportant davantage aux composantes de la République elle-même qu’au lieu où elles se trouvent. Évidemment, la décision devra se prendre sans considération de finalités religieuses, le décideur oubliera tout motif lié au facteur religieux, parfois le bien se dépouillera de toute symbolique religieuse. Mais là où tout cela se produit n’apparaît pas d’emblée comme déterminant de la laïcité ; laquelle ne varierait pas ratione loci. Et pourtant, là réside toute l’originalité de l’intuition de ce colloque, devenu ouvrage, la laïcité habite bien ici et non là. Elle connaît des lieux, des espaces, des circonscriptions et des territoires. Intuitivement ceux de la République elle-même, qu’elle sert et réalise.
25Comment territorialiser la laïcité ? Le concept de « territoire » peut inclure bien des dimensions ; le plan de l’ouvrage ici en témoigne. Certains courants se font une spécialité de ces études territoriales1 et de leur dimension culturelle, particulièrement le « tournant culturel »2. Le concept d’identité lie entre eux religion et territoire, laïcité et territoire. On y mettra aussi bien de la géographie, de la sociologique que du droit comme savoir, sans que l’une de ces approches n’en écarte une autre. Car la régulation juridique s’entoure de toutes ces utilités. Dans son sens le plus général, le territoire désigne le support physique de l’activité ou de la chose et, en cela, la laïcité se voit affecter des frontières car on n’imagine pas qu’elle puisse s’imposer dans les territoires qui échappent évidemment à la République : les lieux privés, exclusifs de toute communauté, comme le domicile, mais aussi les lieux affectés à la pratique des cultes ou à la simple présence des dieux. En ce premier sens, la République peut perdre des territoires3, quand elle néglige d’y entretenir la laïcité. On perçoit à travers ce concept de territoire une idée de limites et une première façon de découper, donc de classer, des lieux dans lesquelles les religions n’exercent pas, ou peu, d’influence sur ce qui s’y fait, s’y dit, s’y vit.
26Mais ce premier moment de la réflexion peut être dépassé en envisageant des sens plus précis à la territorialité. Car le droit, quand on l’envisage dans sa dimension territoriale, peut aussi bien renvoyer à la notion de « circonscription » qu’à celle d’« espace » qui se distinguent bien sûr. Avant tout, les normes juridiques n’ont d’influence que sur leurs destinataires et non sur des surfaces. Simplement, il faut délimiter virtuellement ces destinataires en les enfermant dans des limites abstraites qui se réfèrent à des données géographiques, des données factuelles auxquelles se réfèrent les autorités normatives pour borner et partager leur pouvoir. Telle autorité ne s’adresse qu’à ceux qui passent ou résident dans « sa » circonscription ; tandis que chacun sait à qui et à quoi il obéit en entrant dans telle commune, département, région, État… A proprement parler, le droit, pour s’exercer, n’a besoin que de cela, de circonscription, la forme la plus abstraite et la plus sèche de territoire. De ce point de vue, la laïcité peut identifier ses sujets et ses auteurs. Et surtout, il ne peut y avoir de territoire « oublié » puisque toute circonscription administrative ou politique se trouve normativement aussi laïque que l’autorité qui y exerce son pouvoir. N’oublions pas qu’à l’inverse, d’autres autorités, religieuses cette fois, peuvent exercer aussi leur pouvoir sur leurs propres circonscriptions (paroisses et évêchés servent à cela), tandis que d’autres ne délimitent leur action qu’eu égard à une communauté sise territorialement. La République n’a parfois pas renoncé à utiliser des circonscriptions pensées par la religion catholique pour y installer ses propres pénates (eux-mêmes étant des dieux !) : communes et paroisses, cours d’appel et évêchés partagent ainsi les mêmes bornes. Les territoires de la laïcité épousent alors ceux de la foi (sans doute parce qu’il est apparu à un certain moment utile de réemployer les représentations acquises)…
27Du point de vue du droit, le concept de territoire ne s’épuise pas dans celui de circonscription et sans doute est-ce de moins en moins le cas dans un système où les déplacements se multiplient, quand la dématérialisation et la mondialisation agissent pour dé-localiser l’action et l’acteur. Le droit, comme savoir, ne peut ignorer l’espace, comme lieu vécu par le sujet, comme représentation d’un lieu d’appropriation et d’identité4 : « le territoire serait un espace disposant, d’une manière ou d’une autre, d’un attribut de possession ou d’identification. Dans une variante récente, le territoire deviendrait la composante identitaire, voire idéelle, de n’importe quel espace »5. L’espace est alors un territoire appréhendé par le droit pour tenir compte de l’existence de solidarités économiques, historiques, culturelles… et donc religieuses. Cela se fait par exemple par l’utilisation de standards se référant à des traditions « locales » qui permettraient de masquer du « cultuel » sous du « culturel », tout en dépouillant les crèches de toute nativité. Cet ouvrage n’élude ainsi pas le fait que les religions se situent dans ce type d’espace vécu, de géographie humaine et qu’ainsi le droit des politiques publiques ne peut ignorer que la laïcité s’exerce aussi en concurrence dans ces espaces vécus et pensés. Espaces visuels, plus ou moins délimités par des signes physiques (on distingue généralement bien le périmètre des édifices religieux) ; espaces sonores (les sonneries de cloches appelant au culte ont donné lieu à un contentieux assez abondant initié par des riverains athées ou fatigués, parfois les deux).
28Mais là encore les espaces ne portent pas en eux l’indication d’une quelconque nature. Peu d’espaces ne se conçoivent que comme publics ou privés, encore moins laïcs ; leur affectation institutionnelle résulte souvent d’usages et de la loi du nombre (les processions chrétiennes traditionnelles peuvent parcourir l’espace public en vertu de la jurisprudence administrative, quand les prières de rue autour d’imams bénéficient de simples tolérances aussi coupables que l’absence de lieu de culte digne de ce nom). Aucun hasard n’a présidé à la consécration juridique, par la loi, de la notion d’espace public à la faveur de la loi relative à la dissimulation du visage dans l’espace public. Il s’agissait, de l’accord de tous, d’une loi « anti-burqa », d’une loi pro-laïcité qui ne dit pas son nom mais que la Cour européenne des droits de l’homme a clairement identifiée et traitée comme telle, tout en admettant sa justification6. Car, du point de vue des droits de l’homme, poussant en avant la liberté de religion, l’espace de la laïcité apparaît toujours suspect et celui de la religion avance avec l’individu. Dans cette vision des choses, chacun vient nécessairement avec sa religion vers d’autres qui croient comme lui, ne croient pas comme lui ou ne croient pas du tout et ainsi les espaces font l’objet d’usages différentiels et deviennent concurrents. Dans une conception plus radicale de la laïcité, certains diront la seule possible pour qu’elle ait un sens, l’espace qui sera déclaré public deviendra de jure laïc et devra se couper de toute activité intersubjectivement vécue comme religieuse. Espace sécable et non continu, l’espace laïc s’étend peu à peu aux confins de l’espace public. Parfois le droit des propriétés publiques interfère dans cet ensemble comme pour durcir les justifications et fixer les bornes de l’espace public. La notion de domaine public, sans lien originaire avec l’espace public, mais dont l’invocation relève d’une sorte de réflexe pavlovien du publiciste, se trouve mobilisée pour renforcer l’idée de publicité, qui écarte le privé et donc la religion. Donjon de l’État, le domaine public devrait, pour les laïcs radicaux, se purifier de toute métaphysique. On mesure ce qu’il y a d’incongru dans ce mélange des concepts ; la pratique religieuse a-t-elle quelque chose à voir avec les règles de la propriété immobilière ? Certes le pouvoir d’affectation décide de la manière dont on dispose d’un bien, qui est aussi un lieu, mais toutes sortes d’usages autorisés ont trait aux cultes et nombre d’éléments du domaine accueillent des croyants de bien des confessions.
29Le concept d’espace ouvre encore à des dimensions inconnues de la circonscription et du domaine car il peut être lui aussi virtuel. Pensons à l’audiovisuel et aux contestations entendues à propos des programmes religieux diffusés par le service public du dimanche matin. L’argument refusant l’usage de la redevance télévisuelle pour financer des émissions contraires à la laïcité tient à l’idée que ce qui est financé par tous donne lieu à un espace public qui ne peut servir des intérêts perçus comme privés ou catégoriels. L’espace est virtuel mais non moins « occupé » dans le temps. Bien sûr notre droit en donne une toute autre lecture, au nom du pluralisme des courants de pensée et de l’obligation positive (constitutionnelle et surtout conventionnelle) que l’État a de donner de l’espace à toutes les idées et convictions, sans diaboliser les discours religieux (lesquels se perçoivent aussi souvent comme des auxiliaires et des relais de la paix sociale).
30L’idée de territoire, réduite en droit à la circonscription des autorités publiques et à la propriété du sol, semble donc bien différente de celle d’espace telle que la loi du 15 mars 2004 l’introduit. Et pourtant les usages de cette notion d’espace pourraient bien se multiplier pour éviter les archaïsmes et incongruités des premières. L’espace deviendra lui aussi un territoire pour la laïcité, c’est-à-dire une représentation spatialisée des normes de comportement ; ce qui se fait et ce qui ne se fait pas mais pas seulement « par ce qu’ici c’est l’État qui décide » ou pas seulement « par ce que c’est chez nous tous », mais « parce que raisonnablement on ne peut pas en admettre l’occupation par certains plus que par d’autres ». La notion d’espace laïc ne devra donc pas être confondue avec celle d’espace public ; elle sera plus étroite et plus complexe à justifier.
31C’est à quelques-unes de ces justifications que se livrent ici les intervenants invités par la volonté experte de Hiam Mouannès dont l’inflexible énergie nous livre une nouvelle et profonde réflexion sur la laïcité, ses lieux et ses horizons.
Notes de bas de page
1 B. Debarbieux, « Territoire », in J. Levy, M. Lussault, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 907-912 ; G. Di Méo, « Territorialité », iem. ; R. Lecoadic, L’espace géographique, 1981 et « L’approche culturelle en géographie », n° 10 (4), 320 p ; G. Sénécal, « Aspects de l’imaginaire spatial : identité ou fin des territoires ? In : Annales de Géographie. 1992, t. 101, n° 563, pp. 28-42.
2 Voir la revue Espaces et sociétés ; G. Di Méo, P. Buleon, 2005, L’espace social. Lecture géographique des sociétés, Paris, Armand Colin, p. 304 ; G. Di Méo, « Composantes spatiales, formes et processus géographiques des identités », Annales de géographie, 2004, n° 638-639, p. 339-362 ; C. Chivallon, « Une vision de la géographie sociale et culturelle en France », Annales de géographie, 2003, n° 634, p. 646-657.
3 Emmanuel Brenner (Dir.), Les territoires perdus de la République, Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, avril 2015, Pluriel.
4 P. George, « Territoire et identité », La terre et les hommes, Mélanges offerts à Max Derruau, Clermont-Ferrand, Publication de la Faculté des lettres et sciences humaines, 1990, p. 351-357.
5 « Territoire » in J. Levy et M. Lussault, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, BELIN, 2013, p. 995 et s.
6 CEDH, Gr. Ch., 1er juil. 2014, n° 43835/11, SAS c. France.
Auteurs
Professeur agrégé de Droit privé et Sciences criminelles
Présidente de l’Université Toulouse Capitole
Professeur des universités
Doyen de la Faculté de Droit et de Science politique de l’Université Toulouse Capitole
Professeur à l’Université Toulouse Capitole
Membre de l’Institut Maurice Hauriou
Codirecteur du master « Droit des libertés »
Responsable du Diplôme interuniversitaire « Normes et religions »
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Dix ans après
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2011