Un principe latitudinaire et non constitutionnel de laïcité1 ?
p. 41-64
Texte intégral
Tout d’abord grands mercis à Hiam MOUANNÈS qui – de main de maître – fait vivre ces colloques sur les acceptions et les matérialisations de la laïcité voire des laïcités ce qui – d’entrée de jeu – prêche pour ma propre paroisse car s’il y a des laïcités, des matérialisations différentes, des exceptions, c’est que la laïcité est une notion qui, en Droit français, est « latitudinaire ».
1Latitudinaire ? J’entends « latitudinaire » et je l’ai employé dans plusieurs articles consacrés à la laïcité au sens de : « très lâche, extensive, laxiste » c’est-à-dire aux frontières, aux limites, aux « latitudes » floues sinon malléables. Le terme – et c’est évidemment ce qui m’a amusé – est originellement issu de la théologie chrétienne pour signifier « avec largesse d’esprit » ; en droit, nous dirions avec une interprétation extensive : c’est-à-dire qui ne respecte pas strictement le dogme / la doctrine mais s’en écarte. Toujours de manière théologique on pourrait alors presque dire qu’un principe latitudinaire est nécessairement œcuménique car il a vocation à rassembler / à faire vivre ensemble et non à diviser précisément par le biais d’une acception large qui contentera tout le monde. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que je réfléchis à cette acception latitudinaire de la laïcité en France et je crois être le seul (en tout cas je crois en avoir été le premier) à avoir proposé d’y associer cet adjectif2. Je remercie donc une nouvelle fois Hiam MOUANNÈS qui me permet de m’expliquer sur cet emploi et sur le sens que je propose d’y associer.
2Œcuménisme. Par ailleurs, je ne dis pas que si la France pratique une « laïcité latitudinaire » à mes yeux c’est une chose bonne ou mauvaise en soi ; je ne fais pas de jugement de valeur journalistique sur le fait qu’un État, un législateur, des juges cherchent une position pragmatique de vivre ensemble : un œcuménisme…. J’imagine même que l’on peut s’entendre facilement pour acter le fait qu’un État qui cherche à éviter les conflits directs et conséquemment à permettre des exceptions pragmatiques est a priori une bonne chose (et en tout cas je peux l’entendre). En tant que croyant, de même, j’ai un avis sur le principe de laïcité et sur ce qu’il me permet de réaliser ou non dans la sphère publique de la Nation mais cet avis ne compte pas ici et il est normal (et je dirais même bon) qu’il ne compte pas – précisément parce que la Laïcité ne m’engage pas à vous livrer en public et hors d’un cadre religieux mon ressenti – personnel et privé et partagé uniquement avec ceux qui se revendiquent de mon éventuelle foi. De même, en tant que citoyen français, j’ai un avis sur la manière dont la France applique ou non le principe de laïcité et y tolère des exceptions ; ici encore l’acception œcuménique ou latitudinaire, pragmatique, je peux l’entendre et parfois même la partager. Toutefois, comme juriste – et ici je suis sollicité comme juriste – je ne peux me laisser divaguer aux mêmes affects car cet affect potentiellement ruine et méconnaît le principe républicain et constitutionnel d’Égalité ce qui ne peut et ne doit guider le Droit.
3Un principe constitutionnel ? Car, quelle est la valeur juridique du principe de laïcité en France ? Il est dit « constitutionnel » c’est-à-dire au sommet de la hiérarchie des normes internes sur le mont des oliviers de notre connaissance juridique et de nos valeurs normatives. Il est censé être le principe « phare » / « lumineux » / « éclairant » autant qu’il est « essentiel » et au cœur même de notre République et donc de notre État. Or, et c’est là où le juriste est effrayé comment un principe aussi important peut-il supporter autant d’exceptions ? Autant de latitudes ? De largesses d’esprits et d’interprétations ? Comment un principe dit constitutionnel peut-être écarté aussi facilement et fréquemment ? Voilà ce qui me choque comme juriste même si – je le redis et le redirais en conclusion – je ne dis pas que je ne comprends pas pourquoi ces exceptions existent (car je comprends l’argument du vivre ensemble, des données pragmatiques et de la volonté de ne pas attiser les questions et revendications religieuses)… je dis simplement que comme juriste il est difficile de soutenir en 2018 que la laïcité est un principe à valeur constitutionnelle ; il s’agit d’un principe bien trop latitudinaire et c’est ce que j’aborderai en trois temps (I à III).
I. Le principe dit constitutionnel de laïcité
4Constitutionnalisation(s) d’un principe républicain. La notion même de constitutionnalisation mériterait que l’on s’y arrête longuement pour la définir et la discuter. On la prendra ici au sens le plus banal et formel : celui consistant à reconnaître l’entrée d’un principe (comme celui de laïcité) au sein d’un ensemble normatif considéré comme ayant valeur constitutionnelle, c’est-à-dire comme norme suprême dans un ordre juridique national comme celui de la France en ce qui nous concerne. L’étude première des sources constitutionnelles nous renseigne alors sur la ou plutôt les constitutionnalisations du principe de laïcité comme se réalisant de la façon suivante : d’abord le principe (dont on rappellera le sens majoritairement retenu (A)) n’a été consacré que par la ou plutôt les Lois (B). En 1946, il a discrètement mais objectivement fait son entrée dans la Constitution (C) mais ce n’est que la Ve République (en deux temps cela dit) qui l’a consacré de manière cardinale (D).
A. Du principe de laïcité comme neutralité(s)
5Un principe constitutionnel manifeste. Il a tellement été écrit sur le principe de laïcité (tant sur son histoire, ses origines, sa ou ses valeur(s), sa ou ses portée(s) y compris normative(s), ses exceptions et ses remises en question(s), etc.), que l’on a longuement hésité avant de remettre une nouvelle fois l’ouvrage « laïcité » sur le métier républicain. Pourtant, nous voudrions ici insister sur un point de vue rarement adopté : celui consistant à interroger sa valeur normative. A priori, la question ne se pose presque pas tant elle est répétée sinon martelée par de nombreux juges, textes, auteurs et même normes : le principe de laïcité serait constitutionnel ainsi que l’a énoncé le juge constitutionnel à plusieurs reprises : « le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » (par exemple dans sa décision n° 2012-297 QPC en date du 21 février 2013 (JORF du 23 février 2013, p. 3110). En doctrine, le propos est également fréquemment affirmé et partagé (mais pas toujours discuté comme s’il s’agissait d’une évidence). Ainsi, en 1959, au lendemain de l’adoption de la Constitution de la Cinquième République, c’est ce qu’expose Louis TROTABAS dans l’ouvrage (Paris, PUF ; 1960) désormais classique et collectif « La Laïcité » (p. 01 et s.) en prenant soin, cela dit, de bien distinguer l’hypothèse métropolitaine de celle – à l’époque positive – de la Communauté. Dans son ouvrage désormais « classique » (La Laïcité ; Paris, Dalloz ; « connaissance du droit » ; 1996 ; p. 30 et s.), Claude DURAND-PRINBORGNE explique explicitement à propos de la valeur et de la portée du principe de laïcité : « leur valeur ne fait aucun doute : l’article [1] » (de la Constitution française qui déclare la République laïque) « est dans la hiérarchie des textes un texte constitutionnel » et ajoute-t-il le Conseil d’État, par plusieurs arrêts, « a expressément reconnu la valeur constitutionnelle de la laïcité ». Plus récemment, l’ancien vice-Président de cette dernière institution, Jean-Marc SAUVÉ, déclarait également : « Au frontispice de notre Constitution, l’article 1er affirme, après son unité, le caractère laïque de la République française. L’article 1er de la Constitution du 27 octobre 1946, rédigé dans les mêmes termes, contenait lui aussi cette définition et, bien avant de recevoir sa première consécration constitutionnelle, le principe de laïcité s’était déjà affirmé en France comme l’un des principes centraux de la République » (Discours du susdit prononcé lors de la « Conférence Laïcité et République » à l’hôtel de l’Industrie (Paris), le 06 décembre 2016 (en ligne sur le site institutionnel)). La cause est donc doctrinalement entendue et ne semble poser aucune difficulté. Il s’agit même souvent d’une expression tautologique puisque c’est l’article premier de la Constitution en vigueur qui traite de la laïcité.
6Des définitions multiples. Première difficulté, toutefois : tout le monde ne s’entend pas sur la définition (qui n’est posée ni dans la Constitution ni dans aucune autre norme impérative) du principe dit constitutionnel de laïcité. A titre personnel, et après avoir rappelé que le terme n’est en rien synonyme d’anticléricalisme mais vise seulement à distinguer les sphères religieuses de celles temporelles ou politiques, on croit pouvoir énoncer3 que le mot-clef permettant de le comprendre est celui de neutralité(s). En effet, « en France, la notion de laïcité – qui n’est pas synonyme de liberté de religion(s) ou de culte(s) mais en est le corollaire naturel – implique deux obligations distinctes de la part de l’État (…) : non seulement celui-ci (comme toutes les autorités et services publics) ne doit pas manifester une préférence religieuse quelconque (ce qui implique que ces agents publics doivent être muets en la matière et ne faire état d’aucun signe dit prosélyte), mais encore qu’il ne doit être témoigné aucune préférence, aucune aide ou aucune défiance ou rejet envers les religions, leurs ministres et fidèles ainsi qu’eu égard aux phénomènes et comportements religieux. Autrement dit, la laïcité prône la non-ingérence mais aussi le respect des deux sphères contingentes temporelle et spirituelle. Elles ne s’affrontent pas, ne fonctionnent pas ensemble mais ne s’ignorent pas pour autant ; chacune étant conduite à respecter l’autre et ses frontières de compétence(s) et d’action(s). La laïcité ainsi conçue fait suite à une alliance, en France, des Églises et de l’État ; alliance dont le divorce s’est matérialisé sous la Troisième République entre 1880 et 1910 avec, en point d’orgue formel, le vote de la Loi du 9 décembre 1905 proclamant précisément la séparation des Églises et de l’État ». Concrètement, le principe de laïcité implique par exemple « que la République ne subventionne directement ou indirectement aucun culte et qu’aucun emblème religieux (…) ne soit volontairement, et après 1905, mis en avant par une émanation de la puissance publique ».
B. Un principe historique et avant tout législatif
7Ne jamais oublier son histoire. Avoir le nez dans le guidon du droit positif nous fait parfois oublier que d’autres périodes et d’autres normes ont proclamé en France, fut-ce de façon très temporaire, des premières formes de séparation des Églises et de l’État. Mentionnons ainsi le décret du 03 ventôse an III (21 février 1795) puis la Constitution républicaine du 05 fructidor suivant (22 août 1795). Par ces normes, en effet, la France a désiré – tout en reconnaissant l’existence de cultes et leurs libertés de pratiques et d’expressions – que la Première République soit distincte et distinguée des Églises. L’État ne « salarie » (art. 02 du décret précité de BOISSY D’ANGLAS) et ne « s’alliera pas » avec les Églises. « Aucun signe particulier à un culte » ne pourra même – poursuit le décret en son article 05 – « être placé dans un lieu public ». L’article 354 de la Constitution en reprendra l’essence. Le 02 avril 1871, les Communards s’en inspireront grandement en proclamant explicitement un décret dont l’article premier est d’une clarté biblique : « L’Église est séparée de l’État ».
8Les Lois républicaines de « la Laïque ». Cela rappelé, il faut également garder à l’esprit le fait que le principe de laïcité n’a pas été qu’exprimé en 1905 par la Loi du 09 décembre même si elle en a généralisé la matérialisation. Au préalable, et pendant les premières années de la Troisième République, entre 1875 et 1905 ce sont trente années de normes à vocation laïque mais spéciales ou concentrées sur un secteur (l’école, le divorce, le cimetière, les prières publiques, etc.) qui vont engendrer le vote de nombreuses Lois. Ce sont donc bien « les » Lois de la Troisième République et non la Loi de 1905 qui ont consacré le principe français de laïcité. Citons ainsi (sans tendre à l’exhaustivité et surtout de 1885 à 1905 c’est-à-dire pendant vingt années) : la Loi du 12 juillet 1880 abolissant l’interdiction – empreinte de religion – de ne pas travailler le dimanche ; la Loi du 28 mars 1882 introduisant un enseignement primaire, obligatoire, gratuit et laïc et qui fera dire à Jules FERRY dans sa célèbre « Lettre aux instituteurs »4 : « L’instruction religieuse appartient à la famille et à l’Église, l’instruction morale à l’École » marquant déjà bien et nettement l’idée de « séparation » ; les Lois des 14 octobre 1881 et 15 novembre 1887 agissant en faveur de la liberté – même religieuse ou athée – des funérailles ; toutes les normes parues entre 1880 et 1910 à l’encontre des congrégations et ce, à l’instar de la célèbre Loi du 01 juillet 1901 sur les associations. A cette liste déjà longue, on pourrait encore ajouter de nombreux exemples pris dans le cadre du service public funéraire (avec la Loi dite Combes du 28 décembre 1904) ou encore avec la Loi constitutionnelle ayant supprimé les prières publiques5 (Loi des 13-14 août 1884) ou même tout simplement en mentionnant – par la Loi NAQUET du 27 juillet 1884 – la possibilité proclamée pour les citoyens français de divorcer malgré l’interdit religieux. Parfois, sans aller jusqu’au vote contraignant d’une Loi, ce sont même des circulaires comme celle du Garde des Sceaux Ernest MONIS qui (le 22 décembre 19006) procéda à la sécularisation de certains ministères en ordonnant, invité en ce sens par une résolution ferme et républicaine des députés votée le 11 décembre précédant, d’interdire à l’avenir « la célébration dans les Cours et les Tribunaux des cérémonies religieuses et, notamment, des messes dites du Saint-Esprit ». En ce sens, et même si aujourd’hui, de telles « lignes directrices » seraient qualifiées d’impératives, une autre circulaire du 01 avril 1904 acheva la laïcisation des corps judiciaires en ordonnant, lorsque cela n’avait pas encore été fait, la descente (sic) de croix des crucifix des Cours et Tribunaux.
9Le néologisme de laïcité. C’est désormais quelque-chose de connu et de relativement partagé mais il est important de rappeler ici que le terme même de laïcité est contemporain de la Loi de 1905 (qui ne le prononce du reste pas) et auquel on l’a associé. En ce sens, relevions-nous en 2017 avec Brigitte ESTEVE-BELLEBEAU, « lorsque paraît, en 1887, l’article « laïcité » dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, la nouveauté du substantif ne manque pas d’être soulignée par Ferdinand BUISSON7. La force substantive exprime alors l’essentialisation d’un long processus historique – la laïcisation – ayant désormais « force de loi » et se trouve élevée au rang de principe c’est-à-dire fondement en raison8 « d’un droit et d’un devoir de parler haut et fort au nom de la raison, de ne jamais consentir à baisser pavillon par ordre devant une autorité quelconque ». En un siècle, le mot de « laïcité » qui sent autant le soufre, en Droit comme en politique, que celui de « Nation » est désormais au cœur de la République française mais, partant, en a acquis un certain caractère polymorphe. Chacun.e le revendique (et certain.e.s le combattent sinon le regrettent) mais tous n’y voient plus la même chose quand bien même le terme est invoqué en chœur (parfois dissonant). « Les amalgames font frissonner celles et ceux qui de longue date ont entendu les pires choses sur le sujet, et la notion elle-même » rappelle en ce sens Henri PENA-RUIZ9 dans son Dictionnaire amoureux de la Laïcité » (« Laï-Cités : Discrimination(s), Laïcité(s) & Religion(s) dans la Cité. D’un singulier nouveau au pluriel contemporain ? » in Cahiers de la Lutte Contre Les Discriminations ; Paris, L’Harmattan ; 2017 ; n° 03).
C. Un principe constitutionnalisé par la IVe République
10De la Loi ordinaire à la Constitution. D’abord législatif (dans plusieurs domaines et services publics ciblés comme l’école, l’hôpital, le cimetière, etc.), le principe de laïcité s’est donc généralisé par la Loi de 1905 à l’ensemble de la République mais ce, avec des exceptions édictées par la Loi ordinaire tant dans l’espace républicain (excluant certains territoires) que dans le temps (refusant notamment de sanctionner des vestiges historiques et n’agissant que pour l’avenir). Toutefois, et sûrement du reste plus par adhésion politique que juridique, par volonté d’afficher un objectif voire une revendication laïque plutôt que pour une raison juridique, le principe législatif (et qui selon nous aurait mieux fait de le rester) a été constitutionnalisé.
11Double constitutionnalisation. Du reste, le principe n’a pas seulement fait son entrée dans la Constitution en 1946, il l’a été à deux reprises et à deux endroits du texte nouveau. En effet, non seulement l’article 13 du préambule y précisait : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » consacrant – dans un premier temps l’aspect laïc, depuis 1882, du service public de l’enseignement mais encore – et surtout de façon générale – le premier titre (de la Souveraineté) de l’acte suprême précisait en un article premier : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
D. Un principe constitutionnel consacré par la Ve République
12Un maintien constitutionnel. La Constitution suivante maintiendra en totalité l’acception de 1946. En effet, non seulement le nouveau Préambule retiendra en 1958 que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » ce qui comprend donc l’alinéa 13 précité mais encore, l’acte fondamental, retiendra et consacrera aussi en un article premier les termes suivants : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
13Un retour à la première place symbolique. Cela dit, le texte de 1958 ne faisait pas de l’article premier actuel (en 2018) de la Constitution un article… premier mais seulement deuxième ! En effet, de 1958 à 1995, l’article premier de la norme fondamentale française fut le suivant : « La République et les peuples des territoires d’outre-mer qui, par un acte de libre détermination, adoptent la présente Constitution instituent une Communauté. La Communauté est fondée sur l’égalité et la solidarité des peuples qui la composent ». Ce n’est donc qu’en 1995 à la suite du vote de la Loi constitutionnelle du 04 août que l’on supprima cette référence à la Communauté dont on va rappeler ci-après qu’elle a précisément et également compté en matière d’affirmation constitutionnelle du principe de laïcité. En l’occurrence, la Communauté a été dissoute dès 1960 avec l’indépendance des pays africains qui la nourrissaient mais il a fallu attendre 1995 pour que le constituant en prenne enfin acte. De façon contemporaine, le juge constitutionnel a confirmé à plusieurs reprises la valeur constitutionnelle du principe de laïcité et ce, tant dans son contrôle a priori (cf. décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, Loi relative à la liberté de l’enseignement) que dans son contrôle a posteriori. La laïcité fait en effet partie des « droits et libertés que la Constitution garantit » et qui peuvent faire en ce sens l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité (cf. CC, 21 février 2013, n° 2012-297 QPC, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité).
II. Proposition de déconstruction du mythe latitudinaire : « à géométrie variable »
Notre objectif est simple : il s’agit d’exposer (sinon de rappeler) qu’à de nombreuses reprises (encore aujourd’hui) le principe pourtant dit constitutionnel de laïcité s’est effacé et s’efface encore derrière une Loi, un règlement voire un usage comme si la valeur normative et dite suprême de ce dernier s’effaçait ou était – selon les territoires – à géométrie variable : latitudinaire. Les exceptions, qui déconstruisent le principe, s’avèrent alors historiques (A) et, d’un point de vue formel, généralement législatives (B) même si quelques usages ne le sont même pas (C). Enfin, force est de constater que la plupart (mais non la totalité) des exceptions sont surtout – ce que l’Histoire explique – dues à des traditions ou à des pratiques issues du Concordat (D).
A. Des exceptions territoriales
14Les terres éloignées : des colonies à l’Outre-mer en passant par la Communauté. Les premières exceptions nous sont données par l’histoire coloniale française. Au-delà des mers et des océans entourant la France métropolitaine non seulement des exceptions avaient été prévues pour respecter et parfois réguler les religions et les cultes présents mais encore – et surtout – les Lois de séparation des Églises et de l’État (de 1905 à nos jours) ont souvent prévu de ne pas s’y appliquer. En conséquence, des usages antérieurs à 1905 y ont proliféré comme si la laïcité ne se concevait que dans l’hexagone de la seule métropole française. Ainsi, en Algérie (où l’on s’arrangea pour ne pas avoir à appliquer le texte pourtant introduit en 1907) ou au cœur de l’ancien protectorat tunisien non seulement la séparation des cultes et de la puissance publique n’était-elle pas affirmée mais encore les juridictions dites indigènes et religieuses y étaient-elles permises et encadrées par des normes françaises et ce, tant pour les musulmans que pour les israélites. Plus récemment, sous l’empire de notre actuelle Constitution (mais uniquement pendant les premières années de son entrée en vigueur), se posa la question de l’application du principe dit constitutionnel de laïcité au cœur des pays associés à la Communauté. Ainsi, dans les colonies ou ex colonies, dans les protectorats, dans l’Union devenue Communauté française, le principe de laïcité était-il si constitutionnel ? C’est précisément à cette question que répondait l’avant-propos précité de Louis TROTABAS à l’ouvrage issu des quatre semaines de débats déroulées en 1959 : « la Laïcité ». Or, quel était le titre exact paru au Journal Officiel de la Constitution du 04 octobre 1958 (JORF du 05 octobre 1958 ; p. 9172 et s.) ? La Constitution était celle « de la République française et de la Communauté » ; la France appartenant aux côtés d’autres États à cette dernière. Or, commente TROTABAS ennuyé par cet intitulé, les dispositions laïques (de l’article 02 devenu 01 en 1995) ne pouvaient, malgré l’intitulé, que régir la République française ; chaque pays statuant souverainement en la matière : les uns proclamant la laïcité à la suite de la France (comme en Côte d’Ivoire avec la Constitution du 26 mars 1959) et d’autres continuant de faire état d’au moins une religion d’État à l’instar de la République islamique de Mauritanie. Déjà – donc – le principe était-il évacué pour la Communauté alors que la Constitution de 1958 était pourtant censée s’y appliquer !
15Les exceptions ultra-marines. En droit positif, l’existence d’exceptions ultra-marines (hors de la Communauté et sur le territoire républicain français) se matérialise encore de nos jours à la suite de cette même histoire coloniale. Ainsi, alors que la Guyane est un département français (pas même un territoire spécial), alors que d’autres collectivités comme la Martinique, la Réunion et la Guadeloupe (par le décret du 06 février 1911) se sont vu appliquer le principe républicain désormais constitutionnalisé, il a été obtenu pour le territoire guyanais qu’il échappe totalement à la Constitution sur ce point. La Loi du 09 décembre 1905 n’y est toujours pas applicable et une ordonnance de CHARLES X (datée du 27 août 1828) y consacre toujours les ministres du culte catholique à l’instar d’agents publics salariés du conseil général au même titre que des travailleurs sociaux ou des conseillers du RSA par exemple. Ici, la République salarie un culte et la Constitution (et non pas seulement la Loi) instaure pourtant un principe totalement inverse de laïcité. A Wallis-et-Futuna (collectivité d’outre-mer depuis 2003), l’idée même de laïcité semble être un non-sens comme si elle ne pouvait y être « exportée » et la République y noue des liens explicites avec des dignitaires religieux et ce, y compris de façon financière. En Nouvelle-Calédonie, de même, la séparation des Églises et de l’État n’a jamais été achevée et cette situation repose, selon les historiens, sur la recherche d’un état de concorde entre croyants (avec des catholiques très majoritaires notamment) et une puissance publique qui a semble-t-il besoin de s’appuyer sur les réseaux des fidèles encore aujourd’hui10. Dans plusieurs des territoires d’outre-mer, en droit positif encore, on applique ainsi les décrets des 16 janvier et 06 décembre 1939 (dits MANDEL) qui organisent les liens entre puissance publique et cultes hors de toute idée de séparation. Reçoivent ainsi directement des aides publiques et des avantages fiscaux les « conseils d’administration des missions religieuses » (qui sont des personnes morales de droit public français et républicain) des cultes musulmans ou bouddhistes en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore en Polynésie française ainsi qu’à Mayotte ou à Wallis-et-Futuna. En témoigne par exemple la jurisprudence CE, 16 mars 2005, Gouvernement de la Polynésie française (AJDA 2005.1463).
16Les exceptions d’Alsace-Moselle. On sait également que les départements du Haut et du Bas Rhin ainsi que de la Moselle, parce qu’ils étaient allemands et non français en 1905 lors du vote de la Loi de séparation des Églises et de l’État, échappent encore et également au principe dit constitutionnel de laïcité. En effet, comme il y a deux siècles à l’époque du Concordat (du 15 juillet 1801), quatre cultes officiels (israélite, catholique, luthérien et protestant réformé) y sont encore directement liés à la puissance publique et financés en ce sens par l’État (et non par les collectivités concernées) comme lorsque les fabriques étaient, dans tout le pays, des personnes morales publiques et religieuses. Par ailleurs des cultes (comme l’islam) non reconnu en 1801 peuvent y recevoir plus aisément des subventions publiques. Ici encore, c’est la Loi (notamment par une norme confirmative du 01 juin 1924) – avant 1946 et 1958 – qui a permis l’exception religieuse au principe de laïcité. Ici encore ledit principe est-il bien « latitudinaire » : appliqué avec une grande largesse d’interprétation puisque… non appliqué !
17Les exceptions consulaires. Plus anecdotiques encore mais pour autant toujours réalisées sur le territoire dit Républicain, citons quelques autres exceptions au principe de laïcité parfois encore méconnues à l’instar des lieux républicains dans lesquels on peut encore chanter et faire chanter le Domine salvam fac Rempublicam pour que Dieu, s’il existe, protège notre République. Ainsi en est-il, depuis des siècles, dans plusieurs consulats et ambassades français dans lesquels sont célébrées des messes consulaires. A Jérusalem, par exemple tout nouveau consul de France est reçu au saint-Sépulcre où depuis 1535, en application d’un privilège obtenu par François 1er, il reçoit le pouvoir de protéger les chrétiens latins de l’Empire Ottoman. Un strict protocole, bien que fortement simplifié, est encore appliqué et les Te Deum raisonnent en l’église sainte Anne sur laquelle flotte un drapeau républicain français et qui appartient au domaine public national. Près de vingt fois par année (pour célébrer sainte Anne, saint Maron ou encore saint Etienne), depuis 1843, date à partir de laquelle la France a été représentée sans interruption en ces lieux, des messes consulaires contenant des prières publiques y sont donc célébrées en territoire français. Le consul général y est reçu par le clergé, il y a un prie-Dieu et un tapis réservés, il y est encensé (au sens strict) à l’offertoire, et l’on y demande encore à Dieu de « sauver la République » selon le rite concordataire. De même, à Monaco (hors territoire français certes mais avec la présence également continue de fonctionnaires et de représentants de la France comme les présidents de tribunaux provençaux) citons l’hypothèse récurrente des messes du Saint-Esprit où l’on prie Dieu de protéger les travaux judiciaires de l’année ; travaux auxquels participent des magistrats français qui ne sont invités à ses prières publiques qu’en raison de leurs fonctions publiques et non à titre personnel et privé. Peut-on encore nier, avec tous ces exemples en tête, l’existence d’un principe latitudinaire ?
B. Des exceptions infra constitutionnelles
18La laïcité interprétée nie la hiérarchie des normes. Dans l’ordre interne11, a priori, le principe constitutionnel de laïcité devrait primer sur tout : et pourtant. Dans une décision précitée du 02 juin 2017 (n° 2017-633 QPC), le conseil constitutionnel semble contrer le principe même de hiérarchie normative. En effet, la décision faisait suite à une question prioritaire de constitutionnalité posée par la collectivité territoriale de Guyane et interrogeant la constitutionnalité de l’article 36 de l’ordonnance royale du 27 août 1828 concernant le Gouvernement de la Guyane française et celle de l’article 33 de la loi du 13 avril 1900 portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l’exercice 1900. Ces normes qui régissaient les anciennes colonies emploient des termes aujourd’hui abrogés par le temps mais que la Puissance publique gagnerait à modifier explicitement. Les requérants soutenaient notamment en l’espèce (et ce, à la suite de la décision de renvoi : CE, 03 mars 2017, req. 405823) que les textes précités non seulement seraient contraires au principe constitutionnel de laïcité (puisqu’ils prévoient la possibilité – compréhensible en 1828 – que la Guyane rémunère des ministres du culte) mais encore qu’ils méconnaitraient, outre la libre administration des collectivités territoriales et la compensation financière, « le principe d’égalité devant la loi à un double titre : d’une part, en prévoyant que seuls les ministres du culte catholique sont ainsi rémunérés, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les cultes ; d’autre part, en faisant supporter cette dépense par la collectivité territoriale de la Guyane plutôt que par l’État, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les collectivités territoriales ». S’agissant de la laïcité, le juge constitutionnel a considéré que la rémunération, qu’impose l’ordonnance royale de 1828, par la puissance publique des ministres catholiques du culte n’était en rien contraire au principe constitutionnel de laïcité [vous avez bien lu !] car la Loi du 09 décembre 1905 n’aurait pas été étendue à la Guyane laissant subsister le texte de 1828. On aimerait répondre au Conseil que là n’est pas la question : que la norme de 1828 ne soit pas abrogée et que la Loi de 1905 ne s’applique pas sur le territoire guyanais peut s’entendre mais quid de la constitutionnalité de l’article 01 de notre norme fondamentale selon lequel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » ? Car cet article, lui, s’applique bien en Guyane et il est de valeur supérieure à l’ordonnance de CHARLES X. Pourtant, affirme le juge, « le principe de laïcité, qui figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes. Il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ». Toutefois, ajoute-t-il aussitôt « il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatifs à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu’en proclamant que la France est une « République ... laïque », la Constitution n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte ». Autrement dit, même si cela n’est pas écrit, même si les politiques et nos représentants brandissent à qui mieux mieux tous les jours le principe constitutionnel de laïcité comme un étendard identitaire national, même si la hiérarchie des normes fait primer la Constitution sur les Lois et règlements, l’esprit constitutionnel et notre histoire imposeraient – au nom de la paix sociale et des traditions locales – que l’on mette – une fois de plus (cf. à propos de l’exception alsaco-mosellane le même raisonnement in CC, 21 février 2013, n° 2012-297 ; Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité) – de côté le principe de laïcité niant sa valeur constitutionnelle au profit de spécificités locales. Peut-on pour autant encore parler de « principe » de laïcité lorsque l’on maintient autant d’exceptions ? L’aspect latitudinaire ici critiqué nous semble effectivement contreproductif car il noie l’idée laïque même. S’agissant de l’atteinte au principe d’Égalité, le Conseil utilise ici, pour la nier, la jurisprudence classique des traitements différenciés (cf. décision n° 79-107 DC, 12 juillet 1979, cons. 4, Rec. p. 31) justifiant la discrimination réalisée puisque « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Sont également évacués les griefs tirés de la méconnaissance de l’article 72-2 de la Constitution et du principe de libre administration des collectivités territoriales compte tenu notamment de « la faible importance des dépenses mises à la charge » (sic) de la Guyane. Bref, le texte de la Restauration, établi « par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre » est jugé sur ce point totalement compatible avec la laïcité républicaine et cela ne semble choquer plus personne.
19L’argument dangereux du silence du Constituant. Dans les deux décisions du juge constitutionnel précitées et relatives aux deux grandes exceptions territoriales en matière de laïcité (Alsace-Moselle et Outre-Mer), le juge ose dire que le principe constitutionnel de laïcité ne s’applique pas (et en est écarté) par un principe de valeur inférieur (législatif ou même réglementaire) et ce, parce qu’explicitement en 1958 « la Constitution n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières ». Voilà l’argument clef et choc : la Constitution – qui est censée lors de sa proclamation refonder totalement le pacte social d’une société et conséquemment faire du passé table rase – n’aurait pas tout prévu et conséquemment on pourrait lui opposer certaines règles anciennes car elles n’auraient pas – bien qu’infra constitutionnelles – été expressément modifiées. Cette argumentation de mauvaise foi (sic) dont on voit bien qu’elle n’est là que pour justifier l’injustifiable exception latitudinaire pose plusieurs difficultés. On apprend en effet a priori que lorsqu’une norme infra constitutionnelle ancienne doit être appliquée dans un État et que ce dernier s’est doté d’une nouvelle Constitution contraire à cette norme, la hiérarchie normative implique que la première norme cède face à la nouvelle et supérieure. Ainsi, alors que le Code civil expliquait en son premier article que le Premier Consul promulguait les Lois, cet article a-t-il été abrogé lorsqu’un autre chef d’État l’a remplacé (du fait, sous notre Constitution, de l’article 10). Et il ne viendrait pas à l’idée du Conseil constitutionnel de demander à ce que l’on ressuscite le Premier consul pour promulguer les Lois à venir et ce, même si les Constituants n’en ont pas parlé. Plus grave, à maintenir une ordonnance de 1828 en ses articles permettant la rémunération du Culte, ne peut-on pas soutenir que l’ensemble de l’ordonnance et de la législation coloniale en serait aussi maintenu puisque la Constitution n’en a pas parlé ? En conséquence, pourquoi ne pas prôner de rétablir l’esclavage ? Car même si la Constitution de 1958 promeut l’Égalité, elle ne précise pas qu’en Guyane il faut appliquer cette Égalité. En conséquence puisque la laïcité ne s’applique pas en Guyane, on peut en déduire, par un même raisonnement irrationnel, que l’esclavage est maintenu parce que cette même ordonnance de 1828 le promouvait. Dans une démocratie, déduire du silence est toujours plus grave que déduire d’un écrit car le justiciable se trouve en insécurité juridique. Par ailleurs, faire primer une norme infra constitutionnelle sur la Constitution fragilise tout l’édifice normatif qui n’en avait franchement pas besoin. Si la Constitution, dans l’ordre interne, est la norme fondamentale, aucune autre norme inférieure ne peut et ne doit y résister comme ici.
C. Des exceptions prônant le pragmatisme et la paix sociale
20Au nom de la paix sociale. En règle générale, toutes les exceptions latitudinaires ici pointées du doigt (parce que, selon nous, elles ne devraient pas échapper au principe constitutionnel) se réalisent et sont motivées par un désir (tout à fait compréhensible) de paix sociale voire d’ordre public et de pragmatisme. La puissance publique (État et collectivités locales principalement) répond à la demande – qu’elle qualifie d’intérêt général – de financements et d’aides publiques à plusieurs initiatives cultuelles. Ici – parce que le territoire est prétendument éloigné de la Métropole et que la population semble y tenir – on va permettre un usage des siècles passés en finançant les ministres du culte catholique. Là – parce que le territoire dit le revendiquer – on va maintenir une exception concordataire. Au quotidien, on va permettre en métropole la construction facilitée de lieux de cultes par des baux emphytéotiques (art. L. 1311-2 CGCT) octroyés à des associations cultuelles qui – parce qu’elles ne seront pas formellement propriétaires du domaine public – vont pouvoir jouir de privilèges évidents en disposant – comme pour la Mosquée de Marseille – d’accès facilités à des terrains communaux. Ailleurs, en opérant un montage parfois symbolique – sinon critique – on va distinguer au sein des cultes des éléments plus culturels que cultuels qui vont permettre des financements indirects du religieux (comme pour la gestion à Paris de l’Institut des Cultures d’Islam). Si l’on ajoute à cet état des lieux des possibilités fiscales arrangeantes et prévues par la Loi de 1905 (art. 24) ainsi que l’article 19 de la même Loi de séparation (article relatif au financement public de réparations d’édifices cultuels étendu par le Maréchal PÉTAIN par une norme du 25 décembre 1942 y compris à des monuments non communaux ou publics !), on constate que la Puissance publique a clairement désiré – au nom de la paix sociale, de l’histoire certainement et du pragmatisme – permettre des financements directs ou indirects cultuels. Il ne nous appartient pas de juger ces choix en termes d’opportunité sociale mais de Droit. Or, si l’on a placé le principe de laïcité (et non la Loi de 1905) au rang de norme constitutionnelle, force est de constater que ces choix posent des difficultés juridiques.
D. Des exceptions historiques
21« France, Fille aînée de l’Église, es-tu fidéle aux promesses de ton baptême ? ». C’est la question qu’a osé poser le désormais bienheureux puis saint Jean-Paul II lors de son homélie prononcée à Notre-Dame de Paris le 30 mai 1980. La France ne peut effectivement (et elle ne doit évidemment pas selon nous le faire) nier ses racines historiques et notamment chrétienne. La France et son État ont été chrétiens et notre droit l’a été tout autant. En 1834, à Poitiers, le professeur de droit administratif FOUCART précisait-il bien en ce sens qu’il comptait exposer le droit public et administratif chrétien de la France et non un droit séculier et laïc. La France a été et est encore de tradition catholique : c’est un fait et non un fantasme ou un désir. En revanche, depuis la fin du XIXe siècle, la Troisième République a décidé d’une autre relation à entretenir avec les Églises et cette « séparation » a été constitutionnalisée. Il ne s’agit donc pas de nier l’histoire et l’identité de la Nation française même mais seulement de prendre acte qu’il ne s’agit que d’histoire et non de présent ou d’avenir. Par ailleurs, cette histoire a déjà plus d’un siècle et les Lois républicaines (y compris celle de 1905) avaient précisément tenu compte de cette histoire en prévoyant des aménagements, des exceptions, des tempéraments au principe de laïcité.
22Des exceptions limitées. Cela dit, si l’histoire justifie que le législateur de 1905 ait proposé des exceptions au principe de laïcité et s’il y a eu un consensus politique pour les maintenir jusqu’à ce jour, il est important de réaffirmer que ces exceptions sont limitées tant dans l’espace que dans le temps. En effet, que la Loi n’ait disposé en 1905 que pour l’avenir en mettant par exemple de côté et en protégeant les symboles religieux qui auraient été placés dans l’espace public avant 1905 nous semble précisément respectueux de notre Histoire. En outre, et c’est un choix que l’on peut évidemment aussi discuter mais qui s’impose par la Loi, les espaces funéraires ont également fait l’objet d’une exception particulière. S’agissant des signes religieux dans l’espace public, la Loi de 1905 (et non la Constitution – on le redit) précise par exemple à l’article 28 qu’il est interdit « d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ». Toutefois, l’interdit ne vaut pas pour les « édifices servant au culte, [les] terrains de sépulture dans les cimetières, [les] monuments funéraires, ainsi que [les] musées ou expositions ». Il y a donc trois exceptions uniques : les lieux de culte, les lieux dédiés au funéraire et les lieux culturels et aucune autre hypothèse.
23L’exemple des crèches de la nativité. Et pourtant, le juge français depuis plusieurs années a allongé cette liste exhaustive et limitative en permettant des exceptions supplémentaires et selon nous illégales (et inconstitutionnelles). Ainsi par plusieurs arrêts (dont CE, Ass., 09 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne (395122) & CE, Ass., 09 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée (395223)), lorsque le Conseil d’État a admis que les crèches de la nativité du Christ placées dans des lieux publics pourraient y être maintenues alors qu’elles n’y sont pas constantes depuis 1905, qu’elles ne sont pas exposées à titre culturel (avec les explications pertinentes devant les accompagner) et qu’il ne s’agit pas d’éléments funéraires, un autre pas latitudinaire a été accompli. Comment, tout d’abord, oser prétendre (comme l’ont explicitement soutenu certaines juridictions) que la crèche matérialisant la naissance du Christ ne serait pas un emblème religieux ? Qu’elle soit devenue, outre l’élément religieux, un élément sociétal s’entend mais l’élément cultuel est évident et consubstantiel à la représentation christique. Par suite, si la crèche ne rentre pas dans l’une des exceptions légales, elle n’a pas à être autorisée au même titre que l’on n’autoriserait l’érection en lieu public d’une soukot pour la fête israélite éponyme.
24L’exemple des cimetières communaux. Il en est de même avec les espaces funéraires. La Loi leur prévoit des exceptions et il est effectivement possible d’apposer des signes religieux sur des monuments funéraires dressés en lieux publics (comme un monument aux morts) ainsi que sur les terrains de sépultures des cimetières mais c’est exhaustivement tout. Ailleurs, la Loi et le principe de laïcité l’interdisent. Pourtant, le Conseil d’État – ici encore et sûrement pour des raisons pragmatiques afin de ne pas entraîner de remous dans tous les cimetières de France – nous semble faire une interprétation très latitudinaire du principe (pour ne pas dire illégale et inconstitutionnelle). En effet, dans un avis contentieux (CE, 28 juil. 2017, n° 408920 appliqué concrètement par TA Poitiers, 23 nov. 2017, n° 1500305), la juridiction administrative semble considérer qu’il est possible – même si l’élément ne s’y trouvait pas avant 1905 – d’apposer sur un mur d’enceinte d’un cimetière un symbole exprimant l’adhésion à un culte donné. Or, comme il nous a été permis de l’écrire12, puisque le Conseil d’État ne précise pas ce que recouvrent exactement les « terrains de sépultures » protégés par l’exception de l’article 28 précité, deux interprétations sont donc possibles. La première serait que le cimetière échappe de façon globale à la laïcité. Dès lors, la loi permettrait l’installation de signes ou emblèmes religieux y compris sur le portail du cimetière. La seconde interprétation serait que le portail est une partie commune, à laquelle l’article 28 de la loi de 1905 s’applique pleinement. Il serait alors impossible (et c’est ce que nous affirmons) d’élever ou d’apposer un signe religieux pour l’avenir. En revanche, pourraient y demeurer les symboles déjà en place avant l’entrée en vigueur de la loi. Le cimetière serait alors soumis au principe de neutralité religieuse. L’article 28 prévoyant l’exception pour les monuments funéraires et les « terrains de sépulture dans les cimetières » et non le cimetière lui-même (en ce sens : M. TOUZEIL-DIVINA et M. BOUTEILLE-BRIGANT, Traité des nouveaux droits de la mort, Tome II, op. cit., p. 239 et Th. RAMBAUD, Cultes : JCl. Administratif 2017, Fasc. 215, n° 174 et s.). C’est cette seconde interprétation qu’il convient effectivement, nous semble-t-il, de retenir car comme le soulignait déjà BRIAND, rapporteur de la loi de 1905, le « cimetière doit rester au point de vue confessionnel strictement neutre » (séance du 28 juin 1905). Le signe religieux pourrait toutefois devenir légal à la condition que son installation soit antérieure à cette loi. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé – au fond – le tribunal administratif de Poitiers (jugement précité). Après instruction juridictionnelle, le requérant n’apportant aucun commencement de preuve, la croix litigieuse (même remplacée ou réparée) y a été considérée comme posée antérieurement à 1905 dans un cimetière datant de 1859 et donc comme n’impliquant pas d’être détruite ni de réfléchir à son appartenance ou non à l’une des quatre dérogations de l’article 28. Il nous semble cependant que cette question demeure problématique car un athée ou un croyant non catholique rentrant dans un cimetière dont le portail impose la vue d’une unique croix romaine nous semble singulièrement contraire au principe dit constitutionnel de laïcité.
III. À qui profite le principe dit constitutionnel ?
Il est possible (et c’est tout à fait audible croyons-nous) de soutenir qu’ici le principe d’un mythe laïc et constitutionnel profiterait à l’ensemble de la société française. Il ne s’agirait alors pas – au sens strict et normatif – (B) d’un principe mais plutôt d’un objectif (A) à valeur plus républicaine et identitaire que constitutionnelle. Par ailleurs, le principe semble maintenu au nom de la Concorde qu’il matérialise (D) mais n’oublie-t-il pas, ce faisant, les religions dites non concordataires à l’instar de l’Islam (C) ?
A. Un principe républicain et identitaire ou un idéal ?
25Un objectif plus qu’un principe. Dès les premières pages de sa thèse cardinale sur le principe de laïcité en droit public français (2009), Clément BENELBAZ interroge l’existence même du principe qu’il confronte à l’hypothèse (qui nous semble la plus pertinente) non pas de l’existence d’un principe constitutionnel réel (avec les conséquences normatives que cela implique) mais davantage d’une « valeur » pour ne pas dire (et nous l’ajoutons) d’un idéal. Car, si nous acceptons de reconnaître qu’à l’instar d’autres idéaux (comme peut-être la fraternité) la laïcité est un projet que la République a embrassé et non un principe acté et totalement assumé, il nous semble qu’il est possible de s’entendre. En effet, on le sait, c’est essentiellement la Loi (et notamment celle de 1905) qui matérialise la laïcité en France. Or, ce qui a été brandi en 1946 comme en 1958 n’est-il pas davantage un espoir voire une revendication politique plus encore qu’un principe juridique plein et entier ? Ne s’agit-il pas d’une déclaration de volonté c’est-à-dire d’un objectif au sens étymologique du terme ? L’avantage de la reconnaissance du qualificatif « d’objectif » plus encore que celui de « principe », c’est qu’il semble permettre (sans nier une valeur constitutionnelle à laquelle la Nation semble attachée) de paraître moins absolu13. Par ailleurs et par essence un objectif entraîne l’idée de conciliation des droits et des libertés, des individualités et du collectif, des intérêts personnels, religieux et public. Voilà pourquoi nous prônons la reconnaissance de la laïcité comme étant non un principe constitutionnel mais un seul objectif à valeur constitutionnelle. L’objectif entraîne davantage de souplesse que le principe. Il permet l’existence d’exceptions notamment justifiées par l’ordre public.
B. Quelle est vraiment la valeur normative du principe dit constitutionnel ?
26Une Loi constitutionnalisée ? Finalement, ce qui choque peut-être le plus le juriste en matière de laïcité, c’est que la Loi du 09 décembre 1905 semble parfois considérée comme législative (ce qu’elle est) et parfois semble élevée au rang constitutionnel (ce qu’elle n’est a priori pas). Ce qu’il nous semble c’est qu’effectivement la Loi ou plutôt les Lois de la Troisième République ont posé des principes et des règles et que la laïcité en tant que tel est un simple objectif qui les gouverne et les entoure. Le Conseil d’État, lui-même, explique ainsi (dans son rapport annuel « Un siècle de laïcité » pour 2004 (EDCE 55)) que la seule Loi de 1905 matérialise la « clef de voûte » du principe de laïcité. Pour autant la Loi de 1905 n’est pas le principe constitutionnel et chacun reconnaît effectivement qu’avant d’être juridique, la laïcité est avant tout « mythique et symbolique » (Émile POULAT (Scruter la loi de 1905. La République française et la religion, Fayard 2010)) ou encore propre à notre identité républicaine contemporaine. Toutefois, en réaffirmant que la Loi de 1905 n’est pas assimilable à la totalité du principe dit constitutionnel de laïcité, on évite plusieurs erreurs car il faut effectivement distinguer la Loi de la Constitution. C’est bien parce que la Constitution est supérieure à la Loi qu’il faudrait – selon nous – que certains des articles ou plutôt des interprétations qui en sont faites soient qualifiées de contraires à la Constitution. Ou alors, l’on nie l’essence constitutionnelle de la laïcité pour n’en faire qu’un principe juridique législatif (et dans cette hypothèse bon nombre d’exceptions ne sont plus choquantes). En effet, ce qu’on appelle laïcité essentiellement ce sont les dispositions de 1905 : ne pas salarier de ministres du culte / ne pas financer de cultes / ne pas exposer d’emblèmes religieux dans l’espace public.
C. Un mythe ne profitant qu’aux religions concordataires ?
27La question islamique. Surtout, et c’est ce qui nous choque le plus vis-à-vis du principe – lui constitutionnel – d’Égalité ainsi que de la liberté religieuse c’est que, dans les faits, les exceptions latitudinaires ne semblent pas profiter à l’ensemble des cultes mais surtout (pour ne pas dire seulement) pour des raisons historiques aux cultes dits concordataires (et notamment au culte catholique romain) comme si l’Islam en France ne comptait pas ou moins que les autres religions. Des catholiques font une retraite aux flambeaux ou une procession des rameaux, des crèches de la nativité sont exposées en lieux communaux publics, une croix même neuve se trouve à l’entrée d’un cimetière où reposent des citoyens athées et / ou d’autres confessions et l’on s’en accommode : le juge justifiant des exceptions et trouvant des arguments fussent-ils capillotractés. En revanche, si ce sont des musulmans qui prient dans l’espace public (faute de lieux dédiés suffisants), si ce sont des mosquées qui sont financées, si un croissant islamique ou une étoile de David se retrouvaient à la porte d’un cimetière, beaucoup crieraient à l’atteinte à la sacro-sainte laïcité. Deux poids deux mesures ? On peine à l’exprimer mais on le croit profondément. Ce sont effectivement les affaires de burkinis (CE, ord., 26 août 2016, n° 402742 et n° 402777, Ligue des droits de l’homme et a., Association de défense des droits de l’homme collectif contre l’islamophobie en France : JCP A 2016, act. 704 ; JCP G 2016, act. 910) qui ont défrayé les chroniques judiciaires et médiatiques et non des soutanes (qui existent pourtant encore dans l’espace public comme le costume et les voiles de sœurs). C’est une barbe seule et dite musulmane qui a été interdite dans un secteur hospitalier alors que celui qui la portait ne traduisait aucun prosélytisme. Ce sont des repas halal qui ont été pointés du doigt dans les cantines scolaires (cf. TA Dijon, 28 août 2017, n° 1502100, 1502726, Ville de Chalon-sur-Saône ; JCP A 2017, act. 388)). Très récemment, on a même vu une juridiction permettre à un prêtre de cumuler son ministère cultuel avec la fonction publique d’administrateur président une Université (cf. TA de Strasbourg, 14 décembre 2017, Syndicat national de l’Enseignement supérieur (1703016)) : aurait-on permis à un imam de l’être ? Nous en doutons très fortement.
28Les exceptions festives et culturelles. En ce sens, les jurisprudences administratives qui permettent sous conditions des symboles religieux dans l’espace public car il s’agirait d’une manifestation « culturelle, artistique ou festive » nous semble dangereuses. C’est à ce titre que certaines crèches ont été tolérées mais qu’en aurait-il été d’une Torah à paillettes ou d’une burka festive et luminescente ? Elles seraient vraisemblablement interdites. Il nous semble que la laïcité ne peut se vivre qu’en Égalité. Toute discrimination entraîne un affaiblissement du principe sinon sa négation. Ce sont bien les Églises qui sont séparées de l’État.
D. La quête du « vivre-ensemble » : la « Concorde »
29Comment reprocher la volonté de Concorde et de Fraternité ? Que ce soit la Puissance publique ou les juridictions, il semble que derrière le principe de laïcité (ici vu comme objectif), se révèle un autre but tout aussi louable : celui de Concorde au sens étymologique d’union des cœurs et des bonnes volontés : de fraternité. Or, comment de facto reprocher un tel sentiment ? Cela nous semble bien difficile car on reconnaît que le but est fort louable. Henri PENA-RUIZ (La Laïcité ; Paris, Flammarion ; 1998 ; p. 72 et s.) explique – et nous croyons qu’il est dans l’exactitude en ce sens – que la laïcité, fut-elle proclamée ou dite constitutionnelle, est bien un « idéal ». Effectivement, si l’on entend par laïcité non un principe positif mais seulement un objectif constitutionnel, un but, un idéal de Concorde, alors – oui – le juriste peut accepter cette conception mais – dans cette hypothèse – il faut alors nier la valeur positive pleine et entière du principe et n’en faire qu’une norme législative acceptant les exceptions. C’est très exactement l’objectif que se fixent deux des plus importants promoteurs français (chrétiens catholique et protestant) de la laïcité : René RÉMOND et Jean BAUBÉROT. Il ressort très clairement de leurs ouvrages (et notamment pour le premier d’Une laïcité pour tous (Paris, Le Seuil ; 1998)) qu’une laïcité (que nous prônons quant à nous) entière et qu’eux qualifient « d’extrême » n’est pas la solution car elle exclurait trop de croyants. Ils prônent alors (ce que nous pouvons évidemment entendre) un message de paix sociale et de Concorde pour tous les « laïques de bonne volonté » (sic) (op. cit. ; p. 39).
30Latitudinaire & Égalité. Il n’y a d’intérêt à conserver ce mythe d’un principe dit constitutionnel que si le but de Concorde est atteint. S’il l’est on comprend la justification de cette laïcité latitudinaire même si, à titre personnel, on préfèrerait une laïcité non latitudinaire mais stricte et sans multiplication des exceptions et avec une reconnaissance de ce qu’elle s’exprime d’abord par la Loi de 1905 et qu’au point de vue constitutionnel il n’y s’agit que d’un objectif. Par ailleurs, le reproche principal fait à l’acception latitudinaire – outre le fait qu’elle noie le principe en faisant croître les dérogations – est qu’elle entraîne parfois une négation du principe d’Égalité devant la norme en semblant favoriser (parfois à tort mais parfois à raison) une ou plusieurs religions (et notamment celles historiquement nées du Concordat) au détriment d’autres comme l’Islam pourtant présente de façon contemporaine en France. Or, la République au nom de la Fraternité ne nous semble pas devoir renier l’Égalité.
31Deux pistes. Il nous semble en conclusion que deux pistes sont en conséquence possible pour l’avenir de la laïcité : soit faire cesser toutes les exceptions existantes qui ne seraient pas prévues en 1905 (et notamment toutes les exceptions que le juge a inventées) : on ferait alors disparaître le côté latitudinaire pour ne mettre en avant qu’un réel principe ; soit prendre acte que nous ne sommes plus en 1905 mais en 2018 et conséquemment (fût-ce douloureux et très certainement dangereux politiquement) re discuter de la volonté française d’entendre le religieux dans l’espace public en listant les seules exceptions tolérées et en les justifiant explicitement (par exemple du fait de l’histoire qu’il ne s’agit pas de nier14) et ce, par la Loi. Toutefois, on imagine fort mal une volonté politique en ce sens.
Notes de bas de page
1 Le présent texte est en partie issu d’un ouvrage à paraître aux Éditions Lgdj dont il constituera l’un des chapitres (dix mythes du droit public).
2 Par exemple in : « laïcité latitudinaire » in Rec. Dalloz ; 07 octobre 2011 ; n° 34, p. 2 puis dans plusieurs articles.
3 Cf. in Dictionnaire (préc.) de droit public interne ; op. cit. ; p. 278 et s.
4 Touzeil‑Divina Mathieu, « Commentaire à propos de la Lettre de Jules Ferry aux instituteurs (17 novembre 1883) » in Les grands discours de la culture juridique ; Paris, Dalloz ; 2017 ; p. 551 et s.
5 A leur égard, on se permettra de renvoyer à : Touzeil‑Divina Mathieu, « La mort d’un couple : prière(s) et vie publiques : à propos de la suppression des prières publiques au XIXe siècle » in Prières et Droit (dir. Koubi) ; Droit & Cultures ; L’Harmattan ; n° 1 – 2006 ; page 13 et s.
6 Ce que nous relevions in fine de l’article précité.
7 Plus de vingt années après, y compris à la suite du vote de « la » Loi du 09 décembre 1905, l’auteur expliquait : « ce mot est nouveau, et, quoique correctement formé, il n’est pas encore d’un usage général. Cependant, le néologisme est nécessaire ; aucun autre terme ne permettant d’exprimer sans périphrase la même idée dans son ampleur » : Buisson Ferdinand (dir.), Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire ; Paris, Hachette ; 1911 ; p. 936.
8 Ibidem (et ce, dès la version dite de 1882-1887).
9 Pena-Ruiz Henri, Dictionnaire amoureux de la Laïcité ; Paris, Plon ; 2016 ; p. 547.
10 Il faut lire à ce propos le numéro spécial d’Outre-mers, n° 348-349 ; 2005 : « La loi de 1905 et les colonies ».
11 Ce paragraphe reprend un extrait de : obs. Touzeil-Divina sur CC, 02 juin 2017, décision n° 2017-633, QPC, Collectivité territoriale de la Guyane in JCP A ; n° 23 ; 12 juin 2017 ; act. 416.
12 « Services publics - Transformation(s) du service public » ; comm. sous CE, 28 juil. 2017, n° 408920 in La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales ; n° 7, 19 février 2018, 2057.
13 A ce propos : de Montalivet Pierre, « Les objectifs de valeur constitutionnelle » in Cahiers du Conseil constitutionnel n° 20 - juin 2006.
14 En 1905, Aristide Briand parlait en ce sens de nécessaire « pacification » pour prendre en compte l’Histoire et non la renier : pour assumer le passé religieux français et non le rejeter.
Auteur
Professeur des universités, Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
Directeur du Laboratoire Méditerranée de Droit public (LM-DP)
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