La spécialisation des juges en Allemagne
p. 181-211
Texte intégral
INTRODUCTION
11. L’Allemagne, un État fédéral – Lorsque fut envisagée la création, à partir des trois zones d’occupation occidentale (américaine, britannique et française), d’un État ouest-allemand, les trois puissances alliées exigèrent que cet État prenne une forme fédérale afin que le pouvoir ne soit pas concentré de façon dangereusement centralisatrice mais réparti entre une Fédération (le Bund) et des États fédéraux (les Länder). La République fédérale d’Allemagne a vu le jour le 24 mai1949 (Loi fondamentale du 23 mai 1949, Grundgesetz, GG) sous la forme d’une Fédération regroupant onze États fédérés (qui sont désormais au nombre de seize suite à la réunification des deux Allemagnes)1.
2L’Allemagne, État fédéral, a ainsi deux niveaux de législation : la législation fédérale et la législation régionale de chaque Land. La Loi fondamentale se devait donc de déterminer dans quels domaines la Fédération disposait du pouvoir législatif2 et dans quel domaine les Länder étaient habilités à légiférer par l’intermédiaire de leur assemblée parlementaire régionale (le Landtag). Dans certains domaines où une nécessité extrême d’unité sur tout le territoire se fait sentir, seul la Fédération a le pouvoir de légiférer (ausschlieβliche Gesetzgebungsbefugnis des Bundes) : il en va ainsi par exemple en matière d’affaires étrangères, de défense, de protection de la population civile, de nationalité au sein de la Fédération, de délivrance des passeports, d’extradition, de monnaie, d’heure officielle etc3. Dans d’autres domaines, les plus nombreux, il existe un pouvoir législatif concurrent (konkurrierende Gesetzgebung) de la Fédération et des États fédérés (art. 72 et 74 GG). Les États fédérés ont alors le droit d’adopter des lois régionales “tant que et dans la mesure où la Fédération n’a pas fait usage de sa compétence législative”4. Dans certains domaines5 relevant du pouvoir législatif concurrent du Bund et des Länder, le premier n’a le droit de légiférer que si et dans la mesure où l’établissement de conditions de vie équivalentes sur tout le territoire allemand ou bien la garantie de l’unité juridique ou économique du pays nécessite une législation fédérale dans l’intérêt général (art. 72, al. 2 GG)6. Le pouvoir législatif concurrent de la Fédération et des États fédérés concerne notamment le droit civil, le droit pénal, l’organisation juridictionnelle (Gerichtsverfassung)7, la procédure devant les juridictions, les professions d’avocat, de notaire, le conseil juridique8, le droit du travail, l’expropriation, le code de la route…. En pratique, la plupart des lois adoptées dans ces domaines sont de nature fédérale, car un besoin d’unité sur tout le territoire était perceptible. Il en va notamment ainsi des règles de droit civil (contenues pour beaucoup dans le Bürgerliches Gesetzbuch, BGB), du droit pénal (Strafgesetzbuch – Code pénal, Strafprozessordnung, StPO – Code de procédure pénale), des dispositions générales en matière d’organisation juridictionnelle (Gerichtsverfasssungsgesetz, GVG, loi sur l’organisation juridictionnelle) ou encore du Code de procédure civile (Zivilprozessordnung, ZPO). De même existent des lois fédérales sur la profession d’avocat (Bundesrechtsanwaltsordnung, BRAO), les magistrats (Deutsches Richtergesetz, DRiG) ou encore les notaires (Bundesnotarordnung, BNotO).
3Le modèle fédéral implique qu’il existe des juridictions régionales (celles de première et deuxième instance, ainsi que des juridictions constitutionnelles) et des juridictions fédérales (les Cours suprêmes de la Fédération). Cette division a des conséquences sur le mode de nomination des juges, qui n’est pas le même suivant que la juridiction est une juridiction d’un Land ou une Haute juridiction de la Fédération.
42. Organisation juridictionnelle allemande – Cinq ordres de juridiction9. L’organisation juridictionnelles allemande fait apparaître cinq ordres de juridiction10, et non pas seulement deux comme en France, ce qui atteste d’une spécialisation accrue des juridictions en République fédérale allemande : 1° la juridiction ordinaire ou de droit commun (ordentliche Gerichtsbarkeit)11, qui est compétente pour les affaires civiles tant gracieuses que contentieuses et pour les affaires pénales ; 2° la juridiction du travail (Arbeitsgerichtsbarkeit), qui est compétente en matière de conflits individuels du travail ainsi que pour les litiges entre parties à une convention collective de travail (v. §§ 2 et s. de la loi sur les juridictions du travail, ArbGG) ; 3° la juridiction administrative générale (Verwaltungsgerichtsbarkeit), qui est compétente dans toutes matières de droit public non expressément attribuées à un des deux ordres de juridiction de droit public ; 4° la juridiction du contentieux social de droit public (Sozialgerichtsbarkeit), notamment les litiges entre médecins et caisses d’assurance maladie, ou entre particuliers et diverses caisses de droit public (assurance-chômage, retraites etc.) ; 5° la juridiction du contentieux fiscal (Finanzgerichtsbarkeit). Il apparaît ainsi que si l’on compare avec le modèle français, l’ordre judiciaire est subdivisé en deux branches en Allemagne, la juridiction du travail étant dissociée de la branche générale ; de même, l’ordre administratif est divisé, en trois branches lui, car les contentieux spéciaux relevant du droit social ou du droit fiscal sont traités par un ordre de juridiction spécial. Ces cinq ordres de juridiction sont tous coiffés par la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) qui a pour mission de veiller au respect de la Constitution par les trois pouvoirs et dont la compétence est établie dans l’article 93 de la Loi fondamentale. Les États fédérés (Länder) ont chacun en outre une juridiction constitutionnelle (Verfassungsgerichshof) veillant au respect de la Constitution du Land12.
5Cette division en cinq ordres de juridiction résulte de l’article 95 al. 1er de la Loi fondamentale (GG) qui énonce que pour les domaines de la juridiction ordinaire, de la juridiction administrative, des juridictions fiscale, du travail et du contentieux social, la Fédération établit des Cours suprêmes qui sont respectivement la Cour fédérale de Justice, la Cour administrative fédérale, la Cour fédérale des Finances, la Cour fédérale du Travail et la Cour fédérale du Contentieux social. La doctrine constitutionnelle en déduit que la Loi fondamentale contient ainsi une garantie de principe d’une juridiction organisée par matière (“prinzipielle Gewähr einer fachlich gegliederten Gerichtsbarkeit”)13.
6Chaque ordre dispose de ses propres juridictions14.
73. Les juridictions allemandes – Les juridictions des Länder
8a) La juridiction ordinaire (ordentliche Gerichtsbarkeit) se compose de trois juridictions régionales : le Tribunal cantonal (Amtsgericht, AG), le Tribunal régional (Landgericht, LG) et le Tribunal régional supérieur (Oberlandesgericht, OLG). Les deux premiers correspondent (avec certaines différences toutefois) aux tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance français15. Ils statuent en première instance. Au sein des Tribunaux cantonaux a été créé en 1977 une division spéciale dénommé Tribunal de la famille (Familiengericht), qui statue également à juge unique dans les affaires de droit de la famille. Une des spécificités allemandes concerne l’appel des jugements civils : contrairement au principe d’unité de la juridiction civile d’appel consacré par le droit français, deux juridictions civiles peuvent être compétentes en appel selon le droit allemand : 1° le Tribunal régional16 pour les appels interjetés contre les jugements du Tribunal cantonal17, sauf en matière de droit de la famille et de filiation (Kindschafts-und Familienrecht) ; 2° le Tribunal régional supérieur, compétent pour connaître des appels contre les décisions rendues par le Tribunal régional en première instance, et contre les jugements du Tribunal cantonal en matière de filiation ou de droit de la famille.
9Ces trois juridictions portent le même nom lorsqu’elles statuent en matière pénale. Plusieurs types de formation existent alors en leur sein, suivant la nature et la gravité de l’infraction poursuivie18.
10b) La juridiction du travail se compose en première instance des Tribunaux du travail (Arbeitsgerichte) et en appel des Tribunaux régionaux du travail (Landesarbeitsgerichte), qui relèvent de la compétence du Land et sont des juridictions régionales19.
11c) La juridiction administrative générale20 a deux juridictions au niveau du Land : le Tribunal administratif (Verwaltungsgericht) et le Tribunal administratif supérieur (Oberverwaltungsgericht, parfois dénommé cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) qui statue en appel.
12d) La juridiction du contentieux social21 a également deux niveaux de juridiction sur le plan régional : le Tribunal du contentieux social (Sozialgericht) et le Tribunal régional du contentieux social (Landessozialgericht) qui statue sur recours contre les décisions de première instance du Sozialgericht.
13e) Enfin, la juridiction du contentieux fiscal22 n’a, elle qu’une seule instance organisée au sein des Länder devant les Tribunaux du contentieux fiscal (Finanzgericht). Il n’existe pas d’instance d’appel. Cet ordre se compose donc de seulement deux degrés de juridiction.
144. Les juridictions fédérales – Les Oberste Gerichtshöfe des Bundes (Cours suprêmes de la Fédération) – Aux cinq ordres de juridiction allemands correspondent cinq Cours suprêmes fédérales qui statuent sur des recours similaires au pourvoi en cassation français et dénommés Revisionen. Chaque ordre de juridiction dispose d’une Cour suprême fédérale : pour l’ordre de droit commun, il s’agit de la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) située à Karlsruhe ; pour la juridiction du travail, la Cour fédérale du Travail (Bundesarbeitsgericht) dont le siège est à Erfurt ; pour la juridiction administrative générale, la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) à Leipzig ; pour la juridiction du contentieux social, la Cour fédérale du contentieux social (Bundessozialgericht) sise à Kassel ; enfin, l’ordre financier et fiscal est coiffé par la Cour fédérale des Finances (Bundesfinanzhof) située à Munich23. Le fédéralisme se traduit ainsi par l’implantation de ces juridictions équivalentes à la Cour de cassation ou au Conseil d’État dans différentes villes d’Allemagne et notamment, depuis la réunification allemande du 3 octobre 1990, dans certaines villes de l’Est de l’Allemagne (Leipzig au lieu de Berlin initialement pour la Cour administrative fédérale, Erfurt au lieu de Kassel pour la Cour fédérale du Travail). Les juges nommés auprès de ces Hautes juridictions sont des juges fédéraux (Bundesrichter) alors que les magistrats siégeant dans les juridictions de première instance ou d’appel sont des juges régionaux, d’un Land particulier (Landesrichter).
15Enfin, tout en haut de la pyramide se place la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), qui peut notamment censurer pour violation de la Constitution les décisions rendues même par les cinq Cours suprêmes de la Fédération. Ses magistrats, les juges constitutionnels (Verfassungsrichter), ne sont pas des magistrats professionnels et sont nommés à la suite d’une procédure particulière qui suppose une élection ; leur mandat est de douze ans et n’est pas renouvelable.
165. Les études juridiques en Allemagne – Les études juridiques ont fait l’objet en Allemagne d’une réforme par une loi du 11 juillet 200224. Néanmoins, le modèle du Einheitsjurist (juriste unitaire) a été maintenu, qui suppose que jusqu’à la fin de leurs études, les étudiants en droit – même en optant pour une spécialisation – suivent des cours tant en droit privé qu’en droit public et en droit pénal et que lors des deux grands examens d’État, ces trois grands champs fassent l’objet de plusieurs examens écrits chacun d’une durée de cinq heures25. Pendant les premières années d’études, les étudiants doivent réussir des “petits” puis des “grands” exercices (Übungen se composant d’un écrit sous surveillance – Klausur - et d’un cas pratique à préparer en plusieurs semaines chez soi et en bibliothèque, Hausarbeit) dans chacun des trois grands domaines précités (droit civil, droit pénal, droit public). L’étudiant doit en outre, depuis 2003, suivre un enseignement de langue ou de droit étranger26. Quant l’étudiant a obtenu les trois petits et les trois grands certificats ainsi qu’une note de séminaire27, il peut alors se présenter au premier examen d’État (erste Staatsprüfung) dont, depuis la réforme de 2002, 30 % de la note est constituée par un examen organisé par l’université elle-même dans la matière optionnelle choisie par le candidat (Schwerpunktbereich). Le reste de l’examen d’État consiste en plusieurs examens écrits puis, en cas d’admissibilité, plusieurs mois plus tard en un examen oral organisés par l’administration du Land (Justizprüfungsamt, service des examens de la justice) et non par l’université elle-même. Les examens écrits sont pratiquement exclusivement de nature pratique (rédaction de conclusions, de jugement…).
17Une fois le premier examen d’État obtenu, l’étudiant quitte l’université et devient Referendar, c’est-à-dire stagiaire rémunéré par l’administration de l’État fédéré. Pendant deux ans, le Referendar fait des stages afin de découvrir le métier de juge, celui d’avocat, le parquet ou la juridiction pénale, et l’administration. La loi du 11 juillet 2002 prévoit des stages obligatoires (Pflichtstation) mais également des stages libres (Wahlstation). Sont obligatoires : un stage auprès d’une juridiction civile ; un stage auprès du parquet ou d’une juridiction pénale ; un stage auprès d’une administration et enfin un stage en cabinet d’avocat. Chacun de ces stages doit durer au moins trois mois, sauf le stage en cabinet d’avocat qui est désormais de neuf mois en raison du fait que la plupart des juristes (environ 80 %) obtenant le second examen d’Etat exerceront la profession d’avocat28. En outre, d’autres stages doivent être accomplis mais le Referendar peut les choisir librement dans certaines limites : chambre de commerce, institutions européennes ou internationales, stage à l’étranger dans une entreprise, un cabinet d’avocat, une juridiction etc29.
18A l’issue des deux ans de stage, le candidat peut se présenter au second examen d’État (zweite Staatsprüfung). L’examen se compose là encore d’un nombre assez élevé d’examens écrits portant notamment sur les stages obligatoires (rédaction de jugement, de consultation…) ainsi que d’un examen oral dont la note ne peut compter pour plus de 40 % dans la moyenne globale. La moyenne30 obtenue à ce deuxième examen d’État est essentielle car elle va conditionner l’accès à certaines professions et parfois la carrière future du candidat. Ainsi, dans les Länder qui connaissent la profession de notaire (et non pas d’avocat-notaire)31, les trois ou quatre meilleurs candidats du Land pourront devenir notaires. Il est également nécessaire d’avoir obtenu une moyenne élevée au second examen d’État pour pouvoir devenir magistrat, fonctionnaire d’un ministère régional ou fédéral, fonctionnaire dans une autre administration (municipale, régionale…). Aucun concours supplémentaire n’est requis, contrairement au droit français, pour devenir magistrat ou avocat. N’importe quelle personne ayant obtenu la moyenne de 4/18 au deuxième examen d’État peut devenir avocat et demander à la Chambre des avocats (Rechtsanwaltskammer) de lui délivrer une autorisation d’exercer la profession, dès lors que les conditions de moralité requises sont remplies. Ceci explique le nombre (trop) élevé d’avocats (Rechtsanwälte) en Allemagne : au 1er janvier 2011, l’Allemagne comptait 156 479 avocats (dont 39 avocats spécialisés auprès de la Cour fédérale de Justice).
196. Comment devient-on magistrat ? – Pour devenir magistrat professionnel, il faut d’abord être de nationalité allemande et remplir la condition d’avoir obtenu la Befähigung zum Richteramt (la capacité aux fonctions de juge, § 9 no 3 DRiG32), ce qui signifie qu’il faut être en possession du deuxième examen d’État en droit33. En outre, il convient d’avoir obtenu une mention élevée34 à cet examen d’État. Il faut ensuite postuler auprès du ministère compétent de l’État fédéré. Ainsi, pour devenir juge civil ou pénal ou membre du parquet, il faut adresser sa candidature à l’issue de la proclamation des résultats du second examen d’État au ministère de la Justice du Land. Pour la juridiction du travail en revanche, c’est le ministère du travail du Land qui est compétent et gère ces juridictions et leur personnel, qu’il recrute. Il s’agit du ministère des affaires sociales pour la juridiction du contentieux social35, et encore d’un autre ministère pour la juridiction administrative générale. Il est impossible de commencer sa carrière de magistrat dans une juridiction fédérale. Le titulaire du deuxième examen d’État est tout d’abord magistrat dans une juridiction de première instance du Land36 (en général celui dans lequel il a obtenu son examen). Le droit allemand pose le principe d’égal accès aux fonctions publiques, mais en cas de candidatures multiples, le ministère de l’État fédéré compétent choisit en fonction du niveau des candidats, et essentiellement donc de leur moyenne au deuxième examen d’État37. Toutefois, un entretien individuel est possible, sans pour autant être obligatoire. Dans certains Länder, il a été prévu qu’au sein du gouvernement régional ou du ministère régional concerné, une commission siège pour choisir les juges régionaux, mais cela n’est pas le système majoritaire38. Pour les fonctions plus élevées au sein de la magistrature du Land, un Conseil présidentiel (Präsidialrat) doit être réuni afin de donner son avis sur la promotion39.
20Les modes de nomination sont spécifiques pour les juges fédéraux (Bundesrichter), et notamment pour les juges constitutionnels (Bundesverfassungsrichter). Ces derniers sont au nombre de seize (répartis en deux sénats) ; ils sont élus pour moitié par une commission électorale du Bundestag et pour moitié par le Bundesrat, donc par le Parlement fédéral. Mais afin d’éviter que la majorité politique au pouvoir ne “place” des personnalités politiquement proches d’elle, une majorité des 2/3 est exigée, ce qui impose aux partis représentés au Parlement de trouver une certain consensus. Le juge constitutionnel est nommé pour douze ans ; afin de lui assurer une véritable indépendance, sa réélection est impossible.
21Les juges fédéraux40 près l’une des cinq Cours suprêmes de révision (qui exercent une mission similaire à celle de la Cour de cassation ou du Conseil d’État) sont nommés par le ministre fédéral compétent en accord avec une commission d’élection des juges (Richterwahlausschuss)41. Le schéma est en général le suivant (mais des différences peuvent exister d’un État fédéré à l’autre) : le ministère du Land fait une proposition de nomination d’un juge de son Land car une certaine proportionnalité doit être respectée au sein des juridictions fédérales afin que soient nommés des juges de tous les États fédérés ; d’autres propositions peuvent également être formulées. La Cour suprême fédérale compétente (par exemple la Cour fédérale de Justice) est sollicitée de donner son avis sur le candidat proposé42 ; elle le fait par l’intermédiaire de son Präsidialrat (conseil présidentiel, § 55 DRiG)43. La commission d’élection des juges (Richterwahlausschuss) qui, en vertu de l’article 95, al. 2 GG, se compose du ministre fédéral compétent44 (par ex. le ministre fédéral de la Justice pour la nomination des juges de la Cour fédérale de Justice compétente en matière civile et pénale) qui préside, des ministres45 des Länder et d’un nombre égal de membres élus par le Bundestag46 ; ces derniers sont en général des députés, mais ce n’est pas une condition légale. Ainsi est assurée la “légitimité” démocratique47 des juges fédéraux. Tous les membres de la commission d’élection peuvent formuler des suggestions de candidature48.
22La commission examine si le candidat présente les qualités professionnelles et personnelles requises pour exercer les fonctions de juge fédéral (§ 11 RichterwahlG) ; elle statue par vote secret à la majorité des voix exprimées. Si le ministre fédéral approuve le choix49, il demande qu Président fédéral de procéder à la nomination du magistrat (§ 13 RichterwahlG). C’est en effet le Président fédéral qui nomme tous les juges fédéraux.
237. La terminologie : Richter, Staatsanwalt – Le droit allemand ne connaît pas d’expression similaire à celle de “magistrat” qui engloberait les magistrats du siège et ceux du parquet. Il fait une distinction nette entre les “juges” (Richter) qui sont exclusivement les magistrats du siège, et les “Staatsanwälte” (procureurs ou substituts du procureur) qui sont les magistrats du parquet ne disposant pas de l’indépendance de la magistrature du siège.
248. Annonce du plan – Il conviendra dans un premier temps d’examiner les règles posées en Allemagne en matière de spécialisation (I), puis de s’interroger sur la portée du principe d’inamovibilité des juges du siège sur la spécialisation, et ce au regard de difficultés rencontrées aujourd’hui par la justice allemande (II).
I – LES RÈGLES EN MATIÈRE DE SPÉCIALISATION
259. Le début de carrière du magistrat allemand se déroule auprès d’une juridiction régionale (A). La spécialisation se réalise de facto en principe auprès d’un seul et unique ordre de juridiction, même s’il existe quelques exceptions (B). Au sein d’une juridiction, des spécialisations sont également effectives (C) mais la promotion d’un magistrat peut le conduire à changer de spécialisation au sein d’un domaine juridique. Ne seront exposées ici que les règles applicables aux magistrats professionnels, et non celles qui permettent à des non professionnels de participer à l’exercice de la justice (ehrenamtliche Richter)50.
A – Le début de la carrière
2610. L’Allemagne étant un État fédéral, il convient de se garder de toute généralisation abusive car les débuts puis le déroulement de la carrière d’un magistrat peuvent être sujets à des réglementations partiellement différentes d’un État fédéré à l’autre.
2711. Toutefois, les règles qui s’appliquent dans presque tous les Länder sont les suivantes :
le magistrat débute sa carrière auprès d’une juridiction de première instance du Land. Le débutant est tout d’abord magistrat stagiaire (Richter auf Probe51) ; est nommé Richter auf Probe en principe le juriste qui, ensuite, après une période de stage52, sera nommé magistrat à vie (§ 12 DRiG), qu’il occupe des fonctions au siège ou au parquet. La période de stage est de cinq ans au plus. Certaines fonctions au sein d’un tribunal ne peuvent être confiés à un magistrat débutant. Il en va par exemple ainsi de la fonction de juge de la famille ( Familienrichter) auprès du Tribunal cantonal : un magistrat dans sa première année de stage ne peut occuper cette fonction (§ 23b, al. 3 GVG). De même, en vertu du § 29 DRiG, une décision collégiale ne peut être rendue par une formation comportant plus d’un magistrat stagiaire. Les juridictions régionales supérieures (d’appel) et les juridictions fédérales ne peuvent être composées de magistrats stagiaires.
En Allemagne, la plupart des États fédérés exigent d’un magistrat débutant qui souhaite exercer des fonctions de magistrats du siège, qu’il passe par le parquet pendant au moins un ou deux ans. L’objectif est de donner au futur magistrat du siège une vue d’ensemble de la fonction de magistrat. Ainsi, un jeune magistrat peut commencer au siège, puis être substitut du procureur pendant quelques années avant de revenir au siège ; il peut également débuter au parquet pour ensuite revenir au siège. Cette obligation, contraire au principe de spécialisation, est appliquée assez strictement par la plupart des États fédérés dans le but de donner au jeune magistrat une vision transversale de la justice.
Il n’est pas rare qu’en matière civile, les magistrats débutants soient tout d’abord nommés au sein d’une formation collégiale du Tribunal régional. Ils peuvent aussi commencer comme juge cantonal (ils statuent alors à juge unique).
B – La spécialisation au sein d’un ordre de juridiction
2812. Comme cela a été exposé en introduction, la nomination du magistrat au sein d’une juridiction d’un État fédéré est le fait du ministère compétent, soit le ministère de la justice pour les juridictions civiles et pénales (Tribunal cantonal, Tribunal régional, Tribunal régional supérieur), le ministère du travail pour les juridictions du travail etc. Dès lors, en adressant sa candidature à un ministère régional compétent pour le recrutement des magistrats des juridictions relevant de sa compétence, le juriste fait un choix d’orientation et de spécialisation. Ainsi, un juriste spécialisé en droit social déposera sa candidature auprès du ministère des affaires sociales du Land et, si sa candidature est jugée de bonne qualité, il sera nommé magistrat auprès d’un Tribunal du contentieux social (Sozialgericht). Chaque ministère a ainsi un service du personnel qui recrute les magistrats de l’ordre de juridiction correspondant aux missions dudit ministère.
2913. Changement d’ordre de juridiction ? - Dès lors, il apparaît difficile à un magistrat de passer d’un ordre de juridiction à l’autre. Il semble que, dans les rares cas où ceci se produise, cela soit le fait de juristes de moins de quarante ans qui décident de procéder à une nouvelle orientation professionnelle au sein de la magistrature. D’après l’opinion de collègues allemands (aucune statistique n’est disponible sur ce point), seulement 5 % environ des magistrats procéderaient à une telle réorientation et passeraient d’une juridiction civile à une juridiction pénale ou administrative ou inversement. Le passage à la juridiction du travail ou à la juridiction du contentieux social en provenance d’un autre ordre de juridiction semble exclu en pratique.
3014. Évolution de carrière – Il est possible en Allemagne de faire toute sa carrière au sein d’un Tribunal cantonal (équivalent du tribunal d’instance français) ; certains magistrats optent pour cette solution car ils souhaitent avant toute chose préserver leur autonomie de travail. Le juge cantonal statuant à juge unique53 et s’occupant de dossiers variés, cette fonction est appréciée.
31Toutefois, le magistrat qui entend faire carrière s’efforcera de devenir magistrat d’appel auprès du Tribunal régional supérieur (Oberlandesgericht), ou bien président de chambre auprès du Tribunal régional, ou encore président de Tribunal régional. Cette promotion est en général obtenue vers l’âge de quarante-cinq ans. La juridiction d’appel dispose de chambres spécialisées (Senate) en matière civile ou pénale.
32Enfin, une promotion comme juge fédéral auprès d’une des Cours suprêmes de révision (cassation)54 de la Fédération suppose, comme cela a déjà été mentionné, d’être proposé par le ministère compétent du Land (qui peut proposer plusieurs candidats) ou par un membre de la commission électorale et d’être ensuite élu par ladite commission ; le vote doit être entériné par le ministre fédéral qui demande alors la nomination du magistrat par le Président fédéral. Une fois nommé, le nouveau juge fédéral va devoir être affecté à une chambre, par exemple de la Cour fédérale de Justice55. Si le magistrat est spécialisé en matière civile, il sera affecté à une chambre civile ; s’il a au contraire essentiellement siégé en matière pénale, il sera affecté à une des cinq chambres criminelles de la Cour. La décision d’affectation est prise par le Präsidium (bureau présidentiel) de la Cour fédérale de Justice, qui se compose du Président de la Cour, de présidents de chambres et de magistrats élus. Le Präsidium arrête chaque année les critères de répartition des affaires entre les chambres (Geschäftsverteilungsplan) ; il fixe ainsi les domaines juridiques dont connaîtra chaque chambre civile56, la composition des formations de jugement (Spruchkörper), la désignation des juges d’instruction ainsi que la désignation des remplaçants pour le cas où un juge serait empêché ou en vacances. Le plan de répartition des affaires, qui est exigé de toute juridiction en raison du principe constitutionnel du juge naturel (gesetzlicher Richter) est, pour la Cour fédérale de Justice, publié chaque année dans un journal d’annonces légales, le Bundesanzeiger.
33Le juge fédéral est donc affecté à une chambre de la Cour suprême par décision du Präsidium en fonction des besoins et, éventuellement, des spécialités.
3415. Il apparaît ainsi qu’assez tôt en Allemagne s’opère une spécialisation du juge dans une grande branche juridique (par exemple le droit civil, ou le droit pénal, le droit du travail etc.). Pour éviter une spécialisation prématurée, il est toutefois exigé du magistrat débutant qu’il passe par le parquet un ou deux ans même s’il souhaite devenir juge du siège ou a débuté comme juge du siège. Une fois la période de stage terminée, le magistrat peut ou bien rester généraliste (c’est le cas du juge cantonal qui connaît d’affaires diversifiées), ou bien se spécialiser en se voyant par exemple affecté à la chambre commerciale du Tribunal régional57.
C – La spécialisation au sein d’une juridiction
3516. Aucune disposition législative fédérale ou régionale n’aborde la question de la spécialisation des magistrats au sein d’une juridiction. La question apparaît seulement indirectement dans le cadre de la détermination abstraite et préalable de la compétence de chaque chambre d’un tribunal afin de respecter la garantie constitutionnelle du juge naturel (Art. 101, al. 1er de la Loi fondamentale, GG)58. Chaque année, le bureau présidentiel de la juridiction détermine le domaine de compétence de chacune des chambres et les magistrats affectés à chaque chambre. Ceci ne veut pas pour autant dire que chaque année, des changements majeurs sont opérés. En général, les magistrats restent dans la chambre à laquelle ils ont été affectés initialement, ce qui permet une spécialisation de facto. Il est au contraire possible qu’un magistrat qui s’occupait d’affaires civiles générales, dans le cadre du Tribunal cantonal, se voit proposer de devenir juge de la famille au sein de ce même tribunal, ce qui est une activité très différente.
36Dès lors, à la question de la spécialisation des juges allemands au sein d’une juridiction, il convient de répondre que les textes sont muets, que néanmoins une spécialisation de fait se produit en général, mais qu’au gré d’une promotion dans une autre fonction (par exemple président de chambre, ou président de juridiction, ou bien encore juge d’appel auprès du Tribunal régional supérieur ou d’une juridiction d’appel d’un autre ordre de juridiction), la spécialisation peut évoluer.
37Au sein des juridictions civiles de première instance, les seules fonctions vraiment spécifiques sont celles de juge de la famille (Familienrichter) au sein du Tribunal cantonal et de juge de la chambre commerciale au sein du Tribunal régional. Contrairement au droit français, il n’existe pas de juge spécifique des tutelles (celles-ci relèvent tu Tribunal cantonal de façon générale)59. En revanche, il existe au sein du Tribunal cantonal un tribunal de l’exécution (Vollstreckungsgericht) ou un juge des enfants en matière pénale auprès du Tribunal cantonal.
3817. Au sein de la Cour fédérale de Justice – Comme cela a été mentionné, la Cour fédérale de Justice, plus haute juridiction en matière civile et pénale, est composée de douze chambres civiles et de cinq chambres criminelles. Si l’on observe, à l’aide du plan annuel de répartition des affaires entre les chambres civiles, les compétences de chacune d’entre elles, il apparaît que chaque chambre se voit attribuer une liste très précise de compétences.
39Ainsi par exemple, la première chambre civile (erster Zivilsenat) connaît des matières suivantes (la liste comporte 11 points très détaillés) : litiges en matière de droit d’auteur, d’édition, de dessins et modèles ainsi que de droit de la personnalité utilisé de façon commercial par son titulaire ; litiges en matière de propriété industrielle (à l’exclusion des domaines de compétence de la 10ème chambre civile en la matière) et notamment en droit des marques, de la concurrence déloyale ainsi que du droit du nom quand au risque de confusion dans les activités commerciales ; les litiges en matière de contrat de commission, de transport, de conservation de marchandises en entrepôt… La deuxième chambre civile est spécialisée en droit des sociétés avec un liste très détaillée de compétences (points a à i). La troisième chambre civile connaît notamment des affaires de dommages-intérêts à l’encontre de personnes publiques ou de fonctionnaires et notaires, de responsabilité des experts judiciaires, d’indemnisation suite à expropriation ou mesures de poursuites pénales, de demandes fondées sur la Convention européenne des droits de l’homme ; d’affaires de construction, de fondation et de divers contrats spéciaux (compétence en plus de 17 domaines, parfois subdivisés)60. La quatrième chambre civile connaît des litiges en matière de droit des successions, de certaines affaires de contrats d’assurance, de prêt, de certains affaires de droit de la famille.
40La douzième chambre civile, elle, est plus spécialement la chambre de la famille : elle est compétente en matière de droit des personnes, notamment de droit au nom (§ 12 BGB) et de déclarations de décès ; de droit de la famille et des cohabitations hors mariage ; de tout litige patrimonial entre époux suite à une rupture du lien conjugal ainsi qu’entre concubins ; de décisions de placement (Unterbringungssachen) sur le fondement du § 312 FamFG ; de détermination de la juridiction compétente en matière de litiges de droit de la famille et du mariage ; de reconnaissance et d’exequatur des décisions étrangères en droit de la famille ; enfin des litiges en matière de baux locatifs et de baux ruraux ainsi que de prêt et de dépôt dans le cas où aucune autre chambre n’est expressément compétente.
41En raison du nombre important de chambres civiles, on constate que leur spécialisation est plus poussée que devant la Cour de cassation française61. Dès lors, le juge fédéral appartenant à telle ou telle chambre développera une spécialisation dans les domaines juridiques relevant de la compétence de cette chambre.
4218. La justice allemande évolue. Les contentieux ne prennent pas la même ampleur devant les cinq ordres de juridiction. Des diminutions de contentieux ici, des augmentations là en fonction de l’adoption de nouvelles dispositions par le législateur, ont amené les Länder allemands, les praticiens et la doctrine à s’interroger sur la possibilité d’introduire de la souplesse dans l’affectation des magistrats. A cette volonté risque toutefois de s’opposer le principe d’inamovibilité des juges du siège.
II – L’INFLUENCE DU PRINCIPE D’INAMOVIBILITÉ
4319. Les magistrats du siège (Richter) bénéficient, sauf cas exceptionnel, du principe d’inamovibilité (A). Ceci a pu conduire à des difficultés pratiques en Allemagne en raison de la diminution du contentieux dans certains ordres de juridiction et de son augmentation dans d’autres (B). Diverses solutions ont été envisagées, qui n’ont pas encore donné lieu à réforme législative qui pourrait, si elle était adoptée, diminuer la spécialisation des juges en élargissant le type de juridiction auquel ils pourraient être affectés (C).
A – Le principe
4420. Le principe d’inamovibilité des magistrats du siège découle du principe d’indépendance (Unabhängigkeitsgrundsatz)62. Ainsi, l’article 97 de la Loi fondamentale énonce-t-il dans son alinéa premier que les juges du siège (Richter) “sont indépendants et ne sont soumis qu’à la loi”63, puis ajoute dans son second alinéa que les juges du siège qui ont été nommés à vie comme juges professionnels ne peuvent, contre leur volonté, être révoqués avant le terme de leurs fonctions, se voir retirer leurs fonctions de façon durable ou temporaire, faire l’objet d’une mutation ou d’une mise à la retraite d’office que sur le fondement d’une décision juridictionnelle et pour les motifs et selon les formes prévus par la loi. La dernière phrase de l’alinéa 2 précise qu’en cas de modification de la carte judiciaire, le juge du siège peut être muté auprès d’une autre juridiction ou perdre ses fonctions, mais avec maintien de la totalité de sa rémunération.
45Ainsi, l’inamovibilité est-elle inscrite dans la Constitution allemande pour les magistrats du siège comme conséquence de leur indépendance64.
4621. Le principe d’inamovibilité du juge du siège (Richter) découle également a contrario du § 30 de la loi allemande sur les juges (DRiG). Ce texte énonce qu’“un magistrat nommé à vie ou un magistrat nommé pour une durée déterminée ne peut être muté sans son consentement écrit que dans les cas suivants :
lors d’un procédure en accusation du juge (art. 98, al. 2 et 5 GG)65 ;
suite à une procédure disciplinaire juridictionnelle ;
dans l’intérêt du service public de la justice66 ;
en cas de transformation de l’organisation juridictionnelle67.
47L’alinéa 2 du § 30 DRiG précise que la mutation (Versetzung) ou la perte de fonctions (Amtsenthebung) ne peut, sauf dans l’hypothèse no 4, avoir lieu que sur le fondement d’une décision juridictionnelle irrévocable.
4822. Si le principe d’inamovibilité des magistrats du siège doit être salué comme constituant une garantie essentielle de leur indépendance, il a toutefois conduit depuis quelques années en Allemagne à de nouvelles discussions en raison de l’évolution des contentieux des cinq ordres de juridiction, et surtout de la juridiction administrative générale et de la juridiction du contentieux social.
B – Les difficultés pratiques
4923. Aujourd’hui en effet, certains Länder allemands (notamment celui de Thuringe) souhaiteraient pouvoir avoir davantage de latitude pour déplacer un magistrat d’un tribunal à l’autre, voire d’un ordre juridictionnel à l’autre en cas de besoin68. Cette revendication est apparue notamment à la suite de l’attribution du contentieux de l’aide sociale69 aux tribunaux du contentieux social alors qu’il était jusqu’alors traité par les tribunaux administratifs, ce qui conduisit à une surcharge de travail des juridictions du contentieux social et à des effectifs de magistrats trop élevés pour le nombre d’affaires à trancher devant les juridictions administratives ordinaires. Une loi permit certes aux Länder de faire fonctionner, pour une durée limitée, des chambres de tribunaux administratifs comme formation de jugement d’un tribunal du contentieux social. Mais cette solution ne pouvait être pérenne. Or les juridictions sociales, qui connaissent de litiges sensibles entre le citoyen et l’État70, ont besoin de magistrats supplémentaires.
5024. Lorsque la loi spéciale ne fut plus applicable, il apparut que le déséquilibre d’effectifs par rapport au nombre de dossiers en attente, entre juridictions sociales et juridictions administratives ordinaires était important ; or nombre de juges administratifs affectés à la juridiction administrative ordinaires refusèrent une mutation au sein des juridictions sociales. Dès lors, un débat fut engagé en Allemagne sur les voies à suivre pour éviter, en raison de la division en cinq ordres de juridiction conduisant à une spécialisation effective des magistrats, un déséquilibre significatif entre besoins en personnel de chaque ordre et affectations effectives.
C – Les solutions envisagées
5125. La question fut ainsi posée de savoir s’il ne conviendrait pas de fusionner la juridiction administrative ordinaire et la juridiction du contentieux social71. Le gouvernement fédéral issu des dernières élections législatives avait, dans son programme électoral de coalition, proposé de faciliter aux États fédérés la fusion de ces deux ordres de juridiction en offrant la possibilité (Öffnungsklausel) à chaque Land de décider de procéder ou non à la fusion afin de faciliter une affectation “plus flexible” des magistrats72. Si certaines voix se sont élevées contre cette suggestion73, d’autres au contraire ont approuvé la proposition74. L’un des points faibles de la proposition du gouvernement fédéral consiste, pour certains, à envisager la fusion des deux ordres de juridiction tout en maintenant, pour chacun des deux grands types d’affaires, des règles de procédure différentes : le Code de la juridiction administrative (Verwaltunsgerichtsordnung) d’une part et la loi sur les juridictions sociales (Sozialgerichtsgesetz) de l’autre, selon le modèle de la juridiction ordinaire qui, devant les tribunaux civils applique le Code de procédure civile (Zivilprozessordnung, ZPO) et devant les juridictions pénales le Code de procédure pénale (Strafprozessordnung, StPO). Si ceci peut paraître judicieux lorsque les procédures sont aussi différentes que la procédure civile et la procédure pénale, dont l’objet n’est aucunement identique, des auteurs se demandent75 s’il en va de même pour deux procédures de nature administrative. En outre, selon le projet gouvernemental, la fusion pourrait se limiter aux juridictions de première instance ; la question demeurerait ouverte pour les juridictions d’appel des Länder ; quant aux Cours suprêmes de révision, elles seraient maintenues et il n’y aurait donc pas de fusion entre Cour administrative fédérale et Cour fédérale du Contentieux social.
5226. Cette réforme envisagée est destinée à permettre une plus grande souplesse d’affectation des magistrats76 (que ce soit les juges débutants ou ceux, plus chevronnés, qui visent une évolution de leur carrière) selon les besoins du contentieux, qui peuvent évoluer selon le rythme des lois de réforme telles que la loi Harz IV en matière de chômage (qui a contribué à l’accroissement du contentieux devant les juridictions sociales), ou encore le nouveau recensement à venir, ou le flux de réfugiés en provenance de certains pays. Le gouvernement n’envisage pas de réformer les dispositions relatives à l’inamovibilité des juges du siège, car le risque serait grand de voir une telle réforme être annulée par la Cour constitutionnelle fédérale pour violation de la Loi fondamentale. Dès lors, il suggère de recourir à l’“auto-administration de la justice” (Selbstverwaltung der Justiz) en regroupant certains ordres de juridiction afin de faciliter la gestion des contentieux évolutifs.
53L’intérêt pour les États fédérés serait de pouvoir adapter leur carte judiciaire à la réalité du terrain et donc du nombre d’affaires à juger. L’inconvénient pourrait résulter du fait que, parfois, les ressorts territoriaux des tribunaux administratifs et des juridictions sociales ne sont pas les mêmes, ce qui – en cas de fusion – conduirait à des déménagements coûteux et à de nouvelles installations onéreuses. En outre, la transparence et la “lisibilité” des compétences juridictionnelles serait atteinte77 si chaque Land pouvait opter ou non pour la fusion des juridictions administratives et des juridictions sociales ; la confusion régnerait en Allemagne et le justiciable, selon le Land dont les juridictions seraient compétentes, devrait saisir tel ou tel tribunal, ce qui ne favoriserait pas la clarté de l’accès au tribunal. Certains opposants à la réforme projetée font en outre valoir que cela pourrait être le premier pas vers une fusion de toutes les juridictions en un seul ordre (ou en deux au plus), ce qui porterait atteinte à la spécialisation, gage de qualité des tribunaux et des juges.
5427. La ministre fédérale de la Justice s’est exprimée de façon très prudente sur la question de la fusion de la juridiction administrative de droit commun et de la juridiction sociale, car il convient d’éviter toute réforme qui pourrait porter atteinte aux principes établis par la Loi fondamentale, notamment celui de la division des juridictions allemandes en cinq ordres, qui constitue une reconnaissance par le Constituant de la nécessité de juridictions spécialisées par branches du droit. La question est donc à suivre, car une solution au problème de surcharge des juridictions sociales doit être trouvée. Au prix de l’abandon d’une certaine spécialisation des juges de droit public ? Peut-être, si cela doit permettre au justiciable d’obtenir un jugement de qualité dans un délai raisonnable. Mais pas au prix de l’abandon de toutes les règles spécifiques à la juridiction sociale qui permettent aux plus démunis de la saisir sans frais.
Annexe
ANNEXE I. Schéma de l’organisation juridictionnelle allemande
ANNEXE II. Schéma détaillé de l’organisation juridictionnelle allemande (avec composition des formations de jugement)
Notes de bas de page
1 V. Préambule de la Loi fondamentale.
2 La Fédération exerce son pouvoir législatif par les deux assemblées fédérales : le Bundestag et le Bundesrat. Le Bundesrat est l’assemblée au sein de laquelle sont représentés les Länder (v. art. 50 et s. GG), qui envoient un nombre de représentants de leurs gouvernements qui dépend de la population du Land (chaque Land dispose de trois, quatre, cinq ou six voix selon sa population, art. 51, al. 2 GG ; les voix d’un même Land doivent être exprimées en bloc, v. art. 51, al. 3 GG).
3 V. art. 71 et 73 GG.
4 Art. 72, al. 1er GG.
5 Il s’agit du droit de séjour et d’établissement des étrangers, d’un certain nombre de domaines économiques, de la promotion de la recherche scientifique, de certaines mesures de santé publique, de l’accès à certaines professions de santé…
6 En outre, si l’État a fait usage de son pouvoir de légiférer, les États fédérés peuvent, dans quelques rares domaines, adopter des législations régionales divergentes. Ceci a été introduit par la réforme du fédéralisme de 2006 qui a supprimé le pouvoir de législationcadre de la Fédération (celle-ci adoptant des lois-cadres qui étaient détaillées ensuite dans chaque Land par des lois régionales, par exemple en matière d’enseignement supérieur) et permis en retour aux Länder de déroger à des lois fédérales dans les domaines qui jadis relevaient du pouvoir de législation-cadre de la Fédération : chasse, protection de la nature et des sites, répartition des sols, approvisionnement en eau, accès aux établissements d’enseignement supérieur et diplômes qu’ils délivrent, v. art. 72, al. 3 GG.
7 V. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, Cologne et Munich, C. Heymanns éd., 4ème éd. 2007, no 24 et s. Toutefois, la compétence législative appartient exclusivement à la Fédération lorsqu’il s’agit d’instaurer ou de réglementer des juridictions fédérales.
8 Pour l’intégralité des nombreux domaines relevant du pouvoir législatif concurrent, v. art. 74 GG.
9 V. F. Ferrand, Les ordres de juridiction en République fédérale d’Allemagne, Justices 1995, 357.
10 V. art. 95 de la Loi fondamentale, GG.
11 Sur les motifs historiques de cette appellation, v. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, Cologne et Munich, C. Heymanns éd., 4ème éd. 2007, no 404 : à l’époque de l’entrée en vigueur de la loi sur l’organisation juridictionnelle (Gerichtsverfassungsgesetz, GVG) du 27 janvier 1877, le seul ordre de juridiction étatique organisé selon les principes de l’État de droit, notamment au regard de l’indépendance des magistrats du siège, était celui qui était compétent en matière civile et pénale.
12 V. F. Ferrand, Droit privé allemand, Paris, Dalloz, 1997, no 135 et s.
13 V. Isensee/Kirchhoff (sous la dir.), Handbuch des Staatsrechts, 3ème éd., Band IV, 2007, § 114, no 21, par C. Degenhart.
14 V. en annexe le tableau extrait de F. Ferrand, Droit privé allemand, Paris, Dalloz, 1997, p. 91.
15 Toutefois, contrairement à la France, les affaires de droit de la famille sont jugées par le tribunal de la famille (Familiengericht) qui est une division du Tribunal cantonal (= tribunal d’instance) alors qu’en France, le juge aux affaires familiales est un magistrat du tribunal de grande instance. De même, les Amtsgerichte (tribunaux cantonaux) sont compétents jusqu’à 5 000 euros de valeur du litige (ainsi que pour certaines matières spéciales telles que les baux locatifs, les procédures d’insolvabilité, les tutelles… indépendamment de la valeur du litige) alors que le tribunal d’instance français a une compétence jusqu’à 10 000 euros.
16 Le Tribunal régional (Landgericht) peut donc être tantôt juridiction de première instance (pour les litiges d’une valeur supérieure à 10 000 € ou dans certains matières spéciales telles que les brevets ou l’action en responsabilité pour faute commise par un juge du siège ou un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions), tantôt juridiction d’appel (mais pas dans les mêmes affaires évidemment).
17 L’appel (Berufung) est recevable en matière civile lorsque le grief subi par l’appelant du fait du jugement attaqué dépasse 600 euros, § 511, al. 1er ZPO, Code allemand de procédure civile (il ne s’agit donc pas de la valeur du litige mais du préjudice que cause la décision à l’auteur du recours. Ainsi, si A demande 1 500 euros au tribunal et obtient une condamnation de 1 000 euros à son profit ; son grief est de 500 euros, différence entre ce qu’il a demandé et ce qu’il a obtenu. Il n’est donc pas recevable à former appel à titre principal, alors que son adversaire qui subit, lui ; un grief de 1 000 euros, est recevable à le faire. Si ce dernier interjette appel, l’autre partie peut alors bien entendu former appel incident, Anschlussberufung). Si le grief ne dépasse pas 600 euros, la juridiction de première instance doit néanmoins autoriser l’appel si la question juridique présente une importance de principe ou bien si le développement du droit ou la garantie d’une jurisprudence unitaire nécessite une décision de la juridiction d’appel, § 511, al. 4 ZPO.
18 Ainsi par exemple, auprès du Tribunal cantonal, existent les formations suivantes en matière pénale : juge pénal (Strafrichter), tribunal d’échevins (Schöffengericht) ou encore tribunal d’échevins élargi (erweitertes Schöffengericht). Auprès du Tribunal régional : petite chambre pénale (kleine Strafkammer), grande chambre pénale (groβe Strafkammer) et tribunal d’assises (Schwurgericht). Auprès du Tribunal régional supérieur se trouve la chambre pénale (Strafsenat), v. F. Ferrand, Droit privé allemand, op. cit., no 76, 78 et 82. V. aussi E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 404 et s., 412 et s.
19 V. F. Ferrand, Droit privé allemand, op. cit., no 114 ; E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 418 et s.
20 V. F. Ferrand, Droit privé allemand, op. cit., no 115 ; E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 421 et s.
21 V. F. Ferrand, Droit privé allemand, op. cit., no 116 ; E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 425 et s.
22 V. F. Ferrand, Droit privé allemand, op. cit., no 117 ; E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 428 et s.
23 En cas de divergence de jurisprudence entre ces différentes Cours suprêmes de la Fédération, qui doivent parfois appliquer les mêmes normes de droit public ou privé, une loi fédérale du 18 juin 1968 prévoit que la Haute Cour dont une des chambres envisage de s’écarter de la jurisprudence d’une autre Haute juridiction doit saisir le Sénat commun des Cours suprêmes de la Fédération (Gemeinsamer Senat der Obersten Gerichtshöfe des Bundes) qui tranche alors la question de droit (et non pas le pourvoi). Mais il est très rare qu’une Haute Cour saisisse ce Sénat ; elle trouve mille raisons de ne pas le faire afin de conserver la maîtrise de sa jurisprudence v.. Ki. Miebach, Der Gemeinsame Senat der Obersten Gerichtshöfe des Bundes, Berlin, Duncker et Humblot éd., 1971, E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 391. Le Sénat commun est composé de membres permanents (les présidents des Hautes Cours) et de membres ad hoc (les présidents des chambres concernées et un juge de chacune de ces chambres).
24 BGBl. 2002, I, 2592. Cette loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2003.
25 La réglementation des examens étant toutefois laissée au pouvoir législatif régional de chaque Land, il existe des différences d’un Land à l’autre.
26 La loi précise que l’enseignement dispensé à l’étudiant en droit doit également comporter des cours contenant des éléments de rhétorique, négociation, conciliation. Cette innovation datant de 2002 s’explique par le fait que la plupart des étudiants en droit deviendront avocats, profession pour laquelle il n’existe aucun numerus clausus en Allemagne.
27 C’est-à-dire au plus tôt après trois ans et demi d’études.
28 Sur les statistiques d’exercice de la profession d’avocat, v. http://www.brak.de/seiten/pdf/Statistiken/2010/MGgross2011.pdf (156 479 avocats au 1er janvier 2011, dont 39 avocats spécialisés auprès de la Cour fédérale de Justice, comme il existe également un barreau spécialisé en France auprès de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat). Les avocats étaient en Allemagne au nombre de 36 077 en 1980, 56 638 en 1990, 104 067 en 2000, 132 569 en 2005. Ces dernières années, leur nombre a augmenté de 2 à 4 % chaque année, v. http://www.brak.de/seiten/pdf/Statistiken/2010/EntwicklungRAe.pdf.
29 § 5b DRiG, loi allemande sur les juges.
30 Pour les études de droit en Allemagne, l’échelle de notes va de 1 à 18. La moyenne est à 4 (qui correspond alors à la moyenne française de 10).
31 La plupart des États fédérés ont opté pour le système du notaire qui n’exerce que la fonction de notaire (Nurnotar). Toutefois, dans certains Länder notamment du Nord de l’Allemagne (à Berlin, Brême, en Basse-Saxe, en Hesse et dans le Slesvig-Holstein de même que dans la partie occidentale de la Rhénanie du Nord – Westphalie), ce sont des avocats expérimentés qui exercent à titre accessoire la fonction de notaire ; on les appelle alors Notaranwälte ou Anwaltsnotare.
32 DRiG = Deutsches Richtergesetz, Loi allemande sur les juges.
33 V. §§ 5 et s. DRiG. En outre, tout professeur de droit à l’université est habilité aux fonctions de juge. Il n’est ainsi pas rare que des professeurs exercent à temps partiel la fonction de magistrat auprès d’une juridiction, notamment civile, v. § 7 DRiG.
34 Les mentions sont les suivantes : de 4 à 6 points : passable (ausreichend) ; de 7 à 9 points : satisfaisant (befriedigend) ; de 10 à 12 points : pleinement satisfaisant (vollbefriedigend) ; de 13 à 15 points : bien (gut) ; de 16 à 18 points : très bien (sehr gut). Les mentions bien et très bien sont extrêmement rares.
35 Il semble que de plus en plus, le ministère des affaires sociales du Land accepte de recruter comme magistrat de la juridiction sociale de jeunes juristes ayant acquis une expérience professionnelle auprès de caisses d’assurances sociales ou autres organismes leur permettant d’être très vite opérationnels dans les fonctions de magistrat en matière sociale, v. Bundesfachausschuss Richterinnen, Richter, Staatsanwältinnen und Staatsanwälte, Keine Zusammenlegung der Verwaltungs-und Sozialgerichtsbarkeit zum jetzigen Zeitpunkt, www.verdi.de/.../keine_zusammenlegung_der_verwaltungs-_und_sozialgerichtsbarkeit_zum_jetzigen_zeitpunkt.
36 En cas par exemple de déménagement d’un Land à un autre, il n’est pas garanti que la magistrat au service d’un Land soit embauché par l’autre Land.
37 Toutefois, au début des années 90, en raison de la réunification allemande, un fort besoin de magistrats est apparu pour les cinq nouveaux Länder (neue Bundesländer) ; il était en effet inenvisageable de conserver dans leurs fonctions les magistrats d’Allemagne de l’Est acquis au régime communiste. De nombreux jeunes juristes de l’Ouest ont ainsi pu accéder aux fonctions de magistrats dans les nouveaux Länder avec une moyenne au second examen d’État qui ne leur aurait pas permis d’obtenir une fonction équivalente à l’Ouest.
38 V. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 449.
39 En vertu du § 74 DRiG, chaque ordre de juridiction du Land doit avoir un Conseil présidentiel ; la loi régionale peut toutefois imposer la formation d’un Conseil présidentiel commun à plusieurs ordres de juridiction. Ledit Conseil se compose du président du tribunal et de juges dont la moitié au moins doit être élue. Le Conseil doit être consulté pour la promotion des magistrats ; il donne un avis écrit motivé sur l’aptitude professionnelle et personnelle du candidat.
40 V. R. Scholz, Die Wahl der Bundesrichter, Festgabe 50 Jahre Bundesverwaltungsgericht, 2005, p. 151 ; K. J. Grigoleit/A. Siehr, Die Berufung der Bundesrichter : Quadratur des Kreises ?, DÖV 2002, 45.
41 V. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 504 et s.
42 Depuis quelques années, des magistrats fédéraux ont été nommés malgré l’avis négatif de la Cour suprême fédérale, notamment de la Cour fédérale de Justice, ce qui indique que la nomination des juges fédéraux devient plus politique qu’auparavant. Ainsi, le Conseil présidentiel d’une Haute juridiction fédérale ne peut in fine s’opposer au choix de l’exécutif. Il est déjà arrivé qu’un candidat malheureux auquel un autre avait été préféré ait formé une Konkurrentenklage (recours) devant la juridiction administrative aux fins de contester la nomination du concurrent ; v. G. Bertram, Konkurrentenklagen – “Bestenauslese”, NJW 2001, 3167. Il est toutefois rare que de tels recours aboutissent, v. par ex. le recours contre la nomination, à la Cour fédérale de Justice – contre l’avis de son Conseil présidentiel – de W. Neskovic intenté par son concurrent malheureux O. Hoepner (sans succès).
43 Le Conseil présidentiel de la Cour fédérale de Justice se compose du Président de la Cour, de son représentant permanent, de deux membres élus au sein du Präsidium (bureau présidentiel) et de trois autres membres élus par l’assemblée générale des magistrats de la Cour fédérale de Justice, v. § 54 al. 1er, I. DRiG. La composition est légèrement différente pour les autres Cours suprêmes de la Fédération, v. § 54, al. 1er, 2. DRiG. Le Conseil présidentiel doit donner un avis motivé sur les aptitudes professionnelles et personnelles du candidat, et ce dans le délai d’un mois de sa saisine, § 57 DRiG.
44 Ce dernier n’a toutefois pas de droit de vote, § 9 de la loi sur l’élection des juges, Richterwahlgesetz.
45 Là aussi, il s’agit des ministres de la justice des États fédérés pour les nominations à la Cour fédérale de Justice, des ministres du travail pour les nominations à la Cour fédérale du Travail etc.
46 V. §§ 1 et s. de la loi sur l’élection des juges, Richterwahlgesetz, et notamment § 5 sur l’élection de ses représentants par le Bundestag. La commission se compose aujourd’hui, depuis la réunification allemande de 1990, de seize ministres régionaux, de seize membres élus par le Bundestag (ces trente deux membres ont le droit de vote) et du ministre fédéral, qui la préside sans droit de vote.
47 V. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 449.
48 Les candidats sont essentiellement des magistrats en poste auprès d’une juridiction régionale, mais ce peuvent également être des fonctionnaires d’un ministère régional ou fédéral ou même, mais rarement, des avocats.
49 V. § 1 al. 1er RichterwahlG : “les juges près des Cours suprêmes de la Fédération sont choisis par le ministre fédéral compétent en association avec la commission d’élection des juges et sont nommés par le Président fédéral”.
50 Sur l’implication de juges non professionnels dans la justice allemande et les modes de nomination de ces magistrat, v. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 513 et s. et not., pour les modes de nomination, no 535 et s. La Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) a par exemple jugé que les magistrats non professionnels, même en matière pénale, ne pouvaient être nommés par tirage au sort, ce qui était pendant longtemps le système utilisé pour les échevins des juridictions pénales allemandes, v. C. féd. Justice, 21 sept. 1984, 2 StR 328/84, BGHSt. 33, 41 et not. 42 et s.
51 Le droit allemand connaît quatre types de statut pour les magistrats professionnels : le juge nommé à vie (Richter auf Lebenszeit, § 10 DRiG), le juge nommé pour une durée limitée (Richter auf Zeit, § 11 DRiG), le juge stagiaire (Richter auf Probe, § 12 DRiG) et enfin le juge kraft Auftrags (§ 14 DRiG). Le cas normal est celui du juge nommé à vie, qui bénéficie d’une indépendance totale. Les magistrats à durée déterminée ne peuvent être nommés que sur le fondement de dispositions législatives fédérales précises afin d’assumer des missions également prédéterminées (§ 11 DRiG) ; aujourd’hui, seuls les juges de la Cour constitutionnelle fédérale relèvent de ce statut. Le Richter kraft Auftrags est un fonctionnaire d’une autorité administrative qui est détaché auprès d’une juridiction administrative afin d’y devenir ensuite, en comptabilisant ses années de fonctionnaire, magistrat à vie (v. E. Schilken, Gerichtsverfassungsrecht, op. cit., no 501).
52 Le magistrat stagiaire peut toutefois êtres révoqué sans motif spécifique au cours des vingt-quatre premiers mois de fonctions (§ 22 al. 1er DRiG). A l’issue de la troisième ou de la quatrième année de stage, il peut également être révoqué s’il n’est pas apte aux fonctions de juge ou si une commission d’élection des juges a refusé qu’il soit nommé magistrat à vie (§ 22 al. 2 DRiG). Le magistrat stagiaire peut également être révoqué pour tout comportement qui, s’il était le fait d’un magistrat nommé à vie, conduirait à une mesure disciplinaire, § 22 al. 3 DRiG.
53 Depuis la réforme de la procédure civile du 27 juillet 2001, les Tribunaux régionaux (Landgerichte) statuent eux aussi en principe à juge unique (Einzelrichter), v. § 348 ZPO : La chambre civile statue à juge unique, sauf dans certains cas (par exemple lorsque le juge est un magistrat stagiaire qui statue en matière civile depuis moins d’un an) ou dans certaines matières assez nombreuses (par ex. le droit de la presse, le droit bancaire et financier, les litiges en matière de construction, de contrat d’architecte, de contrats d’assurance ou de transports… Il en va de même des matières attribués à la compétence du Tribunal régional indépendamment de la valeur du litige). Toutefois, le juge unique soumet le litige à la chambre pour qu’elle décide de statuer en formation collégiale lorsque l’affaire présente des difficultés particulières en fait ou en droit, la question juridique est de principe ou lorsque les parties demandent conjointement le renvoi en formation collégiale. Inversement, si c’est la formation collégiale qui est en principe compétente, elle peut néanmoins confier l’affaire pour jugement à un de ses juges qui statuera comme juge unique dès lors que l’affaire ne présente aucune difficulté en fait ou en droit, que la question juridique ne présente pas d’importance de principe et que l’affaire n’a pas déjà été débattue en audience devant la formation collégiale (§ 348a ZPO).
54 Pour la Cour fédérale de Justice, le § 125 al. 2 GVG dispose qu’un magistrat ne peut être nommé juge fédéral auprès de cette Cour que s’il a trente cinq ans révolus.
55 La Cour fédérale de Justice a treize chambres civiles (Zivilsenate) et cinq chambres criminelles (Strafsenate).
56 Pour les chambres criminelles, leur compétence est déterminée notamment en fonction de l’origine de la décision attaquée. Ainsi par exemple, la 1ère chambre criminelle est compétente pour les pourvois formés contres les décisions pénales des Tribunaux régionaux supérieurs de Bamberg, Karlsruhe, Munich, Nuremberg et Stuttgart ainsi que pour les pourvois en matière pénale militaire, en matière de délits contre la défense de l’État, en matière fiscale et douanière et dans un ou deux autres cas très spécifiques.
57 Cette chambre statue à un juge professionnel et deux assesseurs non professionnels, v. § 105 GVG.
58 V. S. Guinchard et alii, Droit processuel, Droit commun et comparé du procès équitable, 5ème éd. 2009, Paris, Dalloz, no 314 ALL. Il s’agit là de la question de la prédétermination, au sein d’une même chambre, de la compétence de tel ou tel juge, lorsque la chambre com porte un nombre de magistrats supérieur à celui qui est nécessaire pour statuer (spruchkörperinterne Geschäftsverteilung des Gerichts). Pendant longtemps, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale a été quelque peu contradictoire et ambiguë. Ainsi, le second sénat décidait que l’article 101 GG n’imposait pas aux chambres de prédéterminer dans le détail quels juges participeraient à telle affaire ; il suffisait que le président exerce sans commettre de faute le pouvoir d’appréciation qui lui était octroyé (C. const. féd., 2e sénat, 15 janv. 1985, BVerfGE 69, p. 112 et notamment pp. 120 et s.). Le premier sénat en revanche considérait que l’article 101 tendait à écarter tout arbitraire, notamment celui qui consisterait en une détermination au cas par cas de la compétence des magistrats du siège. Une prédétermination abstraite et générale s’imposait donc selon lui (C const. féd., 1er sénat, 10 juill. 1990, BVerfGE 82, p. 286 et spécialement pp. 298 et s.). L’assemblée plénière (C. const. féd., ass. plén., 8 avril 1997, BVerfGE 95, p. 322 et spéc. pp. 328 et s.) fut donc amenée à intervenir afin d’unifier la jurisprudence au sein de la Cour. Elle jugea que, dans les chambres ayant un nombre de magistrats supérieur à celui requis pour la formation de jugement, un plan doit régler la participation de chaque magistrat au jugement de telle ou telle affaire ; c’est seulement par une telle réglementation préalable que le juge naturel est réellement déterminé. Les plans d’affectation des magistrats à telle ou telle affaire doivent en outre respecter les critères caractérisant les normes légales, c’est-à-dire la forme écrite, et le caractère général et abstrait. Ils doivent établir la compétence de chaque chambre et, au sein de celle-ci, de chaque magistrat en fonction d’un critère objectif suffisamment précis. La Cour ajoute que “le principe d’État de droit que constitue le droit au juge naturel prohibe ainsi le choix au cas par cas des magistrats appelés à participer à la décision, ce qui serait contraire à une prédétermination normative générale et abstraite”. L’ancien critère appliqué par les juridictions allemandes était l’alphabet, en tenant compte, en matière civile, du nom du demandeur, en matière pénale, du nom de l’auteur de l’infraction. Le juge Müller se voyait par exemple attribuer, au sein de la troisième chambre, les affaires dans lesquelles le nom du demandeur commençait par les lettres A à G, alors que son collègue Schmidt était compétent pour les lettres G à M etc. Toutefois, ce système a conduit à des déséquilibres du nombre d’affaires à traiter par magistrat, si bien qu’aujourd’hui, c’est en général la méthode du Turnus qui s’applique, c’est-à-dire que chaque nouvelle affaire qui arrive au tribunal est attribuée à un magistrat dans l’ordre du nom des magistrats figurant sur la liste de la juridiction, ce qui conduit à un nombre d’affaires plus égalitaire entre les différents juges.
59 La tutelle (Vormundschaft) n’existe plus d’ailleurs pour les majeurs depuis 1992. Elle a été remplacée par un système beaucoup plus souple de Betreuung (sorte d’assistance sur mesure décidée par le juge en fonction de l’état de la personne à protéger).
60 Avec en point 17 une clause générale selon laquelle la 3ème chambre civile est compétente pour toutes les affaires non expressément confiées à une autre chambre.
61 La multiplication du nombre de chambres civiles auprès de la Cour fédérale de Justice peut d’autant plus surprendre le juriste française que 1° elle constitue un risque accru de divergence de jurisprudence entre les différentes chambres de la Cour ; 2° la Cour fédérale de Justice – qui ne peut être saisie d’un pourvoi (Revision) que sur autorisation de la juridiction d’appel ou d’elle-même – ne connaît chaque année que d’un nombre bien inférieur de recours par rapport à la Cour de cassation française : ainsi, en 2009, la Haute juridiction allemande a reçu seulement 3 192 pourvois et recours pour refus d’autorisation de pourvoi de la part de la juridiction d’appel (les statistiques de la Cour fédérale de Justice regroupent ces deux types de recours, ce qui ne rend pas les chiffres très transparents). En 2008, le nombre était de 3 230 ; en 2007 : 3 404 ; 2006 : 3 319 ; 2005 : 3 233, v. Übersicht über den Geschäftsgang bei den Zivilsenatent des Bundesgerichtshofes 2009 – Jahresstatistik, sur le site de la Cour www.bundesgerichtshof.de. La tendance apparaît à la baisse du nombre de saisines de la Juridiction de révision en matière civile et pénale. Sur la comparaison entre Cour de cassation française et Cour fédérale de Justice, v. F. FERRAND, Cassation française et Revision allemande, Paris, PUF, 1993.
62 V. Baer, Die Unabhängigeit der Richter in der Bundesrepublik und in der DDR, 1999 ; R. Benda, Richter im Rechtsstaat, DRiZ 1979, 358 ; K. Bilda, Unabhängigkeit des Richters – ein Mythos ?, JR 2001, 89 ; U. Berlit, Modernisierung der Justiz, richterliche Unabhängigkeit und RichterInnenbild, KJ 1999, 58 ; R. Gröschner, Judex inamovibilis – wie unversetzbar ist der deutsche Richter ?, NJW 2005, 3691 ; S. Haberland, Problemfelder für die richterliche Unabhängigkeit, DRiZ 2002, 301 ; H. Henckler, Richter im demokratischen und sozialen Rechtsstaat, JZ 1987, 209 ; D. Maniotis, Die Sicherung der richterlichen Unabhängigkeit bei der Kontrolle der Rechtsprechungstätigkeit im Rahmen des Beförderungsverfahrens, ZZP 105 (1992), 63 ; E. Schmidt-Jorzig, Aufgabe, Stellung und Funktion des Richters im demokratischen Rechtsstaat, NJW 1991, 2377.
63 “Die Richter sind unabhängig und nur dem Gesetze unterworfen”.
64 La doctrine allemande distingue entre trois niveaux d’indépendance : l’indépendance matérielle des tribunaux (qui ne sont soumis qu’à la loi), leur autonomie d’organisation et enfin l’indépendance personnelle des magistrats du siège (Th. Maunz, G. Dürig et R. Herzog, Grundgesetz, Kommentar, art. 97, no 9 et s.). Cette indépendance n’interdit pas pour autant au législateur de fixer un âge pour la retraite des magistrats (art. 97, al. 2, phrase 2).
65 L’art. 98 al. 2 GG énonce que si un juge fédéral, dans l’exercice de ses fonctions ou en dehors, porte atteinte aux principes de la Loi fondamentale ou à l’ordre constitutionnel d’un État fédéré, la Cour constitutionnelle fédérale peut, sur demande du Bundestag, ordonner, à la majorité des 2/3, que le juge sera muté ou mis à la retraite d’office. En cas de faute intentionnelle, la révocation peut être prononcée. L’alinéa 5 du même article ajoute que les État fédérés peuvent, pour les juges régionaux, adopter une réglementation similaire à celle de l’al. 2.
66 V. § 31 DRiG : un juge du siège nommé à vie ou pour une durée limitée peut être muté dans d’autres fonctions juridictionnelles avec la même rémunération, être mis provisoirement ou définitivement à la retraite lorsque “des faits extérieurs à son activité juridictionnelle rendent nécessaire une mesure de ce type afin d’éviter une grave atteinte du service public de la justice”.
67 V. § 32 DRiG : En cas de modification de la carte judiciaire (existence des tribunaux, détermination de leur ressort territorial), un juge du siège nommé à vie ou pour une durée déterminée affecté à une juridiction faisant l’objet de telles modifications peut se voir confier une autre fonction juridictionnelle (al. 1er). Si cela n’est pas possible, le juge perd ses fonctions mais il peut lui être confié à tout moment de nouvelles fonctions juridictionnelles donnant éventuellement lieu à rémunération finale de base inférieure (al. 2).
68 V. Flexibler Richtereinsatz, DRiZ 2006, p. 1. V. notamment les propos du ministre de la justice de Thuringe, DRiZ 2006, p. 4.
69 L’aide sociale (Sozialhilfe) est l’équivalent du RMI ou du RSA français.
70 En ce sens, Ch. Heydemann, Soll die Verwaltungsgerichtsbarkeit mit der Sozialgerichtsbarkeit zusammengelegt werden ?, NJW 12/2010, p. 13.
71 V. not. Ch. Heydemann, Soll die Verwaltungsgerichtsbarkeit mit der Sozialgerichtsbarkeit zusammengelegt werden?, NJW 12/2010, p. 12.
72 V. not. R. Gröschner, Judex inamovibilis – wie unversetzbar ist der deutsche Richter?, NJW 2005, 3691.
73 Not. celle de la Présidente de la Cour administrative fédérale, M. Eckertz-Höfer, v. Ch. Heydemann, Soll die Verwaltungsgerichtsbarkeit mit der Sozialgerichtsbarkeit zusammengelegt werden?, NJW 12/2010, p. 12. V. aussi les propos critiques de C. Heydemann, préc.
74 Not. le Bund deutscher Verwaltungsrichtern und Verwaltungsrichterinnen (Union des juges administratifs allemands).
75 Ch. Heydemann, préc.
76 “Feinsteuerung des Richtereinsatzes ”, v. Ch. Heydemann, Soll die Verwaltungsgerichtsbarkeit mit der Sozialgerichtsbarkeit zusammengelegt werden ?, NJW 12/2010, p. 12.
77 V. la position du Bundesfachausschuss Richterinnen, Richter, Staatsanwältinnen und Staatsanwälte (Commission fédérale des juges du siège et du parquet) du syndicat Verdi, qui souligne qu’avant toute modification, il convient de procéder à une analyse intensive des coûts et des avantages d’une réforme par rapport au status quo, et qu’une telle analyse 78 devrait être non orientée, transparente envers le public et tous les participants, réalisée de façon professionnelle, compréhensible et pertinente dans l’appréciation des données et dans ses motifs et enfin, respecter strictement le principe constitutionnel de protection juridique effective (Anspruch auf effektiven Rechtsschutz). V. aussi la position du Deuscher Gewerkschaftsbund (Union allemande des syndicats), hostile à la fusion, sur le site internet http://www.dgb.de/themen/++co++63619eb6-53a2-11df-47d6-00188b4dc422.
Auteur
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
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