Des juridictions d’exception aux juridictions spécialisées, le sort des juridictions militaires
p. 77-79
Texte intégral
1Il m'incombe d'évoquer le sort des juridictions militaires, or la France comme d'autres pays européens a supprimé la justice militaire en temps de paix par la loi du 21 juillet 1982. La seule exception en temps de paix résidait dans le tribunal aux Armées de Paris compétent pour les infractions commises par les militaires hors du territoire de la République, or en juin 2010, le Ministre de la Défense M. MORIN a annoncé sa suppression, qui devrait être effective courant 2011.
2Si on assiste dans la plupart des pays démocratiques à un mouvement de “démilitarisation” de la justice militaire, il n'en reste pas moins que le militaire a besoin d'être jugé par des acteurs qui connaissent l'environnement, les contraintes et les infractions militaires. Plusieurs exemples. Le militaire qui commet l'infraction d'infraction à la législation sur les stupéfiants et aussi un militaire qui manipule des objets dangereux et des armes de guerre. Le militaire qui commet l'infraction de désertion, commet une infraction pénale spécifique aux militaires différente de l'abandon de poste. Le militaire qui roule avec son véhicule blindé et glisse sur une plaque de verglas en Afghanistan, commet in abstracto, la même infraction par imprudence que le civil dans les mêmes circonstances avec un véhicule léger. Toutefois, il faut monter dans un véhicule blindé pour saisir les différences avec un véhicule léger.
3C'est pourquoi subsiste encore une justice de droit commun spécialisée dans les affaires pénales militaires.
4Comment s'organise cette justice spécialisée ?
5En temps de paix il convient de faire la distinction entre les infractions commises sur le territoire de la République et celles qui sont commises, à l'étranger, hors du territoire de la République.
Les infractions commises sur le territoire de la République d'abord
6Comme tout justiciable, le militaire est soumis aux règles de droit commun lorsqu'il commet en dehors du service des infractions de droit commun. Le caporal chef du RPIMA de Lorient qui conduit en état alcoolique son véhicule personnel alors qu'il est permission, relèvera de la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Lorient.
7En revanche, le militaire du RPIMA de Lorient qui commet une infraction purement militaire, par exemple l'outrage au drapeau, la trahison ou la mutilation, relèvera là encore du droit commun, mais cette fois, ce ne sera pas le tribunal de grande instance de Lorient qui sera compétent mais le tribunal de grande instance de Rennes.
8Il en est de même pour le capitaine de ce Régiment situé à Lorient qui en conduisant son véhicule de service dans l'enceinte militaire renverse son caporal chef, le parquet du tribunal de grande instance de Rennes sera compétent pour les faits de blessures involontaires.
9En effet, l'article 697 du CPP prévoit que dans le ressort de chaque cour d'appel un tribunal de grande instance est compétent pour l'instruction et le jugement des infractions militaires ainsi que des infractions commises par les militaires dans l'exécution du service.
10Des magistrats de l'ordre judiciaire sont affectés, après avis de l'assemblée générale du tribunal aux formations de jugement, spécialisées en matière militaire. Dans le même ressort une cour d'assises est compétente pour le jugement des crimes.
11Ces juges civils affectés dans ces chambres spécialisées appliquent la procédure pénale ordinaire. En théorie, ces magistrats civils sont désignés par le président du tribunal en raison de leur appétence pour ce contentieux et leur intérêt pour la chose militaire.
Les infractions commises hors du territoire de la République
12Après la réforme de 1982 subsistait plusieurs juridictions militaires hors du territoire de la République. Elles ont été supprimées en 1999 et la loi du 10 novembre 1999 a créé le tribunal aux armées de Paris (TAP) compétent pour toutes les infractions de toute nature commises par des militaires hors du territoire (en pratique cela concerne les pays où sont stationnés les militaires français notamment en opérations extérieurs, c'est par exemple le cas de l'Afghanistan, Du Kosovo...) que ce soit en service ou hors service. Cette juridiction vit ces dernières heures.
13Mais il est quand même intéressant de décrire l'organisation judiciaire de cette juridiction. Cette juridiction est atypique : voilà un tribunal qui est abrité dans des bâtiments militaires (à Reuilly, dans une caserne qui abrite des services administratifs : services de l'inspection des armées, service national...), administrativement et budgétairement sous la tutelle du ministère de la défense, avec des greffiers militaires mais qui est composé exclusivement de magistrats civils de l'ordre judiciaire.
14Les magistrats poursuivants et instructeur c'est-à-dire le procureur de la République et le juge d'instruction sont des magistrats civils détachés par le ministère de la justice auprès du ministère de la Défense, après avis du Conseil supérieur de la magistrature (et avec avis obligatoirement conforme pour le magistrat instructeur) et les magistrats qui jugent qui composent les juridictions de l'instruction ou de jugement sont les magistrats civils de la Cour d'appel de Paris.
15Le projet de loi prévoit au 1er janvier 2011 la suppression de ce tribunal aux armées de Paris et le transfert des compétences de ce tribunal à une formation spécialisée du TGI de Paris. Évolution somme toute logique : le TAP connaissait depuis la fin du service national peu d'affaires, et puis comme tous les autres pays démocratiques européens on assiste progressivement à un alignement de la justice militaire sur la justice ordinaire.
16La seule particularité procédurale qui subsiste est le maintien de l'avis consultatif préalable du ministre de la défense avant toute poursuite pénale (hors cas de flagrance), avis qui explique au cas par cas le contexte opérationnel des faits que le magistrat civil va examiner.
Auteur
Magistrat, coordinateur-animateur de formation pôles “Justice pénale“ et “Vie économique“
École Nationale de la Magistrature
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