La liaison du contentieux
p. 133-153
Texte intégral
1L’expression de liaison du contentieux apparaît à de nombreuses reprises sous la plume de Pierre Hébraud. Elle prend d’ailleurs de plus en plus d’importance dans ses dernières chroniques.
2Hébraud emprunte cette notion au contentieux administratif. Elle désigne la manière dont le litige est soumis au juge. Mais Hébraud relève que si en contentieux administratif, la liaison du contentieux est simple, parce que le contentieux est toujours lié par la contestation de la décision de l’administration faisant grief, en contentieux judiciaire, en revanche, la liaison du contentieux prend des formes extrêmement diverses.
3L’analyse des multiples modalités de liaison du contentieux judiciaire permet à Pierre Hébraud de formuler une série d’observations techniques intéressantes et de dégager deux grands types de liaison du contentieux : la liaison directe, lorsque le plaideur soumet au juge la chose même objet du litige, et la liaison indirecte, lorsque le plaideur présente quelque chose au juge en en visant une autre.
4De ces observations, Hébraud tire une leçon théorique : pour lui, l’importance de la liaison du contentieux en matière civile porte à relativiser la distinction du droit et de l’action en justice. L’importance de la liaison du contentieux chez Hébraud vient de là : elle permet de penser les liens entre le droit et l’action, et d’en montrer l’importance, au rebours des théories modernes dont il est le contemporain sceptique en ce qu’elles exagèrent selon lui l’autonomie de l’action par rapport au droit substantiel.
5Introduction (l’œuvre inachevée). La « liaison du contentieux » est une expression que l’on trouve très tôt sous la plume de Pierre Hébraud : dès 19491. Mais c’est vers la fin de son œuvre scientifique qu’elle prend de l’importance dans ses écrits.
6En 1966, l’expression apparaît dans la nomenclature de la chronique à la Revue trimestrielle de droit civil2. A partir de cette époque, de nombreuses pages lui sont consacrées chaque année et jusqu’en 1973, date à laquelle il cesse sa collaboration avec la Revue (remplacé par Jacques Normand)3. De 1966 à 1973, sur huit années, j’ai compté compte 16 commentaires directement ou indirectement titrés « liaison du contentieux ».
7A quoi il convient encore d’ajouter qu’elle occupe une place de choix dans le cours de Droit processuel qu’il dispense à l’IEJ de Toulouse, puisqu’elle apparaît dans l’intitulé même de la deuxième partie de ce cours : « l’action et la liaison du contentieux »4.
8A mon avis, la liaison du contentieux inspire aussi le dernier texte qu’il fait paraître. Il s’agit de l’étude pour les mélanges offerts à son ami Pierre Raynaud sur l’évolution des rapports du droit et de l’action5. Cette étude est malheureusement inachevée puisqu’elle ne traite que la première section de la première partie (un développement consacré au droit romain). La suite n’est jamais parue, et j’ignore même si elle a été écrite. Selon moi, c’est précisément sur la liaison du contentieux que devait déboucher cette réflexion sur les rapports du droit et de l’action.
9La communication d’aujourd’hui est en quelque sorte le résultat de mes ruminations sur ces pages manquantes.
10Origine (honneur au Maître Maurice Hauriou). D’où vient cette notion ? Réponse simple : Hébraud l’emprunte expressément au contentieux administratif. On peut même dire sans risque de se tromper qu’il l’emprunte à Maurice Hauriou, grand maître du contentieux administratif qu’Hébraud admirait6, et qui, d’après René Chapus, serait l’inventeur de la notion de liaison du contentieux7.
11Chez Hauriou, la liaison du contentieux désigne la règle de la décision préalable, qui fait que le procès administratif est un procès fait à un acte, et non un procès fait à l’administration. Pour Hauriou, le « large développement du contentieux administratif », vient de ce qu’on était « arrivé à formuler deux propositions : 1° toute réclamation adressée à une autorité administrative entraîne une décision administrative exécutoire explicite ou implicite ; 2° toute décision exécutoire ouvre contre elle-même un recours contentieux »8. La spécificité du contentieux administratif, sans laquelle celui-ci se fût « rapproché du contentieux civil » réside précisément, selon Hauriou, dans « la liaison du contentieux par la décision préalable »9, qui lui confère une objectivité caractéristique.
12Extrapolation au contentieux privé. C’est cette notion que Hébraud extrapole au contentieux privé, en la généralisant. Il est convaincu que c’est « dans le contentieux privé [plus qu’en contentieux administratif, que] le problème de la liaison du contentieux prend sa véritable mesure »10. Selon Hébraud,
« En droit administratif, on est en face d’un problème spécifique : on a pour adversaire la puissance publique, ce qui implique une inégalité entre les deux plaideurs. Il est difficile d’amener la puissance publique à se soumettre à l’autorité du juge. Il a fallu beaucoup de détours pour en arriver là, en juridictionnalisant peu à peu les recours. La difficulté de plier l’administration à se soumettre au juge n’a pu être directement vaincue »11.
13Il a fallu biaiser, en posant (par la loi du 17 juillet 1900) la règle selon laquelle le silence implique le refus, et que ce refus constitue une décision administrative exécutoire, partant susceptible de recours pour excès de pouvoir.
14Mais pour Hébraud, ce problème est très spécifique ; et la solution qu’on lui apporte très particulière. Selon lui :
« En droit privé, c’est différent. Les deux plaideurs sont à égalité. Dans le contentieux privé, le problème de la liaison du contentieux prend sa véritable mesure »12.
15Pour Hébraud, les problèmes de liaison du contentieux sont importants, et même « essentiels », et il regrette qu’ils ne soient pas davantage pris en compte. Commentant une affaire, il écrit en effet :
« C’est un de ces problèmes de liaison du contentieux auxquels on ne prête généralement qu’une attention insuffisante, et qui sont pourtant essentiels »13.
16Définition. De quoi s’agit-il ? Quels sont ces problèmes sur lesquels il attire notre attention, en prétendant qu’ils sont essentiels. Qu’est-ce que la « liaison du contentieux » selon Pierre Hébraud ?
17Disons d’emblée qu’il ne s’agit pas de problèmes de forme. Il n’est pas question des formalités particulières d’introduction de l’instance (de signification de l’assignation, de constitution d’avocat ou d’enregistrement de la demande au greffe).
18Ce qui intéresse Hébraud et qui le frappe, c’est l’importance souvent déterminante de la « manière » dont, en fait, une affaire est soumise au juge. Un même problème de droit peut en effet être soumis aux tribunaux selon des modalités très diverses ; or la manière dont ce problème est présenté n’est pas neutre ; elle aura au contraire un « retentissement »14 parfois sur le droit lui-même, et très souvent sur les « éléments intermédiaires entre le droit lui-même et son exercice judiciaire, tels que la compétence ou même la preuve » 15.
19Chez Hébraud, la liaison du contentieux désigne donc la configuration concrète et particulière que prend le contentieux lorsque celui-ci est soumis au juge. « Il faut savoir comment on présentera le litige, comment une question juridique peut être soumise à un juge pour qu’il la résolve »16.
20Et il y a problème lorsque les modalités concrètes de liaison du contentieux masquent le fond du droit, ou le déforme, ou le relègue, bref « retentissent » sur la décision relative au fond du droit. Ce que veut Hébraud, c’est « aider à mesurer le retentissement respectif des données du fond du litige et des formes de la liaison du contentieux »17.
21Plan. Cela passe, primo, par une meilleure compréhension des modalités de liaison du contentieux privé. Il faut avoir conscience de la diversité concrète des modes de liaison du contentieux privé (par opposition à l’unité observée en contentieux administratif), et des conséquences juridiques que peuvent avoir ces diverses modalités, que ce soit sur la compétence, sur l’instance ou sur les effets des jugements.
22Cela passe, secundo, par une analyse de l’action en justice plus précise et plus concrète, c’est-à-dire moins détachée du droit subjectif dont elle poursuit la réalisation.
23Deux parties donc dans mon propos. Dans une première partie, je m’attacherai à montrer que Pierre Hébraud a été très sensible à la diversité du contentieux privé, diversité qui tient à la diversité des modes de liaison de ce contentieux (I). Dans une deuxième partie, je m’efforcerai de dire quelle leçon théorique Hébraud tire de ses observations. Nous aborderons alors sa conception de l’action en justice (II).
I – La diversité et l’importance des modes de liaison du contentieux
24Casuistique. Lorsque Hébraud s’intéresse à la diversité des modes de liaison du contentieux, il procède à une analyse cas par cas. Fondamentalement, il s’agit d’une casuistique, prenant chaque situation pour ce qu’elle est.
25Cependant, on trouve dans ses écrits le principe d’une mise en ordre. Dans ses chroniques à la Revue trimestrielle, il distingue les cas de liaison directe et ceux de liaison indirecte du contentieux. Dans le Cours de Droit processuel, ces deux sortes de cas sont présentés à partir de deux questions : 1° à qui l’initiative du contentieux ? et 2° sur quoi le contentieux est-il lié ? En somme, « qui » et « quoi », ou le sujet et l’objet de la liaison du contentieux. Je vais reprendre ces deux questions.
A – Première question : à qui l’initiative de la liaison du contentieux ?
26Prendre l’initiative du contentieux présente des avantages et des inconvénients. En principe, celui qui prend l’initiative du contentieux prend la qualité procédurale de demandeur. Or, souligne Hébraud :
« Cela comporte des charges. Le demandeur assume les ennuis matériels, certaines charges financières ; il a la charge de la preuve ; il est donc très important de savoir à qui incombe l’initiative de saisir le juge ».
27A cet égard, Hébraud observe qu’en général, l’attribution de l’initiative de la liaison du contentieux est déterminée par la situation de fait, laquelle peut être subie par le plaideur ou choisie par lui. Mais il existe un principe auxquels échappent de nombreux cas particuliers.
1) En général, l’attribution de l’initiative de la liaison du contentieux est déterminée par la situation de fait.
28Importance de la situation de fait litigieuse. Ce point est important dans la pensée d’Hébraud. C’est le fait qui est premier et déterminant. Dans une intéressante chronique à la RTD civ. , consacrée à la répartition entre les plaideurs des qualités de demandeur et de défendeur, on peut lire ceci (dans son style balancé si caractéristique) :
« La qualité de demandeur ou de défendeur dépend de l’initiative dans l’introduction de l’instance ; elle se reconnait au seul examen des formes procédurales et est indépendante du fond du litige et de la nature des prétentions élevés par chaque adversaire. Mais elle produit des conséquences qui dépassent le point de vue purement formaliste ; elle retentit, sinon sur le fond du droit, du moins sur des éléments intermédiaires entre le droit lui-même et son exercice judiciaire, tels que la compétence ou même la preuve […]. Ces relations entre le droit civil et la procédure expliquent la lutte qui s’institue, entre les contestants, pour s’attribuer le rôle de défendeur, notamment en s’assurant une situation de fait que la théorie des droits réels a systématisé dans la notion de possession, mais qui est susceptible d’une portée beaucoup plus large ; c’est l’un des aspects de l’influence que l’attitude des parties exerce sur les modes de liaison du contentieux, qui peuvent être très variés pour une même situation de droit »18.
29Même analyse dans le Cours de Droit processuel :
« Dans cette situation, un des adversaires est en position de fait, l’autre la conteste. Ex. si on discute entre deux personnes de la propriété d’un immeuble, il n’y a pas d’égalité : l’un est en possession ; l’autre aura la charge de l’initiative de l’action. De manière générale, c’est l’état de fait qui impose à l’un ou l’autre l’obligation d’introduire l’action pour faire modifier la situation de fait. […] Donc l’attribution de l’initiative du contentieux est déterminée par la situation de fait. »
30Ainsi, c’est le fait qui les modalités de liaison du contentieux par telle ou telle partie, avec toutes les conséquences juridiques que cela implique. Dans un procès, c’est celui qui est en position de contester la situation de fait qui a la charge de l’initiative du contentieux. Le possesseur possède et n’a qu’à défendre sa possession. Le demandeur conteste la possession ; à lui l’initiative de l’action.
31Possession et situation de fait litigieuse. A noter que l’analyse ne vaut seulement pour la possession au sens de que le droit des biens donne à ce terme ; elle « est susceptible d’une portée beaucoup plus large ». Par exemple, dans une de ses chroniques, Hébraud analyse longuement la situation d’un plaideur qui, contestant sa dette, est confronté à un dilemme : soit ne pas payer, mais s’exposer au risque d’une résolution du contrat ; soit payer, mais s’exposer alors aux difficultés de répétition de l’indu. Il note à ce propos :
« La perspective de ce risque processuel est un facteur important parmi ceux qui déterminent le choix du mode de liaison d’un contentieux. Il peut intervenir, d’ailleurs, à toutes les étapes du procès, et notamment à l’occasion de l’exercice des voies de recours. La prudence conseille-t-elle à celui contre qui la voie de recours est dirigée d’en attendre le résultat, ou peut-il sans crainte poursuivre l’exécution de la décision prononcée à son profit, dès lors qu’on la suppose juridiquement possible ? »19
32Situation choisie et situation subie. Le plaideur peut ainsi se trouver confronté à des options, « et ces options posent parfois aux parties, et à leurs conseils de très délicats problèmes »20. Mais le plaideur n’a pas toujours le choix. Cela évoque les analyses de Tiennot Grumbach qui dénonçait l'ambiguïté procédurale du procès prud'homal où le salarié, demandeur à une instance, est en réalité le défendeur à son licenciement21.
2) Cas particuliers
33La situation de fait et de droit. En marge du cas général, où l’attribution de l’initiative de la liaison du contentieux est déterminée par la situation de fait, il y a de nombreux cas particuliers où l’attribution de l’initiative du contentieux ne dépend pas seulement du fait, mais également du droit. Hébraud s’est beaucoup intéressé à ces cas particuliers.
- Ainsi en matière de partage, il note que « l’action en partage soumet au tribunal, sous tous leurs aspects, la situation et les droits des parties, qui doivent être appréciés dans leur ensemble ; c’est une des manifestations de l’indivisibilité de la matière. On exprime cette idée en disant que les copartageants sont respectivement demandeurs et défendeurs »22.
- Autre cas particulier qui l’intéresse beaucoup : l’interversion du contentieux « dans les procédures spéciales où l’exécution précède la discussion et où la liaison du contentieux se trouve inversée : opposition au commandement ou à l’ordonnance des taxes d’officier ministériel, procédure de recouvrement des petites créances commerciales ou procédures administratives de contrainte et d’état exécutoire »23.
- Encore un cas particulier : le contentieux des actes de l’état civil24. Ce qui intéresse Hébraud à ce propos, c’est de voir comment l’intervention d’un tiers doté d’une autorité, ici l’officier d’état civil, peut orienter la liaison du contentieux, par exemple selon qu’il accepte ou qu’il refuse de recevoir une déclaration d’enfant naturel25.
- Il signale encore les cas de « contentieux obligatoire », ou plutôt de « recours judiciaire obligatoire »26.
- Ainsi que celui des actions déclaratoires, à propos desquelles il souligne « la contribution qu’elles peuvent apporter aux problèmes de la liaison du contentieux en vue d’une meilleure protection des droits »27.
34Et les combinaisons entre le contrat et l’activité judiciaire ? J’observe que tous ces cas particuliers procèdent la loi. Sauf erreur, il ne semble pas qu’Hébraud ait signalé l’influence ou, pour employer son langage, le retentissement des stipulations contractuelles sur les modalités de liaison du contentieux.
35C’est très surprenant quand on sait avec quelle profondeur il a réfléchi au rôle de la volonté28, alors surtout qu’il appréhendait en virtuose « la gamme des combinaisons variées entre le contrat et l’activité judiciaire »29. Par exemple, comment, lui, n’a-t-il pas, le premier, fait cette remarque que lorsque le demandeur dispose d’une option de compétence, la stipulation d’une clause attributive de compétence « a pour atout d’effacer la prime de vélocité, c’est-à-dire l’avantage que représente la prise d’initiative du procès, car laisser l’initiative du choix du juge à une seule des parties revient parfois à lui permettre de choisir indirectement la loi qui lui est la plus favorable »30.
B – Deuxième question : sur quoi s’opère la liaison du contentieux ?
36Liaison indirecte. Cette question renvoie à ce qu’Hébraud appelle « la liaison indirecte du contentieux », sujet auquel il a consacré plusieurs chroniques31.
37Liaison indirecte à raison de l’objet du litige. Le caractère indirect de la liaison du contentieux apparaît quand un plaideur demande une chose en visant en réalité autre chose.
38Par exemple, demander 1 franc de dommages-intérêts : « Procédé classique. Le but poursuivi c’est de faire proclamer par une décision judiciaire soit un certain droit que l’on réclame, soit l’irrégularité de l’attitude de la personne poursuivie. Ce procédé remonte au droit romain (sacramentum) attribué à un plaideur pour montrer que le droit était de son côté. Aujourd’hui, cela peut encore jouer »32.
39Autre exemple : prétexter de demander quelque chose pour, en réalité, contester la validité d’un acte de portée générale (désignation de délégués syndicaux33, règlement administratif34, etc.).
40Deux observations d’Hébraud à ce sujet : d’une part, il relève que les plaideurs n’ont pas toujours le choix entre liaison directe ou indirecte : « il se peut que ce soit volontairement ou parce qu’on ne peut pas faire autrement »35. Parfois, la liaison du contentieux ne peut pas se faire autrement que de manière indirecte. Ainsi, par exemple, du contentieux de la transcription d’un acte à l’état civil36 ou à la publicité foncière, parce que, pour une raison ou pour une autre, l’acte lui-même n’est pas ou n’est plus contestable37.
41D’autre part, il souligne que, selon les cas, la liaison indirecte du contentieux se traduit par « la séparation ou la réunion de deux actions dont l’une est subordonnées à l’autre »38.
42Liaison indirecte à raison des parties au litige. Parmi les autres modes de liaison indirecte relevés par Hébraud, il y a encore ces demandes que l’on adresse à l’un en visant quelqu’un d’autre. Ainsi en cas d’appel en garantie, ou d’action oblique, procédés qui « touchent à la question toujours délicate de la situation respective des parties qui ne se trouvent en rapports que d’une manière indirecte, par l’intermédiaire d’un tiers, intéressé principal »39.
43On le constate : au-delà de la casuistique, Hébraud avait une vision globale de la liaison du contentieux, et l’on peut regretter qu’il n’ait pas eu l’occasion de la présenter de manière synthétique. Mais regret pour regret, on regrettera aussi qu’il n’ait pas eu le temps ou la force de mettre en forme l’importante leçon théorique qu’il en tire. Nous allons voir maintenant comment, dans l’esprit de Pierre Hébraud, la liaison du contentieux se rattache à la théorie de l’action en justice. Plus précisément, nous verrons comment la liaison du contentieux, dans sa diversité, explique la diversité des actions en justice.
II – La liaison du contentieux et la diversité des actions en justice
44Pour Hébraud, la liaison du contentieux est d’abord et essentiellement une notion de fait, une notion qui permet de caractériser des situations de fait dans leur diversité.
45La notion de droit à laquelle elle se rattache, c’est l’action en justice. L’enjeu de la liaison du contentieux est dans la théorie de l’action en justice40.
46Pour Hébraud, l’intérêt de l’introduction de la notion de liaison du contentieux en droit privé est révéler les liens du droit et de l’action en justice, et donc les limites de la distinction du droit et de l’action, distinction à laquelle ses contemporains sacrifient de manière excessive à ses yeux (A). On comprend alors pourquoi Hébraud a été si attentif à la diversité des actions, et a réfléchi à l’intelligence de cette diversité, c’est-à-dire à la classification des actions (B).
A – Limites de la distinction du droit et de l’action41
47La distinction du droit et de l’action. Hébraud est contemporain d’un courant de pensée tendant au renouvellement de l’analyse de l’action en justice, renouvellement qui passe par une distinction entre l’action en justice et le droit substantiel. Les auteurs contemporains de Pierre Hébraud ont surtout œuvré pour asseoir la distinction du droit et de l’action en opposant les doctrines allemandes et italiennes à la doctrine classique française (selon laquelle il n’y a pas de différence entre le droit et l’action puisque l’action n’est que le droit en mouvement). On pense à Vizioz42, à Morel43, à Cornu et Foyer44, et bien sûr à Motulsky45.
48Portée limitée de la distinction. Hébraud n’a jamais réfuté ces analyses. Il lui est même arrivé, à la fin de sa vie, de les approuver46. Mais toute sa vie, avec constance et parfois avec une surprenante vigueur, il s’est appliqué à les relativiser, en insistant toujours au contraire sur les liens du droit et de l’action. De la distinction du droit et de l’action, Hébraud disait :
« On lui donne une importance considérable ; elle est surfaite : les discussions et controverses sont largement empreintes d’une abstraction et d’une subtilité excessives »47.
49Il admet certes que la « dualité de niveau droit substantiel / phénomène processuel est indéniable »48. Mais il proteste contre les développements de cette théorie :
« En premier lieu, on est ainsi conduit à voir dans l’action, l’appel au juge, la mise en mouvement de la justice, quelque chose qui se rapporte au service public de la justice, expression de la souveraineté étatique. On oublie les droits privés. […]
D’un autre point de vue, en séparant action / droit substantiel, on définit l’action d’une façon de plus en plus désincarnée. Le droit d’action devenant un droit de nature publique qui n’a pour contenu que de s’adresser au juge pour que celui-ci dise le droit. On ne fait pas apparaître que celui qui met en mouvement l’appareil judiciaire le fait parce qu’il a un intérêt, un droit à faire valoir, qu’il poursuit la satisfaction de cet intérêt et la réalisation de ce droit. Si on pousse cette dissociation encore plus loin, on en vient à considérer le rapport processuel comme indépendant du droit substantiel qui en est cependant l’objet. On construit cet édifice purement processuel qui aboutit au jugement ; la décision se situant au plan procédural sans rapport avec le plan substantiel. Cela fait reposer l’autorité de chose jugée dans la qualité procédurale du jugement indépendamment du droit substantiel dont il reconnait l’existence. Il y aurait ainsi une novation, alors que nous considérons le jugement comme déclaratif de droit. Le droit est renforcé par sa reconnaissance juridictionnelle, mais il reste l’essentiel. »
50Conclusion, selon Hébraud : « Cette théorie qui avait au départ quelque chose de juste va trop loin. Il faut préciser la mesure de l’autonomie de l’action par rapport au droit et le lien qui existe entre l’action et le droit. ». Bref, « les analyses de l’action qui la font apparaître comme surgie d’on ne sait où sont critiquables. Il y a une situation litigieuse. Il faut un lien avec le recours à la justice : c’est l’action. »
51Primauté du droit sur l’action. Voilà pourquoi Hébraud insiste sur la liaison du contentieux. La « situation litigieuse » est la base et il importe de savoir comment elle a été liée. La considération des modes de liaison du contentieux en droit privé permet de relativiser l’importance de l’action en justice : en situant l’action de manière concrète et circonstanciée, cela permet de restituer aux données de fond du litige toute l’importance qu’elles méritent. A l’occasion d’un commentaire qu’il consacre aux conflits relatifs aux jugements rectificatifs des actes d’état civil, il écrit :
« Des procès de ce genre peuvent aider à mesurer le retentissement respectif des données du fond du litige et des formes de la liaison du contentieux […]. Celui qui, par une décision judiciaire, s’assure une position de fait, doit en retirer un avantage, qui se traduira, par exemple, par la charge de la preuve imposée au tiers opposant ; surtout s’il s’agit d’une décision gracieuse, comme l’étaient les jugements rectificatifs d’actes de l’état civil, cet avantage ne doit pas être trop considérable, et, malgré la liaison indirecte du contentieux, la décision doit finalement être dominée par les données de fond »49.
52Ainsi, ce qui fait la décision, c’est deux choses : le droit et l’action ; les données de fond, d’un côté, les modalités de liaison du contentieux, de l’autre. Les deux retentissent sur la décision. Mais il faut prendre garde à ce que le retentissement de l’action ne soit pas « trop considérable » et ne couvre pas le fond du droit.
53Dans l’esprit d’Hébraud, les liens du droit et de l’action ne sont donc pas des liens paisibles. Il ne faut pas l’une couvre l’autre. Il faut au contraire travailler à assurer la première place au droit, et à assigner à l’action la place secondaire qui lui revient. Pour cela, pour reléguer l’action à la place secondaire qui est la sienne, il faut bien comprendre que l’action n’est pas une mais plurielle, et il faut que la diversité des actions soit actée par une classification.
B – La diversité des actions en justice et leur classification
54Si l’action en justice n’est pas une mais plurielle, alors se pose la question des critères qui permettent de distinguer les actions entre elles et de les classer. Quelle classification des actions en justice chez Pierre Hébraud ?
55Malheureusement, nous ne disposons que de très peu d’éléments pour répondre à cette question. Hébraud n’a pas réalisé ce travail de systématisation, du moins il n’a pas publié de « classification des actions en justice ». Voilà qui nous fait regretter l’inachèvement de l’article des mélanges Raynaud.
56On trouve tout de même deux séries de remarques utiles à une réflexion sur ce sujet.
571° la première série concernent les diverses actions en particulier. Diverses chroniques d’Hébraud traitent de telle ou telle action en justice en particulier. Elles peuvent constituer, si l’on veut, les éléments du puzzle. Ainsi des chroniques relatives aux actions déclaratoires50, à l’action oblique51, aux actions en matière de filiation52.
582° La deuxième série concerne les principes d’une classification des actions en justice. On trouve aussi des remarques critiques sur certains aspects de la classification traditionnelle des actions en justice, ainsi que quelques indications positives sur les distinctions à opérer en fonction des différents modes de liaison du contentieux.
59Par exemple, Hébraud est critique à l’égard de la distinction traditionnelle entre les actions possessoires et les actions pétitoires. Il considère que le problème n’est pas bien posé et devrait être abordé autrement. La critique qu’il formule est la suivante : le problème de la possession relève du droit civil, et non de la procédure. C’est à tort que l’on étudie les actions possessoires dans le cadre de la procédure. Ce qui, dans ce contentieux, relève de la procédure, en revanche, c’est l’organisation d’un contentieux préalable « qui a pour but de poser la situation de fait sur laquelle s’engagera ensuite la discussion de fond ». Hébraud note d’ailleurs à ce propos qu’il « existe en procédure un instrument de portée générale permettant de régler ce problème préalable : le référé qui permet de résoudre sur le terrain du fait le premier niveau de conflit. Le référé joue d’une façon générale un rôle semblable à celui des actions possessoires en matière immobilière »53. On peut penser qu’il aurait approuvé la suppression des actions possessoires par la loi du 16 février 2015. Et l’on peut penser aussi que s’il avait eu le temps d’élaborer une classification, il aurait introduit une distinction entre les actions en référé et les actions au principal.
60Doctrine vivante ? Cette recherche sur la liaison du contentieux dans les écrits de Pierre Hébraud permet de répondre positivement à la question posée par les organisateurs de ce colloque : « Pierre Hébraud, doctrine vivante ? »
61Certes, ses réflexions sur la liaison du contentieux n’ont pas vraiment eu de postérité. La notion de liaison du contentieux ne s’est pas imposée dans la littérature processuelle. Pour nuancer ce propos, on ne peut guère citer que la thèse déjà ancienne de Joseph Jugault, soutenue à l’université de Rennes le 13 décembre 1969, thèse intitulée De la liaison du contentieux. Essai sur la genèse de l’acte juridictionnel54.
62Cependant, il nous semble que pour considérer une doctrine « vivante », il suffit qu’elle soit utile à l’intelligence des problèmes actuels. Or la manière dont le contentieux est soumis au juge pose encore aujourd’hui de nombreux problèmes qu’une théorie de la liaison du contentieux permettrait de mieux poser et, par conséquent, de mieux résoudre55. Quant à la rénovation de la classification des actions en justice, il s’agit aujourd’hui d’un chantier à l’évidence nécessaire. Compte tenu de l’état de délabrement de la classification traditionnelle des actions, on doute que celui qui se consacrera à cette tâche puisse en relever les ruines. On est convaincu au contraire qu’il n’aura pas d’autre choix que de tout raser et d’en repenser entièrement les fondations. On prend le pari qu’il trouvera alors la doctrine de Pierre Hébraud bien vivante.
Notes de bas de page
1 P. Hébraud, L’acte juridictionnel et la classification des contentieux (à propos de la condamnation pénale), Rec. Académie de législation de Toulouse, 1949, pp. 131-206, spéc. p. 163, n° 15, note 1 : « le passage de l’opposition d’intérêts et de prétention qui constituent la contestation à l’organisation du débat juridictionnel, qui est destiné à la résoudre, pose le problème de la liaison du contentieux. Nous ne pouvons ici que marquer la place de ce problème dans la genèse de l’acte juridictionnel. Il présente des aspects multiples, - droit d’une partie d’attraire l’autre devant le juge, détermination de la position respective de chaque partie, qui influera sur la manière dont sera formulé l’objet du litige, et la question soumise au juge, - et met en jeu, en les combinant, des éléments nombreux et variés, - droit d’action, compétence et pouvoirs du juge. Deux remarques doivent cependant être faites. D’une part, l’intéressé peut avoir, à sa disposition, plusieurs façons de lier la contestation, qui présentent pour lui des avantages inégaux, entre lesquels il a une certaine liberté de choix. Tel est le cas bien connu de celui qui se heurte à un règlement irrégulier ; il peut, soit l’attaquer pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, soit y commettre une infraction, et exciper de son illégalité devant une juridiction répressive. En présence d’une réquisition irrégulière le prestataire, devant l’inefficacité des moyens de défense ordinaires, et l’incertitude longtemps persistante sur l’étendue des pouvoirs du juge civil, a pu se trouver acculé à s’opposer à l’exécution d’une manière qui le rende justiciable du tribunal correctionnel ; aujourd’hui, il prendra les devants par un référé en défense. On songera encore, dans cet ordre d’idées, au problème, non résolu, que soulèvent les moyens d’attaquer le règlement irrégulier d’un comité d’entreprise. D’autre part, la liaison du contentieux suppose la fixation et l’affrontement des positions des deux adversaires. Cela ne soulève pas de difficultés lorsqu’il s’agit d’individus. Mais lorsqu’il s’agit de grands corps administratifs, on est amené à exiger une prise de position précise et consciente, en certaines formes et par une certaine autorité. Telle est la décision du directeur départemental des contributions directes, que l’oblige le réclamant à provoquer, ce qui, en même temps, ouvre et favorise les possibilités de conciliation ; cette façon de procéder est très générale dans notre droit administratif, et c’est à elle que se rattache la règle de la décision préalable ». Dans ses chroniques de jurisprudence à la Revue trimestrielle de droit civil, la première occurrence semble : RTD civ. 1950, p. 535 (Hébraud a livré sa première chronique pour la RTD civ. 1948, n° 4, p. 497).
2 RTD civ. 1966, p. 895.
3 Dernière livraison : RTD civ. 1973, p. 884.
4 P. Hébraud, Droit processuel, Toulouse, polycopié de la Corpo des étudiants de droit, paru sans date, entre 1972 et 1975. Le polycopié du cours est malheureusement inachevé. J’ai pu heureusement disposer des excellentes notes de cours prises un ancien élève de Pierre Hébraud, le professeur Jean Devèze, auquel j’exprime ma très vive gratitude.
5 P. Hébraud, Observations sur l’évolution des rapports entre le droit et l’action dans la formation et le développement des systèmes juridiques, Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz, 1985, p. 237.
6 Voir P. Hébraud, Maurice Hauriou et les civilistes, Rec. Académie de législation de Toulouse, XCIII, pp. 13-40 ; La notion de temps dans l’œuvre du doyen Maurice Hauriou, Annales fac. Droit Toulouse, 1968, t. XVI, fasc. 2, pp. 179-207.
7 R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Précis Domat, 13e éd. 2008, n° 630. En contentieux administratif, cette expression de Maurice Hauriou a connu une grande fortune. René Chapus écrit que les expressions de « lier le contentieux » et de « liaison du contentieux » inventées par Hauriou sont « devenues usuelles en doctrine », et « elles ne sont pas ignorées de la jurisprudence ». V. égal. Léa Il, La liaison du contentieux, thèse droit public Paris II (dir. Y. Gaudemet), 2012, qui propose de ne pas réduire la notion à la règle de la décision préalable et soutient une acception plus compréhensive.
8 M. Hauriou, Notes d’arrêts sur décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits, t. 2, La mémoire du droit, 2000, p. 48.
9 M. Hauriou, op. cit., p. 118.
10 P. Hébraud, Cours de Droit processuel.
11 P. Hébraud, Cours de Droit processuel.
12 P. Hébraud, Cours de Droit processuel. Dans ce cours, Hébraud enseigne que « Le problème de la liaison du contentieux ne se pose pas vraiment en droit pénal. Il y a un individu soupçonné d’avoir commis une infraction ; il n’y a qu’une manière de lier le contentieux : l’action publique exercée par le ministère public directement ou provoquée par l’action civile ». Il n’en dit pas plus. A la réflexion, cela paraît court et discutable : le cas de la constitution de partie civile n’est pas négligeable. On pense aussi à la liaison du contentieux en matière contraventionnelle, ou au contentieux de l’action en diffamation.
13 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1972, p. 629.
14 Ce mot de retentissement est un des préférés d’Hébraud. Du vieux français tentir, résonner, et du latin tinnire, tinter, signifie au figuré « manifestation, action communiquée » (Grand Larousse).
15 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1950, p. 535.
16 P. Hébraud, Cours de Droit processuel, p. 74.
17 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1969, p. 161-162.
18 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1950, p. 535.
19 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1968, p. 183.
20 Ibid.
21 T. Grumbach, La défense prud’homale. Pour la défense du point de vue et des intérêts du demandeur salarié, Éditions juridiques et judiciaires Apil, vol. 1.
22 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1957, p. 382.
23 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1950, p. 535. Dans le cours de Droit processuel, on lit que « Il peut y avoir interversion du contentieux par l’effet de la loi. Ainsi le fisc est créancier des redevables et si on suivait les principes ordinaires il devrait commencer par agir en justice pour obtenir le jugement constituant un titre exécutoire et exécuter. On a permis au fisc d’établir un état exécutoire. C’est un titre que l’administration établit elle-même et où elle affirme l’existence de sa créance et qui oblige le débiteur, s’il veut contester, de prendre l’initiative du procès, alors que c’est normalement au créancier qu’il incombe d’agir en justice. Cette interversion du contentieux ne se produit que sur le terrain de la procédure. Au fond, pas d’interversion : c’est l’administration qui droit prouver son droit de créance. Ce système a été étendu de façon progressive en droit privé : en 1936, avec le recouvrement des petites créances commerciales ; décret de 1972 remanié : généralisation de l’injonction judiciaire. » L’exemple du droit fiscal ne doit pas surprendre sous la plume d’Hébraud : si l’on se fie aux pages liminaires de ses mélanges, il a enseigné le droit de l’enregistrement toute sa carrière (Mélanges Pierre Hébraud, Université des sciences sociales de Toulouse, 1981). Quant à la procédure de recouvrement des petites créances commerciales, il a fait le commentaire des décrets-lois l’instituant : v. P. Hébraud, Le recouvrement des petites créances commerciales (décrets-lois des 25 août 1937 et 14 juin 1938), JCP 1938. I. 80.
24 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1968, p. 184 ; RTD civ. 1969, p. 160.
25 P. Hébraud, obs. préc. RTD civ. 1968, p. 184. Cours de droit processuel : « L’établissement de cette situation de départ ne dépend pas toujours de l’attitude des parties ; il peut arriver que des tiers disposant d’une autorité fassent pencher la situation de fait dans un sens ou l’autre. Autorité administrative, autorité de police judiciaire, officier d’état civil ; autorité de fait… En matière d’état civil, tout passe par une formalisation qui a souvent un caractère solennel. On s’aperçoit que l’attitude de l’officier d’état civil peut avoir une grande importance. Avant la loi du 3 février 1972, une personne vient déclarer une reconnaissance d’enfant naturel ; l’officier d’état civil soupçonne qu’il s’agit d’un enfant adultérin. Sur quoi va-t-il se baser ? Mariage de l’auteur de la reconnaissance. Il lui faut faire des recherches. S’il les fait et refuse la déclaration, il met l’auteur de la reconnaissance dans l’obligation de contester son attitude en justice. S’il accepte la déclaration telle qu’elle est inscrite, c’est aux tiers qu’il incomberait alors d’agir en contestation. L’attitude de l’officier d’état civil, indirectement, imposerait à une personne ou à une autre l’obligation d’introduire le contentieux. Si on recherche comment est introduit un procès, sur qui pèse l’initiative, il faut partir de la situation de fait qui peut être influencée par l’intervention d’un tiers ».
26 Cours de droit processuel : « Le "contentieux obligatoire" ou plutôt le recours judiciaire obligatoire. Situations qui ne contiennent pas de litiges à soumettre au juge et qui cependant oblige les intéressés à s’adresser au juge. Pour quels motifs cette exception ? Le législateur agit ainsi dans les cas où pour des matières très importantes engageant le droit des personnes on veut soumettre les actes au contrôle du juge même s’il n’y a pas de désaccord entre les parties. Cela peut présenter deux degrés : 1/ cas où on oblige à recourir au juge sans lier un véritable contentieux contradictoire (juridiction gracieuse, ex. adoption). 2/ cas où on oblige à organiser un véritable contentieux : divorce nécessairement judiciaire et contradictoire. Souvent il y a un véritable litige entre conjoints. Mais il peut arriver que les époux soient d’accord. On ne s’en contente pas ; il faut suivre la procédure contradictoire. C’est ce que l’on a voulu : que tout soit soumis au contrôle du juge. Ici le recours à la justice est imposé par la loi à titre de garantie pour faire ce que les parties ont décidé. »
27 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1972, p. 432 : « bien que l’usage des actions déclaratoires doive assurément être manié avec précaution, la contribution qu’elles peuvent apporter aux problèmes de la liaison du contentieux en vue d’une meilleure protection des droits est illustrée par les applications qu’en fait la jurisprudence (cette revue, 1949, 113 ; 1950, 221-222 ; 1953, 370) ».
28 P. Hébraud, Rôle respectif de la volonté et des éléments objectifs dans les actes juridiques, Mélanges Maury, Dalloz-Sirey, tome 2, 1960, p. 419.
29 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1955, p. 360.
30 L’honneur de cette remarque revient à G. Cavalier, Essai sur le contrat de services en droit international privé, Thèse Lyon, 2005, n° 514.
31 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1966, p. 845 ; RTD civ. 1967, p. 440 ; RTD civ. 1971, p. 411.
32 Cours de Droit processuel.
33 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1955, p. 360.
34 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1972, p. 633.
35 Cours de Droit processuel.
36 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1969, p. 160.
37 Cours de Droit processuel : « Cas où on agit ainsi parce qu’il n’existe pas de moyens directs. On déplace l’objet du contentieux. Soit le bail rural type élaboré par une commission départementale ; or certaines clauses de ces baux sont illégales. Les intéressés ont voulu éviter cette clause. Comment ? On ne peut déférer cette clause au TPBR. Tribunal administratif : ce n’est pas un acte administratif mais comme le texte doit être publié par le préfet, on attaque l’arrêté de publication du préfet, ce qui implique un recours devant le tribunal administratif. Ce moyen détourné a une influence sur la détermination du juge compétent. Divorce. On découvre tardivement qu’un divorce a été prononcé alors qu’un époux est décédé. Comment agir ? On ne peut agir en nullité. On attaque la transcription du divorce à l’état civil pour la faire annuler. Indirectement, on prive d’effet le jugement de divorce. »
38 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1971, p. 411-412 : parfois, « par une sorte de contraction processuelle, les deux actions sont jointes en une seule » ; d’autres fois, au contraire, la Cour de cassation sépare les deux actions et impose de les considérer indépendamment l’une de l’autre. Cette différence de traitement ne satisfait pas Hébraud. Pour lui, « il aurait fallu au contraire, exiger que les deux chefs de demandes, subordonnés l’un à l’autre, soient formulées conjointement dans une seule et même action ».
39 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1951, p. 543. Sur l’action oblique voir aussi obs. RTD civ. 1971, p. 411.
40 Ce lien apparaît nettement dans le Cour de droit processuel, dont la deuxième partie est intitulé : « L’action et la liaison du contentieux ».
41 V. ce titre, in L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 8e éd., n° 329.
42 H. Vizioz, Etudes de procédure, Bière, Bordeaux, 1956, p. 53.
43 R. Morel, Procédure civile, Sirey, 2e éd. 1949, n° 25.
44 G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, 1re éd. 1958, p. 272.
45 H. Motulsky, Le droit subjectif et l’action en justice, APD 1964, p. 215 (ou écrits de procédure, p. 85). V. égal. sa thèse, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, préf. P. Roubier, Sirey, 1948, réed. Dalloz, 1991, n° 31 s.
46 Approbation, mais discrète et du bout des lèvres, comme une sorte de pardon : dans la première note de son article aux mélanges Raynaud, Hébraud déclare que les analyses de Motulsky sur l’action lui paraissent convaincantes : « la nature de l’action en justice n’est peut-être pas toujours et n’a peut-être pas toujours été la même dans tous les systèmes juridiques. Sur ce problème, et dans le cadre où il l’a envisagé, c’est-à-dire celui du système général du droit privé actuel, les développements de Motulsky, qui voit dans l’action un droit subjectif, nous paraissent convaincants ».
47 Cours de droit processuel.
48 Cours de droit processuel. Il ajoute aussitôt cette critique : « Mais l’argumentation sur laquelle on appuie cette distinction frise le sophisme. Quand on dit que l’action en revendication est le droit de propriété en mouvement, on pense à un droit prétendu allégué, invoqué et non pas réellement existant, car au moment de l’action on ne sait pas si ce droit existe ou non. Le fait que le juge, usant de son pouvoir d’appréciation, dise si le droit de propriété existe ou non ne paraît pas impliquer nécessairement que l’exercice de l’action ne repose pas sur la prétention d’un droit de propriété. A la base du raisonnement, il semble déjà y avoir un excès d’abstraction. » Je ne comprends pas cette critique. Où est le sophisme qu’il dénonce ? Cette critique me paraît d’ailleurs contradictoire avec une phrase que l’on trouve quelques lignes plus bas, selon laquelle la théorie de la distinction du droit est de l’action « avait au départ quelque chose de juste », mais qu’elle a été poussée trop loin.
49 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1969, p. 161-162.
50 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1972, p. 432.
51 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1951, p. 544 ; 1971, p. 411.
52 P. Hébraud, obs. RTD civ. 1968, p. 184 ; 1971, p. 411.
53 Cours de droit processuel : « En matière immobilière, on a réglementé l’attribution même de la situation de fait sous le nom de possession. On a organisé des actions possessoires. Il y a un contentieux préalable organisé qui a pour but de poser la situation de fait sur laquelle s’engagera ensuite la discussion de fond. Quelle est la portée de ce phénomène ? On a l’l’habitude d’étudier les actions possessoires dans le cadre de la procédure. On attribue ce débat préalable au tribunal d’instance. Toute cette matière s’est constituée parce que la propriété immobilière avait une importance très grande. En réalité cette matière devrait rentrer dans le droit civil à côté de la propriété immobilière. Dans la procédure, il faudrait mettre une théorie générale de ce contentieux préalable au débat sur le fond pour attribuer la qualité de défendeur. Il existe en procédure un instrument de portée générale permettant de régler ce problème préalable : le référé qui permet de résoudre sur le terrain du fait le premier niveau de conflit. Le référé joue d’une façon générale un rôle semblable à celui des actions possessoires en matière immobilière. Cela souligne l’importance du fait en vue de la solution du contentieux.
54 J. Jugault, De la liaison du contentieux. Essai sur la genèse de l’acte juridictionnel, thèse Rennes, 1969 (dir. H.‑D. Cosnard), 315 pp. La thèse s’ouvre d’ailleurs sur une substantielle citation d’Hébraud. C’est une thèse de « droit processuel » au sens de l’époque, i.e. de droit comparé des procédures civile, pénale et administrative. Thèse intéressante à bien des égards mais décevante pour qui s’intéresse à la notion même de liaison du contentieux, car la notion n’est pas vraiment traitée pour elle-même et ne fait pas l’objet d’une théorie générale. A l’analyse, le sous-titre de la thèse apparaît plus important que le titre : à la recherche de la genèse de l’acte juridictionnel, l’auteur évoque tout ce qui le précède, de sorte que tout ce qui n’est pas l’acte juridictionnel lui-même est liaison du contentieux.
55 V. obs. RTD civ. 2017, p. 211.
Auteur
Professeur à l'Université de Tours,
Directeur de l'IEJ François-Grua
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