Les “études de législation comparée” des assemblées parlementaires françaises : une utilisation pédagogique du droit comparé dans le travail législatif ?
p. 391-401
Texte intégral
1Dès son origine, le droit comparé a été étroitement lié à l’activité législative. Tous les traités de droit comparé, des plus classiques aux plus récents, consacrent des développements à son histoire1, depuis son apparition, qui remonte en Occident à l’Antiquité grecque, à l’époque légendaire des législateurs des Cités grecques. En effet, Lycurgue et Solon, les grands législateurs antiques, sont réputés avoir étudié les institutions des différentes Cités avant de rédiger, pour le premier les lois spartiates, pour le second les lois d’Athènes. Il s’agit pour eux de réformer ou fonder le droit de la Cité par l’utilisation de la comparaison.
2Le droit comparé est alors une source d’inspiration ou de réflexion, la source d’un éclairage différent sur les besoins normatifs d’un Etat. Ce lien entre droit comparé et activité législative a connu parfois des éclipses, mais il n’a jamais disparu. Ainsi, on ignore parfois qu’en France, Napoléon Bonaparte, lors de la rédaction du Code Civil, avait créé au sein du Ministère de la Justice un “Bureau de législation étrangère” destiné à rassembler des informations sur les expériences étrangères2.
3On peut donc dire que le premier intérêt porté au droit comparé l’a été en matière législative ; d’ailleurs pendant longtemps on ne parlait pas de “droit comparé”, mais de “législation comparée” – c’est l’expression utilisée en 1869 quand a été créée à Paris la “Société de Législation Comparée”.
4Mais ce lien entre droit comparé et activité législative, qui est encore aujourd’hui mis en avant par tous les comparatistes, est généralement présenté comme une évidence, et ne fait donc l’objet d’aucun approfondissement. Ainsi, un certain nombre d’études ont été menées ces dernières années sur l’utilisation du droit comparé par le Juge3, mais son utilisation par le Pouvoir législatif ne fait pas l’objet d’une grande attention…
5Cette lacune, quand elle est reconnue, est généralement expliquée par deux arguments complémentaires : en premier lieu l’influence exacte de l’argument comparatif dans une législation nouvelle serait très difficile à évaluer4 ; en second lieu il n’est jamais possible de mesurer exactement la portée de l’influence du droit comparé dans la loi une fois achevée, en dépit des références abondantes au droit étranger qui peuvent figurer dans les documents accompagnant celle-ci5. On cherchera ici à réaliser une première étude de cette question, à partir de l’exemple français, préparatoire à une étude comparative de plus grande ampleur.
6Le cas français semble en effet intéressant dans la mesure où, bien que rien n’oblige le Parlement à utiliser dans son travail législatif des éléments de droit étranger, ses deux Chambres se sont cependant dotées en la matière d’un instrument original : les “Études de Législation Comparée”, des documents qui font l’objet d’une publication par les Assemblées. Les séries des “Études de Législation Comparée” existent, pour le Sénat depuis le mois d’Avril 1995 – bien que des études comparatives aient été publiées de façon ponctuelle et non systématique depuis 1990 –, et pour l’Assemblée nationale depuis 2004. Ces Études – assez différentes dans leur conception – font partie des documents proposés aux parlementaires dans le but, d’abord d’éclairer leur réflexion sur les projets et propositions de textes qui leur sont soumis, et ensuite de contribuer à l’élaboration des arguments utilisés devant le Parlement lors des débats parlementaires. Elles sont également mises à la disposition du public.
7Le problème auquel on s’est attaché ici est de savoir si les Études de Législation Comparée, intégrées au sein des “documents de travail” de chaque Assemblée, jouent – ou pas – un rôle pédagogique auprès des parlementaires, en influençant leur travail législatif.
8Il implique au préalable de se demander quel peut être ce rôle pédagogique, ou en quoi leur rôle peut être pédagogique… Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas ici de revenir sur la définition de la pédagogie, déjà abordée dans les travaux de ce colloque. On utilisera ici le terme dans le sens qui lui est donné dans les sciences de l’éducation : un ensemble de méthodes et pratiques d’enseignement, visant à transmettre un savoir donné.
9Entendu de la sorte, le rôle pédagogique des Études de Législation Comparée se manifesterait ici, à la fois à travers la transmission d’un savoir – en l’occurrence, la connaissance des solutions mises au point à l’étranger concernant des problèmes qui se posent également en France –, et à travers une modification de la manière de concevoir le rôle du législateur, qui serait davantage axé sur la recherche des solutions législatives à donner à un problème spécifique.
10Dans cette perspective, la création et la diffusion des Études de Législation Comparée semble à première vue relever d’un effort de “pédagogie” dans le travail législatif, en portant à la connaissance des parlementaires, ainsi que des citoyens, des éléments d’information et de réflexion potentiellement utiles, qui resteraient sinon hors de leur portée. Cependant, on peut s’interroger sur l’efficacité de cette démarche, et sur sa portée pour le travail parlementaire.
11Evaluer cette efficacité soulève quelques problèmes, car la doctrine comparatiste a raison de considérer qu’il est difficile d’identifier à coup sûr les traces d’une réflexion comparative dans un texte de loi. La démarche retenue ici a donc été de rechercher des indices indirects de l’impact des Études de Législation Comparée sur l’activité législative. Pour cela, on s’est intéressé d’abord aux Études elles-mêmes : ont-elles connu une évolution, et le cas échéant, dans quel domaine : celui des thèmes abordés, de la manière de les traiter ? Existe-t-il des différences entre les séries d’Études des deux Assemblées ? On s’est ensuite attaché à l’utilisation des arguments comparatifs dans les travaux législatifs, que ce soit dans les rapports législatifs, les rapports d’information ou les débats parlementaires…
12La combinaison de ces éléments dresse un tableau parlant, mais finalement assez paradoxal. Il apparaît que les Études de Législation Comparée jouent un rôle pédagogique bien réel, à la fois dans la manière dont elles sont conçues et réalisées, et dans l’utilisation qui en est faite. Mais, malgré la valeur du travail qu’elles réalisent, elles sont loin d’être pour les parlementaires une ressource unique en matière comparative. On peut donc avancer l’idée que les Études font avant tout figure pour le Parlement – et d’ailleurs principalement le Sénat – d’élément d’affichage, de “vitrine”, et de facteur de diffusion du réflexe comparatif auprès des parlementaires français.
13Pour étayer cette idée, on verra, en premier lieu que les Études de Législation Comparée ont mis la comparaison du droit au service du travail législatif sous une forme systématique, à la fois dans le choix des thèmes retenus et dans la manière de les traiter ; et en second lieu que le rôle qui leur est donné n’en est pas moins paradoxal, parce que, bien qu’elles aient rempli leur objectif de diffusion du recours à l’argument comparatif, elles ne sont en définitive pour les parlementaires qu’une source comparative parmi d’autres.
I – LES ÉTUDES DE LÉGISLATION COMPARÉE : LA COMPARAISON DES DROITS AU SERVICE DU TRAVAIL LÉGISLATIF
14Pour apprécier le degré d’intégration des Études de Législation Comparée au travail législatif, il convient d’étudier la manière dont leurs thèmes sont choisis et traités. On s’aperçoit alors que ces Études ne sont pas conçues comme des travaux académiques, mais bien comme des outils au service de l’activité du Parlement.
A – Des thèmes liés à l’actualité législative
15L’étroitesse du lien entre les Études de Législation Comparée et le travail législatif varie selon l’Assemblée considérée.
16Ce lien est particulièrement étroit si l’on considère les Études de l’Assemblée nationale, qui sont la série la plus récente, et de loin la moins développée. A l’Assemblée Nationale, l’activité du Bureau “Documentation générale – Etudes de droit comparé” (au sein du Service des Affaires européennes) est volontairement placée au service direct et exclusif des députés : les études sont donc réalisées à la demande, soit de députés, soit des commissions de l’Assemblée. Elles sont donc moins systématiques que celles qui sont réalisées au Sénat, et leur forme n’est pas harmonisée.
17Il existe ainsi plusieurs collections d’études comparatives, présentées par l’Assemblée nationale sous le titre de “Études de législation comparée” : d’une part les 12 études proprement dites réalisées par le Service des Affaires européennes, et d’autre part des rapports réalisés, soit dans le cadre des commissions, soit dans celui de la Délégation de l’AN pour l’Union européenne, avec l’appui des fonctionnaires du Service.
18Le Sénat se trouve dans une situation bien différente : il a développé les Études de Législation Comparée depuis longtemps, et en a fait une vitrine de son activité. De ce fait, le nombre des études réalisées et publiées est important, et l’étude de leur contenu montre que le lien avec le dépôt d’un texte est loin d’être systématique.
19Même si un certain nombre d’Études sont justifiées par le dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi, ce n’est pas la motivation principale de leur réalisation. L’analyse des raisons qui justifient leur réalisation devient plus convaincante si l’on élargit la perspective. Il apparaît que les Études sont toujours liées à des questions d’actualité, mais qu’elles peuvent répondre à plusieurs situations distinctes : soit elles répondent au dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi6 – en moyenne, cette explication rend compte de 16 % des cas environ, bon an mal an… – ; soit elles concernent une question d’actualité susceptible de provoquer le dépôt d’un projet de texte7 – en moyenne, cette explication rend compte de 37 % des cas environ, bon an mal an… – ; soit elles concernent le suivi de l’application d’un texte déjà adopté8 - en ce cas le choix des thèmes relève souvent de demandes émanant de membres des Assemblées, aussi bien que de l’initiative des services concernés – en relation avec les services ministériels, et cette explication rend compte en moyenne de 29 % des cas environ, bon an mal an… ; soit enfin elles concernent des sujets que la Division des Études de Législation Comparée (sur saisine de sénateurs en général) estime particulièrement intéressants9, et constituent une sorte de “suggestion d’intervention”… – en moyenne, cette explication rend compte de 18 % des cas environ, bon an mal an… On voit donc que les thèmes abordés ont toujours par définition un lien – plus ou moins étroit – avec l’activité législative du Parlement, soit à titre actuel, soit à titre potentiel.
20Cette mise au service du travail législatif se manifeste aussi dans la conception même des Etudes.
B – Des études comparatives à part entière ?
21La question soulevée ici est celle de la méthode utilisée par les rédacteurs des Études de Législation Comparée : ces études relèvent-elles réellement du droit comparé, ou d’une simple présentation des droits étrangers ? Adoptent-elles une approche critique, ou visent-elles à la neutralité ? Enfin, sur quelle base sont choisis les pays étudiés ?
22L’examen des séries d’Études de l’Assemblée nationale et du Sénat montre qu’elles mettent en avant un souci de neutralité, et se présentent avant tout comme une source d’informations pour les parlementaires. Mais la méthode employée diffère quelque peu d’une Assemblée à l’autre.
23L’Assemblée nationale se distingue par l’absence de modèle apparent pour ses Études. Ce sont le plus souvent des notes de synthèse élaborées à partir d’une confrontation du droit français et des solutions retenues dans les pays étudiés. Ces notes sont en général courtes10, mais pas toujours – elles peuvent à l’occasion être assez détaillées11. Elles répondent toujours à un souci de clarification de la question. Elles sont en général suivies de fiches présentant le droit national de chaque Etat retenu pour l’étude – mais ce n’est cependant pas toujours le cas12. Enfin, aucune explication n’est fournie quant au choix des exemples retenus : on peut seulement remarquer que les États européens sont privilégiés. Il n’y a pas non plus de constance dans le nombre d’exemples retenus (entre trois et huit par étude) : ils semblent en fait dépendre des réponses obtenues auprès des correspondants de l’Assemblée nationale.
24La situation des Études de Législation Comparée du Sénat est bien différente. Leur premier intérêt est que la méthode appliquée est clairement identifiable, et systématiquement appliquée à chaque Étude : chaque cas national est soumis à un “questionnaire” identique. L’élaboration de ce questionnaire suppose un travail préalable d’identification des principaux éléments de spécificité de la question étudiée, travail qui reste apparent dans la présentation du résultat final.
25La structure des Études du Sénat est également rigoureuse. On y retrouve systématiquement deux parties. La première consiste en une note de synthèse qui présente systématiquement la situation du droit national, et une brève explication de l’utilité d’une étude comparative, puis une synthèse des études nationales qui débouche sur une tentative de rationalisation des expériences étrangères. En deuxième partie figure une présentation pays par pays du droit national des États retenus pour l’étude, chaque présentation étant elle-même composée d’une synthèse nationale, puis d’un exposé détaillé.
26Malgré ces points forts, on peut regretter qu’il n’y ait que peu ou pas d’explication ou de justification du choix de certains Etats plutôt que d’autres. En fait, on a parfois l’impression que le choix est lié aux compétences des membres du service chargé d’établir les Études : on retrouve presque toujours l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, et l’Italie s’y adjoint souvent… Quant au nombre d’exemples retenus, il est compris entre cinq et treize, et s’ouvre parfois au-delà de l’Europe, en fonction des sujets : par exemple vers les États-Unis, le Canada, ou la Nouvelle-Zélande…
27On s’aperçoit ainsi en étudiant les documents proposés par chaque Assemblée que la dimension proprement comparative n’est pas également présente dans chaque collection. Elle est sensiblement plus poussée au Sénat, où l’on note un souci d’analyse et de synthèse qui dépasse de loin de simples études de droit étranger, et produit de véritables outils d’aide à la décision pour les sénateurs.
II – UN RÔLE PARADOXAL
28Le paradoxe du rôle joué par les Études de Législation Comparée tient au fait que, si elles peuvent être considérées comme des facteurs décisifs dans l’évolution de l’attitude des parlementaires français concernant l’intérêt des droits étrangers pour leur travail législatif, elles font cependant finalement figure pour eux plus de source d’inspiration que de ressource complète et exclusive en la matière.
A – Un impact bien réel : une diffusion de l’argument comparatif
29Une recherche faite depuis l’apparition des Études de Législation comparée dans les deux Assemblées montre une augmentation statistique régulière de l’utilisation de l’argument comparatif, aussi bien devant l’Assemblée nationale que le Sénat. Cette augmentation concerne aussi bien les rapports annexés aux projets et propositions de loi lors de leur examen en commission que les rapports d’information établis au sein des Assemblées. Elle se traduit également dans les comptes-rendus des débats parlementaires.
30Il apparaît ainsi que, à l’Assemblée nationale, le recours aux arguments de droit comparé a doublé depuis 10 ans, à la fois dans les dossiers législatifs et dans les comptes-rendus de débats parlementaires. De même, au Sénat, on constate un lien évident entre le lancement de la Série des Études de Législation Comparée en 1995 et une croissance des recours à l’argument comparatif, qui ont fait depuis l’objet d’une augmentation régulière depuis.
31On peut discuter du lien de cette augmentation avec les Études de Législation Comparée : elle pourrait en effet également s’expliquer par l’influence croissante du droit communautaire au sein des ordres juridiques des États membres. Quand quatre-vingt pour cent environ des normes adoptées en France sont d’origine communautaire, et que les échanges transfrontaliers se développent au rythme de la construction européenne, les pouvoirs publics ont de plus en plus besoin d’instruments comparatifs, afin de tenir compte de ce contexte.
32De même, il est devenu banal de relever un lent mouvement de convergence des droits dans beaucoup de domaines en Europe, notamment ceux qui touchent l’activité économique, mais qui commence même à atteindre certains aspects du Droit des personnes et de la famille – pourtant traditionnellement plus réfractaire à cette évolution, car plus marqué par le contexte culturel national de son élaboration. Tous ces éléments justifient l’intérêt accru pour le droit comparé dont témoignent l’Assemblée nationale et le Sénat.
33Cependant, cette dernière explication n’enlève rien à l’étude de l’impact des Études de Législation Comparée : en effet, elles ont été créées justement dans le but d’adapter les méthodes de travail du Parlement à un contexte où à la fois l’intégration européenne et la mondialisation progressent rapidement. De ce fait, si seule l’influence de la construction européenne jouait, le recours aux arguments comparatifs se serait développé bien avant, au moins à partir des années 1980 – et ce n’est pas le cas. Il semble donc bien que l’on puisse parler d’un effet d’entraînement produit par la publication de ces Études.
34Reste maintenant à se demander si ces instruments sont les seules sources de droit comparé utilisées par les parlementaires.
B – La place des Études de Législation Comparée dans le travail législatif : une source parmi d’autres
35Une étude des rapports législatifs et des rapports d’information publiés par l’Assemblée nationale et le Sénat montre que les auteurs des rapports utilisent des sources d’éléments comparatifs qui dépassent largement les Études de Législation Comparée réalisées au sein des deux Assemblées. Ils s’appuient ainsi également sur des sources doctrinales (lors d’auditions de spécialistes français du Droit comparé par exemple, ou en utilisant des travaux comparatifs déjà réalisés par ailleurs), sur les ressources françaises à l’étranger (le réseau des ambassades, des “missions économiques”, des magistrats de liaison…), ainsi que sur les leçons qu’ils tirent de déplacements à l’étranger.
36De plus, quand les Études de Législation Comparée sont utilisées, il ne faut pas imaginer que l’Assemblée nationale ou le Sénat se basent essentiellement sur celles qui sont réalisées par leurs propres services… Il semble en effet que les Études du Sénat aient un succès supérieur à celles de l’Assemblée nationale, aussi bien dans les travaux de l’Assemblée que dans ceux du Sénat… Les travaux comparatifs de l’Assemblée sont il est vrai beaucoup moins nombreux, et souvent moins détaillés, la priorité étant donnée à l’analyse du droit européen – la structuration même du service compétent est éclairante à cet égard13.
37Pour terminer, on peut se demander de quel type sont les arguments comparatifs utilisés par les parlementaires, à partir des sources qui sont mises à leur disposition. Bien que “l’influence exacte de l’argument comparatif dans une législation nouvelle (soit) très difficile à évaluer”14, il semble qu’on puisse ici distinguer trois types d’usages possibles. En premier lieu l’utilisation d’enquêtes comparatives peut se faire de façon “ouverte”, pour s’enquérir de ce qui se fait à l’étranger face à un problème donné – comme source d’idées “neuves”. Ensuite, des arguments comparatistes peuvent être utilisés pour soutenir une solution donnée et prédéfinie, comme source d’arguments juridiques pour atteindre un résultat ou justifier une décision – cette hypothèse recouvre aussi bien des cas où l’exemple étranger viendra illustrer les résultats attendus d’une législation, que des cas où ils manifesteront une forme de consensus international concernant les règles à adopter dans un domaine donné… Enfin, l’utilisation d’arguments comparatifs peut être purement “cosmétique” : ils font alors figure d’” ornements” superficiels d’un débat franco-français…
38Il apparaît que si les rapports parlementaires adoptent en général désormais l’une des deux premières attitudes, ce qui témoigne d’une amélioration de la qualité de la prise en compte des exemples étrangers dans le travail législatif, la situation est encore mitigée en ce qui concerne les débats, aussi bien en séance que, dans une moindre mesure, en commission : dans ce dernier cas c’est le troisième type d’usage qui prévaut encore souvent…
39On peut donc dire que cette utilisation des solutions juridiques dégagées à l’étranger pour faire face à des problèmes qui se posent également en France se situe en fait aux frontières du droit comparé. Certes les études de législation comparée (en particulier celles du Sénat) témoignent souvent d’une volonté de dépasser la simple description du droit étranger pour procéder à une analyse des problèmes posés, de leurs enjeux, et des enjeux et conséquences des solutions mises en œuvre dans les pays étudiés ; en revanche l’utilisation des arguments tirés des droits étrangers qui est faite par les parlementaires, dans les rapports parlementaires et a fortiori dans les débats parlementaires, reste encore bien souvent rhétorique : il s’agit bien souvent d’arguments destinés à remporter une bataille… Mais n’est-ce pas la nature de l’activité politique ?
Notes de bas de page
1 Cf., par exemple, Erich GENZMER, “Über historische Rechtsvergleichung”, in Mario ROTONDI (dir.), Inchieste di diritto comparato, Padova : CEDAM, 1973, p. 233-254, ou Charles DONAHUE, “Comparative Law before the Code Napoleon”, in Mathias REIMANN et Reinhard ZIMMERMANN (dir.), The Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford : OUP, 2006, p. 3-32, ou Konrad ZWEIGERT et Hein KÖTZ, An Introduction to Comparative Law, New York : OUP, 1998 (3ème éd.), 714 p.
2 Paul GRUNEBAUM-BALLIN, “Comment Bonaparte, Premier Consul, fonda le premier organisme français d’étude des législations étrangères et du droit comparé”, RIDC 1953, vol. 5 no 2, p. 2 67-273.
3 Guy CANIVET, Mads ANDENAS, Duncan FAIRGRIEVE (eds), Comparative Law Before the Courts, London : British Institute of International and Comparative Law, 2004 ; Guy CANIVET, “La convergence des systèmes juridiques par l’action du juge”, in Picard, Etienne (dir.), De tous horizons. Mélanges Xavier Blanc-Jouvan, Paris : Société de Législation Comparée, 2005, p. 11.
4 Jan M. SMITS, “Comparative law and its influence on national legal systems”, in Mathias REIMANN et Reinhard ZIMMERMANN (dir.), The Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford: OUP, 2006.
5 Eşın Örücü, “Comparative law in practice: the Courts and the legislation”, in Eşın Örücü et David Nelken (dir.), Comparative Law. A Handbook, Oxford : Hart Publishing, 2007.
6 Ex. : ELC no 162, d’Avril 2006, sur l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, publiée juste après le dépôt d’un projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration, ou ELC no 202, de Novembre 2009, sur la castration chimique, qui anticipe sur l’examen d’un projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale).
7 Ex. : ELC no 126 sur les horaires d’ouverture des commerces de détail, publiée en Octobre 2003, dont la note de synthèse commence ainsi : “La résurgence du débat relatif à l’ouverture des magasins le dimanche en France fournit l’occasion d’étudier les horaires d’ouverture des commerces de détail dans les principaux pays européens”, ou ELC no 201, d’Octobre 2009, sur le port de la burqa dans les lieux publics. On les reconnaît à certaines mentions présentant l’objet de l’Etude ; “certains proposent de…”, “certains s’interrogent sur l’opportunité de…”, “le Premier ministre (ou le Président de la République) a déclaré le… que…”. Elles peuvent aussi correspondre à la création d’une commission de réflexion ou d’un groupe d’étude sur un sujet donné…
8 Ex. : ELC no 138 sur l’archéologie préventive, publiée en Octobre 2004, alors que les lois françaises sur la question ont été adoptées en 2001 et 2003, ou ELC no 203 de Décembre 2009, sur le curriculum vitae anonyme.
9 Ex. : ELC no 172 de Mai 2007 sur la gestion des copropriétés…
10 Ex. : Mai 2006, “Fonction publique et mandats électifs dans l’Union Européenne”
11 Ex. : Septembre 2004, “Soins médicaux aux étrangers en situation irrégulière”
12 Ex. : étude de Juillet 2004 sur le mariage civil, le mariage religieux et la reconnaissance juridique des unions entre personnes de même sexe ; étude de Septembre 2004 sur les salaires minima dans l’UE ; étude de Décembre 2009 sur les taux de TVA en vigueur applicables aux services de restauration en Europe, et les conséquences de la directive 2009/47/CE du 5 mai 2009.
13 La réforme de l’organisation des services réalisée en 2006 a conduit à créer un “pôle fonctionnel” intitulé “Service des affaires européennes” (bien distinct du pôle “Service des affaires internationales et de défense”), comportant lui-même deux divisions : le Secrétariat de la commission chargée des affaires européennes, et la Division des études européennes et du droit comparé. En comparaison, la Division des Études de Législation Comparée du Sénat est placée au sein du Service des études juridiques, élément des Services législatifs. Notons qu’à l’issue de la réforme du Sénat qui vient d’être achevée le 13 juillet 2010, et qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, la logique de ce rattachement n’a pas fondamentalement changé.
14 Jan SMITS, “Comparative law and its influence on national legal systems”, in Mathias REIMANN et Reinhard ZIMMERMANN (dir.), The Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford : OUP, 2006 (traduction personnelle).
Auteur
Professeur de Droit Public à l’Université Toulouse 1 Capitole, IRDEIC
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
Dix ans après
Sébastien Saunier (dir.)
2011