La pédagogie au service du droit des travaux publics
p. 369-389
Texte intégral
1Qu’est-ce que la pédagogie ? Peut-on utilement la distinguer de l’enseignement et de l’éducation ? L’opposition de deux figures célèbres permet d’illustrer la différence et la complémentarité de ces activités. Il s’agit de la figure de Socrate, le pédagogue du dialogue, de la maïeutique, celui qui n’enseigne pas ce qu’il sait puisqu’il dit qu’il ne sait rien. La seconde figure est celle de Platon, l’éducateur, celui qui dit savoir ce qu’il faut enseigner et à qui. Fondement d’une communication possible entre deux acteurs, la pédagogie est toujours une action de transmission d’un message d’un émetteur à un destinataire et le résultat de cette action est la compréhension de ce message par le destinataire. Bien entendu, la pédagogie est aussi une qualité que l’on a ou que l’on n’a pas et de laquelle dépend le résultat escompté. Au demeurant, c’est un effort fait envers le destinataire pour que le message qui lui est adressé prenne pour lui le sens que l’émetteur lui a donné.
2Le présupposé de ce colloque s’interrogeant sur le rôle de la pédagogie dans le domaine du droit repose sur le constat d’une progression de la pédagogie des acteurs juridiques, et en particulier du juge. Il semble bien que soit apparu un effort de pédagogie, qui tantôt est mené pour l’efficacité du droit, tantôt par un souci démocratique et une quête de légitimité du juge qui souhaite se faire mieux comprendre lui aussi.
3Ce présupposé de base se vérifie parfaitement dans le droit administratif pénitentiaire1. En est-il de même avec les règles gouvernant le droit des travaux publics ? Le droit des travaux publics signifie ici le droit des marchés de travaux publics, le droit des contrats en rapport avec la réalisation d’un travail public et le droit de la responsabilité du maître d’ouvrage comme des constructeurs.
4Il faut préciser que c’est la lecture régulière des conclusions des deux rapporteurs publics du Conseil d’Etat spécialistes de ce domaine (N. Boulouis et D. Casas)2 qui nous a menée à constater peu à peu leur pédagogie, leur effort d’explication des solutions proposées. Mais de ce point de vue, si l’on prend un peu de recul historique, on doit convenir que la pédagogie est l’une des fonctions essentielles de l’institution du commissaire du gouvernement, ancêtre du rapporteur public, et que, dès lors, il ne faut pas s’étonner que des conclusions et des rapporteurs publics soient pédagogues3.
5Ce qui doit plutôt nous convaincre de la spécificité de cet effort pédagogique récent ce sont les causes et les effets le sous-tendant et la personnalité des rapporteurs concernés. Il y a quelques années, D. Casas était venu dans l’université qui accueille notre colloque pour expliquer le revirement de l’arrêt de juillet 2007, Société Tropic Travaux signalisations, et avait affirmé qu’il souhaitait ce revirement et qu’il attendait le “dossier” qui le lui permettrait. N. Boulouis4 affirmait très récemment que “Des recherches sur les conclusions des commissaires du gouvernement de la 7e sous-section, laquelle est spécialisée dans le droit des marchés, et sur les décisions rendues à son rapport sur les cinq dernières années font apparaître un certain nombre de constats qui, pour ne pas résulter d’une méthode scientifique très rigoureuse, sont toutefois assez révélateurs des tendances actuelles de la jurisprudence”5.
6S’il y a un effort pédagogique, il est donc certainement lié à des conditions internes, la personnalité des membres de la formation, mais il y a aussi des conditions externes qu’il convient d’analyser.
7C’est une méthode néanmoins périlleuse : à la fois inductive et déductive, elle s’appuie, d’une part, sur un travail d’observation nécessairement restreint tant les décisions et conclusions sont nombreuses6 et, d’autre part, sur une idée en voie de diffusion selon laquelle le juge administratif serait de plus en plus pédagogue. Or cette idée n’est-elle pas erronée, simplement intuitive ? Résiste-t-elle à l’analyse de la jurisprudence et des commentaires avertis sur celle-ci ?
8Il convient dès lors d’analyser, en premier lieu, quelles sont les manifestations de cet effort pédagogique dans le droit des travaux publics qui permettent de conclure à une volonté pédagogique (I) ? En second lieu, la pédagogie est-elle un instrument jurisprudentiel ou juridictionnel, ou bien les deux ? Autrement dit, quel est l’intérêt de la pédagogie dans ce type de droit (II) ?
I – LES MANIFESTATIONS DE L’EFFORT PÉDAGOGIQUE DANS LE DROIT DES TRAVAUX PUBLICS
9Dans le droit relatif aux travaux publics, sous l’impulsion notamment de ses deux rapporteurs publics N. Boulouis et D. Casas, et aujourd’hui B. Dacosta, le Conseil d’Etat a déployé sa pédagogie de deux manières : en déterminant précisément les règles applicables et en exposant leurs conditions d’application (A).
10La pédagogie pose toutefois un problème car elle n’est pas circonscrite aux rapporteurs publics. La décision elle-même révèle un effort de pédagogie et cela conduit à s’interroger sur une question fondamentale : quelle est la nature de la pédagogie et quelle est sa fonction dans le droit ? La pédagogie est-ce dire ou est-ce faire (B) ?
A – La détermination précise des règles applicables et de leurs conditions d’application
11Dans le droit des travaux publics, le juge développe une approche beaucoup plus didactique qu’auparavant. On mesure d’ailleurs l’importance de la pédagogie et on l’exprime même au niveau du Conseil d’Etat : “La décision que vous rendrez sur le contrat en cause dans la présente affaire devrait contribuer entre autres à éclairer la notion polymorphe de maître d’ouvrage”. Ainsi débutent les conclusions du rapporteur public N. Boulouis sous la décision rendue le 17 juin 2009, SA d’Economie Mixte Nationale (SAEMN) Bibracte7.
12Ne peut-on y voir l’aveu d’une entreprise pédagogique quand on mesure le sens de l’expression “entre autres” ? Cela est d’autant plus intéressant qu’à l’époque de cet arrêt le Cahier des clauses administratives générales Travaux était en préparation et avait notamment pour fonction de clarifier certaines notions (dont celle de maître d’ouvrage) et simplifier les règles applicables. Il est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2010.
1) Une détermination précise des règles applicables
13Dans un arrêt du 8 juin 2005, Ville de Caen8, le Conseil d’Etat rappelle que des concepteurs ne peuvent être condamnés sur le fondement de la garantie de parfait achèvement car ce mécanisme de responsabilité ne concerne que les entrepreneurs. Faisant œuvre de pédagogie, il rappelle que ces concepteurs peuvent être néanmoins appelés en garantie par l’entreprise condamnée. Le Conseil d’Etat réaffirme ainsi la distinction entre obligation à la dette et contribution à la dette. Les concepteurs peuvent être condamnés à contribuer à la dette. Le Conseil d’Etat précise qu’il faut toutefois qu’ils aient commis une faute (dans la conception de l’ouvrage ou la surveillance du chantier) et la répartition de la garantie s’effectue au prorata de leur “responsabilité concrète” et non “juridique”.
14Cet arrêt n’est pas nécessairement facile à lire et à comprendre pour un non-spécialiste mais il clarifie les règles applicables et il est le point de départ d’un ensemble d’éclaircissements que le Conseil d’Etat va mener sur l’action en responsabilité et l’appel en garantie en matière d’exécution des travaux publics. On peut souligner qu’il est aux conclusions de N. Boulouis, nommé commissaire du gouvernement en janvier 2005.
15Un certain nombre de décisions postérieures vont continuer à éclairer ce droit tout en étant beaucoup plus pédagogiques dans leur forme même. Dans une décision du 26 janvier 2007, Société Mas9, le Conseil d’Etat apporte une précision très attendue au regard d’importantes divergences de jurisprudences ayant pu être constatées. La question que devait trancher le Conseil était de savoir si, en l’absence de décision explicite de la personne responsable à la fin du délai légal de la garantie de parfait achèvement, les réserves émises à la réception de l’ouvrage devaient être considérées comme implicitement levées. Le Conseil d’Etat a décidé de ne pas considérer les réserves comme implicitement levées mais au contraire d’affirmer que la garantie de parfait achèvement se maintient tant que l’entrepreneur n’a pas tenu ses engagements de réparer.
16Dans une décision du 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-mer10, le Conseil d’Etat clarifie les définitions et les fonctions respectives de la réception des travaux et du décompte général et définitif dans l’engagement des responsabilités des constructeurs11. Le Conseil rappelle également que lorsqu’une réception a été effectuée sans réserve et que des dommages ont été subis par des tiers, le maître de l’ouvrage ne peut appeler le constructeur en garantie ni invoquer un manquement du maître d’œuvre à son obligation de conseil au moment de la réception. C’est ainsi depuis 198012 et 200413. Le rapporteur public N. Boulouis explique que le choix du maintien de cette exception est un pis-aller, un arbitrage entre une situation qui si elle n’était pas défavorable au maître d ‘ ouvrage, le serait au maître d’œuvre. Ceci n’est donc pas une règle nouvelle. Il s’agit ainsi d’un rappel pédagogique des règles applicables, comportant des explications sur leur intérêt au surplus.
17Cette décision apporte également une précision importante sur la portée de l’obligation de conseil des maîtres d’œuvre au moment du décompte général et définitif. Le Conseil d’Etat impose en effet au maître d’œuvre “chargé d’établir le décompte général du marché soit d’inclure dans ce décompte, au passif de l’entreprise responsable de ces désordres, les sommes correspondant aux conséquences de ces derniers, soit, s’il n ‘ est pas en mesure de chiffrer lesdites conséquences avec certitude, d’attirer l’attention du maître de l’ouvrage sur la nécessité pour lui, en vue de sauvegarder ses droits, d’assortir la signature du décompte général de réserves relatives à ces conséquences”. Il est vrai que l’insuffisance du maître d’œuvre dans son établissement du décompte général a pour répercussion d’interdire au maître d’ouvrage d’obtenir réparation auprès de l’entrepreneur dès lors qu’il n’a pas émis de réserve au paiement des travaux dans le décompte. Mais là aussi l’arrêt n’innove pas, la décision a “pour intérêt d’officialiser la possibilité, pour le maître de l’ouvrage, d’assortir de réserves la signature du décompte général”14. C’est donc à nouveau un rappel pédagogique, une “remise en perspective”, selon les mots de F. Moderne, des différentes règles applicables15. L’effet est néanmoins important. Le Conseil pose une obligation de résultat. Il détermine avec précision comment le maître d’œuvre doit agir pour se conformer à son obligation de conseil. Le Conseil établit un mode d’emploi.
18Les arrêts de ce type sont nombreux. On peut donner alors un dernier exemple : dans une décision du 26 novembre 2007, M. M.16, le Conseil d’Etat précise la répartition des responsabilités du fait des dommages causés par un ouvrage public entre le maître de l’ouvrage et son délégataire. L’effort de pédagogie est ici frappant, notamment du fait de l’emploi de deux formes de raisonnement pédagogique : l’exemple (“comme c’est le cas en matière d’affermage”) et la définition de la concession introduite explicitement par une locution conjonctive (“c’est-à-dire”)17.
19Le Conseil d’Etat se montre ainsi pédagogue dans la détermination des règles applicables. Il se veut également pédagogue sur les conditions d’application de celles-ci.
2) La détermination des conditions d’application des règles
20La responsabilité du maître d’œuvre a été précisée dans ses conditions d’application, notamment dans les arrêts Ville de Caen et CHG de Boulogne-sur-mer précités. Dans ces arrêts, on voit en effet apparaître un mode d’emploi sur le comportement que le maître d’œuvre doit adopter s’il ne veut pas voir sa responsabilité engagée (cf. supra). Avec l’arrêt Ville de Caen, par exemple, le Conseil d’Etat affirme qu’est engagée la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre pour manquement à son obligation de conseil lors de la réception des travaux du fait de l’apparition de malfaçons postérieurement à la réception. Ce qui est nouveau et important avec cette décision, c’est que cette obligation de conseil du maître d’œuvre n’est plus circonscrite aux seules malfaçons permettant d’engager la garantie décennale du constructeur mais s’étend à tous les désordres apparents pouvant faire l’objet d’une réserve et entrant notamment dans le cadre de la garantie de parfait achèvement (alors même que le maître d’œuvre ne peut voir sa responsabilité engagée sur ce fondement, cf. supra).
21Les conditions d’application de la responsabilité trentenaire des maîtres d’œuvre a aussi été affinée dans la décision du 26 novembre 2007, Société Les Travaux du midi : “même sans intention de nuire, la responsabilité trentenaire des constructeurs peut également être engagée en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commise volontairement et sans qu’ils puissent en ignorer les conséquences”18. Les conditions d’application prévues par cet arrêt ont été analysées comme révélant une volonté d’accroître l’identification de la fraude ou du dol des constructeurs en présumant la malveillance ou en relativisant son importance19. Le Conseil d’Etat a, de plus, rejoint la Cour de Cassation ayant abandonné l’intention de nuire en 200120.
22Les conditions d’application de l’appel en garantie ont également été précisées, pour le maître de l’ouvrage, comme pour le maître d’œuvre (cf. supra les arrêts Ville de Caen et CHG de Boulonge-sur-mer).
23Ainsi, par l’intermédiaire de ces décisions (dont la liste ici n’est pas exhaustive21), le Conseil d’Etat a adressé aux administrations et à leurs partenaires des modes d’emploi très précis et a également clarifié des règles longtemps laissées dans l’opacité.
24Qu’est-ce qui justifie cet effort pédagogique ? La complexité accrue du droit des travaux publics, du fait notamment de la profusion des règles juridiques applicables, l’explique particulièrement. La personnalité des juges, une perspective moins abstraite du droit, la prise en compte de l’efficacité de l’action ne sont pas sans influence. Il convient toutefois d’analyser dans quelle mesure la pédagogie est ou n’est pas consubstantielle à l’acte de juger.
B – La pédagogie est-elle consubstantielle à l’activité du juge ?
25Le pouvoir d’interprétation est “consubstantiel à l’activité juridictionnelle”22 mais la pédagogie est-elle consubstantielle à l’activité juridictionnelle ?
26Le juge doit être clair dans l’interprétation, clair dans la création des normes qu’il juge utiles d’apporter au droit mais doit-il être clair dans les conditions d’application au risque d’en “dire trop” ou “trop vite” ? Au demeurant, certains raisonnements qui se veulent pédagogiques ne sont pas toujours revêtus de l’autorité de la chose jugée et placent le juge en porte-à-faux vis-à-vis de sa légitimité23. Il faut alors s’interroger sur la relation de la pédagogie avec les autres activités du juge, puis analyser la nature de la pédagogie judiciaire elle-même.
1) La relation de la pédagogie avec les autres activités du juge
27La pédagogie est une des raisons d’être du rapporteur public en droit administratif français24. Au Conseil d’Etat, les audiences sont très attendues par les avocats qui écoutent avec attention les conclusions des rapporteurs publics parce qu’elles sont de véritables “actualisations juridiques” et des “éclaircissements indispensables sur l’application du droit administratif”25.
28La pédagogie est aussi une nécessité d’une décision de justice. Le Conseil d’Etat a beaucoup amélioré sa motivation afin d’être plus pédagogue mais surtout plus transparent. Il veille également à la motivation des jugements et décisions rendus par les juridictions des degrés inférieurs.
29Il convient de rappeler que la pédagogie ne doit pas être confondue avec l’éducation ou l’enseignement. La pédagogie accompagne l’éducation et l’enseignement, elle est nécessaire à ces activités. De même, le juge doit être pédagogue dès lors qu’il est tenu de s’expliquer et parce qu’il existe un regard extérieur sur son activité et sa décision. Les améliorations de sa motivation et de sa pédagogie révèlent d’ailleurs qu’il accepte ce regard extérieur, qu’il le considère comme légitime.
30La pédagogie est néanmoins une activité distincte de l’interprétation, de la motivation ou de la justification. Elle accompagne ces autres activités26. C’est un effort supplémentaire et considéré comme nécessaire. Pourquoi semble-t-il alors de plus en plus nécessaire ? D’une part, le Conseil d’Etat se veut de plus en plus clair parce qu’il cherche à faciliter le travail des juridictions du fond (c’est son office en tant que juge de cassation). D’autre part, il faut que la règle soit claire rapidement pour que le droit s’applique dans la légalité sans nécessairement recourir au juge. Enfin, le Conseil d’Etat doit assurer au travers de sa jurisprudence la cohérence d’un droit de moins en moins jurisprudentiel, encadré de plus en plus par des textes difficiles et de sources diverses.
31Ce projet pédagogique ne va-t-il pas trop loin ? En effet, l’effort pédagogique actuel s’épanouit aussi bien dans le champ de la “juris-dictio qui s’exerce seulement dans la singularité de l’espèce”, que dans celui de “la normativité prétorienne”27. Si l’on a pu louer l’amélioration de la motivation des décisions du juge administratif, cela ne doit pas aboutir à accepter une activité normative démesurée.
32Or dans les décisions évoquées précédemment, nous avons pu constater que les règles ont fait l’objet de précisions mais que certaines d’entre elles n’étaient pas tant des règles nouvelles que des rappels très pédagogiques. Ce qui apparaît ainsi comme dominant ce n’est pas la précision elle-même mais la forme de celle-ci, sa pédagogie. En plus de la précision jurisprudentielle (qui n’est pas en elle-même un acte pédagogique mais un acte d’interprétation ou de création), il y a une volonté de pédagogie pour une meilleure efficacité de la règle. La pédagogie accompagne la règle elle-même pour en garantir l’application.
33La pédagogie est ainsi le soutien de plusieurs autres activités du juge et la condition de leur efficacité. Mais la pédagogie est une activité qui se situe, de manière très ambiguë, entre liberté et contrainte.
2) La pédagogie, une activité située entre liberté et contrainte
34Etre pédagogue c’est porter attention à l’effet du message que l’on envoie, au fait que ce message doit être la parfaite représentation de ce que l’on souhaite faire comprendre et appliquer. Cet effort du juge pour expliquer son interprétation d’une règle juridique ou des conditions d’application de celle-ci, est le contraire de la liberté d’interprétation de la décision du juge par le destinataire. Derrière la pédagogie se dresse un encadrement normatif poussé.
35Cette pédagogie est retrouvée à tous les niveaux de l’application du droit. Les rapporteurs publics précisent souvent à l’attention des juridictions inférieures quels éléments devront être pris en compte dans la qualification juridique des faits prévus par une norme nouvelle qu’ils proposent d’adopter ou par un texte qui n’a pas encore été suffisamment précisé28. Il peut s’agir de dirigisme pédagogique : sous couvert d’expliquer comment interpréter, on impose.
36De plus, si la motivation est une condition de la légalité d’un jugement29, ce n’est pas le cas de la pédagogie. Certes il y a un objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité30 et des Etats ont été condamnés par la CEDH pour manque de clarté d’une décision juridictionnelle31. La pédagogie semble ainsi apporter une plus-value, un surplus de qualité.
37Devant le Conseil d’Etat et pour ce qui concerne le droit des travaux publics ici analysé, ce surplus n’est pas désintéressé. Si l’interprétation juridique est une continuelle histoire entre raison et autorité32, la pédagogie permet au juge d’assurer son autorité en démontrant qu’il a toute sa raison. Le Conseil d’Etat donne une cohérence au droit des travaux publics en maniant la pédagogie. Il discipline ainsi l’application du droit.
38Les manifestations de la pédagogie au sein du droit des travaux publics nous conduisent alors à nous interroger sur une possible instrumentalisation de celle-ci. Relever l’existence d’une telle recherche de discipline dans l’application du droit ne doit pas être interprété comme une affirmation péjorative mais comme la mise en évidence des enjeux spécifiques de la volonté pédagogique du juge dans ce droit.
II – L’INSTRUMENTALISATION DE LA PÉDAGOGIE DANS LE DROIT DES TRAVAUX PUBLICS
39L’effort pédagogique mis en œuvre ces derniers temps par le Conseil d’Etat et ses rapporteurs publics n’est pas irréfléchi. La pédagogie n’est pas une valeur en soi de la justice ou du droit. Au contraire, n’est-ce pas consubstantiel à la justice et au droit de laisser une part d’inexpliqué pour donner une chance à l’expérience de faire naître la règle la plus appropriée à la pratique ? Le Conseil d’Etat manie l’opacité aussi bien que la pédagogie afin de ne pas créer d’insécurité juridique ou d’inéquité dans certains cas.
40Le changement actuel provient du fait que le Conseil d’Etat laisse de moins en moins faire. Il laisse moins de place au hasard dans la formulation et l’application des règles. C’est le besoin de sécurité qui prime et l’office du juge tel qu’il le perçoit aujourd’hui le conduit à utiliser la pédagogie pour normaliser les comportements juridiques.
41Dans le droit des travaux publics, il s’agit de créer de la sécurité juridique mais aussi de responsabiliser les partenaires (A). L’expérience apparaît néanmoins comme une limite de la pédagogie a priori (B). Cette manière de faire ne s’intègre-t-elle pas dans la théorie du conséquentialisme dont la doctrine juridique a pu se faire l’écho récemment33 ?
A – Créer de la sécurité juridique mais aussi responsabiliser les partenaires
42Les derniers rapports annuels du Conseil d’Etat ont montré qu’en matière de contrats, les collectivités publiques ont du mal à respecter la légalité34. Le recours croissant au contrat administratif a de plus généré des contentieux nouveaux concernant la formation du contrat. Ainsi, le juge administratif est-il amené depuis peu à formaliser sa propre théorie des vices du consentement mais également à gérer les contentieux d’urgence liés à la compétition entre les acteurs économiques. Cela explique largement, même si ce n’est pas exclusivement, son interventionnisme pédagogique.
1) Créer de la sécurité juridique
43Le juge cherche à instaurer de la sécurité juridique pour les parties. Selon N. Boulouis, “l’expression ou le concept de sécurité sera pris ici dans le sens de la prévisibilité. La prévisibilité c’est pour moi la prévisibilité du juge, de ses attitudes et raisonnements, ainsi que du corpus de règles qu’il adoptera pour trancher un litige d’ordre contractuel”35. Le juge doit créer de la sécurité en exprimant de façon plus pédagogique les règles qu’il entend appliquer et les raisonnements qui guident celles-ci.
44Avec l’arrêt Société Mas du 26 janvier 200736, le Conseil d’Etat décide que la garantie de parfait achèvement se prolonge jusqu’à la levée expresse des réserves par le maître de l’ouvrage. L’intérêt de l’arrêt est ici dans le fait qu’il a mis fin à l’insécurité que faisait peser une absence de règle.
45L’arrêt du 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-mer37, met fin à une insécurité juridique en mettant clairement en perspective la règle selon laquelle la responsabilité financière pèse sur la personne publique quand des travaux liés à l’exécution d’un travail public ont causé des dommages à des tiers aux travaux.
46De la même manière, l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 26 novembre 2007, M. M. semble venir “clarifier la répartition des responsabilités du fait des dommages causés par un ouvrage public entre le maître de l’ouvrage et son délégataire”38. En effet, le Conseil affirme que lorsque le délégataire est lié au maître de l’ouvrage par un contrat d’affermage sa responsabilité ne peut être engagée que pour les dommages liés à l’exploitation de l’ouvrage. Sauf stipulations contraires, les dommages liés à l’existence, à la nature et au dimensionnement de l’ouvrage, relèvent de la personne publique délégante. Par contre, lorsqu’il y a un contrat de concession, (construction et fonctionnement) alors le délégataire peut être responsable pour les dommages liés à l’existence et au fonctionnement de l’ouvrage public.
47Un autre objectif du Conseil est de responsabiliser les partenaires.
2) Responsabiliser les partenaires
48Le maître de l’ouvrage ne peut appeler le constructeur en garantie quand des dommages ont été subis par des tiers (cf. l’arrêt CHG de Boulogne-sur-mer développé supra) mais “Il lui appartient, s’il entend se prémunir contre cette conséquence, d’insérer une clause en ce sens dans le contrat, comme la possibilité lui en a été expressément reconnue par la décision SIAEC de 2004 reprise par CHG de Boulogne-sur-mer”39. Ainsi, si les partenaires veulent bien lire l’arrêt éclairé par les conclusions du rapporteur public, ils sauront quoi faire.
49De la même manière, l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 26 novembre 2007, M. M.40 précise que si par principe le délégant est responsable pour les dommages liés à l’existence de l’ouvrage dans un contrat d’affermage, il peut transférer cette charge contractuellement au délégataire. A l’inverse, est affirmée la responsabilité du délégant en cas de dommages imputables à l’existence ou au fonctionnement de l’ouvrage en cas d’insolvabilité du concessionnaire.
50Le juge administratif prévoit les conséquences de certaines situations et propose des solutions. Dans le dernier arrêt cité en exemple, une option est prise pour placer le maître de l’ouvrage dans la position d’“assureur” à l’égard des tiers. Mais, pédagogue, le juge responsabilise aussi les partenaires, à commencer par l’administration en lui rappelant qu’il existe pour elle des alternatives juridiques (l’insertion d’une clause contractuelle).
51La Cour de cassation essaie aussi de responsabiliser les partenaires dans des situations similaires41. De même, les Cahiers des clauses administratives générales pour les marchés de travaux publics ont toujours “pris le soin de préciser dans le détail les modalités selon lesquelles le maître d’œuvre (et notamment l’architecte) doit assister le maître de l’ouvrage tout au long de l’opération de réception”42.
52Il s’agit tout autant pour le juge administratif de rappeler les règles de l’art aux partenaires que de les inventer ou même de les réactualiser. Il s’agit de rappeler à chacun son rôle. Cela fait partie de son office tel qu’il le conçoit aujourd’hui.
53Dans le contexte actuel, la liberté de contracter des personnes morales de droit public ne cesse de se développer mais cela entraîne, en contrepartie, un encadrement normatif de plus en plus poussé. Ainsi que le précisait J.-M. Sauvé : “le développement des procédés contractuels suppose un professionnalisme exemplaire de l’administration”43. Le Conseil d’Etat encourage ainsi les parties à insérer des clauses contractuelles réellement négociées. Et parce que “un des fondements de cette liberté (contractuelle) consiste en la capacité de contracter en toute compétence et connaissance de cause”44, le Conseil d’Etat participe à sa façon à cette compétence et à cette connaissance de cause nécessaires.
54En ce sens, le Conseil d’Etat peut faire penser à un éducateur. Il se sert de la pédagogie pour éduquer les destinataires de ses décisions. En véritable pédagogue, il offre une méthode que les destinataires sont libres d’appliquer ou non.
55Il faut voir toutefois que tout ne peut être simplifié et que tout ne peut être expliqué a priori.
B – L’expérience du droit comme limite à la pédagogie a priori
56D. Casas définit l’office du juge administratif comme “l’ensemble des voies et moyens mobilisés par ce juge pour trancher les différents litiges portés devant lui”45. Deux sortes de changements ont, selon lui, modifié l’office du juge : une conception renouvelée de son office (se préoccuper davantage de la portée de ses décisions) et une modification du rapport entre le juge administratif et l’esprit du temps, et entre le juge administratif et le temps qui passe.
57Prendre en compte l’expérience de l’application des règles dans l’espace et le temps, ce n’est pas la même chose que fonder sa décision sur un raisonnement conséquentialiste, mais leur point commun réside dans l’appréciation de l’opportunité d’une règle par sa mise en situation a posteriori.
58On peut toutefois se demander si ce sont uniquement les “grands arrêts” qui vont avoir vocation à être pédagogues.
1) De l’expérience du droit au conséquentialisme juridique
59Cette mise en situation de la règle est une des dimensions contemporaines de l’office du juge. Toutefois, expérience du droit et conséquentialisme juridique ne sont pas la même chose. Dans l’analyse de l’expérience du droit, le juge se rend compte qu’il ne peut pousser trop loin l’interprétation qu’il propose car il est impossible d’en mesurer les conséquences pour l’avenir ou si les conséquences peuvent être mesurées, il juge qu’il n’en est pas encore temps. Le conséquentialisme intervient quand le juge tient compte des conséquences sociales, politiques, économiques de ces décisions46. Cette manière de juger, que l’on nomme le conséquentialisme juridique, est l’une des nouvelles formes de l’office du juge47.
60Quelle est alors la relation entre la pédagogie et l’expérience du droit ? Elle est dans le fait de se rendre compte que l’expérience du droit est parfois nécessaire à sa bonne application, à sa bonne interprétation, a fortiori dans des domaines techniques comme le droit des travaux publics. Le Conseil d’Etat demeure ainsi parfois assez obscur, par souci de ne pas provoquer de “dommages juridiques”.
61Une décision du Conseil du 13 novembre 2009 semble illustrer le risque de la pédagogie. Dans cette décision, l’arrêt de la cour est annulé pour erreur de droit car celle-ci n’a pas considéré que l’appel en garantie du maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs est possible lorsque leur responsabilité peut être engagée sur la base de la garantie décennale48. Mais on peut se demander si ce n’est pas la faute du Conseil d’Etat si la cour a commis une telle erreur de droit. En effet, à trop préciser et répéter depuis désormais quelques années (cf. supra) que rien ne peut faire obstacle à l’absence d’appel en garantie pour le maître d’ouvrage dans ce cadre, la cour a peut-être pensé que cela excluait toute forme de responsabilité à l’encontre des constructeurs, même extracontractuelle.
62Dans le droit des travaux publics, le juge administratif cherche aussi à mesurer les conséquences de certains comportements administratifs et de certaines de ses décisions. Les arrêts en rapport avec la sécurité juridique cités auparavant et l’arrêt Tropic et ses avancées importantes en matière d’office du juge du contrat49 sont des exemples de conséquentialisme juridique. De même, les arrêts qui essaient de responsabiliser l’administration et ses partenaires.
63Selon Alain Boyer, “Le conséquentialiste est orienté vers l’avenir”50. Le conséquentialisme c’est décider a priori en tenant compte des conséquences51. L’expérience sert à ne pas décider a priori parce que l’on n’est pas certain de l’opportunité d’une règle. C’est ce qui explique les silences jurisprudentiels du Conseil d’Etat. Démontre ainsi l’existence et la nécessité de la prise en compte de l’expérience du droit le fait que le Conseil d’Etat vient de reconnaître au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, le pouvoir de modérer ou d’augmenter les pénalités de retard d’un contrat lorsque ces pénalités atteignent un montant soit manifestement excessif soit, au contraire, dérisoire eu égard au montant du marché. Jusqu’à présent, le juge administratif refusait de se reconnaître ce pouvoir, que possède légalement le juge judiciaire sur le fondement de l’article 1152 du code civil, de modérer ou d’augmenter les clauses pénales. C’est l’expérience du droit qui a pu convaincre le juge de modifier sa jurisprudence52.
64Cette analyse en termes d’expériences ou de conséquences est importante car elle nous permet de comprendre pourquoi certains arrêts restent opaques et pourquoi d’autres semblent être de véritables modes d’emploi.
65La pédagogie semble ainsi servir à renforcer le pouvoir jurisprudentiel du Conseil d’Etat, mais en tant que celui-ci a une certaine conception de son office. On peut alors se demander quelle est la nature des arrêts pédagogues : sont-ils uniquement attachés à la catégorie des “grands arrêts” ?
2) Les arrêts pédagogues sont-ils les nouveaux grands arrêts ?
66A l’occasion des 50 ans du recueil des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, M. Deguergue expliquait que l’on est passé, dans la jurisprudence administrative, des grands arrêts intuitifs aux grands arrêts discursifs53. Les grands arrêts discursifs ont une fonction pédagogique et une fonction réflexive54. Si les grands arrêts intuitifs posent les bases, les grands arrêts discursifs posent des méthodes d’application. De plus, selon M. Deguergue, le développement des grands arrêts discursifs traduit une perte d’autonomie du droit administratif. Il est vrai qu’il y a, concernant le droit des travaux publics, un alignement dans de nombreux domaines sur la Cour de Cassation dans un souci de sécurité et d’harmonisation juridiques.
67Il faut préciser également que le droit des travaux publics, de par sa complexité, est un droit qui est propice à une activité pédagogique. Le fait que Bertrand Dacosta déploie, comme ses prédécesseurs, des trésors de pédagogie laisse penser que c’est la matière, par sa difficulté et par ses enjeux, qui amène le Conseil d’Etat à adopter ce type de comportement55.
68Le développement d’arrêts discursifs traduit aussi une stratégie du Conseil d’Etat : avancer dans l’ombre et imposer l’application du droit tel qu’il le conçoit. On peut constater que lorsque le juge administratif est pédagogue, il ne l’est pas que sur les règles applicables (création, interprétation et méthode d’application), il l’est également sur l’explication du dossier lui-même. Cela est utile à la doctrine comme aux professionnels en suscitant la possibilité de raisonner par analogie.
69Ainsi les arrêts discursifs sont de grands arrêts, y compris en droit des travaux publics, mais les arrêts même ordinaires sont généralement de plus en plus discursifs56. Des arrêts opaques demeurent, parfois même au sein des grands arrêts, mais pour des raisons liées à l’insécurité qu’une trop grande précision pourrait amener. Cette instrumentalisation de la pédagogie par le juge administratif, qui peut parfois être une opacité adaptée, démontre que la recherche de l’efficacité du droit passe par l’efficacité du juge administratif comme éducateur du droit.
70Cet effort de pédagogie est également suivi par les tribunaux et les cours, parce qu’ils appliquent des raisonnements juridiques de plus en plus élaborés, parce qu’ils ont intégré cette nouvelle dimension de l’office du juge et parce qu’ils ont constaté les lacunes juridiques de certaines services publics. Cela est lié aussi au fait que les avocats (et les juristes de manière générale) ont largement accès désormais aux décisions et aux jugements rendus, et qu’ils s’en servent pour argumenter devant les juridictions.
Conclusion
71Le juge administratif, et en tout premier lieu le Conseil d’Etat, a une démarche indéniablement pédagogique car il cherche à la fois à donner des instruments à chacun pour appliquer le droit, mais aussi à aider l’administration à se sortir de son immersion totale dans le monde juridique et technique, en tenant compte de la part irrémédiable de liberté de celle-ci. En ce sens, il est plus qu’un administrateur57. Il est un éducateur.
72L’un des risques de la pédagogie du juge (et de l’éducateur de manière générale) est qu’à trop instrumenter son destinataire, cela entraîne une sorte de mécanisation. Il faut alors donner de la liberté par la pédagogie tout en donnant du sens aux instruments58.
73La tâche se présente dans le champ administratif, et a fortiori dans celui du droit des travaux publics, comme fort difficile. Ce constat fait en cette matière particulière, à forte dominante économique, doit faire l’objet d’une comparaison avec d’autres domaines afin de mieux cerner les manifestations de cette pédagogie, les stratégies qu’elles dénotent et leurs objectifs. Et surtout pour affirmer qu’il y a bien une ambition pédagogique du juge administratif.
74Il est un constat pourtant évident : la pédagogie est la solution que l’ensemble des acteurs juridiques semble avoir désignée comme un gage d’efficacité. Une réflexion de M. Soëtard, spécialiste des sciences de l’éducation, permet de comprendre ce recours à la pédagogie, tout en conduisant également à s’en défier : “La présence de ce concept est devenue si forte qu’il est celui sous lequel tend à se comprendre désormais toute action de l’homme sur l’homme, qu’elle soit d’ordre politique, d’ordre religieux ou encore de l’ordre de la justice… La pédagogie est ainsi devenue la forme de notre humanité moderne et post-moderne. La pédagogie, c’est décidément le monde qui se donne forme dans un univers qui a perdu ses formes”59.
Notes de bas de page
1 Cf. les “grilles de lecture” établies en matière de recevabilité des décisions prises par l’administration pénitentiaire : CE, Ass., 14 décembre 2007, M. Planchenault (1ère espèce) ; Garde des sceaux, ministre de la Justice c/ M. Boussouar (2e espèce) ; M. Payet (3e espèce) ; Concl. de M. GUYOMAR pour les deux premières espèces, RFDA 2008, p. 87 ; J. BOUCHER et B. BOURGEOIS-MACHUREAU, “Le juge administratif et le détenu”, AJDA 2008, p. 128.
2 Membres de la 7e sous-section de la section du contentieux du Conseil d’Etat spécialisée dans le “droit des marchés” selon N. BOULOUIS, “Regards d’un rapporteur public du côté du droit privé des contrats”, AJDA 2009, p. 921.
3 Aujourd’hui D. CASAS est remplacé au sein de la 7e sous-section de la section du contentieux du Conseil d’Etat par Bertrand Dacosta, élément à prendre en compte afin de rechercher si l’effort pédagogique s’étend au-delà des personnes. D. Casas effectue sa mobilité en tant que secrétaire général de Dexia Crédit local, conseiller juridique et fiscal. Dexia Crédit local est une banque spécialisée dans le financement des équipements collectifs et les services au secteur public local.
4 Rapporteur public près l’assemblée du contentieux et les autres formations de jugement du Conseil d’Etat depuis janvier 2005.
5 N. BOULOUIS, “Regards d’un rapporteur public…”, op. cit.
6 Il faut souligner que la pédagogie dans ce domaine n’est pas l’exclusivité de la 7e chambre et que les frontières des compétences sont poreuses, comme le démontre un arrêt rendu par la 6e chambre, aux conclusions d’I. DE SILVA, appliquant une jurisprudence dégagée au sein de la 7e chambre concernant les dommages subis par les tiers postérieurement à la réception sans réserve des travaux : CE, 13 novembre 2009, Société SCREG Est, req. no 306061, AJDA 2009, p. 2144.
7 CE, 17 juin 2009, SA d’Economie Mixte Nationale (SAEMN) Bibracte, AJDA 2009, p. 1226 ; BJDCP no 66, p. 379, concl. N. BOULOUIS, note R. SCHWARTZ.
8 C.E., 8 juin 2005, Ville de Caen, Lebon T., p. 971.
9 C.E., 26 janvier 2007, Société Mas, AJDA 2007, p. 224 ; Contrats-Marchés publ., Mars 2007, comm. 70.
10 C.E., Sect. 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-mer, concl. N. BOULOUIS, RFDA 2007, p. 712.
11 Les deux mécanismes sont interdépendants (c’est à partir de la réception que doit commencer à être établi le décompte final par l’entrepreneur, que des réserves aient ou non été émises : articles 13.32 et s. du CCAG travaux) mais la question pour le Conseil d’Etat à l’occasion de cette affaire était de préciser quel rôle pouvait jouer la réception dans l’extinction de la responsabilité financière des cocontractants. Le Conseil a suivi son rapporteur public selon lequel : “Ce n’est pas la réception de l’ouvrage mais le décompte général dont l’établissement est postérieur et d’ailleurs déclenché par la réception, qui marque la fin des relations financières issues du contrat et de son exécution”. Cette solution pouvait déjà résulter de la décision du Conseil d’Etat du 23 janvier 1953, SETIF (C.E., Sect., 23 janvier 1953, SETIF, Lebon, p. 35). Le Conseil d’Etat a toujours affirmé que la réception n’a un caractère extinctif des rapports entre maître d’ouvrage et constructeurs qu’en ce qui concerne “la réalisation de l’ouvrage” (C.E., 1er octobre 1993, Vergniaud et Gaillard, Rec., p. 880). L’intérêt de cet arrêt est alors nettement pédagogique : il est explicatif par ce… qu’il est récapitulatif. Il remet de l’ordre dans un certain nombre de règles très complexes. Les conclusions de N. BOULOUIS vont encore plus loin et sont encore plus explicatives sur les différences entre réception et décompte. En effet, par exemple, concernant la nature de ces deux actes, le rapporteur public précise que la réception est un acte unilatéral unique pour l’ensemble des marchés passés avec des constructeurs et dont l’existence est relevée d’office par le juge, tandis que le décompte est un acte contractuel établi pour chaque marché passé pour la construction de l’ouvrage et dont l’existence n’est pas relevée d’office par le juge.
12 CE, 4 juillet 1980, SA Forrer, Rec. Leb., p. 307.
13 CE, Sect., 15 juillet 2004, Syndicat intercommunal d’alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région Est de Toulon, Rec. Leb., p. 345 ; RFDA 2004, p. 895 ; AJDA 2004, p. 1698, chron. C. LANDAIS et F. LÉNICA.
14 F. LÉNICA et J. BOUCHER, “La fin des marchés publics de travaux, entre ombre et lumière”, AJDA 2007, p. 1011.
15 Cf. le titre choisi par F. MODERNE : “Responsabilité contractuelle et responsabilité décennale des constructeurs : une remise en perspective”, RFDA 2007, p. 724.
16 C.E., 26 novembre 2007, M.M., AJDA 2007, p. 2289.
17 La répartition des responsabilités du fait de dommages causés par un ouvrage public varie selon qu’il s’agit d’un fermage ou d’une concession : “en cas de délégation limitée à la seule exploitation de l’ouvrage, comme c’est le cas en matière d’affermage, si la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et son dimensionnement, appartient à la personne publique délégante ; que ce n’est qu’en cas de concession d’un ouvrage public, c’est-à-dire d’une délégation de sa construction et de son fonctionnement que peut être recherchée par les tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l’existence ou au fonctionnement de cet ouvrage”.
18 C.E., 26 novembre 2007, Société Les Travaux du Midi, no 266423.
19 Cf. F. MODERNE, “Résurgence de la notion de dol dans le contentieux des travaux publics”, RDI 2008, p. 347.
20 Depuis, un arrêt rendu le 27 juin 2001, le constructeur est, sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive pour l’interprétation de laquelle l’intention de nuire n’est plus exigée, Cass. 3e civ., 27 juin 2001 : Bull. civ. 2001, III, no 83.
21 On peut ajouter notamment la décision du CE, 11 août 2009, Chambre de commerce et d’industrie de Valenciennes, sur les conditions de participation d’une chambre de commerce à des opérations d’aménagement, (AJDA 2009, p. 1911) ; la décision du CE, 4 mars 2009, Cité des sciences et de l’industrie c/ Société SPIE Batignolles TPCI, sur le montant du préjudice dont le maître d’ouvrage peut demander réparation aux constructeurs et la preuve de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (req. no 296069, Inédit au recueil Lebon). De plus, la pédagogie du Conseil d’Etat est généralement appréciée…. Regrettant qu’en droit privé, sous l’effet de la jurisprudence, la théorie de la cause soit devenue trop compliquée, F. CHÉNÉDÉ loue la pédagogie du Conseil d’Etat sur la notion de cause récemment élaborée et notamment le considérant de principe de l’arrêt du 15 février 2008, Commune de La Londe-les-Maures : ainsi “une convention peut être déclarée nulle lorsqu’elle est dépourvue de cause ou qu’elle est fondée sur une cause qui, en raison du but poursuivi par les parties, présente un caractère illicite”, cf. AJDA 2008, p. 575.
22 Y. AGUILA, “Cinq questions sur l’interprétation constitutionnelle”, RFDC, no 21, 1995, p. 13.
23 Il s’agit ici de la question du motif surabondant, celui qui n’est pas nécessaire à la motivation du dispositif, qui ne le justifie pas non plus, mais qui peut être considéré comme révélant l’adoption d’une jurisprudence future ou comme permettant de comprendre a posteriori que la jurisprudence était en préparation depuis quelques temps.
24 E. DESMONS, “La rhétorique des commissaires du gouvernement près le Conseil d’Etat”, Droits 2002, no 36, p. 39.
25 B. POTIER DE LA VARDE, “Les avocats aux Conseils et les grands arrêts”, 50e anniversaire des Grands arrêts de la jurisprudence administrative, RFDA 2007, p. 249.
26 Elle relève du dire et non du faire.
27 C. ATIAS, “Moyens de dire le droit et “façons de parler” de la Cour de cassation : une distinction nécessaire”, Recueil Dalloz, 2008, no 3, p. 177.
28 Cf. les conclusions de N. BOULOUIS sous CE, 17 juin 2009, SA d’Economie Mixte Nationale (SAEMN) Bibracte, op. cit. à propos de la qualification juridique d’un contrat administratif.
29 Cf. art. L. 9 du Code de justice administrative et CE, 8 juillet 1970, Doré, qui pose le principe selon lequel toute décision juridictionnelle doit être motivée, (Rec., p. 471).
30 L’accessibilité est “dans un but de transparence, l’accès matériel à la règle de droit impliquant lui-même un droit à l’information. L’intelligibilité au contraire concerne l’accessibilité intellectuelle du droit, c’est-à-dire sa lisibilité, sa "compréhensibilité"”, A. JENNEQUIN, “L’intelligibilité de la norme dans les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. Plaidoyer pour une déjuridicisation de l’intelligibilité de la norme”, RFDA 2009, p. 913.
31 L’obligation de motivation telle que la conçoit la Cour européenne des droits de l’homme a évolué d’une obligation pour le juge de faire connaître son raisonnement à une obligation de le faire comprendre : cf. notamment CEDH, 13 janvier 2009, Taxquet c/ Belgique, no 926/05, D. 2009, Chron., p. 1058, note J.-F. RENUCCI ; JCP 2009. I. 143, no 9, obs F. SUDRE ; Dr. pénal 2009, p. 21, obs. E. DREYER ; L. BERTHIER et A.-B. CAIRE, “La motivation des décisions de justice et la Convention européenne des droits de l’homme”, RFDA 2009, p. 677.
32 C. GHICA-LEMARCHAND, “L’interprétation de la loi pénale par le juge”, Actes du colloque “L’office du juge”, 29 et 30 septembre 2006, sous le haut patronage de C. PONCELET, président du Sénat, Palais du Luxembourg., p. 173.
33 Cf. D. ROUSSEAU, “Chronique de jurisprudence constitutionnelle 2007”, RDP, 20 août 2007, no 1, p. 313.
34 Cf. particulièrement Conseil d’Etat, Rapport public 2008, t. 2 : Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, La documentation française.
35 N. BOULOUIS, “Regards d’un rapporteur public…”, op. cit.
36 op. cit.
37 op. cit.
38 C.E., 26 novembre 2007, M. M., AJDA 2007, p. 2289.
39 F. LÉNICA et J. BOUCHER, “La fin des marchés publics de travaux, entre ombre et lumière”, op. cit.
40 op. cit.
41 On peut se référer à une décision du 14 janvier 2009, Gloor c/ Depollier et a., où la cour précise que “le devoir de conseil du maître d’œuvre ne l’obligeait pas à rappeler au maître de l’ouvrage ces prescriptions qui s’imposaient à lui en vertu de la loi”. Dans les circonstances de l’espèce, c’était le non-respect des prescriptions impératives de son permis de construire par le propriétaire lui-même qui avait entraîné l’arrêt des travaux effectués par décision du maire, cf. F. MODERNE, “Quelques observations à partir des arrêts lus par le Conseil d’Etat le 16 février 2009 (Société Jacques Rougerie, req. no 294214) et par la Cour de cassation le 14 janvier 2009 (Gloor c/ Depollier et a., pourvoi no 07-20.245)”, RFDA 2009, p. 474.
42 F. MODERNE, op. cit.
43 Editorial du rapport public du Conseil d’Etat pour l’année 2008, Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, op. cit., p. 9.
44 J.-M. PEYRICAL, “L’évolution du droit de la commande publique, quelques commentaires et réflexions”, AJDA 2009, p. 965.
45 Conférence à Toulouse sur “Les évolutions de l’office du juge administratif”, Septembre 2007.
46 Mesurer “l’incidence d’une décision de justice sur la situation économique et sociale devient un exercice de moins en moins marginal en droit des contrats”, M. MEKKI, “Nullité et validité en droit des contrats : un exemple de pensée par les contraires”, Revue des contrats, 01 juillet 2006 no 3, p. 679.
47 Cette nouvelle manière de juger est certainement révélatrice d’une volonté d ‘ être beaucoup plus pragmatique que par le passé (D. Rousseau précise qu’elle n’est pas nouvelle mais plus visible. Cf. “Chronique de jurisprudence constitutionnelle”, op. cit.). Pour une analyse du conséquentialisme, en tant qu’il n’est pas opposé au déontologisme, à la morale, mais à l’utilitarisme, cf. A. BOYER, “Ce serait folie d’ignorer les conséquences”, APD, t. 48, 2004, p. 291 : “Le conséquentialisme n’est pas nécessairement utilitariste”. Cf. également J. Chevallier, “Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique”, RDP 1998, p. 659-690, spéc. p. 671 : “Anti-moderne, le droit post-moderne l’est dans la mesure où, sans pour autant renier les valeurs de la modernité [Raison, Ordre, Justice, Progrès…], il ne les situe plus dans l’ordre de l’absolu mais du relatif, ces valeurs n’étant plus conçues comme des attributs substantiels, des qualités intrinsèques, mais des cadres axiologiques très généraux : quittant l’univers des certitudes, il s’efforce de prendre en compte la complexité du réel ; et rompant avec une certaine dogmatique juridique, il entend faire preuve de pragmatisme”.
48 CE, 13 novembre 2009, Société SCREG Est, précité, appliquant une jurisprudence de la 7e chambre concernant les dommages subis par les tiers postérieurement à la réception sans réserve des travaux.
49 CE, Ass., 16 juil. 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation, RFDA 2007, p. 710, concl. D. CASAS ; AJDA 2007, p. 1588, chron. F. LENICA et J. BOUCHER ; RJEP 2007, p. 349, concl. D. CASAS et note P. DELVOLVÉ ; JCP Adm. 2007, no 2212, note F. LINDITCH et no 2221, note M.-Ch. ROUAULT ; JCP no 10156 note M. UBAUD-BERGERON et no 10160, note B. SEILLER ; RD publ. 2007, p. 1433, concl. D. CASAS et note F. MELLERAY ; D. 2007, p. 2500, note D. CAPITANT ; Dr. adm., oct. 2007, no 142, note Ph. COSSALTER ; GAJA, 17e ed., no 117GAJA1720090117.
50 A. BOYER, “Ce serait folie d’ignorer les conséquences”, op. cit.
51 En méta-éthique, “Etre conséquentialiste veut dire juger de la valeur d’un acte ou d’une règle (et d’une institution) à la seule lumière de ses conséquences bonnes ou mauvaises. Il faut et il suffit de maximiser les bonnes conséquences de ses décisions. Par exemple, on ne punit pas par vengeance, mais pour que le crime ne se reproduise plus, comme l’avait enseigné Protagoras, avant Beccaria ou Bentham”, A. Boyer, op. cit.
52 CE, 29 décembre 2008, req. no 296930, concl. B. DACOSTA ; cf. J. MARTIN, “Chronique de droit des contrats (1ere partie)”, LPA, 18 janvier 2010, no 12, p. 7.
53 M. DEGUERGUE, “Déclin ou renouveau de la création des grands arrêts”, RFDA 2007, p. 254.
54 “deux lignes de force paraissent émerger dans la philosophie des grands arrêts récents : d’abord, le juge s’interroge sur les perturbations qu’engendrent les règles nouvelles qu’il pose ou les annulations qu’il prononce ; ensuite, les grands arrêts tentent d’assurer l’unité du droit en admettant la perméabilité du droit administratif aux autres droits issus d’autres cours suprêmes”, M. DEGUERGUE, op. cit.
55 “la conception que se fait aujourd’hui le Conseil d’Etat de l’office du juge n’est plus seulement de dire le droit mais aussi de l’améliorer, de le réécrire pour répondre à l’attente sociale d’une administration soumise à l’impératif d’efficacité”, M. DEGUERGUE, op. cit.
56 Parmi les arrêts cités en exemple par cet article, peu sont des arrêts d’assemblée ou de section du contentieux. Si l’arrêt CHG de Boulogne-sur-mer est un arrêt de section, les arrêts Ville de Caen, Société Mas ou bien Société les Travaux du Midi, sont des arrêts de sous-sections réunies (7e et 2e).
57 J. RIVERO, “Le juge administratif français : un juge qui gouverne ?”, D. 1951, chr. P. 21 ; C. CHARLES, Le juge administratif, juge administrateur, Thèse Université des Sciences sociales de Toulouse I, 2003.
58 Sur la liberté, la mécanisation et le rôle du sens dans la pédagogie, cf. M. SOËTARD, Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, ESF éditeur, 2001, p. 36.
59 M. SOËTARD, “Nature et liberté”, in Education et philosophie, Approches contemporaines, ss la dir. de J. HOUSSAYE, ESF éditeur, 1999, p. 130.
Auteur
Post doctorante de l’Université de Limoges, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques (O.M.I.J)
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