La motivation didactique des décisions juridictionnelles du Conseil d’État
p. 161-184
Texte intégral
1De prime abord la fonction du juge peut sembler éloignée de celle du pédagogue. Le pédagogue est défini, de manière très générale, comme étant celui qui contribue à l’éducation, au départ principalement morale mais depuis étendue au corps et à l’intelligence d’un enfant et par extension d’un élève1. Le juge, quant à lui, a pour objet de “trancher un litige” qui lui est soumis conformément aux règles de droit qui lui sont applicables afin de rétablir ainsi la paix sociale. Pourquoi, dès lors, vouloir rapprocher ces deux fonctions et leur donner un sens commun qu’elles n’expriment pas spontanément ? De plus, une décision juridictionnelle est un lieu de la règle de droit et non du discours sur celle-ci. La pédagogie peut-elle être transmise au sein de la règle ou n’est-elle envisageable que par le discours qu’elle soulève ? S’agit-il d’un pur fantasme doctrinal que de considérer le juge administratif comme un pédagogue, notamment par le biais de ses décisions ou est-ce un phénomène réel en voie de compléter l’office de ce juge ?
2Si l’on veut bien accepter l’hypothèse de l’existence d’une certaine forme de pédagogie dans les décisions juridictionnelles rendues par le juge, ici administratif, cela suppose de se confronter à une question plus vaste et plus complexe qui est celle de “l’office” du juge. N’existant pas de définition officielle, l’office du juge peut être défini comme “l’ensemble des voies et des moyens mobilisés par un juge pour trancher les différends portés devant lui2”. De là découle une nouvelle interrogation consistant à se demander si la pédagogie relève ou non de cet office.
3De toute évidence, ces deux fonctions ne s’opposent pas mais peuvent se compléter. La pédagogie appliquée au droit pourrait alors être envisagée comme une fonction destinée à rendre claire, accessible et compréhensible la connaissance juridique. Or, il va de soi que cette fonction n’est pas étrangère au juge et ne peut lui être indifférente. De plus, l’évolution des mentalités à l’égard de la Justice ainsi que les développements de l’organisation judiciaire font que l’on demande au juge contemporain de n’être pas seulement un juge mais aussi, parfois, un pédagogue. La décision de justice doit être en mesure, sinon toujours de convaincre, au moins de s’expliquer. Quant à la méthode exercée par le juge, elle doit être une méthode pédagogique ou didactique.
4C’est la fonction de la motivation de rendre compte de cette méthode pédagogique du juge. La motivation, au sens juridique, constitue l’“exposé” de l’ensemble des motifs, c’est-à-dire de l’ensemble des raisons de fait ou de droit, sur lequel repose une décision. Mais la motivation, c’est aussi le fait d’“exposer” les raisons de fait et de droit qui ont conduit le juge à décider. Autrement dit, la motivation correspond à la fois à l’exposé des motifs et au fait d’exposer ces motifs : elle est à la fois action et résultat de cette action3.
5C’est au sein de la motivation des décisions juridictionnelles qu’est matérialisée de manière écrite l’opinion du juge car “la motivation est la marque extérieure de l’opération intellectuelle à laquelle se livre le juge pour fonder en droit une décision4”. De plus, c’est par la motivation de ses décisions que le juge développe son raisonnement, explique le pourquoi, et donne les raisons qui l’ont amené à prendre telle ou telle solution. Dès lors, si la pédagogie se trouve dans la décision juridictionnelle, c’est au sein de la motivation, dans l’effort de motivation du juge qu’elle se situe.
6Par ailleurs, la motivation revêt une acception beaucoup plus générale. Elle apparaît comme la raison, le besoin ou encore le désir qui pousse à l’accomplissement d’un acte. On peut alors se demander notamment, quelles sont les motivations qui conduisent le juge administratif à être pédagogue ?
7C’est à partir de ces différentes approches de la “motivation” que nous souhaiterions livrer quelques aspects de la pédagogie du Conseil d’État, tout particulièrement au sein de la fonction contentieuse de celui-ci. Mais avant d’envisager les raisons qui conduisent le Conseil d’État à faire œuvre de pédagogie dans ses décisions, il convient tout d’abord de bien situer à quel moment et de quelles manières le juge administratif se fait pédagogue ?
8La pédagogie est affaire de “motivation”. Elle peut être pensée à travers l’acte juridictionnel mais aussi à travers la personne du juge qui prend cet acte : la pédagogie du juge administratif se situe essentiellement au coeur de la motivation d’une décision juridictionnelle (A) et c’est à partir d’une analyse des méthodes, des techniques, déployées par le juge au sein de celle-ci que l’on peut essayer de déceler les motivations qui conduisent le juge à faire “œuvre de pédagogie” (B).
I – LA MOTIVATION DIDACTIQUE DES DÉCISIONS JURIDICTIONNELLES
9La fonction pédagogique du juge s’inscrit dans les motifs d’une décision. C’est au sein de la motivation que le juge explique et justifie son raisonnement (A).
10Depuis une dizaine d’années, il semble que la motivation des décisions juridictionnelles du Conseil d’État se soit modifiée. Pour s’en convaincre, il nous faut faire un rapide état des lieux de sa jurisprudence et tenter de percevoir si cette évolution est le fruit ou non d’une politique jurisprudentielle qui est amenée à perdurer (B).
A – La motivation des décisions juridictionnelles du Conseil d’État à l’aune de la pédagogie
11Nul ne saurait contester aujourd’hui la motivation et ses nécessités. Tout jugement doit effectivement rendre compte de la solution donnée au litige et la justifier en exposant les raisons qui l’ont soutenue, sous la forme de “considérants”. La motivation est d’ailleurs considérée comme “l’âme du jugement”. Elle recouvre différentes finalités qui en font “une vertu pédagogique de la justice5”.
12En tout premier lieu, la motivation est un élément d’information à la fois pour les parties au procès qui peuvent ainsi apprécier les chances de succès d’une éventuelle voie de recours mais aussi pour le public et les autres juges. Elle traduit, comme le rappelle le Professeur R. Chapus, “une exigence de la démocratie6”. Par la motivation et “statuant au nom du peuple français”, les juges doivent rendre compte des raisons par lesquelles ils se sont déterminés.
13La motivation est aussi perçue comme un élément de contrôle. Elle permet le contrôle de la décision par les parties qui sont en droit d’attendre que la justice soit rendue mais aussi par les juridictions supérieures qui doivent être en mesure d’apprécier le bien-fondé des jugements qui leurs sont déférés. Elle permet de remplir une fonction sociale ainsi qu’une bonne administration et un bon fonctionnement de la justice7.
14La motivation des décisions apparaît encore comme une nécessité sociologique. Le jugement ne peut plus découler de la justice divine, de la justice révélée, mais doit être fondé sur la raison et sur la loi. La motivation est identifiée ici comme un élément de compréhension en direction des justiciables. Les plaideurs disposent d’un droit de comprendre la décision qui est rendue8. D’ailleurs, une décision de justice est d’autant mieux acceptée qu’elle est comprise par ceux à qui elle s’adresse9.
15La motivation permet enfin au juge de démontrer et de prouver10 mais aussi de persuader ou de convaincre le justiciable qu’il doit finalement accepter la décision rendue. Elle assure alors une fonction de légitimité qui donne une force morale aux décisions juridictionnelles.
16Aux vues de ses différentes finalités, la motivation se présente comme un impératif, un principe obligatoire de bonne justice, “un de ces grands principes dont on dit volontiers qu’il domine le droit11”. Une telle affirmation est pourtant loin d’avoir toujours été acceptée. Un temps refusée, puis dissimulée12, la motivation n’a été consacrée véritablement qu’à partir de la Révolution française13. Elle est donc fille de la Révolution puisque c’est en réaction contre la pratique de l’Ancien régime qu’elle fut inscrite pour la première fois au sein de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire. Réaffirmée par la Constitution du 5 frimaire an III, l’obligation de motiver sera ensuite constamment reprise par tous les textes sans être discutée.
17Actuellement, l’article L. 9 du Code de justice administrative (CJA) dispose, pour l’ensemble des juridictions administratives, que “Les jugements sont motivés”. L’obligation de motiver semble d’ailleurs avoir acquis une valeur constitutionnelle14, son aménagement quant à lui, relevant du domaine de la loi15.
18La jurisprudence, tant du Conseil d’État que de la Cour de Cassation, veille à son application. C’est ainsi que depuis 1924, le Conseil d’État fait de l’obligation de motivation “une règle générale de procédure applicable à l’ensemble des juridictions administratives même sans texte16”.
19Quant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle ne prévoit pas expressément dans son texte cette obligation. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la notion de procès équitable implique l’obligation de motiver les décisions juridictionnelles17.
20Par contraste aux finalités qui entourent l’impératif de motivation des décisions juridictionnelles, plusieurs remarques peuvent être faites. Il existe d’abord des cas où le juge ne développe pas de motivation. Les juges ne s’expliquent pas, par exemple, sur les moyens relevés d’office lorsqu’ils ne sont pas fondés. De plus, ils ne sont pas tenus de répondre à tous les moyens invoqués : fin de non recevoir, en cas de rejet au fond, moyens inopérants ou encore dans l’hypothèse où il ait fait droit aux conclusions de la requête. Il s’agit, pour cette dernière hypothèse, du “principe de l’économie des moyens”, explicitement énoncé par certains arrêts18. Ce principe permet au juge de privilégier le moyen d’annulation le plus évident afin d’annuler l’acte sans avoir à examiner l’ensemble des vices de légalité soulevé par le requérant. Ainsi, lorsqu’il n’y a pas matière à relever d’office un moyen d’ordre public, le juge peut se limiter à faire apparaître le bienfondé d’un seul des moyens invoqués en recourant à la formule “sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués” ; ou lorsque est retenu un moyen d’ordre public relevé d’office, de rejeter tous les moyens invoqués, c’est-à-dire “sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête”.
21Si cette pratique ne présente rien de fondamentalement contestable en ce qu’elle permet de rationaliser le travail juridictionnel, le regret qui peut tout de même être porté est que les jugements ainsi prononcés ne rendent pas compte entièrement des litiges et des raisons qu’il y a de satisfaire les conclusions présentées. Tout particulièrement en matière d’excès de pouvoir, l’intérêt général mais aussi les parties, ne sont pas aussi bien servis qu’il le faut car le bilan complet des vices entachant les décisions annulées n’est pas retranscrit dans les jugements. Ainsi lorsque le juge de l’excès de pouvoir limite sa censure au seul terrain de la légalité externe alors que le requérant invoque également des moyens de légalité interne, il laisse les plaideurs dans l’incertitude quant à la légalité intrinsèque de la décision litigieuse. On perçoit aisément les effets pervers19 de cette pratique puisque dans le cas d’une annulation tirée d’un vice de forme ou de procédure, celle-ci ne présume pas de la régularité interne de l’acte contesté. Faut-il alors imposer au juge de statuer sur tous les moyens invoqués par les requérants20 et abandonner cette pratique de l’économie des moyens21, tout au moins en ce qui concerne les recours pour excès de pouvoir ?
22De plus, il faut rappeler que les motifs ne disposent pas en principe de l’autorité de la chose jugée. L’étendue de l’autorité de la chose jugée s’attache principalement au dispositif du jugement mais aussi parfois aux motifs que l’on qualifie de décisifs, c’est-à-dire qui selon la formule jurisprudentielle communément utilisée constituent “le support (ou soutien) nécessaire (ou inséparable) du dispositif22”. Cette autorité relative des motifs permet de rendre compte de la fonction de la motivation. Celle-ci sert à donner à la décision une portée exacte et une force morale puisqu’elle est avant tout présente pour éclairer le sens et la portée du dispositif.
23Enfin, il faut relever l’extrême concision qui a longtemps caractérisé la motivation des décisions juridictionnelles du Conseil d’État. Il s’agit de la fameuse “imperatoria brevitas23”, expression formulée par Hauriou pour caractériser le laconisme des décisions du Conseil d’État. Il semble cependant que nous soyons aujourd’hui en mesure de constater que cette “imperatoria brevitas” cède du terrain et laisse place à des motivations plus amples et plus pédagogues. La motivation des décisions s’est épanouie, l’explication et l’explicitation tendent à prendre plus de place dans la rédaction des arrêts. Le style est en train de changer24.
B – État des lieux : la tendance au “didactisme judiciaire25”
24“Il y a quelque chose de changé dans le contentieux administratif français”. Cette remarque du doyen Hauriou dans sa note sous l’arrêt Boussuge26 correspond bien à la situation à laquelle on assiste depuis quelques années par une floraison de cours de Droit au sein des décisions juridictionnelles du Conseil d’État. Une famille d’arrêts contemporains atteste cette tendance et attire l’attention par leur forme dans l’ensemble des domaines du contentieux administratif.
25Il s’agit là d’un état de fait qui n’est évidemment pas passé inaperçu au sein de la doctrine. Développement des “arrêts discursifs27”, “arrêts d’explicitations28”, “motivations doctrinales29” ou encore “pédagogie contentieuse30” sont quelques uns des qualificatifs attribués à cette tendance à la motivation pédagogique qui pourrait aussi être qualifiée de “didactisme judiciaire” selon la formule du doyen Carbonnier.
26Plus encore, ce qui nous semble intéressant de relever est la tournure “professorale31” que prend la motivation de certaines décisions. René Chapus s’amuse ainsi à souligner, à propos de l’arrêt Papon du 12 avril 2002, comment le Conseil d’État s’applique à rappeler le régime juridique gouvernant la responsabilité personnelle des agents publics. La Haute juridiction administrative commence par indiquer les trois cas dans lesquels un agent public peut être condamné à réparer les dommages qu’il a causés à un particulier-faute de service, faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions, cumul de ces fautes. “Puis, développant l’indication (comme, à son cours, un professeur soucieux d’être bien suivi par son auditoire), il va successivement s’arrêter sur chacun de ces cas, pour dire ce qu’ils sont et ce qu’est, relativement à chacun, l’état du droit32”.
27La méthode qui est régulièrement utilisée par le juge est celle du “mode d’emploi33”. Celle-ci lui permet de répondre à un problème juridique, le plus souvent épineux, en proposant une “grille d’analyse” par laquelle il indique le mode de raisonnement à suivre. Cette technique s’adresse principalement à l’administration. C’est notamment le cas lorsque le Conseil d’État s’attache à préciser minutieusement les obligations du pouvoir réglementaire quand une loi crée une situation juridique nouvelle34 ou lorsqu’il opère lui même un revirement de jurisprudence35. Le mode d’emploi peut être également dirigé vers les autres juges lorsque le Conseil d’État, par exemple, précise et détermine les critères d’identification des mesures pénitentiaires susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir36. Plus généralement, cela s’adresse également aux justiciables comme dans la décision du Conseil d’État Commune de Barcarès37 rendue le 22 avril 2005, ou à l’opinion publique comme lors de la décision Papon précitée, compte tenu du fort retentissement médiatique de cette dernière. Mais ce qui est plus surprenant, c’est lorsque cette technique semble être destinée dans une certaine mesure à la doctrine. Il est possible de mentionner à ce propos les arrêts Association du Personnel Relevant des Etablissements pour Inadaptés38 du 22 février 2007 dans lequel le Conseil d’État précise les éléments d’identification de l’organisme privé chargé d’une mission de service public et Commune d’Aix-en-Provence contre Armand39 du 6 avril 2007 dans lequel il rappelle les modalités de gestion des services publics. Le Conseil d’État essaie, par une motivation didactique, de clarifier les critères jurisprudentiels et de combler ainsi les incertitudes tant jurisprudentielles que doctrinales. Souvent enfin, c’est à plusieurs de ces destinataires, simultanément, que le Conseil d’État s’adresse.
28De toute évidence, le Conseil d’État a pris l’habitude de se montrer plus disert dans ses considérants ce qui se traduit par un effort d’explicitation de ses décisions. Cette attitude n’est pourtant pas récente40 puisqu’elle pose ses jalons dans les célèbres jurisprudences Gaz de Bordeaux de 191641 ou Rodière42 de 1925. Néanmoins elle n’a cessé de se développer au cours des dernières décennies. Si l’on voulait être plus précis, on se risquerait à situer ce renouveau méthodologique à la fin du XXème siècle et au début des années 200043 et cela en raison notamment de l’apparition de différentes lois qui sont venues bouleverser l’office du juge administratif et plus généralement l’état du droit administratif.
29La loi du 31 décembre 1987 marque l’apparition des Cours administratives d’appel mais aussi le développement considérable des recours en cassation devant le Conseil d’État qui passent de 1 % de son activité juridictionnelle avant cette date à plus de la moitié de son activité actuelle44. L’article 12 de cette loi prévoit aussi la procédure pédagogique des demandes d’avis contentieux (articles L. 113-1 et R. 113-1 CJA). Il s’agit d’avis pouvant être donnés par le Conseil d’État sur une question de droit sérieuse et répétitive posée par une requête pendante devant un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel.
30La loi no 95-125 du 08 février 1995 accorde au juge administratif, quel que soit son niveau d’intervention, un authentique pouvoir d’injonction. Or, la fonction pédagogique de l’injonction est bien réelle, d’une part car son prononcé permet au juge d’expliquer à l’administration les obligations qui résultent de la chose jugée, d’autre part car elle facilite l’exécution des décisions de justice. La jurisprudence atteste ces vertus puisque peuvent ainsi être mentionnés, tant l’arrêt qui a défini les mesures impliquées par l’annulation d’un arrêté de reconduite à la frontière45 que l’arrêt qui enseigne avec précision les conséquences complexes de l’annulation de la décision de préemption d’un bien46. Cette jurisprudence montre comment le juge s’engage, lorsqu’il y a lieu de le faire, dans la voie des indications aussi circonstanciées qu’on peut le souhaiter et propres à faire de l’arrêt un guide éclairant et fiable47. En effet, très souvent les personnes publiques ne sachant pas comment exécuter la chose jugée lorsque l’une de leurs décisions a été annulée, trouvent dans l’injonction une valeur pédagogique par le détail pour chaque espèce de ce qui est nécessairement impliqué par l’annulation.
31Enfin, la loi no 2000-597 du 30 juin 2000 sur le référé a vocation à s’appliquer à l’ensemble des juridictions administratives. Dès l’introduction de cette loi, le juge administratif s’est employé à éclairer et à définir, à partir de nombreuses décisions particulièrement pédagogiques48, l’état du droit profondément transformé en matière de procédures d’urgence. Il est vrai que par le référé, la justice administrative se trouve plus fréquemment plongée dans l’actualité et prise dans “les feux médiatiques” ce qui peut avoir un effet sur les motivations que le juge entend donner à ses décisions. Cependant, on conçoit aussi que la motivation des ordonnances de référé puisse être laconique du fait de la situation d’urgence qui les domine. Pourtant dans les faits, il faut constater qu’il est devenu usuel, s’agissant notamment des ordonnances du Conseil d’État, même en matière de référés d’urgence, que la motivation soit pleinement développée49.
32La particularité des affaires pour lesquelles le juge des référés est saisi est qu’elles viennent de se réaliser, le juge agit dans l’instant. C’est pourquoi, les requérants comme l’administration apprécient l’éclairage que peut leur offrir le juge des référés. Le référé devient l’occasion de cerner une question, d’aider à dégager une solution juridique correcte50. De plus, dans le cadre du référé suspension, le juge doit expliciter les conséquences de la suspension. Ainsi, afin de guider l’administration, le juge des référés n’hésite pas à se montrer précis et explicite, c’est-à-dire à faire “œuvre de pédagogie” notamment par le développement de sa motivation.
33La mise en œuvre de ces différentes lois marque les étapes qui semblent avoir contribué à transformer la manière dont le juge perçoit son office. Ce qui est certain, c’est que le juge administratif est désormais beaucoup plus préoccupé qu’autrefois par la motivation de ses décisions. Mais il faut être nuancé et prudent quant à cette évolution. Si la pédagogie du juge est essentiellement liée à la motivation de ses décisions, l’histoire nous a tout de même appris à nous méfier de la motivation. Celle-ci a bien trop de significations, bien trop de rôles. D’ailleurs, la motivation n’a pas toujours été considérée comme nécessaire et lorsqu’elle l’a été, ce n’est pas toujours pour les mêmes raisons. La motivation peut alors être perçue comme un instrument qui apparaît ou disparaît au gré des convenances, politiques ou judiciaires, voire de politiques judiciaires51. C’est une des raisons pour lesquelles on ne doit parler que d’une “tendance à la motivation” et peut être même d’une “tendance à la pédagogie et au didactisme”.
34Nuancé, il faut l’être, car doit-on, ou simplement, peut-on considérer que la forme brève n’existe plus au sein des décisions du Conseil d’État ? Probablement pas. Si l’“imperatoria brevitas” cède du terrain au didactisme judiciaire, il serait abusif de considérer que celle-ci a complètement disparu.
35Il nous faut être aussi “prudent” car le développement de la motivation au sein des décisions juridictionnelles ne signifie pas toujours qu’il y ait pédagogie. Une décision n’est pas pédagogique parce qu’elle est plus brève ou plus longue52, tout dépend de l’espèce qui est soumise au juge. La décision pédagogique sera probablement celle qui est la plus complète et la plus intelligible pour les parties.
36De plus, l’imprécision de certaines règles, telles que les règles de compétence ou le caractère sibyllin de certaines notions jurisprudentielles, comme les critères employés dans l’arrêt APREI afin d’identifier l’organisme privé gérant une mission de service public, tranchent parfois avec la longueur des considérants et viennent contredire l’aspect pédagogique de la motivation.
37Par ailleurs, il faut aussi relever qu’il peut exister des limites à la volonté d’expliquer, de tout expliquer, voire même à la possibilité de le faire. Une part de violence siège au cœur même de toute décision juridictionnelle. Si la fonction première du juge est de “trancher un litige”, on doit alors être sensible à la violence que contient le verbe “trancher” : le jugement est tranchant en ce qu’il constitue une décision et un acte d’autorité. Lors de cette décision, le juge “donne au texte sur lequel il se fonde une signification notamment par l’interprétation, il assigne une qualité juridique aux faits, aux actes, il pose un principe général”. Rien de cela ne peut exister sans qu’il y ait des choix à effectuer, “sans un “moment d’arbitraire qu’il n’est pas possible de fonder, de part en part, en raison juridique53”.
38Parfois enfin, comme le relève D. de Béchillon, il peut être plus commode pour le juge de ne pas expliquer de manière trop expresse les raisons sur lesquelles il se fonde et, paradoxalement, cela peut même avoir un effet plus convaincant ou stratégiquement préférable54. Existe-t-il alors une forme de pédagogie dans le silence gardé lors de la motivation du juge ?
39Mais entendue ainsi, la motivation ne constitue qu’un instrument, un accessoire entre les mains du juge, que ce dernier est seul à même de caractériser, d’adopter, de développer ou même d’écarter lorsqu’il l’estime nécessaire. Quant à la pédagogie liée à la motivation, elle apparaît par conséquent comme une fonction seconde du juge qu’il convient de ne pas surestimer. C’est pourquoi, tout dépend peut être finalement “des motivations” qui conduisent le Conseil d’État à faire œuvre de pédagogie.
II – LES MOTIVATIONS DU DIDACTISME DES DÉCISIONS JURIDICTIONNELLES
40S’interroger sur les motivations qui conduisent le juge administratif à faire œuvre de pédagogie dans ses décisions juridictionnelles revient à se demander quelles sont les raisons d’ordre intellectuel, ou encore les besoins, les désirs qui poussent le juge à devenir pédagogue.
41Ces motivations peuvent être de deux ordres : elles peuvent être raisonnées, réfléchies, tout à fait conscientes (A). Mais elles peuvent aussi être plus profondes et déborder la volonté libre du sujet, c’est-à-dire du juge. Les relations qui unissent le juge administratif, tout particulièrement le Conseil d’État, à l’administration seront de ce point de vue éclairantes pour évaluer le rôle de la pédagogie et permettront de se demander s’il existe en définitive un didactisme propre au droit administratif (B) ?
A – Les motivations raisonnées de la pédagogie du Conseil d’État
42Envisager les raisons qui poussent le juge administratif à revêtir l’habit du pédagogue ne peut conduire qu’à une amorce d’exploration. On songera en tout premier lieu à considérer que le juge administratif doit se faire pédagogue afin d’être efficace. Le degré de complexité d’une affaire peut être à l’origine d’une décision pédagogique. A mesure que le droit se complexifie, le juge est effectivement amené à se montrer plus clair, plus compréhensible.
43Le juge administratif devient pédagogue aussi peut être par déférence à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, qui fait de la clarté et de l’intelligibilité de la loi un objectif à valeur constitutionnelle55 mais aussi à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Sans occulter la concurrence qui peut exister entre ces juridictions56, il est possible de constater que par le biais de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour a tendance à étendre “sur la juridiction administrative une ombre dominatrice57”. Or celle-ci fait de la motivation une obligation contenue dans le droit à un procès équitable qu’il convient pour le Conseil d’État de respecter. De plus, la démarche pédagogique du juge administratif peut être aussi révélatrice, dans ce même ordre d’idées, de la volonté bien compréhensible du juge de ne pas apparaître en retrait dans le registre de la protection des justiciables.
44Enfin, il faut relever que la position du Conseil d’État au sommet de l’ordre juridictionnel administratif et la création d’un degré de juridiction supplémentaire dès 1987, confèrent à l’“œuvre pédagogique” de ce juge une importance essentielle du point de vue de l’adoption des règles jurisprudentielles, de leur transmission et de leur unification au sein de l’ensemble des juridictions administratives.
45La fonction de justice est parfaitement indépendante. La formation de jugement ne peut voir sa position dictée par aucune autorité, si ce n’est celle des textes de lois applicables et selon l’interprétation qu’elle-même en donne à l’occasion du litige qui lui appartient de trancher. De ce fait, le Conseil d’État, comme toute formation de jugement française, est réputé réinventer ou redécouvrir le droit lors de chaque litige sans même une référence à ce qui a été exprimé par les précédents ayant tranché des questions juridiques similaires.
46Néanmoins, si par principe le juge administratif n’est tenu par aucun précédent jurisprudentiel, la force ou l’autorité morale de celui-ci ne peut être niée pour plusieurs raisons58. Il faut d’abord constater que les Cours suprêmes, elles-mêmes, ne recourent au revirement de jurisprudence qu’avec “la plus grande circonspection”. Il existe une certaine “gravité du revirement” invitant les juges à faire preuve de prudence, notamment parce que “le justiciable comprend mal qu’un même texte puisse changer de sens et que la vérité d’hier devienne l’erreur de demain59”. On peut ensuite considérer que les juges du fond suivront la plupart du temps les décisions rendues par les juridictions supérieures. Il s’agit du principe d’imitation consistant, pour ces derniers à reproduire les décisions de la Cour suprême60. Celui-ci est la conséquence de la hiérarchie des juridictions : ce que la cour suprême a jugé, les juges des juridictions territoriales auront tendance à le juger61. D. Chabanol voit dans ce phénomène une forme de “discipline contentieuse” pratiquée au sein des juridictions administratives, une discipline qui serait conçue comme “le devoir de respecter la chose identique jugée antérieurement62”. Il existe de plus une hiérarchie fonctionnelle des degrés de juridiction permettant au degré supérieur d’imposer sa voix, par l’annulation. Mais quoi qu’il en soit, le souci de respecter ce qu’a pu dire la juridiction supérieure n’est pas tellement guidé par la crainte ou la menace de l’annulation, cette obligation est essentiellement dictée par un souci de sécurité juridique. Quant à la démarche pédagogique de la Haute juridiction administrative, elle ne peut être déterminée par la seule autorité de cette institution. La “pédagogie du précédent” s’inscrit dans une logique de sécurité et de rationalité, c’est-à-dire dans le besoin d’assurer une unité de jurisprudence63 ainsi que de la prévisibilité par l’anticipation des procès et la fixation de règles permettant d’éviter des contentieux inutiles dans l’avenir.
47La loi du 31 décembre 1987 renforce de toute évidence le souci de “discipline contentieuse” en ce qu’elle confère au Conseil d’État une mission de cassation accrue mais aussi parce qu’elle met en œuvre la procédure de l’“avis juridictionnel” ou de l’“avis contentieux”, qui permet de prévenir ab initio toute divergence de jurisprudence. Par le biais de cette loi, le Conseil d’État est conforté dans sa fonction de régulateur64, ou de Cour régulatrice65, à l’intérieur de la juridiction administrative et ce que l’on attend de lui finalement, c’est de prendre ses responsabilités vis-à-vis des juges inférieurs, d’assumer en quelque sorte son rôle éducatif et de se faire pédagogue.
48Le juge de cassation a pour but de vérifier que le droit a été correctement appliqué. Dès lors, en contrôlant l’application de la loi faite par les juges du fond, il applique lui-même la loi et donne l’exemple de cette application dans sa motivation. Il doit faire attention à ce qu’il dit puisque cet exemple permet ensuite au juge du fond de comprendre la loi et de l’appliquer correctement. Le Conseil d’État doit ici, non plus seulement bien décider, mais encore expliquer en toute clarté dans sa motivation le pourquoi de sa décision66. Tout en remplissant une fonction d’unité d’application du droit, de généralisation de celui-ci, il exerce aussi une mission d’éducation. C’est pourquoi, le Conseil d’État dans son rôle de juge de cassation a pour souci d’être à la fois convaincant mais aussi suffisamment pédagogue.
49Il faut d’ailleurs relever que cette mission pédagogique est d’autant mieux remplie devant le Conseil d’État que dans le cadre de son office de cassation, celui-ci dispose en vertu de l’article L. 821-2 du CJA de la possibilité de régler le litige au fond lorsque “l’intérêt d’une bonne administration de la justice67” l’exige. Cette opportunité ouverte par la loi, dont il se saisit régulièrement, lui permet d’affermir son rôle pédagogique. En jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’État développe toute sa vertu pédagogique car il expose alors aux juridictions inférieures le modèle à suivre. Cette faculté de juger l’affaire au fond lui permet aussi parfois d’affirmer et de développer une nouvelle règle de droit68. C’est d’ailleurs cette logique qui domine les règles de principe posées par le Conseil d’État lors de ses décisions. Parce qu’elles sont reprises par les juges du fond mais aussi parce que le Conseil d’État les réutilisera plus tard, les premières décisions ne se contentent pas de trancher le litige qui leur est soumis. Elles tranchent une question de droit et posent ainsi une règle dont la portée est susceptible de dépasser le cadre de la décision qui l’avait motivée69.
50Il est de ce fait indéniable que la pratique du précédent existe et qu’elle est appliquée. Cette pratique constitue un mélange de “discipline” et de “sécurité”, par la discipline contentieuse qu’elle génère, mais aussi d’“éducation”, par l’exemple que doit donner le Conseil d’État dans son rôle de cassation. Discipline, sécurité et éducation se combinent pour traduire la fonction pédagogique du Conseil d’État.
B – Les motivations profondes de la pédagogie du Conseil d’État
51Dans l’hypothèse où l’on accepte de bien vouloir considérer qu’aujourd’hui le juge administratif adhère à une fonction pédagogique, il faut alors s’interroger sur les destinataires de cette pédagogie et rendre compte des particularités du rapport pédagogique existant. En effet, dans la majeure partie des décisions dites “pédagogiques”, c’est essentiellement à l’administration que sont destinées les indications du Conseil d’État.
52Ce rôle pédagogique à l’intention de l’administration est d’ailleurs logique puisque c’est l’administration qui est impliquée le plus naturellement par l’effectivité des décisions juridictionnelles. Le plaideur au procès n’est généralement intéressé que par sa situation personnelle, celle qui le concerne, tandis que l’administration, elle, doit s’attacher à l’ensemble des décisions pour en tenir compte dans son activité quotidienne. L’administration est donc tout naturellement “le premier élève” du Conseil d’État et plus généralement du juge administratif.
53Compte tenu de cette logique, il peut s’avérer intéressant de s’interroger sur la manière et les procédés par lesquels le Conseil d’État “fait la leçon” à l’administration. Le dialogue entre le juge administratif et l’administration contient certaines particularités, voire certaines ambiguïtés, qui semblent, selon nous, liées à la nature du rapport existant entre le juge administratif et l’administration.
54Nul ne saurait occulter, d’un point de vue historique, les relations qui ont lié et qui continuent de lier le juge administratif à l’administration. Il existe entre le juge administratif, tout particulièrement le Conseil d’État, et l’administration, un lien de filiation, puisque le juge est né de l’administration au terme d’une période de gestation lente qui a duré plusieurs siècles70. C’est d’ailleurs au cours de cette période, comme l’affirme le Professeur Y. Gaudemet, que “le juge administratif a été administrateur avant d’être juge”, la fonction administrative ayant précédé et engendré la fonction contentieuse71.
55C’est en ayant conscience de ces origines qu’il devient possible de s’interroger, cette fois, sur les “relations pédagogiques” existantes entre l’administration et son juge, le juge administratif. La pédagogie qui anime le Conseil d’État vis-à-vis de l’administration revêt un double visage. En faisant “œuvre de pédagogie”, le juge administratif a pour volonté de convaincre mais aussi de guider. La pédagogie constitue tout à la fois un instrument d’éducation et de pouvoir. L’instrument de pouvoir se dissimule, se cache derrière celui de l’éducation mais les deux sont intimement liés72.
56Par la pédagogie le juge administratif a très souvent pour souci de convaincre, notamment lorsqu’il s’adresse aux justiciables mais aussi aux autres juges. Tout particulièrement dans ses rapports avec l’administration, le Conseil d’État développe une volonté de guider voire même d’imposer. La pédagogie vient alors confirmer un peu plus les rapports ambigus entre l’administration et son juge et rappelle le rôle d’administrateur que peut jouer le juge.
57Mais ces propos peuvent s’avérer finalement convenus tant il semble qu’aujourd’hui le juge administratif accepte la casquette d’administrateur. Le tabou interdisant au juge de s’immiscer dans l’administration active semble être en train de tomber, d’ailleurs certaines décisions témoignent de cette évolution et laissent supposer que “ce tabou là n’en est plus complètement un73”. De plus, la tendance actuelle démontre un renouvellement de l’office du juge administratif et c’est au cœur de cette transformation que semble se situer la fonction d’administrateur du juge ainsi que sa fonction pédagogique. Il serait alors possible de considérer que le juge ne devient pas administrateur parce qu’il est pédagogue mais pédagogue parce qu’il est, à n’en plus douter, administrateur et qu’il accepte d’endosser ce rôle.
58Il faut ici mentionner que la loi du 8 février 1995 accordant au juge administratif le pouvoir d’injonction a joué un rôle majeur dans cette évolution de l’office du juge administratif. L’investiture de la loi est “à l’origine d’une levée d’inhibition au prétoire du Palais Royal74 ” et cela se ressent notamment dans la portée de certaines décisions dans lesquelles le juge non seulement explicite les conséquences de ses solutions mais n’hésite plus à prescrire à l’administration une conduite à tenir en dehors de tout cadre légal. En matière de contentieux pour excès de pouvoir, trois affaires datant du début du siècle ont été particulièrement remarquées. Il s’agit des arrêts Titran, Vassilikiotis et Société à objet “Toulouse football club” de 200175. La démarche qui est suivie par la Haute juridiction administrative dans ces trois espèces consiste concrètement à indiquer l’ensemble des mesures d’exécution à l’administration, plus précisément au pouvoir réglementaire, dans les motifs de la décision, puis de revêtir les motifs de la décision de l’autorité de la chose jugée afin de lier juridiquement l’administration sur la conduite à tenir.
59Ce faisant, avec clarté et fermeté, didactisme et autorité, on a pu considérer que le Conseil d’État avait ici fait preuve de pédagogie76. Il explique le sens et la portée de ses décisions tout en donnant une “directive” à l’administration. Le juge semble aller d’autant plus loin dans ses indications qu’il se comporte ainsi avec l’administration avec laquelle il entretient des relations particulières. On aurait presque tendance à considérer qu’il se comporte ainsi sciemment pour se démarquer de ses homologues judiciaires, la valeur ajoutée de ses décisions juridictionnelles se situant justement dans sa relation de proximité avec l’administration. Dès lors, bien que pouvant être considérés comme exceptionnels, ces arrêts, comme le relève le Professeur R. Chapus, “jeune postérité du siècle nouveau, sont le premier vol d’une jurisprudence qui se développera”. Et il ajoute cette mise en garde : “le ton durcira peut être77”.
60Quoi qu’il en soit, il semble aujourd’hui possible de considérer que le Conseil d’État devient de plus en plus pédagogue. Cela se ressent tout particulièrement dans l’évolution de la forme de la motivation de ses décisions juridictionnelles. Toutefois, il faut être nuancé, car il ne s’agit que d’une tendance mais aussi parce que la motivation apparaît finalement comme une technique, un instrument entre les mains du juge. Quant à la pédagogie, elle semble révéler un double visage puisqu’elle est à la fois instrument d’éducation mais aussi de pouvoir et que cette caractéristique est tout particulièrement perceptible lorsque l’on envisage les rapports qu’entretiennent le juge administratif et l’administration.
61Mais c’est ici qu’il faut rappeler que la pédagogie n’est pas la fonction première du juge administratif, et de tout juge d’ailleurs, qui est celle de “trancher un litige”. Il ne s’agit donc que d’une fonction seconde qu’il convient de ne pas surestimer mais à laquelle il faut accorder toute de même une certaine révérence. La pédagogie semble, dès lors, pouvoir être décrite comme une vertu, qualité morale qui complète l’office du juge administratif du XXIème siècle. L’axe du progrès, du bien ou du juste en matière de justice semble suivre de près le souci de s’expliquer. Tout ce qui va dans ce sens semble donc bon à prendre78.
62Montesquieu avait clairement une conception de son temps lorsqu’il affirmait que le juge ne pouvait être que la bouche qui prononce les paroles de la loi. Le juge contemporain ne se contente pas de ce rôle, il interprète aussi la loi, la commente, et l’explique… Toutefois, le magistrat bordelais avait une conception de l’être humain qui paraît toujours aussi actuelle. Il s’exprimait ainsi à propos de la liberté politique mais ses propos pourraient être assignés à la vertu pédagogique du juge : “Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites”. Puis ajoutait d’un ton moralisateur : “Qui le dirait, la vertu même a besoin de limites79”.
Notes de bas de page
1 A. LALANDE, “Pédagogie”, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, Quadrige, 2002, p. 749.
2 Intervention de D. CASAS, “Les évolutions de l’office du juge administratif”, Toulouse 1 Capitole, sept. 2007. Voir aussi : F. DONNAT et D. CASAS, “L’office du juge administratif dans la jurisprudence récente du Conseil d’État”, Droit Administratif, 2004, Etudes no 9. Pour une définition proche de celle-ci, voir notamment : J. NORMAND, “Office du juge”, L. CADIET (ss. la dir. de), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, p. 925.
3 Voir en ce sens : G. GIUDICELLI-DELAGE, La motivation des décisions de justice, Thèse Poitiers, 1979, 2 tomes, T.1, pp. 3 et s.
4 G. GIUDICELLI-DELAGE, op. cit., T.1, p. 136.
5 C.-J. GUILLERMET, La motivation des décisions de justice. La vertu pédagogique de la justice, Paris, L’Harmattan, 2006, 106 p.
6 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 13ème éd., 2008, coll. Domat Droit public, p. 1062.
7 M. TARUFFO, La motivazione delle sentenze civili, Padoue, C.E.D.A.M., 1975, pp. 406-407. Selon cet auteur, “la motivation ne peut être conçue seulement comme un moyen de ‘‘contrôle institutionnel’’, mais aussi et surtout comme un instrument destiné à rendre possible un contrôle ‘‘généralisé’’ et ‘‘diffus’’ sur la manière dont le juge administre la justice. En d’autres termes, cela implique que les destinataires de la motivation ne soient pas uniquement les parties, les avocats et le juge d’appel, mais également l’opinion publique comprise soit dans son ensemble soit comme l’opinion de l’un de ses membres”. Voir aussi sur ce point : M.-C. PONTHOREAU, “Réflexions sur la motivation des décisions juridictionnelles en droit administratif français”, RDP 1994, p. 752.
8 Sur le besoin de clarification du droit voir notamment : H. OBERDORFF, “L’émergence d’un droit de comprendre”, EDCE 1992, no 43, pp. 217 et s.
9 Comme le relève T. SAUVEL, “grâce aux motifs seulement celui qui a perdu un procès sait comment et pourquoi”. T. SAUVEL, “Histoire du jugement motivé”, RDP 1955, pp. 5-53, spé. p. 5.
10 Elle doit respecter le propos tenu par Hegel selon lequel : “Devant les tribunaux, le droit reçoit cette détermination qu’il faut qu’il soit un droit prouvé”. G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l’Etat en abrégé, Librairie philosophique J. VRIN, 1998, § 222, p. 240.
11 T. SAUVEL, “Histoire du jugement motivé”, op. cit., p. 5.
12 P. TEXIER, “Jalons pour une histoire de la motivation des sentences”, in La Motivation. Travaux de l’association H. Capitant, Tome III, Limoges, 1998, pp. 1-17.
13 Antérieurement à cette période l’absence de motifs dans les jugements apparaît pour les Parlements d’Ancien Régime comme un privilège des Cours souveraines auquel le Roi n’a nullement l’intention de toucher.
14 La valeur constitutionnelle de la motivation fait cependant l’objet de controverses. La motivation des décisions de justice étant un élément du principe du respect des droits de la défense, sa valeur constitutionnelle serait ainsi reconnue (en ce sens, voir : N. MOLFESSIS, Le Conseil Constitutionnel et le droit privé, thèse, LGDJ, 1997, no 291, p. 233). Cependant, le respect des droits de la défense résulte, selon le Conseil Constitutionnel, d’un ensemble de critères et il est possible que l’absence de l’un d’eux n’entraîne pas une violation du principe (Cf. sur ce point : T. Le BARS, Le défaut de base légale en droit judiciaire privé, thèse, Caen, LGDJ, 1997, no 48, p. 38).
15 Cons. Const., no 77-1012 DC, 03/11/1977, Rec. Cons. Const. 70 (en matière de propriété) ; Cons. Const., 18/01/1985 et 13/10/1993, Cons. Const., no 98-408 DC, 22/01/1999, Cour pénale internationale.
16 CE, 05/12/1924, Sieurs Legillon, Rec. p. 985 ; CE, 01/03/1925, Sieur Platon, Rec., p. 270, Dalloz 1935, p. 336 ; CE, 13/02/1948, Hassing, Rec., p. 76 ; CE, 23/09/1979, Landsmann, Rec., p. 430, Dalloz 1980, I. R., p. 117, observations DELVOLVÉ.
17 CEDH, 19/04/1994, Van de Hurk c/ Pays Bas ; CEDH, 09/12/1994, Hiro Balani et Ruiz torija c/ Espagne v Boré, D. 1996, som. Com. 202, obs. FRICERO.
18 Voir par exemple : CE, 14/11/1924, Sieur Richet, Rec., p. 901 ; CE, 24/03/1926, Sieur Fraissé, Rec., p. 238 ; CE, 29/05/1963, Maurel, Rec., p. 334.
19 Pour des exemples de critiques de cette pratique, voir notamment : R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., pp. 966-967 ; du même auteur : “De l’office du juge : contentieux administratif et nouvelle procédure civile”, EDCE 1977-1978, pp. 11-65, spé. p. 63 ; F. BLANCO, Pouvoirs du juge et contentieux administratif de la légalité : contribution à l’étude de l’évolution et du renouveau des techniques juridictionnelles dans le contentieux de l’excès de pouvoir, Thèse, Aix-Marseille III, 2006, pp. 218-222. J. GOURDOU, Les conséquences de la constatation de l’illégalité d’un acte administratif par le juge administratif, thèse, Pau, 1996, dactyl., pp. 689-690.
20 Lors des débats sur la réforme du contentieux du 31 décembre 1987, un amendement sénatorial, non retenu, tendait à l’inclusion dans la loi d’une disposition imposant au juge de statuer sur tous les moyens de la requête. JO, Débats, Sénat, 10/11/1987, p. 3764.
21 C’est ce que certains auteurs souhaitent ouvertement. Voir notamment : R. CHAPUS, “De l’office du juge : contentieux administratif et procédure civile”, étude précitée, p. 63 ; J. GOURDOU, op. cit., pp. 689-690.
22 CE, sect., 28/11/1949, Société des automobiles Berliet, Rec., p. 579 ; D. 1949, p. 383, note P. WEIL ; S. 1951.3.1, concl. J. GUIONIN, note A. MATHIOT.
23 M. HAURIOU, note sous CE, 28/02/1919, Dame Dol et Laurent, S. 1918-1919.3.33.
24 D. de BÉCHILLON, “Le juge et son œuvre. Un an de fabrication du droit administratif dans la jurisprudence du Conseil d’État”, in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur du Professeur M. Troper, Economica, 2006, pp. 359-371, spé. p. 365.
25 Selon l’expression formulée par le doyen J. CARBONNIER : J. CARBONNIER, “Variations sur la loi pédagogue”, in Societa’ norme e valori, scritti in onore di Renato Treves, Milano, giuffrè editore, 1984, pp. 3-22, spé. p. 20. Voir aussi : J. CARBONNIER, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 8ème éd., 1995, Chap. V, “Sur la loi pédagogue”, p. 164.
26 CE, 29/11/1912, Boussuge, Rec., p. 1128, concl. BLUM ; S.1914.3.33, concl. BLUM, note HAURIOU ; D. 1916.3.49, concl. BLUM ; RDP 1913, p. 331, concl. BLUM, note JÈZE.
27 M. DEGUERGUE, “Déclin ou renouveau des grands arrêts ?”, in Cinquantième anniversaire des Grands arrêts de la jurisprudence administrative, RFDA 2007. Ces arrêts sont discursifs “en ce qu’ils déroulent un raisonnement long et motivé, pour interpréter et combiner des textes et participer ainsi à l’œuvre du légiste. Par conséquent, il semble qu’aux grands arrêts de première génération viennent s’adjoindre des grands arrêts de seconde génération : déclin et renouveau se superpose sans s’exclure”. Spé. p. 254.
28 B. PLESSIX, “Chronique Droit administratif”, JCP G 2007, I. 193, no 40, p. 25 (à propos de l’arrêt CE, ass., 16/07/2007, Société Tropic Travaux Signalisation).
29 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 1064.
30 P. COLLIN et M. GUYOMAR, “Chronique de droit administratif”, AJDA 2001, pp. 1046 et s.
31 R. CHAPUS, op. cit., p. 254. Voir également : R. CHAPUS, “Georges Vedel et l’actualité d’une ‘‘notion fonctionnelle’’ : l’intérêt d’une bonne administration de la justice”, in Hommages à Georges Vedel, RDP 2003, no 1, pp. 3-17, spé. p. 10.
32 R. CHAPUS, op. cit., RDP 2003, p. 10. Autre exemple : CE, sect., 22/02/2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI), Juris-Data no 2007-071473 ; AJDA 2007, p. 793, chron. F. LENICA et J. BOUCHER ; JCP A 2007, 2066, concl. C. VÉROT, note M.-C. ROUAULT, 2145, note G.-J. GUGLIELMI et G. KOUBI.
33 La difficulté ici est alors de distinguer au sein de la motivation pédagogique les motifs qui relèvent du mode d’emploi de ceux qui se rapprochent de l’“obiter dicta” ou motifs surabondants. Le tri entre ces deux cas de figure s’opère difficilement dans la pratique. Sur la question de l’obiter dicta, on peut se reporter aux études des Professeurs M. DEGUERGUE et A. VIDAL-NAQUET publiées dans cet ouvrage.
34 CE, ass., 28/06/2002, Villemain, Rec., p. 229 ; DA 2002, no 162, p. 21 ; RFDA 2002, p. 723, concl. BOISSARD ; AJDA 2002, chronique F. DONNAT et D. CASAS, p. 586 ; RDP 2003, chron. GUETTIER, p. 447. L’arrêt rejette la requête de l’intéressé et le Conseil d’État fait ici l’ensemble de la théorie sur la loi relative au pacte civil de solidarité (PACS) et avertit l’administration en lui disant comment la question se pose, comment elle serait assurée et quelle serait la solution et les adaptations nécessaires à mettre en oeuvre dans un délai raisonnable.
35 CE, ass., 16/07/07, Société Tropic Travaux Signalisation, Juris-Data no 2007-072199 ; AJDA 2007, p. 1577, chron. F. LENICA, J. BOUCHER ; JCP A 2007, 2212, note F. LINDITCH, 2221, note M.-C. ROUAULT ; JCP G 2007, II, 10160, note B. SEILLER.
36 CE, ass., 14/12/2007, Garde des Sceaux, min. de la justice c/ Boussouar, Planchenault et Payet (Trois décisions du même jour : no 290730, no 290420, no 306432), AJDA 2008, p. 128, chron. J. BOUCHER et B. BOURGEOIS-MACHUREAU, LPA 09/06/2008, no 115, p. 16, note A. CLAEYS. Voir aussi : CE, 30/11/2009, Garde des sceaux, min. de la justice c/ M. K., no 318589 ; AJDA 2009, note C. BIGET, p. 2320.
37 CE, sect., 22/04/2005, Commune de Barcarès, AJDA 2005, p. 1595 ; RFDA 2005, p. 557. Le juge de cassation peut-il confirmer l’annulation d’un acte administratif lorsqu’elle a été prononcée par plusieurs motifs dont seulement certains sont erronés ? Si oui, à quelles conditions ? Le Conseil s’attache à répondre à ces questions dans un considérant particulièrement sophistiqué et “donne aux justiciables un véritable mode d’emploi adapté à de nombreuses configurations et rend raison avec un souci de précision tout à fait remarquable de chacun de ses arcanes. Tout y est patiemment justifié”. D. de BÉCHILLON, “Le juge et son œuvre. Un an de fabrication du droit administratif dans la jurisprudence du Conseil d’État”, op. cit., pp. 366-367.
38 CE, sect., 22/02/2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI), précité.
39 CE, sect., 06/04/2007, Commune d’Aix-en-Provence c/ Armand, Juris-Data no 2007-071735 ; AJDA 2007, chron. F. LENICA et J. BOUCHER, p. 1020 ; JCP A 2007, 2111, note M. KARPENSCHIF, 2125, note F. LINDITCH, 2128, note J.-M. PONTIER.
40 Elle a d’ailleurs pu être relevée par certains arrêtistes attentifs dès la fin du XIXème siècle. Voir notamment : J. RIVERO, “Le Conseil d’État, Cour régulatrice”, D. 1954, pp. 157-162 ; J. RIVERO, “Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif”, EDCE 1955, pp. 27-36 ; Y. GAUDEMET, Les méthodes du juge administratif, Paris, LGDJ, 1972, pp. 77 et s.
41 CE, 30/03/1916, Gaz de Bordeaux, D. 1916.3.25, concl. CHARDENET ; S.1916.3.17, concl. CHARDENET, note HAURIOU ; RDP 1916, p. 206 et p. 388, concl. CHARDENET et note JEZE. Cet arrêt peut être considéré comme “faisant la théorie de l’imprévision”. Ainsi que le souligne J. RIVERO, dans cette décision, “le Conseil renonce à sa méthode accoutumée ; longuement, minutieusement, l’arrêt explique, précise, s’efforce de couper court aux équivoques possibles (…)”. Il semble guider par un “souci pédagogique”. J. RIVERO, “Le Conseil d’État, Cour régulatrice”, Dalloz 1954, spé. p. 162.
42 CE, 26/12/1925, Rodière, Rec., p. 1065 ; S. 1925.3.49, note HAURIOU ; RDP 1926, concl. COHEN-SALVADOR, p. 32.
43 C’est ce que semble constater le Professeur R. CHAPUS pour qui “la juridiction administrative est entrée, en matière de motivation, dans une ère nouvelle, au cours des premières années du nouveau siècle. Quelques uns se trouveront peut être pour regretter le charme mystérieux des jurisprudences d’autrefois”. R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 1064.
44 En 2008, le nombre de pourvois en cassation (toutes catégories de pourvois confondues) a décliné pour ne représenter que 52 % contre 67 % en 2007. Rapport public du Conseil d’État, EDCE 2009, La Documentation française, p. 12.
45 CE, sect., 22/02/2002, Dieng, Rec., p. 54 ; AJDA 2002, chron. M. GUYOMAR et P. COLLIN, p. 415 ; RDP 2003, obs. C. GUETTIER, p. 441 ; RFDA 2002, concl. D. CHAUVAUX (concl. contraires), p. 1080. Lorsque un arrêté de reconduite à la frontière est annulé au motif qu’un étranger remplit les conditions légales pour obtenir un titre de séjour (en l’espèce, Mr Dieng résidait en France depuis plus de dix ans), l’exécution du jugement n’implique pas que l’intéressé soit mis en possession de ce titre de séjour.
46 CE, sect., 26/02/2003, Epoux Bour, Rec., p. 59 ; BJDU 2003, concl. P. FOMBEUR ; AJDA 2003, chron. F. DONNAT et D. CASAS, p. 729 ; RDP 2004, obs. C. GUETTIER, p. 380 ; RFDA 2003, p. 426 ; EDCE 2004, no 55, p. 47. Le juge administratif peut prescrire à l’auteur d’une décision de préemption annulée de s’abstenir de revendre à un tiers le bien illégalement préempté et de proposer à l’acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial d’acquérir ce bien. Si, en revanche, celui-ci a été revendu, l’exécution de l’annulation de la décision de préemption n’impose pas au juge d’ordonner des mesures qui tendraient à la remise en cause de cette revente.
47 Il est possible de ranger dans cette catégorie de décisions l’arrêt du CE, sect. 22/02/2002, Dieng, précité. Mais aussi, l’arrêt qui précise que l’annulation du refus de modifier les conditions d’accueil des avocats dans un centre de rétention implique l’installation (dans le délai d’un mois) d’un local permettant des échanges confidentiels et équipé d’une ligne... téléphonique, ainsi que d’un télécopieur : CE, 30 décembre 2002, Ordre des avocats à la cour de Paris, Rec., p. 487 ; AJDA 2003, p. 239, concl. M. GUYOMAR, RFDA 2003, p. 189.
48 En cette matière, le Conseil d’État a en effet “prononcé d’importants arrêts de principe, amplement motivés, et qui (à la façon des avis contentieux) ont bien rempli la fonction pédagogique qui leur était dévolue”. R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 1380.
49 CE, ord., 10/08/2002, Front National, Rec., p. 311 ; AJDA 2002, note X. BRAUD, p. 1017 ; CE, ord., 08/11/2002, Société Tiscali Telecom, Rec., p. 387, AJDA 2003, note T. TUOT, p. 250 ; CE, ord., 09/02/2005, Mme Allouache, Rec., p. 562.
50 B. STIRN, “Juge des référés, un nouveau métier pour le juge administratif”, in Juger l’administration, administrer la justice : mélanges en l’honneur de D. Labetoulle, Paris, Dalloz, 2009, p. 799. Selon cet auteur, “le juge des référés n’est pas seulement un juge (…) il lui appartient de dire le droit sur le dossier soumis mais aussi de chercher avec l’administration et les requérants une issue raisonnable au litige (…) parfois il est donc un médiateur, un conciliateur”. Spé. p. 801. Sur la fonction pédagogique du référé administratif, voir également : P. COLLIN et M. GUYOMAR, “Chronique”, op. cit., pp. 1046 et s.
51 Voir en ce sens : G. GIUDICELLI-DELAGE, La motivation des décisions de justice, op. cit., pp. 40 et s.
52 Sur ce point les opinions semblent diverger. Selon le Professeur B. PLESSIX, qui est un nostalgique de la forme brève : “‘‘l’arrêt d’explicitation’’ n’est en rien une garantie absolue”, la longueur des développements n’empêche pas de faire naître une foule de questions (B. PLESSIX, JCP G, chron. Droit administratif, no 40, 03/10/2007, p. 25.). De plus selon cet auteur : “Il en va du magistère de la jurisprudence : plus on en dit, moins on est clair. Plus le juge bavarde, moins la doctrine l’écoute : l’abondance jurisprudentielle appauvrit la pensée car elle décourage l’interprète ou encourage l’exégète ; Byzance a fini par tuer Rome”. B. PLESSIX, “Chronique Droit administratif”, JCP G, 20/07/2007, no 25, p. 25. Différemment, selon le Professeur C. ATIAS : “la brièveté d’une décision confirme la position d’une juridiction qui n’a guère à se justifier ; l’extrême concision peut aussi vouloir dire la fragilité d’une position, d’une juridiction qui ne parvient pas à s’imposer”. C. ATIAS, “Moyens de dire le droit et ‘‘façons de parler’’ de la Cour de Cassation : une distinction nécessaire”, Dalloz 2008, chron., p. 177.
53 D. de BECHILLON, op. cit., pp. 370-371.
54 Ibidem.
55 Décision no 99-421DC du 16/12/1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption législative de certains codes, AJDA 2000, J.-E. SCHOETTL, p. 31 ; D. 27/01/2000, B. MATHIEU, p. VII ; D. 2000, chron., W. BARANÈS et M.-A. FRISON Roche, p. 361 ; D. 2000, somm., D. RIBES, p. 425 ; LPA 28/07/2000, no 150, B. MATHIEU et M. VERPEAUX, p. 15 ; RTDC 2000, N. MOLFESSIS, p. 186.
56 La concurrence entre juges est un sujet à controverses. En effet, “il y a concurrence dès lors qu’il y a menace et nul ne peut nier que la juridiction administrative ait été attaquée, non seulement dans son identité, mais aussi dans sa légitimité (…). D’où les emprunts... conceptuels aux juges judiciaires en matière de responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques et un alignement sur l’interprétation de l’article 6 § 1 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales données par la Cour européenne des droits de l’homme”. M. DEGUERGUE, “Des influences sur les jugements des juges”, in G. DARCY, V. LABROT, M. DOAT (ss. la dir de.), L’office du juge, Paris, Sénat, Actes du colloque des 29 et 30 septembre 2006, L’Harmattan, pp. 380-381.
57 R. CHAPUS, “Vues sur la justice administrative”, Mélanges en l’honneur de D. Labetoulle, op. cit., p. 171.
58 Voir sur ce point : M. DEGUERGUE, “Des influences sur les jugements des juges”, op. cit., pp. 376-377.
59 G. GIUDICELLI-DELAGE, op. cit., T.1, p. 503.
60 Il faut noter ici que le Conseil d’État, lui-même, n’hésite pas à répéter certaines de ses solutions dégagées lors de jurisprudences antérieures. Voir en ce sens notamment : CE, sect., 22/02/2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI), précitée. Décision reprise et confirmée par : CE, O5/10/2007, Société UGC Ciné Cité.
61 Cette remarque ne préjuge évidemment pas du rôle que peuvent jouer les juridictions de première instance et d’appel dans la mise en œuvre de règles jurisprudentielles. Celles-ci ne se cantonnent pas dans un rôle passif et il n’est pas rare d’ailleurs de constater des élans de créativité de leur part recevant ultérieurement l’onction du Conseil d’État.
62 D. CHABANOL, “Le dialogue des juges administratifs entre eux : discipline contentieuse et indépendance”, in Le dialogue des juges. Mélanges en l’honneur du Président Genevois, Dalloz, 2009, pp. 167-173.
63 Voir en ce sens : B. STIRN, “Les rapports entre le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs”, in B. BONNET (ss. la dir. de), Regards de la Communauté juridique sur le contentieux administratif. Hommage à Daniel Chabanol, Publication de l’Université de Saint-Étienne, 2009, pp. 26 et s.
64 P. DELVOLVÉ, “Le Conseil d’État, régulateur de l’ordre juridictionnel administratif”, Mélanges en l’honneur de D. Labetoulle, op. cit., pp. 259 et s.
65 J. RIVERO, “Le Conseil d’État, cour régulatrice”, Dalloz 1954, no 39, chron., p. 28.
66 C’est ce que note J. RIVERO : “Le juge du premier degré fait figure d’alpiniste novice ; il n’évitera les faux pas que si le Conseil d’État, familier de l’escalade, rompu à la délicate acrobatie qu’elle exige parfois, consent à sacrifier les joies de l’ascension solitaire pour se plier aux rudes tâches du guide, du premier de cordée, qui montre les prises, plante les pitons, et, pas à pas, hisse la caravane. Certes la justice administrative risque d’y perdre de son allant, de sa souplesse, de son ton assuré, de son brio : ce sont des traits qui conviennent à la jeunesse, n’atteint-elle point avec la réforme, à une maturité qui réclame d’autre vertus, et qui exige quelques renoncements ? Ce qu’on attend d’elle, au fond, c’est qu’elle se fasse pédagogique”. J. RIVERO, “Le Conseil d’État, cour régulatrice”, op. cit., p. 159.
67 Voir en ce sens : J. ROBERT, “La bonne administration de la justice”, AJDA 1995, p. 117 ; N. LAVAL, “La bonne administration de la justice”, LPA, 12/08/1999, no 160, p. 12 ; R. CHAPUS, “Georges Vedel et l’actualité d’une notion fonctionnelle : l’intérêt d’une bonne administration de la justice”, RDP 2003, p. 3 ; O. GABARDA, “L’intérêt d’une bonne administration de la justice”, RDP 2006, no 1, p. 153.
68 Un exemple désormais classique : CE, ass., 26/10/2001, Ternon, Rec., p. 497, concl. SÉNERS ; RFDA 2002, p. 77, concl. SÉNERS, notre P. DELVOLVÉ ; AJDA 2001, p. 1034, chron. P. COLLIN et M. GUYOMAR ; AJDA 2002, p. 738, note Y. GAUDEMET ; DA 2001, no 253, note MICHALLET ; LPA 2002, no 31, p. 7, note F. CHALTIEL ; RGCT 2001, p. 1183, note LAQUIÈZE. Certains commentateurs de la décision rendue par le Conseil d’État le 22 février 2007, APREI, évoquent à son propos la mise en œuvre d’une véritable “codification jurisprudentielle”. Voir en ce sens : G. KOUBI et G. GUGLIELMI, note sous CE, ass., 22/02/2007, APREI, précitée, JCP A, no 23, 04/06/2007, pp. 33 et suivantes.
69 CE, sect., 18/12/2002, Mme Duvignères, Rec., p. 463, concl. FOMBEUR ; RFDA 2003, p. 274, concl. FOMBEUR, p. 510, note Petit ; AJDA 2003, p. 487, chron., F. DONNAT et D. CASAS ; JCP A 2003, no 5, p. 94, comm. MOREAU ; LPA 23/06/2003, note COMBEAU. Voir aussi : CE, Ternon, précitée ; ou encore : CE, sect., 22/02/2007, APREI, précitée.
70 Selon Y GAUDEMET, il faut prendre le juge administratif tel qu’il est, c’est-à-dire “né de l’administration et n’ayant pas rompu avec elle”. Y. GAUDEMET, “Le juge administratif, futur administrateur ?”, in Le juge administratif à l’aube du XXIème siècle, Presses universitaires de Grenoble, 1995, p. 180.
71 Y. GAUDEMET, “Le juge administratif, futur administrateur ?”, op. cit., p. 179.
72 Voir sur ce point : G. GIUDICELLI-DELAGE, op. cit., pp. 508-509.
73 Le Professeur D. de BÉCHILLON constate, par exemple, que dans un arrêt rendu par le Conseil d’État le 25 février 2005, Madame Barbier, la Haute juridiction administrative n’hésite pas à réglementer à la place du Gouvernement. CE, sect., 25/02/2005, Madame Barbier, req. no 253593, RFDA 2005, p. 753, concl. D. CHAUVAUX ; AJDA 2005, p. 1002, chron. C. LANDAIS et F. LENICA. Voir : D. de BÉCHILLON, op. cit., pp. 361-362. Voir également sur ce rôle d’administrateur du juge : P. DELVOLVÉ, “Le pouvoir d’injonction du juge administratif : le juge administratif incarné”, in B. BONNET (ss. la dir. de), Regards de la Communauté juridique sur le contentieux administratif. Hommage à Daniel Chabanol, 2009, op. cit., pp. 99 et s.
74 D. de BÉCHILLON, op. cit., p. 361. Dans le même sens, R. CHAPUS considère que : “La jurisprudence a reçu de la loi un élan qui l’a portée, dès les premières années de ce nouveau siècle, à reconnaître au juge administratif un pouvoir d’injonction qui, au service également de la chose jugée, double ou prolonge utilement celui qu’il tient de la loi”. R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., pp. 974 et s.
75 CE, 27/07/2001, M. Titran, RFDA 2001, p. 1142 ; AJDA 2001, chron. M. GUYOMAR et P. COLLIN, p. 1046 ; CE, ass., 29/06/2001, M. VASSILIKIOTIS, DA 2001, no 199 ; LPA 24/10/2001, no 212, note S. DAMAREY, p. 12 ; JCP G 2002, IV, no 1562, obs. M.-C. ROUAULT ; AJDA 2001, chron. M. GUYOMAR et P. COLLIN, p. 1046 ; CE, sect., 25/06/2001, Société à objet sportif ‘‘Toulouse football club’’, RFDA 2001, p. 973 ; AJDA 2001, note SIMON, p. 887 ; LPA 28/09/2001, no 194, concl. DE SILVA, p. 4 ; Revue juridique et économique du sport sept. 2001, no 60, concl., p. 56 et mars 2002, no 62, obs. J.-F. LACHAUME, p. 40.
76 L’article de référence en matière de pédagogie du juge administratif, et tout particulièrement du Conseil d’État, est celui de F. BLANCO : “Le Conseil d’État, juge pédagogue. A propos des arrêts Société à objet sportif ‘‘Toulouse Football Club’’(CE, section, 25 juin 2001), Vassilikiotis (CE, assemblée, 29 juin 2001) et Titran (CE, 27 juillet 2001)”, Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2003-2, pp. 1414 et s.
77 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 987.
78 D. de BÉCHILLON, op. cit., p. 371.
79 Montesquieu, De l’esprit des lois, (1748), Paris, Garnier Frères, 1973, (contrib. R. DÉRATHÉ), p. 142.
Auteur
ATER en Droit Public à l’Université Toulouse 1 Capitole, TACIP
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