La “doctrine” du juge, entre pédagogie et source du droit
p. 125-152
Texte intégral
1L’opportunité nous est ici donnée d’étudier si le juge ne serait pas un nouvel acteur de la pédagogie “au service du droit”, et plus exactement si il n’y aurait pas là un des aspects parmi les plus significatifs du renouvellement des pédagogues. Dans cette perspective, une réflexion s’impose sur les relations entre la pédagogie1 et ce qu’il est devenu courant de dénommer la “doctrine” du juge.
2Cette proposition est de prime abord intrigante, voire suspecte. La formule “doctrine du juge” mérite en effet quelques explications, tant il semble acquis que doctrine et jurisprudence présentent deux discours fondamentalement distincts2. Le thème des rapports de la doctrine et de la jurisprudence est ancien3, attaché à l’interrogation sur les fondements du droit public4. Le Doyen Vedel nous a enseigné que ces rapports auraient en commun d’être de nature “relativiste” : si la doctrine et la jurisprudence évoquent l’un et l’autre la même chose, elles n’en parlent pas du même point de vue5. Cette relativité serait en quelque sorte irréductible et difficilement neutralisable6. L’intensité du “dialogue” entre doctrine et jurisprudence oscillerait, ainsi, entre deux idéaux de fidélité et d’antagonisme7.
3Il n’est pas dans notre ambition de remettre en cause de front cette vision bien convenue8, en réalité infiniment plus complexe et dont l’examen soulève de sérieuses interrogations épistémologiques9 et sociologiques10. Il nous importe surtout de souligner que cette figure multiple du “dialogue”11 n’est pas, par elle-même, en mesure d’expliquer de façon satisfaisante l’élargissement significatif de la fonction doctrinale du juge et, sous cet angle, les aspects inédits du rapprochement de la jurisprudence et de la doctrine. Signe de cette insatisfaction, on note que se développe une perspective réaliste, assez radicale, qui reconsidère le phénomène jurisprudentiel lui-même en estimant que les commentateurs des décisions de justice et autres exposants de la jurisprudence prennent part à la production de cette dernière12.
4Dans le cadre restreint de cette contribution, il s’agit de prendre en considération que le juge participe de plus en plus et sous des formes diverses à l’activité dogmatico-doctrinale de détermination du sens. On désigne ainsi couramment, par “doctrine” du juge, l’ensemble des productions issues de la juridiction, de ses membres ou plus largement de son personnel, pour accompagner la décision de justice en vue d’en préciser ou d’en compléter le sens.
5Cela n’est pas sans soulever des difficultés de principe. L’idée même que le juge puisse avoir une activité doctrinale est problématique, au moins pour trois raisons différentes.
Elle sera résolument contestée si, à l’instar d’une hypothèse âprement discutée, on considère la doctrine non comme une notion matérielle mais comme une entité collective et homogène correspondant au corps spécifique et indépendant des auteurs universitaires13. L’action du juge n’a par principe rien de commun avec une doctrine iconographiée comme la gardienne de la pensée dogmatique.
Elle pourrait aussi apparaître immédiatement dévaluée, voire emportée par l’appréciation désabusée d’une doctrine en perdition, à laquelle elle serait une funeste contribution. Pour reprendre la formule du Professeur Terré, “des doctrines sans docteurs ni doctes, ni doctorants, ni doctrinaires, il y en a un peu partout”14.
Enfin, et plus fondamentalement, la thèse de l’activité doctrinale du juge est enchevillée à la définition controversée de la science du droit. Elle renvoie historiquement à l’arrêtisme qui a inscrit la réflexion théorique sur le droit autour d’une dogmatique factuelle (partir des arrêts pour construire des systèmes), et qui a été conduite par des “fonctionnaires théoriciens” à l’image d’un Laferrière. Le droit administratif en particulier présente “deux modèles doctrinaux” dans l’agencement duquel les conseillers d’Etat et les commissaires du gouvernement – désormais “rapporteurs publics” – conservent une autorité intellectuelle que le corps des professeurs ne leur a pas ôtée15. Le droit constitutionnel contemporain peut d’ailleurs s’analyser comme le triomphe de l’arrêtisme en droit public, compte tenu de l’adoption généralisée de ses techniques et méthodes. Cela se caractérise par la prégnance des hauts fonctionnaires, lesquels produisent une doctrine et, en définitive, fabrique une science qui correspond à une conception contentieuse du droit.
6Mais il s’agit moins ici de savoir si les juges forment un “corps de doctrine”, que de considérer que le juge – ou plus exactement certains juges – dispose d’un pouvoir révélateur qui s’identifierait sous les traits de doctrine. Et cela paraît d’autant plus recevable qu’il est volontiers admis qu’une cour suprême développe une (des) politique(s) jurisprudentielle(s) et reflète, plus largement, une image doctrinale16 qui révèle un juge ambitieux et décideur, loin de cette image poussiéreuse d’un mécanicien servile.
7Dans cette approche, nous ne retiendrons donc pas la notion de doctrine comme étant classiquement l’ensemble des opinions savantes émises publiquement par les docteurs. Il faut entendre “doctrine” non comme l’activité des “faiseurs de système”, mais dans son sens profond qu’est celui de l’interprétation du droit17. Dans cette dimension, seules les cours suprêmes chargées d’un office de jurislation développent une véritable doctrine, moyen pour la Cour de cassation et le Conseil d’Etat de préserver une certaine unité et de favoriser la prévisibilité de la règle qu’ils élaborent. On peut plus encore qualifier l’interprétation du Conseil constitutionnel de “doctrine” car, à défaut d’un fort degré de concrétisation (dans son contrôle a priori, comme dans une moindre mesure dans son contrôle désormais exercé a posteriori), c’est un acte qui demeure essentiellement herméneutique. De surcroît, la fonction qui est celle du Conseil constitutionnel dans le système juridique, combinée à l’autorité de ses décisions prévue à l’article 62 alinéa 3 comme s’imposant à l’ensemble des autorités administratives et juridictionnelles, conduit à lui reconnaître un ministère doctrinal de premier rang18. On pourrait ajouter qu’un juge ayant en charge de contrôler le pouvoir législatif a vocation plus que tout autre à s’exprimer de façon plus unitaire, et à faire preuve à cette fin de sens pédagogique.
8Par ailleurs, si l’on admet que tout pouvoir normatif est, de fait ou de droit, sensibilisé à ce que la norme énoncée soit accessible et intelligible, la formulation et la précision des décisions juridictionnelles et de la jurisprudence révèlent singulièrement une intention doctrinale du juge. Cette “doctrine” devient un élément essentiel de compréhension de l’activité interprétative du juge, au-delà et par-delà le prononcé de la décision. A côté de l’interprétation authentique constitutive de la norme, se développe ainsi une interprétation doctrinale supplétive. Pour autant, le statut pédagogique de la doctrine du juge n’est-elle pas usurpée ? Ne s’agit-il pas d’une forme nouvelle de pédagogie qui n’en est plus vraiment une ?
9La thèse qui sera défendue est que la pédagogie du juge apparaît comme une façon de créer du droit en expliquant, en prolongeant, voire en ajoutant à la décision juridictionnelle. Pour éprouver de façon complète cette proposition, il faudrait prendre pour objet l’activité de toutes les juridictions supérieures qui produisent de la “doctrine”, ce qui est matériellement impossible dans les limites qui nous sont imparties. Il faudra s’en tenir à quelques assertions en examinant tout particulièrement l’activité doctrinale du Conseil constitutionnel, aussi parce que celle-ci paraît devoir s’illustrer dans une pluralité de formes de régulation. Il s’agit alors d’examiner comment, à travers l’avènement d’une “doctrine” dite “officielle” ou “autorisée”, l’action pédagogique du juge se met au service d’une ambition normative tendant à asseoir son autorité jurisprudentielle.
10Sans être une véritable source du droit, cette doctrine du juge fait mieux apparaître, dans un premier temps, l’ambition normative du juge pédagogue (I). Elle se donne à voir, dans un second temps, comme la manifestation d’une action pédagogique du juge qui assume pleinement son office normatif (II).
I – L’AMBITION NORMATIVE DU JUGE PÉDAGOGUE
11Dans la mesure où elle porte sur l’énonciation dans les décisions de propositions de droit, la doctrine du juge prend par hypothèse les traits d’une ambitieuse doctrine précédentielle qui, paradoxalement, agit sous l’affichage apparemment assez inoffensif du terme “doctrine”. Cette doctrine s’inscrit dans un processus d’affirmation de la règle issue de la jurisprudence. En effet, pour exister, une jurisprudence doit être sinon admise19, diffusée et publicisée. Le choix en faveur d’une acception normative de la jurisprudence a pour corollaire l’impératif de lisibilité. La norme formulée par le juge doit être connue et finalement comprise, voire persuasive. Il y a là, en substance, deux exigences distinctes mais résolument complémentaires qui sont au centre des préoccupations du juge pédagogue : le discours du juge n’a de portée que si, d’une part, il est significatif au plan interne et si, d’autre part, il est visible au plan externe. Ainsi, l’ambition normative du juge pédagogue s’exprime dans la motivation de la décision juridictionnelle, et requiert que la règle énoncée soit correctement diffusée auprès de ses destinataires. De sorte que la pédagogie se retrouve d’abord dans l’exigence interne de motivation (A), pour s’établir ensuite dans l’exigence externe de diffusion (B).
A – Pédagogie et exigence interne de motivation
12La construction interne du discours juridictionnel, qui est bien entendu un discours codé, repose sur une exigence de motivation20 par laquelle se réalise le pouvoir normatif de la jurisprudence, tout en prémunissant en principe le juge contre l’arbitraire21.
13Motiver, ce n’est pas seulement apposer des motifs vraisemblables pour respecter une obligation formelle. C’est extérioriser une intention, l’expliquer dans le but de permettre aux destinataires (parties, justiciables, citoyens, pouvoirs publics et autres juridictions) d’accéder à la compréhension sinon l’approbation. Il s’agit idéalement de faire état des mobiles qui ont effectivement prévalu lorsque le juge s’est forgé sa conviction.
14Pour autant, lorsque la motivation juridique développée est obscure22 ou elliptique, elle peut induire, par contagion, des interprétations divergentes, tant sur le sens que sur la portée de la décision rendue. On connaît, sur cette question, les grands traits du débat sans être dans la nécessité d’y revenir plus avant. Nombre d’auteurs s’accordent traditionnellement pour considérer que les difficultés de compréhension d’une décision juridictionnelle résultent souvent, en amont, d’une motivation réduite23.
15Toutefois, cette proposition ne fait pas toujours l’unanimité : selon une proposition ancienne qui demeure encore vivace, une motivation peu développée répondrait, à l’inverse, à un impératif d’efficacité24 des décisions rendues par les juridictions suprêmes dans la mesure où elle aurait pour effet quasi-mécanique de supprimer le risque de compromettre la validité de ces décisions par des motifs erronés, sous-entendus ou malentendus25. Autre argument, moins convaincant : limiter la motivation permettrait de préserver la liberté d’appréciation du juge et son pouvoir normatif, tandis que la justification excessive risquerait d’aliéner la faculté qui lui appartient de modifier et d’adapter la jurisprudence. Plus solide – et pourtant moins courante – est la redoutable question de la sélection entre les raisons qui seront exposées dans la décision, et celles qui ne le seront pas. Il faut bien le reconnaître : une telle sélection ne repose sur aucune règle explicite, sur aucune méthode certaine, sur aucune technique véritablement codifiée. Ainsi que l’observe le Professeur Christian Atias, une telle opération “s’appuie sur une intuition que la formation générale et juridique, puis l’expérience acquise peuvent seulement guider”26.
16En définitive, ce qui est le plus remarquable est que les termes de la réflexion relative à la motivation juridique des décisions, au-delà de la qualité inégale des arguments, sont tous guidés par l’élucidation de la “doctrine” du juge et, finalement, par la préservation de l’autorité créatrice de ces décisions27.
17On bute toutefois sur l’idée selon laquelle la brièveté de la motivation révélerait plus vertement le juge dans une posture d’autorité, intimement liée à la situation institutionnelle de la juridiction et au pouvoir normatif du juge. Dans cette perspective, en éludant le détail du raisonnement et en faisant œuvre de concision, le juge se présenterait comme un pouvoir normatif à part entière, au-dessus de la controverse contentieuse28. Plus précisément, faire peser sur les juridictions suprêmes, de “nature législative” dirait le Professeur Frédéric Zénati, l’obligation générale de motivation pesant sur toutes les juridictions, infléchirait leur statut et diminuerait la netteté de l’interprétation authentique. En somme, en suivant à la lettre cette construction, la véritable doctrine précédentielle ne peut être pédagogique.
18Cette proposition générale, sans être dépourvue de pertinence, apparaît excessive, au moins pour trois raisons.
D’abord, elle nourrit un paradoxe : d’un côté l’énoncé de la norme interprétée supposerait une motivation brève, de l’autre un raisonnement elliptique fragiliserait son autorité et brouillerait la réception par ses destinataires. Autrement dit, la brièveté de la motivation des décisions est perçue comme l’expression de la fonction normative de la jurisprudence, mais également comme un facteur d’incompréhension de celle-ci soit, finalement, de sa réception défaillante ou partielle. Autorité ou efficacité, tels seraient au fond les termes de ce débat29 en forme d’impasse.
Ensuite, cette proposition peut s’avérer démentie par le perfectionnement des techniques légistiques. A cet égard, on observe que la nature législative des décisions du Conseil constitutionnel se renforce avec l’emploi évocateur de certaines techniques de motivation qui, comparables au plan méthodologique à celles employées par le législateur formel, font plus nettement état de sa portée normative. La méthode de motivation par renvoi30 est assez caractéristique, alors que les qualités qui sont les siennes en termes de pédagogie et de clarté pour le lecteur restent par ailleurs à démontrer…
Enfin, il y a une faiblesse certaine de l’idée selon laquelle l’imperatoria brevitas, censée être inhérente à la fonction normative, serait exclusive de l’exposé des motifs de la décision. Même si la rédaction de la motivation demeure en quelque sorte aléatoire, c’est un moyen d’asseoir la jurisprudence en ce qu’elle contient des présupposés généraux sur lesquels elle se fonde et prend forme31. On retrouve là deux éléments essentiels à toute pédagogie : - une motivation suffisamment explicite des décisions est de nature à donner une plus grande portée normative à la jurisprudence32 et à en assurer l’audience ; - la répétition de la règle par le juge lui confère, par effet de “sédimentation” diront certains33, une portée normative révélant la jurisprudence comme un “agrégat d’arrêts traversés d’une intention” selon la formule du Doyen Carbonnier34.
19Il faut encore préciser que la perspective didactique, sur laquelle repose l’exposé des étapes du raisonnement adopté par le juge, dépasse la cause et/ou l’objet du litige lorsque le juge formule un obiter dictum. S’il s’agit d’une incidente insérée dans le raisonnement motivé mais inutile en principe à la solution de l’espèce, cela permet au juge d’indiquer librement la position qui serait retenue postérieurement dans un cas semblable, analogue ou distinct. Le juge révèle ainsi une motivation dépourvue, pour l’heure, de concrétisation juridique car elle ne répond pas, par définition, à la chose demandée. Mais le caractère superfétatoire du mode d’énonciation de cette interprétation ne remet pas en cause sa portée dans l’ordre de l’interprétation. Ainsi que le relève le Professeur Y. Gaudemet, l’interprétation recueillie dans l’obiter dictum “est celle qui, en fait, parce qu’elle exprime une attitude de principe du juge-interprète, est la plus conséquente dans l’ordre de l’interprétation de la loi”35. L’effet d’annonce de ce type d’interprétation a d’indéniables vertus pédagogiques en informant sur ce qui sera prochainement mis en œuvre par le juge.
B – Pédagogie et exigence externe de diffusion
20La règle de publication des arrêts a permis historiquement de faire émerger le discours sur le concept jurisprudentiel distinct de la loi, d’accompagner l’autonomie des énoncés jurisprudentiels et de garantir la visibilité, la reconnaissance et la conservation du discours élaboré par les juges36. Le retour aux sources de l’exigence moderne de diffusion de la jurisprudence37 révèle, en droit français, une histoire à la fois plus récente et associée aux rapports qu’elle noue avec la doctrine38.
21L’époque contemporaine entérine la sensible novation dont la relation entre la jurisprudence et sa diffusion est l’objet. L’équilibre du processus d’évaluation du discours judiciaire paraît, si l’on ose dire, “profiter au juge”, lequel entretient un rapport plus direct avec le “fait jurisprudentiel”. Conscients de ce que les conditions de diffusion procurent une portée plus ou moins efficace à la jurisprudence, les juges suprêmes se sont emparés de sa diffusion et assument la responsabilité, qui relevait auparavant de l’œuvre combinée de la doctrine et de l’édition, de la faire (con)naître. Le juge tend en quelque sorte à exploiter lui-même les précédents – ce qui peut se voir comme un élément de rapprochement d’une logique de common law39.
22Les modes de diffusion du discours judiciaire ont suivi l’évolution technologique40 pour signer, sinon un nouvel avatar de la conception du précédent, une façon de faire jurisprudence qui se traduit par une extension du ministère d’interprétation du juge. Le service public de la diffusion du droit met aujourd’hui à la disposition de tout intéressé la production normative des juridictions suprêmes. Chacune d’elles dispose par ailleurs d’un site officiel au travers duquel elle rend mieux compte de l’exercice de son office. Le Conseil constitutionnel tout particulièrement met aussi à disposition chacune de ses décisions et différents documents y afférant directement ou indirectement. On comprend que la diffusion de la jurisprudence soulève, plus qu’un enjeu technique, un enjeu qualitatif qui, s’il est rendu parfois nécessaire par ce défi légistique qu’est l’excès de la production judiciaire, fait surtout écho au pouvoir de révéler la règle de droit jurisprudentiel.
23Dans cette mesure, les finalités de l’intervention du juge sont élargies sur deux plans complémentaires :
il ne s’agit pas seulement de diffuser pour faire connaître, mais de convaincre dans un “espace jurisprudentiel” dans lequel la connaissance objective de la jurisprudence favorise la dialectique des précédents entre juridictions.
l’enjeu n’est pas tant de diffuser – l’informatique s’en charge – que parfois de sélectionner la production judiciaire, en particulier pour la Cour de cassation, par un travail de rationalisation ex post des décisions qui (re)met au premier plan l’idée de la hiérarchisation de la jurisprudence41.
24Des techniques propres sont utilisées afin de mettre à jour les choix prétoriens, qu’il s’agisse du titrage des arrêts à leur sommaire, en passant par leur classement, leur mode de publication… On poursuit ainsi par voie de “doctrine”, et sous couvert de pédagogie, l’interprétation de la décision42. Il est significatif par exemple qu’à l’instar du rapport du Conseil d’Etat, le rapport annuel de la Cour de cassation, dans sa partie spéciale, porte désormais sur un thème unique destiné à la promotion et à l’explication de politiques jurisprudentielles. Même le Conseil constitutionnel, qui ne diffuse pas de rapport annuel analogue, et dont chaque décision est susceptible de constituer précédent, a trouvé une sorte de palliatif à travers différentes études mises à disposition sur son site officiel et les vœux annuels de son Président, lesquels sont de plus en plus programmatiques et révélateurs de politiques jurisprudentielles qui seront engagées, poursuivies ou renforcées.
25Le travail de valorisation opéré par les hautes juridictions ne repose pas seulement sur la distinction des décisions entre elles, mais – comme c’est tout particulièrement le cas devant le Conseil constitutionnel – sur la détermination de la charge et de la portée normatives de chacune des décisions. Sur ce point également, l’engagement du juge dans le développement d’une doctrine de l’interprétation jurisprudentielle est remarquable. Celle-ci prend les atours d’une doctrine de la création ou de ce que le Professeur Maryse Deguergue dénomme une “doctrine de l’action”43. C’est elle qui caractérise l’action pédagogique du juge normateur.
II – L’ACTION PÉDAGOGIQUE DU JUGE NORMATEUR
26Considérer la doctrine du juge comme un acte de pédagogie permet d’en saisir partiellement le développement, en particulier lorsqu’elle se traduit par une véritable politique d’explication de texte. D’une part, le développement d’une doctrine pédagogique du juge se manifeste ainsi par une sorte d’explication ou d’interprétation authentique (au premier sens de ce terme) des décisions rendues (A). D’autre part, l’observation de l’action pédagogique du juge fait apparaître un juge agissant comme un pédagogue selon des méthodes adaptées à sa fonction de dire le droit (B).
A – Le développement d’une doctrine pédagogique du juge
27Il faut faire litière de quelque idée selon laquelle l’intervention du juge (aussi pédagogique fût-elle !) aurait, par elle-même, vocation à épuiser tout problème d’interprétation44. Le processus de détermination de sens ne s’épuise pas une fois la norme jurisprudentielle formulée.
28Il existe de fait, de façon presque irréductible compte tenu du secret du délibéré, des problèmes de compréhension des décisions que le juge, puisqu’il en est l’auteur, peut contribuer à atténuer ou résoudre. Chacun sait que la simple lecture d’un arrêt de la Cour de cassation, d’un arrêt du Conseil d’Etat ou d’une décision du Conseil constitutionnel peut ne pas toujours suffire à lever tous les doutes sur sa portée réelle. Il faut peu ou prou faire la part entre ce qui est déduit ou induit, s’efforcer de déterminer la signification de tel considérant, de tel mot ou de tel passage, circonscrire le champ d’application de la solution (est-ce une précision ou une atténuation, voire une exception ?), saisir les raisons pour lesquelles tel principe ne semble pas avoir été convoqué, décrypter le silence sur ce terrain ou sur cet argument, etc.
29La question de l’interprétation des décisions est préoccupante, comme l’a montré notamment le “débat” entre les Professeurs Mazeaud et Ghestin à propos d’un arrêt de la Cour de cassation45. Elle se trouve aiguisée à mesure que les décisions en question présentent une portée générale, laquelle ne permet pas immédiatement une mise en œuvre précise. C’est en particulier le cas des décisions du Conseil constitutionnel dont l’application la plus bienveillante se trouve souvent devant la nécessité d’interpréter notamment les réserves d’interprétation qui y sont formulées46. C’est là un enjeu important pour garantir l’effectivité de la jurisprudence constitutionnelle, plus encore sous l’ère de la “Question prioritaire de constitutionnalité”. Or, aucune procédure formelle n’est instituée aux fins de cette interprétation (même si, pour le cas du Conseil constitutionnel, on peut penser que la QPC devrait jouer son rôle… pédagogique !). De façon générale, on peut constater qu’il règne une absence relative de discussion, chez les juristes, sur les modes et directives d’interprétation des règles jurisprudentielles47.
30Cette situation permet probablement d’expliquer que le processus de diffusion, de sélection ou, le cas échéant, de hiérarchisation des décisions échappe aujourd’hui largement aux docteurs. Cela est principalement l’affaire du juge, un juge plus prétentieux qui, conscient de son pouvoir normatif, entend être acteur de l’énonciation éclairée de la règle formulée dans sa décision. Sans doute, comme le rappelle le Professeur Molfessis, cette doctrine jurisprudentielle n’existe que “de façon informelle”48. Mais elle montre que l’éclaircissement n’est pas (seulement) venu du texte même de la décision mais qu’il ressort de son mode d’interprétation officielle. Le juge occupe dorénavant le terrain de l’interprétation a posteriori de ses décisions, et la période récente s’en trouve d’autant marquée par la présence intellectuelle du juge. Ce phénomène est sans doute de nature à renforcer le confinement de la doctrine dans un rapport de subordination au juge49. Ainsi que l’a démontré avec force le Professeur Zénati, l’histoire de la promotion du juge est aussi celle du déclin de l’office doctrinal en matière de précédents50.
31Une véritable ingénierie se met en action et se matérialise par des commentaires, communiqués, notes, dossiers, et autres observations. Sans être dépourvue d’effets, ces supports officiels de communication ne bénéficient pas à l’évidence d’une autorité juridique, mais les principes de distinction sont parfois balbutiants au regard de la diversité et de la portée de cette “publication” comme le montre, par exemple, la pratique développée par le Conseil constitutionnel51. Et il faut bien comprendre que l’absence de toute autorité a priori contraignante est en réalité le moteur du développement facilité de la doctrine du juge, la force de cette “doctrine” étant son apparente faiblesse52. De même, le caractère opératoire de ces supports ne tient pas à leur nature, mais à la rapidité de leur intervention, c’est-à-dire leur capacité à occuper en temps utile la genèse de la jurisprudence, voire à s’inscrire dans l’immédiat comme le fait idéalement le communiqué diffusé par Internet.
32Le Conseil constitutionnel n’est pas en reste dans cette démultiplication des supports53, d’autant que son site officiel mentionne les indexations précises réalisées par le service juridique sur les décisions rendues et incorporées en temps réel dans les tables “en ligne” par le service informatique54. Le constitutionnaliste, comme le civiliste et l’administrativiste, est désormais rompu à cette véritable méthodologie de la compréhension des décisions qui exige de prendre connaissance tout à la fois du dossier documentaire, du dossier de consolidation, du communiqué, du commentaire aux “Cahiers du Conseil constitutionnel”, voire des informations ressortant de la note jusqu’hier systématiquement publiée dans une revue juridique par son Secrétaire général. Bref, comme le faisait observer le Professeur Pascale Deumier à propos de la Cour de cassation, “le tout dépasse largement en volume une décision soigneusement motivée, sans en avoir la fiabilité”55.
33Il n’est pas certain que la pédagogie y gagne toujours, tant la profusion de ces éléments para-juridictionnels, outre qu’elle joue au détriment de l’unité de la décision, n’est pas à l’abri d’une certaine inintelligibilité. Ce risque ne s’est toutefois pas réalisé car la publication régulière des documents complétant la décision (c’est vrai par exemple des conclusions du rapporteur public près le Conseil d’Etat) n’a pas totalement dispensé les hautes juridictions d’améliorer sensiblement la rédaction de leurs arrêts.
34Quoi qu’il en soit, même s’ils ne sont formellement que des accessoires de la décision, ces supports participent à leur façon à la construction, complexe et diffuse, quasi-alchimique, de la jurisprudence. Leur définition strictement utilitaire ne rend pas compte de ce qu’ils constituent les éléments ou au moins le signe d’un rapprochement, en fait, vers le modèle de common law. Il suffit pour cela d’observer combien tous ces supports d’interprétation et de motivation trahissent de façon extraordinaire une conscience de la portée normative des précédents jurisprudentiels. L’interprétation des décisions est concrètement réalisée selon une méthode systématique de restitution de la décision dans ses rapports avec les précédents, et ce afin d’en affirmer la continuité. Toutes les juridictions suprêmes s’emploient d’ailleurs, sous une forme ou une autre, à recourir à la technique du “chaînage”56, que ce soit dans le “Bulletin des arrêts de la Cour de cassation”, dans le “Recueil Lebon”, ou pour le Conseil constitutionnel par le “dossier documentaire”57 ou le commentaire aux Cahiers.
35Les rapports ainsi esquissés entre la décision et son interprétation par la doctrine du juge nécessitent de mettre en théorie cette pratique interprétative et argumentative, afin de mieux saisir les modalités de l’action pédagogique du juge.
B – Les modalités de l’action pédagogique du juge
36La finalité directe de l’action pédagogique du juge peut être d’accompagner une décision, de la compléter ou de l’interpréter a posteriori, ou même de formuler des observations en vue de la modification du droit existant. De façon générale, les procédés utilisés dépassent le cadre formel du jugement, de sa motivation, ou même des obiter dicta.
37Même formulés hors décisions, ces procédés institutionnalisés (communiqués, explications de texte, notes, observations…) prennent les traits d’une doctrine “officielle” ayant pour objet la jurisprudence58. Ils ne sauraient créer de droits subjectifs et ne sont dotés d’aucune autorité juridique autonome : ce sont des éléments de non-droit59. Cela étant, il s’agit d’un mode d’interprétation officielle qui, même sans existence normative, va au-delà de la pédagogie ou du “service après-vente des décisions”, pour reprendre une formule employée par l’ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Eric Schoettl60.
38On ne saurait ici entrer dans le détail de tous ces procédés, d’autant qu’ils présentent certaines différences selon leur emploi par tel ou tel juge. Leur analyse requiert des études propres, que l’on trouvera par ailleurs au sein du présent ouvrage. On se contentera donc de quelques observations générales.
391. Le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont en commun de recourir au communiqué pour présenter officiellement leurs décisions respectives, autant que pour répondre à la montée en puissance des exigences d’accès au droit. Cela étant, devant les juridictions ordinaires suprêmes, ce procédé remplit davantage une fonction de sélection qu’il n’a pas devant le Conseil constitutionnel.
40La fonction pédagogique et médiatique du communiqué de la Cour de cassation est mise en évidence dans son rapport annuel 2001 en ces termes : “Autant d’exigences d’information auxquelles, progressivement, le Service a pu répondre par les mises en ligne sur le site Internet de la Cour de toute l’information nécessaire à la bonne compréhension de la portée des arrêts, au besoin par la diffusion à plusieurs reprises de communiqués aussitôt exploitables par les professionnels de l’information… et qui, au-delà… traduit la volonté d’information juridique des citoyens”61. Sans se soumettre nécessairement à des règles constantes, le communiqué de la Cour de cassation expose le cas, la solution, le contexte juridique et les raisons de la décision. Bien qu’il soit moins pratiqué dans la période récente, il est susceptible de contenir des informations qui dépassent le simple exercice de décodage ou de clarification pour formuler une proposition de droit étrangère aux circonstances de la cause. Il est à cette fin complété par des “flash de jurisprudence” réalisées par le Service de documentation de la Cour de cassation, et publiés dans les revues spécialisées.
41De son côté, le Conseil d’Etat réalise des communiqués publiés dans des revues juridiques spécialisées62, mais de façon plus épisodique. Certains communiqués de presse demeurent toutefois à l’esprit, tel celui complétant l’arrêt d’Assemblée “Meyet” du 10 septembre 1992 à propos de la question de la modification ou de l’abrogation des décrets pris en Conseil des ministres et signés par le Président de la République63. La tendance la plus récente présente le procédé du communiqué diffusé sur le site officiel du Conseil d’Etat comme un véritable outil non seulement de sélection des décisions prononcées par la section ou l’Assemblée du contentieux, mais aussi d’explication sinon d’interprétation de la jurisprudence. Depuis 1999, le procédé du communiqué est utilisé de façon régulière autour d’une moyenne sensiblement croissante d’une vingtaine de communiqués annuels.
42Le communiqué du Conseil constitutionnel ajoute quant à lui très peu au texte de la décision. Il conserve surtout sa fonction originelle de communication et de pédagogie à l’endroit de la presse et du grand public. La plupart des décisions du Conseil constitutionnel suscitent l’intérêt des institutions, des justiciables et des citoyens, et présentent un fort potentiel médiatique. A cette fin, la forme du communiqué relatif à une décision du Conseil constitutionnel est désormais banalisée et ressemble à une sorte de “fiche de jurisprudence” à l’adresse des profanes64. Il informe successivement sur : - la présentation générale des modalités de saisine, de l’objet du recours et du dispositif de la décision65 ; - la motivation essentielle retenue ; - les éventuelles réserves d’interprétation ; - les conséquences juridiques de l’éventuelle annulation, notamment pour mettre en exergue la marge de manœuvre dont disposent au plan constitutionnel les pouvoirs publics dans la réalisation d’une réforme litigieuse66 ; - les griefs subsidiaires qui ont été rejetés.
43Ce n’est qu’à l’occasion d’un épisode célèbre, mais demeuré isolé, que le communiqué du Conseil constitutionnel s’est affirmé comme une véritable source d’interprétation du droit, au point d’être qualifié de “communiqué de presse de règlement”67. Il s’agit du communiqué diffusé le 10 octobre 2000 sur le site Internet du Conseil constitutionnel, destiné à préciser le sens de la décision contestée du 22 janvier 1999 relative au statut pénal du chef de l’Etat, et à réagir aux commentaires publics concernant l’Institution. Le communiqué a permis au Conseil constitutionnel de donner son interprétation de sa propre jurisprudence, pour préciser le sens exact de motifs de droit contenus dans un considérant de cette décision, quitte à en prolonger le sens de façon additive voire constructive.
442. A la différence des simples communiqués, les commentaires réalisés par les services du Conseil constitutionnel répondent davantage à une fonction d’interprétation pour initiés (pouvoirs publics, parlementaires, juges, doctrine).
45Sa structure est de prime abord comparable à celle d’un écrit académique. On y relève principalement : l’affirmation de l’intérêt de la décision rendue et/des principes qu’elle énonce, confirme, infléchie, voire abandonne ; l’explication du sens de la décision ; la mise en perspective de cette décision au regard du droit positif (précédents et jurisprudence environnante et comparée) justifiant la pertinence de l’interprétation adoptée ; et la détermination de la portée de la norme formulée.
46Mais il faut le dire clairement : le commentaire est moins une explication critique que le prolongement de la décision, une sorte de “doctrine de la jurisprudence” qui expose le droit tel qu’il est, tel qu’il est modifié et, à certains égards, tel qu’il sera. Il constitue en quelque sorte le complément officieux de la décision, et est à cet égard comparable – quoique plus complet qu’elles – aux “notices” qui accompagnent les arrêts de la Cour de cassation mentionnés au Rapport annuel de la Cour de cassation.
47En raison des éclairages qu’ils apportent, ces commentaires présentent parfois une réelle utilité pour dissiper certaines opacités, mais ils demeurent une doctrine officielle qui, lorsqu’elle investit les colonnes des revues juridiques, prend les atours d’une doctrine “autorisée”. Cette expression est de prime abord bien étrange car il faudrait déterminer, sans trop savoir où cela nous mènerait, une doctrine “interdite” qui en serait le pendant... La difficulté d’appréhension de ce type de discours, au-delà de sa présentation elle-même officielle !68, tient à une sorte de confusion sur la nature du propos. L’ambiguïté résulte également du fait que les auditeurs du Conseil d’Etat qui rédigent les chroniques relatives à la jurisprudence du Conseil d’Etat, de même que le Secrétaire général du Conseil constitutionnel, ne participent pas, en droit, à l’élaboration de la décision commentée.
48Plus fondamentalement, la notion de “doctrine autorisée” repose sur la proposition, contraire à celle qui fonde l’autorité de la doctrine savante, selon laquelle la légitimité du commentaire est liée au degré de participation de son auteur à la prise de décision rendue. Elle rompt avec l’idée d’un corps assurant une fonction critique autonome sur la base des vertus de l’objectivité et du détachement. Se trouve ainsi accréditée l’idée d’une supériorité du critère de l’authenticité sur celui de l’impartialité dans la hiérarchie des interprétations juridiques.
49Les doctrines “officielle” et “autorisée” ont ceci de commun qu’elles expliquent et complètent mais ne discutent pas dans l’optique d’un droit meilleur. Sans doute, pour cette raison, le développement de cette “doctrine” peut-il apparaître comme le signe révélateur de la perte de l’esprit critique, la lecture des commentaires autorisés donnant, le plus souvent un sentiment commode mais redoutable de certitude. Pour autant, n’est-il pas excessif de nier de façon radicale toute contribution à une “doctrine de la réflexion”69 ? Tout interprète du droit fait œuvre de doctrine dès lors qu’il déploie un raisonnement, qu’il use de la raison discursive70. Et il est peu satisfaisant de faire reposer en dernier lieu la pertinence de cette interprétation sur des exclusivités ou sur un critère sociologique.
50L’intrusion du juge dans une tâche qui est encore souvent conçue comme traditionnellement réservée à la doctrine savante pourra certes ne pas faire consensus71 ; mais il faut tout de même reconnaître qu’elle a l’insigne mérite d’éviter les tergiversations sur un sens par trop malléable de la décision rendue72 et de répondre, pour partie, à la demande intransigeante de clarification et de motivation plus explicite de la décision73. S’il ne faut jamais oublier de prendre ces commentaires pour ce qu’ils sont, leur utilité est incontestable car ils permettent parfois d’entrouvrir – même modestement – la boite noire du délibéré, de mettre en exergue les débats qui s’y sont tenus, et de révéler implicitement ou explicitement les interprétations qui ont prévalu74.
51Le développement corrélatif de la “doctrine officielle” (discours de l’action) et de la “doctrine autorisée” (discours de justification) conduit d’ailleurs à mettre plus particulièrement en lumière le rôle prépondérant du Secrétaire général du Conseil constitutionnel, qui inscrit en matière constitutionnelle cette figure emblématique du “haut fonctionnaire académique”75.
Conclusion
52Lorsqu’il fait œuvre de pédagogie, le juge rend plus manifeste son ambition normative. Sa préoccupation reste de livrer (ou de faire croire qu’il délivre) la “bonne” interprétation, de prémunir contre les divergences et l’aléa juridictionnel, et de préserver la réception de la règle énoncée et l’exécution de la chose jugée.
53L’action pédagogique du juge correspond au développement d’une activité doctrinale qui traduit la volonté pour les hautes juridictions d’assumer leur office en matière de jurislation. On comprend ainsi que celles-ci sont conduites, sinon à dépendre de la doctrine76, à vouloir pratiquer son art pour se faire l’interprète de leur propre jurisprudence normative.
Notes de bas de page
1 La pédagogie est entendue classiquement comme l’ensemble des méthodes dont l’objet est d’assurer l’adaptation réciproque d’un contenu et de ceux qui en sont les destinataires.
2 V. sur ce point, G. VEDEL, “Jurisprudence et doctrine : deux discours”, Rev. adm., 1997, no spéc., p. 7.
3 V. not. J.-J. BIENVENU, “Les origines et le développement de la doctrine”, Rev. adm., 1997, no spéc., p. 13.
4 V. G. KOUBI, “Avant-propos”, in G. KOUBI et I. MULLER-QUOY (dir.), Sur les fondements du droit public. De l’anthropologie au droit, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 7.
5 G. VEDEL, Ibid., spéc. p. 12.
6 Pour une vue générale des rapports entre doctrine et jurisprudence en droit administratif, v. surtout les actes de la journée d’études du 25 novembre 1996 à l’occasion de la célébration du deuxième centenaire du Conseil d’Etat : “Le Conseil d’Etat et la doctrine”, Rev. adm., no spéc., 1997, ainsi que les travaux de l’AFDA (coll.), La doctrine en droit administratif, Litec, 2010. En particulier, sur l’évolution historique de ces rapports concernant la notion de service public, v. J.-L. de CORAIL, “Une question fondamentale : la doctrine du service public, de la définition et de la nature du droit administratif et de la compétence du juge administratif”, Rev. adm., no spéc., p. 24 et not. pp. 29-30. Rappr. la réplique de J. RIVERO à B. CHENOT, laquelle a pris naissance avec l’analyse de la jurisprudence du service public virtuel (“Apologie des ‘‘faiseurs de systèmes’’, D., 1951, chron., XXIII, p. 99). En droit constitutionnel, v. spéc. G. VEDEL, “Doctrine et jurisprudence constitutionnelles”, RDP, 1989, p. 12
7 Sur ce point, G. VEDEL, Ibid., spéc. p. 14 et 11.
8 La thèse selon laquelle la doctrine œuvre de concert avec le juge est fort répandue. Relais du juge qui lui serait indispensable, la doctrine s’emploierait à l’éclaircissement de la jurisprudence et en définitive à la formation de celle à venir ; v. not. J. RIVERO, “Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif”, EDCE, 1955, p. 29 ; A. EISMEIN, “La jurisprudence et la doctrine”, RTDCiv., 1902, p. 5, not. p. 12. Au point que la doctrine persiste à se (conce)voir au travers de cette tension et à envisager la jurisprudence comme “l’œuvre (…) vue, commentée et transfigurée par la doctrine” (Ph. JESTAZ, “La jurisprudence, ombre portée du contentieux”, D., 1989, chron., XXIII, p. 149 ; vue que l’on retrouve not. chez G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 1955, p. 391 et J. CARBONNIER, “Contribution à la jurisprudence aujourd’hui”, RTDCiv., 1992, p. 342). Adde, M. VILLEY in Préface de la thèse de S. BELAÏD, Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, LGDJ, Bibliothèque de philosophie du droit, vol.no 17, 1974, p. 3. Sur l’examen problématique des rôles respectifs de la jurisprudence et de la doctrine dans l’élaboration du droit, leur trait d’union et leurs différences, v. not. J. CHEVALLIER, “Les interprètes du droit”, in La doctrine juridique, CURAPP, 1993, p. 265 ; Droits, 1994, no 20 intitulé “Doctrine et recherche en droit” ; D. D’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, LGDJ, Paris, Bibliothèque de droit privé, tome no 236, 1994. Comp. avec l’observation, faite par certains auteurs de droit administratif, selon laquelle la période contemporaine signerait le passage d’une… observation admirative de la jurisprudence du Conseil d’Etat à une contestation doctrinale affermie (v. F. BURDEAU, “Du sacre au massacre. La doctrine et le Conseil d’Etat statuant au contentieux”, Mélanges Cosnard, 1990, p. 309 ; P. DELVOLVÉ, “Le Conseil d’Etat vu par la doctrine”, Rev. adm., 1997, no spéc., p. 50).
9 La doctrine a encore pour mission de procéder à une méta-analyse… du discours de la doctrine regardant la doctrine de l’action ! Pour ex., outre ceux évoqués dans la note précédente, v. J. HARDY, “Le statut doctrinal de la jurisprudence en droit administratif”, RDP, 1990, p. 453.
10 Le discours de la doctrine sur elle-même, sur sa définition, son rôle et son statut, n’est pas étranger au phénomène d’auto-légitimation du groupe et aux influences que celui-ci exerce sur les conduites individuelles des membres de ce groupe. V. sous différents aspects illustrant une certaine uniformité, rassurante et auto-protectrice (le “divorce entre droit et sciences humaines”, le “caractère territorial de la doctrine”, etc.), la démonstration relative à l’identité et au statut de la doctrine française de MM. Ph. JESTAZ et Ch. JAMIN in La doctrine, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2003, not. pp. 139 et s., pp. 172 et s. Etant observé que la livraison de ces deux auteurs est elle-même une illustration nette de ce phénomène, ainsi que cela a d’ailleurs été fortement relevé sous la forme d’une audacieuse chronique de psychologie juridique (v. J. DAGORY et C. PUIGELIER, APD, 2005, no 49, p. 469).
11 Fût-elle commode et répandue, la thèse du “dialogue”, de la “collaboration” (G. JÈZE, in Livre jubilaire du Conseil d’Etat, Sirey, 1952, p. 327) ou de la “coopération” (A. MATHIOT, EDCE, no 31, p. 25) entre la doctrine et le juge demeure un discours reverencieux, voire incantatoire. Ainsi que l’a révélé M.-A. LATOURNERIE, “le Conseil d’Etat, en tant qu’institution, n’a aucune vision de la doctrine” (in “La doctrine vue par le Conseil d’Etat”, Rev. adm., 1997, no spéc., p. 46) ; tout au plus peut-elle prétendre être une “source d’information” aux yeux d’une partie des membres de la Haute juridiction, au mieux une “source d’inspiration” (Ibid., spéc. p. 47)… toute formulation qui contraste avec le statut accordé à la doctrine du Conseil d’Etat.
12 V. en ce sens, E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé. Théorie d’une pratique, Presses Universitaires de Lyon, 1985 ; E. SERVERIN et A. JEAMMAUD, “Concevoir l’espace jurisprudentiel”, RTDCiv., 1993, p. 91.
13 Sur le débat très vif portant sur une identité (professorale) de la doctrine, v. Ph. JESTAZ et Ch. JAMIN, “L’entité doctrinale française”, D., 1997, chron., p. 167 ; La doctrine, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2004 ; rappr. B. BOURDELOIS, “L’autorité doctrinale”, in J. FOYER, G. LEBRETON et C. PUIGELIER (dir.), L’autorité, PUF, coll. Cahiers des sciences morales et politiques, 2008, p. 309. Contra : L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER et F. TERRÉ, “Antithèse de ‘‘l’entité’’(à propos d’une opinion sur la doctrine)”, D., 1997, chron., p. 229 ; Ph. THÉRY, “Un grand bruit de doctrine”, in Ruptures, mouvements et continuité, Mélanges M. GOBERT, Economica, 2004, p. 113. Comp. : P. MORVAN, “La notion de doctrine (à propos du livre de MM. JESTAZ et JAMIN)”, D., 2005, chron., p. 2421 ; G. GOUBEAUX, “Il était une fois… la doctrine”, RTDCiv., 2004, p. 239 ; J. DAGORY et C. PUIGELIER, “Compte-rendu sur l’ouvrage de MM. JESTAZ et Jamin”, APD, 2005, no 49, p. 469.
14 F. TERRÉ, “La doctrine de la doctrine”, in Mélanges Ph. SIMLER, Litec et Dalloz, 2006, p. 59, spéc. p. 60.
15 MM. Ph. JESTAZ et Ch. Jamin opposent ainsi le “modèle du Conseil d’Etat” et le modèle professoral des “facultés de droit” (in La doctrine, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2003). Sur ce primat jurisprudentiel, v. not. J. Rivero, “Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif”, précité, EDCE, 1955, p. 29 ; G. Vedel, “Jurisprudence et doctrine : deux discours”, et J.-H. STAHL, “Les commissaires du gouvernement et la doctrine”, in Le Conseil d’Etat et la doctrine, Rev. adm., no spéc., 1997, resp. p. 10 et p. 34 ; M. DEGUERGUE, Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité administrative, LGDJ, Biblio. de droit public, t. 171, 1994 ; “Les commissaires du gouvernement et la doctrine”, Droits, 1994, no 20, p. 123 ; rappr. E. DESMONS, “La rhétorique des commissaires du gouvernement près le Conseil d’Etat”, Droits, 2002, no 36, p. 39.
16 Cour de cassation et Laboratoire d’Epistémologie Juridique de la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille (dir.), L’image doctrinale de la Cour de cassation, Colloque de décembre 1993, Paris, La Documentation française, 1994.
17 MM. JESTAZ et Jamin soulignent, dans leur ouvrage précité, le lien qui existe entre la “naissance” de la doctrine et une conception renouvelée de l’interprétation du droit au 19ème siècle, spécialement l’implantation alors avortée du réalisme.
18 Qu’il nous soit permis de renvoyer à M. DISANT, L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, LGDJ, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, tome 135, 2010.
19 V. E. Lesueur de Givry, “La diffusion de la jurisprudence, mission de service public”, Rapport de la Cour de cassation 2003, La documentation française, 2004, p. 269, spéc. p. 277.
20 Le principe de la motivation répond à des règles plus ou moins précises. Il sera spécialement observé qu’afin d’accélérer le cours de la justice ordinaire, le législateur consacre un allégement perceptible de la motivation, voire un contournement de cette obligation par l’usage de formulaires pré-rédigés comprenant des motifs établis d’avance (v. not. J. LEROY, in La motivation, Travaux de l’association Henri Capitant, t. III, 1998, LGDJ, p. 40). La compatibilité de ce dernier procédé avec l’article 6 de la Conv. EDH a été reconnue par la Cour de cassation (Cass., civ. 2ème, 31 janvier 1985, Bull. civ., II, no 26),… mais la Cour européenne a pu sanctionner la haute juridiction judiciaire pour insuffisance de motivation (CEDH, 19 février 1998, Higgins c/ France, RTDCiv., 1998, p. 156, obs. J.-P. MARGUÉNAUD ; RDP, 1998, p. 875, note C. HYON ; CEDH, 29 août 2000, Jahnke et Lenoble, JCP éd. G, II, no 10435 ; CEDH, 8 juillet 2004, JCP éd. G, 2004, II, no 10158, note M. LEVINET. Adde : S. GUINCHARD, “Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ?”, in L’avenir du droit, Mélanges en hommage à F. TERRÉ, Dalloz, PUF, 1999, p. 761. Sur la question générale de la modélisation et de ses limites, v. J.-L. Bergel, “Justice et modélisation”, RRJ, 2000, no 5, p. 1989). On rappellera que le Conseil d’Etat considère également que la règle de la motivation est un des éléments du droit à un procès équitable que protège l’article 6 § 1 de la Conv. EDH : CE, 14 décembre 1992, Lanson, Leb. p. 1217 ; RFDA, 1993, p. 791, concl. S. LASVIGNES.
21 V. La motivation, Travaux de l’association Henri Capitant, t. III, LGDJ, 1998, spéc. sur la nécessité de la motivation des décisions de justice, v. la contribution de J. NORMAND, pp. 19 et s.
22 A cet égard, pour une rare étude révélatrice des difficultés de compréhension du langage des décisions du Conseil d’Etat empruntes d’une “tradition centenaire de rigueur, de concision et de sécheresse objective”, v. B. DUCAMIN, “Le style des décisions du Conseil d’Etat”, EDCE, 1984-1985, no 36, p. 129. Rappr. not. A. TOUFFAIT et L. MALLET, “La mort des attendus ?”, D., 1968, chron., p. 123.
23 En ce sens, à propos des arrêts de la Cour de cassation, not. A. TUNC, “La Cour de cassation en crise”, APD, 1985, t. 30, p. 167 ; A. VIGNON-BARRAULT, “Les difficultés de compréhension d’un arrêt : point de vue du lecteur”, in Le sens des arrêts de la Cour de cassation, LPA, no spécial, 25 janvier 2007, p. 22, spéc. no 11 et s. Sur l’actualisation de… ce débat classique en excipant de l’insuffisant “apprentissage de l’interprétation”, not. J. GHESTIN, “L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation”, D., 2004, no 31, chron., p. 2239 ; et sur l’explication de quelques cadres d’interprétation des arrêts de la Cour de cassation, qui révèle en creux une pratique rôdée du précédent, v. du même auteur, “Réflexions sur l’interprétation des arrêts de la Cour de cassation”, in La Cour de cassation, l’Université et le droit, Mélanges A. PONSARD, Litec, 2003, p. 161.
24 Sous l’Ancien régime, les décisions de justice, rendues par des juges investis par un roi divin du pouvoir de dire le droit, n’étaient pas motivées : “Les oracles de la justice n’expliquent point les causes de leur dispositif” (Prost de Royer, in Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, Paris, 1787, t. VI, p. 725). Le rejet de la motivation explicite était, au fond, assez ambivalente : elle est à la fois la projection d’une crainte viscérale de l’erreur et a pour finalité de préserver l’indépendance des magistrats à l’égard des sources formelles du droit. Il faudra attendre la révolution française et sa célèbre loi des 16 et 24 août 1790 pour que la motivation des décisions juridictionnelles soit consacrée (Titre V, art. 15 : un jugement doit comporter “les motifs qui auront déterminé le juge”), puis la loi du 18 avril 1810 (art. 7 selon lequel le non-respect de l’obligation de motivation est sanctionné de nullité) pour qu’elle soit véritablement effective. Cette obligation figure, en droit positif, dans tous les codes de procédure, not. à l’article L. 9 du code de justice administrative et à l’article 455 al. 1er du code de procédure civile. Alors que le 19ème siècle est une période au cours de laquelle les arrêts de la Cour de cassation, intégrant la qualité du raisonnement comme une donnée rhétorique positive, font montre de qualités explicatives remarquables (au point d’être parfois jugées excessives en raison de la longueur des décisions rendues), le 20ème siècle signe une rupture avec cette tradition, les décisions de justice devenant plus laconiques, comme n’ont pas manquer de le déplorer plusieurs auteurs dans propos qui ont conservé un écho certain (not. A. TOUFFAIT et A. TUNC, “Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles de la Cour de cassation”, RTDCiv., 1974, p. 487). Pour approfondir l’examen historique de ce sujet, v. J.-P. ROYER, Histoire de la justice en France, PUF, coll. Droit fondamental, 3ème éd., 2001 ; T. Sauvel, “Histoire du jugement motivé”, RDP, 1955, p. 51.
25 V. spéc. la position d’A. PERDRIAU (“Des arrêts brévissimes de la Cour de cassation”, JCP éd. G, 1996, I, 3943, p. 262) qui n’hésite pas justifier le recours à des arrêts expéditifs.
26 Ch. ATIAS, “Crise de la motivation judiciaire”, Cycle Droit et technique de cassation, 2005, consultable sur le site officiel de la Cour de cassation. V. ÉGAL. S. GJIDARA, “La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles”, LPA, 2004, no 10, p. 3.
27 A propos de la Cour de cassation, v. spéc. P. DEUMIER, “Création du droit et rédaction par la Cour de cassation”, APD, tome 50, 2006, p. 49.
28 En ce sens, dans une acception générale, F. ZÉNATI, “La nature de la Cour de cassation”, BICC du 15 avril 2003, p. 3 ; et spécialement à l’égard de la Cour de cassation où l’argument est le plus vertement présent, not., A. VIGNON-BARRAULT, “Les difficultés de compréhension d’un arrêt : point de vue du lecteur”, in Le sens des arrêts de la Cour de cassation, LPA, no spécial, 25 janvier 2007, p. 22, spéc. no 11 et s.
29 Nous laissons ici délibérément de côté l’approche que l’on s’autorise à qualifier d’“idéologique” selon laquelle la motivation des décisions de justice constitue “une exigence de l’Etat de droit démocratique” (par ex. F. RIGAUX, La loi des juges, Odile JACOB, 1997, p. 198).
30 v. spéc. Cons. const., no 2007-560 DC du 20 décembre 2007, J. O. du 29 décembre 2007, p. 21813.
31 F. ZÉNATI a démontré que c’est en imposant au juge de rédiger les motifs juridiques de sa décision, c’est-à-dire en fixant son “sentiment du droit”, que la loi a créé les conditions du développement – dû à l’apparition de l’édition juridique – de la jurisprudence moderne (v. La jurisprudence, op. cit., spéc. p. 62 et 169).
32 V. not. J.-L. AUBERT, “De quelques risques d’une image troublée de la jurisprudence de la Cour de cassation”, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges offerts à P. DRAI, Paris, Dalloz, 2000, p. 7 et s. ; du même auteur, “La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation en matière civile”, Cycles et séminaires Droit et techniques de cassation, 15 mars 2005, consultable sur le site officiel de la Cour de cassation.
33 V. J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, 4ème éd., 2003, no 61, p. 79. Sur le processus de sédimentation, spécialement la distinction entre sédimentations interne et externe, J.-L. BERGEL, “Le processus de transformation des décisions de justice en norme juridiques”, RRJ, 1993, no 4, spéc. pp. 1059 et s.
34 J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, PUF, Thémis, 27ème éd., 2002, no 142, p. 280.
35 Y. GAUDEMET, “Fonction interprétative et fonction législative : aménagements juridiques de leurs rapports”, in P. AMSELEK (dir.), Interprétation et droit, Bruylant et PUAM, 1995, p. 201, spéc. p. 205.
36 V. les développements de R. COLSON, La fonction de juger. Etude historique et positive, LGDJ, Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand, 2006, spéc. pp. 134 et s.
37 On sait que la publication de la jurisprudence permet de différencier la jurisprudence moderne (dite “éditoriale”) de la jurisprudence coutumière fondée sur la renommée (sur cette évolution, spéc. F. ZÉNATI, La jurisprudence, op. cit., pp. 23 et s. et p. 169).
38 Le principe de la publication des arrêts de cassation s’est imposé dès le décret des 27 novembre et 1er décembre 1790 selon lequel chacun des jugements du Tribunal de cassation, puis des arrêts de cours d’appel, est imprimé et inscrit sur les registres. En l’an VII, le Directoire crée le Bulletin officiel des arrêts de la Cour de cassation chargé de la publication in extenso, régulière et – théoriquement – accessible à tous des arrêts de cassation afin, selon ses auteurs, de “propager la connaissance de décisions qui ne doivent pas être concentrées dans l’enceinte des tribunaux” (v. J.-L. HALPÉRIN, “Le tribunal de cassation et la naissance de la jurisprudence moderne”, in R. BADINTER (dir.), Une autre justice. Contribution à l’histoire de la justice sous la révolution française, Paris, Fayard, 1989, p. 225, spéc. p. 233). Les supports de diffusion se sont, avec une qualité et un prestige grandissants, rapidement étendus aux éditions privées, multipliés au niveau local, et spécialisés dans une reproduction sélective de la jurisprudence (J.-L. HALPÉRIN, op. cit. ; E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé. Théorie d’une pratique, PU de Lyon, 1985, p. 104). A partir de 1830, les arrêtistes livrent d’importantes rééditions de Recueils, Répertoires ou codes annotés qui permettent, en rassemblant et complétant les publications d’arrêts, de construire un corpus documentaire à partir duquel les théoriciens appréhendent l’activité judiciaire et conceptualisent la notion de jurisprudence (R. COLSON, La fonction de juger …, op. cit., p. 136). Les préfaces et avertissements de ces œuvres compilatrices (V. R. BEAUTHIER, “Jurisprudence et histoire du droit. Considérations limitées et quelque peu expressionnistes en histoire du droit belge et français”, RRJ, 1993, no 4, not. pp. 1282-1290) dévoilent un éloge appuyé de la jurisprudence, à laquelle ces travaux sont identifiés par un usage terminologique indifférencié du mot “jurisprudence”. L’information judiciaire est traitée et sélectionnée par une doctrine exégétique qui classe et catégorise le discours judiciaire selon des critères chronologique, thématique et fonctionnel ; et la “jurisprudence des arrêts” – ainsi qu’on la dénomme alors – suscite progressivement, auprès des théoriciens du droit, la critique dogmatique et déductive de l’examen savant destiné à évaluer le discours judiciaire passé au crible des principes théoriques et systématiques.
39 Le système de la Common law se caractérise par la quasi-inexistence de la doctrine ; v. sur ce point, R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, 11ème éd., 2002, not. § 18, 69 et s., 307 et s., 314 ; R. David, “La doctrine, la raison et l’équité”, RRJ, 1986, no 1, p. 109.
40 Rappr., sur l’idée que les nouvelles technologies doivent tendre à une justice “reliante” sur laquelle les justiciables puissent compter pour restaurer leurs liens juridiques, et dans la perspective d’une approche rénovée du droit processuel, tant du point de vue méthodologique que par la réflexion sur la justice qu’elle véhicule, V. l’ouvrage d’E. JEULAND, Droit processuel (Une science de la reconstruction des liens de droit), LGDJ, coll. Manuel, 2007.
41 V. M.-A. TRAPET, “Les tables analytiques des arrêts de la Cour de cassation”, Rapport de la Cour de cassation 2002, La Documentation française, p. 281 ; X. HENRY, “La jurisprudence accessible. Mégacode civil : théorie d’une pratique”, RRJ, 1999, no 4, p. 631…. En particulier, on sait que les conditions de publication révèlent, par codes, l’importance d’un arrêt et la fabrique de la règle jurisprudentielle trouve un raffinement exceptionnel devant la Cour de cassation. Après le numéro, figure sur l’en-tête de l’arrêt la mention de la formation de jugement (F pour formation restreinte, FS pour formation ordinaire ou de section, FP pour formation plénière de la chambre) suivie de son mode de diffusion (P, P+B, P+B+R+I, plus rarement P+B+R, P+B+I). Une décision peut faire l’objet d’une simple diffusion (D), ou d’une publication au Bulletin annuel des arrêts de la Cour de cassation (P), éventuellement accompagnée d’une publication au Bulletin bi-mensuel d’information de la Cour de cassation (P+B), d’une publication au rapport annuel (P+B +R) et mis en ligne sous la rubrique actualité jurisprudence du site Internet de la Cour de cassation (P+B+R+I). Ces différents supports définissent la portée que la haute juridiction judiciaire entend attribuer à ses arrêts qu’il s’agisse de se borner à énoncer une règle constante et bien connue (D ou P), de fixer la jurisprudence, de faire resurgir une règle oubliée ou d’application peu fréquente (P+B), ou de poser une règle nouvelle, nuancer une règle existante, marquer une évolution, un infléchissement ou un revirement de jurisprudence (P+B+R+I) (sur ces éléments, Rappr. not. J.-Y. Frouin, “La construction formelle et intellectuelle d’un arrêt”, in Le sens des arrêts de la Cour de cassation, LPA, no spécial, 25 janvier 2007, no 19, p. 15, et “La technique de cassation (synthèse)”, Ibid, p. 53, spéc. p. 55).
42 Le traitement de la jurisprudence n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, époque de surinformation jurisprudentielle qui s’expose au risque de nivellement des décisions. Ces diverses publications répondent ainsi, selon les propos de l’ancien Premier Président de la Cour de cassation, aux divers enjeux que soulève l’aménagement des politiques jurisprudentielles : “enjeux institutionnels, pour la Cour de cassation, incitée à devenir sélective et donc élitiste ; enjeux substantiels, pour la jurisprudence, appelée à conquérir une place que la tradition juridique française lui conteste ; enjeux systémiques, si l’on admet que le système juridique, sa sécurité, sa qualité, sont en jeu dans les aspirations de la jurisprudence” (G. CANIVET et N. MOLFESSIS, “La politique jurisprudentielle”, in La création du droit jurisprudentiel, Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, 2007, p. 79, § 30). Les récents débats autour de l’appréhension de la production normative de la Cour de cassation sont révélateurs, de la part du juge comme de la doctrine, de l’auteur comme du lecteur, du syndrome de diffusion perfectible aux fins de parfait achèvement de l’exercice de la fonction juridictionnelle (v. not., Le sens des arrêts de la Cour de cassation,… LPA, no spécial, 25 janvier 2007, p. 6. Rappr., à propos de la diffusion des arrêts de la Cour de cassation, J.-P. CALON, “Cour de cassation. Rôle et place”, Jurisclasseur Procédure civile, fasc. no 760, spéc. no 26 ; J. BUFFET, “Cour de cassation”, in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, spéc. p. 265 ; Y. CHARTIER, La Cour de cassation, Dalloz, 2ème éd., 2001, p. 105 ; J.-L. AUBERT, “De quelques risques d’une image troublée de la jurisprudence de la Cour de cassation”, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges offerts à P. DRAI, Dalloz, 2000, p. 7, spéc. p. 9. Adde, R. LIBCHABER, obs. sous Cass., soc., 27 octobre 1999, RTDCiv., 2000, p. 197).
43 M. DEGUERGUE, “Doctrine(s) et sources du droit”, in G. KOUBI (contributions réunies par), Doctrines et doctrine en droit public, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, coll. Constitutions, droit et politique, 1997, p. 33, spéc. 42.
44 Pour une approche des nombreux problèmes, pratiques et théoriques, tenant à la lisibilité et la compréhension des arrêts de la Cour de cassation (nombre de propos étant valables pour l’interprétation des décisions de justice dans leur ensemble), J. BOURDOISSEAU, M. BARY, O. SABARD (dir.), Le sens des arrêts de la Cour de cassation. Point de vue de l’auteur, point de vue du lecteur, Actes du Colloque de l’Université de Tours organisé le 21 octobre 2005 avec le soutien du GIP Droit et Justice, LPA, no spécial, 25 janvier 2007, no 19. Sur la difficulté de distinguer l’acte d’interpréter un arrêt (c’est-à-dire identifier le sens des propositions qu’il formule) de l’acte de reconnaître une nouvelle règle, v. M. van de KERCHOVE, “Jurisprudence et rationalité juridique”, APD, 1985, p. 207, spéc. p. 211.
45 V. les remous suscités dans la communauté des juristes par les interprétations divergentes de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 mars 2004 (D., 2004, p. 1754, note D. MAZEAUD ; RTDCiv., 2004, p. 290, obs. J. MESTRE et B. Farges ; Adde, D. Houtcieff, “L’obligation de renégocier en cas de modification imprévue des circonstances. Quand la première chambre civile manie l’art de la litote…”, RLDC, juin 2004, no 6, p. 5), nécessitant une précision clarificatrice du conseiller-doyen…. O. RENARD-PAYEN (JCP éd. E, 2004, no 737, p. 817, qui écarte l’interprétation de l’arrêt comme consacrant l’obligation de renégociation des contrats en cours lors de modifications imprévues des circonstances économiques), suivie d’un billet d’humeur remarqué de J. GHESTIN (“L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation”, D., 2004, chron., p. 2239) lequel critique la portée exagérée qui avait pu être retenue de cet arrêt et milite en faveur d’un meilleur apprentissage de l’analyse des arrêts de la Cour de cassation par les commentateurs. En réponse, v. A. BÉNABENT, “Doctrine ou Dallas ?”, D., 2005, p. 852
46 Par ex., D. REBUT, “Le juge pénal face aux exigences constitutionnelles”, Cahiers du Conseil constitutionnel, 2004, no 16, p. 135.
47 Sur ce constat, rapporté à la dimension théorique importante que la question revêt, v. Ch. ATIAS, “Jurisprudence a contrario ”, D., 1997, chron., p. 297. Comp. le débat doctrinal précité soulevé à l’occasion de l’interprétation des arrêts de la Cour de cassation.
48 G. CANIVET et N. MOLFESSIS, “La politique jurisprudentielle”, in La création du droit jurisprudentiel, Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, 2007, p. 79.
49 Sur cette dernière tendance, not. J.-J. BIENVENU, “Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif”, Droits, 1985, no 1, p. 153 ; J.-D. BREDIN, “Remarques sur la doctrine”, Mélanges P. Hébraud, Toulouse, 1981, p. 111.
50 F. ZÉNATI, La jurisprudence, op. cit., pp. 260 et s.
51 Pour un point, notamment sur le cas des observations formulées par le Conseil constitutionnel en matière électorale, v. M. DISANT, L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel, op. cit., spéc. pp. 139 et s.
52 P. DEUMIER parle ainsi d’une doctrine judiciaire qui est “tout auréolée de cette absence d’autorité” (in “Les autorités des doctrines”, in J. FOYER, G. LEBRETON et C. PUIGELIER (dir.), L’autorité, PUF, coll. Cahiers des sciences morales et politiques, 2008, p. 291, spéc. p. 306)
53 Une simple visite du site officiel du Conseil constitutionnel permet de dresser un constat d’ensemble significatif. Depuis les décisions no 97-388 DC du 20 mars 1997 (Loi créant les plans d’épargne retraite), le menu analytique de la décision rendue, comprenant le Commentaire aux cahiers, est librement disponible. Le Communiqué de presse l’est depuis la décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997 (LFSS pour 1998). C’est à partir de cette même décision que figure également le Commentaire de la décision. Ce procédé est aujourd’hui généralisé à l’ensemble de la production contentieuse du Conseil constitutionnel.
54 Entre toutes les autres, les attributions du Conseil constitutionnel en matière électorale l’invite à déployer des actions nouvelles qui participent d’un véritable effort de transparence, de pédagogie et d’efficacité (Communiqué de presse du Conseil constitutionnel du 4 avril 2002). En particulier, les missions de réception et de contrôle des présentations de candidature à l’élection du Président de la République dont il a la charge s’effectuent… dorénavant selon une méthode informatisée qui signe les efforts inédits de communication en direction des présentateurs, des équipes des candidats et du public, par l’intermédiaire du site Internet. C’est ainsi, par exemple, que dès le mois d’août 2001 a été ouverte une section “Foire aux questions” (FAQ) résolvant une centaine de questions les plus fréquemment posées. Si ces réponses ne bénéficient évidemment pas de l’autorité que la Constitution confère aux décisions du Conseil constitutionnel, elles constituent une source d’information “autorisée” dont l’utilité pratique et la fiabilité ont été vérifiées. V. sur ce point, S. Cottin, “La réception et le contrôle des présentations de candidature à l’élection du Président de la République par le Conseil constitutionnel”, RDP, 2002, no 5, p. 1263.
55 En ce sens, P. DEUMIER, “Les communiqués de la Cour de cassation : d’une source d’information à une source d’interprétation”, RTDCiv., 2006, no 3, p. 116.
56 Selon une méthode explicite de renvoi, le chaînage consiste à faire mention, à la suite des arrêts publiés, de précédentes décisions accompagnées des indications suivantes : “dans le même sens”, “en sens contraire”, “autre application du même principe”. Au-delà des facilités que présente pour l’observateur cette pratique (sur celle-ci et sa typologie, v. 2ème partie de N. MOLFESSIS (dir.), Les revirements de jurisprudence, Rapport à la Cour de cassation, Litec, 2005, p. 141), ces signalisations permettent de suivre précisément une construction précédentielle de la jurisprudence. V., sur cette technique et sa pratique, les travaux fondateurs et remarquables de X. HENRY, “Le chaînage des arrêts de la Cour de cassation dans le bulletin civil”, BICC, no 599, 1er juin 2004.
57 Le “dossier documentaire” réalisé par le Conseil constitutionnel – originairement conçu comme un ensemble plus ou moins homogène de “documents à l’appui” de la décision – n’est pas une simple somme d’informations juridiques compilées. Il organise la présentation des matériaux utilisés par le juge et rend compte, à l’analyse, des voies de raisonnement empruntées par lui. Ce document s’appuie dorénavant sur une structure constante et bien établie. Après avoir cité les normes de références applicables au cas litigieux, le “dossier documentaire” fait état des interprétations jurisprudentielles pertinentes. Celles-ci ne se limitent d’ailleurs pas à l’exposé de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il est régulièrement fait mention de décisions du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, comme d’arrêts de la Cour de justice des communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l’homme, lorsque l’issue du procès constitutionnel commande une mise en perspective. Le dossier peut également mentionner, le cas échéant, la jurisprudence de juridictions étrangères, comme il peut citer la doctrine constitutionnaliste.
58 X. VANDENDRIESSCHE, “La doctrine officielle”, in G. KOUBI (contributions réunies par), Doctrines et doctrine en droit public, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, coll. Constitutions, droit et politique, 1997, p. 199.
59 Le Conseil constitutionnel met lui-même en garde sur le statut et la portée de l’information disponible sur son site officiel en des termes qui ne prêtent pas a priori à confusion : “Seuls engagent le Conseil constitutionnel les textes issus de ses délibérations. – S’agissant des textes normatifs reproduits sur le site, seule la version publiée au Journal officiel de la République française fait foi. – Les autres documents sont présentés à titre informatif, qu’ils émanent de personnalités extérieures au Conseil, d’anciens ou de présents membres du Conseil, du Secrétaire général ou des services du Conseil. Ils ne sauraient en aucun cas engager le Conseil constitutionnel” (Souligné dans le texte). La Cour de cassation appose un avertissement au contenu semblable quoiqu’en termes plus généraux : “ les communiqués du service de documentation et d’études, relatifs à la portée des arrêts, constituent des documents à l’usage du public qui n’engagent pas la Cour de cassation
60 ”…. J.-E. SCHOETTL, “Les coulisses du contrôle de constitutionnalité en France”, Justice et cassation, Dalloz, 2007, p. 157, spéc. p. 168. M. SCHOETTL considère ainsi que se “trouve dans le commentaire dit autorisé”, un “ équivalent” “aux conclusions d’un ministère public éclairant des arrêts elliptiques” (nous soulignons).
61 Cette communication instantanée a été renforcée par la rubrique “actualité jurisprudence”, qui met à la disposition des visiteurs du site officiel de la Cour de cassation les communiqués joints systématiquement aux arrêts rendus en formation solennelle (spécialement de l’Assemblée plénière) et de plus en plus régulièrement, depuis le début de l’année 2006, aux décisions rendues par la première chambre civile et par la chambre sociale. V. l’analyse remarquable de P. DEUMIER, “Les communiqués de la Cour de cassation : d’une source d’information à une source d’interprétation”, RTDCiv., 2006, no 3, pp. 510 et s. V. ÉGAL., relevant les fonctions synthétique, pédagogique et rhétorique du communiqué et, même si cet “art” est encore rudimentaire, la “puissance juridique” du procédé, F. GUIOMARD, “Sur les communiqués de presse de la Chambre sociale de la Cour de cassation”, Revue de droit du travail, 2006, p. 222.
62 Par exemple, note sous Conseil d’Etat, référé, 11 mai 2005, AJDA, 2005, no 133, p. 33.
63 V. spéc. comm. D. POUYAUD, “Les décrets réglementaires du Président de la République”, RFDA, 1993, p. 55, spéc. notes 22 et 40.
64 Aussi, il est de bonne pratique que lorsque une affaire a défrayé la chronique, le secrétaire général du Conseil constitutionnel reçoive la presse afin d’expliquer les tenants et les aboutissants de la décision et permette ainsi une “médiation autorisée” avec le grand public pour limiter les malentendus. Cela a été le cas notamment à propos du contrôle de la loi Perben II (Communiqué du 3 mars 2004 assorti à la décision 2004-492 DC), de la loi sur l’immigration (novembre 2003) ou de la réforme des retraites (août 2003).
65 Le communiqué est également utilisé en matière électorale afin de rappeler l’existence d’une règle de droit résolvant une difficulté soulevée dans le débat public. V. par exemple, Communiqué du 29 mars 2007 concernant les “Machines à voter”.
66 Par exemple, afin d’indiquer que les actes – décret de privatisation, réunion des assemblées générales d’actionnaires…– conduisant à la fusion EDF-Suez pourront intervenir avant le 1er juillet en ayant un effet différé, v. communiqué sous la décision no 2006-543 DC du 30 novembre 2006.
67 M. LASCOMBE, “De l’obiter dictum au ‘‘communiqué de presse de règlement’’ : l’irresponsabilité du Président de la République sous la Ve République”, publié le 2 avril 2001 sur le site www.rajf.com. Contestant l’objet comme le procédé de “l’arrêt de règlement par voie de communiqué de presse”, v. F. THIRIEZ, “Le communiqué de presse, source de droit ?”, Le Monde du 21 Octobre 2000, p. 19.
68 Ainsi, le premier commentaire de M. Olivier SCHRAMECK, écrit en sa qualité de Secrétaire général du Conseil constitutionnel, prenait soin de préciser qu’il ne s’agissait “ nullement de faire œuvre de doctrine, mais de fournir à cette dernière comme à tous les observateurs et commentateurs de notre vie publique des éléments d’information quant au contexte, au contenu et à la portée des décisions du Conseil constitutionnel” (O. SCHRAMECK, “Décisions du Conseil constitutionnel”, AJDA, 1995, p. 517).
69 Sur cette idée, contra. M. DEGUERGUE, “Doctrine(s) et sources du droit”, op. cit., pp. 45-46.
70 V. P. MORVAN, “La doctrine”, D., 2005, no 35, p. 2421, spéc. p. 2424.
71 La doctrine universitaire se doit également d’être vigilante au développement de la publication de conclusions, rapports et avis que celui de chroniques auto-doctrinales qui modifient l’équilibre des revues juridiques et réduisent de prime abord l’œuvre critique. Cette relation causale ne doit pas être trop rapidement annoncée. Il suffit pour le tempérer d’observer, par exemple, que le nombre de commentaires de doctrine relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel a décru depuis que le Secrétaire général du Conseil ne publie plus de façon systématique “son” commentaire…
72 Sur l’utilité, pour la doctrine universitaire, des communiqués de la Cour de cassation, v. P. DEUMIER, “Les communiqués de la Cour de cassation : d’une source d’information à une source d’interprétation”, op. cit.., pp. 510 et s. ; R. LIBCHABER, “Retour sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation et la rôle de la doctrine, RTDCiv., 2000, p. 679 ; J. GHESTIN, “L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, D., 2004, chron.,… p. 2239 ; adde la réponse de A. BÉNABENT, “Doctrine ou Dallas ?”, D., 2005, chron., p. 852.
73 Rappr. A. TOUFFAIT et A. TUNC, “Pour une motivation plus explicite des décisions de justice notamment celles de la Cour de cassation”, RTDCiv., 1974, p. 487 ; H. MUIR-WATT,“La motivation des arrêts de la Cour de cassation et l’élaboration du droit”, in N. MOLFESSIS (dir.), La Cour de cassation et l’élaboration du droit, Economica, 2004, p. 53 ; S. Gjidara, “La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles”, LPA, 26 mai 2004, no 105, p. 3
74 V. en ce sens égal. B. MATHIEU in “Un an de jurisprudence constitutionnelle : bilan, perspectives et questions”, D., 2005, chron., p. 920. L’auteur estime que de tels commentaires “constituent un acquis sur lequel il sera difficile de revenir (…) faute de conclusions, faute d’opinions dissidentes, faute de rapport, faute de décisions fleuves, où la démarche intellectuelle du juge prend le pas sur la clarté de la décision retenue”.
75 Selon l’expression de M. XIFARAS in Travaux de l’AFDA (coll.), La doctrine en droit administratif, Litec, 2010.
76 Rapp. F. ZENATI, “L’évolution des sources du droit dans les pays de droit civil”, D., 2002, no 1, chron., p. 15, spéc. p. 19.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
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