Exorbitance et droit des contrats : quelques interrogations à propos de la modification non conventionnelle du contrat administratif
p. 229-246
Texte intégral
1L’analyse du droit des contrats administratifs sous le prisme de son exorbitance au regard du droit privé est une figure classique du discours doctrinal590. Les raisons pratiques et idéologiques de la prédilection marquée pour ce sujet sont multiples mais, à titre liminaire, nous rappellerons que l’une au moins de ces raisons tient à ce que la jurisprudence591 de la Haute assemblée a très tôt fait de l’exorbitance – à travers les « clauses exorbitantes du droit commun » - un critère d’identification des contrats administratifs : l’exorbitance est ainsi, au moins en apparence, consubstantielle à la notion de contrat administratif.
2L’exorbitance supposée des contrats administratifs s’appréhende ainsi par opposition au « droit commun », à savoir, le droit civil des obligations. Une première méthode de comparaison consiste à mettre en rapport deux types de contrats ou d’obligations comparables par leur objet : marché public de fourniture et contrat de vente, marché public de travaux publics et contrat d’entreprise, ou encore, contrat de travail et contrat des agents contractuels de droit public. Cette comparaison, naturellement utile et nécessaire pour comprendre les particularités ou similitudes des deux contrats étudiés, ne nous paraît pas toutefois pouvoir être placée sur le terrain de l’exorbitance. En effet, cette méthode conduira à mettre en évidence la spécificité d’un type de contrat par rapport à son « voisin », mais elle ne peut attester de la spécificité du droit administratif dans son ensemble puisque les particularités relevées ne sont pas propres à l’ensemble des contrats administratifs mais seulement à des contrats spéciaux. Ainsi n’est-il pas rare de trouver l’expression d’exorbitance employée à propos, par exemple, du principe de publicité et mise en concurrence préalable qui gouverne un grand nombre de contrats administratifs. Pourtant, cet élément du régime ne peut être qualifié d’exorbitant, non seulement par ce que tous les contrats administratifs n’y sont pas soumis (tels les contrats d’occupation du domaine public), mais encore parce que certains contrats de droit privé le sont592 : ainsi, le fait que les marchés publics soient soumis à une telle procédure ne les rend pas plus exorbitants au regard des contrats de droit privé qu’au regard des autres contrats publics qui ne sont pas soumis à cette procédure. Il s’agit d’une modalité, certes remarquable, du régime de certains contrats, mais cette modalité ne peut pas être opérante pour qualifier l’exorbitance du droit des contrats administratifs.
3Une seconde méthode peut être retenue pour procéder à une comparaison entre droit public et droit privé : celle qui consiste à procéder non plus à une comparaison entre contrats spéciaux, mais à une comparaison du droit applicable à l’ensemble des contrats relevant des deux droits. Il importe alors de retenir un élément du droit des contrats qui revêt deux caractères : l’objet de la comparaison doit d’abord avoir un caractère de généralité, c’est-à-dire appartenir à la théorie générale des contrats et non aux règles spéciales et ensuite avoir un caractère fondamental, c’està-dire être considéré comme un élément consubstantiel à la notion de contrat. Sur cette base, la comparaison nous paraît pouvoir aboutir à caractériser ce qui est ou n’est pas exorbitant dans le droit administratif des contrats, même s’il convient d’admettre que ce choix méthodologique conduit à restreindre fortement le champ de l’analyse593. Plusieurs éléments peuvent néanmoins réunir les critères établis : il en va ainsi de l’autonomie de la volonté et ses multiples implications, ainsi que de l’effet relatif des contrats, ou encore, sujet que nous retiendrons, de la force obligatoire des conventions.
4Le principe de la force obligatoire du contrat, présenté traditionnellement comme un élément intrinsèque à tout contrat public ou privé, a donné lieu à l’une des controverses doctrinales les plus importantes du droit administratif, ce qui confère au sujet un intérêt particulier. L’origine du débat peut s’exposer simplement. L’article 1134 du Code civildispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ». De cette disposition, il découle en droit privé de façon classique l’interdiction pour les parties comme pour le juge de modifier unilatéralement les termes du contrat. Or, en droit administratif, existent plusieurs techniques qui semblent rentrer en contradiction avec ce principe, telles que la théorie de l’imprévision, le pouvoir de modification unilatérale ou le pouvoir de résiliation pour motif d’intérêt général : ces techniques distinctes ont toutes comme point commun d’aboutir à une modification du contrat qui n’est pas acceptée initialement par les deux parties au contrat, ce qui permet de les qualifier de « modifications non conventionnelles du contrat ». Dès la fin du XIXe siècle, s’est ainsi posée la question de savoir si la force obligatoire était un principe applicable aux contrats administratifs et cette question a particulièrement divisé la doctrine publiciste. Les raisons d’un tel clivage doctrinal sont double : elles tiennent d’abord à des questions d’ordre méthodologique et notamment, à la grande ambiguïté de la jurisprudence à ce sujet. Elles tiennent aussi, et surtout, à l’enjeu théorique, qui est celui de l’autonomie conceptuelle du contrat administratif.
5La première raison à l’opposition doctrinale réside donc dans l’ambiguïté de la jurisprudence sur la question de l’exorbitance du droit administratif des contrats, ou du moins sa difficile interprétation, dans la mesure où la jurisprudence administrative met en évidence tantôt l’exorbitance du droit des contrats des personnes publiques, tantôt son unité avec le droit privé, ce qui n’est nullement contradictoire si l’on veut bien adopter à l’instar du juge une position nuancée et pragmatique.
6Il est ainsi indéniable que l’exorbitance imprègne toute la jurisprudence relative au droit des contrats administratifs et cela, à un double titre. D’une part, et comme nous avons pu le relever déjà, l’exorbitance est l’un des critère d’administrativité d’un contrat. Hormis les cas (de plus en plus nombreux au demeurant) de qualification légale, le contrat administratif se définit effectivement en jurisprudence comme un contrat conclu par une personne publique et qui, soit porte sur l’exécution d’une mission de service public, soit comporte une clause exorbitante du droit commun594 ou est soumis à un régime exorbitant du droit commun595.
7D’autre part, l’exorbitance est corrélativement la conséquence de l’administrativité d’un contrat : le juge tire de la qualification de contrat administratif la conséquence première de la soumission de celui-ci aux « règles générales applicables aux contrats administratif »596, règles qui renvoient principalement aux pouvoirs de modification et résiliation unilatérale, considérés précisément comme des pouvoirs exorbitants de l’administration.
8Toutefois, il est parfaitement infondé de tirer de cette jurisprudence le constat d’une quelconque volonté du juge administratif de démarquer à l’excès les contrats administratifs des contrats de droit privé. Bien au contraire, il manifeste à bien des égards le souci de privilégier une unité des sources et de la notion de contrat, ce que révèlent deux tendances de la jurisprudence. En premier lieu, il est manifeste que le juge administratif n’a jamais été réticent à puiser dans le droit civil des obligations des règles applicables aux contrats administratifs : cette tendance à l’utilisation du droit civil par la jurisprudence administrative, qui peut être relevée dans de nombreux domaine597, est parfaitement visible pour l’objet de notre étude. En effet, le juge administratif n’a jamais fait de réserves à l’application directe de l’article 1134 du Code civil, en tirant de cette disposition ses implications les plus classiques que sont l’obligation pour la personne publique comme pour son cocontractant d’exécuter pleinement l’ensemble des obligations contractuelles. Cette jurisprudence a reçu comme aboutissement la consécration de la force obligatoire du contrat comme principe général du droit « dont s’inspire l’article 1134 du Code civil », selon la formule classique du Conseil d’Etat, dans une décision d’Assemblée du 29 juin 2001598.
9En second lieu, il est notable que le juge a longtemps rattaché certaines solutions dérogatoires au droit commun non à une justification exorbitante mais à des principes traditionnels d’interprétation des contrats. Ainsi, dans le célèbre arrêt « Compagnie nouvelle du Gaz de Déville-les Rouen »599, le juge a consacré le droit pour la commune de résilier unilatéralement le contrat la liant à son concessionnaire gazier dans le cas où celui-ci refusait de substituer l’éclairage électrique à l’éclairage au gaz, en se fondant non sur un motif d’intérêt général ou sur une quelconque prérogative de puissance publique détenue par l’administration contractante mais sur le contrat lui-même et sur la commune intention des parties recherchée par le juge dans le silence du contrat. Il est évident ici que la lecture des contrats de concession laissait difficilement transparaître une telle « commune intention », et que le bouleversement technologique exceptionnel que représentait la découverte de l’électricité aurait pu constituer un motif d’intérêt général justifiant une résiliation du contrat : le juge a pourtant privilégié un principe classique d’interprétation des contrats, bien éloigné d’une prétendue exorbitance du droit des contrats administratifs. De même, dans l’affaire « Compagnie générale française des tramways »600, la modification du cahier des charges du concessionnaire par le Préfet n’est nullement justifiée par l’existence d’un pouvoir exorbitant appartenant à l’autorité publique mais simplement par le fondement de ce pouvoir sur un texte réglementaire. Cette réticence initiale du juge à consacrer de façon explicite des solutions exorbitantes du droit commun explique en partie les controverses doctrinales qui dureront jusque dans les années quatre-vingt, période où le juge n’hésitera plus à justifier clairement les pouvoirs de modification et résiliation unilatérale par un fondement extracontractuel supérieur : l’intérêt général.
10La seconde raison à la division de la doctrine sur le sujet de la force obligatoire des contrats tient naturellement à l’enjeu théorique qui sous-tend le débat et qui est celui de l’autonomie ou l’unité du droit administratif et du droit civil des obligations. Il convient à cet égard de souligner le caractère assez partisan des analyses doctrinales successives à ce sujet : alors que, comme nous venons de le souligner, la jurisprudence était particulièrement peu explicite, la doctrine n’hésitera pas à s’appuyer sur quelques décisions d’espèce non significatives, pour en tirer des conclusions aussi tranchées que contradictoires. Ce positionnement idéologique s’explique naturellement par la conception que se fait plus largement chaque auteur de l’autonomie du droit administratif. Sans doute, ce débat imprègne toute la construction du droit administratif, mais il est particulièrement décisif en droit des contrats où le rapprochement voire l’unité avec le droit civil s’imposait de façon plus évidente. De cela découlent des positionnements doctrinaux divergents tant sur l’existence même du pouvoir de modification unilatérale, que son champ d’application et ses justifications. Si l’on embrasse l’ensemble des réflexions menées sur ce pouvoir depuis le milieu du XXe siècle et jusque dans les années quatre-vingt, trois courant doctrinaux peuvent schématiquement être relevés601.
11Le premier courant s’illustre par l’affirmation pleine et entière de l’existence d’un tel pouvoir de modification unilatérale au profit de la personne publique : si l’on doit à Gaston JEZE d’avoir, le premier, chercher à démontrer celle-ci dans sa thèse602, c’est toutefois Georges PEQUIGNOT603 qui systématisera son insertion au sein de la théorie générale des contrats administratifs, comme élément de différenciation fondamentale avec le droit privé. Ce premier courant, assez daté du point de vue historique puisque l’on peut le circonscrire à la seule première moitié du XXe siècle, est clairement sous-tendu par une volonté de démonstration de l’autonomie du droit administratif des contrats. Un second courant, plus nuancé et sans doute le plus en harmonie avec la jurisprudence elle-même, tente de démontrer la conciliation possible de l’existence d’un tel pouvoir avec le principe classique de la force obligatoire du contrat. S’y illustre principalement André de LAUBADERE604 dont la fine synthèse sur le sujet fera date, et peut se retrouver ultérieurement dans la rédaction du Traité des contrats administratifs605, ainsi que plus récemment dans le manuel de Laurent RICHER606. Le troisième courant, auquel on peut rattacher des auteurs tels que Jean L’HUILLIER607, Francis-Paul BENOIT608 ou plus tard François LLORENS609, s’attachera au contraire à démontrer l’inexistence sinon théorique du moins pratique d’un tel pouvoir et l’application pleine et entière du principe de la force obligatoire aux contrats administratifs : ce courant est pour sa part clairement inscrit dans une démarche de démonstration de l’unité du droit administratif et du droit civil des obligations.
12A partir des années quatre-vingt, l’orientation doctrinale comme l’intérêt porté au sujet vont évoluer : la consécration indéniable par le juge de ce pouvoir va balayer l’intérêt du débat sur son existence. Corrélativement, la doctrine se désintéresse progressivement de l’autre versant de ce débat, à savoir la contradiction potentielle entre la force obligatoire du contrat et le pouvoir de modification unilatérale : la tendance majoritaire est de se limiter à relativiser cette contradiction par la faible utilisation pratique de ce dernier. Pourtant, l’argument de la rareté de mise en œuvre nous paraît totalement inopérant : en effet, la nature même de ce pouvoir est de ne devoir jouer qu’en des cas exceptionnels, c’est-à-dire lorsque aucun accord entre les parties ne peut être trouvé, et non de façon systématique. Par conséquent, cette position doctrinale, aujourd’hui largement partagée, aboutit en réalité à un contournement de la question et ne règle en rien la question précise de la conciliation théorique entre force obligatoire et pouvoir de modification unilatérale en droit administratif, et plus généralement celle de sa prétendue exorbitance. Le paradoxe demeure donc celui-ci : d’une part, le juge consacre la force obligatoire des contrats, sur un fondement identique au droit civil, et lui donne toutes ses implications les plus traditionnelles. D’autre part, il admet parallèlement l’existence de techniques qui semblent rentrer en contradiction avec ce principe. Dès lors, la question de l’exorbitance réelle ou supposée du droit administratif à ce sujet nous paraît demeurer intacte et justifie de revenir sur cette controverse, non pas tant pour la résoudre, ce qui ne saurait être fait par notre modeste contribution à cette journée, mais pour envisager l’angle sous lequel elle doit être résolue, ce qui amène à poser trois interrogations.
Exorbitance des techniques ?
13 L’exorbitance de la force obligatoire en droit administratif se manifeste-t-elle par l’existence de techniques de modification non conventionnelle du contrat inexistantes en droit privé ?
14Aujourd’hui dépassée, une première approche de l’exorbitance du droit administratif au sujet de la force obligatoire a souvent été abordée sous l’angle consistant à soutenir que le droit administratif se différencie par l’existence de techniques inédites en droit privé, à savoir le pouvoir de modification unilatérale610 ainsi que la théorie de l’imprévision.
15Cette idée se retrouve abordée sous deux angles différents : tandis que les partisans de l’autonomie du droit administratif des contrats, tel Georges PEQUIGNOT, ont pu longtemps affirmer que l’exorbitance du droit public tenait notamment à l’existence d’un pouvoir de modification unilatérale sans équivalent en droit privé, les auteurs attachés à une certaine unité conceptuelle du contrat ont cherché à minimiser la portée de ce pouvoir par sa faible utilisation. Opposées quant à leurs conclusions, ces deux approches se rejoignent par le fait qu’elles reposent toutes deux sur l’admission que la technique de modification unilatérale est propre au droit administratif.
16Ce premier angle d’analyse nous paraît pouvoir être assez facilement balayé aujourd’hui car il est désormais admis sans difficulté que le droit privé n’ignore pas les techniques de modification unilatérale des contrats611 ; de surcroît, en droit privé comme en droit public, deux catégories de techniques de modification non conventionnelle du contrat peuvent plus exactement être établies.
17La première catégorie regroupe les techniques de modification unilatérale qui conduisent à un bouleversement de l’équilibre du contrat (la modification provoque le déséquilibre contractuel). En droit public, elle concerne le pouvoir de modification unilatérale du contrat que détient la personne publique, dont l’existence est aujourd’hui admise et le régime bien connu, ainsi que le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général. Or, en droit privé, les manifestations de ce pouvoir de décision unilatérale sont également nombreuses et ont été recensées de façon exhaustive par le professeur Xavier DUPRE de BOULOIS612. La faculté de résiliation unilatérale du contrat, pour des raisons indépendantes d’un manquement contractuel, trouve ainsi à s’illustrer abondamment dans le droit de la consommation qui consacre à plusieurs reprises une faculté de rétractation au profit du consommateur, en matière de baux d’habitation ou commerciaux pour lesquels le preneur dispose d’une faculté de résiliation unilatérale, ou encore dans le droit des assurances. De même, le pouvoir de modification unilatérale n’est pas inexistant en droit privé et se manifeste principalement dans le contrat de travail : tout d’abord délimité par la distinction entre modification substantielle et non substantielle613, ce pouvoir est désormais conditionné par la frontière entre la modification du contrat de travail et le changement que l’employeur peut apporter dans les conditions de travail614. En dépit de la terminologie employée par le juge, sous-tendue par l’idée qu’une modification des conditions de travail n’affecte pas le contrat en lui-même, il est admis que cette faculté de l’employeur peut s’analyser comme un pouvoir de modification unilatérale.
18La deuxième catégorie concerne le cas où la modification est décidée ou induite par un bouleversement extérieur qui déséquilibre le contrat et justifie sa modification (le déséquilibre contractuel justifie la modification) : dans ce cas, il ne s’agit pas d’un pouvoir de modification unilatérale au sens strict du terme, mais la technique constitue néanmoins une atteinte potentielle à la force obligatoire du contrat lorsqu’elle est mise en œuvre à l’initiative de l’une des parties pour faire face au refus de l’autre partie de modifier le contrat en raison d’un changement de circonstances. Cette seconde branche renvoie naturellement en droit public à la théorie de l’imprévision reconnue par le juge administratif dès 1916, qui permet au cocontractant dont le contrat a été profondément bouleversé par un évènement extérieur et imprévisible d’obtenir une indemnité lui permettant de poursuivre l’exécution du contrat615. Longtemps cette théorie a été présentée comme marquant, à l’instar du pouvoir de modification unilatérale stricto sensu, l’exorbitance du droit public, en raison de la position de principe radicalement opposée adoptée par la Cour de Cassation en 1876616. Pourtant, sans consacrer directement la théorie de l’imprévision, la Cour de Cassation a considérablement modifié sa position, d’abord par deux décisions de la chambre commerciale617, puis par une décision rendue en 2004 par la première chambre civile618, dans laquelle elle admet qu’un déséquilibre du contrat survenu du fait de modifications imprévues des circonstances économiques justifiait une obligation de renégociation du contrat. Si une telle solution ne peut s’analyser comme une transposition de la théorie administrativiste de l’imprévision, il reste qu’elle aboutit à un résultat très proche. D’où il ressort que la thèse selon laquelle l’exorbitance du droit des contrats administratifs est marquée par l’existence de techniques de modification du contrat bouleversant la force obligatoire et inédites en droit privé ne peut être retenue.
Exorbitance des justifications ?
19 L’exorbitance de la force obligatoire en droit administratif réside-t-elle dans les conditions encadrant les modifications non conventionnelles du contrat et dans la conception qui en découle de la notion même de force obligatoire ?
20Si l’on admet que le droit privé comme le droit public connaissent l’un et l’autre des techniques de modification non conventionnelles des contrats qui peuvent potentiellement affecter la conception classique de la force obligatoire, la question de la spécificité du droit public peut alors se déplacer sur le terrain des conditions à l’usage de ces techniques. En effet, le cœur du droit public, son identité puisque tel est le thème de notre journée, ne réside t-il pas dans l’intérêt général, notion transcendant l’ensemble du droit administratif ?
21Si l’on analyse les conditions requises pour mettre en œuvre la première catégorie de modification non conventionnelle identifiée (à savoir la modification provoquant le déséquilibre), l’intérêt général est de façon incontestable la justification légitimante et la condition jurisprudentielle à l’usage des pouvoirs unilatéraux de l’administration, et ce, en dépit de la crise ou des réserves que la notion peut connaître619. Le juge l’a ainsi consacré à propos du pouvoir de résiliation unilatérale : si dans la décision de principe « Distillerie de Magnac-Laval »620, cette condition n’est pas apparente, les décisions ultérieures en faisant application le rappellent clairement, tel l’arrêt du 2 février 1987 « Sté TV6621 » disposant que « l’administration ne peut ainsi rompre unilatéralement ses engagements que pour des motifs d’intérêt général ». Concernant le pouvoir de modification unilatérale, il est vrai que les décisions du Conseil d’Etat ne font pas mention explicitement de la condition du motif d’intérêt général, mais elle transparaît avec netteté à la lecture des conclusions des commissaires du gouvernement, à l’instar de Bruno GENEVOIS622 rappelant que le pouvoir de modification unilatérale n’est justifié que par les « évolutions des besoins du service public », qui est naturellement une composante de l’intérêt général.
22Ce fondement a été du reste clairement réaffirmé par le Conseil d’Etat dans son rapport consacré à l’intérêt général en 1999, rappelant que « c’est au nom de l’intérêt général que l’administration contractante dispose de certains moyens d’actions unilatéraux, dont le pouvoir de modifier le contrat (…) ou encore le pouvoir de résilier unilatéralement le contrat dans l’intérêt du service »623. Il convient simplement de rappeler ici que cette notion pourra revêtir différentes manifestations car l’intérêt général est généralement apprécié en fonction de l’objet du contrat : le juge pourra ainsi vérifier l’intérêt du domaine dans les contrats d’occupation du domaine public ou encore l’intérêt du service public dans les contrats de délégation de service public et les contrats d’agents publics, manifestations sectorielles d’un intérêt général624.
23On relèvera également qu’une telle situation n’est nullement une caractéristique du droit public français. En effet, dans un arrêt rendu le 9 décembre 1994, la Cour européenne des droits de l’homme625 admet que le pouvoir souverain des états pour modifier et résilier leurs engagements contractuels ne peut être mis en œuvre qu’en raison de la « prééminence des intérêts supérieurs de l’Etat », notion particulièrement voisine de la conception française de l’intérêt général dont l’Etat demeure le garant. De même, le droit américain recèle un pouvoir similaire détenu par l’administration626, appelé termination for convenience, et qui se justifie également par un motif d’intérêt général apprécié au demeurant assez largement par les cours américaines. Ainsi, la reconnaissance des pouvoirs unilatéraux de la personne publique contractante pour un motif d’intérêt général n’est pas une spécificité du régime juridique français mais traduit au contraire une conception générale qui veut que l’Etat dispose toujours en dernière analyse d’un moyen pour faire prévaloir l’intérêt général, y compris dans ses contrats.
24En droit privé, on conviendra sans peine qu’un tel motif d’intérêt général n’est, par nature, pas requis par le législateur ou par le juge pour justifier le recours à des techniques de modification unilatérale. Cela étant, il est discutable d’y voir en soi un caractère de l’exorbitance du droit public. Dans tous les cas, lorsqu’une partie dispose légalement du droit de modifier ou rompre unilatéralement un contrat auquel elle est liée, cette faculté repose sur le fait que la loi lui reconnaît un intérêt légitime dont la supériorité sur l’intérêt de l’autre partie justifie la modification unilatérale. Naturellement, cet intérêt légitime revêt pour l’Etat une dimension et un champ d’application par essence plus large, plus transcendant que pour des parties à un contrat de droit privé, mais cette différence ne nous semble pas marquer une exorbitance du droit public, sauf à considérer que toute intervention de l’Etat est par nature exorbitante puisque l’intérêt général commande toute son action.
25Par ailleurs, il est bien connu que le juge administratif a de longue date627 posé une seconde condition à l’usage par l’administration de ses pouvoirs unilatéraux : le respect de l’équilibre financier du contrat628, qui impose à la personne publique d’indemniser le cocontractant de l’ensemble du préjudice subi par lui du fait de la modification ou de la résiliation unilatérale du contrat. Cette condition nous paraît extrêmement révélatrice de la conception que se fait le juge administratif de la force obligatoire du contrat : pour le juge administratif français, la force obligatoire du contrat ne repose pas nécessaire dans l’intangibilité de chacune des clauses du contrat, mais dans le respect de l’équilibre global de celui-ci. Toute la contradiction potentielle entre force obligatoire et modification unilatérale se résout en fait ici : pour le juge, il n’y pas d’opposition entre les deux, car la modification unilatérale ne peut jamais porter atteinte à cet équilibre financier. Une telle conception est-elle là encore profondément éloignée de celle du droit privé ? Sans doute, la jurisprudence judiciaire révèle assez l’attachement du juge civil à la force obligatoire du contrat comprise comme l’intangibilité de chacune de ces clauses. Néanmoins, il est notable que la notion d’équilibre contractuel n’a jamais été ignorée par les privatistes et fait l’objet aujourd’hui d’un regain d’intérêt manifeste629, de même que l’idée d’une dissociation entre la force obligatoire du contrat et son contenu obligationnel630.
26Concernant la seconde catégorie identifiée de modification non conventionnelle du contrat (la modification justifiée par un déséquilibre contractuel), il est possible de constater que l’admission en droit public et en droit privé de mécanismes d’imprévision ne repose pas sur des fondements opposés. La Cour de cassation, dans la décision précitée du 16 mars 2004, a fondé l’obligation de renégociation du contrat sur l’obligation de loyauté découlant de l’alinéa 3 de l’article 1134 du Code civil. Sans doute, ce fondement n’est pas présent dans la jurisprudence administrative relative à l’imprévision : pourtant, il ne nous paraît pas excessif de considérer qu’en considérant qu’en des cas exceptionnels, le bouleversement profond de l’équilibre du contrat ne peut pas être laissé à la charge d’une seule partie, c’est bien sur l’idée, sinon le principe, de loyauté que le juge administratif a entendu fonder la théorie de l’imprévision631. Cette référence commune à l’idée d’un certain solidarisme contractuel révèle la convergence de l’analyse privatiste et publiciste sur les fondements mêmes de la force obligatoire du contrat632. Si le droit public, par structure, a toujours adopté une conception conciliant autonomie de la volonté et justification finaliste de la force obligatoire du contrat, il est frappant de constater qu’une partie de la doctrine privatiste, avec en tête, Jacques GHESTIN633, dépasse l’analyse purement subjective des fondements de la force obligatoire du contrat pour démontrer sa finalité objective. Cette analyse repose ainsi sur l’idée que l’accord de volonté est nécessaire pour former l’acte juridique contractuel, mais que cet accord est en lui-même insuffisant, car un contrat ne peut revêtir de force obligatoire entre les parties que tant qu’il demeure juste et utile. L’autonomie de la volonté n’est ainsi pas le fondement exclusif de la force obligatoire du contrat, il ne l’est que tant que le contrat s’inscrit dans une finalité objective de justice sociale.
27Il nous semble ainsi que si, par leur objet, le droit public et le droit privé ont organisé dans des conditions distinctes le recours aux techniques non conventionnelles de modification du contrat, ces conditions obéissent à deux logiques qui ne sont pas étrangères l’une à l’autre.
Exorbitance des fondements ?
28 L’exorbitance de la force obligatoire en droit administratif résulte-t-elle enfin du caractère général et indisponible des pouvoirs unilatéraux de l’administration ?
29La réflexion portera ici exclusivement sur les techniques de modification ou résiliation unilatérale. En effet, les mécanismes d’imprévision ont pour particularité de reposer non sur un pouvoir de l’une des parties mais sur un droit reconnu par la juge au profit de l’une d’entre elles : la reconnaissance de ce droit suppose nécessairement l’intervention du juge pour en consacrer le bien fondé. En revanche, concernant les pouvoirs de décision unilatérale, le fondement et la portée exacte de ces pouvoirs mérite d’être recherché.
30Relativement au pouvoir de modification et résiliation unilatérale de la personne publique, la référence par le juge aux « règles générales » applicables aux contrats administratifs suggère la reconnaissance d’un principe général du droit. La terminologie est, il est vrai, particulière et l’on doit convenir qu’elles s’intègrent mal dans les classifications préexistantes des principes généraux du droit. Le professeur René CHAPUS634 constate que la plupart des principes généraux peuvent se regrouper autour des notions de liberté, d’égalité et de sécurité qu’ils assurent à leurs destinataires. Il n’est manifestement pas possible de rattacher le principe de mutabilité à l’une de ces catégories, ne serait-ce que parce que d’une façon générale, ces principes généraux du droit ont comme destinataire l’individu, l’administré ou le citoyen, protégés par ces principes vis-à-vis de l’action administrative, tandis que le principe de mutabilité conforte les pouvoirs de cette dernière, d’une certaine façon au détriment de son cocontractant. Cet auteur distingue cependant une catégorie distincte de principes regroupant, ceux qui se rapportent à des matières déterminées, et souligne « leur moindre généralité », du fait qu’ils « sont consacrés moins comme des principes généraux du droit que comme les principes généraux d’un droit » : il range dans cette catégorie les principes relatifs au statut de la fonction publique, au statut des juridictions, ainsi que les principes relatifs à l’extradition, aux réfugiés, au droit électoral ou encore au droit des concours. Quoiqu’il n’en fasse pas mention, il nous semble possible de considérer les règles générales applicables aux contrats administratifs comme des principes généraux assignés au droit des contrats administratifs. De cela découlent deux caractères essentiels : l’existence dans le silence du contrat ainsi que l’impossibilité pour la personne publique d’y renoncer.
31L’une des caractéristiques essentielles des principes généraux du droit est leur existence sans texte, c’est-à-dire de plein droit : le juge administratif met en alors en lumière une règle supérieure qui s’impose à l’administration même dans le silence des textes. Ce trait se retrouve de la façon la plus nette dans la jurisprudence administrative relative au pouvoir de résiliation unilatérale. Le Conseil d’Etat a ainsi précisé dans la décision « Société France 5 » du 22 avril 1988635 que l’administration peut user de son pouvoir de résiliation unilatérale « alors même qu’aucune disposition législative ou réglementaire non plus qu’aucune stipulation contractuelle n’en ont organisé l’exercice ». Cette précision avait été également exprimée par le Tribunal des Conflits dans sa décision du 2 mars 1987, « Société d’aménagement et de développement de Briançon-Montgenèvre »636 où il a pu juger que le pouvoir de résiliation pour motif d’intérêt général lui appartient « même en l’absence de stipulations contractuelles ».
32Relativement au pouvoir de modification unilatérale, l’on doit considérer également que son existence n’est pas subordonnée à une clause du contrat. Bien que l’arrêt du 2 février 1983 « Union des transports publics urbains et régionaux » ne soit pas explicite en la matière, il est difficile de ne pas suivre Jean-Marie AUBY637 lorsque cet auteur affirme que cet arrêt est nécessairement une consécration du pouvoir de modification même sans texte car « le juge n’aurait pu sérieusement parler de règles générales applicables aux contrats administratifs, s’il avait visé simplement la pratique contractuelle des clauses de modification ». Au demeurant, le Conseil d’Etat a récemment confirmé le statut de principe général du droit et l’existence sans texte de ces deux pouvoirs638.
33Conséquemment à son existence sans texte, le principe de mutabilité ne peut pas faire l’objet d’une renonciation de la part de la personne publique. Cette impossibilité a été exprimée avec la plus grande clarté, relativement au pouvoir de résiliation unilatérale, dans l’arrêt « Association Eurolat et Crédit Foncier de France » du 6 mai 1985639 constatant la nullité d’une clause stipulant qu’un syndicat intercommunal s’interdisait d’user de sa faculté de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général. Dans cette affaire, le commissaire du gouvernement Bruno GENEVOIS640 a déduit comme conséquence directe de l’appartenance du pouvoir de résiliation aux règles générales applicables aux contrats administratifs, l’interdiction pour une personne publique d’y renoncer. Cette solution peut être rapprochée plus généralement de l’interdiction qui pèse sur les personnes publiques de contracter sur un pouvoir de décision unilatérale. L’impossibilité de renoncer à ses pouvoirs s’applique-t-elle également au pouvoir de modification unilatérale ? Bien que la jurisprudence ne l’ait pas affirmé, il nous semble que la solution est pleinement transposable. Ainsi que le souligne le professeur Claude BLUMANN641, « en renonçant à ses pouvoirs, l’administration manquerait indiscutablement à ses fonctions. C’est donc l’idée de compétence qui explique l’illicéité de la renonciation ». Par conséquent, ni le pouvoir de résiliation unilatérale, ni le pouvoir de modification unilatérale, ne peuvent être supprimés par le contrat642, ce qui découle de façon manifeste de leur existence de plein droit.
34Or, force est de constater que le même constat ne peut être fait pour le droit privé ; en effet, en droit privé, l’existence d’un pouvoir de modification unilatérale ou de résiliation découle toujours soit directement du contrat, soit de la loi qui confère un tel pouvoir à l’un des cocontractants. Pour cette raison, ce pouvoir n’a pas d’existence générale pour l’ensemble des contrats de droit privé, mais simplement une existence pour les cas prévus légalement. En d’autres termes, alors qu’en droit public, ces pouvoirs s’inscrivent dans la théorie générale des contrats administratifs, en droit privé, ils restent nécessairement circonscrit à des catégories de contrats spéciaux.
35Par ailleurs, l’impossibilité pour la personne publique de renoncer à ces pouvoirs nous paraît être également une marque de singularité du droit public. Cette impossibilité, qui se rattache à l’indisponibilité des compétences des personnes publiques, marque bien la spécificité du droit administratif : l’exorbitance du pouvoir de modification unilatérale de la personne publique, et partant, la spécificité de la conception administrative de la force obligatoire, ne réside ni dans l’existence même de ce pouvoir, ni dans ses justifications, mais dans son caractère extracontractuel, général et indisponible. Ces caractères révèlent le pendant toujours sous-estimé des prérogatives de puissance publique : l’exorbitance ne découle pas de la seule prérogative, elle éclate dans les sujétions auxquelles sont soumises les personnes publiques et auxquelles elles ne peuvent échapper.
Notes de bas de page
590 Les contributions sur le sujet sont innombrables. Outre celles citées dans l’étude, voir notamment : M. CANEDO, « L’exorbitance du droit des contrats administratifs », in L’exorbitance du droit administratif en question(s), (dir. F. MELLERAY), Colloque de Poitiers des 11 et 12 décembre 2003, LGDJ 2004, p. 125
591 CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, GAJA no 26 ; voir sur ce sujet : G. VEDEL, « Remarques sur la notion de clause exorbitante », in Mélanges MESTRE, 1956, p. 559 ; M-E. ANDRE et J. RAYNARD, « Regards dubitatifs de juristes de droit privé sur la clause exorbitante », in Mélanges GUIBAL, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, 2006, Tome I, p. 783
592 Il en va ainsi par exemple des contrats passés par les organismes de droit privé qui sont qualifiés de pouvoirs adjudicateurs par la directive 2004/18 du 31 mars 2004 et par l’ordonnance no 2005-649 du 6 juin 2005 (Société d’économie mixte, Société privée d’HLM, Organismes privé de sécurité sociale, etc…) qui sont en principe des contrats de droit privé mais doivent respecter une procédure de publicité et mise en concurrence inspirée du Code des marchés publics.
593 Notre analyse porte sur les contrats administratifs stricto sensu, et non sur les contrats publics, compris comme l’ensemble des contrats de droit public ou privé passés par les personnes publiques ; en élargissant l’analyse aux contrats publics, on peut alors inclure comme élément de comparaison entre le droit public et le droit privé, les caractères du régime des contrats publics qui découlent non de l’objet du contrat mais de la présence d’une personne…… publique (telles les règles de comptabilité publique, les règles de compétence, ou encore l’insaisissabilité des biens publics) ; voir à ce sujet : G. CLAMOUR, « Esquisse d’une théorie générale des contrats publics », Mélanges en l’honneur du professeur Michel GUIBAL, Presses de la faculté de droit de Montpellier, 2006, Tome I, p. 637
594 CE, 31 juillet 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges, préc. : où le Conseil d’Etat retient la compétence judiciaire pour un contrat de fourniture passé par une ville « selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ».
595 CE, Sect., 19 janvier 1973, Sté d’exploitation électrique de la rivière du Sant : où le juge retient la compétence administrative pour des contrats passés par EDF au motif qu’ils sont « ?soumis à un régime exorbitant du droit commun ».
596 CE, Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec. 246 ; AJ 1958. II. 282, concl. KAHN, D. 1958.730, note A. DE LAUBADÈRE : « il (le gouvernement) lui appartenait, en tout état de cause, en vertu des règles applicables aux contrats administratifs, et sous réserve des droits à indemnités des intéressés, de mettre fin, comme il l’a fait aux marchés de fournitures » ; CE, 2 février 1983, Union des transports publics régionaux et urbains, Rec. 33 ; RDP 1984.212, note J.-M. AUBY ; RFDA 1984.45, note F. LLORENS : « En disposant que l’autorité organisatrice peut, en cours de contrat, apporter unilatéralement des modifications à la consistance des services et à leurs modalités d’exploitation, que l’usage de cette prérogative peut entraîner une révision des clauses financières du contrat, et enfin que les modifications ainsi apportées ne doivent pas être incompatibles avec le mode de gestion choisi, les auteurs du décret attaqué se sont bornés à faire application des règles générales applicables aux contrats administratifs ».
597 B. PLESSIX, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, Thèse Paris II, Edition Panthéon-Assas, Paris, 2003
598 CE, Ass., 29 juin 2001, Berton, Rec. 296, AJDA 2001.648 ; CJEG 2002. 84 ; Dr. Soc. 2001.948 : « Considérant qu’aux termes de l’article 1134 du code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » ; que l’article L. 121-1 du code du travail dispose que : « Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être constaté dans les formes qu’il convient aux parties contractantes d’adopter » ; que le principe général du droit dont s’inspirent ces dispositions implique que toute modification des termes d’un contrat de travail recueille l’accord à la fois de l’employeur et du salarié ».
599 CE, 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen, S. 1902. III. 17, note M. HAURIOU ; GAJA no 9
600 CE, 11 mars 1910, Compagnie générale française des tramways, Rec. 216 ; D. 1912. III. 49, conclusions L. BLUM ; S. 1911. III. 1, note M. HAURIOU ; RDP 1910.270, note G. JÈZE ; GAJA no 22
601 Nous ne retenons à ce stade de l’introduction que la présentation des discussions doctrinales sur le pouvoir de modification unilatérale, et non sur la théorie de l’imprévision car cette dernière n’a pas véritablement fait débat, vu sa consécration explicite et ancienne par le juge.
602 G. JÈZE, Contrats de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics, Paris, 1936, Tome II, p. 242
603 G. PÉQUIGNOT, Contribution à la théorie générale du contrat administratif, Thèse Montpellier, 1944, p. 363. La volonté de cet auteur de marquer l’exorbitance du contrat administratif s’exprime nettement : les contrats administratifs « loin d’assurer un lien intangible, sont, au contraire, des liens souples qui pourront être modifiés ou déliés par la volonté unilatérale de l’administration » (p. 364), « le caractère que le fait du prince confère au contrat administratif, nous l’avons appelé : « la mutabilité » du contrat administratif, par opposition, à l’immutabilité du contrat en droit privé » (p. 365).
604 A. DE LAUBADÈRE, « Du pouvoir de l’administration d’imposer unilatéralement des changements aux dispositions des contrats administratifs », RDP 1954.36 ; on peut également y rattacher des auteurs comme Jean DUFAU qui cherchera à nuancer le champ d’application général de ce pouvoir : J. DUFAU, « Le pouvoir de modification unilatérale de l’administration et les contrats de concession de service public », AJDA 1955.65
605 A. DE LAUBADÈRE, F. MODERNE, P. DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs, LGDJ 1984, Tome I, no 722et Tome II, no 1167s.
606 L. RICHER, Droit des contrats administratifs, LGDJ, 6e éd., 2008, p. 9 s. et p. 228 s.
607 J. L’HUILLIER, « Les contrats administratifs tiennent-ils lieu de loi à l’Administration ? », D. 1953.87.
608 F.-P. BÉNOIT, « De l’inexistence d’un pouvoir de modification unilatérale dans les contrats administratifs », JCP 1963-I-1775, p. 25
609 F. LLORENS, « Réflexions sur le pouvoir de modification unilatérale du maître de l’ouvrage dans les marchés de travaux publics et privés », Droit et Ville 1984, p. 50
610 Nous adoptons ici une conception globale du pouvoir de modification unilatérale, c’est-àdire un pouvoir englobant celui de résiliation unilatérale, conçu alors comme une modification unilatérale de la durée du contrat. Ce rapprochement peut être discutable dans la mesure où les…
611 Pour une réflexion ancienne sur le sujet, voir notamment : R. DEMOGUE, « Des modifications aux contrats par volonté unilatérale », RTD Civ. 1907.245 ; plus récemment : H. LÉ-CUYER, « La modification unilatérale du contrat », in L’unilatéralisme et le droit des obligations, Economica 1999, p. 47 ; Que reste-t-il de l’intangibilité du contrat ?, Colloque de Chambéry du 28 novembre 1997, Droit et Patrimoine, mars 1998, p. 41s. ; Le droit des affaires en évolution, La modification unilatérale du contrat, Bruylant, 2003 ; Voir sur le sujet, l’analyse complète établie par : X. DUPRE DE BOULOIS, Le pouvoir de décision unilatérale, étude de droit comparé interne, LGDJ, Bibliothèque de droit public, Tome 248, 2006.
612 X. DUPRE DE BOULOIS, Le pouvoir de décision unilatérale, étude de droit comparé interne, op. cit. : sur les facultés de résiliation unilatérale du contrat en droit privé, p. 35 et s. et sur les facultés de modification unilatérale du contrat en droit privé, p. 105 et s.
613 Cass. soc., 8 octobre 1987, Raquin, Dr. Soc. 1988, p. 140, note J. SAVATIER
614 Cass. soc., 10 juillet 1996 (2 arrêts), Vanderdonkt / GAN Vie et Le Berre / Sté Socorem, D. 1996.457, note P. MOUSSY ; Dr. Soc. 1996, p. 976s., obs. H. BLAISE ; JCP 1997. II. 22768, note Y. Saint-Jours. Voir sur la question : M. MORAND, « Propos sur la modification du contrat de travail ou des conditions de travail », JCP 1997, E, chr. 643, p. 147s. ; P.-H. ANTONMATTEI, « Les éléments du contrat de travail », Dr. Soc. 1999, p. 330s. ; J. PELISSIER, « Difficultés et dangers de l’élaboration d’une théorie jurisprudentielle : l’exemple de la distinction entre la modification du contrat de travail et le changement des conditions de travail », Mélanges offerts à P. COUVRAT, PUF 2002, p. 101
615 CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, Rec. 125, concl. CHAR-DENNET, S. 1916. III. 17, note M. HAURIOU.
616 Cass. civ., 6 mars 1876, De Gallifet c/ Commune de Pelissanne, D. 1876. I. 193, note GI-BOULOT ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz 1991, p. 405 no 92
617 Cass. Com., 3 novembre 1992, « Huard », D. 1992, SC p. 85, obs. D. FERRIER, Bull. civ. IV, no 338; RTD Civ. 1993, p. 124s., obs. J. MESTRE ; Cass. Com., 24 novembre 1998, « Chevassus », D. 1999, IR, p. 9 ; Bull. civ., no 277 ; JCP 1999, II, 10210, note Y. PICOD
618 Cass. 1re civ., 16 mars 2004, Société des repas parisien c/Association du foyer des jeunes travailleurs et communes de Cluses, D. 2004, Jur., p. 1754s., note D. MAZEAUD ; Bull.. I, no 86 ; LPA 28 juin 2004, no 128, p. 18, note C. GAVOTY et O. ADWARDS ; RTD Civ. Avriljuin 2004, p. 290, obs. J. MESTRE et B. FAGES
619 Voir par exemple : J.-M. PONTIER, « L’intérêt général existe-t-il encore ? », D. 1998, chron., p. 327
620 CE, Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, préc. : le commissaire du gouvernement en faisait néanmoins état dans ses conclusions.
621 CE, Ass., 2 février 1987, Sté TV6, rec. 28, préc.
622 B. GENEVOIS, concl. sur CE Sect., 9 décembre 1983, SA d’étude de participation et de développement, RFDA 1984.39, p. 44
623 L’intérêt général, Rapport public du Conseil d’Etat 1999, EDCE no 50, p. 279. Cette justification prévaut pour l’ensemble des prérogatives spécifiques du droit administratif, et y clairement présentée comme élément de spécificité du droit public par rapport au droit privé : « L’existence d’un droit public et d’un Etat doté de son propre juge traduit en effet la conviction que l’intérêt général ne saurait être entièrement servi par le droit privé, même si des procédés de droit privé peuvent se révéler conformes à l’intérêt général. C’est au nom de ce seul intérêt que l’administration dispose de pouvoirs exorbitants » (ibid., p. 266).
624 Voir notamment sur ces notions : A. BALDOUS, « L’intérêt du service dans le droit de la fonction publique », RDP 1985.913 ; A. LAGET-ANNAMAYER, « Occupation du domaine public et intérêt général », AJDA 2003. 1201
625 CEDH, 9 décembre 1994, Raffineries grecques Stran c/ République Hellénique, Rec. vol. 301, p. 65 ; DA avril 1995, no 200
626 R. APELBAUM, « Droit des contrats de l’Administration fédérale américaine : aperçu de jurisprudences », ACCP no 9, mars 2002, p. 50 (1re partie), ACCP no 10, avril 2002, p. 71 (2de partie) ; « Le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général dans les marchés publics de l’administration fédérale américaine : the termination for convenience », BJCP no 31, novembre 2003, p. 422.
627 Léon BLUM, concl. sur CE, 11 mars 1910, Compagnie générale française des tramways : « Il est de l’essence même de tout contrat de concession de rechercher et de réaliser, dans la mesure du possible, une égalité entre les avantages qui sont accordés au concessionnaire et les charges qui lui sont imposées… Les avantages et les charges doivent se balancer de façon…… à former la contrepartie des bénéfices probables et des pertes prévues. Dans tout contrat de concession est impliquée, comme un calcul, l’équivalence honnête entre ce qui est accordé au concessionnaire et ce qui est exigé de lui… C’est ce qu’on appelle l’équivalence financière et commerciale, l’équation financière du contrat de concession. »
628 L. VIDAL, L’équilibre financier du contrat dans la jurisprudence administrative française, Bruylant, 2003
629 L. FIN-LANGER, L’équilibre contractuel, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, tome 366, 2001
630 P. ANCEL, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTDC 1999 no 4, p. 771
631 Sur la diffusion de cette notion au droit public des contrats : C. BRECHON-MOULENES, « De la loyauté de l’autorité publique contractante », in Mouvement du droit public, Mélanges en l’honneur de Franck MODERNE, Dalloz, 2004, p. 439
632 Sur le renouvellement de la conception de la force obligatoire, voir notre thèse : La mutabilité du contrat administratif, Thèse Montpellier I, 2004, p. 431 s.
633 J. GHESTIN, « La notion de contrat », D. 1990, chron., p. 147et « Contrat », Dictionnaire de la culture juridique, PUF 2003, p. 276 s. ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle », Mélanges en hommage à F. Terré, PUF-Litec, 1999, p. 603
634 R. CHAPUS, Droit administratif général, Tome I, Montchrestien, 2001, no 124 s.
635 CE, 22 avril 1988, Société France 5, Association des fournisseurs de La cinq et autres, Rec. 157, AJDA 1988.540
636 TC, 2 mars 1987, Société d’aménagement et de développement de Briançon-Montgenèvre c/ Commune de Montgenèvre, RFDA 1987.191, note F. MODERNE.
637 J.-M. AUBY, note sous CE, 2 février 1983, Union des transports publics urbains et régionaux, préc., p. 222 ; dans le même sens : P. TERNEYRE, La responsabilité contractuelle des personnes publiques en droit administratif, Economica, 1989, p. 143 ; F. LLORENS, note sous CE, 2 février 1983, Union des transports publics urbains et régionaux, préc., p. 49
638 Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, Rapport 2008, La documentation française, EDCE no 59, p. 100
639 CE, 6 mai 1985, Association Eurolat et Crédit Foncier de France, Rec. 141 ; RFDA 1986.21, concl. B. GENEVOIS ; AJDA 1985.620, note E. FATÔME et J. MOREAU
640 B. GENEVOIS, concl. préc. sur CE, 6 mai 1985, Association Eurolat et Crédit Foncier de France, p. 24
641 C. BLUMANN, La renonciation en droit administratif français, Thèse LGDJ, 1974, no 51, p. 212
642 L’interdiction d’une renonciation totale n’empêche pas en revanche que ces pouvoirs fassent l’objet d’aménagements par les parties au sein du contrat : en ce cas, le juge recherchera la régularité de la mise en œuvre de la résiliation ou de la modification par la personne publique dans le cadre du contrat.
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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Sébastien Saunier (dir.)
2011