La défense des droits : la présomption de titularité au profit de l’entreprise
p. 151-163
Texte intégral
« Tandis que Raphaël travaillait à ces œuvres qu'il ne pouvait refuser de faire, car elles étaient demandées par des personnages d'importance et parce qu'il aurait compromis ses intérêts, il continuait néanmoins à poursuivre ses travaux, dans l'ordre qu'il les avait commencés au Vatican. Il employait continuellement des auxiliaires qui avançaient le travail d'après ses propres dessins, et il revoyait toujours ce qu'ils avaient fait, se servant ainsi des meilleurs aides qu'il pouvait trouver pour se soulager d'un pareil fardeau. » Giorgio VASARI, Vies des peintres, 15501.
1Depuis des temps anciens les chefs d'œuvre se sont vu assigner un auteur en la personne d'un individu, un artiste, même quand le maître s'était entouré d'une équipe de collaborateurs. Les œuvres qui sortaient de l'atelier étaient présumées de la main de ce maître. Quelques siècles plus tard, quand l'origine de l'œuvre apparaîtra moins certaine, les experts la qualifieront d' attribuée à… ». Mais récemment encore quand une œuvre sortait de la « Factory », cette fabrique artistique, elle était considérée comme une création d'Andy WARHOL, et de nos jours les productions de l'équipe de Jeff KOONS, qui compte plus de cent personnes, sont signées par lui seul2. Le principe, conforme à la tradition française du droit d'auteur, est que derrière l'œuvre il y a un individu, un auteur personne physique. Du reste, le principe a été récemment rappelé avec force par la Cour de cassation3 : « Une personne morale ne peut être auteur ». Cela étant, on constate que dans le domaine du « droit d'auteur économique », selon l'expression de Christophe CARON4, dans les secteurs où les œuvres sont exploitées principalement par des entreprises, une logique commerciale ou industrielle tend à prévaloir et à renverser la règle5. Des dispositions spéciales ont été introduites pour assurer une dévolution automatique des droits de l'auteur à l'entreprise (logiciels6, presse7, publicité8,…). Mais en dehors de ces secteurs d'activité9, l'entreprise qui entend faire valoir des droits sur une œuvre est tenue soit de démontrer qu'il s'agit d'une œuvre collective lui appartenant ab initio10, c'est-à-dire une véritable « œuvre d'entreprise »11, soit de prouver qu'un transfert de droits a bien eu lieu entre l'auteur personne physique, indépendant ou salarié12, et la personne morale exploitante. Cependant les exigences de forme et de preuve d'un transfert de droits d'auteur13 sont particulièrement délicates à satisfaire dans le cadre d'une entreprise. Par ailleurs, rares sont les hypothèses dans lesquelles l'existence d'une œuvre collective est reconnue14. Or il est essentiel que l'entreprise qui exploite légitimement une œuvre puisse lutter contre des tiers contrefacteurs qui pilleraient celle-ci au mépris du droit et de la morale des affaires. Il ne faut pas trop compter sur l'auteur personne physique pour assurer la police des affaires. Il manque soit d'argent, soit de motivation (quand il n'exploite pas lui-même). Pour éviter à l'entreprise d'avoir à apporter des preuves difficiles d'un transfert de droits ou du caractère collectif de l'œuvre, la jurisprudence a institué une présomption de titularité liée à l'exploitation de l'œuvre.
2Le principe a été posé dans les termes suivants : « Il ressort des constatations de l'arrêt, qu'à la date de la reproduction litigieuse la société SMD exploitait commercialement sous son nom les photographies litigieuses ; qu'en l'absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé les clichés, ces actes de possession étaient de nature à faire présumer, à l'égard des tiers contrefacteurs, que la société SMD était titulaire sur ces œuvres, quelle que fût leur qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur 15. » Parallèlement, la directive 2004/48 du 29 avril 2004 attache une présomption du même type au profit de la personne, physique ou morale cela n'est pas précisé, dont le nom est « indiqué sur l'œuvre de manière usuelle »16.
3Mais la présomption ne lève pas toutes les difficultés. Ainsi un arrêt rendu par la Cour de cassation à la veille du colloque « L'entreprise et l'art », le 16 novembre 201617, illustre les difficultés d'application de la règle. Le litige opposait d'un côté une agence de publicité et son client qui avait employé des photographies à un usage autre que celui initialement prévu, et d'un autre côté l'entreprise qui avait fourni les clichés réalisés par son salarié. Cette dernière avait assigné l'annonceur et l'agence de publicité en contrefaçon et réclamé réparation du préjudice patrimonial et moral en résultant, ce qui lui fut accordé par la cour d'appel. Curieusement, la demande de l'entreprise relative au préjudice moral était fondée sur le défaut de mention du nom de l'auteur sur les reproductions et une atteinte au droit de paternité, et les juges d'appel avaient accordé cinquante mille euros de dommages et intérêts à ce titre en expliquant » que la société Gris Line studio est propriétaire des photographies litigieuses, pour être l'employeur du photographe les ayant réalisées, et qu'elle peut donc se prévaloir du préjudice qui résulte de l'absence de mention de son nom sur les reproductions contrefaisantes ». Estimant au contraire « que l'auteur, personne physique, jouit d'un droit inaliénable au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre, de sorte que ni l'existence d'un contrat de travail ni la propriété du support matériel de l'œuvre ne sont susceptibles de conférer à la personne morale qui l'emploie la jouissance de ce droit », la Première Chambre civile casse l'arrêt pour violation de la loi 18. Ces difficultés d'interprétation de la règle prétorienne incitent à interroger les fondements de la présomption (1), ses conditions d'application (2) et son opposabilité (3).
I – Le fondement de la présomption
4Les auteurs du « Traité de la propriété littéraire et artistique » s'interrogent sur le fondement de la présomption de titularité liée à l'exploitation et le qualifient d'« incertain »19. Comment, en effet, interpréter cette présomption ? S'agit-il d'une présomption de titularité initiale - si la personne morale exploite l'œuvre sous son nom on en infère qu'elle l'a sans doute créée 20? S'agit-il plutôt d'une présomption de titularité dérivée - si la personne morale exploite commercialement l'œuvre sous son nom, c'est sans doute parce que l'auteur, personne physique, lui a cédé ses droits ?
5Les décisions peuvent être rendues au visa de l'article L. 113-5 CPI, ce qui semble plaider en faveur de la thèse de la présomption de titularité initiale, mais d'autres arrêts se réfèrent plutôt aux effets de la possession21, voire de l'apparence.
A – L'article L. 113-5 CPI
6C'est souvent en visant l'article L. 113-5 CPI que les arrêts consacrent la présomption de titularité des droits22, article qui dispose que « l'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée ». Dès lors que l'œuvre est exploitée par l'entreprise sous son nom, la jurisprudence en tirerait-elle la conclusion que l'œuvre est collective, qu'elle a été créée « sur l'initiative d'une personne… qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom… », posant ainsi une présomption de titularité initiale au profit de l'entreprise23 ? Une telle interprétation ferait peu de cas des conditions draconiennes auxquelles est soumise la reconnaissance d'une œuvre collective24. Mais il convient de souligner que, tout en conservant le visa de l'article L. 113-5 CPI, la Cour de cassation précise que la règle vaut pour toute œuvre, « qu'elle soit, ou non, collective »25. C'est la raison avancée par la Première Chambre civile pour casser l'arrêt qui a considéré que la société demanderesse « ne justifie pas avoir bénéficié d'une cession des droits de l'auteur, et que, l'objet n'ayant pas le caractère d'une œuvre collective, la présomption édictée par l'article susvisé ne pouvait s'appliquer26. » Le jeu de la présomption ne dépend pas de la nature de l'œuvre.
7Déjà, dans l'arrêt fondateur de 1993, la Haute juridiction prenait soin de préciser que la présomption de titularité valait pour toutes les œuvres « quelle que fût leur qualification »27. Il ne s'agit donc pas d'une présomption d'œuvre collective.
B – La possession
8Une autre explication de la règle repose sur les effets de la possession et sur l'idée, parfaitement exprimée par Messieurs MALAURIE et AYNÈS selon laquelle « le droit s'incline devant le fait, lorsque celui-ci est significatif »28. L'entreprise use en fait des droits de l'auteur ; par ses actes d'exploitation, au vu et au su de tous, elle exerce une possession de l'œuvre29. Ce serait la possession elle-même qui serait protégée30 ou à tout le moins ce pouvoir de fait ferait présumer l'existence du droit possédé. Le raisonnement adopté dans certains arrêts semble reposer sur cette idée : « Attendu qu'il ressort des constatations des juges du fond que l'objet litigieux est en la possession de la société Seprosy qui l'exploite, de sorte que ces actes de possession font présumer, à l'égard des tiers contrefacteurs, que cette société était titulaire du droit de propriété intellectuelle de l'auteur31 ». Les juges font souvent allusion aux « actes de possession » accomplis par l'entreprise en notant leur caractère paisible32 ou non équivoque33, référence aux conditions d'efficacité traditionnelles de la possession34.
9Mais les mécanismes de la possession s'accommodent mal des spécificités d'un objet incorporel comme celui du droit d'auteur et, du reste, dans les arrêts qui s'y réfèrent, il s'agit plutôt d'actes de possession, sous forme de production et de commercialisation, de l'objet matériel auquel est incorporée l'œuvre concernée (boîte à œuf, jupe35, plateau décoré, modèle de tissu, T-shirt36, modèle de vêtement, chaussures37, chaise38…). Ce qui est démontré relève davantage d'actes matériels sur le substrat de l'œuvre que de l'exercice des prérogatives de l'auteur (cession de droits patrimoniaux par ex.). Dans un litige concernant un « buffet Vintage », il a été jugé que « pour bénéficier de cette présomption simple, il appartient à la personne morale d'identifier précisément l'œuvre qu'elle revendique et de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation en établissant que les caractéristiques de l'œuvre revendiquée sont identiques à celles dont elle rapporte la preuve de la commercialisation sous son nom ». A la suite de quoi la cour conclut que « ces éléments sont propres à démontrer que la société Maisons du Monde a divulgué et commercialisé le buffet revendiqué à partir de 2012 et qu'elle bénéficie de la présomption de titularité sur le meuble 'Vintage' »39. Or si la propriété du support et la propriété de l'œuvre doivent être distinguées (art. L.111-3 CPI), le pouvoir de fait exercé par l'entreprise sur l'objet corporel ne devrait pas avoir d'effet sur la détention et l'exercice des droits sur l'œuvre incorporelle. Outre le fait qu'il est bien difficile de concevoir une possession du droit d'auteur40.
C – L'apparence
10La présomption de titularité instituée au profit de la personne morale exploitante pourrait n'être qu'une application de la théorie de l'apparence. L'idée sous-tend le raisonnement du juge lorsqu'il relève que « les établissements Coquet exploitent ostensiblement la gamme Hémisphère sous le nom de la société, laquelle est bien titulaire des droits d'auteur attachés aux articles de table de cette gamme41 ». Du fait de son comportement « ostensible » l'entreprise passe aux yeux des tiers pour le véritable propriétaire de l'œuvre. Une situation juridique imaginaire se forme42. Error communis facit jus… « Il arrive que, fondée sur l'apparence, la croyance erronée dans l'existence juridique d'une situation conduise, dans certaines conditions, à faire prévaloir certains effets de cette apparence sur la réalité juridique », explique la doctrine43. L'apparence soumet le droit au fait et les droits apparents se voient attribuer des effets juridiques44.
11L'apparence est celle qui s'impose aux tiers et la présomption ne vaut qu'à l'égard du tiers contrefacteur. Comme en droit commun, la théorie de l'apparence n'a aucun effet entre le véritable propriétaire et le propriétaire apparent45. Peu importe que le véritable auteur, personne physique, connaisse la réalité des droits, tant qu'il ne se manifeste pas, son silence contribue à maintenir l'apparence aux yeux des tiers.
12La plupart des arrêts insistent sur la limite de l'effet de l'apparence qui est constituée par l'absence de revendication de la qualité d'auteur par une personne physique. La présomption est réfragable et il s'agit, dans cette logique, d'une présomption de titularité dérivée (de cession supposée)46. L'apparence se dissipe dès qu'une titularité différente est revendiquée ou plutôt démontrée. Une revendication de droit moral ne fait pas tomber la présomption puisque ces droits moraux seraient retenus de toute façon par l'auteur personne physique même s'il avait cédé ses droits patrimoniaux à la personne morale47.
13La jurisprudence poserait ainsi une règle de preuve, « une simple présomption de l'homme permettant d'inférer de l'exploitation une titularité initiale ou l'existence d'une cession48 ».
II — La condition d'application de la présomption
14Quelles preuves doit apporter l'entreprise pour bénéficier de la présomption ? Faut-il suivre la cour de Paris quand elle soutient que « dans un contexte de commerce mondial, la présomption de possession de l'œuvre reconnue au profit des personnes morales ne doit être reconnue qu'à la condition qu'elles justifient avoir participé techniquement et financièrement à l'élaboration d'un processus créatif qui leur a permis d'exploiter et de commercialiser le produit sans qu'aucune contestation n'émane des auteurs 49 ». Une telle exigence ne se justifie pas puisque la présomption repose sur des faits d'exploitation de l'œuvre et non sur la participation de l'entreprise à la démarche créative. La cour d'appel de Douai expose plus justement la situation : « une telle présomption… exige de la personne qui entend s'en prévaloir, non pas qu'elle établisse les circonstances dans lesquelles l'œuvre a été créée, mais qu'elle identifie de manière certaine la création revendiquée et qu'elle justifie de la commercialisation de cette création sous son nom ainsi que de la date à compter de laquelle elle a assuré cette commercialisation50 ». Par conséquent encourt la critique l'arrêt de cassation qui censure une cour d'appel pour ne pas avoir recherché si la société n'avait « pas mis au point et divulgué » le logiciel51. Pas plus que sur l'acte créatif, la présomption ne devrait reposer sur la seule divulgation52.
15Quels sont les actes de nature à caractériser l'exploitation qui fonde la présomption? Dans certains cas l'accomplissement d'actes juridiques sera considéré comme suffisant. Par exemple le dépôt d'une demande d'enregistrement d'un dessin et modèle a pu être pris en considération au titre de l'exploitation de l'œuvre53 (mais le dépôt d'une enveloppe Soleau ne suffit pas54). Toutefois, l'exploitation sera plus sûrement démontrée par des actes matériels. On notera qu'il est rare que ces actes soient en relation directe avec l'exercice des droits exclusifs de l'auteur. Une illustration est toutefois offerte par l'arrêt qui a admis que l'exploitation de l'œuvre était suffisamment démontrée par l'exposition et la reproduction éditoriale d'une œuvre d'art par un galeriste55.
16Dans les situations les plus courantes, ce sont des actes de commercialisation du support corporel de l'œuvre dont la preuve est proposée56. La jurisprudence a tendance à se montrer plus stricte, à ne pas se contenter de simples affirmations et à réclamer la présentation d'éléments prouvant l'exploitation effective57 : « la cour d'appel a constaté que la société TRB ne produisait ni factures ni aucun autre élément de preuve propres à établir l'accomplissement par elle-même d'actes d'exploitation des modèles prétendument contrefaits ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef »58.
17Encore faut-il que cette exploitation soit contemporaine des actes de contrefaçon : « cette présomption de titularité suppose, pour être utilement invoquée, que soit rapportée la preuve d'actes d'exploitation à la date des actes de contrefaçon litigieux59 ». En pratique, l'exploitation commerciale est le plus souvent prouvée par des catalogues60 ou des factures61 (parfois les deux)62, par des commandes ou toutes sortes de papiers commerciaux datés...
III – L'opposabilité de la présomption
18La présomption offre un avantage considérable au demandeur dans le procès en contrefaçon, aussi n'est-elle que réfragable pour qu'un déséquilibre trop grand ne soit pas créé entre les parties : « il s'agit d'une présomption simple pouvant notamment être combattue par la revendication du ou des auteurs de l'œuvre et qui ne porte donc pas atteinte au principe de l'égalité des armes entre les parties et de la neutralité du juge posé par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme63 ».
19La présomption n'est opposable qu'au contrefacteur présumé64 ; elle ne l'est ni à la personne qui se revendique auteur, ni à d'autres personnes65.
20Les actes d'exploitation accomplis par l'entreprise ne créent aucune apparence trompeuse à l'égard de la personne physique qui se dit auteur de l'œuvre. Celle-ci ne saurait donc se voir opposer la présomption liée à l'exploitation66. Elle a même le pouvoir de lever le voile de l'apparence et de faire échec à la présomption, mais elle ne le fait que rarement67. Le voudrait-elle qu'elle ne pourrait se contenter d'émettre une revendication sur la création de l'œuvre disputée, il lui faudrait démontrer la réalité de ses droits. Il appartient en effet aux juges du fond « de vérifier que la personne physique qui formulait une telle revendication était bien l'auteur des œuvres litigieuses », selon la formule de la Cour de cassation68. Il ne suffit pas en effet que le créateur, personne physique, soit clairement identifié pour interdire à l'entreprise de se prévaloir de la présomption69. Ainsi quand la société exploitant un site Web entend se prévaloir de la présomption de titularité des droits d'auteur, la contestation introduite par la personne physique qui se prétend l'auteur du site et du logo n'aboutit qu'au prix d'une démonstration de son rôle essentiel dans la conception des différentes versions de la maquette et dans le choix de la version finale, de l'originalité des réalisations graphiques revendiquées, du caractère marginal des contributions d'autres intervenants et du défaut de pertinence de la qualification d'œuvre collective70.
21Par ailleurs, il a été jugé que la revendication de sa qualité par l'auteur devant une juridiction étrangère ne pouvait faire tomber la présomption en faveur de la personne morale71. La réclamation doit s'exprimer devant la juridiction saisie de la question de la présomption. Bref, l'intervention de l'auteur dans ce débat est loin d'être favorisée72.
22La présomption est opposable en revanche au tiers accusé de contrefaçon. Mais celui-ci se défend efficacement en démontrant des actes d'exploitation antérieurs effectués par un tiers concurrent73. Il arrive même que le défendeur invoque à son tour, à l'encontre du demandeur, la présomption de titularité fondée sur l'exploitation. La délocalisation hors d'Europe des fabrications favorise l'apparition de ces situations. Ainsi, une société Anitsa avait assigné la société Fashion B. Air en contrefaçon de deux modèles de jupes qu'elle prétendait dessinés par ses stylistes et fabriqués par un industriel chinois. Constatant que le supposé contrefacteur commercialisait les mêmes jupes fabriquées par le même partenaire chinois, la cour d'appel avait refusé de faire bénéficier la demanderesse de la présomption d'exploitation en dépit des preuves d'usage présentées. La Cour de cassation74 a confirmé l'arrêt en soulignant « que les modèles en cause ont été acquis, auprès du même fabricant chinois et à la même époque, par les deux sociétés françaises qui les ont commercialisés concomitamment sur le marché français, sans qu'il soit justifié par l'une d'entre elles d'instructions précises adressées à la société chinoise pour leur fabrication ». Elle en conclut que « dans de telles circonstances, la société Anitsa ne pouvait se prévaloir d'actes d'exploitation propres à justifier l'application de la présomption de titularité des droits ». Si deux entreprises exploitent les mêmes œuvres, pour faire pencher l'apparence en sa faveur, l'intéressée doit justifier d'éléments démontrant qu'elle est intervenue en amont dans la création de l'œuvre. La présomption de titularité liée à l'exploitation n'est alors d'aucune utilité.
Notes de bas de page
1 G. Vasari, Vies des peintres, préf. M. Rheims, Les Belles Lettres, 1999, p. 287.
2 N. Walravens, L'œuvre d'art en droit d'auteur, Forme et originalité des œuvres d'art contemporaines, Economica 2005, n° 251 et 427.
3 Cass. civ.1, 15 janv. 2015, n° 13-23566,Tridim, D. 2015, 2215, obs. C. Le Stanc. Comp. : CA Lyon, ch. civ. 1 A, 28 mai 2014, n° 13/01422, A. Verchere/Office du Tourisme de Val Thorens, JurisData n° 2014-012522.
4 C. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, LexisNexis, 3e éd., 539.
5 A. Bensamoun, La personne morale en droit d'auteur : auteur contre-nature ou titulaire naturel ? Dalloz 2013, 376.
6 Art. L. 113-9 CPI. Voir par ex. : Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 14-29741, D. 2016, 2141, obs. C. Le Stanc.
7 Art. L. 132-36 CPI. L. Marino, Droit de la propriété intellectuelle, Thémis droit, n° 90.
8 Art. L. 132-31 CPI.
9 Ces domaines seront exclus de la présente étude, comme celui de la production des œuvres audiovisuelles (art. L.132-24 CPI). Sur ce point voir : P. Sirinelli, Propriété littéraire et artistique, Dalloz, 3e éd., p. 175.
10 Art. L. 113-5 CPI : « L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur. » ; P. Tafforeau, Petit Lexique, Droit de la propriété intellectuelle, Droit en poche, Gualino 2016-2017.
11 M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Dalloz, 3e éd., 384.
12 Art. L. 111-1, al. 3 CPI. A. Bensamoun, Les créations salariées : véritable oxymore du droit d'auteur ? Dalloz 2014, 2351 ; La titularité des droits patrimoniaux sur une création salariée : du paradis artificiel à l’artifice du paradis », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, 2011, n° 2210, p. 56.
13 Art. L.131-2 et L131-3 CPI.
14 Voir cependant : Cass. Civ. 1, 22 oct. 1991, sté Tissages Roannais, n° 90-16356 ; CA Paris 14 sept. 2012, Berthelot/Van Cleef (L’Essentiel, n° 10, nov. 2012, n° 157, A. Lucas) : le demandeur, joailler de formation, avait été le responsable de l’équipe de dessinateurs. La cour reconnaît qu’il a bien réalisé les dessins mais que son travail « s’inscrivait dans un cadre contraignant qui l’obligeait à se conformer aux instructions esthétiques qu’il recevait de ses supérieurs hiérarchiques ». Les dessins n’étaient que des « documents préparatoires à la conception des bijoux » et ceux-ci étaient divulgués sous le nom de l’entreprise après avoir été créés « dans le cadre d’un travail collectif associant de nombreuses personnes », sous l’autorité de l’employeur… Confirmation : Cass. Civ. 1, 19 déc. 2013, n° 12-26409 CCE Févr. 2014, comm. 14, C. Caron.
15 Cass. Com. 24 mars 1993, sté Aréo, n° 91-16543 JCP 1993, II, 22085. Plus péremptoire : Cass. Civ. 1, 4 mai 1994, n° 92-16686, Chanel. Voir aussi : Ch. Crim. 24 févr. 2004, n° 03-83541, J.-P. Gaultier, PIBD 2004, n° 790, III, 424. Pour une application aux droits voisins : Cass. Civ. 1, 14 nov. 2012, n° 11-15656, Sté Charly Acquisitions Limited.
16 Art. 5.
17 Cass. Civ. 1, 16 nov. 2016, sté Maetva, n° 15-22723.
18 Comp. : Cass. Civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-10132, SA SDFA qui, reconnaissant l'existence d'une œuvre collective, juge que « la personne physique ou morale à l'initiative d'une oeuvre collective est investie des droits de l'auteur sur cette oeuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral ».
19 A. et H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, LexisNexis, 4e éd., n° 10131.
20 L'article L. 113-1 CPI se trouve visé dans ce cas. Par ex. : CA Paris, pôle 5, ch. 2, 2 mars 2012, n° 10/21374, Sarl Design'Elles…, JurisData n° 2012-007270.
21 C. Bernault et J.-P. Clavier, Dictionnaire de droit de la propriété intellectuelle, Ellipses, 2e éd., p. 404-405.
22 Cass. Civ. 1, 9 janv. 1996, n° 93-21519, Dior ; Cass. Civ. 1, 3 juill. 1996, n° 94-15566, sté IFG ; Cass. Civ. 1, 24 mars 1998, sté Sporoptic Pouilloux, n° 96-11756 ; Cass. com., 20 juin 2006, Céline, n° 04-20776.
23 Cass. Civ. 1, 3 juill. 1996, n° 94-15566, sté IFG : « la personne morale qui divulgue et exploite sous son nom une oeuvre est présumée, à l'égard des tiers contrefacteurs, être titulaire sur cette oeuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur ». Rapp. : CA Paris, pôle 5, ch. 1, 19 janv. 2016, n° 14/10676, SA Riechers Marescot, JurisData n° 2016-001247 ; rapp. : CA Lyon, ch. civ. 1 A, 28 mai 2014, A. Verchere/office du Tourisme de Val Thorens, préc..
24 M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, op. cit., 387 ; N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, 3e éd., 111 s..
25 Cass. Civ. 1, 22 févr. 2000, sté Ateliers Jean X, n° 97-21098 ; Cass. Crim., 24 févr. 2004, Sté Jean-Paul X, n° 03-83541 : « Attendu qu'il résulte de ce texte qu'en l'absence de revendication de l'auteur, l'exploitation de l'oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire, sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l'auteur » ; Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-20776, Céline.
26 Cass. Civ. 1, 22 févr. 2000, sté Ateliers Jean X, préc. .
27 Cass. Com., 24 mars 1993, sté Aréo, préc. ; idem : Cass. civ. 1, 9 janv. 1996, n° 93-21519, Dior.
28 Ph. Malaurie, L. Aynès, Droit civil, Les biens, Defrénois, 481.
29 Cass. Com., 24 mars 1993, sté Aréo, préc. : « ces actes de possession étaient de nature à faire présumer, à l'égard des tiers contrefacteurs, que la société SMD était titulaire sur ces oeuvres, quelle que fût leur qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur » ; Cass. Com., 7 avr. 1998, Y et sté Belles, n° 96-15048 ; CA Paris, pôle 5, ch. 2, 23 nov. 2012, n° 11/18021, SA Coop. SIPLEC,… JurisData n° 2012-030356.
30 A. et H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, Traité, préc., 1031.
31 Cass. Civ. 1, 28 mars 1995, n° 93-10464, sté Thermopac (boîte à oeufs) ; voir aussi : « Attendu qu'en l'absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé l'œuvre les actes de possession de la personne morale qui l'exploite sous son nom font présumer, à l'égard des tiers contrefacteurs, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, quelle que soit sa qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur » : Cass. Civ. 1, 9 janv. 1996, n° 93-21519, Dior (plateau décoré) ; id. : Cass. Civ. 1, 24 mars 1998, sté Sporoptic Pouilloux, n° 96-11756 ; Cass. Civ. 1, 3 avr. 2001, sté Baram, n° 99-15691. Voir aussi : CA Paris, ch. 4, sect. A, 24 sept. 1997, Sté Saint Ys / sté Galeries Lafayette, JurisData n° 1997-023871 (tissu combinant une impression cachemire et des tâches léopard) ; CA Paris, ch. 4, sect. A, 8 oct. 1997, sté Nigal, JurisData n° 1997-024390 (trace lettre).
32 Cass. Civ. 1, 10 avr. 2013, n° 12-12886, SAS Antilles On Line.
33 Cass. Civ. 1, 10 juill. 2014, n° 13-16465, sté Tecni-Shoe ; CA Paris, pôle 5, ch. 1, 27 févr. 2013, n° 11/11787, Sarl My Pant's, JurisData n° 2013-004583.
34 F. Terre, Ph. Simler, Droit civil, Les biens, Dalloz, 180.
35 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 15 janv. 2014, n° 12/09291, SA Chacock Développement, JurisData n° 2014-001709.
36 CA Paris, pôle 5, ch. 2, 30 mars 2012, n° 10/06394, SAS ZV France, JurisData n° 2012-006678.
37 Cass. civ. 1, 10 juill. 2014, préc..
38 CA Paris, pole 5, ch. 1, 23 sept. 2014, n° 12/22790, sté Scandinavian Business Seating AS, Jurisdata n° 2014-024889.
39 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 21 juin 2016, n° 15/00425, SAS Maisons du Monde, JurisData n° 2016-013050. Idem : CA Paris, pôle 5, ch. 1, 12 avr. 2016, n° 14/23137, SAS Sandro Andy, JurisData n° 2016-009606 (modèle de manteau) ; CA Paris, pôle 5, ch. 1, 19 janv. 2016, SA Riechers Marescot, préc. (dessins de dentelle).
40 A. et H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, Traité, préc., 1031; CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 2 juin 2015, n° 14/01233, SA L. Vuitton Malletier, JurisData n° 2015-017835.
41 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 12 janv. 2016, n° 14/02823, SA Et. Coquet,…, JurisData n° 2016-000759.
42 J. Ghestin et G. Goubeaux, Traité de droit civil, Introduction générale, 2e éd., n° 770-771.
43 F. Terre, Ph. Simler, Droit civil, Les biens, Dalloz, 69.
44 J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., 771.
45 F. Terre, Ph. Simler, Les biens, préc. 73.
46 Cass. Civ. 1, 28 nov. 2012, n° 11-20531, sté Serisud.
47 Cass. Com., 20 juin 2006, n° 04-20776, Céline.
48 A. et H.-J. Luas A. Lucas-Schloetter, Traité, préc., 1031.
49 CA Paris, pôle 5, ch. 2, 23 nov. 2012, SA Coop. SIPLEC,…, préc..
50 CA Angers, ch. com. Sect. A, 15 oct. 2013, n° 12/01361, Eric M…, JurisData n° 2013-024291.
51 Cass. Civ., 1, 27 juin 2000, n° 98-13089, sté Informatique et services.
52 L'art. L.113-1 CPI lie certes la qualité d'auteur à la divulgation, et établit une présomption en faveur de celui qui divulgue, mais on sait qu'une personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur, même si elle est parfois investie des droits de l'auteur. La présomption de l'article L. 113-1 est inopérante quand il ne s'agit pas d'une personne physique. Voir cependant : Cass. civ. 1, 16 mars 2004, n° 99-12015, sté HLM de la Guadeloupe ; à propos de dessins de mode, les juges préfèrent souligner qu'ils ont été « divulgués et exploités » par l'entreprise : Cass. civ. 1, 31 janv. 1995, n° 92-21066, Sté Vêtement soleil et pluie.
53 Cass. Com., 17 juin 2003, n° 01-12307, SA La Redoute : « Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a décidé à bon droit qu'en l'absence de revendication de la propriété du dessin par la ou les personnes physiques les ayant réalisés, leur dépôt par la société Marlent faisait présumer à l'égard des tiers contrefacteurs qu'elle en était titulaire, quelle que soit la qualification de l'oeuvre en cause ».
54 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 20 févr. 2013, n° 11/06089, Sarl Avantage Mode, JurisData n° 2013-002827
55 Cass. Civ. 1, 15 févr. 2005, n° 03-12159, Gucci.
56 Cass. Crim. 24/02/04, n° 03-83541, J.-P. Gaultier.
57 Cass. Com. 26 oct. 2010, n° 09-67107, J.M Weston ; Cass. civ. I, 6 janv. 2011, 09-14505, Fashion B Air.
58 Cass. Civ. 1, 6 oct. 2011, n° 10-17018, sté TRB.
59 CA Paris, pôle 5, ch. 2, 2 mars 2012, Sarl Design'Elles, préc..
60 CA Douai, ch. 1, sect. 2, 15 déc. 2011, n°10/08402, SAS Kiabi Europe, JurisdData n° 2011-029862.
61 CA Paris pôle 5, ch. 1, 29 janv. 2014, n° 13/08061, Sarl Comme Lelie/ SAS MAJE…, JurisData n° 2014-001705.
62 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 15 déc. 2010, n° 09/09229, sté Ch. Dior Couture, JurisData n° 2010-025554.
63 CA Paris, pôle 5, ch. 2, 2 mars 2012, Sarl Design'Elles, préc..
64 Par ex. : CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 21 oct. 2014, n° 13/16060, SA B Plus, JurisData n° 2014-028509.
65 Co-contractant, par exemple.
66 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 14 mai 2014, n° 13/08250, Mickaël S./SAS Brands On Air…, JurisData n° 2014-011013.
67 C. Caron, CCE Févr. 2013, comm. 11 ; voir cependant : CA Paris, ch. 4, sect. A, 26 sept. 2007, n° 06/14355, Sarl Agence Enguerand Iliade et a., JurisData n° 2007-347133.
68 Cass. civ. 1, 15 nov. 2010, n° 09-66160, sté Edena.
69 Il ne suffit pas que le créateur soit identifié : CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 20 arsd 2013, n° 11/14436, SA Deveaux, JurisData n° 2013-005847 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 2 juin 2015, n° 14/01233, SA L. Vuitton Malletier, JurisData n° 2015-017835.
70 CA Paris, pôle 5, ch. 1, 14 mai 2014, Mickaël S./SAS Brands On Air…, préc..
71 Cass. civ. 1, 28 nov. 2012, n° 11-20531, sté Serisud, cf LEPI, févr. 2013, n° 002, C. Bernault ; CCE, févr. 2013, comm.11, préc..
72 Dans ce sens : C. Caron, comm. préc..
73 N. Binctin, op. cit., 120 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 31 oct. 2012, n° 11/02298, Sarl PNE, JurisData n° 2012-026026 : « Il appartient au défendeur à l'action en contrefaçon qui prétend combattre cette présomption simple de rapporter la preuve, qui lui incombe, d'une exploitation antérieure des modèles litigieux par une personne morale tierce ». Idem : CA Douai, 15 déc. 2011, Sas Kiabi, préc. : « à défaut pour le défendeur à l'action en contrefaçon de rapporter la preuve d'une exploitation antérieure de celui-ci par une personne morale tierce ».
74 Cass. Civ. 1, 6 janv. 2011, n° 09-14505, sté Anitsa.
Auteur
Professeur émérite à l'Université Toulouse Capitole, Centre de Droit des Affaires (CDA) - Epitoul
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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