La Valorisation des créations par l’entreprise
p. 131-149
Texte intégral
1Le dialogue entre l’artiste et l’entreprise est ancien et riche. A chaque évolution de l’industrie, les artistes en rendent compte dans leurs œuvres, à la fois pour en donner une vision critique mais aussi dans une optique purement représentative. Ils ont dépeint des paysages affectés par les fumées et l’architecture même des usines. Avec le fauvisme, l’industrie est associée aux paysages industriels sombres et brumeux des périphéries des villes. Le travailleur occupe une place centrale au sein des représentations artistiques de l’industrie, l’artiste n’hésitant pas à dénoncer les conditions de travail. A cette intégration de l’entreprise par l’art, il faut ajouter de multiples autres approches où des entreprises s’intègrent dans le paysage et l’identité culturelle d’un pays. Cette volonté est secondée par les architectes qui donnent une dimension artistique et esthétique aux bâtiments industriels. Les artistes se sont particulièrement intéressés à quatre aspects de l’industrie : les infrastructures, les progrès, les travailleurs, et les produits.
2Pour l’art, l’entreprise constitue une source de solutions techniques pour de nouvelles formes d’expression. L’entreprise fournit des innovations aux auteurs, on pense aux travaux sur la chaleur de Klein réalisés dans le département R&D de GDF, aux créations numériques, aux vidéastes, ou encore à l’utilisation de l’impression 3D. Les techniques et grandes innovations industrielles ont ouvert le champ des possibilités artistiques, donnant naissance au le cubisme ou au futurisme notamment. Au travers de leurs œuvres, les artistes apportent un témoignage des avancées technologiques et représentent les progrès industriels. L’art reflète l’innovation. Les artistes représentent successivement l’arrivée du train, de l’automobile puis de l’aéronautique dans la société. Par exemple, les futuristes, fascinés par la vitesse et les moyens de transport et de communication moderne, ont glorifié la puissance d’une industrie. L’art se fait porte-parole des entreprises et de leur dynamisme dans l’innovation.
3L’art propose une vision du monde économique, du monde de l’entreprise, il consomme les solutions qu’elle développe et nourrit l’entreprise pour lui permettre de développer ses activités. L’artiste mobilise aussi les mécanismes de l’entreprise pour organiser et financer son travail créatif1. A partir du XXème siècle, les produits de grande consommation deviennent des œuvres à part entière. L’artiste les empile, les décompose, les revisite.
4Dans ce contexte de dialogue et de complémentarité entre l’art et l’industrie, la question de la valorisation des créations par l’entreprise apparaît comme centrale. L’entreprise, créée pour permettre une activité économique, mobilise des éléments de son environnement pour améliorer son positionnement concurrentiel et soutenir son activité économique. Si elle mobilise des œuvres, il faut comprendre que les œuvres contribuent à cette dynamique économique.
5La notion de création est extrêmement large et il est probablement nécessaire de la préciser pour répondre pleinement au sujet. D’un point de vue de juriste de propriété intellectuelle, la création est le fruit de l’activité intellectuelle humaine, peu importe le régime de propriété, il s’agit d’une désignation du bien intellectuel, de la chose produite par une personne qui crée. Ainsi, la création peut se rattacher au brevet, à la marque, à l’obtention végétale ou au droit d’auteur notamment. Toutefois, dans la logique de la présente contribution, la création s’inscrit dans une acception plus restreinte et renvoie à l’idée d’esthétisme. Dans ce cadre, la création peut encore couvrir de très nombreuses réalités et mobiliser des droits de propriété intellectuelle variés, droit d’auteur, droit voisin, droit de producteur de base de données, droit des marques, ou encore droit des dessins et modèles. Au-delà de cette question juridique, la diversité des créations relevant de ce champ est particulièrement vaste : on inclut à la fois des créations ayant une expression très corporelle, tel le design, la sculpture, ou le graphisme, et des expressions beaucoup plus incorporelles telle la musique, les logiciels, ou les jeux vidéo. Dans tous ces cas, la création artistique peut, ou doit, être mobilisée pour accompagner le développement du produit commercialisé par l’entreprise, voire constituer, en tant que telle, le produit. Le management de l’innovation connaît une tendance forte à l’intégration du design produit en amont de la conceptualisation de ce dernier, ce qui change les conditions de travail tant des designers que des ingénieurs2. Ce dialogue est certainement une première marque de la valorisation des créations dans l’entreprise.
6La notion de valorisation est aussi une notion complexe. La valorisation désigne les actions engagées par un opérateur pour mettre en valeur un bien ou une activité. Le plus souvent, la valorisation est envisagée pour permettre de générer des revenus. C’est probablement le sens, trop restreint, retenu par le législateur lorsqu’il envisage la valorisation de la recherche publique. La valorisation ne se confond pas avec l’évaluation, elle doit aussi être envisagée au-delà de la question des seuls revenus générés. Ainsi, l’entreprise qui mobilise les créations pour construire son image auprès du public, comme d’autres font du sponsoring sportif ou de l’action sociale, participe à la valorisation des créations sans chercher directement à générer un revenu par cette action. La valorisation s’inscrit dans une logique de processus, de moyens mis en action par l’entreprise pour mettre en valeur les créations. L’entreprise qui procède à cette valorisation ne cherche pas nécessaire à connaître la valeur des créations, pas plus qu’elle recherche automatiquement un gain direct attaché à cette opération. Pour autant, dans l’économie de marché, les actions de l’entreprise sont nécessairement guidées par sa nécessité de se distinguer de ses concurrents et attirer vers elle des clients. En ce sens, toute action de l’entreprise, même caritative, voire surtout caritative, tend à s’inscrire dans cet environnement concurrentiel et le besoin d’acquérir et de conserver une clientèle.
7Dans cette optique, les interactions entre art et industries sont constantes. L’influence que peut avoir le monde artistique doit être utilisée par les entreprises comme un véritable outil de communication. Il est un levier de croissance essentiel, facteur de développement économique. En effet, si l’art s’inspire de l’industrie, il affecte également la perception qu’en a le public. Ainsi, adopter une politique managériale de coopération avec le milieu artistique permet aux entreprises d’acquérir une visibilité mondiale. Le produit, rendu plus attractif, permet de toucher des consommateurs toujours plus nombreux et, par conséquent, d’augmenter les ventes et de renforcer l’image de marque.
8La création devient le cœur d’une activité mercantile qui est traditionnellement perçue comme dangereuse pour l’auteur. Dans cet esprit, le droit d’auteur français s’est arrogé la mission de protéger l’auteur, un peu à l’image du consommateur, présumé partie faible au contrat et qu’il faut protéger à la fois contre le marché et contre lui-même. L’auteur connaît des restrictions à la liberté de disposer de son vivant, notamment au travers de l’interdiction de la cession globale des œuvres futures, et même, encore récemment, à cause de mort. La libre disposition du droit de suite lors de la succession de l’auteur n’a été rétablie que par la loi Liberté de création. Les solutions retenues par le législateur sont, à ce titre, parfois étranges car pour protéger l’auteur… on l’expose aux aléas du marché et on le soumet à des délais de paiement qu’aucun autre professionnel n’admet3.
9A la lumière de ces éléments, on propose d’envisager la valorisation des créations par l’entreprise sous deux angles, d’une part, les créations portées par les entreprises (I) et, d’autre part, l’entreprise portées par les créations (II) afin de mettre en avant un double rapport de dépendance qui caractérise cette relation, trop souvent encore présent sous l’angle de « je t’aime moi non plus ».
I – Les créations portées par l’entreprise
10La création a besoin de l’entreprise pour s’épanouir, vivre, se diffuser… On envisage la création dans un rapport de dépendance ou de nécessité à l’égard de l’entreprise. Ce n’est pas une vision utilitariste de la création ni une vision secondaire de celle-ci mais certainement une vision pragmatique du rapport de la création au monde économique. Les auteurs ont besoin de marchés, de clients, pour que leurs créations se diffusent et qu’ils puissent vivre de leur activité. Dans cette logique, des entreprises se sont créés pour appréhender le marché dans une logique créative, la création constitue alors leur cœur de l’activité de l’entreprise (B). Au-delà de ce rapport de dépendance directe entre la création et l’entreprise, où le projet entrepreneurial est totalement porté par la création, on doit constater que les créations sont mobilisées par tous les types d’entreprises (A).
A – Les créations nécessaires à l’activité de l’entreprise
11La mobilisation par l’entreprise de créations pour son activité est une démarche ancienne et qui connaît des applications dans l’ensemble des secteurs. La valorisation des créations par l’entreprise ne dépend pas du secteur d’activité de l’entreprise mais plutôt de la politique de l’entreprise et sa capacité à s’inscrire dans son temps. La production industrielle suppose in fine la vente. Dans la société de consommation du XXIème siècle, la concurrence entre les produits est extrêmement importante. L’esthétique est un élément indispensable, par exemple dans la publicité du produit, et cette considération va jusqu’à dépasser sa fonction utilitaire première, on pense notamment aux produits commercialisés par Apple, dont les caractéristiques techniques sont similaires à celles des produits concurrents et où le design constitue le principal élément différenciant. Les artistes interviennent pour renouveler et dynamiser l’image d’un produit, et, indirectement, d’une entreprise. Ainsi, la soupe Campbell doit en grande partie sa notoriété à Andy Warhol, et réciproquement. Les artistes ont une influence palpable sur la connaissance qu’ont les consommateurs des produits. Ils deviennent un élément de plus en plus clé dans la communication des entreprises.
12L’artiste participe à la création de l’image de l’entreprise. Renault avait demandé à Vasarely de métamorphoser son logo, le sculpteur Joan Rebull a dessiné le flacon de l’Air du temps de Nina Ricci. La SNCF fit appel à Christian Lacroix pour aménager les TGV Est. La Maison Bernardaud, qui a fêté ses 150 ans en 2013, a, quant à elle, lancé une ligne de services d’artistes de renom tel David Lynch, JR, ou Sophie Calle. Le Concorde symbolisait ce lien profond entre industrie et création, il représentait pour le designer une vitrine idéale. La décoration intérieure de l’appareil et les tenues du personnel navigant furent confiées à de célèbres créateurs4. La première cabine du supersonique fut aménagée par Raymond Loewy. L’un de ses élèves, Pierre-Gautier Delaye, la réaménagea en 1988. Andrée Putman créa également une décoration intérieure pour l’avion. Enfin, pour passer le millénaire, le collectif Radi Designers dota le Concorde d’un nouvel intérieur qu’il conserva jusqu’à son dernier vol.
13Les artistes n’ont pas seulement pour fonction de représenter une industrie à une époque; ils peuvent insuffler une nouvelle dynamique à la politique de communication d’une entreprise et participer à sa visibilité. La force publicitaire devient un atout recherché5. Au cœur de la société de consommation, les affiches placardées dans les villes constituent un sujet artistique en tant que tel. Le principal axe de réflexion sur le statut de la publicité est, peut-être, fondé sur l’objet même de la publicité. Certains choisissent d’exclure la publicité de l’art car elle n’a pas pour finalité d’être créative, elle doit avant tout assurer la promotion commerciale d’un produit. D’autres estiment, en revanche, que la publicité peut être considérée comme un art à part entière, en contact permanent avec son public. La création serait l’unique condition de l’art publicitaire.
14À l’image des œuvres artistiques issues de commandes royales, le fait que la publicité soit initiée et commandée par une entreprise ne doit pas faire obstacle à la reconnaissance de cet art. En l’occurrence, Delaunay, Hergé, Man Ray, et bien d’autres, ont réalisé au cours de leur carrière des affiches publicitaires. La publicité intègre l’art grâce à l’esthétique. Par ce biais, les produits se distinguent ; la représentation du produit prend le dessus sur son utilité. Accéder au rang d’œuvre artistique présente un avantage considérable pour l’industrie : la publicité créative et esthétique, dès lors, représente artistiquement l’entreprise qu’elle défend. On pense à Bernard Villemot, l'un des artisans de l'affiche publicitaire et la création d’image pour les entreprises. Les éléments publicitaires en eux-mêmes, que ce soit une bouteille Perrier ou Orangina, sont au cœur de son travail6.
15La théorie de l’unité de l’art laisse, en droit d’auteur, un espace large pour accueillir ces formes d’expression artistique utilitaires et permettre à l’auteur, au service de l’entreprise, de demeurer pleinement auteur au sens juridique du terme. Dans toutes ces hypothèses, l’entreprise sollicite la création, elle l’exploite, elle la rémunère. La création est un élément qui complète l’activité de l’entreprise, la rend plus attractive pour ses clients. La création est portée par l’entreprise, ses projets, ses contraintes aussi. Le créateur s’adapte aux demandes de l’entreprise et cette dernière est mise en valeur par l’apport du créateur. Ce dernier apporte un supplément d’âme à l’offre de l’entreprise sans pour autant influencer directement celle-ci. L’art devient un argument de vente pour l’entreprise, car le produit est plus attractif. En intégrant un artiste à la production, le produit bénéficie d’une véritable plus-value. On ne dénombre plus les partenariats entre artistes et producteurs, tels que la bouteille Coca-Cola dessinée par Jean-Paul Gauthier ou Nescafé appelant Billy The Artist pour décorer sa machine Dolce Gusto.
16La collaboration entre un auteur et l’entreprise suppose essentiellement la maîtrise de solutions contractuelles relevant du contrat d’entreprise et du contrat de cession ou concession de droits de propriété intellectuelle. La création est une commande de l’entreprise, elle rémunère à ce titre de travail de l’auteur. Le contrat de commande est relativement peu encadré par la loi7. La jurisprudence est venue préciser les conditions de son interprétation, notamment quant à l’obligation de divulgation pesant sur l’auteur. Le contrat de commande n’emporte pas transfert du droit de propriété sur le bien intellectuel, il est donc nécessaire que la convention entre l’auteur et l’entreprise arrête aussi les conditions dans lesquelles cette dernière pourra utiliser l’œuvre. On peut prévoir aussi bien une cession qu’une concession, avec toutes les variantes que ces contrats peuvent intégrer8.
17Cette première intégration, importante mais encore limitée, de l’art dans l’entreprise connaît une évolution importante où la création n’est plus portée par l’entreprise, elle devient la cause et leur cœur de l’entreprise.
B – Les créations au cœur de l’activité économique de l’entreprise
18La valorisation des créations par l’entreprise est plus simple à appréhender lorsque l’entreprise a pour activité centrale d’exploiter des créations. Ce secteur d’activité, assez disparate et encore mal étudié, connaît une prise en considération croissante. Il est désigné comme le secteur des industries culturelles et créatives.
19Le concept d’industrie culturelle a été introduit par T. Adorno et M. Horkheimer dès 1947, économistes de l’Ecole de Frankfurt immigrés aux Etats-Unis, dans leur ouvrage La Dialectique de la Raison9. Née de l’analyse critique de la standardisation et de la reproduction de masse des produits de contenu, de la radio, la télévision et du cinéma, la notion d’industrie culturelle trouve un nouvel essor à la fin des années soixante-dix à travers une analyse économique des modalités de production et de diffusion des biens et services culturels, notamment dans les travaux de recherche de B. Miège en France10. L’avènement de l’économie du savoir, la dématérialisation des créations et des échanges ont offert à cette notion une consécration totale et centrale dans l’environnement économique contemporain.
20Faisant l’objet de nombreuses variantes, la définition des industries culturelles est sensible aux changements des techniques de production, de reproduction, de distribution et de consommation des produits culturels. Elle peut cependant être formalisée comme « l’ensemble en constante évolution des activités de production et d’échanges culturels soumises aux règles de la marchandisation, où les techniques de production industrielle sont plus ou moins développées, mais où le travail s’organise de plus en plus sur le mode capitaliste d’une double séparation entre le producteur et son produit, entre les tâches de création et d’exécution »11.
21Dans les années quatre-vingt-dix, le concept d’industries créatives voit le jour, en Australie, puis se développe au Royaume-Uni. Ces industries sont définies comme « toute industrie qui a pour origine la créativité individuelle, l’habileté et le talent et qui a le potentiel de produire de la richesse et de l’emploi à travers la création et l’exploitation de la propriété intellectuelle »12. La notion de créativité est liée à la capacité à générer de nouvelles idées. Si les industries culturelles y font appel tout comme les industries créatives, les premières requièrent également un contenu culturel, artistique ou patrimonial pas nécessairement recherché par les secondes. Si ces deux notions s’appuient sur les droits de la propriété intellectuelle, les industries créatives n’y font pas systématiquement appel. Elles reposent essentiellement sur la créativité et potentiellement sur une image de marque. Au-delà des industries culturelles traditionnellement reconnues, l’édition, le cinéma, la musique, la radio, la télévision et les arts de la scène, la notion d’industries créatives peut inclure les jeux vidéo, l’architecture, le design, la publicité, l’artisanat d'art, la mode ou le tourisme culturel. Des concepts proches, bien que différents, ont émergé ces dernières années tels que les industries de contenu ou les industries protégées par le droit d’auteur (copyright industries).
22Les industries culturelles et créatives, à la fois source de rayonnement et d’attractivité, sont un acteur majeur de l’économie mondiale. Elles participent de l’identité d’un pays et d’un savoir-faire et créent des richesses de plus en plus importantes. Au niveau mondial, l’Unesco s’est ouverte au monde économique en mettant en avant les enjeux économiques complexes attachés à ces industries. L’Union européenne s’est emparée de cette question dès 2010 à l’occasion d’un rapport sur ces industries13. En France, E&Y publie régulièrement un panorama sur les industries culturelles et créatives qui met en évidence le poids économique des industries culturelles et créatives, qui dépasse celui des télécommunications, de la chimie, ou de l’automobile14. Les industries culturelles et créatives constituent un marché d’avenir où l’évolution du monde industriel est nourrie par les arts plastiques. Les industries créatives sont des acteurs majeurs de l'économie de la connaissance. Leur développement rapide est le reflet de la contribution de plus en plus importante de l’économie de l’immatériel à la croissance économique15. Moteur d’attractivité et de compétitivité, les industries culturelles possèdent une des meilleures opportunités de développement économique. Malgré la crise économique de ces dernières années, elles ont su résister et connaissent une croissance dynamique. Ces industries culturelles et créatives génèrent en France un chiffre d’affaires direct d’environ 75 milliards d’euros par an et contribue très fortement à la balance commerciale16. Elles ont pleinement intégré les technologies numériques dans leur fonctionnement et leur offre de services. Elles recherchent des modèles économiques innovants pour répondre au mieux aux attentes et aux comportements du public. Leur dimension internationale fait d’elles un enjeu déterminant pour l’avenir de la liberté d'expression, de la diversité culturelle et du développement économique. Si la mondialisation des échanges et des nouvelles technologies suscite de nouvelles perspectives positives, elle engendre aussi de nouvelles asymétries.
23Les définitions des industries culturelles et créatives varient selon les domaines d’activité que chacun choisit d’y inclure et ce choix a une incidence sur la mesure de l’importance économique et culturelle du secteur mais aussi sur les orientations et la justification des politiques de soutien. Toutes ces approches ont cependant un point commun : l’origine des offres est la création et celle-ci est, d’une part, soumise à des règles industrielles et d’économie de marché et, d’autre part, généralement dépendante des droits de la propriété intellectuelle. La notion d’industrie culturelle et créative recouvre des biens et services issus de modalités de production et de reproduction plus ou moins industrielles. Sont prises en compte les filières industrielles, semi-industrielles et non industrielles pourvu qu’elles donnent lieu à la création de produits mis sur le marché et soumis à un processus de marchandisation leur conférant une valeur marchande. Ces concepts ne se limitent pas au produit en tant que tel ; ils incluent les secteurs d’activité permettant aux biens, aux services et aux activités de contenu culturel, artistique ou créatif d’arriver jusqu’au public et/ou sur le marché : la reproduction et la duplication, le support technique, la promotion, la diffusion, la circulation, la vente et la distribution, etc. En prenant comme référence le cadre pour les statistiques culturelles de l’UNESCO17, les industries culturelles et créatives recouvrent les secteurs d’activité ayant comme objet principal la création, le développement, la production, la reproduction, la promotion, la diffusion ou la commercialisation de biens, de services et activités qui ont un contenu culturel, artistique et/ou patrimonial. Les principales caractéristiques des industries culturelles et créatives sont : l’intersection entre l’économie et la culture, la créativité au cœur de l’activité, le contenu artistique, culturel ou inspiré de la création du passé, la production de biens et de services soumis à la propriété intellectuelle, la double nature, i.e. économique (génération de richesse et d’emploi) et culturelle (génération de valeurs, de sens et d’identité), l’innovation et le renouvellement créatif, une demande et des comportements du public difficiles à anticiper, et, enfin, un secteur marqué par la non-systématisation du salariat comme mode de rémunération du travail et la prédominance de micro-entreprises.
24Au regard de la propriété intellectuelle, le point le plus délicat pour ce secteur réside dans l’absence d’un statut clair pour les créateurs salariés. Ce statut varie d’un régime de propriété intellectuelle à l’autre et d’un pays à l’autre, notamment au sein de l’Union européenne. Dans ces conditions, la dynamique créative des entreprises se trouve affaiblie par une incertitude juridique quant à la dévolution du droit de propriété. Une meilleure protection de l’ensemble des parties, créateurs salariés et entreprise, impose l’émergence d’un statut de créateur salarié pour l’ensemble de l’UE qui permette une réelle circulation des créateurs, un partage des cultures et une sécurité juridique pour l’ensemble des parties, sans qu’il soit nécessaire de distinguer selon les régimes d’appropriation18. Les industries culturelles et créatives mettent en exergue la capacité d'apprentissage dans une dynamique d'innovation et la capacité à détenir, protéger et développer des ressources critiques. Cela implique de faire travailler des talents entre eux, d’où la nécessité de faciliter juridiquement la mobilité des créateurs salariés. Cette économie du savoir met les acteurs créatifs sont au cœur du modèle. Il est important de les connaître et de les mettre en relation les uns avec les autres mais également avec l'ensemble des acteurs pouvant contribuer à une chaîne de valeur ou un écosystème novateur. Le droit de la propriété intellectuelle assure une sécurisation de ces échanges, les facilite, apporte la confiance nécessaire au partage des connaissances comme au partage de la valeur générée par leur agrégation et leur exploitation. Ces industries sont caractérisées par une très forte concentration de capital immatériel et une forte culture du risque de l’investissement en amont. Il s’agit d’une industrie de prototype qui comporte de nombreuses PME et TPE s'intégrant dans un écosystème de relations afin d'emmener l'idée sur le marché. Elles ont un potentiel collaboratif fort.
25Les industries culturelles et créatives sont elles-mêmes dans une phase de bouleversement. Alors que les créations étaient au cœur de leur activité et de leur modèle économique, leur exploitation générant directement les ressources des entreprises du secteur, elles subissent l’émergence d’un autre modèle économique, celui de l’exploitation des données personnelles. Les données personnelles sont au cœur des modèles économiques des grands acteurs qui participent aux industries créatives (Google, Facebook, Amazon, Spotify, Netflix, ...). Ces modèles économiques imposent la mise sur le marché de services « gratuits » financés par les revenus publicitaires. Ces données, puisqu'elles concernent les relations entre les utilisateurs et des œuvres culturelles et artistiques, ont un « caractère intime » pour les entreprises qui les collectent. Les industries culturelles et créatives permettent à l’exploitation de données personnelles classiques reliées à l'identité, au profil de l'utilisateur (nom, prénom, mail, etc) et assurant le bon fonctionnement de la relation client. Elles génèrent des données descriptives des contenus, telles les données de catalogage (pour une chanson, le nom de l'artiste, de l'album, l'année, etc.) mais aussi des données techniques (format, compression, etc.) et des données juridiques (par exemple, les droits de diffusion d'une œuvre). On peut encore prendre en compte des données relatives à des informations générales sur la consommation des contenus (nombre de commentaires, de vues, de lectures, etc.), et des données d'enrichissement (évaluations, paroles, critiques, etc.) parfois fournies par les utilisateurs. Surtout, il est possible de prendre en considération des analyses portant sur des données concernant l'usage, les comportements et les goûts de chaque utilisateur. Elles peuvent être générales (durée en ligne ou fréquence d'achat) mais également beaucoup plus fines (vitesse de lecture d'un ebook), et des données de contexte, comme la localisation d'un utilisateur. Les industries culturelles et créatives se placent grâce à la qualité des données qu’elles permettent de collecter au cœur de l’industrie du big data, de l’industrie des algorithmes prédictifs. Cette évolution perturbe profondément le modèle économique du secteur et les conditions dans lesquelles intervient le partage de la chaîne de valeur. Le droit de la propriété intellectuelle doit alors s’articuler aussi, pour les entrepreneurs, avec le droit des données à caractère personnelle. Dans cette économique de la donnée, des conflits d’intérêts entre les créateurs et les collecteurs/exploitants des données émergent, ces derniers veulent qu’un maximum d’œuvres circule et demeure accessible pour nourrir leurs algorithmes, reléguant les œuvres au rang de produit d’appel, de contenu, ou de simple « carburant » de leur modèle économique.
II – L’entreprise portée par les créations
26Le lien entre l’entreprise et la création, dans une logique de valorisation, peut aussi être pensé dans un sens différent de celui qui vient d’être exposé. L’entreprise peut naturellement être l’initiateur de la création et portée celle-ci. Toutefois, l’histoire de l’art et l’histoire économique montrent qu’il y a une autre mobilisation par les entreprises des créations. La valorisation des créations par l’entreprise prend alors la forme d’une sorte de parasitisme de la création par l’entreprise. L’entreprise est portée par la création. L’entreprise se construit une image avec la création, elle ne la sollicite plus, elle ne l’intègre pas plus dans ses produits et n’en fait pas une exploitation, elle s’appuie simplement sur l’image de la création pour construire sa propre image (A).
27Ce mouvement évident, qui trouve aussi indéniablement un équilibre des intérêts entre les entreprises et les créateurs, peut aussi être dépassé. En effet, si l’entreprise peut mobiliser les créations pour valoriser son image, on constate un autre mouvement, celui de la créativité de l’entreprise portée par les créations. L’entreprise mobilise les créations non plus pour son image mais pour développer sa propre créativité et l’implication de ses salariés. La valorisation des créations prend alors un nouveau tour, l’entreprise cherche à mieux fonctionner grâce à la présence de créations et aux regards de créateurs sur son fonctionnement (B).
A – La construction d’une image de marque : l’œuvre prétexte
28La fondation Electra pour EDF, la Fondation Cartier pour le groupe Richemont, le mécénat culturel Paul Ricard, la fête du cinéma avec la BNP, le salon des métiers d’art soutenu par Vacheron Constantin, la présence des joailliers lors de la biennal des antiquaires, le financement des expositions du Grand-Palais, le mécénat culturel19… Les opérations des entreprises pour financer la diffusion de créations sont nombreuses et ont évidemment pour objectif de participer à la création de leur image. Cette démarche est légitime, et probablement utile pour permettre l’ensemble des présentations évoquées. Toutefois, les créations sont un prétexte à autre chose pour l’entreprise. Elle ne collectionne pas, elle ne finance pas la création, elle s’inscrit dans le sillage de la création pour en tirer un bénéfice spécifique, économique. En investissant dans l’art, l’entreprise améliore l’opinion que le public a d’elle20. Dans cet esprit, la banque HSBC, prise dans quelques affaires délicates, a créé une fondation dédiée à la promotion de la photographie contemporaine, démontrant une sensibilité artistique échappant à l’idée que l’on se fait d’une banque sur sa logique de profit. L’art est un excellent moyen de se démarquer de la concurrence, de s’inscrire dans son temps, de donner du sens et de mettre en avant les valeurs de la marque.
29Nombreuses sont les initiatives culturelles qui subliment l’histoire de la marque. Depuis 2011, la Société Foncière Lyonnaise, à travers son programme artistique Mémoires Contemporaines, valorise son patrimoine en donnant une carte blanche à des artistes pour sublimer un site immobilier avec des œuvres monumentales pérennes. Les Audi Talents Awards mettent en avant le potentiel créatif et innovant de la marque à travers un concours de jeunes créateurs. La marque Electrolux a également su faire la différence en installant pendant deux ans sur le toit du Palais de Tokyo le Nomiya, une capsule éphémère et futuriste, concept d’artiste, invitant à une expérience gastronomique unique. Ainsi, elle a pu toucher une nouvelle cible adepte de l’art contemporain, elle a également bénéficié de retombées médiatiques et a vu sa notoriété s'accroître21. Cette stratégie peut être illustrée par deux exemples plus précis : l’organisation de la Fondation Vuitton et l’accaparement des créations par les réseaux sociaux.
30Le cas de la Fondation Vuitton est particulièrement parlant car il représente la quintessence de l’instrumentalisation de la création au bénéfice de l’image de l’entreprise, en articulant en plus des modèles fiscaux couvrant une partie de l’investissement. La fondation aurait pu être une fondation Arnault et permettre à Monsieur Arnault de présenter sa collection, à l’image de la démarche engagée par Monsieur Pinault en France ou Monsieur Broad aux Etats-Unis. Il s’agit en fait d’une Fondation Vuitton, attachée à LVMH, qui permet d’assurer le financement de l’opération par l’entreprise22 et non l’actionnaire personne physique23. La venue au monde de ce bâtiment de verre et d’acier dessiné par Frank Gehry a été l’objet d’une savante et minutieuse planification médiatique. Une critique dithyrambique et élogieuse fut portée par la presse nationale dont LVMH est l’un des principaux bailleurs de fonds au travers de ses campagnes de communication…et de son propre groupe de presse, jusqu’à faire oublier les quelques voix divergentes et une presse étrangère sensiblement moins emballée. En même temps, durant la Fashion Week, le bâtiment a accueilli, avant même son inauguration, le défilé de Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme de Vuitton. Et, après une campagne de communication consacrée au bâtiment lui-même, une intervention d’un autre artiste a été initiée, Daniel Buren, pour reprendre une nouvelle campagne de communication. Les œuvres, et plus encore le bâtiment en tant que tel, ne sont là que pour nourrir l’image de marque d’une société qui a impérativement besoin de symboles forts pour vendre à prix d’or de la toile cirée avec des coins en cuire.
31Pour les réseaux sociaux, il est évident que l’œuvre est un prétexte pour nourrir le réseau. Un rapport récent de la GESAC24, établi par Roland Berger, montre que 30% des revenus en lignes sont générés par l’exploitation d’œuvres. Les créations sont au cœur du modèle économique des entreprises de la nouvelle économie, Facebook, Google et autre Apple mais ces dernières tentent de s’émanciper de la propriété intellectuelle en qualifiant les œuvres de « contenu » devant circuler sans entrave des propriétaires. Par exemple, pour les moteurs de recherche, l’étude montre que 30% des résultats renvoient vers du contenu culturel dont la moitié renvoie directement à ce contenu. Ainsi, le contenu mis en ligne, sans être exploité directement par le moteur de recherche, génère de l’activité pour ce dernier et contribue à développer ses revenus. L'étude des usages pour Facebook, en France, indique 42% d'actions liées à des contenus culturels, 28% pour de l'accès direct. Toujours pour Facebook en France, l’étude indique 39% des actions de publication et de partage liées à des contenus culturels. Ainsi, les contenus culturels participent directement à 23% de la création de valeur explicite des intermédiaires en ligne en Europe. Dans ces cas, il est aussi évident que la création est un prétexte à d’autres objectifs, la collecte de données pour la vente d’espaces publicitaires ; l’œuvre ne doit que servir l’attractivité du réseau. Le langage est révélateur, on passe des œuvres et de la création au contenu et à son flux… La création est déclassée, elle ne sert qu’à attirer des personnes sur les réseaux afin de pouvoir commercialiser de la publicité et collecter des données personnelles.
32Dans un cas comme dans l’autre, l’utilisation de la création comme prétexte appelle une interrogation sur l'acceptation de ces exploitations et le partage de la valeur générée entre les utilisateurs des œuvres et les créateurs des œuvres. La question est la même pour l’exploitation des œuvres sur Youtube, l’exception de contenu créé par les utilisateurs, l’idée que le moteur de recherche ne serait qu’un intermédiaire qui ne ferait pas usage de ces éléments dans la vie des affaires… La création prétexte engendre une valeur pour l’exploitant qui doit être partagée avec les auteurs. Par exemple, l’organisation d’une grande rétrospective d’un plasticien, avec de nombreux partenaires dont les noms apparaissent partout appelle nécessairement une rémunération spécifique des auteurs dont les œuvres sont présentées au public. Le droit d’exposition25 est le corollaire des actes de communication faits par les financeurs aux travers des expositions pour construire ou nourrir leur image auprès du public.
33La propriété intellectuelle apparaît délaissée, contestée pour nourrir ces nouveaux modèles. Le contrat est une voie essentielle pour permettre aux auteurs de retrouver la maîtrise de leurs biens intellectuels, les actions des sociétés de gestion collective sont aussi impératives pour qu’un rapport de force s’établisse. La démarche est délicate car elle est souvent présentée comme corporatiste et passéiste, alors qu’elle en vise qu’à préserver le droit de propriété et défendre les créateurs face à des utilisations parasitaires de la création. Si celles-ci se font, elles doivent économiquement et directement bénéficier pleinement aux auteurs et propriétaires de biens intellectuels, avec leur accord au-delà de la juste ou équitable rémunération dont on souhaiterait de plus en plus qu’ils se contentent.
B – Les créations comme outil de travail dans l’entreprise
34Les conditions de travail influencent particulièrement la productivité des salariés, tant dans un environnement industriel que dans des sociétés de service. La prise en considération de cet environnement est l’objet d’une plus grande attention des entreprises, pour permettre une meilleure implication des salariés. Dans ce cadre, certaines entreprises ont décidé d’intégrer l’art dans l’environnement de travail. Les bureaux de Google ont été décorés pour favoriser le bien-être de l’employé et augmenter sa créativité et sa productivité. L’art permet d’améliorer l’environnement de travail et d’offrir aux travailleurs un regard sur le monde. Par exemple, Jacques Villeglé avait remporté le concours « Faites de votre entreprise un lieu d’exposition » consistant à impliquer directement les salariés dans l’amélioration de leur cadre de travail par le choix d’une œuvre d’art. Ainsi, les liens entre entreprise et art ne se limitent pas aux actions de mécénat. Inviter un plasticien à une réunion de brainstorming, concevoir des supports publicitaires sur des matériaux originaux, fédérer les salariés à travers un atelier de théâtre, transformer l’usine en lui intégrant des couleurs proposées par un plasticien…
35Le ministère de la Culture français s’est saisi de la question de l’art dans l’entreprise en lançant, en 2014, l’opération « Art & Entreprise - pour mieux conjuguer culture et monde du travail »26, et placer le redressement créatif au service du redressement productif du pays. Le principe est de déployer des mini-expositions de grandes collections nationales dans les entreprises à travers l'Hexagone. Cette initiative modeste constitue l'un des éléments de son plan d'action pour favoriser l'accès des salariés à l'art, mais aussi pour encourager les synergies entre ces deux univers.
36Depuis 2014, les obligations attachées au rapport sur la responsabilité sociale et environnementale portent sur le bien-être en entreprise (au même titre que les risques psycho sociaux). Le bien-être dans l’entreprise passe aussi par l'apport du culturel, outil indispensable au développement de la motivation, de la transversalité, de la fierté d’appartenance, de l’innovation et de la créativité. Une exposition ou une collection d’entreprise peut prendre une forme dynamique et très productive si on l’accompagne d’actions innovantes.
37Les collections de la Société Générale, Neuflize Vie, Loist ne servent pas qu’à décorer les murs. De nombreuses initiatives ont été mises en place : rencontres avec des artistes, conférences d’histoire de l’art, workshops artistiques, journées des talents, acquisitions en comité mixte (salariés et professionnels)... Il y a une tendance à la médiation et à l'interactivité avec les salariés afin de permettre une meilleure appropriation de ces actions. Depuis une dizaine d’années, BNP Cardiff accueille ses nouveaux collaborateurs avec des ateliers de team-building créatifs dirigés par des artistes, au cours desquels ils vont pouvoir réfléchir et s’exprimer sur leur vision de l’entreprise de manière innovante. Ces workshops permettent de réfléchir autrement sur des thématiques managériales et de favoriser la transversalité au sein de l’entreprise. Plus en amont, pour sa campagne de recrutement, Sephora a choisi le mouvement Street Art pour sa communication ressources humaines, renouvelant sa stratégie et s’affichant comme une marque connectée à son époque et proche de sa cible. L’intégration de la création par l’entreprise dépasse la seule question du mobilier design pour entrer plus profondément dans son fonctionnement. Dans ce cadre, la valorisation de la création se traduit dans le fonctionnement même de l’entreprise. Les œuvres se retrouvent mobilisées par l’entreprise, il appartient à cette dernière de s’assurer que les auteurs sont effectivement rémunérés pour ces formes d’exploitation de leurs créations.
38Renault27 avait ouvert ses portes à Arman dès 1967. « Motivé […] par un sentiment ambivalent de sidération et de rejet vis-à-vis de la société de production de masse »28, il avait saisi cette opportunité de pouvoir directement puiser son inspiration dans une usine. Cette dernière devient son nouveau « palais » ou son « magasin de couleurs »29. Grâce à cette mise à disposition des infrastructures et des matériaux, Arman a réalisé, par exemple, Murex, accumulation Renault n° 103. Dans la même démarche, l’entreprise avait ensuite accueilli dans ses espace Jean Dubuffet qui développa de nombreuses collaborations. Un département spécial, « Recherches. Art et Industrie », avait été fondé pour accompagner une étroite collaboration entre Renault et ces artistes. La démarche, développée de 1967 à 1985, était à la fois ambitieuse et pragmatique. Renault mettait à disposition des artistes un soutien technique, logistique et humain. Arman développa son art à partir d’objets issus de la vie contemporaine et accepta de travailler dans les usines Renault. Au cœur de la technique, il découvrit de nouvelles formes et des matériaux inédits. Cet atelier de création à grande échelle ouvrait la voie à d’autres collaborations aussi fructueuses qu’inattendues : fourniture de pièces automobiles pour les expansions de César, expertise des ingénieurs de Renault pour répondre aux interrogations techniques de Vasarely ou Dubuffet, approvisionnement de Rauschenberg ou de Tinguely qui ironisent sur les débris de la société industrielle30… L’entreprise mettait à la disposition de l'artiste un espace dédié dans son atelier mais aussi les moyens humains et matériels nécessaires à son travail. Elle l'assistait sur toute la partie ingénierie, en retranscrivant ses besoins d'un point de vue technique.
39En demandant des réalisations complexes, l’artiste pousse l’entreprise dans ses retranchements, ce qui stimule l'esprit de créativité des équipes, obligées de réfléchir davantage pour trouver des solutions innovantes, dont l’entreprise pourra s’inspirer par la suite31. Le rapport entre l’art et l’entreprise prend alors le chemin d’un cercle vertueux de collaboration.
40Paris, le 14 décembre 2016
Notes de bas de page
1 X. Greffe, L’artiste-entreprise, Dalloz 2012.
2 F. Mayssal et A. Barthélemy, Design et Brevet – Quand l’innovation passe par le design, rapport, éd. INPI 2011.
3 Voir N. Binctin, « L’auteur entrepreneur », Mélanges M. Germain, LexisNexis-LGDJ 2015, p. 113.
4 Les costumes du personnel navigant sont également conçus par les plus grands créateurs de la mode française Carven, Christian Dior, Balenciaga, Nina Ricci, Jean Patou, et Christian Lacroix.
5 P. Courault et F. Bertin, Objets de pub, la réclame objet d’art, Ouest-France, Rennes, 2001, p. 10.
6 Outre Perrier et Orangina pour laquelle il a fait 25 créations en 35 ans, on peut citer la Gitane de 1958, l’Emprunt, 1964, la campagne Air France, 1967, ou encore Bergasol, 1976.
7 Voir notamment, S. Denoix de Saint Marc, Le contrat de commande en droit français, Litec, 1999, coll. IRPI, t. 19.
8 Voir N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, 4ème éd. LGDJ 2016, n° 998 et s.
9 Th. W. Adorno, M. Horkheimer, La Dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, Gallimard 1983.
10 Voir notamment B. Miége, Les Industries du contenu face à l'ordre informationnel, PUG, 2000 ; Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, PUG, 2e, éd. 2004.
11 Unesco, Guide pour le développement des industries culturelles et créatives.
12 http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/images/Comment_utiliser_ce__guidePDF.pdf
13 Commission Européenne, Livre vert - Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives, COM/2010/0183 final ; voir aussi, Parlement Européen, Rapport sur une politique communautaire cohérente pour les secteurs de la culture et de la création, 30 nov.2016, 2016/2072(INI).
14 Rapport E&Y, 1er panorama des industries culturelles et créatives, « Au cœur du rayonnement et de la compétitivité en France », Novembre 2013.
15 Voir notamment, M. Lévy et J.-P. Jouyet, L'économie de l'immatériel : la croissance de demain, 2006, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/064000880/
16 Dans le peloton de tête des industries culturelles, les arts visuels représentent 21,4 milliards d’euros de revenus directs. Ils sont suivis par la publicité et communication (14,4 milliards d’euros), la télévision (12,7 milliards d’euros), la presse (11,3 milliards d’euros) et la musique qui pèse 7,9 milliards d’euros.
17 http://www.uis.unesco.org/culture/pages/framework-cultural-statisticsFR.aspx?SPSLanguage=FR
18 Voir La construction européenne en droit des affaires : acquis et perspectives, LGDJ 2016, p. 73.
19 Voir la contribution de J.-M. Décaudin.
20 Voir J. Tirole, Economie du bien commun, Puf 2016.
21 Voir aussi la Fondation d’entreprise B. Braun Médical qui met en place une exposition artistique itinérante dans les hôpitaux français afin d'améliorer les conditions de vie des établissements de soin. Chaque année, une carte blanche est donnée à 10 plasticiens sur un thème défini afin de sensibiliser les différentes cibles : patients, personnel hospitalier, presse et grand public.
22 http://www.centre-francais-fondations.org/annuaire-des-fondations/1002
23 Sur les intérêts fiscaux du montage, voir notamment la contribution de A. de Bissy.
24 Roland Berger, Le poids des biens culturels pour les géants du net, rapport pour la GESAC, sept. 2016, https://www.rolandberger.com/gallery/pdf/Report_for_GESAC_Online_Intermediaries_2015_Nov_EUR.pdf
25 Voir N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., n° 166 et s.
26 http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Discours/Conference-de-presse-Art-entreprise-pour-mieux-conjuguer-culture-et-monde-du-travail
27 https://group.renault.com/passion/art-et-lifestyle/la-collection-d-art/
28 F. Bousteau, Arman au Centre Pompidou, Beaux-Arts Editions, 2010, p. 26.
29 F. Bousteau, op. cit., p. 26.
30 Voir aussi la PMI Henriot-Quimper ouvre son usine à des peintres et des sculpteurs ; la société France Lanord et Bichaton, PMI dans la maçonnerie et la menuiserie en Meurthe-et-Moselle, qui a accueilli en 2014 en résidence une plasticienne.
31 www.chefdentreprise.com - "L'art, un moyen efficace pour développer son business"
Auteur
Professeur agrégé des Facultés de Droit, Université de Poitiers
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