L’entreprise créatrice :
Le cas des produits télévisuels
p. 109-129
Texte intégral
Mon intervention se propose d’analyser la question des formats télévisuels, un produit d’entreprise créative des plus attractifs sur le plan économique, mais dont la protection par le droit d’auteur en Espagne a mis en évidence, me semble-t-il, certaines faiblesses du système.
I – Pourquoi des formats ?
1La pertinence d’aborder la question des formats lors d’une rencontre consacrée au rapport entre droit d’auteur et Entreprise peut être objectivée par trois aspects :
- Premièrement, parce qu’en tant qu’objet d’une industrie (télévisuelle), son importance économique est indéniable (combien coûte actuellement l’acquisition du format d’un programme au succès assuré tel que « Gran Hermano », la version espagnole de Big Brother ?).
- Deuxièmement, parce que la tentative de protéger ce format par le droit d’auteur a été une constante dans tous les pays (européens et américains), durant les 30 ou 40 dernières années, avec un résultat plutôt incertain.
- Et, troisièmement, parce que sa prise en compte dans les litiges en matière de droit d’auteur, a conduit les tribunaux à s’interroger sur la possibilité de protéger par le droit d’auteur un produit dont l’originalité réside surtout dans son contenu, et non pas tant dans sa forme. Une question classique pour les systèmes continentaux (tel que l’espagnol ou le français) mais toujours passionnante, car elle nous renvoie à la difficulté d’identifier à quel stade une « idée » devient suffisamment concrète pour que l’Ordonnancement juridique consacre un droit exclusif sur elle, mettant ainsi un terme à sa libre utilisation ou imitation.
II – Qu’est-ce qu’un format télévisuel ?
A – Éléments de définition de la notion de format
2D’un point de vue générique, le format télévisuel1 est le squelette d’une œuvre télévisuelle. Il est le corollaire de l’argument dans l’œuvre audiovisuelle2
- Toutes les productions télévisuelles ne possèdent pas un format : on dira difficilement de la diffusion télévisuelle d’une représentation théâtrale, par exemple, qu’elle répond à un format déterminé.
- Les productions télévisuelles ne sont pas les seules à avoir un format : mon intervention porte sur l’analyse du format télévisuel, mais, compte tenu de ses liens avec les programmes sérialisés, la notion de format est généralement présente dans tous les domaines de la radiodiffusion.
B – Définitions juridiques
3D’un point de vue légal, le format n’est pas réglementé3. Pourtant, les transactions commerciales (vente ou licence) ayant pour objet les formats télévisuels représentent un volume financier colossal4.
4C’est peut-être pour cette raison que la jurisprudence, interprète juridique le plus ancré dans la réalité, n’a pu rester étrangère à la nécessité de faire évoluer ce concept juridiquement. Ainsi, dans son arrêt du 22/10/2014 (RJ 2014/6139) –l’un des 2 seuls arrêts rendus par elle en matière de format-, la Cour de cassation espagnole, qui précise s’être appuyée sur des propositions doctrinales, définit le format, notamment télévisuel, comme « l’ensemble d’éléments techniques et intellectuels destinés à la réalisation d’un programme de télévision diffusé périodiquement, à partir d’une structure narrative, de personnages et d’éléments scéniques communs à toutes les émissions et généralement énoncés dans un document écrit ».
5En dehors de ces deux affaires, les rares tentatives de réglementation connues émanent de l’industrie télévisuelle elle-même5.
C – Les types de formats selon le marché
6Le marché des formats télévisuels reconnaît essentiellement deux types de formats, issus de l’utilisation habituelle et répertoriés au Registre international créé par la FRAPA (Format Recognition and Protection Association), un groupe de pression international en faveur de la protection des droits sur les formats. Depuis sa création en 2000, cette structure internationale a instauré un registre international et propose son arbitrage pour le règlement des litiges en matière d’infraction.
7Conformément aux usages du secteur, le guide des usagers diffusé par la FRAPA fait la distinction entre le paper format et le tv-format. Tous deux interviennent dans le processus de création du programme télévisuel, bien qu’à des étapes différentes. Le format dit « paper format » est un texte détaillé comprenant une description générale du projet d’émission, son contenu, sa structure et son style. Il est présenté au producteur afin qu’il puisse en étudier la faisabilité et prendre une décision quant à son acquisition en vue de la réalisation de l’œuvre audiovisuelle. Le format dit « tv-format », en revanche, est composé de la somme des connaissances acquises tout au long du processus de production du programme télévisuel. Il permet à tout autre producteur de réaliser, sur n’importe quel territoire, ce même programme originairement produit ailleurs. GONZÁLEZ GOZALO parle de « recette pour la création d’une nouvelle version du programme, à partir de l’expérience acquise lors de sa réalisation en un autre lieu »6.
8En dehors de la FRAPA, il ne fait plus aucun doute pour les industries nationales ou locales que la protection des formats passe par l’établissement de listes de formats plus ou moins officielles. On a donc encouragé la création de registres, dissemblables quant à leur valeur et leur rayonnement, par différents organismes ou entités. Afin de filtrer l’accès, la première tâche de ces registres a consisté à définir le concept de « format » afin de le délimiter. Mais, dans l’ensemble, la définition du format retenue est suffisamment large pour permettre l’enregistrement (quel qu’il soit) du plus grand nombre possible de documents (avec un degré variable d’aboutissement ou de mise en forme). Il y a certes des nuances, mais le format y est en général décrit comme une sorte de « notice d’utilisation » d’un programme, sans guère plus de précisions ou d’exigences.
- Safecreative (http://www.safecreative.org/)7 : Registre privé en ligne de formats, de niveau international, doté d’un menu « outils » permettant à l’utilisateur de connaître les exigences minimales requises pour un format. Elles sont définies ainsi : « Description d’un programme, mécanique, ambiance, scénographie, costumes, chorégraphie, musicalisation, exemple de plan de production, pouvant inclure des documents, des annexes ou des exemples : scénarios, conducteurs, documents de production, musiques de générique, titres, etc ».
- Registre (national) des Formats, crée en 2011 au sein de l’Académie des Sciences et des Arts de la Télévision : l’art. 1 de son Règlement définit le format comme l’ensemble d’idées, de structures et de détails essentiels qui structurent avec précision le contenu d’un programme ou d’une série de programmes. Il ajoute que le « format enregistrable d’un programme de télévision » est celui qui peut faire l’objet d’une « description détaillée relatant la succession de caractéristiques, d’idées, d’images, de sons, et les éléments significatifs et différenciateurs qui vont façonner l’œuvre audiovisuelle correspondante ».
9Par ailleurs, les diverses Catégories de Productions télévisuelles utilisent des Formats différents (à des Degrés de Mise en forme très divers) en raison de la Nature technique même du programme.
10Ainsi, elles sont presque toutes des œuvres télévisuelles de format, qu’elles soient unitaires ou sérialisées.
11Dans le cas des unitaires, le format se confond souvent avec le synopsis (outline).
12Parmi les œuvres sérialisées, on peut distinguer les fictions (séries), les émissions d’information, de divertissement, de vulgarisation sans intervention d’un public, et les autres (concours, talk shows).
- La spécificité des œuvres télévisuelles appartenant au genre fiction, pour ce qui est du format, est que ce dernier prédétermine la quasi-totalité de l’œuvre. C’est un format qui peut atteindre une élaboration assez précise.
- Les émissions d’information se caractérisent habituellement par la concision de leur format, étant donné que, dans leur très grande majorité, il s’agit d’une transmission d’information qui n’est pas pré-ordonnée exactement par le format. Le format y est beaucoup plus succinct que dans les œuvres de fiction et, dans le jargon technique, il est basé sur de simples « notes écrites » relatives au séquencement horaire des interventions, que l’on appelle « conducteurs ». L’existence d’un format est malgré tout reconnaissable (plateau, couleurs, éclairage, ordonnancement de sections, insertion d’un éditorial ou de paragraphes de commentaires d’actualités, etc.). Certaines émissions d’information ont cherché à singulariser leur format en imposant dans les reportages un type d’interviews ou de prises de vues particulier (p. ex. : les reporters en mouvement de « Madrid Directo »).
13Toutefois, aux termes du jugement de la Chambre Commerciale Nº 8 de Madrid, du 9 mars 2011 (Affaire « Carrusel Deportivo » vs. « Tiempo de Juego »), il faut rejeter l’idée de protéger par la propriété intellectuelle des « formats de programmes destinés à la diffusion d’informations, sur le fondement que leur contenu est la transposition narrative d’un fait d’actualité survenu dans la réalité, donc en soi accessible à une majorité de personnes ou à l’ensemble de la société ». La Chambre s’est basée sur le fait que la « valeur ajoutée d’une prestation de retransmission d’un fait d’actualité public ne réside pas dans le format du programme à partir duquel elle est faite », mais dans des éléments tels que la contribution très personnelle du professionnel qui le raconte, son savoir-faire, son talent, la qualité des autres intervenants, y compris des éléments aussi collatéraux que l’orientation politique s’il s’agit de bulletins d’information générale, etc. D’où la nécessité de se demander si le format mérite une « protection juridique aussi contraignante que celle qu’implique la propriété intellectuelle ».
- Dans la catégorie dite « séries de divertissement et de divulgation sans intervention d’un public » (n’appartenant pas au genre dramatique), nous trouvons les émissions, par exemple, de cuisine, de bricolage ou de jardinerie, qui sont à mi-chemin entre l’œuvre de fiction sérialisée et le talk show. En général, elles se déroulent sans intervention du public et, de plus, avec peu d’interaction. Elles sont habituellement construites autour de l’activité d’un personnage (animateur ou présentateur) qui monologue, sur la base d’un scénario plus ou moins improvisé (p. ex. : la description d’une activité). Ce type de programmes a indéniablement un format, comparable à ce qui se fait dans les séries de fiction, tout en étant moins prédéterminant. N’oublions pas que l’originalité de ce type d’œuvres est souvent fortement amoindrie par des éléments typiques et autres lieux communs de la thématique traitée, qui sont présents dans tout programme de ce genre (lieu ou espace, début et fin, etc.).
- Enfin, la catégorie qui engloberait Talk-shows, concours, Reality shows…, est composée de séries dans lesquelles le format est continuellement enrichi par la contribution personnelle des intervenants, à chaque épisode ou émission (candidats, invités aux débats, etc.). Leur contribution pèse de manière décisive sur le format du programme. Il en résulte qu’une énorme part de chaque émission est basée sur un matériau étranger à l’intervention du créateur du format, des scénaristes, etc.8
14Tout ce que nous venons de voir (avec toute cette typologie), c’est du « format ». Est-ce que tout est protégeable (ou non protégeable) par le droit d’auteur, et de la même manière ?
III – Protection du format télévisuel par le droit d’auteur
A – Intérêt
15L’instauration d’une protection du format télévisuel par le droit d’auteur est surtout et avant tout intéressante pour l’auteur du format en question. Elle consolide sa position puisqu’elle en fait l’unique cédant possible de droits exclusifs face au producteur intéressé par la création d’un programme basé sur ce format. Il s’ensuit que si cet auteur venait à apprendre qu’un concurrent prépare un programme dont le format n’a pas été dûment mis sous licence conformément à la législation du Droit d’Auteur, il pourrait l’attaquer en justice pour plagiat. Il n’aurait pas besoin d’attendre la diffusion du programme, comme c’est le cas avec la protection par le Droit des Marques ou le Droit de la Concurrence. Il peut poursuive en amont.
B – Difficultés
161) Les éléments constitutifs du format ne sont pas toujours individuellement protégeables par le droit d’auteur. Le titre du programme, les noms de ses personnages, la musique du générique le sont. Ils le sont d’ailleurs, comme cela est souvent le cas, tant par le droit d’auteur que par le Droit des Marques. Cependant, certains éléments du format ne trouvent pas leur place dans le Droit de la Propriété Intellectuelle (schéma d’organisation, chronogramme d’exécution, conception du plateau, espaces fictifs de déroulement d’une intrigue9, accroches10…).
17Cela déplace la question vers la possibilité de reconnaître le format, dans son ensemble, comme une œuvre protégeable. Ce qui a été admis, en suivant une logique semblable à celle de la protection des logiciels par la Loi sur la Protection Intellectuelle espagnole ; il est en effet possible d’affecter une singularité à chaque logiciel, une singularité que se manifeste dans la solution ou l’effet obtenus par le programme11.
182) Comment appliquer au format la théorie classique de « l’originalité dans la forme d’expression », de manière à le protéger par le droit d’auteur ? En premier lieu, ce sur quoi les intéressés réclament une exclusivité c’est précisément le contenu du document que contient le format, plus que sur son extériorisation. Cela nous rapproche dangereusement de la limite de vouloir protéger des idées, ce qui n’entre pas dans le cadre du droit d’auteur. En second lieu, comme nul ne peut pas dire qu’il existe une formule de format fixe, ainsi que nous l’avons vu, son contenu est très variable, avec différents degrés de mise en forme. Et il faut bien avouer que certains formats ne demandent qu’une élaboration peu ou très peu détaillée. Dans l’hypothèse d’une protection par le droit d’auteur, est-ce que tous les formats seraient protégeables ou seulement certains… ?
19Nous verrons qu’en Espagne, les tribunaux ont articulé un double discours : la protection du format en tant qu’œuvre, dans l’absolu ; et la protection de « ce » format-là (le litigieux), comme cas particulier, par rapport à un autre format similaire ou à tous les autres formats. Presque tous les jugements ont fini par accepter la protégeabilité du format, dans l’absolu, par le droit d’auteur. Mais, dans ce cas concret, face à un conflit né d’un format non protégé par une licence, los tribunaux espagnols n’ont presque jamais admis l’existence d’un plagiat entre les formats analysés.
C – Et s’il était une œuvre, de quel type d’œuvre s’agirait-il ?
20Si nous devions a priori « caser » le format télévisuel dans un objet protégé par le droit d’auteur, de quel type d’œuvre dirions-nous qu’il s’agit ?
- En tant que document écrit, il s’agirait d’une œuvre littéraire12.
- Eu égard à son caractère préparatoire de l’œuvre télévisuelle, certains ont suggéré de lui attribuer une protection analogue à celle de l’argument ou du scénario de l’œuvre audiovisuelle (Voir le Jugement de l’Audience Provinciale de La Corogne, Sc 4, du 31/07/2010). Ce à quoi il a été répondu en lui opposant un degré de prévisibilité différent dans le format et dans l’argument13. Toutefois, la décision de l’Audience Provinciale de Madrid, Sc 28, du 2/07/2009, affaire Epílogo) a établi que « dans le cas d’émissions de variétés, jeux, concours ou autres, où dans certains cas le programme peut être considéré comme une œuvre audiovisuelle et « son format », sous certaines conditions, est une « œuvre » à l’instar de l’argument ou du scénario ». Le récent arrêt rendu par la Cour de cassation le 22/10/2014 a opté explicitement pour sa similitude avec l’argument, et non avec le scénario. Cela nous dispense d’avoir à poser la question de savoir si l’auteur du format est également l’auteur de chacun des épisodes qui seront réalisés avec le même format (à l’instar de ce qui se passe entre l’auteur du scénario et l’œuvre audiovisuelle, art. 86 Loi sur la Propriété Intellectuelle).
- Par ailleurs, cette fonction préparatoire a servi à établir que le programme de télévision ne serait pas si éloigné de ce que l’article 64 du Règlement (1880), toujours en vigueur, de la Loi sur la Propriété Intellectuelle consacre en déclarant que le plan et l’argument d’une œuvre musicale14 « sont des éléments de propriété ». L’arrêt de la Cour de cassation en date du 22/10/2014 l’assume tel quel dans ses raisonnements, en parlant de créations « d’expression non définitive » comme catégorie qui engloberait les plans, les projets, les maquettes (en architecture), ou comme des arguments, des scénarios ou des formats, dans l’audiovisuel (13ème Fondement de droit, n.1 et 3).
D – Les réticences des tribunaux
21Les litiges dans le cadre desquels les tribunaux ont statué sur les formats télévisuels15 ont montré, malgré ce qui pourrait être déduit de mon propos jusqu’ici, une claire réticence ou défiance à considérer le format comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur.
22Cela tient peut-être, avant tout, au fait que le marché des formats télévisuels ne peut avoir une relation franche et ouverte avec un droit d’exclusivité trop rigide (dérivé soit du droit d’auteur, soit d’un autre régime de protection). Comment survivre face à la concurrence si je ne peux pas utiliser un format « semblable » à celui qu’utilise un autre opérateur de télévision comme moi, et qui connait un succès d’audience ? Le marché des offres télévisuelles n’est-il pas composé, précisément pour cette raison, de formats analogues, diffusés souvent à la même heure ?
23En second lieu, même en admettant que le marché ne va pas rejeter la protection par le droit d’auteur, la difficulté technique de fond est toujours la même : déterminer si une notion intellectuelle (celle qui comprend le format) réunit ou pas les conditions requises pour être objet de protection par le droit d’auteur. Et ces conditions sont essentiellement au nombre de deux :
- Être véritablement une « œuvre au sens propre », et par là le tribunal se réfère au fait d’être en présence d’une authentique « élaboration de l’esprit » et non de simples idées, non appropriables ; et
- Être originale, au sens et avec la portée que la jurisprudence a donné à cette condition, et qui implique qu’elle soit extériorisée par une formulation originale permettant de la défendre d’éventuelles imitations conceptuelles de plagiat16.
a) Le format est-il une « œuvre au sens propre » ?
24Nous avons vu que le format, notamment le paper format, peut présenter des longueurs et des mises en forme variables, allant de 2 à 5 feuillets, selon les pratiques du secteur.
25Les tribunaux ont accordé une valeur décisive au degré de mise en forme et de spécification caractérisant le format17.
26Et ils l’ont appliqué de telle manière que, pratiquement dans la seule affaire où ils ont reconnu l’existence d’une œuvre, le format était extraordinairement détaillé. Ainsi, l’Audience Provinciale de Madrid (Scº 20ª), dans son jugement du 17 février 2005 (AC 2005/426), a retenu comme élément déterminant pour exclure que le document littéraire présenté soit une simple idée générique ou embryonnaire, le fait qu’il ait un degré de développement et d’élaboration suffisant permettant de le considérer comme un format. Et cela, parce qu’en partant d’une idée élémentaire –concours portant sur le XXe siècle-, ce format ne se limite pas à l’enregistrer et à l’évoquer à titre de suggestion. Il donne de son contenu une explication écrite et détaillée, en développant sur treize feuillets, divisés en neuf chapitres, les aspects essentiels du concours et en précisant des éléments aussi concrets que le titre, les prix à gagner, l’autopromotion, le jingle publicitaire, la formulation des questions, l’intervention des personnalités, les sujets à traiter, découpés en sections précises, les questions concrètes se rapportant à chaque contenu, les épreuves liées aux contenus spécifiques, la distribution et le nombre des candidats, le son, la projection d’images, la musicalisation, la réalisation, les contenus complémentaires et autres.
27Dans le jugement rendu par la Chambre Commerciale du Tribunal nº 12 de Madrid du 14/06/2011 (« Tengo una pregunta para usted »)18, il est précisé que :
28« l’important dans ces cas est qu’il y ait eu le saut qualitatif entre le stade de simples conceptions générales et leur matérialisation, sous une forme détaillée et formellement structurée, ayant débouché sur une création d’une certaine complexité, par une activité créative, sans qu’il n’ait besoin d’atteindre la complexité et le détail propre au scénario, qui décrit les scènes avec minutie (ce sont des « mots qui deviennent des images ») ».
29En l’espèce, le tribunal souligne le rôle fondamental de la « Bible de Production », un document décrivant « non seulement la scénographie, mais aussi le placement du public, la procédure de sélection de ce public, les séquences, l’entrée de l’invité interviewé, le phasage du programme ; en un mot, on y trouve spécifié le moindre détail du format ».
30Dans la plupart des autres cas de concours, débats, talk-shows et reality shows, la décision n’a pas retenu en principe la qualification d’œuvre pour le format supposément plagié, au motif qu’il s’agissait d’une « simple idée », répétée tout au long de l’histoire de la télévision et dépourvue d’originalité protégeable (ainsi, l’émission « Veredicto », Jugement de l’Audience Provincial de Madrid, Sc 13, du 2/09/1993, « Habitat » Chambre Commerciale du Tribunal de Madrid nº 2, du 9 de juin 2005 (AC 2005\2244), Chambre Pénale nº 26 de Madrid, dans son jugement du 28 octobre 1997, Affaire « Médico de Familia »)19.
31En définitive, on a exigé un degré de mise en forme et d’élaboration « suffisantes ». Il s’agit d’une tendance qui n’est probablement pas isolée et, de fait, certains tribunaux européens ont déjà par le passé invoqué un argument plus ou moins semblable20.
b) Le format original
32Une fois le premier niveau du test passé, il reste à vérifier si (ou « à quel moment ») le format peut réunir un caractère suffisant d’originalité pour être porté au rang d’œuvre protégeable (y compris face à d’autres formats avec lesquels il présenterait des similitudes).
33Comme nous l’avons rappelé, le format est composé d’éléments dépourvus de toute protection. C’est pour cette raison qu’il faut orienter la recherche de l’originalité vers la façon dont ils sont conjugués dans leur totalité.
34Dans une action (intentée en 2001 et tranchée par un Jugement du Tribunal Supérieur de Justice du Brésil en mars 2015) par laquelle Endemol accusait la chaîne de télévision brésilienne (TV SBT) d’avoir plagié le format de « Gran Hermano », le tribunal a considéré que le format,
« ne se limite pas à épier des gens enfermés dans une maison pendant temps donné ; il traite un programme avec un début, un déroulement et un dénouement, avec une description méticuleuse non seulement de l’atmosphère dans laquelle les personnes vont vivre durant un laps de temps, mais également comment doivent être positionnées les caméras. Le format comprend notamment des détails tels que l’utilisation des microphones que les candidats doivent toujours porter sur eux, enregistrés 24 heures sur 24, les styles de musique, la façon dont les candidats entre en relation avec le monde extérieur, les activités. Les images et les échanges audio, destinés à des centaines de milliers de personnes via les encarts publicitaires insérés quotidiennement dans la programmation de la télévision par internet, avec l’exploitation commerciale résultante, sont également une caractéristique unique du format »21.
35A ce stade, nous pourrions conclure que la jurisprudence veut nous dire que l’originalité du format résiderait plutôt « dans les éléments qui caractérisent ou individualisent le programme par rapport à d’autres ayant une thématique semblable ». L’exemple qui résume ce critère de la façon la plus éloquente est la procédure judiciaire suivie en Hollande au sujet de l’émission « Big Brother » et de son rapport avec « Survivors ». De toute évidence, ces programmes sont basés sur une idée commune : un groupe de personnes qui ne se connaissent pas cohabitent dans un lieu coupé du monde extérieur, sous l’œil de nombreuses caméras, en compétition les unes avec les autres pour être le candidat qui survit le plus longtemps, dans l’espoir de remporter le prix final. La Cour de cassation des Pays Bas, dans son arrêt du 16/04/2004, précisait :
« Dans le cadre de la comparaison antérieure, le tribunal juge que le format de Survivors n’a pas été essentiellement copié du format de Big Brother, de sorte qu’il n’y a pas lieu de parler d’une infraction aux droits d’auteur. L’important est que, pour ce qui est des éléments 1 et 8, il n’y a presque pas de coïncidence entre les deux formats. Les candidats de Survivors campent sur une île déserte et se livrent entre eux à des compétitions, alors que les participants de Big Brother vivent dans une maison et se limitent, dans l’ensemble, à ne réaliser que quelques épreuves. Survivors est dynamique, Big Brother est statique. Autre différence importante est l’aspect interactif, qui est absent de l’élément 10 de Survivors et qui est essentiel pour le format de Big Brother. Survivors n’est diffusé qu’après l’enregistrement de la totalité des épisodes de la série. Dans le format de Big Brother, en revanche, les émissions ont lieu quasi quotidiennement et il est fait un résumé des évènements du jour. De plus, le public peut suivre sur Internet presque en temps réel, 24 heures sur 24, ce que filment les caméras. Le public désigne qui des candidats choisis par les participants devra quitter la maison et qui sera le vainqueur final. La démarche même de Survivor exclut toute interaction avec le public »22.
36En Espagne, la description faite par l’Audience Provinciale de Biscaye dans la décision rendue le 9/02/2006 sur l’affaire « Neander » me semble des plus intéressantes. L’auteur du projet « Neander » agit en justice contre l’auteur du format d’une émission diffusée sur la télévision basque Euskal Telebista (« Basetxea-Lege Zaharra »). Dans les deux cas, il s’agissait d’un programme de « reality show » de cohabitation entre de jeunes candidats, « que presque toutes les chaînes ont produit avec une formule identique et un format analogue, avec différentes scénographies et déroulements, qui sont identifiés avec le sous-genre lancé par des émissions telles que Supervivientes, La isla de los famosos, Gran Hermano, etc. Les deux programmes en question prennent place dans une maison rurale, avec des épreuves contemporaines – bicyclette, parachutisme, saut à l’élastique… ». Tous deux reproduisent la vie et les coutumes de nos ancêtres et les candidats sont soumis à une pénurie de moyens, aux rigueurs du climat et à la nécessité de se nourrir et se loger en utilisant uniquement les ressources naturelles disponibles. Cependant, le jugement retenait que, même si les candidats de l’émission « Basetxea » cohabitent dans une ambiance rurale, « dans l’optique actuelle, ce n’est pas la même chose qu’une ambiance préhistorique », qui était l’objet principal du projet « Neander ». Et c’est précisément pour cela, concluaient les magistrats, qu’il n’y a pas lieu de parler d’une identité constitutive du délit de plagiat tel que défini à l’article 270 du code pénal espagnol.
37Par ailleurs, dans un cas comme celui sur lequel l’Audience Provinciale de La Corogne statuait le 31/07/2010, le tribunal insiste sur l’absence d’originalité du format supposément plagié, au sens où le talk show décrit, basé sur l’intervention d’enfants qui réalisaient des interviews et proposaient des sujets de débat, avec la participation d’autres enfants, de différents âges, en fonction du séquençage et de la section du programme, pouvait être considéré comme un assemblage d’éléments communs au patrimoine du genre auquel ce programme appartient.
38Mais les tribunaux espagnols sont allés au-delà. Ils ont affirmé à maintes reprises que l’originalité du format dont la protection est invoquée doit, en définitive, être fondée sur une nouveauté, non seulement par rapport à d’autres programmes antérieurs, au format similaire, qui pourraient l’avoir inspiré, mais également au regard des éléments techniques communément utilisés par le secteur, de sorte qu’ils font partie du patrimoine culturel commun, « autrement dit, ceux qui sont propres au genre du programme en question » (Jugement de l’Audience Provinciale de La Corogne, Sc 4, du 31/07/2010, Fondement de droit 6ème).
39C’est sur ce point que la jurisprudence rejette, encore et toujours, la demande de protection par le droit d’auteur, sur le fondement de l’absence d’une « hauteur créative » (sic) suffisante dans le format objet du litige. Rappelons que la jurisprudence espagnole n’a reconnu l’existence d’un plagiat2324 que dans un seul cas. Et jamais, jusqu’à aujourd’hui, en cassation.
IV – Bilan et conclusion
40A l’évidence, le niveau exigé est trop rigoureux. La comparaison idéale avec l’ensemble du « patrimoine » commun au secteur, et non seulement à d’autres programmes antérieurs au format semblable, accroît considérablement la charge de travail mental. Pire encore, par probabilité, elle rend très difficile de préserver « l’originalité » du format dans le cas concret.
41Et, en second lieu, ce niveau impose une exigence supplémentaire, une « hauteur créative » suffisante, critère qui n’est pas habituellement retenu dans les litiges portant sur d’autres types de créations. C’est ce qui ressort de sa comparaison avec les affaires où la Cour de cassation espagnole a reconnu l’originalité et la protégeabilité d’une notice d’installation de pare-douches (Arrêt de la Cour de Cassation du 30/1/1996), des petites annonces publiées par les journaux (STS de 13-05-2002) ou des livrets pédagogiques pour enfants utilisés dans les écoles pour entrainer les élèves aux opérations élémentaires de mathématiques (Arrêt de la Cour de cassation du 7/06/1995). Le jugement qui a le mieux appréhendé le problème est peut-être l’arrêt de la Cour de cassation espagnole en date du 22/10/2014. Cet arrêt reconnaît qu’il s’agit d’un « type » d’œuvre « aux besoins spécifiques ». A mon sens, tout comme dans le cas des pare-douches, des petites annonces et des livrets pédagogiques, nous sommes en présence d’œuvres à « faible intensité » créative. Autrement dit, des œuvres qui sont « limites ». C’est pourquoi elles favorisent une réflexion complète sur des concepts angulaires tels que l’ORIGINALITÉ, critère essentiel, mais certainement susceptible de reformulations (critères objectifs, critères subjectifs, critères mixtes …).
42Toutefois, au lieu de cela, la Cour de cassation espagnole a jusqu’à présent rejeté systématiquement la protection des formats par le droit d’auteur, sans oser l’annuler sur le plan théorique, afin de satisfaire deux contraintes :
- ne pas être en contradiction avec sa propre doctrine quant au rôle de l’originalité et avec les décisions rendues précédemment dans les « cas limites », comme celui de la notice d’installation des pare-douches ; et
- ne pas faire fi des besoins d’un marché très spécifique, comme le marché télévisuel, où il y a, nous l’avons vu, une très forte tolérance en matière de similitude (tolérance qui n’est toutefois pas absolue ; mais pour résoudre les crises qui se font jour dans ce domaine, il existe déjà le Droit des Marques ou le Droit de la Concurrence).
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Jurisprudence espagnole
TRIBUNAL SUPREMO
STS 7-06-1995
STS 29-06-1995
STS 30-1-1996
STS 13-05-2002
STS 9-12-2010
STS 22-10-2014
AUDIENCIAS PROVINCIALES
SAP Madrid, Scº 13ª, 2-09-1993
SAP Madrid, Scº 20ª, 17-02-2005
Auto de la AP Vizcaya de 9-02-2006
SAP Madrid, Scº 13ª, 26-09-2006
SAP Madrid, Scº 12ª, 25-01-2007,
SAP de Madrid, Scº 28ª, de 22-05-2008
SAP Madrid, Scº 28ª, 2-07-2009
SAP Coruña, Scº 4ª, 31-07-2010
SAP Madrid, Scº 28ª, 13-12-2013
TRIBUNALES DE PRIMERA INSTANCIA
S Juzgado de lo Penal nº 26 de Madrid, en sentencia de 28 de octubre de 1997
S JMerc nº 2 de Madrid, de 9-06-2005,
SJMerc. nº 12 de Madrid, 14-06-2011
Jurisprudence internationale
BGH de 14 de noviembre de 1980
Pretura de Roma de 9 de diciembre de 1986
Privy Council Wellington, Green v Broadcasting Corporation of New Zealand, Court of Appeal of New Zealand [1989] 3 NZLR 18
High Court of Wellington, en el caso Wilson vs. Broadcasting Corporation of New Zealand, 1990 ([1990] 2 NZLR 565)
Pretura de Milán de 24 de abril de 1990
OLG Hamburgo 2 de marzo de 1995
Corte Suprema de La Haya 16 de abril de 2004
Notes de bas de page
1 Cette session est consacrée à l’analyse du format télévisuel, mais, compte-tenu de ses liens avec les séries télévisées, la notion de format est généralement présente dans tous les domaines de la radiodiffusion.
2 L’arrêt de la Cour de cassation espagnole du 29 juin 1995 faisait la distinction entre argument et scénario. Le premier y était défini comme « sujet traité par une œuvre », alors qu’il entendait par scénario l’argument destiné à une œuvre cinématographique (en l’espèce), avec tous les détails nécessaires à sa réalisation.
3 Et l’Espagne n’est pas la seule dans ce cas. L’absence de réglementation tant en Europe qu’aux États-Unis se traduit par une organisation des circuits commerciaux par le biais de contrats de licence atypiques.
4 En 2001, le professeur Antonio Castán citait en exemple un concours de télévision populaire, encore à l’antenne aujourd’hui, dont la licence impliquait le paiement de 5 500 dollars américains par épisode, ainsi que la diffusion d’au moins 50 épisodes (« Le plagiat des formats des émissions de télévision », dans Creaciones Audiovisuales y Propiedad Intelectual, coord. por Carlos Rogel. Madrid : Reus, 2001, p. 184). Ce montant s’élève actuellement à plus de 6 000 euros.
5 Il est fait ici référence à certains accords passés entre « The Writers Guild of Great Britain » et « The Producers Alliance For Cinema and Television », ou bien dans le cadre du « ITV Network Centre » (tous antérieurs à 1995).
6 A. Gonzáles Gozalo, « La tutela de los formatos televisivos », in Pe.i. Revista de Propiedad Intelectual, 2001, núm.9.
7 Il s’agit d’un enregistrement en ligne gratuit d’œuvres et de bandes audiovisuels, de formats et de scénarios. Il est ouvert à des personnes physiques ou à des sociétés privées. Créé en 2012, il est le fruit de la coopération entre la société de gestion EGEDA (Société de Gestion des Droits des Producteurs Audiovisuels) et l’entreprise Safe Creative. En tout état de cause, il s’agit d’un registre privé.
8 Une partie du secteur doctrinal a vu dans cette spécificité un obstacle à la protection du format télévisuel par le droit d’auteur (FINE, « A case for the federal protection of television formats : testing the limit of « expression » », p. 70-71). Et cependant, nous avons en Espagne l’exemple récent du Jugement de la Chambre Commerciale nº 12 de Madrid, du 14/06/2011, AC 2011\1381 (Affaire « Tengo una pregunta para usted »), qui a considéré que le format est bien protégeable.
9 Le jugement de l’Audience Provinciale de Madrid, Scº 13ª, du 26/09/2006, AC 2007/ 1100 (Affaire « La Gran Manzanilla ») signale dans son quatrième Fondement de droit que vouloir que l’inclusion dans un projet de série télévisuelle du déroulement de l’intrigue dans une copropriété, comme cela pourrait être le cas dans un village, un hôpital, un lycée, un centre universitaire, un supermarché ou autre lieu où prennent place des scènes de la vie quotidienne n’est pas protégeable par la Loi sur la Propriété Intellectuelle. La 12ª Section de cette Audience avait déjà adopté une position semblable dans son jugement du 25 janvier 2007, AC 2007/1761 affaire « La Boutiqua de Tunari »), confirmée en cassation le 9/12/2010. Reprenant ce critère, dans une affaire de scénographie inhabituelle, le jugement de l’Audience Provinciale de Madrid (Sc 28), du 13/12/2013, AC 2014/45, Affaire « Espagne pregunta, Belén responde », a considéré que l’élément le plus original était précisément la scénographie utilisée dans le programme de la partie demanderesse (y compris les couleurs dominantes dans les décors, la disposition du public, la façon de placer les intervenants), parce qu’elle était insolite pour le type de programme concerné et bizarre par rapport à celle qui était tenu pour habituelle (3ème et 4ème Fondements de droit). En un mot, pour reprendre les termes du jugement, « l’esthétique particulière » du programme.
10 González Gozalo classe également les « accroches » parmi les éléments non protégeables. A mon sens, leur indiscutable brièveté n’est pas une raison pour écarter a priori leur protégeabilité. Prenons le cas où le présentateur introduit ou clôture toujours l’émission par une phrase exprimée dans une langue ou des termes imaginaires. Certes, une phrase ne sera pas protégeable au titre du patrimoine commun, même si elle devient la phrase « fétiche » d’une émission car systématiquement prononcée par l’un des présentateurs ou des intervenants (à l’instar de la phrase utilisée par Ernesto Sáenz de Buruaga, journaliste espagnol, qui clôturait le journal télévisé par cette formule : « c’est ainsi que ça s’est passé et c’est ainsi que nous l’avons rapporté »).
11 J. C. Erdozain López, « La originalidad en el Derecho de autor », dans Pe.i., 2003, núm.2, p. 37.
12 Elle a même parfois été qualifiée de « dramatique », car destinée à être mise en scène, directement ou indirectement (High Court of Wellington dans l’affaire Wilson vs. Broadcasting Corporation of New Zealand, [1990] 2 NZLR 565).
13 Ce qui impliquerait que l’auteur du format est également l’auteur de l’œuvre télévisuelle, produit dérivé du format. Ceux qui réfutent cette possibilité se placent dans une double perspective. Les uns (González Gozalo, op.cit., p. 50) considèrent que l’auteur du format ne collabore pas à la réalisation de chaque épisode du programme. Il crée une œuvre de langage préalable, dont découlent à posteriori les différents épisodes du programme qui suivent des scénarios spécifiques. Pour d’autres (Saiz García, Conception. Oeuvres audiovisuelles y Droits d’auteur. Navarra : Aranzadi, 2002, p. 199) la difficulté tient à ce que le programme télévisuel de format, en soi, n’a pas qualité d’œuvre. Car, pour ce faire, il devrait s’agir d’une collection (art. 12 LPI), dotée non seulement d’originalité, mais aussi d’unité. En revanche, l’autonomie des épisodes de la plupart des séries permet de conclure à l’absence de lien ou de sens unitaire entre eux (Ainsi, le jugement de la BGH du 14 novembre 1980, Neue Juristische Wochenschrift, 1981, p. 2055, affaire Quizmaster, qui a considéré qu’une émission de divertissement associant des performances musicales, des interprétations scéniques, des reportages et des interviews, était dépourvue d’unité formelle). Et cela indépendamment du fait que chaque épisode puisse être considéré comme une œuvre audiovisuelle. Une position qui est également remise en question. La SGAE considère que, tout comme dans les talk shows et autres émissions du même genre, il n’existe pas un véritable scénario fermé, mais plutôt un conducteur servant à indiquer à l’animateur et aux autres intervenants les différentes étapes à suivre, lesquelles seront constamment adaptées en fonction des réactions spontanées des candidats et des personnes interviewées. Du fait de l’absence d’un scénario fermé, elles se voient refuser le statut d’œuvre audiovisuelle et restent de simples enregistrements ou diffusions ne donnant lieu qu’à un droit connexe (Saíz García, p. 201). Même si l’on considère que chaque épisode est une « œuvre », il n’en est pas moins vrai que le format est invariablement le même dans tous. D’où le fait qu’il ne puisse être considéré que comme étant « scénarisé par analogie » avec le premier épisode ; le format de tous les épisodes suivants n’étant qu’une reproduction du premier, ou tout au plus, une œuvre dérivée.
14 Rodríguez Tapia, José Miguel. « Comentarios al artículo 10 », en F.Bondía Román, J.M. Rodríguez Tapia, Comentarios a la Ley de Propiedad Intelectual. Madrid : Civitas, 1997, p. 54.
15 Ainsi que nous le verrons, toujours à la lumière des litiges en matière de plagiat.
16 C’est-à-dire : outre l’obligation pour le « format protégeable » de présenter une mise en forme suffisante pour être plus que le vague reflet d’une idée (exposée de façon très générique), cette formulation doit présenter une originalité objective d’une importance minimale. Autrement dit, ainsi que l’a rappelé la jurisprudence en maintes occasions, la protection ne peut s’appliquer à ce qui relève du patrimoine commun, dont fait partie le patrimoine culturel ou celui qui est à la portée de tous. Ainsi, on ne protègera pas non plus les exposés appelés formats qui rassemblent peu ou prou les lieux communs à tout programme du même genre. Ainsi, par exemple, les interviews à des célébrités connues des enfants, précise la jurisprudence, est une constante en télévision et non une idée appropriable dans le cas d’un « talk-show » (Jugement de l’Audience Provinciale de La Corogne, du 31/07/2010). Ce second aspect est développé dans le paragraphe suivant.
17 Bien que nous nous attachions à analyser le sujet au regard de la situation en Espagne, force est de constater que la jurisprudence espagnole ne fait que se placer dans un sillage classique, repris aux quatre coins du globe. A titre de simple curiosité, on cite toujours comme lead case (ou tout au moins, comme premier cas connu) l’affaire qui a opposé en 1989 Green à Broadcasting Corporation of New Zealand. Hughie Green arguait d’un droit d’auteur sur son idée de programme intitulé Opportunity Knocks. Le tribunal a réaffirmé le principe, déjà solidement établi en Droit anglo-saxon, qu’il n’existe pas de droit d’auteur sur une idée, et que donc il ne pouvait pas y en avoir sur celle du concours en question. Il faut toutefois signaler que les détails du format présenté au tribunal étaient assez limités : le format était un show de talents, où le lauréat était le candidat ayant obtenu les plus forts applaudissements d’audience qui étaient enregistrés sur un appareil ad hoc dit « applaudimètre » (clapometer) et Green avait un certain nombre « d’accroches » spécifiques. (Ben Challis ; Jonathan Coad, « Format Fortunes : is there legal recognition for the television format right ? »
(http://www.musiclawupdates.com/articles/ARTICLE%2004formatfortunes.htm).
18 AC 2011/1381.
19 Toutefois, le jugement de l’Audience Provinciale de Madrid, Scº 28ª, du 22 mai 2008, Affaire « Ana y los Siete »), qui exceptionnellement ne connaissait pas d’un cas de plagiat (là est peut-être la raison), a indéniablement considéré comme une œuvre le format (synopsis, dit le jugement) intitulé « La Niñera », « d’à peine 5 feuillets » et qui était, souligne à maintes reprises le jugement, à peine argumentée par quelques lignes et obéissait à un schéma relativement simple et, je cite, « récurrent et aucunement inédit dans l’univers du cinéma ». Quoi qu’il en soit, précise le jugement, « controversée de manière purement tangentielle – et dans quelques commentaires marginaux d’experts - la présence dans le synopsis du caractère d’originalité visé à l’article 10 de la Loi sur la Propriété Intellectuelle pour bénéficier de la protection que dispense cette Loi, nous n’approfondirons pas cette question ». (3º Fondement de droit).
20 OLG Hambourg du 2 mars 1995, Affaire Laberinto Virtual, le tribunal a estimé que la protection aurait pu s’appliquer si le format avait contenu une description plus concrète de la forme et du déroulement du jeu, de la structure du labyrinthe, de l’utilisation des aides aux candidats et du rôle du spectateur, Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht, 1996, p. 245 ; Pretura de Roma du 9 décembre 1986 et Pretura de Milan du 24 avril 1990 ont également exprimé un avis favorable à la reconnaissance du caractère d’œuvre pour le format suffisamment élaboré.
21 « is not limited to spying [on] people locked up in a house for a certain period of time; it contemplates a programme with a beginning, middle and end, with meticulous description, not only of the atmosphere in which the people will live for a certain period of time but also the places where cameras are positioned. The format consists of details such as the use of microphones tied to the participants' bodies, linked 24 hours a day, music styles, the form through which the participants will have contact with the external world, activities, among others. The images and audio situations captured for hundreds of thousands of people through the daily inserts in the programming of the television services and through the Internet with the consequent commercial exploitation is also a unique characteristic of the format. »
22 Castán Pérez-Gómez, op.cit., p. 192. Castaway vs Endemol, 2004. Le format « Survivors » appartenait à Castaway Television Productions Ltd. À l’origine, l’émission était produite en Suède, en 1997, sous le titre « Expedition Robinson », puis distribuée dans d’autres pays européens. À peu près à la même date, Endemol Productions développait un format, qui allait finalement être diffusé, à l’automne 1999, sous le titre de « Big Brother ». Castaway Tv alléguait que le format de « Survivors » était une œuvre protégeable par le droit d’auteur eu égard à sa façon particulière de combiner 12 éléments. Ce producteur demandait également la condamnation du format de « Big Brother » pour violation du Droit de propriété intellectuelle détenu par Castaway Tv sur le format de « Survivors ».
23 SAP Madrid, Sc 20, 17-02-2005, as. Gran Concurso Siglo XX.
24 En outre, la décision rendue dans l’affaire Madrid Directo (Jugement de la Chambre commerciale n° 6 de Madrid, du 18/06/2007) était favorable à la partie demanderesse, alors que le tribunal avait à se prononcer sur un cas supposé de concurrence déloyale (utilisation indue de la réputation d'autrui., art. 11.2 Loi sur la Concurrence Déloyale).
Auteur
Professeur de Droit Privé, Université Carlos III de Madrid
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