Art et publicité
Une relation forte et ancienne
p. 23-29
Texte intégral
1Les rapports entre l’art et la publicité ont véritablement commencé à la fin du XIXème siècle avec le mouvement de l’affichomanie (1886 – 1896), terme inventé par Urzanne en 1891, qui voyait les artistes s’impliquer fortement dans la création d’affiches publicitaires : Guy Bourdin, Antonio Lopez, Jean Carlu... Cette proximité entre ces deux disciplines s’est traduite par une appropriation réciproque des deux approches, les publicitaires utilisant l’art pour vanter les marques et les produits, les créateurs et artistes mettant en œuvre les techniques de la publicité au service de leur création.
2François Mauriac, par exemple, disait en 1910 : « ma décision est prise : je lancerai mon prochain livre comme le chocolat Poulain » ; Marcel Pagnol recourait régulièrement, avant le montage définitif de ses films, à la présentation à un échantillon de spectateurs des différentes versions envisagées (technique de pré-test publicitaire appelée aujourd’hui le pre-view).
3Les acteurs de l’univers culturel (musées, manifestations, festivals, expositions, …) ont bien compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer de campagnes de publicités pour assurer leurs missions et atteindre leurs objectifs. Ainsi le Louvre, le musée d’Orsay, le Centre Pompidou et tous les autres organismes culturels intègrent une démarche marketing pour valoriser leur action, attirer des usagers et transformer des expositions en événements à ne pas manquer. Toutes leurs campagnes marketing sont décidées en s’appuyant sur les mécanismes de la publicité commerciale, en particulier en jouant sur l’effet de surprise indispensable pour capter l’attention d’un consommateur submergé de messages publicitaires. Les structures internes de ces organismes ont d’ailleurs évolué par la création de services de marketing et de communication.
4Les produits dérivés sont devenus un autre enjeu des expositions et des musées. Des stylos, des mugs, des coques de téléphone… sont conçus et vendus à chaque occasion permettant de couvrir une part des frais marketing qui sont en croissance permanente. Par exemple, pour l’exposition consacrée à Niki de Saint Phalle, le Grand Palais a engagé en 2014 un budget marketing de 3,8 millions d’euros. Les ventes de produits dérivés sont une réelle source de financement des expositions. Ainsi, la Cinémathèque de Paris tire un tiers de ses financements du mécénat et des produits dérivés1. Bien sur, certains artistes engendrent plus de ventes que d’autres. L’univers visuel de Basquiat s’y prête parfaitement et les chiffres de vente l’ont confirmé. Le produit dérivé n’a pas qu’une utilité économique. Il peut donner envie à une personne de visiter une exposition et surtout il permet de mémoriser l’émotion liée à cette expérience culturelle. Pour optimiser l’activité « produits dérivés », les spécialistes du marketing culturel ont décomposé le marché des visiteurs pour proposer des produits en adéquation avec les attentes de chaque groupe. Ainsi, on peut identifier les segments suivants2 :
- Le primo-visiteur. Il s’agit souvent d’un touriste qui souhaite acheter des cartes postales.
- L’initié. Sa demande se porte essentiellement sur des livres spécialisés.
- L’art shopper. Il est intéressé par des objets de décoration et d’art de la table inspirés de l’exposition ou du musée.
- L’enfant. Il est séduit par les gadgets et les peluches.
5D’un autre côté, certains artistes ont été inspirés par la publicité comme par exemple des peintres du pop art tels que Andy Warhol ou Roy Lichtenstein. Leurs créations ont d’ailleurs souvent été récupérées dans des campagnes de publicité pour des marques : Nivéa, Coca Cola… Le street art est influencé par la publicité même si parfois son objectif est de la dénoncer comme pour le collectif Brandalism3.
6Les rapports art et publicité présentent donc deux dimensions : d’un côté, la publicité de l’art et, d’un autre côté, l’utilisation de l’art dans la publicité. Cet article se focalise sur l’art dans la publicité.
I – L’art dans la publicité
7Les publicitaires s’intéressent à l’art pour deux raisons essentielles. Il en existe d’autres, bien sur, mais ces deux raisons sont très importantes pour le marketing des marques. D’abord, les publicitaires sont obsédés l’impact de leur campagne, par l’efficacité de leur message. L’art pourrait peut-être être une solution pertinente. Ensuite, il faut noter qu’une bonne image de marque est une condition indispensable pour une efficacité de la publicité. Les publicitaires doivent veiller à gérer le contenu de marque, concept qui intègre les qualités qui sont associées à cette marque. Là, encore, on peut se questionner sur l’intérêt d’utiliser l’art dans cet objectif.
8Il ne faut pas nier la réalité. La publicité est une technique d’influence qui cherche à améliorer en permanence ses approches. Jouer sur l’affect et les émotions des consommateurs se révèle être une démarche pertinente de persuasion développée depuis Mc Guire (1969), Engel, Blackwell et Miniard (1990) ou Aaker et Myers (1987). En s’inspirant de Derbaix et Filser (2011), il est possible de modéliser le rôle des émotions dans la formation de l’attitude d’un consommateur envers une marque donnée via le message publicitaire.
9Ce modèle montre l’intérêt des publicitaires à rechercher des messages engendrant des émotions. Parmi les différents chemins pouvant engendre des émotions, ne peut que s’intéresser à l’art. Ce dernier est un véritable générateur d’émotions comme cela a souvent été démontré (Dewey, 2014).
II – L’appropriation de l’émotion par la marque
10La théorie de l’endossement et du transfert de valeurs de Mc Cracken (1989) montre que la marque va s’approprier les qualités de l’œuvre d’art et en nourrir son image. Concrètement, les publicitaires ont défini trois grandes approches créatives issues de l’utilisation de l’art (Helme-Guizon, 1997). Toutes ces approches reposent sur les acquits culturels des consommateurs ciblés par la campagne.
- Le détournement d’œuvre d’art. Il s’agit d’utiliser une œuvre d’art telle quelle dans le message publicitaire en ajoutant un slogan, une marque et, éventuellement, d’autres éléments visuels. Hermès adopte cette solution créative en intégrant La Grande Obélisque d’Ingres ou La Vague de Bouguereau dans ses créations publicitaires. La Joconde de Leonard de Vinci a inspiré de nombreux publicitaires pour des campagnes pour des marques comme Bic, Lufthansa, Pantène, Vidal Sassoon, Audi, Dulux, Lego, Pizza Hut… Comme on peut le constater, les marques correspondent à des catégories de produits et de services très différents les uns des autres.
- L’inspiration à partir d’une œuvre d’art. Le déjeuner sur l’herbe de Manet pour Dior, Le portrait d’une négresse de Marie-Guillemine Benoist pour Louboutin La cène de Léonard de Vinci pour Marithé et François Girbaud mais aussi Lego ou les mobiles Siminn illustrent ce chemin créatif où l’œuvre est reconstituée soit avec des personnages photographiés soit avec des illustrations.
- La création spécifique d’une œuvre d’art. Par exemple, la marque de whisky Ballantine’s a plusieurs fois développé des campagnes en demandant des créations spécifiques à des artistes (Kacper Hamilton, entre autres. Dans cette démarche, deux créations ont marqué l’histoire de la publicité : la création du logo de la marque de confiseries Chupa Chups par Salvador Dali et celle d’un message publicitaire pour la marque Mac d’Apple par Andy Warhol. Ces créations sont devenues cultes dans l’univers de la publicité.
11Comme souligné plus haut, ces trois approches autorisent un transfert des émotions liées à l’art vers la marque concernée.
III – L’art comme dimension de l’image de la marque
12Les marques ont une finalité économique, une finalité de profit. Toutefois, elles ne doivent pas être trop marquées par ce caractère financier au risque d’être rejetées par les consommateurs. Le marché leur demande de plus à adopter un comportement citoyen en montrant que leur objectif n’est pas exclusivement l’argent mais aussi un certain nombre de préoccupations sociétales (Kapferer, 2004). Les consommateurs demandent de plus en plus aux marques d’avoir des valeurs, une philosophie. Ils peuvent ainsi choisir des offres qui ne sont pas en opposition avec leurs propres valeurs. Par exemple, le consommateur qui fréquente l’enseigne de cosmétique Body Shop sait que les produits proposés n’ont pas été testés sur des animaux. S’il est un défenseur de la cause animale, il sera rassuré par l’engagement de Body Shop. Cette tendance explique que les marques souhaitent s’associer à des événements philanthropiques tels que le téléthon pour enrichir leur image de valeurs non financières mais aussi à des manifestations artistiques (Décaudin et Bouguerra, 2011). Si la fondation est en général le moyen technique retenu le mécénat culturel4, il est intéressant de voir comment les contributions des marques et des entreprises se concrétisent.
- La mise à disposition de personnel. La restauration de la Galerie des Glaces du château de Versailles illustre cette approche. Pendant les 3 années du chantier, le Groupe Vinci a mis à disposition de l’architecte en chef des Monuments Historiques une équipe composée à partir de ses 14 filiales pour un coût évalué à environ 12 millions d’euros. Outre la démonstration de savoir faire par le Groupe Vinci, son image s’est enrichie d’une activité non lucrative au service de la collectivité. Le musée Magritte a bénéficié de cette approche avec la transformation du bâtiment en espace interactif par 200 employés de GDF Suez (coût de chantier estimé à 6,5 millions d’euros).
- L’octroi de budgets. C’est une action facile à mettre en œuvre mais il est important de choisir l’activité artistique bénéfique à la marque. La BNP Paribas, via sa fondation, attribue des budgets importants à des compagnies de danse pour les soutenir dans la création de nouveaux ballets. La banque complète cette action de mécénat par une communication plus traditionnelle en achetant des places de ces spectacles pour ses clients et en organisant des soirées spectacles privées. En ce qui concerne ce type d’action, on se souvient de l’achat du tableau « La Fuite en Egypte » de Nicolas Poussin par 20 entreprises pour l’offrir ensuite au musée de Lyon.
- La salle d’exposition. Qui peut mieux illustrer cette approche que la fondation Cartier ? Au rythme de 4 expositions par an, la fondation contribue au succès de l’art contemporain.
- La création d’événements spécifiques. Ainsi le groupe Kering a créé en 2015 le programme Women in Motion qui soutient les femmes du cinéma, contribue à rendre leur action plus visible, et cherche à susciter une prise de conscience relative à la diversité dans le cinéma.
13En guise de conclusion, la question se pose de savoir si la publicité est elle-même un art. On peut ainsi reprendre la célèbre formule de Marshall Mc Luhan : « La publicité, c’est la plus grande forme d’art du XXème siècle ». En utilisant l’art directement mais aussi en s’appropriant ses codes, on peut penser que la publicité essaie de gagner ses lettres de noblesse et de changer de statut. De simple technique mercantile, elle souhaite se transformer en art actuel reconnu. On doit reconnaître toutefois que la publicité et l’art sont tous deux une démarche créative. Leur grande différence est la raison de la création, gratuite pour l’art, au service d’une marque pour la publicité.
Bibliographie
D. Aaker David et J. G. Myers « Advertising Management. », 1987.
J. M. Décaudin et A. Bouguerra, La communication marketing intégrée, Economica, Paris, 2011.
C. Derbaix et M. Filser, L’affectif dans les comportements d’achat et de consommation, Economica, Paris, 2011.
J. Dewey, L'art comme expérience, Editions Gallimard, Paris, 2014.
J. F. Engel, R. D. Blackwell et P.W. Miniard, Customer behavior, Hinsdale, IL : Dryden, 1990.
A. Helme-Guizon, Image, imagerie mentale et effets de la communication persuasive : application à une oeuvre d'art incluse dans une annonce publicitaire, Thèse de doctorat, Paris, 1997.
J. N. Kapferer, The New Strategic Brand Management : Creating And Sustaining Brand Equity Long Term, Kogan Page, Londres, 2004.
G. Mc Cracken, Who is the Celebrity Endorser ? Cultural Foundations of the Endorsement Process, Journal of Consumer Research, 16, 310-321, 1989.
W. J. MGuire, The nature of attitudes and attitude change. The handbook of social psychology, vol. 3, n° 2, p. 136-314, 1969.
Notes de bas de page
1 Source : Stratégies, n° 1782, 25/09/2014.
2 Source : Vignesoult Cécile, membre de l’association Museum&Industries.
3 Le terme brandalism a été composé à partir de brand (la marque en anglais) et vandalisme. Il reprend le terme « brandalisme » inventé pour dénoncer l’envahissement de l’espace public par les marques et la publicité.
4 Nous ne parlerons pas ici des avantages fiscaux liés au mécénat ni des conditions réglementaires pour être reconnu mécène. Seule la dimension marketing est retenue.
Auteur
Professeur de Sciences de Gestion à l'IAE Toulouse
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2011