Préface
L’entreprise et l’art
p. 5-8
Texte intégral
1L’étude des liens entre l’entreprise et l’art a été l’occasion d’organiser à l’Université Toulouse 1 Capitole un colloque dont les communications sont rassemblées dans cet ouvrage. L’ambition de cette journée était d’envisager les rapports entre l’entreprise et l’art au travers de différentes disciplines. Le caractère pluridisciplinaire du thème justifiait que ce colloque soit organisé par l’équipe EPITOUL1 et que la publication des actes intervienne dans la collection des travaux de l’Institut Fédératif de la Recherche.
2Le thème de l’entreprise et l’art conduit à confronter le secteur artistique au monde de l’entreprise. La démarche consiste à identifier de manière transversale les relations existantes entre le monde de l’art et celui de l’entreprise ; plus précisément, l’acception qui a été choisie de l’entreprise est celle de l’entreprise privée. Les acteurs publics ne sont pas visés, ce qui conduit donc à écarter les institutions culturelles publiques que sont les musées nationaux et les structures culturelles des collectivités territoriales.
3Lorsque l’on aborde la question de l’entreprise et l’art, il est possible au premier abord de considérer que ces rapports entre l’entreprise privée et l’art sont éloignés. On oppose facilement l’entreprise qui incarnerait l’argent, la compétition, la concurrence, le marché, alors que l’art renverrait aux notions de création, de réalisation intellectuelle, d’esthétisme, et serait plutôt affranchie des logiques économique et commerciale : dans une conception classique, l’artiste n’apparait pas comme un entrepreneur au sens du droit des affaires.
4En réalité, une importante convergence des deux secteurs existe et des rapports nourris relient l’entreprise et l’art. Des rapports juridiques anciens existent, comme le démontre l’étude historique de cet ouvrage, et ces rapports n’ont cessé de s’amplifier. L’œuvre artistique n’est plus l’exclusivité de riches particuliers ou celle des acteurs institutionnels. En présence d’un marché aussi attractif, l’entreprise ne pouvait qu’investir le domaine artistique pour y réaliser des placements, ainsi que pour susciter la création et l’exploiter. En outre, l’art renvoie désormais lui aussi à la notion de marché, un marché souvent prospère. Bien sûr, il faut opérer des distinctions selon la forme artistique visée : domaine des beaux-arts, musique, vidéo, design, produits télévisuels, …, comme il a été fait dans l’ouvrage.
5Mais ces relations entre l’art et l’entreprise ne pervertissent-elles pas le secteur de l’art, au point de transformer l’œuvre d’art en une marchandise comme une autre ? On voit qu’à l’image de tout bien, elle est soumise aux lois du marché et qu’elle ne s’émancipe plus de la logique économique et financière.
6Cet ouvrage vise donc à déterminer quelle est la nature des relations entre l’entreprise privée et le monde de l’art et leur évolution dans une approche pluridisciplinaire. Ces relations sont tout d’abord examinées au travers du soutien que l’entreprise privée peut apporter au secteur artistique lorsqu’elle est amatrice d’art.
7Le rôle des entreprises privées apparait fondamental en termes de soutien au monde de l’art. Les initiatives privées ont battu des records ces dernières années sous différentes formes : avec des créations de lieux d’exposition, la mise en place de prix pour les créateurs, le mécénat, les nouveaux fonds de dotation, et bien sûr les fondations.
8Quelle que soit sa forme, l’explosion du soutien privé au secteur artistique s’explique sans nul doute par les mesures fiscales incitatives en faveur du secteur artistique que le législateur français a adoptées. Ces instruments de soutien au secteur culturel sont parmi les plus avantageux en Europe : ils compensent la diminution, voire la suppression de l’intervention directe de l’Etat, notamment des subventions et des aides publiques. Outre ses vertus fiscales, l’intégration de la dimension artistique dans l’entreprise peut être justifiée par d’autres motivations. Il faut alors évoquer le levier de communication que constitue l’action de l’entreprise dans le secteur artistique : investir dans l’art constitue un élément positif pour l’entreprise en termes d’image, ce que les contributions ci-après en matière de marketing et de management établissent.
9Aussi, quelles qu’en soient les motivations, les liens entre l’art et l’entreprise sont devenus particulièrement étroits, au point que cette proximité soulève parfois des interrogations en termes d’indépendance de la création et d’influence du partenariat entrepreneurial sur l’image de l’artiste auprès du public.
10Ensuite, les rapports entre l’entreprise et l’art sont analysés au travers de l’activité de l’entreprise qui génère de la création artistique, qui en est productrice au sens commun du terme. C’est la convergence ultime entre l’entreprise et l’art : l’entreprise se livrant elle-même à une activité de création artistique. Le domaine artistique a longtemps renvoyé à l’image de la création individuelle conçue comme le fait de l’artiste seul. Le droit d’auteur français et européen reste d’ailleurs largement imprégnée de cette conception personnaliste de la création artistique. Pourtant, des entreprises deviennent elles aussi des créatrices d’art. La question se pose alors de savoir comment, dans un secteur en mouvement comme celui de la création et de la culture, le droit peut fournir un encadrement adapté pour soutenir ces entreprises, notamment pour accompagner les transformations contemporaines du secteur, telles que celles engendrées par l’explosion du numérique. Pour l’heure, l’Union européenne comme l’Etat français encouragent le soutien au secteur artistique en proposant des mesures attractives pour les entreprises, traduisant ainsi les enjeux politiques et économiques engendrés par l’art. Les entreprises sont confrontées à de nombreuses difficultés, ce qui pose la question du soutien à l’activité créatrice, de la valorisation de l’activité et des moyens de défendre la création. La conclusion de contrats permet-elle de répondre efficacement à ces besoins de valorisation et de protection des entreprises ?
11En outre, l’entreprise doit protéger ses créations des copies, des imitations, et également de certains usages sur l’internet. Dispose-t-elle d’armes suffisantes ou est-ce une utopie dans un monde interconnecté d’obtenir le respect des droits de propriété intellectuelle ? De véritables stratégies doivent donc être mises en œuvre, notamment par l’Union européenne, ce qui est fait par de nombreux textes et actions qui seront évoqués ci-après.
12Les rapports entre l’art et l’entreprise touchent à des aspects essentiels de la façon dont l’art existe dans notre monde moderne : parce que ce rapport conditionne la manière dont la création est financée, diversifiée, diffusée, accessible, la manière dont elle sera réalisée et protégée dans le futur. A travers cet ouvrage, nous allons donc voir se dessiner la physionomie des rapports entre l’entreprise et l’art, et nous verrons si ces relations sont équilibrées, fructueuses, ou si l’art pourrait souffrir d’une telle alliance …
Notes de bas de page
1 http://www.ut-capitole.fr/recherche/equipes-et-structures/equipe-propriete-intellectuelle-toulouse-epitoul--217627.kjsp.
Auteur
Professeur à l'Université Toulouse Capitole, Centre de Droit des Affaires (CDA)
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