Synthèse
p. 277-286
Texte intégral
1Parce que nous nous trouvons à Toulouse, ces conclusions en appelleront à un aviateur, Saint-Exupéry, lançant en guise de défi cette proclamation : “La logique qu’elle se débrouille avec la vie !”.
2Le programme de ce qui fut un important colloque a, en effet, quelque chose d’un défi, celui d’avoir voulu traiter de tous les aspects d’une question qui a pris une importance croissante dans les débats contemporains et qui ambitionne de mesurer l’effectivité des droits dont disposent les patients, toutes qualités confondues, quant à l’accès aux soins.
3 A priori, il était évident que les réponses apportées ne pouvaient être qu’imparfaites, empreintes de relativisme, manifestant, une fois de plus, l’écart entre les généreuses et faciles déclamations de principe, la difficulté de les mettre en oeuvre et la modestie des résultats escomptés.
4Le professeur Isabelle Poirot-Mazères n’a pas hésité à relever ce défi et je la remercie de m’avoir associée à ces deux journées de réflexion et de débats, me conviant à relever un autre défi, celui de ramener à l’unité une somme de contributions aussi diverses que fertiles, celui d’analyser la “débrouillardise” des faiseurs de textes et des décideurs, celui de trouver de la “logique” à l’organisation de l’accès aux soins, composante essentielle du droit à la santé.
5Le programme de ces deux journées suivait une articulation traditionnelle : le droit en ses diverses réglementations ; le droit en ses diverses applications pratiques ; les principes et leur réalité ; la règle et son effectivité.
6Et l’un des grands intérêts de cette rencontre, cela a souvent été rappelé, est d’avoir recherché le “regard croisé” des médecins, des personnels de santé, des mouvements associatifs avec celui des juristes. Pour une fois, qui n’est hélas pas coutume, l’irrésistible essor de la spécialisation était mis à mal, l’émiettement des savoirs, les excès identitaires étaient priés de s’effacer, les cloisonnements cédaient, le tout venait avant les parties, droit, sociologie, économie, gestion, psychiatrie... confrontaient leurs approches. Le médecin montrait qu’il était aussi historien et quel plaisir ce fut d’entendre conter l’histoire des hôpitaux de Toulouse, l’histoire des soeurs grises à la fois “saintes” et “peaux de vache” -qualité souvent nécessaire à la bonne administration-, celle aussi du sauvetage de l’admirable Hôtel-Dieu, menacé de destruction par la vaniteuse sottise d’un ingénieur.
7Parce qu’il fallait, d’abord, élever le débat, une question majeure fut d’emblée posée : le droit à l’accès aux soins est-il un droit fondamental ? Oui a-t-il été répondu, car étant l’aspect le plus tangible du droit à la santé, il emprunte à celuici son caractère de droit objectif et même s’il n’est pas directement consacré par la Constitution, il bénéficie indirectement de la reconnaissance en ce droit par le Préambule de 1946. Le droit à la santé fait partie de la douzaine d’objectifs à valeur constitutionnelle, ce qu’a confirmé à maintes reprises, le Conseil constitutionnel.
8Il a le caractère d’un droit créance, d’un “droit à” et rien n’interdit de penser qu’il puisse aussi prétendre être un “droit pour”, un droit-devoir rejoignant ainsi la cohorte des droits de la nouvelle génération. Par ricochet, le droit à l’accès aux soins s’est élargi à tous les actes médicaux -même non thérapeutiques-, il s’est élargi à tous les êtres humains -même aux enfants à naître- et, toujours par effet cliquet, il est pris en compte par la Cour européenne des droits de l’homme dont la jurisprudence joue ici aussi son rôle de stimulation pour les droits nationaux.
9Pour ordonner les travaux de ces deux journées, et en écho aux propos introductifs et à leur présentation, le choix a été fait de distinguer plusieurs thèmes dominants qui furent repris par la plupart des intervenants : la fatalité, l’égalité, la liberté, la solidarité et l’effectivité.
I – FATALITÉ
10Nos sociétés repoussent la fatalité et exigent la sécurité, constat dressé à propos du risque environnemental auquel s’intègre de plus en plus le risque sanitaire. Le risque fatal ne cesse de perdre du terrain, il se programme et le seuil du risque acceptable s’abaisse. Cela va jusqu’à concerner les risques naturels que l’on cherche à prévenir par la planification. Et que dire des risques technologiques. Même si l’affaire de l’explosion de l’usine AZF, qui a endeuillé Toulouse il y a quelques années, se termine provisoirement par une relaxe, ce que l’on vient d’apprendre, elle aura permis de notables avancées du droit à la sécurité.
11Cette évolution se constate en matière d’accès aux soins : médecins et patients cherchent à abaisser le seuil de risque acceptable face à la maladie et à la mort, l’obligation de moyens, qui s’impose aux premiers, se renforce et les seconds se sentent détenteurs de nouveaux droits dont celui d’information, de consentement sinon de participation. Le Conseil d’Etat vient de faire de la perte de chance en matière médicale un préjudice autonome, le pas n’étant quand même pas franchi d’une obligation de résultats.
12Sans doute a-t-il été fait allusion à certaines fatalités récurrentes, celle par exemple de la dette sociale “abyssale”, mais il a été aussi démontré qu’une telle présentation des choses relevait d’une “imposture” car il s’agit moins de fatalité que de mauvaise mobilisation des ressources. Fatalité aussi du désarroi des Français, frappés de mal d’être, ce qui crée un climat de mélancolie démocratique, une misère de la prospérité, une tyrannie de la pénitence et de la méfiance. Et d’ajouter que la médecine traditionnelle est incapable de prendre en charge l’affaissement du seuil de tolérance et ce nouveau type de souffrance.
13Mais des sursauts devant cette fuite dans le désenchantement s’observent qui pourraient alléger le fardeau des contribuables, contraints de prendre en charge cette maladie du siècle. Les sociologues observent le retour en force de la tentation de l’innocence et une recherche du bonheur par d’autres moyens que les psychotropes.
14L’accès aux soins des personnes atteintes de troubles psychiques serait aussi frappé par certaines fatalités notamment celle du déficit croissant du nombre des experts en psychiatrie (700 à peine pour assister les magistrats aujourd’hui). Mais des réformes s’ébauchent pour valoriser le statut du psychiatre, mieux l’identifier au sein des multiples “psy” et rendre l’accès à la profession plus attractif. Et surtout une fatalité, trop longtemps admise, a disparu : celle de l’exclusion de l’accès aux soins de deux catégories de personnes soumises à enfermement : celles souffrant de troubles mentaux et celles qui sont en détention pénitentiaire.
15Les premières ont peu à peu acquis leur qualité de sujets de droit, de sujets consentants du droit, mouvement qui s’est accéléré depuis la séparation de la neurologie et de la psychiatrie en 1960. Les lois se sont succédées, une nouvelle est en préparation pour 2010 et une Charte des patients hospitalisés en psychiatrie a été mise en oeuvre. L’hospitalisation d’office, pouvoir redoutable que le préfet exerce au nom de l’ordre public, se juridiciarise et la nouvelle organisation en “secteurs” favorise la proximité et la pluridisciplinarité donnant plus de garanties au patient.
16Quant à l’accès aux soins des détenus, désormais sous la tutelle du Ministère de la Santé, et pour lesquels un Guide méthodologique a été rédigé, la protection de leur santé se fait désormais sous l’autorité d’un praticien hospitalier pour les missions de diagnostic et de soins. Des secteurs de psychiatrie ont été ouverts dans les prisons et le rattachement à un établissement public hospitalier s’est généralisé en ce qui concerne notamment les hospitalisations de courte durée, le suivi des détenues en état de grossesse, la prévention des maladies transmissibles. La pauvreté, la précarité, la marginalisation de nombreux détenus pose des problèmes particuliers et l’on essaie de valoriser le rôle des surveillants et d’organiser des unités de surveillance obligatoires. Deux questions sont insuffisamment prises en compte : le manque de moyens des services médicaux psychiatriques et le suivi des détenus lorsqu’ils sont remis en liberté.
II – ÉGALITÉ
17Le principe d’égalité dans l’accès aux soins serait-il un principe “fictif” ? La question a été posée dans les propos introductifs.
18Sans doute ce principe est-il proclamé dans de nombreux textes parmi les plus haut placés, sans doute la non discrimination a-t-elle été consacrée dès la loi de 1941 qui ouvrait l’hôpital aux classes aisées : il s’agissait alors plutôt d’égalité des riches par rapport aux pauvres. Mais qu’en est-il réellement ?
19Le principe d’égalité dans l’accès aux soins dans les établissements de santé est l’une des manifestations des lois du service public : égalité des usagers du service, complété par leur droit à la continuité du service. Il faut veiller à l’“amélioration continue dans la qualité et la sécurité des soins” rappelle la loi HSPT du 21 juillet 2009 et le Conseil constitutionnel fait de la continuité des missions de service public hospitalier une mission forte des nouvelles Agences régionales de santé.
20La conception égalitariste : “à chacun selon ses besoins” (art. 2 du Code de déontologie médicale) doit l’emporter sur la conception utilitariste de justice distributive visant au “plus grand bonheur pour le plus grand nombre”. En matière médicale le Bien commun passe par le bien de chaque personne, prise individuellement de manière égalitaire. Le principe de dignité de la personne humaine vient à la rescousse, comme le principe de neutralité, autre loi du service public.
21La loi du 21 juillet 2009, prenant en considération, les réflexions des “Etats généraux sur l’offre de soins” a mis en relief les trois freins à l’égalité dans l’accès aux soins : l’évolution de la démographie médicale, les nouveaux modes d’exercice de la profession et les inégalités nées de l’organisation territoriale d’un système accueillant une pluralité de partenaires.
22Et selon un représentant des associations, observateur et expert autorisé des détresses, les inégalités sont loin d’avoir disparu, inégalités entre les territoires surdotés et les autres, inégalités selon les revenus et selon le niveau d’éducation, inégalités devant les dépassements d’honoraires, question trop occultée. Les personnes démunies et les personnes âgées sont celles qui rencontrent le plus de difficultés dans l’accès aux soins et le pourcentage des remboursements par l’assurance maladie obligatoire diminue, ce qui serait un signe de la persistance des disparités, comme le soulignent les statistiques et les rapports de la Cour des comptes.
23L’égalité s’impose aussi à l’égard de la délivrance des soins de qualité, mais les innovations thérapeutiques les plus performantes sont souvent ignorées des plus démunis. Une autre inégalité est celle de la qualité humaine de l’accueil. Depuis quelques années des réflexions sont enfin entreprises sur la deshumanisation des établissements de santé et sur la nécessité de rétablir une dimension éthique et humaine dans le dialogue singulier entre le médecin et son patient ainsi que dans la relation « bienveillante » entre les personnels de santé et le malade. Le “cure” (soigner), doit s’accompagner du “care” (prêter attention). La loi HSPT invite les établissements à “mener en leur sein une réflexion sur l’éthique liée à l’accueil et à la prise en charge médicale”.
24Quant aux inégalités territoriales elles sont avérées ; la répartition des activités de soins varie d’un département à l’autre entraînant des inégalités manifestes dans l’offre d’accès, ce qui s’observe en particulier Outre-mer (v. Avis du Conseil économique et social du 24 juin 2009). Les réformes de la loi HSPT qui consacre son titre 2 à l’“Accès de tous à des soins de qualité” seront-elles plus efficaces que les incitations financières mises en place à la suite de la loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux ? Agences régionales de santé, conventions entre l’assurance maladie et les professionnels de santé, une réorganisation importante se met en place et les schémas régionaux d’organisation des soins devraient permettre une meilleure maîtrise des inégalités. Rien n’est moins certain car, en dépit de l’objectif affiché de la territorialisation des politiques de santé, l’association des collectivités locales à la “planification sanitaire” n’est guère assurée.
III – LIBERTÉ
25Le thème de la liberté peut sembler mineur par rapport à celui de l’égalité mais il lui est intimement lié. S’agissant de l’accès aux soins ce thème a deux facettes : la liberté du patient et la liberté du médecin.
26Le malade a le droit de choisir librement de se soigner ou non, et il peut choisir librement son médecin et son établissement de santé. Pour autant, le droit à la santé n’est pas une “liberté fondamentale” invocable devant le juge administratif dans le cadre du référé de sauvegarde (Ord. du Conseil d’Etat, 8 septembre 2005), ce qui conforte l’idée que le droit à la santé, si fondamental soit-il en principe, reste encore faiblement opposable dans le contentieux traditionnel.
27La liberté dans l’accès aux soins est plus proche d’une liberté réelle que d’une liberté formelle. Elle peut parfois se trouver en conflit avec d’autres principes dont la force sera supérieure. Il en est ainsi du principe de neutralité qui l’emporte, en cas de conflit, sur celui de liberté, celle surtout des convictions religieuses. C’est au nom de la neutralité que le juge n’a pas accordé au mari le droit de refuser l’intervention d’un médecin homme pour soigner son épouse. L’égalité est une des conditions de la liberté, une limite aussi, mais ce débat magistralement lancé par Alexis de Tocqueville, nous entraînerait trop loin.
28Le principe de liberté trouve une application intéressante dans la manière dont le droit communautaire encourage la mobilité des patients et leur possibilité de se faire soigner dans un autre pays que le leur. La question est délicate car il faut parvenir à concilier le principe de libre circulation des personnes, des marchandises et des services avec la diversité des systèmes de santé qui font partie des domaines particulièrement sensibles de souveraineté et restent de la compétence des Etats, entraînant une grande variété de systèmes.
29La situation actuelle reste complexe et peut se résumer de la manière suivante au regard des règlements du 29 avril 2004 et du 16 septembre 2009 et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Une double distinction peut être faite d’une part entre les soins inopinés (pris en charge par l’Etat de séjour) et les soins programmés (pris en charge par l’Etat d’affiliation), d’autre part entre les soins ambulatoires (où une autorisation préalable n’est pas nécessaire) et les soins hospitaliers (qui requièrent une autorisation pour leur prise en charge).
30Liberté, certes, mais liberté condition. Il faut, selon une formule de la Cour de Luxembourg “garantir une accessibilité suffisante et permanente” tout en assurant “une maîtrise des coûts et en évitant le gaspillage”. L’Union européenne reste effacée, ne disposant que d’une compétence d’appui dans le domaine de la santé encore livré à la compétence des Etats.
31Quant à la liberté des soignants elle pose le problème de leur droit à refuser des soins pour des raisons professionnelles et personnelles D’une manière générale, ce droit est inscrit à l’article 7 du Code de déontologie médicale, ce qui ne pose guère de problèmes. Par contre, la clause spéciale née de la loi Weil de 1975, accordant au médecin la liberté de refuser de pratiquer l’interruption de grossesse, soulève la délicate question de la clause de conscience. C’est une variété d’exception à la loi que seule une loi peut prévoir et qui devrait rester exceptionnelle. S’agit-il réellement d’une clause de conscience ? Trop générale et inconditionnelle il s’agirait plutôt d’une clause de refus donnant rarement lieu à contentieux.
IV – SOLIDARITÉ
32La solidarité, principe phare placé au fronton du Code, a eu des difficultés à s’installer. La notion même de soin resta longtemps ignorée. Les Hôtels-Dieu dirigés par les Evêques dans les villes et par les moines dans les campagnes assuraient, selon une tradition charitable, l’hébergement et non le soin ; quant aux Hôpitaux généraux, ils accueillaient les vagabonds dans un objectif répressif et sécuritaire. La Révolution casse le système, nationalise mais ne reconstruit pas et l’hôpital reste pendant tout le XIXe siècle la “maison des pauvres” aux côtés des “hospices des fous”.
33La médicalisation progressive de l’hôpital exclut longtemps l’idée de solidarité, le système reste municipalisé et les inégalités sociales et territoriales subsistent jusqu’à la loi du 21 décembre 1941 qui marque le début de l’étatisation des hôpitaux et leur ouverture à toutes les classes sociales.
34Actuellement, 93 % de la population dispose d’une assurance d’accès aux soins, financé en grande partie (76 %) par un financement public. 9,5 % du produit intérieur brut est affecté aux dépenses de santé, ce qui place la France aux premiers rangs de cette solidarité nationale. L’assurance maladie obligatoire est le signe le plus évident de la solidarité.
35Elle se manifeste aussi par l’accès aux soins accordés aux étrangers migrants qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière. Ces populations vulnérables ont, en principe, des droits quasi identiques à ceux des nationaux : droits aux techniques médicales les plus performantes, droit aux soins spécifiques d’urgence. Mais, s’agissant des migrants, 200 millions environ dans le monde, on a fait observer qu’ils ne sont pas pris en charge en leur seule qualité d’étrangers en situation régulière, mais en raison d’une identification spécifique : travailleur, exilé, enfants. S’agissant des étrangers en situation irrégulière, les lois de finances successives ont durci les conditions d’accès aux soins - après une résidence de trois mois - et plus de 37 % des praticiens ont refusé de signer l’aide médicale d’Etat. Quant aux étrangers en zone d’attente ou de rétention, l’accès aux soins est différent selon les Centres.
36Qu’en est-il donc de la solidarité réelle ? La situation décrite ce matin était sombre. A partir de statistiques, courbes et tableaux, le caractère théorique de la solidarité a été fortement dénoncé. Et l’on a estimé qu’elle ne s’étendait pas aux personnes les plus vulnérables dont la situation reste fort précaire.
37Un transfert de charges vers les ménages se constate et il n’est pas certain que le nouveau visage du service public de plus en plus accueillant au partenariat public-privé renforce le principe de solidarité.
V – EFFICACITÉ
38Il s’agit ici d’évaluer le mode d’organisation optimal, en recherchant d’abord à qui incombe la responsabilité principale de la préparation et de la mise en oeuvre des réglementations.
39C’est évidemment à l’Etat que revient la responsabilité principale de la politique d’accès aux soins, ce que la loi du 9 août 2004 a solennellement rappelé : objectifs, plans, actions et programmes de santé “relèvent de la responsabilité de l’Etat”.
40Le concours des collectivités locales est indispensable mais si elles apportent leur collaboration et s’associent à l’Etat dans la mise en oeuvre de certaines politiques de santé, elles ne disposent pas, comme il a été dit, de véritables pouvoirs de décision. Le maire, acteur de proximité, n’a qu’une compétence accesoire dans l’exercice de ses pouvoirs de police générale en matière de salubrité, et le rôle des communes ou des groupements de communes lorsqu’ils créent et gèrent des services communaux d’hygiène et de santé n’est que subsidiaire.
41Le département définit et met en oeuvre la politique d’action sociale et assure la promotion et la protection en matière maternelle et infantile. Mais il est de plus en plus distancé par l’échelon régional, encore que la région ne joue qu’un rôle pilote pour les plans ou programmes régionaux sans que lui soient déléguées de véritables compétences. Il y a déconcentration au profit du préfet plus que décentralisation au profit des élus. La régionalisation en matière de santé demeure un “trompe l’oeil”.
42Les critiques qui ont conduit à la loi HSPT dénonçaient l’absence de coordination entre les systèmes de santé et insistaient sur la nécessité de décloisonner l’ambulatoire, l’hôpital et le médico-social. Les agences régionales de santé, élément clé du nouveau dispositif, sont chargées d’assurer cette coordination. Elles fonctionneront sur un modèle déconcentré et non décentralisé et elles devraient décloisonner, fédérer, mettre de l’ordre dans un système qui en a bien besoin.
43L’efficacité impose de développer les méthodes d’évaluation laquelle portera à la fois sur les objectifs, les moyens budgétaires alloués, les affectations budgétaires et les résultats obtenus. La précaution étant un principe à manier avec précaution, l’accent est mis sur les mesures de prévention qu’il convient de renforcer.
44C’est aussi au nom de l’efficacité que le rôle du chef d’établissement se voit renforcé, le corps médical ne devant pas s’exclure des tâches d’administration. L’accent est mis sur la rentabilité. Et il est vrai que si la santé n’a pas de prix, elle a un coût et qu’il est indispensable de rationnaliser les dépenses afin d’éviter de rationner les soins et leur accès. L’hôpital après avoir eu une mission d’accueil de la précarité et de la maladie, puis une mission d’enseignement et de recherche se voit confier désormais une mission de service public industriel et commercial donnant le primat à la rentabilité. Certes, mais on ne saurait oublier que l’hôpital, comme l’Université n’est pas une activité commerciale ordinaire, qu’il est nécessaire de “réencastrer l’économie dans la science morale” (Armatya Sen), ce que vient de rappeler le Comité consultatif national d’éthique.
45Il faut alors imaginer un regroupement de tous les acteurs de la santé et soutenir la participation des patients regroupés en associations. Celles-ci ont parfois été conduites à prendre le relais des pouvoirs publics défaillants, allant jusqu’à assurer une véritable solidarité financière : création de fonds de soutien pour garantir l’accès de tous à des garanties assurantielles. La vocation des associations à servir l’intérêt général et la solidarité universelle a été justement soulignée. Information, concertation, larges débats démocratiques, ici comme ailleurs, les temps sont venus de la participation. Comme en matière d’environnement le droit à l’information n’est plus seulement le droit d’obtenir l’information quand on la demande mais le droit d’obtenir l’information sans avoir à la demander. Les caisses d’assurance maladie, elles-mêmes, ont amélioré leur dispositif de communication. La participation va bien au-delà de la défense d’intérêts collectifs et procède, a-t-il été dit, d’une conception philosophique de la solidarité et de la générosité. La réforme de l’accès aux soins ne peut réussir qu’à partir d’un vaste débat politique en appelant à tous et à chacun.
46Beaucoup d’incertitudes se sont exprimées au cours de ces deux journées mais la connaissance repose davantage sur le doute que sur le dogme et les critiques ont toujours été accompagnées de propositions. Le Colloque, après l’indispensable inventaire, s’est tourné résolument vers l’avenir et la réflexion sur la complexe question de l’accès aux soins sort enrichie de ces confrontations.
47Permettez moi pour terminer de revenir sur les regards et d’en appeler à un regard toulousain, celui du maître de l’Ecole de Toulouse, le doyen Maurice Hauriou. Contemplant son portrait dans la salle des professeurs de la Faculté de droit avec Jean-Arnaud Mazères celui-ci me fit observer que le doyen avait un “regard oblique”, celui qui cherche à saisir l’ailleurs, qui cherche à capter le tout et même l’invisible dans le temps et l’espace. Regards croisés, regards obliques, jeux de miroirs ont enrichi ce débat sur l’accès aux soins.
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
Dix ans après
Sébastien Saunier (dir.)
2011