L’accès aux soins en détention
p. 129-140
Texte intégral
1Les détenus sont privés de liberté mais conservent leurs droits fondamentaux en particulier leur droit à la santé. La population carcérale est une population vulnérable dont l’etat de santé est fragilisé par la précarité qui précède l’incarcération. La mise en détention rompt les liens sociaux et favorise les troubles psychologiques. De plus l’incarcération place le détenu dans une collectivité. A l’origine ce sont des raisons de santé publique et la prévention des maladies contagieuses qui ont justifié les mesures sanitaires proposées à l’admission du détenu. Initialement placée sous le contrôle de l’administration pénitentiaire, la protection de la santé en prison a été organisée par la loi du 18 janvier 19941 qui a constitué un progrès considérable, puisque les soins aux détenus relèvent désormais du ministère de la Santé. Les structures de distribution des soins en milieu pénitentiaire sont en lien avec les hôpitaux de proximité (centre hospitalo-universitaire, hôpital général, ou par convention avec un hôpital privé).
2Depuis le décret 98-10992 les soins sont organisés sous l’autorité médicale d’un praticien hospitalier, pour les missions de diagnostic et de soins. Ainsi l’hôpital entre dans la prison.
3Après avoir exposé l’état de santé de la population carcérale puis l’organisation des structures (1), nous présenterons de manière plus concrète la délivrance de soins (2) en faisant référence à ce qui est normalement accessible aux patients en état de liberté, en particulier, l’accès à tous les soins que nécessitent leur état et le respect de la confidentialité. Enfin, la question plus sensible de l’autonomie des personnes privées de liberté nous conduira à réfléchir sur le refus de soins ou de nourriture. Nous terminerons sur les conditions de remise en liberté pour motif médical.
I – LA POPULATION CARCÉRALE : UNE POPULATION VULNÉRABLE NÉCESSITANT DES SOINS ADAPTÉS
4La personne privée de liberté dépend de l’autorité judiciaire, elle est placée sous le contrôle de l’administration pénitentiaire. Les conditions d’accès aux examens médicaux et aux soins sont organisées en fonction des garanties nécessaires de sécurité. Les droits de la personne incarcérée doivent être respectés. Nous verrons qu’il existe cependant quelques différences liées au régime de détention pour les personnes placées en détention préventive.
1) La santé en détention et les droits des détenus
5La population carcérale augmente, elle était de 59 500 détenus en 2005 et de 63185 au 1er octobre 2008, dont 70 % en détention préventive. Cette population présente des problèmes particuliers de santé liés à la pauvreté et à la marginalisation elle comporte 5 % de sans abris et 15 % d’illettrés.
6L’emprisonnement entraine la perte des liens familiaux et sociaux. Les contraintes de la vie dans la collectivité carcérale résultent du contact avec d’autres détenus (entraînant des problèmes de santé publique), de la présence permanente des gardiens qui assurent une surveillance constante. Le respect des obligations de sécurité impose des mesures de contention lors des transferts afin d’éviter les évasions.
7En 2005 l’observatoire international des prisons a saisi le Comité Consultatif national d’Ethique sur les questions éthiques liées aux conditions de consultation médicale des détenus entravés en présence du personnel d’escorte. Le CCNE a rendu un avis3 sur la santé et la médecine en prison qui va permettre d’éclairer très largement notre propos, en effet il fait état de rapports alarmants du Sénat, de l’Assemblée nationale4, de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des Services Judiciaires (IGSJ)5 sur la situation des détenus dans les prisons françaises. Le rapport du Sénat, Prisons : une humiliation pour la République6, donne le ton des préoccupations. Le CCNE considère que « Ces rapports indiquent tous que la prison demeure, dans de nombreux domaines, un lieu de non respect de l’accès aux soins, de la protection de la santé et de la dignité de la personne détenue, et notamment de la personne malade, handicapée ou en fin de vie ».
8Le rapport du CCNE indique que les besoins sont plus importants que la population générale et leur accès aux soins est plus réduit. A leur entrée : 13 % n’ont pas de protection sociale (27 fois plus que la population générale, les femmes sont plus touchées par la précarité puisque 33 % sont sans protection sociale.), 17 % bénéficient de la CMU (7 fois plus que la population générale). Il s’agit d’une population très vulnérable, à la fois jeune puisque 1 détenu sur 2 a moins de 30 ans, le nombre des mineurs (3300 en 2003) est préoccupant, et vieillissante, les personnes de plus de 60 ans ont triplé en 15 ans. 5 000 détenus environ sont porteurs de handicaps.
9Le nombre de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé que dans la population générale : 14 % de détenus atteints de psychose avérée, 7 % de schizophrènes, 40 % souffrent de dépression.
10De plus la violence en prison est fréquente, auto-agressions, automutilations tentatives de suicide ou suicides, agressions entre détenus, phénomènes de racket, actes de violence entre les détenus7. En 2002, d’après la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme, plus de 6 800 cas de violences entre détenus ont été répertoriées dont 80 % se sont produites en maison d’arrêt. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté8 a fait le même constat dans les cours de promenades lors de ses visites en 2009, ajoutant que « bon nombre des détenus refusent d’aller en promenade de peur des agressions.. »
11Le taux de suicides en prison est sept fois supérieur avec 122 suicides en 2005, 950 tentatives dont la moitié concernent les prévenus. Il y a sept fois plus de suicides lors des mesures d’isolement. La mise en place de mesures de prévention du suicide a réduit de moitié leur nombre en 2008.
12Il n’est pas rare que les détenus terminent leur vie en prison, ainsi entre avril 2002 et décembre 2004, 320 personnes sont mortes en prison, alors que 165 ont bénéficié d’une libération pour raison de santé.
2) Le cadre légal et réglementaire des soins
13Des structures pour les soins somatiques et psychiatriques ont été mises en place. Il s’agit des Unités de consultations et de soins ambulatoires UCSA et les Services médicaux psychologiques régionaux SMPR.
14Les UCSA sont définies par l’article D 368 du CPP et organisées par le Code de la santé publique (art R 711-7 à R 711-18), en liaison avec un établissement de santé situé à proximité. Les 189 UCSA réparties sur le territoire assurent les soins somatiques : les consultations de médecine générale, les soins infirmiers, la délivrance des médicaments, certaines consultations spécialisées, les soins dentaires, les examens de laboratoires pouvant être réalisés sur place, et organise la permanence des soins en dehors de la présence des soignants.
15Un dispositif national pour l’hospitalisation des détenus repose sur la mise en place9 des UHSI (Unités hospitalières sécurisées interrégionales) pour améliorer les conditions d’hospitalisation des détenus et rationaliser leur surveillance.
16Les troubles psychiatriques sont traités dans des secteurs des psychiatrie en milieu pénitentiaire (Service Médico-Psychologique Régional), qui sont rattachés à un établissement de santé et placés sous l’autorité d’un psychiatre, praticien hospitalier, assisté d’une équipe pluridisciplinaire (art D 372 CPP).
17Le SMPR a en charge les soins courants des détenus de son établissement d’implantation et les soins plus intensifs des détenus des établissements pénitentiaires de son secteur. Ils assurent aussi le suivi psychiatrique post-pénal en coordination avec les équipes de secteur de psychiatrie générale et infantojuvénile. Alors que les premiers SMPR ont été mis en place en 1986, il y en a actuellement 26.
3) L’accès aux soins
18Les modalités de l’accès aux soins sont prévues par le code de procédure pénale dans chaque circonstance. Depuis 1994, l’hôpital est entré dans les prisons et le code de la santé publique organise la distribution des soins en milieu pénitentiaire dans les articles L. 6112-1 et R 6112-1 et suivants.
19Lorsque l’état de santé du détenu nécessite une hospitalisation en urgence et pour une courte durée, il est admis dans un établissement public hospitalier, ou dans un établissement privé conventionné. L’admission dans les établissements publics de santé est organisée par les articles R. 1112-30 s, et R 6147-1 et suivants du CSP.
20Dans les autres conditions, pour des soins non urgents au long cours, c’est le Ministre de la Justice qui autorise l’admission dans un établissement de soins pénitentiaire à vocation nationale (art D 393 CPP). La distribution des soins dans ces établissements de santé spécifiques est prévue par les articles L. 6141-5 et R 6147-1 s du CSP.
Les prises en charges spécifiques
21 - La grossesse : si une détenue est en état de grossesse, une surveillance appropriée des femmes enceintes est effectuée par un établissement de santé en mesure de répondre à son état de santé (art D 400 CPP). L’accouchement se déroulera dans cet établissement. Si la naissance a lieu dans le lieu de détention, l’acte d’état civil mentionnera seulement le nom de la rue et le numéro de l’immeuble10. Les enfants sont autorisés à rester auprès de leur mère jusqu’à l’âge de 18 mois. (Art D 401 CPP).
22 - Les maladies transmissibles : des mesures spécifiques sont prévues pour la prévention des maladies transmissibles telle que la tuberculose (art D 384-1). Une prophylaxie des maladies vénériennes est organisée (art D 384-2 CPP).
23Les mesures pour le diagnostic de l’infection au HIV sont prises seulement avec l’accord de l’intéressé (art D 384-3 CPP).
24 - Les dépendances : les dépendances à un produit licite ou illicite sont également prises en charge, en collaboration avec des centres spécialisés. On observe de grandes divergences selon les établissements allant du sevrage brutal avec ou sans psychotropes, à la substitution par la méthadone ou le Subutex.
25 Les troubles mentaux graves : l’hospitalisation pour troubles mentaux11 est organisée par les articles L. 3214-1 et suivants du CSP qui prévoit des unités spécialement aménagées pour les détenus. Le type d’hospitalisation est comparable à celui des autres malades mentaux. Les modalités de l’hospitalisation sans consentement sont définies par l’article L. 3214-5 du CSP.
La fin de vie et la suspension de peine pour motif médical
26L’article 10 de la loi du 4 mars 2002 a prévu la libération pour raison médicale des condamnés en fin de vie. Cette disposition s’inscrit dans le code de procédure pénale, article 720-1-1 : “la suspension de peine peut être ordonnée… pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention…”. La circulaire du 24 juillet 200412 précise la mise en œuvre de la mesure qui s’applique sans condition par rapport à la nature et à la durée de la peine, cette décision appartient à l’autorité judiciaire, mais elle ne peut pas s’appliquer aux prévenus qui peuvent bénéficier d’une mise en liberté demandée par le juge d’instruction.
27Pour faire valoir ce droit le détenu fait établir par le médecin qui le suit un certificat médical destiné au juge à l’application des peines qui prononcera la mesure.
II – LA DÉLIVRANCE DES SOINS EN PRISON, UN disposiTIF RÉCEMMENT AMÉLIORÉ QUI PEINE À RÉPONDRE AUX BESOINS DES DÉTENUS
28Un guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale a été élaboré conjointement par le ministère de la Santé et le ministère de la Justice, et publié le 8 décembre 199413. Ce guide recommande la prise en compte des droits des malades et attribue un rôle crucial au surveillant dans l’articulation des relations entre détenus et soignants
29Les surveillants sont mis à la disposition du service médical pour l’accueil et la sécurité des espaces médicaux, ils sont astreints au secret professionnel. Les surveillants constituent un pivot essentiel de l’accès aux soins, ils transmettent les demandes de consultation formulées par les détenus, mais ils peuvent aussi demander à ce qu’un détenu soit examiné.
1) La déontologie des soins aux détenus
30Si l’on se place du point de vue médical, les devoirs de médecins tels que prévus par la déontologie médiale sont sans équivoque. L’article 7 du code de déontologie14 demande au médecin de soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient… leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à son égard… et leur apporter son concours en toute circonstance…
31Et plus largement, l’article 1015 rappelle le devoir de respecter les droits de la personne privée de liberté “un médecin appelé à examiner une personne privée de liberté ou à lui donner des soins ne peut, directement ou indirectement, serait-ce par sa simple présence, favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale de cette personne ou à sa dignité…”
32A l’évidence, d’après les différents rapports décrivant la situation dans les prisons, les professionnels de santé ne peuvent pas toujours se conformer aux règles de leur déontologie.
33Le principe fondamental du libre choix du praticien n’est pas possible en prison. “Les détenus ne peuvent être examinés ou soignés par un médecin de leur choix, à moins d’une décision du directeur régional des services pénitentiaires territorialement compétent.”16
34 - Le consentement éclairé et le refus de soins : En prison le principe du consentement aux soins est respecté, l’article D 362 Code de procédure pénale précise que le détenu doit exprimer son consentement conformément à l’article 36 du code de déontologie.
35Concernant le refus de soins et la grève de la faim, la volonté du détenu doit être respectée après information des conséquences. Aucune alimentation forcée n’est possible, sauf si un risque vital est en jeu. L’article D 364 du CPP “Si un détenu se livre à une grève de la faim prolongée, il ne peut être traité sans son consentement, sauf lorsque son état de santé s’altère gravement et seulement sur décision et sous surveillance médicale”.
36 - La confidentialité et le secret professionnel. L’article L 1110-4 CSP respect de la vie privée et du secret des informations s’impose à tout professionnel de santé. Les examens médicaux dans les établissements civils devraient se faire hors de la vue des forces de l’ordre. Or l’escorte pour les soins hors du lieu de détention est assurée par l’administration pénitentiaire, avec une garde policière pendant l’hospitalisation. Dans certaines circonstances, en raison de la dangerosité du détenu les gardiens restent présents, et même s’ils sont astreints au secret professionnel cette présence reste une atteinte à la confidentialité.
37Le dossier médical du détenu était autrefois archivé avec le dossier pénitentiaire, sa confidentialité est assurée par le service médical17.
38 - La délivrance d’attestations ou de certificats. Ils sont remis au détenu sur sa demande, comme prévu par l’article D. 382 du CPP, ou sous réserve de son accord exprès, remis à sa famille ou à son conseil.
2) Les difficultés dans l’accès aux soins
39 - Le handicap
40Le pourcentage de personnes handicapées incarcérées était de 6 % en 2003, ce chiffre augmente du fait du vieillissement en prison. Pour les personnes dépendantes âgées ou handicapées, le rapport de l’Académie de Médecine18 (2003) constate que les personnes âgées sont incarcérées dans des structures inadaptées aux handicaps physiques liés à l’âge : nombreux escaliers, absences d’ascenseurs ou de plans inclinés pour les fauteuils roulants. Aucune aide technique n’est prévue, pas de tierce personne pour les aider au quotidien. L’aide nécessaire pour les handicapés est à la charge du personnel pénitentiaire, et parfois organisée avec les co-détenus. S’agissant d’un détenu en fauteuil roulant, le Cour Européenne des droits de l’homme a condamné la France19 parce que pour passer les portes, le détenus était contraint d’être porté, une roue du fauteuil était démontée puis remontée après que le fauteuil ait passé l’embrasure de la porte.. L’intéressé était entièrement à la merci de la disponibilité des autres détenus. Le fait que la personne ne peut pas se déplacer et quitter sa cellule par ses propres moyens constitue un traitement dégradant pour la Cour.
41Ces carences devraient progressivement s’estomper puisque les personnes détenues peuvent bénéficier de l’allocation aux adultes handicapés et de prestations spécifiques pour une tierce personne (ACTP) et de l’aide personnalisée à l’autonomie. Toutefois, seuls les nouveaux établissements pénitentiaires sont tenus de disposer de cellules aménagées pour les handicapés.
42 - Le suivi psychiatrique des détenus. Selon l’enquête DREES-GFEP20 conduite en 2001 auprès des SMPR, parmi les 2 300 entrants enquêtés, la moitié d’entre eux présentait au moins un trouble psychiatrique, et un sur 5 avait déjà été suivi par des services psychiatriques. Les troubles sont plus fréquents chez des sujets ayant des antécédents judiciaires. Il y a davantage de femmes suivies dans les SMPR que dans le reste de la population carcérale. Un tiers des détenus suivis présente des troubles de la personnalité, et un quart des troubles liés à une dépendance addictive, 12 % des troubles névrotiques ou anxieux, 8 % souffrent de psychose et 7 % de troubles de l’humeur. Ces pathologies sont différentes de celles de la population suivie dans les secteurs psychiatriques dans lesquels prédominent les troubles psychotiques et dépressifs.
43La prise en charge des détenus par les SMPR est majoritairement ambulatoire. Les SMPR ne disposent pas toujours de lits d’hospitalisation, la situation est plus difficile pour les détenues qui n’ont pas toujours accès aux activités thérapeutiques organisées par les SMPR21.
44Les schizophrènes représentent 13 % de la population carcérale (pour 1 % de la population générale). Leur nombre augmente parce que l’irresponsabilité pénale qui les conduisait habituellement vers les hôpitaux psychiatriques est moins souvent reconnue. Déjà dans son rapport de 200022 l’Assemblée nationale considérait que « la surpopulation carcérale est à l’origine d’un traitement qui peut être considéré à juste titre comme inhumain et dégradant ». La Cour Européenne des Droits de l’homme a sanctionné la France23 pour le maintien en détention d’un schizophrène sans encadrement médical adapté alors qu’il présentait des troubles mentaux sévères avec compulsion d’une auto-strangulation. Ces conditions de détention ont été qualifiées par la Cour de traitement inhumain et dégradant.
45La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme considère que les conditions d’hébergement et de vie sont attentatoires à la dignité24 : « enfermer en maison d’arrêt 3 ou 4 personnes dans une cellule de 9 m2 avec une cuvette de WC non isolée constitue non seulement une atteinte à l’hygiène, mais aussi une agression psychologique majeure, et une atteinte à la dignité humaine des détenus qui sont contraints d’assurer leurs besoins élémentaires sans la moindre intimité ». La Commission a constaté que l’accès aux soins d’urgence est quasiment inaccessible la nuit et difficile le week-end et en semaine, en raison de la procédure à mettre en œuvre et des difficultés d’appréciation rencontrées par les surveillants. En effet, le surveillant doit pouvoir entendre les appels de détresse de la personne malade ou des co-détenus, évaluer la situation et éventuellement demander à un gradé (seul habilité à ouvrir la cellule) de se rendre sur place et enfin appeler le centre 15 pour qu’un médecin puisse organiser les soins nécessaires.
3) Les questions sensibles spécifiques à la détention
46 - L’isolement et le quartier disciplinaire. Des mesures particulières sont appliquées aux détenus dangereux qui peuvent être mis à l’isolement, pour une durée maximum de 45 jours. Ce régime est parmi les plus sévères d’Europe, au point que le rapport du Sénat en 2003 recommandait que la durée soit réduite à 20 j. Les médecins procèdent à l’examen du détenu chaque fois qu’ils l’estiment nécessaire et au moins 2 fois par semaine25 pour s’assurer que leur état de santé est compatible avec la mesure, ils sont confrontés à un dilemme éthique puisque ce sont les médecins chargés des prestations de médecine générale qui assurent également le rôle d’expert pour autoriser le maintien dans un régime disciplinaire26. Il y a là une confusion qui est normalement interdite par le code de déontologie.
47 - Le menottage. Les évasions au cours des extractions pour consultation médicale sont rares mais l’administration pénitentiaire a renforcé le recours au menottage et aux entraves27, en effet sur les diverses possibilités décrites, il n’y en a aucune qui permette de laisser le détenu sans moyen de contrainte tant pendant le trajet que pendant la consultation. Ces pratiques peuvent porter atteinte à la relation de confiance qui doit s’établir entre le médecin et la personne examinée. Il appartient au médecin seul de décider si la personne doit être menottée ou entravée. Des situations indignes ont été rappelées par le CCNE28 telles que l’accouchement d’une femme menottée ou des entraves mise sur une personne se déplaçant avec un déambulateur. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a pour sa part sanctionné la France pour violation de l’article 3 : interdiction des traitements ou peines inhumains ou dégradants dans le cas d’un patient atteint d’une leucémie myéloïde qui s’est plaint d’avoir été enchainé attaché au lit par un poignet pour des séances de chimiothérapie, conditions qui l’ont amené à refuser le traitement. La Cour estime que vu l’état de faiblesse, cette mesure est disproportionnée au regard des nécessités de la sécurité. Les modalités d’exécution des mesures prises ne doivent pas soumettre un détenu à une détresse ou une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. 15 000 euros ont été alloués au requérant pour son préjudice moral29.
48 - La grève de la faim. Le CCNE s’est déjà prononcé sur cette question dans son avis, Refus de traitement et autonomie de la personne30. Ce comportement exprime toujours une détresse. Le médecin doit informer la personne des risques encourus sans influencer sa détermination. Le comité rappelle que le médecin est un médiateur médical qui doit respecter la volonté du détenu sans lui faire courir de risque grave. En aucune façon il ne doit procéder à une alimentation forcée.
49 - La fin de vie. La suspension de peine pour raison médicale est appliquée de manière très restrictive. L’étude de la CNCDH de 2005 a recensé 436 demandes entre avril 2002 et décembre 2004 avec 60 % de refus. La Ministre de la justice interrogée en séance à l’assemblée sur cette question explique que ce sont les difficultés rencontrées pour la prise en charge à la sortie (hospitalisation, accueil en famille, en foyer) qui ne permettent pas d’accorder cette mesure plus souvent.
CONCLUSION
50Depuis 1994 d’importants progrès ont été réalisés pour l’accès aux soins des détenus, grâce à la présence des médecins et des soignants sur le lieu de détention. Certains détenus ont même une meilleure protection de la santé pendant leur incarcération, notamment pour les soins dentaires et le traitement des maladies chroniques. Cependant les contraintes d’organisation sont encore trop lourdes notamment pour l’accès aux soins à la sortie, la poursuite des traitements, l’admission dans une structure adaptée. Nombre de détenus n’ont pas accès à la remise de peine pour motif médical en raison de l’absence d’un dispositif adéquat pour les prendre en charge.
51Le respect de la vie privée et de la dignité reste la préoccupation essentielle. Du fait de leur vétusté certains établissements pénitentiaires ne sont plus adaptés à l’état de la population carcérale. Les contraintes liées aux obligations de sécurité s’ajoutent à des conditions de détention difficiles en raison de la surpopulation.
52Le principe défini par la loi selon lequel aucune personne ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins (Article L 1110-3 du CSP) ne peut à l’évidence s’appliquer aux détenus. De même que les prescriptions de l’article D. 189 du Code de procédure pénale qui dispose « à l’égard de toutes les personnes qui lui sont confiées, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine…. » ou celles de l’article L 114-1 du Code de l’action sociale et des familles qui garantissent à toute personne handicapée « l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté »31.
53Les professionnels de santé qui officient en prison ont un rôle prépondérant lié à leur indépendance. S’ils respectent leur déontologie, ils peuvent constituer un rempart limitant d’inévitables excès et apporter un peu d’humanité à cette population vulnérable.
Notes de bas de page
1 Loi 94-43 du 18/1/1994 relative à la santé publique et à la protection sociale JORF no 15 du 19 janvier 1994 p 960.
2 Décret 98-1099 du 8 décembre 1998 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : décrets relatifs à l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires. JORF no 285 du 9 décembre 1998 p. 18498.
3 CCNE, Avis no 94, La santé et la médecine en prison, www.ccne-ethique.fr/avis.php
4 L. MERMAZ, J. FLOCH, La France face à ses prisons, Rapport Ass. Nat., no 2521, 28 juin 2000.
5 L’organisation des soins aux détenus, IGAS, Rapport d’évaluation, juin2001.
6 J.-J. HYEST, G.-P. CABANEL, Rapport Sénat, no 449 du 29 juin 2000, www.senat.fr
7 Le rapport de l’assemblée nationale de 2000, La France face à ses prisons attribue cette violence à la surpopulation pénale.
8 Mis en place par la loi 2007-1545 du 30 octobre 2007. Voir le rapport de J.-M. DELARUE, www.journal-officiel.gouv.fr
9 Article R 711-19 du CSP.
10 Article D 400 du Code de procédure pénale.
11 Loi 2002-1138, 9 septembre 2002, Orientation et programmation pour la justice, article 48.
12 Circulaire DHOS/DGS/DAP no 2003-440 du 24 juillet 2003 relative au rôle des médecins intervenant auprès des personnes détenues dans le cadre de la procédure de suspension de peine pour raison médicale.
13 www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/detenus_protecsociale/detenus.pdf.
14 Article R 4127-7 du Code de la santé publique.
15 Article R 4127-10 du Code de la santé publique.
16 Article D. 365 du code de procédure pénale
17 Art D 375 du Code de procédure pénale.
18 Situations pathologiques pouvant relever d’une suspension de peine, pour raison médicale, des personnes condamnées, suite à l’article 720-1-1 du code civil de procédure pénale, 9 décembre 2003. Rapport déposé le 21 octobre 2008 www.canalacademie.com.
19 Cour Européenne des Droits de l’Homme, Vincent c/France, 626, 24.10.2006.
20 La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus accueillis par les services médico-psychologiques régionaux, DREES, Etudes et résultats, no 181 juillet 2002, en ligne, www.sante.gouv.fr/htm/publication.
21 Selon le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe en 2005 (cité dans l’avis 94 du CCNE p12), il n’existait que 2 SMPR pour femmes sur toute la France.
22 Rapport no 2521 du 28 juin 2000 www.assemblee-nationale.fr
23 Cour Européenne des Droits de l’Homme, Rivère c/France 417, 11.7.2006.
24 Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues en 2006, www.cncdh.fr.
25 Art D 251-4 CPP pour le quartier disciplinaire et art D 283-1 pour l’isolement.
26 Article D 381 du code de procédure pénale.
27 Circulaire du 18 novembre 2004 relative à l’organisation des escortes des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale.
28 Avis no 94, préc. p. 27.
29 Cour Européenne des Droits de l’Homme, Mouisel c/France, 570, 14.11.2002.
30 Avis no 87, 14 avril 2005.
31 Loi 2005-102, du 11 janvier 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (article 2).
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