Avant-propos
p. 11-14
Texte intégral
1Les pages qui suivent reprennent pour l’essentiel ce que furent en novembre 2009 les interventions et débats lors du colloque organisé par l’équipe du TACIP, sur “L’accès aux soins. Principes et réalités”. La loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires avait alors quelques mois mais avait déjà suscité, dès avant son entrée en vigueur au milieu de l’été, outre de franches réticences, divers commentaires, parfois perplexes, généralement inquiets. Elle fut logiquement au centre de nos discussions, motif de nombreux questionnements, comme le fut, entre autres, le projet de loi sur la psychiatrie.
2Pour avoir une vision moins académique peut-être, et en tous cas la plus impartiale et réaliste qui puisse être, furent associés à la réflexion universitaires et professionnels du soin et de la prise en charge, juristes et médecins mais aussi responsables administratifs et représentants d’associations d’usagers.
3L’objectif était de revisiter ce thème largement exploré mais jamais épuisé de l’accès aux soins dans notre pays, alors que le système de santé change en profondeur et que ses équilibres se modifient sous l’impact de réformes successives, elles mêmes composantes d’un vaste projet de libéralisation. Il y a dix ans, l’OMS n’hésitait pas à qualifier ce système de meilleur du monde. Les avancées médicales spectaculaires du siècle écoulé, comme la coexistence de deux secteurs public et privé garantissant un efficace maillage du territoire, ensemble soutenu par un financement collectif et solidaire, semblaient faire de l’accès de tous à des soins de qualité et en tous points du pays, un objectif réaliste. Le droit aux soins, l’un de ces droits consacrés il y a plus de soixante ans comme paradigme des nouveaux rapports de l’Etat et des citoyens, pouvait être garanti sans remettre en cause la liberté de tous et chacun, celle du patient comme celle du praticien. Toutefois, cet équilibre, déjà acrobatique dans une société en pleine expansion, ne pouvait qu’être affecté par la dégradation des conditions économiques et sociales comme par le vieillissement de la population et l’augmentation des dépenses socialisées.
4Au cours de la décennie passée, confirmant cette vérité première selon laquelle la santé est affaire collective et donc objet politique, de grands textes ont ainsi réaffirmé vigoureusement l’investissement des pouvoirs publics au soutien des plus défavorisés (CMU, AME), leur rôle dans la définition des politiques de santé et la lutte contre les inégalités (loi no 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, articles 1411-1 et s. du CSP). Dans le même temps, le législateur consacrait de façon solennelle les droits des patients et leur place centrale dans le système de soins (loi no 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé). Pourtant dès alors, les premiers signes d’une évolution apparaissaient dans certaines formulations et plus explicitement encore dans certaines dispositions (instauration des franchises, aménagement du parcours de soins, médecin traitant). Plus encore, la réalité de la relation de soins laissait transparaître certaines altérations, transformation du “colloque singulier” à connotation souvent paternaliste en un rapport quasi marchand de gestion médico-économique. Et l’on a pu voir, alors, des professionnels de santé refuser de recevoir des patients, à l’encontre même de leur déontologie, et des établissements sélectionner leurs prestations en fonction de leur tarification… Autant de condamnations de fait du modèle initié aux lendemains de la seconde guerre mondiale, au travers de la consécration par le Préambule de la Constitution de 1946 d’un droit fondamental à la protection de la santé, “la Nation garantit à tous et notamment à l’enfant, à la mère ou au vieux travailleur, la protection de la santé”.
5Désormais, qu’il en soit ainsi réellement ou non, six Français sur dix estiment selon les termes du CISS que ce système, un temps exemplaire, est devenu en quelques années “une machine à juger du droit d’accès aux soins, selon le rang et la fortune”.
6Sur quoi se fonde une telle appréciation ? D’abord, semble-t-il sur une certaine réalité des discriminations rapportées non seulement par les associations d’usagers ou des ONG comme Médecins du Monde mais aussi établies par des rapports officiels, et résultant tant des comportements de certains professionnels de santé (dépassements d’honoraires, refus de soins) que des défaillances des prises en charge. Ensuite, sur la difficulté croissante pour bon nombre de Français de trouver un médecin dans certaines zones qui sont désormais dépourvues d’offre de soins de proximité (question de la démographie médicale, constitution de “déserts médicaux” dans les campagnes mais aussi dans certains quartiers sensibles, déséquilibres géographiques persistants). Enfin sur les aménagements imposés du financement des soins, auquel l’assuré est appelé à participer de plus en plus, en raison tout à la fois du coût des innovations technologiques, du vieillissement démographique qui pèse sur les soins, et de ressources fortement éprouvées par les contraintes économiques.
7Il était ainsi utile de réinterroger cette thématique en premier lieu sur le plan conceptuel et normatif : à cet égard, rappeler les origines historiques comme les sources textuelles de l’accès aux soins, en reprendre l’étude des liens avec le service public, appréhender quelle en est aujourd’hui l’approche communautaire, ces préalables sont apparus indispensables avant toute analyse des “traductions singulières” de l’accès aux soins, analyse des “urgences populationnelles” (détenus, étrangers et migrants, malades mentaux,…).
8Dans un second temps, la mesure de l’effectivité de ce droit en France imposait de réfléchir aux conditions concrètes, à l’accessibilité des soins. Pouvoir consulter le praticien de son choix, en tous points du territoire et quels que soient ses revenus, trouver un établissement et des professionnels dans des conditions avérées de qualité, de sécurité et de permanence, tels étaient traditionnellement les termes de notre rapport aux soins en France. Désormais, le bilan, peu favorable -qu’il s’agisse de la délivrance même des soins ou de l’offre territoriale-, conduit à reconsidérer ces aspects, sans pour autant en remettre en cause les fondements et les principes structurants. Les débats sont largement entamés, ils sont loin d’être clos.
9Notre système est en mutation profonde, et des évolutions s’imposent. Mais, et cela fut dit à de nombreuses reprises lors de nos travaux, leur pertinence s’appréciera dans la capacité des pouvoirs publics à garder comme ultime référence, comme finalité première, le soin aux patients. N’est-ce pas d’ailleurs sur ces phrases là que s’ouvre le Code de la santé publique : “Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible”.
Auteur
Professeur à l’Université Toulouse I Capitole, TACIP
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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2011