La personnalité des sociétés commerciales à l’épreuve du droit du travail
p. 319-334
Texte intégral
1“Décentralisation productive, travail en réseaux, (…), affiliation à un groupe, filialisation, sous traitance généralisée, transformation des salariés en indépendants, essaimage, recours aux agences d’intérim”… Le constat s’impose : “l’entreprise est en morceaux”1. En effet, “ le schéma ancien – une entité qui traite d’égale à égale avec des entités séparées (fournisseurs, clients) et qui fait travailler à cet effet ses salariés en situation de subordination juridique - est de moins en moins conforme à la réalité”2. Ainsi, - et alors que le modèle français de l’entreprise était celui d’une entreprise patriarcale disposant d’une assise territoriale et qui se présentait comme une unité juridique, physique et sociale de production, il est aujourd’hui difficile de tracer ses contours tant ceux-ci sont devenus opaques. Sont en cause “les pratiques d’externalisation et les différentes modalités de mise à disposition de salariés (qui) peuvent apparaître comme les deux faces d’une même démarche de l’entreprise (cherchant) à recentrer son activité sur son “métier” ou sur des fonctions plus rentables”3. Cette “multiplication des formes d’extériorisation d’emploi comme le développement des formes triangulaires conduisant une entreprise à mettre des salariés à la disposition d’une autre” ne laissent ainsi plus subsister grand-chose de ce mythe français de l’entreprise4.
2Dans ces conditions, comment le droit du travail français peut-il remplir ses fonctions traditionnelles ? De quelle façon assurer la protection de l’emploi dans des entités aux frontières désormais poreuses ? L’enjeu est d’importance que l’on se place sur le terrain des relations individuelles ou collectives de travail.
3Au plan individuel, il apparait en effet qu’exception faite de l’hypothèse règlementée du travail temporaire, “dans tous les autres cas d’ingérence d’un tiers au contrat, le salarié n’aura de lien de droit qu’à l’égard de l’employeur nominal. Voilà pourquoi on entre dans le domaine de l’employeur apparent, de l’employeur introuvable, de l’employeur irresponsable chaque fois qu’apparaît une relation triangulaire de travail : par l’extériorisation de l’employeur lui-même en tant qu’organe de décision, le maître de l’affaire se plaçant hors de portée juridique du champ d’intervention des salariés et de leurs organes de représentation (éclatement des structures sociétaires, filialisation…) ; par l’extériorisation des travailleurs, c’est-à-dire par la mise sur orbite juridique à la périphérie de l’entreprise de catégories de personnels qui y sont occupés plus ou moins durablement dans le cadre de contrats d’intérim, de détachement ou de sous-traitance”5.
4Quant à l’impact collectif de l’éclatement contemporain des structures de l’entreprise, il est tout aussi central puisqu’il y va de la réelle adéquation des systèmes de représentation aux nouvelles réalités du monde du travail6. On observe en effet que, dans tous les cas de relations triangulaires de travail par suite d’une dissociation entre gestion et utilisation de la main-d’œuvre, mais également au sein des groupes de sociétés, les structures de représentation et de négociation ne permettent pas toujours d’accéder à l’interlocuteur ad hoc, ie. donneur d’ordre ou titulaire du véritable pouvoir économique. Se pose ainsi la question de la pertinence et de la cohérence des règles de droit collectif en cas d’éclatement de la collectivité de travail ainsi que celle de l’identification de l’employeur véritable, entendu comme organe de décision effectif.
5Or il s’avère que - si la nécessité de répliquer à ces phénomènes d’atomisation des entreprises s’impose au nom de la préservation des droits sociaux - la réponse n’est pas simple d’autant que c’est le droit lui-même qui fournit aux entreprises les moyens juridiques7 propres à provoquer leur éclatement, avec toutes les conséquences en résultant en termes d’emploi : le contrat d’un côté, la société de l’autre, constituent en effet les deux fondements juridiques sur lesquels reposent les techniques utilisées pour provoquer une fragmentation des entités économiques et, par là-même, une extériorisation de la main-d’œuvre.
Le contrat, d’abord, puisqu’une telle extériorisation peut résulter de montages faisant intervenir le personnel d’une autre entreprise, que ce personnel reste sous l’autorité de son employeur (sous-traitance, prestations de services) ou qu’il fasse l’objet d’une mise à disposition de l’entreprise utilisatrice sur le modèle de l’opération de travail temporaire (prêt de main-d’œuvre, portage salarial).
Le recours à la société - et donc à la personnalité morale – ensuite et sont, bien sûr, visés la filialisation, mais également d’autres processus - non plus de domination entre entreprises - mais de collaboration, tels le recours à une filiale commune.
6Certes, il n’est dès lors guère étonnant que le droit – du travail – ne puisse que difficilement détruire ce que le droit - civil et commercial - a lui-même autorisé.
7Pour autant, différentes solutions existent, reflétant “le réalisme d’un droit du travail (l’ayant très vite conduit) à dépasser les apparences et les constructions juridiques pour faire apparaître la réalité et assurer la mise en œuvre des règles de protection des droits des salariés”8. Une logique similaire semble plus précisément les rapprocher puisque toutes traduisent le même souci de recourir à des standards (“entreprise” et “employeur”) pour ramener ces situations protéiformes à des situations connues.
8C’est ainsi que l’une de ces solutions consiste à “reconstruire” l’entreprise éclatée, au-delà des montages sociétaires, pour saisir l’organisation d’une collectivité de salariés travaillant sous l’autorité d’un même chef : à cet égard, le concept d’UES peut être analysé comme un outil de recomposition de l’entreprise en droit du travail… au-delà des frontières juridiques (I). Par ailleurs, on assiste à une montée en puissance du “co-emploi”, un concept qui traduit le fait que “l’écran de la personnalité juridique ne garantit plus un strict cloisonnement des qualités d’employeurs”9… mais dont certains craignent qu’il constitue un facteur – non de “justice sociale”10 - mais de déstabilisation des groupes de sociétés (II).
9Au final, une même logique sous-tend ces deux évolutions. Elle reflète une certaine indifférence à l’égard de la personnalité juridique que le droit du travail – tout en l’affirmant11 - n’hésite pas à nier pour mieux répliquer aux phénomènes de fragmentation des organisations privées. Incontestablement, la personnalité morale des sociétés commerciales se trouve ainsi ébranlée par un droit du travail soucieux de répondre aux craintes de salariés dont l’employeur de droit n’est, dans les sociétés à structure complexe, souvent doté que de prérogatives réduites12. D’ailleurs, une telle évolution ne saurait surprendre : elle répond à la montée en charge de la terminologie onusienne de “sphère d’influence” désormais prônée au niveau international et qui a pour but de combler le fossé entre la portée juridique d’une entreprise transnationale et sa réalité économique13.
I – L’UES, OUTIL DE RECONSTITUTION DE L’ENTREPRISE EN DROIT DU TRAVAIL
10Par atavisme sans doute, il est indéniable qu’en France, le premier réflexe de la jurisprudence sociale a consisté à nier les clivages juridiques créés par les entrepreneurs afin de ramener à des questions connues des réalités complexes. En effet, les juges ont tenté de “redessiner la collectivité de travail derrière les artifices des dissociations d’entreprises purement juridiques ou matérielles”14 : ainsi, une première “démarche (a-t-elle) consisté à rechercher si, sous le voile de personnalités juridiques distinctes, se cachait une seule et même entreprise”15, appelée UES (A). Mais ce concept, en dépit de son intérêt, souffre d’une portée limitée dans la mesure où - s’il constitue un périmètre efficient pour la représentation collective - il ne saurait être analysé comme l’employeur de tous les salariés des structures qui composent une telle UES, ce qui entraîne d’importantes conséquences dans le champ du licenciement économique (B).
A – La plus value du concept : un périmètre efficient de la représentation du personnel
11L’évolution est désormais bien connue : alors que, traditionnellement, l’entreprise était assimilée à la personne physique ou morale qui en était propriétaire ou l’exploitait, la doctrine et les juges ont pris conscience des limites de cette analyse classique consistant à admettre qu’à chaque société employant du personnel et détenant la qualité d’employeur correspond une “entreprise” au sens du droit du travail. Ce constat s’est notamment imposé dans tous les cas où un employeur décide de diviser son “entreprise” en plusieurs sociétés et de répartir ses salariés entre elles, de façon qu’aucune d’entre elles n’atteigne les seuils d’effectifs déclenchant la mise en place d’instances de représentation. Naturellement, ce sont les juridictions répressives qui, les premières, ont refusé de tenir compte de l’écran juridique de la personnalité morale des sociétés16. Mais très vite, une autre analyse a prévalu17. Dès le début des années 70, la Cour de cassation a jugé que, même en l’absence de fraude, des sociétés dotées de la personnalité morale peuvent constituer “non des entreprises séparées mais, en raison de leur compénétration, de la confusion de leurs activités et de leur communauté d’intérêts et de direction, un ensemble économique unique”18. Ainsi la jurisprudence a-t-elle rejeté le principe selon lequel il existe autant d’entreprises que de personnes juridiques ayant la qualité d’employeur et décidé de considérer comme une seule “entreprise” - ainsi pourvue de représentants communs-celles des sociétés d’un groupe entre lesquelles apparaissent des liens économiques étroits et des conditions de travail similaires attestant leur unité. Le législateur ayant entériné ces solutions dans l’article L 2322-4 C. trav, les règles suivantes sont acquises. Pour être reconnue par convention ou par décision judicaire, l’UES doit correspondre à une “entreprise” au-delà des apparences, c’est-à-dire à une communauté économique et de travail. En pratique, la première se manifestera par une identité de direction (dirigeants communs, administrateurs,...), de moyens (comptabilité, locaux communs,...) d’intérêts (échanges techniques, participations financières…), ainsi que par l’identité ou la complémentarité des activités poursuivies par les sociétés concernées19. A cet égard et si “le juge ne peut se borner à relever l’appartenance des sociétés concernées à un même groupe sans caractériser la concentration du pouvoir de direction entre les mêmes mains, il n’est (cependant) pas nécessaire de caractériser la détention de mandats sociaux croisés ou cumulés de toutes les sociétés par les mêmes personnes”20. Quant à l’unité sociale, elle sera constatée en présence d’une communauté de travailleurs, qui sera avérée en cas d’interchangeabilité du personnel, de gestion du personnel unifiée ou encore d’identité du statut social collectif ou des conditions de travail21… sachant que “la circonstance que l’une des sociétés n’emploie pas de personnel (société holding par exemple) ne l’exclut pas de (l’UES) pour la mise en place d’un comité d’entreprise commun”22.
12Présentée comme “l’un des apports majeurs de la jurisprudence des années 1970”23, l’UES – dont les critères d’identification sont désormais identiques quelle que soit l’instance de représentation du personnel en cause24 - reflète donc l’originalité d’un droit social soucieux de favoriser la recomposition d’une communauté de travail via une reconstitution de l’entreprise, y compris au prix d’un dépassement des frontières juridiques et des choix économiques. La raison d’être de l’UES est incontestable : “il s’agit de permettre une représentation du personnel en relation directe avec la communauté de travail que peuvent former, ensemble, des salariés que seule l’appartenance à des structures juridiquement distinctes différencie”25. On se trouve ainsi en présence d’un processus d’émancipation du droit du travail à l’égard du droit des sociétés, justifié par le fait que “la collectivité des salariés ne (saurait) se reconnaître dans des divisions que seul l’intérêt patrimonial du capital justifie”26. En pratique, “tantôt, ce sont de petites entreprises qui (seront) réunies au regard du droit du travail. Tantôt, (l’UES s’observera) au sein d’un véritable groupe”, sachant que “le choix entre ces deux qualifications (…)”27 est loin d’être anodin. La raison en est que la jurisprudence a conclu à une “incompatibilité entre les notions d’unité économique et sociale et de groupe doté d’un comité de groupe” : ainsi jugé que l’existence d’une UES pour la constitution d ‘un comité d’entreprise ne peut être reconnue “à un niveau où existe déjà un comité de groupe”28.
13Pour autant - et si l’UES a démontré son utilité dans le paysage social en servant de cadre aux instances du personnel - sa portée a cependant été circonscrite par la Cour de cassation de deux façons différentes. D’abord, son existence ne peut être reconnue qu’entre “plusieurs entreprises juridiquement distinctes (art L 2311-4 C. Trav), ce dont il résulte qu’elle ne peut être admise, ni entre des établissements de sociétés distinctes ou entre une société et l’établissement d’une autre société29, ni entre certaines filiales d’un groupe et certains établissements de la société mère30. Ensuite et peut-être surtout, l’UES s’est vue refuser la personnalité morale et donc la qualité d’employeur… une solution lourde de conséquences, notamment, dans le champ du licenciement économique.
B – Les limites de l’approche : le rejet de “l’UES-employeur”31
14En ce qui concerne la portée de l’UES, il est vrai qu’a priori, le législateur semble s’être montré partisan d’une extension du concept au-delà de la seule organisation des rapports collectifs de travail, comme en témoignent les solutions suivantes. Les lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 se sont référées à l’effectif de l’UES pour déterminer la date d’entrée en vigueur de la durée légale du temps de travail à 35 heures. De même, celle du 19 février 2001 évoque l’UES pour l’établissement d’un régime obligatoire de participation des salariés aux résultats de l’entreprise32, comme le fait la loi du 17 janvier 2002 pour l’examen de la validité d’un plan de sauvegarde de l’emploi33. D’ailleurs, cette disposition a conduit la Cour de cassation à atténuer sa position selon laquelle - “l’obligation d’établir un PSE pesant sur l’employeur - c’est au niveau de l’entreprise qu’il dirige que doivent être vérifiées les conditions d’effectif et le nombre de licenciements imposant l’établissement et la mise en œuvre d’un tel plan”34. En effet, elle vient de juger que - “si les conditions d’effectifs et le nombre de licenciements dont dépend l’obligation d’établir un PSE s’apprécient au niveau de l’entreprise - il en va autrement lorsque, dans le cadre d’une UES, la décision a été prise au niveau de (celle-ci)”35. Dans ce cas, les seuils de déclenchement du PSE doivent être appréciés - non au niveau de chaque entreprise – mais à celui de l’UES dont elle relève : le but est d’éviter que des entreprises appartenant à une UES échappent au jeu des seuils d’effectifs – et notamment à l’obligation de mettre en place un PSE-en répartissant artificiellement entre elles les suppressions d’emploi alors que la décision d’y procéder à été prise de façon collective et centralisée.
15Si des arguments en faveur d’un élargissement du champ de l’UES ont ainsi été détectés dans la loi, plus audacieusement encore, une partie de la doctrine s’est dite favorable à une totale extension du “périmètre des droits individuels et collectifs des salariés à toute la structure de l’UES en gommant les frontières, par hypothèse transparentes, des entités intermédiaires” (afin que chaque salarié puisse bénéficier) “des avantages d’une plus grande entreprise”36. Ainsi, pour certains - “la reconnaissance d’une unité économique et sociale (exprimant) la réalité d’une entreprise unique au regard du droit du travail” - (il s’agit là d’une) “réalité dont il y a lieu de tirer toutes les conséquences”37.
16Dans une décision rendue le 16 décembre 2008, la Cour de cassation a cependant refusé de franchir ce pas majeur qu’aurait constitué l’octroi de la personnalité juridique -et donc de la qualité d’employeur - à l’UES38. En effet, cette décision souligne d’abord que, “si la reconnaissance d’une UES permet l’expression collective de l’intérêt des travailleurs appartenant à cette collectivité, elle ne se substitue pas aux entités juridiques qui la composent, de sorte qu’elle n’a pas la personnalité morale”. Puis, et alors même que l’UES s’était vue attribuer la qualité d’employeur par voie conventionnelle, cette décision relève que, “si un accord collectif reconnaissant une UES peut étendre ses effets au-delà des institutions représentatives du personnel et créer des obligations pour les différentes entités juridiques composant l’UES, il ne peut faire d’une unité économique et sociale l’employeur des salariés”. Dans ces conditions, il est certain que l’employeur pouvant, seul, avoir la qualité de débiteur à l’égard du salarié, toute action contre l’UES se trouve exclue, de même qu’à elle seule, l’appartenance à une UES ne saurait autoriser un salarié à agir contre d’autres personnes que son propre employeur. En effet, les sociétés qu’elle regroupe ne sauraient être qualifiés de coemployeurs : telle est la solution retenue par la Cour de Cassation selon laquelle “le salarié d’une entreprise, ferait-elle partie d’un groupe, ne peut diriger une demande salariale que contre son employeur”39.
17Dés lors, il en résulte qu’en cas de licenciement économique, “les obligations prévues par le code du travail (…) ne pèsent que sur (l’employeur) et qu’en conséquence, les salariés licenciés ne peuvent diriger une action indemnitaire contre une même entité du même groupe au titre d’un manquement à l’obligation de reclassement ou en raison d’une insuffisance du PSE”40. Voilà pourquoi “cet employeur doit, en principe, supporter seul toute la charge des obligations liées à des licenciements économiques et celle des sanctions parfois lourdes (nullité) qui en résultent, alors même que les décisions qu’il applique sont prises par d’autres en d’autres lieux sans qu’il en soit en mesure de les infléchir”. En effet, et “même s’il ne dispose, dans les faits, que d’un pouvoir réduit en raison du contrôle auquel est soumise son activité, l’employeur est considéré comme le seul décideur au regard du droit du licenciement et sa dépendance à l’égard d’une autre entité ne saurait l’exonérer de ses obligations légales”41.
18C’est dans ce contexte42 – et puisque l’UES n’a pas la personnalité juridique43 - qu’a été (re)découvert le concept de co-employeur lequel - s’il n’a pas pour objet de contribuer à une recomposition de l’entreprise au-delà des frontières juridiques - risque, en revanche, de déstabiliser les groupes de sociétés par la négation des frontières juridiques qu’il implique.
II – LE CO-EMPLOI, FACTEUR DE DESTABILISATION DES GROUPES DE SOCIETES ?
19Si l’attention se focalise aujourd’hui sur le concept de coemployeur au point de susciter celle de la grande presse44, les réflexions sur l’identification du détenteur du pouvoir patronal sont anciennes et cela fait bien longtemps déjà que, pour des motifs pratiques, la jurisprudence décide que “dans (un) groupe, (un) salarié (peut) avoir plusieurs employeurs”, que ceux-ci soient qualifiés de “codébiteurs”, d’employeurs “conjoints” ou de “coemployeurs”45. Notion bien connue dans l’ordre interne, le coemploi l’est, par ailleurs, également dans l’ordre international car la complexité des contrats de travail internationaux ainsi que l’intervention fréquente d’entreprises locales, avec ou sans personnalité morale, y ont aussi pour effets de complexifier la détermination de l’employeur46 : ainsi le juge français a-t-il reconnu dans certains cas l’existence d’un employeur “bicéphale”47, des juges du fond allant même jusqu’à qualifier d’employeur, un groupe pris dans son ensemble au motif que celui-ci était “organisé comme une entreprise unique composée de sociétés poursuivant sous une direction centralisée un objectif commun, les moyens mis en œuvre et notamment le personnel participant tous directement de cet ensemble”48.
20Si la notion de “coemploi” n’est pas neuve49, il est cependant indéniable que de nouvelles vertus lui ont été attribuées ce qui a conduit à la (re)mettre sur le devant de la scène (A) au prix, cependant, d’un élargissement de sa définition dont on mesure encore mal les conséquences (B).
A – Une “vieille notion neuve”50 à l’intérêt renouvelé
21C’est en 2001 que la Cour de cassation a rendu un arrêt qui a joué un rôle déclencheur dans le développement de certaines pratiques sociétaires que les juges ont ultérieurement souhaité juguler avec le concept de coemployeur.
22Depuis 2001, il est en effet admis que la cessation d’activité d’une entreprise constitue un motif autonome de rupture, sous réserve de ne pas résulter d’une faute de l’employeur ou de sa légèreté blâmable51 : ainsi, celui qui met fin à son activité n’est pas contraint d’établir que sa décision repose sur des difficultés économiques, sur une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou sur une mutation technologique52. Certes, en complétant ces différents motifs pouvant justifier une rupture, cette solution a participé à l’élaboration du contrôle judiciaire du motif économique du licenciement : le fait est qu’elle se justifie par le respect de la liberté d’entreprendre qui implique, pour son titulaire, le droit de mettre fin à son activité sans pour autant priver de justification la rupture subséquente des contrats de travail.
23En pratique, il apparaît cependant que cette solution a ouvert de “nouvelles opportunités aux groupes de sociétés en leur permettant, non pas de cesser des activités peu rentables, mais, sans avoir à se justifier par d’autres motifs économiques, de transférer certaines activités vers d’autres filiales dans le souci d’accroître leur profit” : concrètement, “après une courte période d’inactivité ou de sous activité, l’employeur découvrait la baisse d’activité en réalité imputable au groupe et décidait de fermer le site français en licenciant collectivement les salariés ; cette pratique s’est ensuite étendue à la cessation d’activité dans le cadre des liquidations judiciaires”53.
24C‘est ainsi que - “via le même artifice de transfert d’activité vers d’autres entités du groupe-les véritables décisionnaires logés dans des holdings (ont trouvé là les moyens de réaliser de substantielles économies sur les coûts des PSE), notamment au détriment des AGS”. Plus précisément, celles-ci (ainsi que les salariés) semblent avoir constitué les principales victimes de ce type de pratiques rendues possibles par un recours – instrumentalisé ? - au principe de l’autonomie juridique des personnes morales. “Premières victimes de ces fraude, les salariés qui - bien qu’appartenant à des groupes très bénéficiaires - sont licenciés aux moyens de PSE minimalistes puisque proportionnels aux moyens obérés des filiales” (…) ; “secondes victimes (…), les AGS assumant financièrement les responsabilités de ces employeurs dissimulés derrière les “paravents d’indépendance de sociétés en cascades”54.
25En conséquence, il est clair que, si la cessation d’activité de l’entreprise constitue une cause autonome de rupture, “cette autonomie fait (cependant) problème lorsque l’entreprise (en cause) n’est elle-même pas autonome, de sorte que les véritables décisions, celle de cesser l’activité et celle de licencier le personnel, sont prises en dehors d’elle”55. Pareilles mesures se trouvent ainsi controversées lorsqu’elles concernent la fermeture d’une filiale et qu’elles sont prises au niveau d’un groupe dans le cadre d’une restructuration décidée pour des raisons souvent financières : elles le sont plus encore lorsque ces choix tactiques sont destinés à améliorer la rentabilité d’un groupe qui ne connaît aucune difficulté particulière56.
26C’est dans ce contexte, révélateur d’une “tension dialectique entre liberté d’entreprendre et droit à l’emploi”57, que la Cour de cassation a décidé de cantonner la portée d’une cessation d’activité en décidant qu’elle ne constituerait plus un motif autonome de rupture en cas de coemploi. En effet, elle a décidé dans un arrêt du 18 janvier 2011 que, “lorsque le salarié a pour coemployeur des entités faisant partie d’une même groupe, la cessation d’activité de l’une d’elles ne peut constituer une cause économique de licenciement qu’à la condition d’être justifiée par des difficultés économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activé du groupe dont elles relèvent”. Ce faisant, la reconnaissance de la qualité de coemployeur conduit la Cour de cassation à limiter sensiblement sa précédente solution selon laquelle “l’énumération des motifs économiques par l’article L. 321-1 C. trav (devenu L 1233-3 C Trav) (n’étant) pas limitative, (…) la cessation d’activité de l’entreprise, quand elle n’est pas due à une faute de l’employeur ou à sa légèreté blâmable, (constitue) un motif économique de licenciement”58. En décidant que la cessation totale et définitive de l’activité d’une société appartenant à un groupe ne saurait désormais suffire - même en l’absence de faute ou de légèreté blâmable - à garantir la validité des licenciements ultérieurs, la Cour de cassation invite, en fait, à appréhender cette situation comme une réorganisation d’entreprise puisque la même exigence est posée dans les deux cas : ici et là, la mesure doit être justifiée par des mutations technologiques, des difficultés économiques ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, ces deux dernières situation devant être appréciées au niveau du “secteur d’activité ».
27Certes, il est loisible de penser que cette solution s’explique par un “motif de pure politique judiciaire : lutter contre les délocalisations en empêchant les fermetures de filiales en France au sein des groupes qui n’éprouvent pas de difficultés économiques ou la nécessité de sauvegarder leur compétitivité par une telle réorganisation”59. Le fait est que les choix managériaux s’appuyant sur un objectif de rentabilité au préjudice de l’emploi auront, à l’avenir, moins de chance de prospérer qu’aujourd’hui. La conclusion s’impose d’autant plus que, dans un arrêt du 1ier février 2011, la Cour de cassation a apporté une autre limite au motif économique tiré de la cessation totale d’activité en confirmant qu’il constitue un motif inopérant de rupture en cas de légèreté blâmable, celle-ci étant désormais appréhendée de façon assez originale60.
28Cela étant, on ne saurait évacuer le fait que cet objectif a été réalisé au prix d’un renouvellement de la notion de “coemployeur”… changement dont on mesure encore mal l’impact.
B – Une définition élargie à la portée incertaine
29Si, on l’a dit, la notion de coemployeur est ancienne, il faut souligner qu’elle était, jusqu’à présent, circonscrite car tributaire de critères juridiques. En effet, l’octroi de cette qualité supposait un partage effectif du pouvoir de direction, ce qui requérait que chaque société en lice donne, pour être qualifiée de coemployeur, “conjointement ou alternativement, des ordres et des directions à la même collectivité de salariés”61. Ainsi, un salarié désireux d’établir un lien de subordination avec un autre que son employeur nominal (ie, de droit) devait justifier que cet employeur (de fait) détenait sur lui un pouvoir de direction (via un contrôle exercé sur son travail et l’éventuel prononcé de sanctions…), qu’il bénéficiait de sa prestation de travail et lui versait une rémunération62.
30Or, cette approche juridique est battue en brèche puisque la Cour de cassation - après avoir admis que la subordination juridique pouvait résulter de la dépendance économique d’une société vis-à-vis d’une autre63 – a finalement repoussé cette exigence64. C’est, plus précisément encore, dans cet arrêt du 18 janvier 2011 – dont les faits s’y prêtaient65 – que la Cour de cassation a clairement préféré à la quête classique de la subordination juridique une analyse économique des liens tissés entre les différentes sociétés d’un même groupe66. En l’espèce, la Cour de cassation a d’abord relevé que “l’activité économique de la société filiale (société MIC) était entièrement sous la dépendance du groupe qui absorbait 80 % de sa production et fixait les prix” et qu’ensuite, la quasi-totalité de son capital social était détenue par la société mère (société JFH holding), le reste étant détenu par le dirigeant de celle-ci”. Elle a en outre souligné qu’il existait une “gestion commune du personnel des sociétés (…) sous l’autorité de la société JFH, que celle-ci “dictait à la société MIC ses choix stratégiques, notamment la décision de transférer l’activité”, qu’elle “intervenait de manière constante dans les décisions concernant la gestion financière et sociale de la cessation d’activité de la société MIC et le licenciement de son personnel” ; et qu’elle “assurait ainsi la direction opérationnelle et la gestion administrative de sa filiale qui ne disposait d’aucune autonomie”.
31Voilà pourquoi la Cour de cassation a déduit de “l’absence d’autonomie décisionnelle”67 de la filiale, “qu’il existait entre la société mère JFH et la société filiale MIC une confusion d’intérêt, d’activités et de direction”, de sorte que la société mère avait “la qualité de coemployeur à l’égard du personnel de sa filiale”. Ce faisant, on est loin de l’approche juridique classique du concept puisque la lecture de cet arrêt montre clairement que c’est moins l’autorité exercée sur le salarié que les liens unissant les sociétés en cause qui ont permis de qualifier celles-ci de coemployeurs : pareille analyse confirme ainsi cette tendance selon laquelle “le juge semble enclin à faire le deuil de la preuve du lien de subordination juridique au profit d’une analyse plus économique et ‘corporate’de la situation”68.
32Certes, on l’a dit, il est probable que l’objectif de cet élargissement du concept réside dans un souci de “moralisation de l’ingénierie sociale des groupes de sociétés”69. L’objectif, plus précisément, est de faire en sorte que la cessation d’activité d’une filiale cesse de constituer, à elle seule, une cause autonome de licenciement dans le cas où une situation de coemploi peut être constatée. Rappelons en effet que, dans ce cas, la Cour de cassation décide désormais que la réalité des difficultés économiques doit être établie par les coemployeurs (de sorte que si aucune difficulté n’apparaît au niveau du groupe, le licenciement est injustifié) ; ainsi la Cour de cassation semble-t-elle instaurer un parallélisme des formes puisqu’elle estime que, chaque fois que la gestion de l’entreprise est décidée au niveau du groupe, c’est à ce même niveau –plus précisément au niveau du secteur d’activité - que doit être vérifiée la réalité des difficultés économiques.
33Au-delà, “l’adoption d’un critère économique d’identification de la qualité de coemployeur dans les groupes de sociétés intégrées”70 suscite cependant deux questions.
34En premier lieu, on ne saurait minimiser les risques auxquels s’exposent désormais des sociétés financières en s’ingérant dans la gestion de leurs filiales. A cet égard, tout, en l’espèce, semblait plaider en faveur de la société mère. D’une part, il s’agissait d’une holding n’occupant aucun salarié de sorte qu’il était bien difficile d’admettre l’existence d’une confusion de direction avec la filiale. D’autre part, “sur un strict plan commercial, le fait que les actionnaires et administrateurs des sociétés étaient communs ne pouvait, en soi, induire une confusion de direction. Enfin, son objet social était purement financier (de sorte que) la confusion d’activités ne pouvait (…) être qualifiée”71. Et pourtant, la Cour de cassation a qualifié de coemployeur cette société mère en s’appuyant sur l’appréciation souveraine des juges du fond et, en filigrane, sur “l’instrumentalisation de la société (filiale)”72… les conséquences subséquentes s’avérant majeures : il a été jugé en effet que – peu important l’absence de lien de subordination juridique avec les salariés - cette société mère devait être déclarée responsable des condamnations prononcées à l’encontre de l’employeur de droit (paiement de rappels de salaire, indemnités de licenciement…)73.
35Dans ces conditions, le message adressé aux entreprises est clair. Celles-ci sont encouragées à se montrer vigilantes sur l’organisation de leurs structures et, notamment, leur aptitude à garantir l’autonomie de leurs filiales : à défaut, leur ingérence dans le fonctionnement de celles-ci risque d’être censurée en justice “sans qu’il soit nécessaire de constater l’existence d’un rapport de subordination individuel de chacun de salariés (de la filiale) à l’égard de la société mère”74. Pour certains, “la notion de coemployeur est (ainsi) devenue (…) une baguette magique capable de transformer n’importe quelle société mère du groupe (…) en l’employeur des salariés de l’une de ses filiale”. Et “la magie de cette action (réside là) : elle simule la personnalité juridique du groupe en en reproduisant certains effets choisis, sans que le juge ait à franchir le Rubicon, c’est-à-dire à déclarer que le groupe est une personne morale au regard du droit du travail”. Certes, “le dogme est sauf : seule l’entreprise sociétaire revêt la personnalité morale et endosse à ce titre la qualité d’employeur” (…). “Mais le dogme est manipulable : toute entreprise appartenant au groupe peut endosser la qualité jumelle de coemployeur”75… sans que, néanmoins, “ le coemploi menace d’infecter toute espèce de relation intragroupe” : seules, en effet, les sociétés mères n’assurant pas la présence, dans leurs filiales, d’organes de décision disposant des pouvoirs attachés au statut d’employeur risquent, à l’avenir, de se trouver en danger76.
36Facteur de déstabilisation des groupes de sociétés par négation de leurs frontières juridiques77, l’approche économique du co-emploi ne risque-t-elle, par ailleurs, de contribuer à une déstabilisation du droit du travail lui-même, dont les règles se justifient historiquement par le lien de subordination juridique unissant employeur et salarié ? Certains le craignent au motif que “l’adoption d’un critère économique d’identification de la qualité de coemployeurs dans les groupes de sociétés intégrées soulève nécessairement la question de ses effets au-delà de son application au droit du licenciement pour motif économique”78. Se pose plus particulièrement la question de savoir si cette solution a vocation à s’appliquer aux seules relations individuelles de travail ou bien à s’étendre aux relations collectives auquel cas on assisterait à une “reconstruction (destruction) totale des règles, au prix d’un surcroît d’insécurité juridique”79. En cas de co-emploi, quel impact, en effet, sur le statut collectif des groupes ? Quels effets sur la représentation collective ? Quid s’agissant de l’application du principe d’égalité de traitement entre les salariés des sociétés co-employeurs ?
37On le voit, les interrogations sont nombreuses et c’est à la Cour de cassation qu’il reviendra de préciser quelle ampleur elle souhaite conférer au “coemploi”, dont l’expansion, pour certains, s’articule mal avec le principe de non intrusion judicaire dans les choix patronaux de gestion80.
38Pour l’heure, un fait est avéré. Ces deux concepts que sont l’UES et le coemploi ont ceci de commun qu’ils mettent la personnalité des sociétés commerciales à l’épreuve du droit du travail : reste à savoir jusqu’à quel point l’autonomie des personnes morales peut être niée par le droit du travail au nom de principes jugés essentiels qui, cependant, doivent s’articuler avec la liberté d’entreprendre81. Pour la Chambre sociale, en tout cas, sa solution ne soulève aucun doute sérieux d’inconstitutionnalité : en atteste son refus de transmettre une QPC qui mettait en cause la constitutionnalité de l’article L 1233-3 C. Trav – tel qu’interprété par l’arrêt du 18 janvier 2011-au regard des principes de la liberté d’entreprendre et d’égalité de tous devant la loi82.
Notes de bas de page
1 G. Lyon-Caen, “Que sait-on de plus sur l’entreprise ?”, Mélanges Despax, PU Toulouse, 2002, 33.
2 Ibid.
3 P-Y. Verkindt, “L’entreprise”, in Les notions fondamentales du droit du travail, Ed Panthéon-Assas (sous la direction de B. Teyssié), 2009, p. 43.
4 Sur la polysémie du mot “entreprise”, voir M. Despax, L’entreprise et le droit, LGDJ, 1956.
5 M. Henry, “Les conséquences de l’extériorisation pour les salariés et leurs institutions représentatives”, DO 1981, p. 122.
6 M.-L. Morin, “Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises”, Revue internationale du travail 2005, vol. 144, p. 5.
7 Et pour certains, les raisons également.
8 Ph. Waquet, Avant-propos, “Les lieux du droit du travail”, Semaine Soc Lamy no 1140, 20 octobre 2003, p 3.
9 G. Loiseau, “Coemploi et groupes de sociétés”, JCP, S, 2011, no 1528.
10 Selon la formule de G. Loiseau, art préc.
11 Cass Soc, 13 janvier 2010, BC, no 5, F. Gea, “Groupe de sociétés et responsabilité, les implicites et le non-dit de l’arrêt Flodor”, Revue de droit du travail 2010, p. 230 : “Attendu cependant que l’obligation de reclasser les salariés dont le licenciement est envisagé et d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi répondant aux moyens du groupe n’incombe qu’à l’employeur ; qu’il en résulte qu’une société relevant du même groupe que l’employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de ce dernier d’une obligation de reclassement et qu’elle ne répond pas, à leur égard, des conséquences d’une insuffisance des mesures de reclassement prévues dans le plan de sauvegarde de l’emploi”.
12 H. Tissandier, “Sociétés à structure complexe et droit du travail”, RJS 4/10, p 251.
13 Ainsi la nouvelle norme ISO 26000 (dont l’objet est de contribuer à une normalisation de la responsabilité sociale des entreprises) souligne-t-elle qu’une “organisation ne peut être tenue pour responsable des impacts de chacune des parties sur lesquelles elle est susceptible d’avoir une influence. Toutefois, “il y aura des cas où la capacité des organisations à influencer les autres sera associée à une responsabilité d’exercer l’influence en question (…). La responsabilité d’exercer son influence dans une situation donnée dépendra de différents facteurs, y compris de la capacité réelle de l’organisation à influencer les autres et du domaine d’action concerné. En général, la responsabilité d’exercer une influence croît avec la capacité à influencer”.
14 P.-Y. Verkindt, art. préc.
15 Selon l’expression d’A. Mazeaud, Droit du Travail, Domat Montchrestien, 2002, 65, édition 2010 p. 77.
16 Crim. 23 avril 1970, D. 1970, 444.
17 Sur l’UES, A. Coeuret, “Du nouveau sur la reconnaissance de l’unité économique et sociale”, RJS 2009, 671. Voir aussi M.-L. Morin, L. Pecaut-Rivolier, Y. Struillou, Le guide des élections professionnelles, 2012, Dalloz, p. 10.
18 Soc 19 décembre 1972, D 1973, 381, note M. Despax.
19 Ainsi jugé que “caractérise une unité économique et sociale, entre personnes juridiques distinctes, le tribunal d’instance qui constate l’unicité de direction, l’existence d’activités complémentaires ou connexes et celle d’une communauté de travailleurs”. (Cass Soc, 17 déc 2003, no 02-60445).
20 J. Pelissier, G Auzero, E. Dockes, Droit du travail, Précis Dalloz, 2012, no 1012.
21 Ainsi jugé que “l’application d’une même convention collective, l’existence de permutations et la présence de services et d’avantages communs aux salariés des différents sociétés étaient de nature à caractériser l’existence d’une unité sociale” (Cass Soc, 13 juillet 2004, no 03-60425) ou encore que “pour caractériser l’unité sociale, seule contestée, le tribunal d’instance a fait ressortir que les salariés précédemment employés par le groupe Font avaient été affectés en particulier à Sainte-Colombe, lieu du siège social de la société Roussillon agrégats, précisément exclu du cadre de l’élection, ce qui établit la permutabilité du personnel, laquelle, rapprochée de l’identité constatée entre les mentions des bulletins de paie des salariés des différents établissements, caractérise l’existence d’une unité sociale” (Cass Soc, 18 juillet 2000, no 99-60353). En revanche, une telle unité sociale n’a pas été admise dans un cas où il a pu être constaté que “les personnels des sociétés Crédit lyonnais et Crédit lyonnais Asset management étaient soumis à des conventions collectives et à des statuts différents, ainsi qu’à des régimes de prévoyance et de mutuelle propres ; que leurs conditions de travail sont différentes et qu’il n’y a aucune similitude de gestion des situations individuelles” (Cass, Soc, 2 mai 2000, no 99-60085).
22 J. Pelissier, G Auzero, E. Dockes, Droit du travail, préc. no 1012.
23 G. Couturier, Traité de Droit du travail. 2/Les relations collectives de travail, PUF, 2001, p. 35.
24 Rappelons en effet qu’après une période d’incertitude, la Cour de cassation a finalement fait prévaloir une conception non pas “fonctionnelle” mais “objective” de la notion d’UES en jugeant que celle-ci n’est pas relative (Cass Soc, 13 juillet 2004, no 03-60412) et que “si la reconnaissance d’une unité économique et sociale pour les élections des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise n’implique pas que la désignation de délégués syndicaux doive être effectuée dans le même cadre, la finalité des institutions étant différente, les critères de l’unité économique et sociale sont les mêmes”. (Cass, Soc, 1ier déc. 1998, no 97-60492, no 97-60497 et no 97-60493).
25 “Le guide des élections professionnelles”, ouvrage précité, p 281. L’UES ne peut, cependant, constituer le lieu d’implantation d’un CHSCT (Soc 16 janvier 2008, D Soc 2008, 565).
26 Selon la formule de J. Barthelemy, Le droit des groupes de sociétés, Dalloz, 1991, p. 9, no 1400.
27 J. Pelissier, G Auzero, E. Dockes, Droit du travail, préc. no 1012.
28 Soc 26 janvier 2006, JCP, S, 2006, 1281, note R. Vatinet.
29 Cass, Soc, 21 nov 1990, BC, V, no 578.
30 Cass, Soc 7 mai 2002, D Soc 2002, 715, note J. Savatier.
31 Selon la formule de L. Pecaut-Rivolier, “L’UES a franchi le gué”, Semaine Sociale Lamy, 20 déc 2010, p. 6.
32 Art L 3322-2 C. Trav.
33 Art L 1235-10 C. Trav.
34 Cass Soc 28 janvier 2009, no 07-45.481, BC, V, no 26, DO 2009, 313.
35 Cass Soc 16 nov 2010, no 09-69.485, J.-E. Tourreil, “Plan de sauvegarde de l’emploi. Les conditions d’élaboration doivent s’apprécier au niveau de l’UES”, Juris. Soc Lamy, 3 janvier 2011, no 291, p. 17 ; JCP, S, 2011, no 1007, note N. Dauxerre.
36 L. Pecaut-Rivolier, “L’UES a franchi le gué”, art préc., no 1472, p. 6.
37 G. Couturier, “L’unité économique et sociale trente après”, Semaine Sociale Lamy, Suppl “Les lieux de travail”, no 1140, p. 56.
38 Cass Soc, 16 déc 2008, BC, V, no 255, JCP, S, 2009, no 1140, note G. Blanc-Jouvan. Solution ultérieurement confirmée : Cass Soc, 23 déc 2009, (no 07-44.200) ; Cass Soc, 23 juin 2010 (no 09-60.341).
39 Cass Soc, 12 juillet 2006, BC, V, no 254.
40 P. Bailly, “A la recherche du véritable décideur”, Semaine Sociale Lamy Supp. no 1508, p. 111.
41 P. Bailly, étude préc.
42 Et même s’il faut être prudent sur l’établissement d’un rapport de cause à effet entre ces deux évolutions (en ce sens, G. Auzero, “Les co-employeurs”, in Les concepts émergeants en droit des affaires, 2010, LGDJ, p. 44).
43 A noter d’ailleurs que “le cantonnement de la personnalité juridique de l’employeur (peut constituer) dans une certaine mesure une protection pour le salarié” (P.-H. D’Ornano, “L’employeur subordonné”, JCP, S, 2011, no 1529). En ce sens, l’exclusion, par la Cour de cassation, de la validité d’une clause de mobilité excédant les frontières juridiques d’une société, y compris au cas où celle-ci appartiendrait à un même groupe ou à une UES. (Cass, Soc, 23 sept. 2009, JCP, S, 2009, no 1535, note S. Beal et P. Klein).
44 Voir Le Figaro, 7 fév. 2011, “Des licenciements économiques invalidés”.
45 B. Boubli, “La détermination de l’employeur dans les groupes de sociétés”, in Les groupes de sociétés et le droit du travail, (sous la direction de B. Teyssie), Ed panthéon-Assas, 1999, p. 34.
46 “Le contrat de travail international”, Pratique des contrats internationaux, déc. 1998.
47 Cass Soc, 30 mao 1980, no de pourvoi : 79-10667.
48 Les juges précisant encore que “c’est toujours le même employeur unique qui agit sous des formes juridiques multiples et qu’en conséquence, le salarié est le salarié du groupe et non seulement le salarié de la filiale qui exerçait la qualité d’employeur dans le contrat” (CA Paris, 27 novembre 1986, Rev. crit. DIP, 1988, p. 315 ; JDl, 1990, p. 378).
49 Selon un auteur : “s’il est difficile de dater précisément l’apparition de (cette) notion, on en trouve trace dans un arrêt du 13 mai 1969 (…)”. (G. Auzero, “Les co-employeurs”, préc.).
50 Selon une formule empruntée à G. Couturier, “L'ordre public de protection, heurs et malheurs d'une vieille notion neuve”, in Études offertes à JACQUES FLOUR, 1978, p. 114.
51 Cass. Soc, 16 janvier 2001, no 98-44.647, BC, V, no 10.
52 Cass. soc. 8 juillet 2009 no 08-41.644, 08-41.645, inédit.
53 C. Pares, “La cessation d’activité est-elle un moyen de détourner le droit du travail” ? Semaine Soc Lamy Supp, 10 oct 2011, no 1508, p. 13.
54 Ibid.
55 G. Couturier, “La fermeture d’une filiale : les recours des salariés licenciés”, D Soc 2011, 372.
56 Notons que cette problématique est jugée à ce point importante que des parlementaires ont déposé des propositions de loi pour tenter de “contrecarrer l’abandon de filiales par la société mère souvent située à l’étranger”, voir “La cessation d’activité dans le collimateur”, Sem Sociale Lamy, 5 mars 2012, no 1528.
57 A. Couret, “La cessation d’activité d’une filiale : le droit des sociétés à l’épreuve du droit social”, Rev des sociétés 2011,. p 154.
58 Soc, 16 janvier 2001, préc. A noter qu’une première brèche avait cependant été introduite par un arrêt rendu le 10 octobre 2006 (BC, V, no 296) : “seule une cessation complète de l’activité de l’employeur peut constituer, en elle-même, une cause économique de licenciement (…) ; une cessation partielle de l’activité de l’entreprise ne justifie un licenciement économique qu’en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité”.
59 Selon les termes de P. Morvan, “La mort du motif économique de licenciement lié à la cessation d’activité d’une filiale dans un groupe”, Bull Joly Sociétés, 2001 p 215.
60 Voir P.-H. D’Ornano, “L’insoutenable légèreté de l’employeur”, JCP, S, 2011, no 9, 1095.
61 G. Auzero, “Les co-employeurs”, étude précitée, p. 43.
62 Cass, Soc 26 juin 2008, RJS 10/08, no 955 ; Cass Soc 15 mars 2006, no 04-45. 518.
63 Cass Soc, 28 sept 2010, JCP, S, 2010, no 1518, note S. Brissy.
64 Sur les façons concevables d’identifier la figure du coemployeur, voir G. Couturier, “La fermeture d’une filiale : les recours des salariés licenciés”, préc.
65 La situation était la suivante : MIC développait une activité de production et commercialisation d’appareils de manutention. En 2001, une société mère est créée pour accueillir MIC et sa société sœur, Jungheinrich France. Globalement, on retrouve sur ces trois sociétés des actionnaires et des administrateurs communs. Rapidement, la société mère décide le transfert des actifs de MIC auprès de sa société sœur. Cette opération s’accompagne d’un transfert de l’effectif, à l’exception de salariés protégés ou de salariés ayant refusé un transfert conventionnel. MIC ayant cessé toute activité de production, une procédure de licenciement pour motif économique est lancée. La société mère finance une partie du plan de sauvegarde de l’emploi et s’entoure d’une entreprise de conseil extérieure pour gérer les aspects financiers et administratifs. Au terme de cette opération, seuls quelques salariés protégés demeurent dans l’effectif et une liquidation judiciaire est sollicitée par le conseil d’administration. En dépit de cette situation, l’Inspecteur du travail refuse, pour défaut de reclassement, le licenciement des salariés protégés. Ces derniers, ainsi que les salariés licenciés avant, ou pendant la liquidation, saisissent le conseil de prud’hommes à l’encontre de MIC, employeur de droit, mais également de la société mère. Tant la cour d’appel de Paris que la Cour de cassation font droit à ces demandes en retenant qu’il existait une confusion d’intérêts, d’activités et de directions entre MIC et sa mère.
66 Cass Soc, 18 janvier 2011, no 09-69.199, D Soc 2011 p. 372, note G. Couturier.
67 Y. Pagnerre, “L’extension de la théorie des coemployeurs, source de destruction du droit du travail ?”, JCP, S, 2011, no 1423.
68 E. Peskine, Réseaux d’entreprise et droit du travail, LGDJ, 2008, §200. Peut-être cette appréhension plus compréhensive du coemploi permettra-t-elle d’y recourir plus aisément en cas de LBO (sur les limites que présentait jusque là, à ce propos, la qualification de coemployeur, voir H. Tissandier, “Sociétés à structure complexe et droit du travail”, préc).
69 Y. Pagnerre, étude préc.
70 Ibid.
71 F. Mekhetteche, “Licenciement économique et co-emploi : quels risques pour les entreprises depuis les arrêts du 18 janvier 2011” (http://unsadoma.blogspot.com/2011/02/licenciement-economique-et-co-emploi.html).
72 F. Mekhetteche, analyse préc.
73 Sur le caractère solidaire ou conjoint des obligations ainsi imposées aux coemployeurs, voir G. Loiseau, “Coemploi et groupes de sociétés”, étude préc.
74 Cass, Soc, 28 sept 2011, no 10-12.278,
75 P. Morvan, “Co emploi et licenciement économique dans les groupes de sociétés : des liaisons dangereuses”, JCP, S, 2011, no 1065.
76 En ce sens, Cass. Soc. 22 juin 2011, no 09-69021. Jugé en effet que, si l’une des sociétés mises en cause par les salariés d’une filiale d’un groupe pouvait être qualifiée de coemployeur, tel n’était pas le cas pour une autre appartenant pourtant au même groupe. La raison en est que - si une immixtion forte de la société mère dans la gestion de la première filiale (notamment celle de son personnel) pouvait être constatée - il en allait autrement pour la seconde, de sorte que la société mère ne pouvant être qualifiée de co-employeur, (elle) ne pouvait, en cette qualité, être attraite devant la juridiction saisie par les salariés d’une contestation de leur licenciement. Voir également la jurisprudence citée par P.-H. D’Ornano, “L’employeur subordonné”, étude préc.
77 Sur les nouveaux “risques juridiques encourus pas des sociétés contrôlantes, y compris étrangères”, voir, P. Morvan, “Co emploi et licenciement économique dans les groupes de sociétés : des liaisons dangereuses”, préc ; P.-H. Antonmattei, “Groupe de sociétés : la menace des coemployeurs se confirme”, Semaine Soc Lamy, no 1484, p. 12.
78 Y. Pagnerre, étude préc.
79 Ibid.
80 Cass, Soc, 8 décembre 2000 (Bull. 2000 Ass. plén no 11. Sur cet aspect, voir P. Morvan, préc.
81 Sur le nécessaire arbitrage à réaliser entre “droits des salariés et contraintes capitalistiques internationales”, voir R. Dupire, “Fonds d’investissement, prise de participation et restructurations en droit social”, Semaine Soc Lamy, 20 fév 2012, no 1526, p. 4.
82 Cass. Soc., 16 nov 2011, JCP, S, 2011, no 1028, note D. Chenu.
Auteur
Maître de conférences, HDR, Université Toulouse 1 Capitole,
Membre du Centre de Droit des Affaires
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