La transparence des personnes morales en droit fiscal
p. 265-275
Texte intégral
INTRODUCTION
1La transparence des sociétés est une notion qui trouve bien son origine dans le droit fiscal. En effet, la notion de transparence des sociétés est apparue pour la première fois dans une loi du 15 mars 1963. Cette loi était relative à l’imposition des sociétés immobilières1.
2Selon l’analyse classique, le patrimoine est une émanation de la personnalité juridique. Par conséquent, seuls les détenteurs de la personnalité juridique ont la capacité d’avoir un patrimoine. De ce fait, les titulaires d’un patrimoine ont la personnalité juridique. Qu’en est-il en matière d’imposition ? Les sociétés de personnes2 détiennent-elles la pleine et entière personnalité fiscale ? Ont-elles une capacité contributive autonome ?
3En tout état de cause, il a été démontré que les personnes transparentes détiennent un patrimoine. Voici un premier indice indiquant que les sociétés de personnes ont la personnalité juridique.
4Il convient avant toute chose de procéder à l’identification des sociétés transparentes d’un point de vue fiscal. En effet, en matière fiscale, de l’opacité à la semi-transparence le chemin est long. Les seules sociétés fiscalement transparentes sont les sociétés immobilières de copropriété, et dans ces sociétés la personnalité morale semble niée. Pour ces sociétés, l’article 1655 ter du Code général des impôts énonce de façon claire qu’elles “sont réputées, quelle que soit leur forme juridique, ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres pour l’application des impôts directs, des droits d’enregistrement, de la taxe de publicité foncière exigible sur les actes qui donnent lieu à formalité fusionnée”3. En revanche, les autres sociétés peuvent s’inscrire dans une catégorie intermédiaire dite semi-transparente, où la personnalité morale est seulement atténuée. Les sociétés considérées comme fiscalement transparentes sont généralement les sociétés civiles et les sociétés en nom collectif.
5Nous ne tiendrons pas compte des sociétés semi transparentes ayant opté pour l’impôt sur les sociétés. En effet, l’option permet d’assimiler ces sociétés aux sociétés de capitaux, ce qui n’est pas l’objet de l’étude.
6Par ailleurs, du fait de la rareté de sociétés complétement transparentes, notre propos sera axé sur la semi-transparence.
7Pour l’essentiel, la difficulté tient de “l’indécision” du droit fiscal quant au traitement de la personnalité de ces sociétés.
8La transparence est-elle source de négation de la personnalité pour les sociétés jouissant de ce régime ? Qu’en est-il dans le cas où un élément d’extranéité entre en jeu ?
9Autant de questions, d’interrogations auxquelles nous tenterons de répondre dans les développements qui vont suivre.
10Dans une première partie nous irons à la recherche du sujet fiscal avant d’analyser dans une seconde partie les incidences de la transparence en présence d’un élément d’extranéité.
I – A LA RECHERCHE DU SUJET FISCAL
11Jean Paul Sartre disait : “le faire est révélateur de l’être4”. Cette affirmation est certes pertinente dans la mesure où il suffit de regarder tout que nous faisons pour savoir qui nous sommes. Elle est encore plus vraie si nous l’appliquons au régime de la transparence des personnes morales. C’est ce que nous allons essayer de démontrer
A – La personnalité juridique et la personnalité fiscale des sociétés
12Quel étudiant en droit, depuis sa première année jusqu’à sa dernière année n’a pas entendu parler de la personnalité.
13La personnalité !
14Notion renfermant certes un certain degré d’abstraction mais qui mérite toute notre attention notamment lorsque la personnalité juridique est confrontée à la personnalité fiscale des sociétés en général et des sociétés transparentes en particulier.
15Si on tente de définir la personnalité juridique, notre propos sera que la personnalité est le moyen pour les sociétés d’accéder à la vie juridique. On entend par vie juridique, la possibilité pour lesdites sociétés de faire des actes juridiques, de conclure des conventions ou d’ester en justice. Donc, la personnalité est une réponse aux besoins juridiques et pratiques que rencontrent les sociétés au cours de leur existence. En quelque sorte, la société dotée de la personnalité juridique est un être juridique à part entière. Mais que fait la société pour mériter un tel attribut ?
16D’abord et avant tout, il convient de rappeler qu’il a existé pendant des années une controverse concernant la reconnaissance de la personnalité aux groupements. D’aucuns prétendaient que la personnalité est pure fiction pendant que d’autres arguaient la thèse de sa réalité. Léon Duguit ne prétendait-il pas n’avoir jamais déjeuné avec une personne morale ? Jean Claude Soyer en réponse affirmait l’avoir vu payer l’addition5 !
17La question que nous avons tenté de poser est celle de savoir s’il existe une différence entre la personnalité juridique et la personnalité fiscale des sociétés. Et finalement est-ce que la société dotée d’une certaine transparence est ou non un sujet fiscal ?
18En effet, il existe une certaine distorsion entre l’analyse juridique pour laquelle la société a une pleine personnalité et l’analyse fiscale pour laquelle la société semi-transparente n’a qu’une personnalité limitée.
19Sur le plan juridique, une société transparente, dira-t-on, a une personnalité transparente, perméable. En ce sens, il n’existe pas de barrière entre les associés et les créanciers sociaux. Le constat est donc l’absence de protection des premiers à raison des poursuites des seconds.
20A l’inverse, une société est transparente sur le plan fiscal quand ses bénéfices sont imposés non pas en son nom mais au nom des associés, soit à l’impôt sur le revenu lorsque ses associés sont des personnes physiques, soit à l’impôt sur les sociétés lorsque ses associés sont des personnes morales soumises à cet impôt.
21Ainsi, pour ces sociétés on parle de transparence car le droit fiscal ignore totalement leur personnalité juridique pour l’impôt sur le revenu par exemple. Par conséquent ce que voit le droit fiscal, c’est l’associé. C’est le cas des sociétés de copropriété.
22D’un autre côté, à un degré moindre de transparence, nous avons les sociétés semi-transparentes qualifiées de translucides et pour lesquelles le droit fiscal reconnaît partiellement une personnalité. Dans cette hypothèse, la matière fiscale considère tout à la fois la société et derrière elle, l’associé. Pour ce type de société, la personnalité juridique de la société est prise en compte pour déterminer son résultat, d’une part. D’autre part, la personnalité fiscale est prise en compte pour l’imposition au niveau des associés. C’est une question d’assiette et de recouvrement. Finalement, l’imposition va dépendre du régime fiscal des associés.
23Le droit fiscal ne considère pas les sociétés semi-transparentes comme des contribuables en ce qui concerne l’imposition des bénéfices. Mais, ce n’est pas pour autant qu’elles ne sont pas considérées comme des sujets fiscaux. Qui plus est, nous avons constaté que le contrôle fiscal est effectué non pas chez l’associé mais au niveau de la société. Voilà un autre élément en faveur de la caractérisation de la société comme un Sujet fiscal à part entière.
24Ainsi, ces sociétés possèdent la personnalité morale au sens du droit privé6, à condition naturellement qu’elles soient inscrites au registre du commerce et des sociétés. Au contraire, elles n’ont pas de personnalité fiscale entière en matière d’imposition des revenus. Donc ici nous parlerons comme le professeur Olivier Debat d’une négation partielle de la personnalité juridique7. Autrement dit, il s’agit d’une négation qui n’est pas effectuée jusqu’au bout de sa logique. À tel point que ce régime a été dénoncé pour son incohérence. A ce titre, le professeur Maurice Cozian parlait déjà de sac d’embrouilles8.
25En d’autres termes, la semi transparence n’implique pas la négation de toute autonomie juridique et fiscale de l’entité. Et nous nous efforcerons de le démontrer. Cette démonstration sera d’autant plus aisée avec l’étude de l’imposition des bénéfices de la société. Qui est l’assujetti ? Qui est le redevable ?
B – La détermination de l’assujetti et du redevable
26C’est ici que nous remarquerons toute la spécificité des sociétés soumises totalement ou partiellement au régime de la transparence fiscale. La semi-transparence traduit l’image utilisée pour exprimer le fait que les bénéfices sociaux ne sont pas imposés au niveau de la société mais au niveau des associés. Est-ce à dire pour autant que cela traduirait la négation de toute personnalité à la société ? Nous avons déjà répondu à cette question, il nous reste à présent à l’illustrer et à l’expliquer.
27Comme nous l’avons déjà précisé, la société semi-transparente est un sujet fiscal au niveau duquel s’apprécie la matière imposable. D’ailleurs plusieurs attributs lui sont reconnus. De même, elle est soumise à plusieurs obligations. La personnalité qui lui est reconnue est telle qu’elle peut contracter avec elle-même contrairement à l’exploitant individuel sous réserve de la jurisprudence Meissonnier9. En effet, ici c’est la personnalité morale de la société semi transparente qui va permettre la réalisation de certains actes juridiques contrairement à l’entreprise individuelle. C’est notamment la possibilité pour l’associé de louer un bien à la société. Dans ce cas, les loyers seront déductibles au niveau de la société et inversement ils deviennent imposables dans la catégorie des revenus fonciers chez l’associé.
28Si le revenu imposable est dégagé et déclaré au niveau de la société en considérant son résultat, ce n’est pas la société qui est redevable de l’impôt, mais bien les associés directement. La prépondérance de la personnalité de la société est telle que les modalités d’imposition sont déterminées en considération de la nature de l’activité sociale sauf à réserver la disposition de l’article 238 Bis K I. Dans les sociétés semi-transparentes notamment les sociétés de personnes, les associés se regroupent en considération de leur personnalité, de l’intuitu personae. Ainsi ces associés seront redevables de l’impôt, chacun en fonction de ses droits dans la société.
29“Comme la transparence physique, la transparence fiscale opère dans les deux sens : un objet transparent, un verre par exemple, permet de voir le contenu et ses caractéristiques”10 De même, la transparence fiscale implique que, pour l’associé, le revenu social soit imposé conformément à sa nature et sa source et que, pour la détermination de l’assiette et du régime d’imposition, on regarde à travers la société de personnes pour retenir les caractéristiques de chaque contribuable associé, directement. Ainsi que E. Mignon l’a justement écrit, “la transparence n’est pas le vide”.
30On le voit bien, les résultats sont déterminés, déclarés et vérifiés au niveau de la société elle-même mais sont imposés entre les mains des associés. De ce fait, l’assujetti sera la société et l’associé, le redevable. Cela nous conforte dans l’idée que la translucidité n’implique pas la négation de l’autonomie juridique et fiscale. Si elle implique que les sociétés concernées ne soient pas en tant que telles des contribuables acquittant l’impôt, elles n’en restent pas moins des sujets fiscaux dotés d’une personnalité juridique et fiscale distincte de celle de leurs membres et exerçant une activité économique qui leur est propre.
31D’ailleurs c’est cet exercice d’une activité propre qui va justifier l’imposition en France de certains revenus en présence d’un élément d’extranéité.
II – TRANSPARENCE DES SOCIETES : INCIDENCE EN PRESENCE D’UN ELEMENT D’EXTRANEITE
32En application du régime de la semi transparence des sociétés de personnes, l’impôt sur les bénéfices réalisés est recouvré chez l’associé, comme nous l’avons expliqué précédemment.
33Qu’en est-il lorsqu’un associé est non-résident ? Comment impose-t-on sa quote-part de bénéfice ?
34Les associés non-résidents sont imposables en France sur leur quote-part de résultat. L’administration fait application de la territorialité de la société et non du lieu de résidence de l’associé, sauf stipulation contraire d’une convention fiscale internationale.
35En application du principe de subsidiarité11, le juge cherche d’abord à savoir si l’associé non-résident est imposable sur sa quote-part en France. Il vérifie les règles de droit interne (A) avant d’apprécier si une convention fiscale internationale est applicable au litige. Il vérifie ensuite si celle-ci fait opposition à l’imposition en France (B).
A – Le lieu d’imposition : la prise en compte des règles de droit interne
36Le problème est lié à l’absence de résidence en France de l’associé d’une société transparente. En effet, la situation est telle qu’une société de personnes réalisant son bénéfice en France a pour associé un résidant étranger. Cet élément d’extranéité pose la question du lieu d’imposition du bénéfice revenant à cet associé. Le sujet fiscal est la société transparente, le redevable de l’impôt sur les bénéfices est l’associé à hauteur de sa quote-part.
37La société de personnes n’a pas la pleine et entière personnalité fiscale. Elle exerce l’activité et le bénéfice imposable est calculé à son niveau. Mais elle n’est pas redevable de l’impôt sur le bénéfice réalisé. L’associé, de son coté, paye l’impôt sur la quote-part de bénéfice lui revenant.
38Toutefois, le droit fiscal reconnaît la personnalité juridique aux sociétés de personnes et considère qu’elles exercent l’activité en propre. C’est la raison pour laquelle l’administration fiscale tient compte du pays de résidence de la société pour l’imposition de la quote-part du bénéfice entre les mains de l’associé. L’assiette de l’impôt est calculée au niveau de la société, alors que le recouvrement se fait au niveau de l’associé.
39En présence d’un associé non-résident, le principe d’imposition des bénéfices de la société transparente reste le même. L’imposition des bénéfices de la société se fait au nom des associés. Ceux-ci sont redevables de l’impôt sur les résultats de la société à hauteur de la quote-part correspondante aux droits qu’ils détiennent dans la société. Le fait que l’associé soit non-résident ne remet pas en cause le mécanisme d’imposition des résultats de la société de personnes. Ceux-ci restent imposables dans les mains de l’associé.
40De là, nous constatons que la différence de nationalité entraîne un conflit d’imposition. Plusieurs États sont susceptibles de réclamer l’imposition de la quote-part de l’associé étranger. Plus précisément, son État de résidence peut considérer que l’imposition de la quote-part de bénéfice attribuée à son résident lui revient. De même, l’État dans lequel se situe la société peut estimer que l’imposition du bénéfice doit lui être attribuée en raison de la réalisation du résultat sur son territoire, même si l’associé réside à l’étranger12.
41L’imposition se fait-elle en France, lieu de réalisation du résultat ou à l’étranger, lieu de résidence de l’associé ?
42La réponse à cette question dépend en partie de la reconnaissance de la personnalité fiscale de la société de personnes.
43L’administration fiscale ainsi que la jurisprudence en tiennent compte pour l’imposition des résultats.
1) La doctrine administrative
44L’administration a eu l’occasion de se prononcer sur ce point. Elle a précisé qu’“une société étrangère membre d’une société de personnes française est imposable en France à raison de sa participation même si elle n’a pas elle-même d’exploitation située en France”13.
45Par une instruction venant commenter la convention fiscale franco-américaine, l’administration fiscale a précisé que “les sociétés de personnes ne sont pas transparentes et doivent être considérées comme des sujets fiscaux”14.
46Trois conséquences découlent de ces précisions. Tout d’abord, la société de personnes est un sujet fiscal même si elle n’est pas le redevable de l’impôt sur les résultats qu’elle réalise. Ensuite, les associés non-résidents de la société de personnes sont imposables en France sur la quote-part des bénéfices de la société de personnes qui leur revient. Ceci, même s’ils ne disposent pas en France d’un établissement stable. Il importe peu que la résidence de l’associé soit différente de celle de la société. La quote-part de l’associé sera imposée dans le pays dans lequel l’activité a été exercée en propre. Enfin, la société de personnes a sa résidence en France, indépendamment de la résidence à l’étranger de ses associés. La société de personnes ayant la personnalité fiscale, elle a la qualité de résident français.
2) La jurisprudence
47Le problème de l’imposition de la quote-part de bénéfice attribuée à un associé étranger a été également posé devant les juridictions administratives. Le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises.
48L’arrêt Kingroup15 est une illustration de cette incertitude. L’affaire concerne une société canadienne détenant des parts dans un groupement d’intérêt économique (GIE) français. Celle-ci percevait des redevances du GIE français. Les GIE fonctionnent comme des sociétés de personnes n’ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés. Ainsi, les bénéfices réalisés sont imposables dans les mains des membres de l’entité à hauteur de la quote-part correspondante à leur détention. L’administration avait imposé la société canadienne en France sur sa quote-part de bénéfices. La société canadienne a contesté cette imposition sur le fondement de la convention franco-canadienne (article 7). Celle-ci attribue au Canada l’imposition des revenus réalisés en France par une société canadienne qui ne dispose pas d’établissement stable. Dans cet arrêt, le Conseil d’État a considéré qu’un GIE dispose d’une personnalité distincte de celle de ses membres et exerce en propre l’activité permettant de réaliser le bénéfice. De plus, il a affirmé que le fondement de la demande de la société canadienne n’était pas applicable en l’espèce. En effet, les juges ont précisé que les dispositions de la convention visaient les revenus réalisés en propre par l’associé et non par l’intermédiaire d’une société de personnes.
49Le Conseil d’État distingue la qualification du revenu réalisé par la personne morale de la quote-part perçue par l’associé. Ainsi, les juges précisent que l’interposition de la société de personnes empêche l’identité de qualification juridique entre les revenus réalisés par la société et ceux perçus par l’associé. C’est pourquoi la part de bénéfices revenant à l’associé ne peut être qualifiée de redevance.
50Les juges retiennent la personnalité fiscale du GIE et précisent qu’il réalise le bénéfice imposable.
51Dans cet arrêt, le Conseil d’État a utilisé le principe de territorialité en matière d’imposition. Les bénéfices de la société de personnes sont réalisés en France, donc l’imposition doit se faire en France. Les juges tiennent compte du lieu de situation de la société et non de celui de l’associé afin de déterminer le lieu d’imposition. L’arrêt retient la semi transparence et, par là même, la personnalité fiscale de la société de personnes.
52Quelques années plus tard, le Conseil d’État s’est à nouveau prononcé sur l’imposition de la quote-part de bénéfice d’un associé d’une société de personnes non-résident français. Dans cet arrêt Société suisse Hubertus16, les faits étaient quelque peu différents de ceux de l’affaire précédente. Une société suisse détenait des parts dans une SCI située en France qui avait réalisé une plus-value immobilière. La société suisse contesta l’imposition en France de la quote-part de bénéfice, lui revenant, sur le fondement de la convention franco-suisse. Le Conseil d’État énonça les règles de droit interne applicable aux sociétés de personnes. Il rappela que la SCI disposait d’une personnalité distincte de celle des associés et qu’elle exerçait son activité en propre. Ainsi, le bénéfice était réalisé par la société et non par l’associé lui-même. Par conséquent, le revenu étant réalisé en France, la quote-part de bénéfice perçue par l’associé devait être imposée en France.
53En reprenant les arguments de l’arrêt Kingroup, le Conseil d’État distingue le revenu réalisé par la société de la quote-part attribuée à l’associé non-résident. Seulement le premier a la qualité de plus-value immobilière. Le revenu perçu par l’associé est bien une quote-part de bénéfice réalisé par la société de personnes et non une quote-part de la plusvalue immobilière réalisée par celle-ci.
54À nouveau, les juges ont rappelé que la société a une personnalité reconnue et distincte de celle des associés. Par conséquent, la semi transparence fait obstacle à la reconnaissance d’une même qualification juridique pour les revenus réalisés par la société et pour ceux perçus par les associés.
55En résumé, les apports de ces jurisprudences17 sont clairs. Tout d’abord, le Conseil d’État affirme que la société de personnes a une personnalité distincte de celle de ses associés et exerce l’activité en propre. Ensuite, il considère que la semi transparence entraîne une qualification juridique différente entre les revenus réalisés par la société et les profits perçus par l’associé. Enfin, le Conseil d’État affirme la personnalité fiscale de la société de personnes.
56Pour autant, le Conseil d’État ne consacre pas la pleine et entière personnalité juridique aux sociétés de personnes. En effet, il retient les prétentions des associés et leur possibilité d’invoquer les conventions fiscales. Ainsi, après avoir vérifié que les règles de droit interne permettent l’imposition en France de la quote-part de l’associé, le juge doit s’assurer qu’aucune stipulation contraire émanant d’une convention fiscale ne puisse faire obstacle à l’imposition en France.
B – La vérification de l’application des conventions fiscales internationales
57Les conventions fiscales internationales (CFI) entre États ont notamment pour but d’éviter les doubles impositions d’un même revenu. En raison de la différence entre le lieu de résidence de l’associé et de la société ou encore celui de la réalisation de l’activité, plusieurs États sont susceptibles de réclamer l’impôt, sur un même revenu, en appliquant leurs critères internes. C’est le cas lorsqu’un associé d’une société de personnes est non-résident. Ainsi, l’État de sa résidence peut imposer la quote-part de bénéfice résultant de sa détention dans le capital de la personne morale. De même, l’État dans lequel se situe la société de personnes peut imposer la quote-part revenant à l’associé en se fondant sur le lieu de réalisation de l’activité. Pour ces raisons, les conventions fiscales mettent en place des dispositifs visant à éviter les cumuls d’imposition d’un même revenu.
58Les critères de ces conventions permettent de déterminer le lieu d’imposition d’un revenu en fonction de sa qualification. Par exemple, une plus-value de cession d’un bien immobilier doit être imposée par l’État dans lequel se situe l’immeuble, objet de la cession.
59Lorsque cette cession est réalisée par une société de personnes, elle est considérée comme réalisée en propre par la société. Le revenu perçu par l’associé de cette personne morale est bien une quote-part de bénéfice réalisé par celle-ci et non une quote-part de la plus-value. Par conséquent, la qualification de plus-value immobilière est sans incidence sur la détermination du lieu d’imposition de la quote-part de revenu émanant de la société de personnes. Le critère de la convention fiscale internationale ne peut être retenu et applicable dans ce cas18.
60Ainsi, ces critères ne sont applicables que lorsque le contribuable réalise lui-même ce revenu et non lorsqu’il est réalisé par l’intermédiaire d’une société de personnes. En effet, dans un tel cas, le sujet fiscal réalisant le bénéfice imposable est la société semi-transparente. Par conséquent, c’est à elle que revient le droit d’invoquer ces critères.
61Les sociétés semi-transparentes détenant une véritable personnalité fiscale, l’imposition du bénéfice dans les mains de l’associé ne devrait être qu’une simple modalité de recouvrement. Ainsi, la situation de l’associé ne devrait pas être prise en compte et il ne devrait pas pouvoir se prévaloir, en tant qu’associé, des conventions fiscales.
62Qu’en est-il de la position des autres États sur ce point ?
63La plupart d’entre eux considèrent que la définition de la Convention OCDE fait application de la totale transparence des sociétés de personnes et leur refuse la qualité de résident, au sens conventionnel. Par conséquent, les associés peuvent se prévaloir des stipulations des conventions fiscales internationales.
64La position de la France est quelque peu différente. En effet, la France a émis une réserve sur cette qualification de l’OCDE afin de conserver le droit de considérer les sociétés semi-transparentes comme des sujets fiscaux français.
65En présence d’une CFI, certaines définitions ont une importance fondamentale. C’est notamment le cas du résident. Ainsi, un résident est considéré comme tel par l’État dans lequel une personne morale dispose du siège de direction effective de l’entreprise19.
66C’est sur l’application de cette dernière définition que l’arrêt Quality Invest20 de 2011 est venu se prononcer.
67Dans cette affaire, le Conseil d’État était face à une société de droit norvégien qui détenait des parts dans une SCI de droit français. L’administration fiscale française avait mis en demeure l’associé norvégien de déclarer sa quote-part de bénéfices. La société Quality Invest, associée de la SCI refusait l’imposition de sa quote-part en France en se fondant sur la convention franco-norvégienne. La cour administrative d’appel de Paris avait jugé que les revenus ainsi attribués n’étaient visés par aucune stipulation de la convention franco-norvégienne. Par conséquent, elle avait fait application de la clause dite “balai” qui attribue à l’État de résidence de l’associé, c’est-à-dire la Norvège en l’espèce, l’imposition des revenus non visés par les stipulations de la convention. Par ce fondement, la cour administrative d’appel avait autorisé la Norvège à imposer ces revenus.
68Le Conseil d’État a refusé cet argument et annulé la décision pour erreur de droit.
69En application du principe de subsidiarité des conventions fiscales, les juges ont commencé par rappeler les règles de droit interne. Dès lors, la SCI disposait d’une personnalité distincte de celle de ses associés et exerçait son activité en propre. L’activité étant exercée en France, les revenus étaient imposables en France dans les mains de l’associé, la société Quality Invest. Puis les juges se sont référés à la convention franco-norvégienne. Selon l’article 4 paragraphe 1 de celle-ci, un résident d’un État est une personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujetti à l’impôt dans cet État.
70Le Conseil d’État a ainsi affirmé que la société de personnes devait être considérée comme résidente de France. Par conséquent, les juges ont reconnu la société semi-transparente en tant que sujet fiscal, le véritable assujetti à l’impôt. L’associé est simplement le redevable de cet impôt sur le bénéfice réalisé.
71Ce ne sont pas les profits “retirés” par l’associé qui sont imposables mais ceux “réalisés” par la société.
72C’est un constat essentiel pour l’application des conventions fiscales. Le Conseil d’État affirme que la société de personnes doit être regardée comme une résidente française au sens de la convention franco-norvégienne. Elle peut donc se prévaloir de la convention fiscale.
73Finalement, il semble qu’en l’absence de stipulation particulière, une convention signée entre la France et l’État de résidence des associés ne puisse faire échec à l’imposition en France d’un bénéfice réalisé par son résident, quand bien même il serait imposé dans les mains d’un associé non-résident.
74La position consistant à nier la possibilité des associés non-résidents de se prévaloir des avantages conventionnels est fondée sur le principe de la personnalité fiscale des sociétés de personnes. La reconnaissance de la personnalité fiscale a pour conséquence d’en faire un sujet de droit, mais à ce moment-là, en allant au bout du raisonnement, le redevable devrait être la société elle-même.
Notes de bas de page
1 Loi no 63-254 du 15 mars 1963, portant réforme de l’enregistrement, du timbre et de la fiscalité immobilière.
2 Notre propos se limitera aux sociétés de personnes semi-transparentes.
3 M. Cozian, “Images fiscales : transparence, semi-transparence, translucidité et opacité des sociétés”, Petites affiches, 24 janvier 1996 no 11, p. 5.
4 J.-P. Sartre, Situations, 1947.
5 M. Cozian A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 19e édition, 2006.
6 Art. 1842 Cciv et art. 210-6 du Ccom.
7 O. Debat, Droit fiscal des affaires, Montchrestien, éd. 2010, pages 294 et s.
8 M. Cozian A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 19e édition, 2006.
9 CE, 8 Juillet 1998, no 164 657, 8e et 9e sous sections, Meissonnier.
10 E. Mignon, “La transparence n’est pas le vide” : RJF 12/1999, chron. p. 931.
11 V. sur ce point : M.-C. Bergeres, “Le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales”, Dr. Fisc. 2005, no 36, p. 1328. ; CE 19 décembre 1975, no 84774 et 91895, Plén. : RJF février 1976 no 77, chronique B. Martin LapradeRJF février 1976 p. 41 concl. D. FabreDr. fisc. 27/76 c. 925 ; CE 17 mars 1993, no 85894, 8e et 9e s.-s., Memmi : Dr. Fisc. 1993, no 25, comm. 1293 ; RJF mai 1993, no 612, p. 329.
12 CGI art. 4 A al.2.
13 Instruction administrative 4 H-14-22 du 1/03/95, à ce jour non rapportée.
14 Instruction administrative 14-B-99.
15 CE, 4 avril 1997, no 144211, RJF mai 1997, no 424.
16 CE, 8e et 9e ss-sect., 9 février 2000, no 178389, Société suisse Hubertus AG, Dr. Fisc. 2000, no 15, comm. 303.
17 V. également sur ce point : CE 18/05/2009, “SAS Ets Chevannes”, Dr. Fisc. 2009, no 40, comm. 491, note B. Delaunay.
18 CE, 8e et 9e ss-sect., 9 février 2000, no 178389, Société suisse Hubertus AG, Dr. Fisc. 2000, no 15, comm. 303.
19 Art. 2 paragraphe 1-4 de la convention franco-allemande, 21/07/1959.
20 CE, 3e, 8e, 9e et 10e ss-sect., 11 juill. 2011, no 317024, Société Quality Invest, RJF octobre 2011, no 1063.
Auteurs
Doctorante, Université Toulouse 1 Capitole, Centre de droit des affaires
ATER, Université Toulouse 1 Capitole, Centre de droit des affaires
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