Communautés religieuses cherchent personnalité juridique en République de Turquie
p. 143-162
Texte intégral
1L’anticléricarisme catholique a favorisé la naissance de la laïcité en France. La crise entre l’État italien et le Saint-Siège a favorisé d’une part la séparation de l’Église de l’État et d’autre part la suppression du catholicisme en tant que religion officielle1. Le Liban s’est construit avec une laïcité communautaire. La Turquie, elle, a bâti sa laïcité contre la domination de la religion musulmane et, par ricochet, contre toutes autres religions.
2La Turquie, est le premier État du monde musulman à s’être converti à la laïcité (laiklik) dès le milieu du XXe siècle. La société turque est cependant pluri-religieuse, composée de musulmans (sunnites majoritairement mais aussi de minorités alévis, chi’ites et sufis), de chrétiens (catholiques, orthodoxes, syriaques, arméniens et protestants) et de judaïques. L’État est donc naturellement appelé-dans les limites de la marge d’appréciation dont il dispose-à règlementer ses rapports avec les religions de manière à préserver tout à la fois la liberté religieuse et la sécurité publique2.
3La liberté de religion, de conscience et de culte implique, au sens du droit international (art. 18 du PIDCP3) et du droit conventionnel (art. 9 de la Convention4), la liberté de manifester sa religion individuellement et en privé. Certes, mais elle implique aussi le droit de la vivre “de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi”5. La “dimension collective”6 de la liberté religieuse justifie a fortiori le droit, pour les communautés religieuses, d’être reconnues. Cette reconnaissance passe par le droit d’accès à la personnalité morale.
4L’accès à la personnalité morale dote les Églises et sociétés religieuses intéressées de la capacité juridique leur permettant d’être titulaires de droits et obligations de caractère civil dont en l’occurrence, le droit d’accès à la justice et le droit de propriété et de gestion des biens. Aussi, la protection juridictionnelle de la communauté, de ses membres et de ses biens constitue, pour une communauté religieuse, “l’un des moyens d’exercer le droit de manifester sa religion, […] dans sa dimension collective”7.
5Le droit des Églises et des sociétés religieuses de se voir, si elles le souhaitent, et sous réserve de considérations d’ordre public, reconnaître par l’État la personnalité juridique est à cet égard un droit fondamental. Dès lors, au-delà des significations qui pourraient être données à la laïcité, le modèle démocratique suppose que l’État réponde à cette obligation positive et règlemente ses rapports avec les Églises et sociétés religieuses sur son territoire. C’est ainsi que la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume de Norvège ou encore le Liban, ont, chacun à sa manière et à des degrés différents, pris leur distance avec les religions tout en permettant aux communautés religieuses d’exister juridiquement et de s’organiser de façon autonome.
6Depuis le 9 août 1949, la République de Turquie est membre du Conseil de l’Europe et engagée à garantir le respect des droits conventionnels, dont la liberté de religion et d’association (art. 9 et 11 de la Convention). Outre son statut de membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est candidate à l’Union européenne8. Elle est à cet égard doublement invitée à relever le défi de s’aligner sur les standards européens, plus particulièrement concernant le respect du droit des Églises et sociétés religieuses à accéder, si elles le souhaitent, à la personnalité morale.
7Tout en garantissant “la liberté de conscience, de croyance et de conviction religieuse” (art. 24-C), la République de Turquie refuse, paradoxalement, de reconnaître aux communautés religieuses, en tant que telles, le droit d’acquérir la personnalité morale. La Cour constitutionnelle turque traduit bien ce dilemme lorsqu’elle indique que la “laïcité en Turquie constitu[e] entre autres le garant des valeurs démocratiques et des principes d’inviolabilité de la liberté de religion”, mais “pour autant qu’elle relève du for intérieur, et de l’égalité des citoyens devant la loi”9.
8Les deux structures actuellement en vigueur dans le droit turc -les vakif (fondations) et les associations-, permettant aux communautés religieuses de solliciter la protection de certains de leurs droits, ne répondent pas aux exigences du droit conventionnel en ce qu’elles ne garantissent pas l’autonomie ecclésiastique. Avant d’aborder les effets que l’absence de la personnalité juridique induit en terme d’accès des communautés religieuses à certains droits fondamentaux, il serait pertinent d’appréhender les raisons d’une réticence sous-jacente à une notion de la laïcité propre à l’histoire de la Turquie.
I – UN STATUT ALTERE PAR L’HISTOIRE ET UNE NOTION DE LA LAÏCITE PROPRE A LA TURQUIE
9Malgré la conquête de la laïcité au milieu du XXe siècle et la suppression de l’Islam en tant que religion d’État, la “nouvelle République” de Turquie dénie aux communautés religieuses leur droit à l’autonomie ecclésiastique. Ce paradoxe pourrait être appréhendé sous l’angle du poids de l’histoire et du droit interne.
A – Une conquête de la laïcité dans un pays où l’Islam fut la religion officielle
10Historiquement, la laïcité en Turquie se présente comme “un adversaire de la religion”10. Imposée sans être populairement assumée, elle se voyait tantôt annihilée, par l’arrivée au pouvoir de partis traditionnalistes et intégristes, tantôt rétablie, par l’intervention de l’armée (“ gardienne des traditions kémalistes”11) et du pouvoir judiciaire.
11Les graines de la laïcité en Turquie ont été semées au tout début du XXe siècle (en 1908) par les “Jeunes-Turcs”, mouvement nationaliste anticlérical proche des francmaçonneries française et italienne12. C’est cependant Mustapha Kemal dit Atatürk (père des Turcs) qui marqua de son sceau l’histoire d’une laïcité de combat en Turquie13. En trois temps forts, la Turquie devient le premier État laïque du monde musulman. D’abord par l’abolition du sultanat (discours du “Ghazi”14 du 1er novembre 1922), Mustafa Kemal met un terme à l’origine divine de la légitimité de la dynastie des Osman15. Ensuite par la proclamation de la République, le 29 octobre 1923, Kemal conduit la Turquie à graver dans sa Constitution le principe de la séparation des sphères politique (le sultanat) et religieuse (le califat)16. Par l’abolition, le 3 mars 1924 du califat ottoman (le pouvoir religieux), il annihile enfin le pouvoir religieux en tant qu’“instrument politique”17.
12Ces réformes ont conduit, manu militari (si l’on ose l’expression), à la suppression des établissements d’enseignement religieux, leur laïcisation et leur rattachement au ministère de l’Éducation nationale (loi no 430 sauvegardée par l’article 174-C). L’Islam était cependant demeurée “religion de l’État turc” (ancien art. 2-C). En 1928, une première loi constitutionnelle abroge l’Islam “en tant que religion officielle” et pose la laïcité en “principe fondateur de la nouvelle Turquie républicaine”18 (loi constitutionnelle du 10 avril 1928). En 1937, la loi constitutionnelle du 5 février accorde à la laïcité une valeur suprême (art. 2-C).
13En réalité, la laïcité en Turquie ne vient pas d’“en bas” mais d’“en haut” (pour emprunter une expression de Sieyès sur les rapports entre la légitimité et le pouvoir). Derrière la laïcisation de la Turquie et, ce faisant, l’alignement aux valeurs occidentales19, couvait d’une part une profonde et décisive influence de la culture française sur Mustapha Kemal. La conjoncture politico-militaire permettra d’autre part à Atatürk de tourner définitivement la page de l’Empire des Osman et, dans le même temps, d’épargner à la nouvelle République de Turquie les effets du traité de Sèvres de 1920 (démembrement ou colonisation)20. C’est ainsi d’ailleurs que la “République de Turquie” devient un partenaire de l’Europe et Atatürk un interlocuteur incontournable de l’Occident21.
14Mais cette laïcité demeure empreinte de fragilité. En effet, le parti démocrate, opposé à la laïcité kémaliste, arrive au pouvoir en 1950 et rétablit aussitôt certaines mesures tendant à “rendre la laïcité plus en phase avec la société”22. Sont ainsi restaurés l’appel à la prière, l’enseignement coranique en arabe, la tolérance à l’égard de la polygamie et les usages vestimentaires traditionnels et religieux. Ce repli religieux, perçu “dans la société [particulièrement parmi les élites et les universitaires] comme une menace réelle contre les valeurs républicaines et la paix civile”23, favorisera une instabilité politique (répression contre les partis politiques, atteinte à la liberté de la presse, mise en cause de l’indépendance de la magistrature, etc.)24 qui ne cessera qu’avec le coup d’État militaire du 27 mai 1960, la mise en place de la nouvelle Constitution de 196125 et le rétablissement de la laïcité kémaliste-républicaine.
15La fragilité de la laïcité vient aussi de la situation géostratégique de la Turquie (l’Iran au Sud Est et l’Arabie Saoudite au Sud). C’est ainsi que pendant les années 80 et 90, le concept occidental de la séparation du laos et du klêros en Turquie s’est trouvé pris en étau entre l’influence de la révolution islamique iranienne de 1979, le wahhabisme de l’Arabie Saoudite et l’arrivée au pouvoir du Refah Partisi (le parti de la prospérité, de tendance intégriste). Le phénomène du port du foulard islamique et le brûlant débat autour de sa signification ne laisseront point d’indifférents. S’il s’agit pour les uns d’une obligation liée à l’identité religieuse, pour les autres, le port du foulard islamique est un symbole d’un islam politique visant à instaurer un régime fondé sur les règles religieuses. L’activisme des partis extrémistes, les affrontements et les assassinats politiques favoriseront de nouveau l’intervention de l’armée et le coup d’état du 12 septembre 1980 pour sauver la laïcité kémaliste26.
16En 1996, le concept de laïcité en Turquie prend une tournure mettant en exergue la difficulté de l’asseoir dans le cœur de la société et/ou, tout le moins, de trancher la question du sens à lui donner. Le Refah Partisi (allié au pouvoir au Dogru Yol Partisi, le parti de la juste voie, centre droit), donne en effet délibérément un aspect politique au débat sur le foulard islamique27 pour prôner la primauté du religieux et présenter la laïcité comme un produit occidental non identifiable. C’est à ce titre que la Cour EDH a relevé “l’ambiguïté de l’attachement aux valeurs démocratiques qui ressort des prises de position des dirigeants du Refah Partisi, […], prônant un système multi-juridique fonctionnant selon des règles religieuses différentes pour chaque communauté religieuse”28.
17Au niveau du droit interne turque, les prises de position des dirigeants du Refah Partisi et du nouveau Fazilet Partisi29, notamment quant à l’utilisation des symboles religieux à des fins politiques et à la question du port du foulard islamique dans le secteur public et/ou dans les écoles, “révélaient”, selon l’expression de la Cour constitutionnelle turque, “l’intention de ceux-ci d’instaurer un régime politique fondé sur la chari’a”30. S’appuyant sur l’histoire de son pays, le Procureur de la République turque affirme que “le projet politique du Refah Partisi n’était ni théorique, ni illusoire, mais réalisable […]”. Le besoin impérieux de protéger la laïcité en République de Turquie motivera ainsi la dissolution par la Cour constitutionnelle de ces deux partis politiques (le Refah Partisi le 9 janvier 1998 et le Fazilet Partisi le 2 juin 2001)31.
18Depuis 2003, le Premier ministre Recep Tayyib Erdogan, reconduit dans ses fonctions au lendemain des élections législatives de 2007 et du 12 juin 2011, joue la carte de l’intégration européenne32. Au niveau conventionnel, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe constate que de nombreux membres de l’AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi, parti de la justice et du développement) dont le fondateur et le leadership est le Premier ministre Erdogan33, “se déclareraient respectueux du régime démocratique et laïque”34. Au lendemain du référendum constitutionnel du 12 septembre 201035, le Premier ministre, Erdogan, acclame “la voie de la démocratie et de la suprématie de l’État de droit” en Turquie. Pour autant, l’une des “assises d’une société démocratique” au sens de la Convention européenne, en l’occurrence, le droit pour les communautés religieuses à l’autonomie, fait toujours défaut. La clé du problème pourrait alors se trouver dans la logique constitutionnelle turque.
B – Une conquête d’une laïcité de refus de reconnaissance de la personnalité juridique aux communautés religieuses
19Tout en se félicitant du dialogue engagé par le Gouvernement turc avec les représentants des communautés religieuses, le Parlement européen, dans sa résolution du 10 février 2010 sur les progrès accomplis par la Turquie, souligne néanmoins “qu’il est essentiel que toutes les communautés religieuses soient dotées de la personnalité juridique”36.
20Le droit d’acquérir et de conserver la personnalité juridique est un corollaire du principe de laïcité, reconnu aux communautés religieuses en tant que telles. La personnalité juridique consiste en effet à protéger celles-ci “contre toute ingérence injustifiée de l’État”, de manière à leur permettre, conformément aux articles 9 et 11 de la Convention, d’“exercer effectivement et collectivement leur culte ” (CEDH, 26 octobre 2000, Hassan Tchaouch c. Bulgarie, pt. 62).
21C’est ainsi qu’en France, malgré une conception de la laïcité consistant à refouler la religion dans la sphère strictement privée, les Églises et sociétés religieuses peuvent, sur le fondement de la loi de 1905, s’enregistrer sous la forme d’association “cultuelle”. En Italie et au Royaume de Norvège, malgré la valeur spécifique de la religion chrétienne (catholique en Italie, évangélique luthérienne en Norvège), toutes les autres religions, sous réserves de restrictions nécessaires à la protection de l’ordre public, peuvent demander et obtenir le statut de “société religieuse”. L’Allemagne ouvre la possibilité aux communautés religieuses de demander et d’obtenir, sous réserve de certains critères, le statut de “personne morale de droit public”37. La conception de la laïcité au Liban est singulière, peut-on même la qualifier de communautaire38. Les communautés religieuses “reconnues par la loi” bénéficient d’une autonomie leur permettant de s’organiser et de fonctionner sans ingérence de l’État. En sus, celles-ci participent au pouvoir politique, législatif et juridictionnel. Elles sont même habilitées, par l’intermédiaire de leurs “chefs”, à saisir le Conseil constitutionnel “en ce qui concerne limitativement : -le statut personnel ; -la liberté de la croyance et la pratique des cérémonies religieuses ; -la liberté de l’enseignement religieux” (art. 19-C libanaise)39.
22A l’opposé, en Turquie, la laïcité de l’État a toujours confiné les communautés religieuses existantes sur son sol, dans l’inexistence juridique.
23Pourtant, la laïcité, inscrite à l’article 2 de la Constitution, est considérée comme l’un des principes fondateurs de la République de Turquie : “La République de Turquie est un État de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l’homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d’Atatürk […]”. A première lecture, cette disposition trouve son pendant normatif à l’article 24-C reconnaissant à “[c]hacun”, d’une part le “droit à la liberté de conscience, de croyance et de conviction religieuse” et, d’autre part, la liberté des “prières, [des] rites et cérémonies religieuses ». Cependant, faudrait-il s’attarder sur la rhétorique utilitariste ainsi usitée pour appréhender le sens de cette laïcité conduisant paradoxalement à prohiber l’accès à la personnalité morale pour les communautés religieuses.
24Les “droits de l’homme” auxquels l’article 2-C fait référence ne semblent pas reconnus ou déclarés en tant que droits naturels s’imposant à l’État, mais plutôt posés en tant que droits contextualisés et conditionnés. Il s’agit des “droits de l’homme ‘dans un esprit de’ paix sociale, […], ‘attaché au nationalisme d’Atatürk’et reposant sur les principes fondamentaux énoncés dans le préambule”. Ces droits, dont en l’occurrence, la liberté religieuse, sont susceptibles de se voir légalement brimés par la crainte de voir “la religion, les sentiments religieux ou les choses considérées comme sacrées par la religion”, exploités par une personne, une classe ou un groupe, “dans le but de faire reposer, même partiellement, l’ordre social, économique, politique ou juridique de l’État sur des préceptes religieux ou de s’assurer un intérêt ou une influence sur le plan politique ou personnel” (art. 24-C). Dans ce même registre, à la disposition du 1er alinéa de l’article 24-C, déclarant sur un ton universaliste que “Les prières, les rites et les cérémonies religieuses sont libres », est greffée une limitation renvoyant à l’article 14-C. Or, ce dernier prévient qu’“Aucun des droits et libertés fondamentaux inscrits dans la Constitution ne peut être exercé dans le but de […] mettre en péril l’existence de l’État turc et de la République, […], de confier la direction de l’État à un seul individu ou à un groupe […], d’établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou l’appartenance à une organisation religieuse, ou d’instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions”40.
25Le principe de laïcité paraît ainsi à la fois particulièrement important pour la République de Turquie qui se veut partenaire des démocraties occidentales et particulièrement retenue par la méfiance à l’égard de l’expression collective de la liberté de religion, vue comme un danger pour “l’existence de l’État turc et de la République”.
26Intervenant en défense dans l’affaire Leyla Sahin, le Gouvernement de Turquie met plus précisément en lumière les deux éléments de fond justifiant ce paradoxe. Il précise d’une part que “le fait que la Turquie soit le seul pays musulman adhérant à une démocratie libérale au sens des pays occidentaux s’explique par l’application stricte du principe de laïcité dans le pays”41. Autrement dit, si la Turquie -“seul pays musulman adhérant à une démocratie libérale au sens des pays occidentaux”- a réussi cet exploit, c’est au prix d’une “application stricte du principe de laïcité dans le pays”, c’est-à-dire, au prix d’une crucifixion des communautés religieuses en tant que telles. D’autre part, dans l’affaire qui l’opposait à la célèbre étudiante L. Sahin à propos du port du foulard islamique dans l’enceinte de l’Université d’Istanbul, le Gouvernement turc avait appuyé son refus de répondre “à une demande de privilège en faveur d’une religion” par sa crainte de devoir faire de même pour toutes les autres communautés religieuses. Ce qui “entraînera en conséquence un statut multijuridique”42 affectant nécessairement l’“esprit de paix sociale, de solidarité et de justice, attaché au nationalisme d’Atatürk” (cf. art. 2-C).
27Hier, c’était Atatürk qui, comme le souligne l’historien Massimo Introvigne, refusait de toutes ses forces “d’abandonner la religion à la sphère privée”. Atatürk considérait “qu’un islam soustrait au contrôle de l’État maintiendra son emprise sur la société civile et voudra, tôt ou tard, exercer de nouveau son influence dans le domaine politique”43. Aujourd’hui, c’est la République de Turquie -pétrie de la laïcité d’Atatürk et consciente que la grande majorité de la population adhère à une religion précise- qui estime n’avoir d’autre choix que d’annihiler le klêros pour “empêcher certains mouvements fondamentalistes religieux d’exercer une pression sur [ceux] qui ne pratiquent pas la religion en cause ou sur ceux adhérant à une autre religion”44.
28C’est dans ce contexte de méfiance à l’égard de la religion majoritaire dans le pays que pourrait être lue la surdité turque à l’appel conventionnel de laisser les communautés religieuses s’organiser et fonctionner de façon autonome en accédant en tant que telles à la personnalité juridique. C’est dans ce contexte que pourrait également être interceptée la volonté de la Turquie d’opter pour une laïcité plaçant la religion “sous le contrôle le plus rigoureux de l’État”45. C’est ainsi que, pour ne donner que deux exemples, d’une part, la religion musulmane, majoritaire dans le pays, se trouve absorbée par l’État par son intégration à la Direction des Affaires religieuses (la Diyanet, rattachée au Premier ministre qui nomme et révoque les imams et muezzins) et, d’autre part, le patriarcat orthodoxe grec de Constantinople, autorité suprême de l’Église orthodoxe46, héritière de l’Empire Byzantin (régnant sur l’Orient jusqu’en 1453, date de la prise de Constantinople par les Ottomans), se voit refuser le titre “œcuménique”47.
II – UN DEFAUT DE STATUT ALTERANT L’ACCES A CERTAINS DROITS FONDAMENTAUX
29Seule la reconnaissance juridique est susceptible de conférer des droits aux Églises et sociétés religieuses48. Pour l’OSCE/BIDDH, ce statut constitue “l’un des aspects essentiels du droit d’association”, nécessaire à une protection effective des droits de l’homme de toutes les communautés religieuses. Il permet aussi aux communautés religieuses “d’accomplir diverses tâches”49 dont en l’occurrence l’accès à un tribunal pour faire valoir leurs droits et protéger leurs biens. C’est dans cette perspective que la Cour de Strasbourg protège l’autonomie ecclésiastique “contre toute ingérence injustifiée de l’État”50.
30Or, le système de vakif et d’associations actuellement en vigueur en Turquie ne satisfait pas les droits fondamentaux attachés à la personnalité morale, dont l’accès à la justice et au droit de propriété.
A – Un statut actuel insatisfaisant au regard de la liberté de religion et d’association
31Le droit de manifester sa religion de manière collective suppose au sens du droit européen le droit “de se réunir, d’exprimer publiquement des valeurs et des opinions religieuses partagées, de s’associer librement et de disposer d’une certaine forme de communauté organisée, sans ingérence arbitraire de la part des autorités publiques”51. Ce droit implique, aux termes de l’article 9 de la Convention (et art. 18 du PIDCP), la liberté de manifester sa religion “par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement”.
32Aussi, ce droit fondamental au libre exercice de la religion “individuellement ou collectivement”52 ne peut -sous réserve des “seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui” (art. 18 PIDCP)- qu’être reconnu aux communautés religieuses. Ce droit leur appartient en tant que communauté au même titre qu’il appartient aux fidèles en tant qu’individus. Dans son arrêt du 27 juin 2000 (Cha’are Shalom Ve Tsedek), la Cour EDH affirme d’ailleurs qu’“un organe ecclésial ou religieux peut, comme tel, exercer au nom de ses fidèles les droits garantis par l’article 9 de la Convention”53. Le droit à la liberté de religion n’est donc pas exclusif des fidèles. Il appartient aussi à la communauté religieuse à laquelle ils appartiennent. Cette liberté suppose que la communauté “puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’État”54. A défaut, la liberté de religion se trouve vidée de son sens. Ce sont, au sens conventionnel, “tous les autres aspects de la liberté de religion de l’individu [qui] s’en trouveraient fragilisés”55.
33Or, il n’existe pas en Turquie un statut spécifique ouvert directement aux communautés religieuses. C’est uniquement par le biais de deux structures juridiques ordinaires que les Églises et sociétés religieuses en Turquie opèrent afin de jouir tant bien que mal de leur droit à la liberté de religion. Il s’agit des vakif (fondations)56, système ancien remontant à l’Empire ottoman et régi par les articles 101 à 117 du Code civil (loi no 2762 du 13 juin 1935)57, et les “associations”, une forme nouvelle de personne morale créée en 2004.
34Cependant, aucune de ces deux structures n’est directement ouverte aux communautés religieuses. Elles permettent simplement aux membres, une fois l’association ou la fondation créée, de soutenir les activités d’une communauté religieuse. C’est ainsi que la communauté musulmane “transite” par la “Diyanet Vakfi”, créée en 1975, pour “promouvoir la connaissance de l’islam, […] construire des mosquées et […] organiser des œuvres caritatives”58. C’est également le cas pour certaines communautés non musulmanes, en l’occurrence l’Église grecque orthodoxe, l’Église arménienne et le rabbinat, qui passent par les fondations créées en 1936 ou à une date antérieure pour soutenir leurs activités religieuses. En revanche, certaines autres communautés, plus précisément les Églises protestantes, les témoins de Jéhovah et autres communautés non musulmanes, installées en Turquie après 1936, semblent, selon le rapport de la Commission de Venise du 15 mars 2010, “avoir moins de fondations et rencontrer davantage de problèmes pour en créer”.
35L’obstacle serait particulièrement lié aux dispositions de l’article 101.4 du Code civil règlementant les conditions de création d’une fondation. Celles-ci interdisent de créer une fondation “contraire aux caractéristiques de la République définies par la Constitution, aux dispositions constitutionnelles, […] à l’intérêt national, ou visant à soutenir une race ou une communauté précise”.
36La nouvelle loi sur les “associations” ne comporte pas d’interdiction explicite comparable à celle imposée aux fondations. Ce silence ne pourrait pour autant être lu comme ouvrant aux communautés religieuses un accès direct à une forme d’“association cultuelle” à la française. Le silence législatif est en réalité comblée par les dispositions de l’article 24-C règlementant restrictivement la liberté religieuse collective et ouvrant a fortiori à l’État la possibilité de s’ingérer dans l’organisation des religions59.
37C’est ainsi que, d’une part, certains groupes se voient opposer un refus de créer une association à visée “religieuse, informative et caritative” au motif que la demande se heurte aux alinéas 3 et 4 de l’article 24 de la Constitution de Turquie. Ce fut le cas plus précisément des Témoins de Jéhovah qui se sont vu opposer ce refus en 200560. À titre de comparaison, en France, la qualification des Témoins de Jéhovah de “secte” n’a pas pour autant eu pour effet de priver ceux-ci de leur statut d’“Association 1901 »61. De même, la Suisse, confrontée aux opinions et agissements moralement contestables du Mouvement Raëlien (clonage, dérives sexuels possibles à l’égard d’enfants mineurs et géniocratie), s’est satisfaite de mesures d’interdiction d’affichages dans le domaine public des adresse électronique et coordonnée téléphonique de cette Association tout en considérant que celle-ci demeure libre de véhiculer ses idées et d’exprimer ses convictions par les nombreux autres moyens de communication possible62.
38D’autre part, la structure associative telle qu’intrinsèquement établie par la loi de 2004, ne répond pas aux attentes de certaines autres Églises. C’est plus spécifiquement le cas du patriarcat orthodoxe, du patriarcat arménien et du grand rabbinat, dont la structure institutionnelle ne leur permet pas de “s’enregistrer” telles qu’elles sont, c’est-à-dire, en tant qu’Églises traditionnelles et universelles. Elles ne peuvent pas non plus créer d’associations en leur nom propre puisqu’elles n’ont pas, en tant que telle, la personnalité morale.
39Concernant la religion musulmane (sunnite) en Turquie, elle est, à l’instar des autres religions, dénuée de la personnalité morale. Mais, étant donné sa place dans la société turque, elle se trouve structurellement rattachée au ministère de la Diyanet, sous la tutelle du Premier ministre. Ce système d’absorption de la religion dominante dans la structure étatique pourrait être rapproché de celui en vigueur en Norvège où l’Église évangélique luthérienne n’a pas en tant que telle la personnalité morale. Faisant également partie intégrante de l’administration, sous la tutelle du ministère de la Culture et des Affaires ecclésiastiques, l’Église luthérienne est financée par le budget de l’État et ses prêtres sont des fonctionnaires. Cependant, à la différence du Royaume de Norvège63, la Turquie n’ouvre pas aux autres Églises et sociétés religieuses le droit d’accéder à la personnalité juridique.
40La prétention du ministère de la Diyanet d’avoir pour vocation de traiter de la même manière toutes les communautés religieuses qui la sollicitent (art. 5 de la loi no 633 du 22 juin 1965) n’est que théorique. Dans la pratique, et selon le rapport de la Commission de Venise du 15 mars 2010, ce ministère n’est pas considéré comme représentatif de toutes les communautés religieuses. À cet égard, ladite Commission relève que “certains groupes, dont notamment l’importante minorité alévi64, affirme que la Diyanet reflète la religion musulmane sunnite, majoritaire, à l’exclusion des autres croyances”65. A ce titre, dans l’affaire l’opposant à Sinan Isik, le Gouvernement de Turquie fait valoir que la Diyanet “est chargée de donner des avis sur des questions ayant trait à la religion musulmane. Elle […] est chargée de prendre en considération les bases fondamentales de la religion musulmane qui sont valables pour tous les musulmans”66.
41Cette entrave touche le droit des fidèles à la liberté de religion, qui comprend le droit de manifester sa propre religion librement et collectivement. Elle touche a fortiori, le droit des communautés religieuses à déployer les “sentiments religieux de leurs fidèles, par des prières, rites, offices religieux ou hommages à l’égard d’une divinité”67 mais aussi par l’enseignement notamment, en ce qui touche la formation de leurs clergés respectifs.
42C’est ainsi que, à défaut pour eux d’être juridiquement reconnus et donc de disposer d’un lieu de culte, les membres des Églises protestantes exercent discrètement leurs droits de réunions et de prières dans des immeubles. Pour les mêmes raisons, les alévis refusent de fréquenter les mosquées “sunnites” construites dans leurs villages par l’État, se contentant de se réunir clandestinement dans des cemevis (maison de rencontre)68. Cette même communauté des alévis conteste le caractère obligatoire de l’enseignement religieux, en l’occurrence celui de l’Islam hanéfite, soulignant l’absence d’un enseignement propre sur leur confession69. Elle revendique également la suppression de l’inscription de la religion sur la carte d’identité turque, à moins que le Gouvernement leur ouvre le droit d’inscrire leur religion “alévi” (au lieu de “musulman”) sur ladite carte (CEDH 2 février 2010, Sinan Isik c. Turquie, no 21924/05). Les fidèles de la minorité des sufis, officiellement interdite depuis les années 20, se réunissent sous le statut de “cercle d’affaires”70. La communauté grecque-orthodoxe quant à elle attend toujours la réouverture de l’école théologique grecque orthodoxe de Heybeliada (séminaire de Halki), notamment le département de la faculté de théologie de l’université de Galatasaray71.
43Or, toutes ces activités peuvent, en soi, avoir une valeur sacrée pour les fidèles. C’est à cet égard d’ailleurs qu’elles bénéficient de la protection de l’article 9 interprété à la lumière de l’article 11 de la Convention72.
44Le litige relatif au refus de la titulature du Patriarche “œcuménique de Constantinople” est une autre illustration de l’ingérence de l’État de Turquie dans la définition des dénominations et des concepts spirituels et ecclésiastiques propres aux religions73. Cette ingérence est d’autant plus significative qu’à l’époque de l’Empire ottoman, le patriarcat œcuménique de Constantinople était reconnu comme le milletbasi (chef de la communauté) orthodoxe, responsable envers la Sublime Porte des intérêts de ladite communauté “laquelle s’intégrait aux rouages administratifs de l’Empire par l’intermédiaire de l’Église”74.
45Le domaine du droit de travail est un autre aspect important de l’autonomie des communautés religieuses. L’autonomie ecclésiale permet à la communauté de choisir librement et selon ses propres critères ses employés, sous réserve de la marge d’appréciation de l’État fondée sur le principe de subsidiarité descendante et l’équilibre des droits et intérêts concurrents en jeu. A cet égard, la Cour de Strasbourg reconnaît la légitimité de l’existence d’un droit de travail ecclésiastique auquel les employés de la communauté concernée doivent se soumettre, sous réserve toutefois que ce droit soit compatible avec les principes fondamentaux de l’ordre juridique étatique (CEDH 23 septembre 2010, Obst c. Allemagne, no 425/03 ; CEDH, 5 février 2011, Siebenhaar c. Allemagne, no 18136/0275 ; contra, CEDH 23 septembre 2010, Schüth c. Allemagne, no 1620/03)76. Or, l’absence de personnalité juridique propre aux communautés religieuses en Turquie, constitue un obstacle à la formation des pasteurs et du clergé à la théologie sur place77.
46Le défaut pour les communautés religieuses d’accéder à la personnalité juridique affecte d’autres aspects de la liberté collective de religion, en l’occurrence l’accès à la justice et au droit de propriété.
B – Un système insuffisant au regard du droit d’accès à la justice et au droit de propriété
47“L’un des moyen d’exercer le droit de manifester sa religion, surtout pour une communauté religieuse, dans sa dimension collective, passe par la possibilité d’assurer la protection juridictionnelle de la communauté, de ses membres et de ses biens”78. Pour ce faire, une communauté religieuse doit en préalable exister juridiquement, c’est-à-dire acquérir la personnalité morale. À défaut, elle ne peut, en tant que telle, ni posséder un patrimoine ni accéder à la justice.
48Concernant le droit de propriété, les États parties au Conseil de l’Europe disposent certes d’une ample latitude en matière de réglementation du régime d’acquisition de biens immobiliers et fonciers par des personnes morales, en l’occurrence par des communautés religieuses79. Mais cette marge d’appréciation ne peut se traduire par un refus absolu de reconnaissance de la personnalité morale aux communautés religieuses sous peine de vider de sa substance le droit des intéressées au respect de leurs biens80. C’est pour empêcher ce déni du fait religieux que le droit conventionnel exclut d’ailleurs toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci.
49En Turquie, l’absence de personnalité juridique touche toutes les communautés et a des conséquences directes en termes de droit de propriété et de gestion des biens81. Or, en sus des articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1 protégeant le droit au respect des biens de toute discrimination, le droit international conventionnel résultant du traité de Lausanne du 23 juillet 1923 engage “Le gouvernement turc […] à accorder toute protection aux églises, synagogues, cimetières et autres établissements religieux des minorités précitées. Toutes facilités et autorisations seront données aux fondations pieuses et aux établissements religieux et charitables des mêmes minorités actuellement existant en Turquie […]” (art. 42 § 3).
50Avant le traité de Lausanne, ce fut le Fermën (édit) du Hatti Houmayoun octroyé par le Sultan Abdul-Mégib le 18 février 1856 dans un climat de tensions entre l’Empire ottoman et les puissances européennes, qui avait concédé aux communautés religieuses non musulmanes le droit de se doter de toutes infrastructures nécessaires à leurs activités (églises, lieux de sépulture, hôpitaux, écoles, etc.). Cependant, cette tanzimat (Réforme) ne réglait pas le problème du statut juridique des vakif (ici “biens”) communautaires dans la mesure où le droit ottoman n’admettait guère le concept de personne morale en matière de propriété immobilière82.
51La personnalité morale n’a été reconnue en la matière que par deux lois : la loi provisoire du 16 février 1912 relative au droit des personnes morales de disposer de biens immobiliers, et surtout la loi no 2762 du 13 juin 1935 sur les fondations, invitant les communautés à déclarer et faire enregistrer leurs biens à leur propre nom pendant un délai de quelques mois. De fait, les beyanname (déclarations) ainsi effectuées à la date limite de 1936 étaient considérées comme les actes fondateurs valant statuts des fondations concernées. La loi no 2762 sera modifiée en 2002 (loi no 4771 du 9 août) pour permettre aux “fondations des minorités religieuses, qu’elles soient ou non dotées de statuts [acte de fondation de 1936] [d’]acquérir ou posséder des biens immeubles, avec l’autorisation du Conseil des ministres, pour faire face à leurs besoins dans les domaines religieux, de bienfaisance, sociaux, éducatifs, sanitaires et culturels”. En 2003, le législateur turc assouplit une nouvelle fois ces dispositions pour retirer l’autorisation préalable du Conseil des ministres (loi no 4778 du 2 janvier 2003). Certes mais la loi est lue par le Gouvernement de Turquie à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation du 8 mai 1974 (confirmée le 8 mai 2002) qui prévoit que les fondations ne peuvent acquérir de biens immobiliers que dans les limites de leurs statuts (c’est-à-dire de leurs beyanname faites en 1936 et considérées comme les actes fondateurs valant statuts des fondations concernées). En l’absence d’une clause explicite dans leurs déclarations, indiquant “qu’elles avaient la capacité d’acquérir, par achat ou par donation, les biens nécessaires à la réalisation de leurs objectifs”, ces fondations ne pouvaient donc acquérir des biens immobiliers supplémentaires83.
52Au-delà du défaut pour les communautés religieuses d’accéder en tant que telles à la personnalité morale, c’est donc d’une part l’arsenal législatif relatif au droit pour les fondations des minorités religieuses d’accéder à la propriété et, d’autre part, l’interprétation qui en est faite par le juge judiciaire, qui affectent considérablement le droit des communautés religieuses au respect de leurs biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention EDH.
53L’ingérence du Gouvernement de Turquie dans les affaires religieuses se manifeste par les divers litiges opposant l’État aux communautés religieuses avec, au cœur de la problématique l’absence de personnalité morale, seule susceptible de permettre aux dites communautés d’user du droit de propriété et, le cas échéant, de solliciter la protection de ce droit. Le conflit opposant la Turquie au patriarcat œcuménique à propos de l’orphelinat grec de Büyükada et qui vient de trouver (en novembre 2010) une issue partiellement satisfaisante, en est une illustration. En effet, il a fallu treize ans de contentieux (1997-2010) et une injonction de la Cour EDH (CEDH 15 juin 2010, Fener Rum Patrikligi (patriarcat œcuménique) c. Turquie, no 14340/05) pour que l’orphelinat grec de Büyükada soit restitué in integrum par les autorités turques au patriarcat œcuménique d’Istanbul.
54La fondation de l’orphelinat avait en effet été créée en 1853 par des Grecs orthodoxes d’Istanbul. En 1903, suite à un séisme détruisant ses locaux, la fondation a bénéficié de l’usage d’un bien sis sur la colline principale de l’île de Büyükada (Istanbul) appartenant au patriarcat œcuménique. Le bien (construit de 1898 à 1900) fut acquis par ledit patriarcat par un contrat de vente du 6 janvier 1902, confirmé par un firman (édit) du Sultan, inscrit en 1905 au registre impérial et validé par une décision juridictionnelle de la République (C. cass. turque, Ass. plén. 10 juin 1953, no 1953/5). Avec l’entrée en vigueur de la loi du 13 juin 1935, l’orphelinat a officiellement acquis la personnalité morale en tant que fondation caritative mülhak (attachée).
55En 1964, pour des raisons de sécurité, l’administration turque ordonna l’évacuation de l’orphelinat et, paradoxalement, empêcha le patriarcat œcuménique d’engager des travaux d’entretien et de rénovation du bien lui appartenant en propre. En 1997, un arrêté ministériel confisqua le bien et le rattacha à la Direction générale des fondations (DGF) -établissement public relevant directement du Premier ministre- au motif que la fondation de l’orphelinat avait cessé son activité et que le patriarcat n’avait entrepris aucun travail pour l’entretien d’un “monument historique d’une importance internationale” (TGI d’Adalar, 18 décembre 2002 et TGI d’Adalar, 25 février 2004)84. Par une ordonnance du 25 février 2004 du tribunal de grande instance (confirmée par la Cour de cassation de Turquie le 21 octobre 2004), la DGF obtient l’inscription du bien immobilier litigieux au nom de la fondation de l’orphelinat -considérée désormais comme “mazbut” (désaffectée)- au motif que le patriarcat œcuménique ne possédait en tout état de cause pas la capacité d’acquérir des biens immobiliers85.
56La restitutio in integrum de ce bien a été ordonnée par la Cour de Strasbourg le 15 juin 2010 (Fener Rum Patrikligi (patriarcat œcuménique) c. Turquie, no 14340/05) et exécutée par le Gouvernement de Turquie en novembre 2010. Cela ne s’est cependant pas traduit par une reconnaissance juridique du patriarcat œcuménique grec d’Istanbul. Il n’en demeure pas moins que cette restitution exprime, selon Otmar Oehring, une admission implicite de la part de l’État de l’existence légitime des propriétaires86. Elle pourrait donc servir, selon le juriste turc Yannis Ktistakis, “de précédent dans [d’]autres affaires d’expropriations”87. En effet, la Cour européenne a formulé la même exigence à l’égard du Gouvernement de Turquie de restituer in integrum trois autres biens expropriés. Il s’agit du cimetière de la communauté grecque de l’île de Bozcaada, d’une chapelle et d’un ancien monastère (CEDH 6 octobre 2009, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, no 37646/03, 37665/03, 37992/03, 37993/03, 37996/03, 37998/03, 37999/03 et 38000/03). Ces trois litiges sont une autre illustration des difficultés auxquelles les communautés religieuses en Turquie continuent d’être confrontées quant à leur jouissance du droit de propriété. Dans les trois cas il s’agit de donations et de legs acquis à des dates différentes, anciennes, mais ultérieures à 1936 par la Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi (fondation de l’Église orthodoxe grecque Bozcaada Kimisis Teodoku). Malgré diverses attestations corroborant l’acte de propriété de la fondation (rapports d’experts locaux, quittances des taxes foncières, contrats de bail et loyers perçus sur location, etc.), le tribunal cadastral turc refuse l’inscription des titres de propriété des biens en question au titre de la “prescription acquisitive”88. Le tribunal fonde son refus sur la loi no 2762 modifiée mais surtout sur l’interprétation de cette loi par la Cour de cassation. Dans ses décisions des 8 mai 1974 et 8 mai 2002, celle-ci avait en effet jugé que l’inscription des titres de propriété des biens en question sur le fondement du principe de la prescription acquisitive ne s’applique pas aux fondations, notamment lorsque la fondation concernée n’a pas mentionné lesdits biens dans sa déclaration de 1936 (plusieurs arrêts de 2002, confirmés par la Cour de cassation en 200389).
57S’appuyant sur l’impertinence de la jurisprudence de la Cour de cassation eu égard à l’assouplissement de la loi no 2762 en 2002 puis en 2003 au profit des fondations des minorités religieuses, la Cour européenne considère que “l’ingérence litigieuse est incompatible avec le principe de légalité et que, par conséquent, elle ne respecte pas les exigences de l’article 1 du Protocole no 1”. Considérant les caractéristiques propres de ces biens (monastère, chapelle et ancien cimetière) aux yeux de la requérante, la Cour ordonne une restitution in integrum des biens litigieux (CEDH 6 octobre 2009, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, op. cit., pt. 60 et 66).
58Outre le droit de propriété pour la défense duquel les communautés religieuses sont contraintes de passer par les fondations ou par des prête-noms, c’est le droit d’ester en justice qui leur est inaccessible en tant que communautés religieuses. L’accès à la justice est un droit fondamental au sens des articles 6 et 13 de la Convention, permettant auxdites communautés de prétendre à la protection effective, en droit et en pratique, de leurs intérêts (dont le patrimoine) indispensables à l’exercice du culte90. Or, dépourvues de la personnalité juridique, les communautés religieuses ne peuvent ester en justice qu’en passant par des personnes physiques, en l’occurrence des fidèles, voire même des dignitaires religieux. Le cas le plus illustratif est celui de la communauté des alévis dans ses multiples contentieux tendant à faire valoir son droit à la liberté religieuse91. C’est aussi le cas du patriarcat grec orthodoxe qui, dans un litige l’opposant à un prêtre de l’Église bulgare, était contraint de constituer parties à l’affaire des personnes physiques dont le Patriarche lui-même, Dimitri Bartolomeos Arhondon92.
59Le flou juridique entourant les titres de propriété devient réellement problématique lorsque les communautés religieuses passent par des prête-noms tel que celui de la Sainte-Marie ou d’un Saint quelconque pour enregistrer leurs biens. Il suffit alors pour le juge de constater d’abord la mort du Saint ou de la Sainte-Vierge et ensuite l’absence d’héritiers directs connus, pour, enfin, entériner les droits du Trésor public sur lesdits biens.
60Le fait que la République de Turquie soit actuellement dans une démarche européenne, constitue une contrainte et un challenge la poussant vers un apaisement de ses rapports avec les religions et, a fortiori, vers une laïcité de reconnaissance des communautés religieuses en tant que telles. L’efficience de ce processus se fonde nécessairement sur une prise de conscience réciproque de l’État et des religions. Si ces dernières ont le droit d’exister et de fonctionner de manière autonome, elles ne peuvent imposer la doctrine de leur foi à la société. L’État, s’il veut répondre à sa vocation initiale de protéger la liberté de son peuple, doit être religieusement “neutre et impartial”, ce qui prohibe l’exercice de sa part d’un quelconque pouvoir d’appréciation de la légitimité des croyances religieuses, sauf dans des cas très exceptionnels liés à l’ordre public et à la sécurité de l’État.
Notes de bas de page
1 Cf. Accords du Latran de 1929 et le concordat de 1984 ; lire aussi Hiam Mouannès, Liberté religieuse : entre universalisme et communautarisme, le droit constitutionnel libanais est-il à part ?, Actes du VIIIe Congrès français de droit constitutionnel tenu à Nancy les 16,17 et 18 juin 2011, p. 3.
2 Seules des “raisons convaincantes et impératives” peuvent, au regard du droit conventionnel, justifier des restrictions à la liberté d’association. Les États parties à la Convention disposent d’une marge d’appréciation leur permettant de refuser la personnalité morale par exemple à un groupe prétendument religieux mais qui poursuit des activités nuisibles à la population ou à la sécurité publiques (CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, no 45701/99, pt. 113). Cette marge d’appréciation s’applique aussi en cas d’usage de la violence, de menace à la paix civile et à l’ordre constitutionnel et démocratique ou porte atteinte aux droits et aux libertés de ses adeptes (CEDH 2 février 2006, Tün Haber Sen et Cinar c. Turquie, no 28602/95 ; lire aussi CEDH 29 juin 2004, Leyla Sahin c. Turquie, no 44774/98).
3 Pacte international des droits civils et politiques de 1966.
4 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950.
5 CEDH [GC] 27 juin 2000, Mutatis mutandis, Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, 2000-VII no 27417/95, § 73.
6 CEDH du 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, 11/2000 no 30985/96 ; CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, op. cit. ; CEDH 15 septembre 2009, Mirolubovs et a. c. Lettonie, no 798/05.
7 CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, op. cit., pt. 115.
8 Le gouvernement de Turquie a obtenu en décembre 2004 la promesse de l’Union européenne d’entamer des négociations d’adhésion le 3 octobre 2005. Cette promesse fut concrétisée en 2006 malgré l’absence de reconnaissance de la République de Chypre.
9 Arrêt de la Cour constitutionnelle de Turquie du 7 mars 1989 portant sur la loi no 2547 du 10 décembre 1988 sur l’enseignement supérieur (publié au JOT du 5 juillet 1989).
10 Aurore Rubio, “Les origines de la laïcité turque”, in Les laïcités dans le monde : La Turquie, Dossier octobre 2005, p. 2.
11 Cf. A. Rubio, op. cit., p. 4.
12 Ce mouvement avait pour ambition un panturquisme fondé sur une Grande Turquie s’étendant jusqu’à l’Asie centrale. Les défaites militaires ramèneront cependant très vite ce mouvement à une politique plus réaliste de nationalisme turc défendant l’Anatolie (Ankara) et Istanbul cf. Massimo Introvigne, Sécularisme, “laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle”, Communication au 1er colloque Montaigne “Laïcité, enjeux et pratiques”, Université Michel Montaigne Bordeaux 3, Bordeaux, 27-29 octobre 2005, p. 1 ; Jean-François Pérouse, La Turquie : une construction territoriale récente, Université Galatasaray, Istanbul, M@ppemonde, no 90, 2-2008, p. 1).
13 Lire sur ce point Ibrahim Ö. Kaboglu, “Le contrôle juridictionnel des amendements constitutionnels en Turquie”, Cahier du Conseil constitutionnel no 27-janvier 2010, p. 5.
14 Le terme “ghazi” signifie le victorieux ou le conquérant.
15 Fondés sur l’origine divine du pouvoir les Osman considéraient l’Empire des sultans-califes comme “la maison de l’islam”. Le turquisme ne venait, pour eux, qu’en troisième position après l’ottomanisme (cf. M. Introvigne, Sécularisme, laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle, op. cit., p. 1).
16 Le préambule de la Constitution de Turquie précise “qu’en vertu du principe de laïcité, les sentiments de religion, qui sont sacrés, ne peuvent en aucun cas être mêlés aux affaires de l’État ni à la politique”.
17 Cf. M. Introvigne, “Sécularisme, laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle”, op. cit., p. 3.
18 Selon l’expression de l’historien Pierre-Jean Luizard, “Turquie : une autre laïcité en question”, Communication du CNRS, États des dieux, no 6-2005, p. 1.
19 Parmi les réformes occidentalistes phares figurent : la suppression des tribunaux religieux, du mariage religieux en tant que mariage légal (loi no 734 du 17 février 1926 portant sur le code civil turc), l’interdiction de la polygamie, l’établissement de la langue turque (par l’usage de l’alphabet latin qui paraissait alors mieux adapté que l’alphabet arabe : loi no 1353 du 1er novembre 1928) et l’adoption du calendrier grégorien (la journée du dimanche se substitue au vendredi comme jour de repos hebdomadaire). La rupture kémaliste avec l’histoire ottomane et son pendant, la religion musulmane, a été marquée par l’obligation de prier en turc et non plus en arabe. Le port du chapeau, se substituant au port du fez (loi no 671 du 28 novembre 1925), en est une autre illustration kémaliste de se rapprocher de l’Occident. En 1934, c’est le port d’un habit religieux, quelle que soit la religion ou la croyance, qui fut interdit en dehors des lieux de culte et des cérémonies religieuses (loi no 2596 du 3 décembre 1934). Toutes ces lois, sauvegardées par l’article 174-C, ont une valeur constitutionnelle.
20 Épargnée de tout démembrement par le traité de Sèvres, la naissance internationale du territoire turc est acté par le traité de Lausanne de juillet 1923 (lire sur ce point, Jean-François Pérouse, La Turquie : une construction territoriale récente, Université Galatasaray, Istanbul, M@ppemonde, no 90, 2-2008).
21 Cf. P.-J. Luizard, op. cit., p. 1.
22 A. Rubio, op. cit., p. 3.
23 Cf. CEDH 29 juin 2004, Leyla Sahin c. Turquie, op. cit, pt. 31 ; CEDH [GC], 13 février 2003, Refah Partisi et a. c. Turquie, 41340/98, 42342/98, 41343/98 et 41344/98.
24 Cf. Ibrahim Ö. Kaboglu, “La Turquie et le terrorisme : de la démocratie militante à la démocratie par la voie du droit”, Siena, 19 maggio 2005, et Eric Sales, La Cour constitutionnelle turque, RDP no 5-2007, p. 1267.
25 C’est cette nouvelle Constitution, élaborée par une assemblée constituante et adoptée par référendum le 9 juillet 1961, qui crée la Cour constitutionnelle de Turquie (voir aussi la loi no 44 du 22 avril 1962).
26 Cf. Eric Sales, op. cit, p. 1267.
27 Le port du voile islamique dans les universités en Turquie a été autorisé par un amendement constitutionnel (n° 5735 du 9 février 2008) ajouté au dernier alinéa de l’article 42-C et précisant que “personne ne peut être privé de son droit à l’éducation pour une raison non prévue par la loi […]”. Saisie, la Cour constitutionnelle turque censure cette large habilitation laissée au législateur en tant qu’elle porte “atteinte aux principes fondamentaux de la République, en particulier au principe de laïcité” énoncé à l’article 2-C (CCT du 6 juin 2008).
28 CEDH 29 juin 2004, Leyla Sahin c. Turquie, op. cit., pt. 31.
29 Le parti Fazilet (vertu) s’était constitué le 17 décembre 1997.
30 Cf. CEDH 29 juin 2004, Leyla Sahin c. Turquie, op. cit., pt. 32. En 2010, le Gouvernement de Turquie, intervenant en défense dans le litige qui l’opposait à Ahmet Arslan et autres, mettait de nouveau en avant sa crainte que la liberté de manifestation religieuse affecte la laïcité. Contestant l’allégation selon laquelle les requérants ont été condamnés en raison de leurs convictions religieuses, il soutient que “leur comparution devant les juridictions nationales dans la tenue caractéristique de leur secte, […] viserait l’instauration d’un système basé sur la chari’a en remplacement du régime démocratique actuel” (CEDH, 23 février 2010, Ahmet Arslan et a. c. Turquie, no 41135/98, pt. 27).
31 Dissolution confirmée par la Cour de Strasbourg (CEDH [GC], 13 février 2003, Refah Partisi c. Turquie, 41340/98, 42342/98, 41343/98 et 41344/98). Lire sur ce dossier le rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, document no 9526 du 17 juillet 2002.
32 C’est sous son impulsion d’ailleurs que le gouvernement a obtenu la promesse d’entamer des négociations d’adhésion à l’Union européenne.
33 L’AKP est créé en août 2001 par Recep Tayyib Erdogan.
34 Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, document no 9526 du 17 juillet 2002, pt. 28.
35 Parmi les 26 amendements à la Constitution, ce référendum met la Turquie en conformité avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il ôte par ailleurs le pouvoir exorbitant dont l’armée et l’institution judiciaire étaient historiquement munis. Désormais, les militaires seront jugés par des juridictions civiles et la Cour constitutionnelle turque perd le monopole de la décision de dissoudre les partis politiques. L’opposition avait appelé à voter contre ces amendements dans la mesure où ils menaceraient la laïcité en Turquie.
36 Cf. Résolution du Parlement européen du 10 février 2010 sur les progrès accomplis par la Turquie (pt. 19).
37 Cf. article 140 de la Loi fondamentale du 23 mai 1949 (celui-ci a incorporé les articles 136 à 139 et 141 -dits ecclésiastiques, Kirchenartikel- de la Constitution de Weimar du 11 août 1919).
38 Cf. Hiam Mouannès, Liberté religieuse : entre universalisme et communautarisme, le droit constitutionnel libanais est-il à part ?, Actes du VIII° Congrès français de droit constitutionnel tenu à Nancy les 16,17 et 18 juin 2011.
39 Ex. décision du Conseil constitutionnel libanais no 2/2000 DCL du 8 juin 2000, Cheikh Akl druze.
40 Cette alerte s’étend aux activités des partis politiques qui “ne peuvent aller à l’encontre […] des principes de la République démocratique et laïque” (art. 68-C).
41 CEDH 29 juin 2004, Leyla Sahin c. Turquie, op. cit., pt. 91.
42 Même source (Leyla Sahin), pt. 94.
43 Cf. M. Introvigne, “Sécularisme, laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle”, op. cit., p. 4.
44 Cf. CEDH 29 juin 2004, Leyla Sahin c. Turquie, op. cit., pt. 31.
45 Cf. M. Introvigne, “Sécularisme, laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle”, op. cit., p. 4.
46 Représenté par S. S. le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholoméos Ier.
47 Le titre “œcuménique” est très important pour cette Église, établie à Istanbul, représentant certes la minorité orthodoxe en Turquie, mais qui dispose d’une primauté d’honneur et d’un rôle d’initiative, de régulation et de direction spirituelle de l’orthodoxie mondiale (lire sur ce point le procès verbal des travaux préparatoires au traité de Lausanne de 1923).
48 CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, pt. 126.
49 Cf. Lignes directrices concernant l’examen des lois relatives à la religion ou aux convictions, élaborées en 2003 par des experts du Bureau international des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) en partenariat avec la Commission de Venise (CDL-AD 2004/028, chap. B, pt. 8). Ces lignes ont été adoptées par ladite Commission en juin 2004 et approuvées par l’Assemblée parlementaire de l’OSCE en juillet 2004.
50 CEDH du 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, op. cit., pt. 62 ; CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, op. cit., pt. 115.
51 CEDH, 15 septembre 2009, Mirolubovs et a. c. Lettonie, no 798/05, pt. 80.
52 Même source (Mirolubovs et a. c. Lettonie), pt. 80.
53 CEDH [GC] 27 juin 2000, Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, op. cit., pt. 72.
54 CEDH 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, op. cit., pt. 62.
55 CEDH 22 janvier 2009, Saint synode de l’Église orthodoxe bulgare (Métropolite Innocente) et a. c. Bulgarie, no 412/03 et 35677/04, pt. 103.
56 Le vakif est un ensemble de biens pieux, voué à perpétuité à un but caritatif. Héritage de l’Empire ottoman le vakif est propre à la tradition musulmane (lire sur ce point Paul Dumont, “Le statut des minorités non musulmanes et la notion de citoyenneté dans la Turquie républicaine”, Colloque de Pérouse, 15-17 décembre 2005, http://turcologie.u-strasbourg.fr,p.21.
57 La loi no 2762 a été modifiée en 2002 (loi no 4771 du 9 août), en 2003 (loi no 4778 du 2 janvier) et en 2008 (loi no 5737 du 20 février).
58 Cf. Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission de Venise), Avis no 535/2009 du 15 mars 2010, CDL-AD (2010) 005, pt. 39.
59 Les alinéa 3 et 4 de l’article 24 énoncent : “L’éducation et l’enseignement religieux et éthique sont dispensés sous la surveillance et le contrôle de l’État. L’enseignement de la culture religieuse et de la morale figure parmi les cours obligatoires dispensés dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire. En dehors de ces cas, l’éducation et l’enseignement religieux sont subordonnés à la volonté propre de chacun et, en ce qui concerne les mineurs, à celle de leurs représentants légaux./ Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, exploiter la religion, les sentiments religieux ou les choses considérées comme sacrées par la religion, ni en abuser dans le but de faire reposer, fût-ce partiellement, l’ordre social, économique, politique ou juridique de l’État sur des préceptes religieux ou de s’assurer un intérêt ou une influence politiques ou personnels”.
60 Ce refus a été annulé en 2007 par une décision de justice considérant que “l’objectif spécifié ne violait pas l’article 24” (cf. Rapport de la Commission de Venise, 15 mars 2010, pt. 41).
61 Cf. CEDH, 30 juin 2011, Association Les Témoins de Jéhovah c. France, no 8916/05. Lire sur ce point l’avis contentieux du Conseil d’État du 24 octobre 1997 (CE Ass., 24 octobre 1997, Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah, no 187122) et le rapport parlementaire de 1995 portant sur “Les sectes en France”.
62 CEDH [1ère instance] 13 janvier 2011, Mouvement Raëlien suisse c. Suisse, no 16354/06, pt. 52.
63 CEDH [GC] 29 juin 2007, Folgero et a. c. Norvège, no 15472/02.
64 La confession des alévis est considérée comme une branche de l’Islam, influencée notamment par le soufisme, refusant par exemple la chari’a et la sunna, codes de l’islam orthodoxe. Si certains penseurs alévis considèrent que cette confession constitue la forme originelle de l’islam, d’autres prétendent qu’elle constitue une religion à part entière (cf. CEDH 2007-XI Hasan et Eylem Zengïn c. Turquie, no 1448/04 et CEDH 2 février 2010, Sinan Isik c. Turquie, no 21924/05). En tout état de cause, l’État turc ne considère cette confession que comme une simple “interprétation” de l’Islam (cf. CEDH 2 février 2010, Sinan Isik c. Turquie, no 21924/05, pt. 9).
65 Rapport de la Commission de Venise du 15 mars 2010, pt. 34.
66 CEDH 2 février 2010, Sinan Isik c. Turquie, no 21924/05, pt. 35.
67 CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, pt. 21.
68 Cf. Othmar Oehring, La liberté religieuse en Turquie, Choisir, mars 2006, p. 18.
69 CEDH 9 octobre 2007, Hasan et Eylem Zengïn c. Turquie. Lire également le troisième rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Turquie du 15 février 2005. Dans ce rapport, l’ECRI recommande “vivement aux autorités turques de reconsidérer leur approche en matière de cours de culture religieuse. Les autorités devraient prendre des mesures soit pour rendre ces cours facultatifs pour tous soit pour réadapter leur contenu afin de s’assurer qu’ils dépeignent véritablement l’ensemble des cultures religieuses et ne soient plus perçus comme des cours d’instruction de la religion musulmane”.
70 Cf. O. Oehring, op. cit., p. 17 ; lire aussi, Les religions en Turquie, www.istanbulguide.net.
71 Cf. Résolution 1704 du 17 janvier 2010 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, portant sur la “Liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace (Grèce orientale)” (pt. 19.3) ; cf. aussi le rapport de Thomas Hammarberg (commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe) sur les droits de l’homme des minorités en Turquie, rendu le 1er octobre 2009 (CommDH(2009) 30, § 180).
72 CEDH 26 octobre 2000, Hassan et Tcahouch c. Bulgarie, pt. 62.
73 Cf. Résolution 1704 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, op. cit., pt. 19.4.
74 Cf. CEDH 8 juillet 2008, Fener Rum Patrikligi (Patriarcat œcuménique) c. Turquie, no 14340/05, pt. 28.
75 Arrêt non définitif aux termes des articles 43 et 44 de la Convention.
76 Pour la France, voir les décisions suivantes de la Cour de cassation : Cass. civ. 6 mars 1990, D. 1990, p. 477 ; Paris, 25 mai 1990, D. 1990, Jur. p. 596 et Paris, 26 septembre 1996, D. 1996, IR (cf. XIème Conférence des Cours constitutionnelles européennes, La jurisprudence constitutionnelle en matière de liberté confessionnelle et le régime juridique des cultes et de la liberté confessionnelle en France, rapport du Conseil constitutionnel français, éléments rassemblés par le Professeur Brigitte Gaudemet-Basdevant, novembre 1998, p. 9).
77 Ce problème touche précisément le clergé orthodoxe arménien (cf., Rapport de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur les droits de l’homme des minorités en Turquie, rendu le 1er octobre 2009 : CommDH(2009) 30, § 180 et Résolution 1704 du 17 janvier 2010, op. cit., pt. 19.1). Pour les alévis se sont les “anciens, eux-mêmes initiés par leurs aînés”, qui assurent la transmission des préceptes religieux (cf. O. Oehring, op. cit., p. 18).
78 CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, op. cit., pt. 115.
79 Ex. CEDH 10 juillet 2011, Ouardiri et Ligue des Musulmans de Suisse et a. c. Suisse, no 65840/09 et no 66274/09.
80 La marge d’appréciation dont dispose l’État partie au Conseil de l’Europe s’apprécie à la lumière de l’obligation de l’État de veiller à ce que les personnes morales puissent réaliser des buts et des objectifs déclarés et protéger l’ordre public et les intérêts de ses membres (CEDH 9 janvier 2007, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi c. Turquie, no 34478/97, pt. 52).
81 Dans sa Résolution 1704, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe presse le Gouvernement de Turquie de reconnaître la personnalité juridique au patriarcat orthodoxe ocuménique d’Istanbul, au patriarcat arménien d’Istanbul, à l’archevêché catholique arménien d’Istanbul, à la communauté orthodoxe bulgare au sein des structures du patriarcat orthodoxe œcuménique, au grand rabbinat et au vicariat apostolique d’Istanbul, communautés particulièrement touchées par cette problématique (pt. 19.2 de la Résolution).
82 Paul Dumont, Le statut des minorités non musulmanes et la notion de citoyenneté dans la Turquie républicaine, Colloque de Pérouse, 15-17 décembre 2005, http://turcologie.u-strasbourg.fr, p. 18.
83 Cf. CEDH 9 janvier 2007, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi c. Turquie, no 34478/97, pt. 41.
84 Cf. CEDH 8 juillet 2008, Fener Rum Patrikligi (Patriarcat œcuménique) c. Turquie, no 14340/05, pt. 18.
85 Cf. CEDH 8 juillet 2008, Fener Rum Patrikligi (Patriarcat œcuménique) c. Turquie.
86 Otmar Oehring est chargé des Droits de l’homme à “Missio Aechen”, bureau des Œuvres pontificales missionnaires en Allemagne (cf. entretien accordé à l’agence d’information vaticane Fides le 12 juin 2011).
87 cf. Magazine Nouvelles d’Arménie, 3 décembre 2010.
88 La prescription acquisitive est, aux termes de l’article 2258 du code civil français, “un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi”.
89 Cf. CEDH 6 octobre 2009, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, op. cit..
90 CEDH 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et a. c. Moldova, pt. 125 et 133.
91 CEDH 9 octobre 2007, Hasan et Eylem Zengïn c. Turquie et CEDH 2 février 2010, Sinan Isik c. Turquie.
92 Cf. Rapport de la Commission de Venise 15 mars 2010, pt. 46.
Auteur
Maître de conférences, Université Toulouse 1 Capitole. Chercheur à l’Institut Maurice Hauriou, membre de l’Association française de droit constitutionnel
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