La personnalité juridique de l’Union européenne après Lisbonne : véritable acquisition ou simple reconnaissance ?
p. 131-142
Texte intégral
1De manière laconique, l’article 47 du traité sur l’Union européenne (TUE) résultant du traité de Lisbonne -entré en vigueur le 1er décembre 2009- dispose : “L’Union (européenne) a la personnalité juridique”1.
2Une telle affirmation apparaît logique, voire évidente : en effet, dans la mesure où l’Union européenne appartient, au regard du droit international général, à la catégorie des organisations internationales -même s’il s’agit d’une organisation d’un genre particulier-, elle dispose de la personnalité juridique ; celle-ci est d’ailleurs un élément de la définition de celle-là comme il ressort de la fameuse formule de Sir Gerald Fritzmaurice selon laquelle l’organisation internationale est : “une association d’États constituée par traité, dotée d’une constitution et d’organes communs, et possédant une personnalité juridique distincte de celle des États membres”. Cette personnalité sera le plus souvent prévue explicitement par la charte constitutive de l’organisation considérée (et complétée par l’énonciation de capacités y afférentes)2 ; mais elle pourra également être reconnue implicitement, en se fondant sur les droits et fonctions attribués à l’organisation en cause au regard de son objet : c’est ainsi que la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu l’existence d’une personnalité juridique “objective” de l’ONU, compte tenu de la mission, des fonctions, et des droits et obligations qui lui ont été assignés par ses créateurs dans la Charte de San Francisco3.
3Ceci étant rappelé, la personnalité juridique d’une organisation internationale n’est pas pour autant analogue à celle d’un État : appartenant à un sujet dérivé de droit international qui n’est pas souverain, elle se réduit en effet à ce qui correspond aux objectifs qui ont été assignés à ladite organisation -dont le champ de compétence est gouverné par le fameux principe de spécialité- et présente forcément une nature fonctionnelle.
4La personnalité juridique doit permettre à l’organisation d’agir, tant sur le plan interne (avec le droit de contracter, d’acquérir et de vendre des biens, d’ester en justice) que sur le plan international (à travers le droit de légation (passif et actif), le pouvoir de conclure des accords (le fameux Treaty-Making Power des Anglo-saxons), le droit de mettre en jeu la responsabilité des autres acteurs internationaux et à l’inverse la possibilité d’être elle-même mise en cause). Juridiquement et politiquement parlant, c’est cette seconde dimension de la personnalité qui s’avère évidemment la plus intéressante pour la structure en cause ; à cet égard, il n’est que de rappeler l’importance de l’affaire “AETR” de 1971 à l’occasion de laquelle la Cour de justice devait, à partir de l’existence de la personnalité juridique de la CEE, déduire la capacité de celle-ci à conclure un accord international dans le domaine des transports4.
5S’il est donc logique de constater que l’Union possède aujourd’hui une personnalité juridique, il n’en demeure pas moins qu’il a été compliqué d’y parvenir : d’une part, parce que la construction européenne est incontestablement originale et que les choses se sont réalisées, comme souvent, par étapes (la fameuse “politique des petits pas” pour les uns, la constante “valse-hésitation” pour les autres) ; et d’autre part, parce que pendant bien longtemps une partie des États membres percevait toute reconnaissance de la personnalité de l’Union comme une menace pour leur souveraineté et un pas supplémentaire vers un, éventuel, système fédéral européen5.
6L’attitude des États a cependant évolué à partir des travaux de la Convention sur les institutions chargée d’élaborer le traité constitutionnel européen, lesquels ont finalement abouti à un article I-7 repris tel quel par le traité de Lisbonne à l’article 47 TUE précédemment mentionné6. En dotant l’Union d’une personnalité juridique unique, les constituants européens ont manifesté leur volonté de rendre l’Union à la fois plus lisible -pour les citoyens qui pourront plus aisément s´identifier à celle-ci-et plus visible pour les partenaires économiques, stratégiques et politiques des Vingt-Sept.
7Mais la situation actuelle n’a pas mis fin à la controverse relative à la personnalité juridique de l’Union européenne ; elle l’a simplement déplacée : en effet, son existence étant désormais incontestable, la question est aujourd’hui de savoir si l’affirmation posée par l’actuel article 47 TUE a entraîné l’acquisition de la personnalité par l’Union ou la simple officialisation d’une situation implicitement obtenue.
8Nous tenterons d’y répondre à travers plusieurs séries de développements, relatives respectivement à la fusion de la Communauté et de l’Union européennes (I), à la suppression de la structure en piliers (II), et enfin aux nouveaux moyens mis à la disposition de l’Union pour exprimer plus que sa personnalité, sa crédibilité internationale (III).
I – LA “LONGUE MARCHE” VERS LA FUSION DE LA COMMUNAUTE ET DE L’UNION EUROPEENNES
9Le traité de Lisbonne, en réalisant la fusion de la Communauté européenne et de l’Union européenne qui coexistaient jusque-là, a couronné un processus engagé dès après le traité de Maastricht consacrant le concept d’Union européenne. Mais avant de préciser les conditions de cette fusion, il est nécessaire de rappeler à grands traits la réalité juridique de l’Union avant Lisbonne.
10Au tout début de la construction européenne, étaient bien entendu les différentes Communautés européennes, chacune d’entre elles disposant de la personnalité juridique : la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en vertu de l’article 6 du traité de Paris, la Communauté Européenne de l’énergie atomique (CEEA) selon l’article 184 du traité CEEA et enfin la Communauté économique européenne (CEE) sur le fondement de l’article 281 du traité CEE. Il s’agissait en effet de personnes juridiquement distinctes les unes des autres malgré la “mise en commun” d’institutions, en 1958 d’abord (pour l’Assemblée parlementaire et la Cour de justice) et en 1965 ensuite (pour la Haute Autorité devenue Commission et le Conseil des ministres)7.
11Le Traité de Maastricht de 1992 devait marquer la volonté de dépasser l’objectif initial strictement économique, en transformant la Communauté économique européenne en “Communauté européenne” tout court d’une part, et en créant une nouvelle entité, l’Union européenne, conçue comme “une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe”, d’autre part.
12Ce concept d’“Union européenne” permettait de rassembler trois éléments ou plutôt trois piliers dans un même ensemble : le pilier central était le pilier “communautaire” (regroupant donc les trois Communautés), lequel comportait de part et d’autre le pilier de la “Politique étrangère et de sécurité commune, (PESC)” et celui de la “Coopération en matière de justice et d’affaires intérieures, (CJAI)”. Au-delà de cette architecture juridique complexe dont la cohérence était assurée par l’utilisation d’un cadre institutionnel unique, l’Union européenne en tant que telle ne se voyait pas dotée explicitement de la personnalité juridique ; et même si quelques rares auteurs ont voulu voir dans certaines formules du traité sur l’Union européenne et dans la pratique ultérieure des institutions des indices d’une personnalité juridique implicite de l’Union, la majorité de la doctrine estimait que l’Union ne pouvait constituer un sujet distinct de droit international8... alors même que l’un des objectifs essentiels du traité sur l’Union européenne était d’améliorer la visibilité externe de celle-ci9 !
13En conséquence, les actions menées au titre de l’Union à partir de l’entrée en vigueur du traité de Maastricht (1er novembre 1993) et jusqu’à celle du traité d’Amsterdam (1er mai 1999) devaient être attribuées, soit à la collectivité des États membres -l’Union agissant en leur nom-, soit à la Communauté européenne disposant, elle, de la personnalité juridique.
14La première hypothèse s’est trouvée concrétisée par un accord sur l’administration de la ville de Mostar conclu à Genève le 5 juillet 1994 suivi d’un accord avec la Yougoslavie sur la présence d’observateurs de l’Union : ces deux conventions ont été signées par la présidence de l’Union au nom des États agissant dans le cadre de l’Union10…
15Quant au second cas de figure, il correspond pour l’essentiel aux accords susceptibles d’être passés au titre de la politique commerciale commune, au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) tout spécialement ; et dans la même logique ce sont les “Communautés européennes” -et non l’Union- qui se voyaient reconnaître un statut de Membre à part entière dans cette organisation11.
16Les traités européens ultérieurs ont permis d’approfondir le débat sur la personnalité juridique de l’Union jusqu’à sa consécration officielle par Lisbonne.
17Lors des travaux préparatoires au traité d’Amsterdam, en 1996, les pays qui se sont succédés à la tête de l’Union -l’Irlande et les Pays-Bas- avaient proposé de conférer explicitement la personnalité juridique à l’Union -preuve supplémentaire que celle-ci en était jusque-là dépourvue- et corollairement de fusionner cette dernière avec celles des trois Communautés en une entité juridique unique, essentiellement -une fois encore- pour renforcer la crédibilité internationale de l’Europe. Mais plusieurs États, dont la France, le Royaume-Uni ou encore le Danemark, ont écarté cette option, craignant pour l’essentiel une affectation de leur souveraineté12 ; de sorte que le traité d’Amsterdam s’est contenté d’intégrer au traité sur l’Union européenne deux dispositions (les anciens articles 24 (ex-J14) et 38 (ex-K 10) TUE) autorisant l’Union à conclure des accords internationaux avec des États tiers ou des organisations internationales dans les domaines de la PESC, et de la Coopération policière et judiciaire en matière pénale (CPJP, ex-CJAI). La pratique s’est ainsi progressivement développée, à l’instar des accords entre l’Union et respectivement la Yougoslavie (mai 2001), et l’ancienne République de Macédoine (septembre 2001) s’agissant de missions de surveillance de l’Union européenne, ou de deux accords entre l’Union et les États-Unis d’Amérique en matière d’entraide judiciaire et d’extradition (juillet 2003). Dans ce dernier cas, les Américains ont cependant souhaité “doubler” les deux accords par des accords bilatéraux avec chacun des États membres, la personnalité juridique de l’Union n’apparaissant manifestement pas de manière suffisamment évidente13…
18Signalons par ailleurs l’adoption de la déclaration no 14 annexée à l’acte final d’Amsterdam selon laquelle “Les dispositions de l’article 24 et de l’article 38 ainsi que tout accord qui en résulte n’implique aucun transfert de compétence des États membres vers l’Union européenne”.
19Quant au traité de Nice -signé en février 2001 et entré en vigueur le 1er février 2003-, il a offert au Conseil de l’Union la possibilité de conclure (à la majorité qualifiée) des accords mettant en oeuvre une action commune ou une position commune au titre de la PESC, ou complétant certains actes de la coopération policière et judiciaire en matière pénale adoptés préalablement à la majorité qualifiée. En outre, il est précisé que ces “(...) accords lient les institutions de l’Union” (article 24 alinéa 6 TUE), reprise littérale de la formule inscrite à l’article 300 § 7 TCE se rapportant aux accords externes de la Communauté européenne.
20Il est ainsi possible d’affirmer, avec le Professeur Loïc Grard, que “ces deux facteurs accentuent l’émancipation de la créature “Union européenne” de ses créateurs”14.
21Et c’est donc sans véritable surprise que le traité de Lisbonne parachèvera cette lente “montée en puissance” de l’Union au plan international en lui conférant une personnalité juridique pleine et entière.
22Lisbonne ne fait que reprendre, ici aussi, une solution consacrée dans la Constitution européenne de 2004, laquelle se fondait sur le rapport final du groupe de travail “Personnalité juridique” de la Convention sur l’avenir de l’Europe ; en effet, l’option d’une personnalité juridique unique avait été préférée à celle d’une personnalité octroyée à l’Union et juxtaposée à celle de la Communauté européenne15.
23Plus précisément, la Communauté européenne et l’Union européenne sans personnalité juridique ont disparu en même temps qu’elles fusionnaient pour créer une seule organisation successeur : l’Union européenne “nouvelle formule” dotée, elle, de la personnalité juridique. Cette substitution d’une entité européenne à une autre ne correspond pas à une démarche complètement nouvelle dans la mesure où, en 2002, la Communauté européenne avait absorbé la CECA qui devait disparaître du fait de l’extinction “naturelle” du traité de Paris, prévu on le sait pour cinquante ans16 ; toutefois, la succession de l’Union à la Communauté européenne telle qu’organisée par le traité de Lisbonne s’apparente plus à une “fusion-création” qu’à la simple “fusion-absorption” précédente17.
24L’actuel article 1er du TUE dispose en conséquence : “L’Union se substitue et succède à la Communauté européenne”.
25Enfin, deux aspects formels doivent être également soulignés : d’une part, la nouvelle entité “Union européenne” repose formellement sur deux traités distincts, le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ; d’autre part, la CEEA subsiste à part -hors “Union européenne” donc-, avec une personnalité juridique propre (prévue à l’article 184 TCEEA) lui permettant notamment d’agir au plan international18.
26En faisant disparaître la Communauté européenne pour laisser subsister la seule Union européenne, le traité de Lisbonne met également fin à la “fameuse et fâcheuse” structure en piliers aussi connue que redoutée de cohortes d’étudiants !
II – LA DISPARITION DE LA STRUCTURE EN PILIERS
27Sans pour autant l’induire mécaniquement, la reconnaissance de la personnalité juridique à l’Union commandait assez naturellement de supprimer la structure en piliers héritée de Maastricht.
28On a rappelé précédemment qu’à partir du traité de Maastricht de 1992, l’Union reposait sur trois piliers : le pilier central présentant une nature fondamentalement intégrée et régie par des processus décisionnels reposant sur la fameuse “méthode communautaire”19, le deuxième pilier (relatif à la PESC) et le troisième pilier (se rapportant à la Coopération policière et judiciaire en matière pénale), ces deux derniers piliers étant caractérisés quant à eux par une logique intergouvernementale marquée notamment par un processus décisionnel largement maîtrisé par les États (Conseil européen et Conseil des ministres) induisant une marginalisation du Parlement européen et de la Commission européenne.
29Sur le terrain de la détermination comme de l’exercice des compétences, cette coexistence de piliers à la nature juridique et aux processus décisionnels distincts a posé historiquement un certain nombre de difficultés techniques, renouvelant significativement le contentieux de la base juridique20. En effet, à l’enjeu classique du conflit de bases juridiques au sein du pilier communautaire s’est ajoutée la problématique nouvelle des conflits de bases juridiques inter-piliers.
30Malgré l’assignation d’objectifs différents à la Communauté d’une part et à l’Union d’autre part, il se pouvait qu’un même objectif soit poursuivi, même de manière accessoire, à la fois par un acte du premier et du deuxième ou du troisième pilier21. L’ex-article 47 TUE était là pour protéger le pilier communautaire d’éventuels empiètements des piliers intergouvernementaux en disposant : “Aucune disposition du présent traité n’affecte les traités instituant les Communautés européennes, ni les traités et actes subséquents qui les ont modifiés ou complétés”. Cette disposition a fondé la compétence de la Cour de justice pour apprécier les actes de l’Union au regard des prérogatives reconnues à la Communauté.
31S’agissant des conflits de bases juridiques relevant du premier et du troisième pilier, plusieurs affaires ont retenu l’attention du juge européen, qu’il s’agisse du visa de transit aéroportuaire22, des sanctions pénales en cas d’infraction au droit de l’environnement23 ou enfin du traitement des données à caractère personnel24.
32Le seul exemple d’un conflit de bases juridiques relevant du premier et du troisième piliers cette fois correspond à une interférence entre la PESC et la politique communautaire de coopération au développement à propos d’une contribution européenne à la mise en place d’une Convention sur les armes légères et de petit calibre entre les États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le juge européen estimera finalement que la convergence des deux objectifs de l’acte -combattre l’accumulation et la diffusion des armes d’une part et prévenir les conflits et assurer la consolidation de la paix en même temps que le développement des États concernés d’autre part- conduit à conclure que la décision-PESC en cause affectait le traité CE au sens de l’article 47 TUE25.
33Cette seconde hypothèse n’a pas pour autant disparu avec le traité de Lisbonne et la suppression formelle des piliers ; en effet, il n’y a pas eu de fusion des anciens deuxième et troisième piliers dans le pilier central, puisque la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) conserve sa spécificité : d’abord, sur un plan strictement formel, elle est la seule politique de l’Union à figurer dans le TUE alors que toutes les autres sont traitées dans le TFUE ; ensuite, sur le plan substantiel, la PESC conserve son processus décisionnel dérogatoire à ce que l’on peut dorénavant appeler le “droit commun de l’Union” et les actes pris en cette matière lui sont spécifiques (il ne s’agit pas de règlements, directives et décisions mais des “décisions-PESC” et des “décisions-PESD”). En définitive, si les piliers ont formellement disparu et si l’architecture globale de l’Union s’en trouve significativement simplifiée, le droit de l’Union n’est donc pas, encore, complètement uniforme.
34D’ailleurs, le traité de Lisbonne a refondu l’ancien article 47 TUE pour donner naissance à l’actuel article 40 TUE qui dispose : “La mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union visées aux articles 3 à 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. De même, la mise en œuvre des politiques visées auxdits articles n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du présent chapitre”. Cette disposition permet de clarifier la démarcation entre les compétences de l’Union au titre de la PESC d’un côté et au titre de toutes les autres politiques de l’autre26.
35Par ailleurs, au sein même du “droit commun de l’Union”, des spécificités demeurent pour la coopération policière et judiciaire en matière pénale : un quart des États membres peut être à l’initiative d’un acte, un droit d’appel au Conseil européen est prévu en matière législative et enfin le contrôle juridictionnel de la Cour demeure retreint en matière d’ordre public27.
36La disparition formelle des piliers n’est toutefois pas inutile juridiquement puisqu’elle a pour conséquence de rendre applicables aux domaines de la PESC et de la coopération policière et judiciaire en matière pénale toute une série de dispositions à caractère horizontal, sauf exclusion expresse il est vrai (comme la clause de flexibilité de l’article 352 TFUE applicable à la coopération policière et judiciaire en matière pénale mais pas à la PESC) : ainsi, la Cour ainsi que les juridictions des États membres pourraient étendre l’application du principe de primauté du droit communautaire aux matières anciennement couvertes par les deuxième et troisième piliers28…
37Finalement -comme dans de nombreux autres domaines- le traité de Lisbonne ne va pas aussi loin que feue la Constitution européenne s’agissant de la simplification architecturale ; reste à savoir maintenant si les moyens juridiques qui sont octroyés à la “nouvelle Union” sont susceptibles de renforcer véritablement sa crédibilité internationale…
III – LES MOYENS D’ACTION DE LA NOUVELLE UNION EUROPEENNE
38Disposant désormais explicitement de la personnalité juridique, l’Union possède donc des capacités d’action au niveau interne mais surtout au niveau international : et c’est avant tout pour lui permettre de parler “d’une seule voix” sur la scène internationale, de développer une action extérieure cohérente et efficace, sans pour autant s’autoriser à légiférer ou à agir au-delà des compétences que les États lui ont attribuées par les traités29.
39Cet enjeu de la reconnaissance internationale de l’entité européenne demeure stratégique aujourd’hui : chacun sait que l’Union n’a toujours pas une influence, un poids, sur la scène internationale en rapport avec sa puissance économique comme l’atteste la formule selon laquelle “L’Europe est un géant économique mais un nain diplomatique”.
40De fait, l’affirmation internationale de l’entité européenne s’est essentiellement réalisée, jusqu’à une période récente, sur le terrain commercial, hier dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) et aujourd’hui à l’OMC où elle s’efforce de défendre à la fois ses intérêts commerciaux mais également les valeurs qu’elle promeut30. Ceci étant et depuis un peu plus d’une dizaine d’années maintenant (à partir du traité de Nice un peu plus précisément), apparaît clairement la volonté de l’Union de s’affirmer comme un “acteur international global”, en dépassant la simple affirmation de son identité31. A cette fin, le traité de Lisbonne a procédé à une réorganisation bienvenue des diverses dispositions de droit primaire à finalité internationale : cela ressort plus précisément du nouveau titre V du TUE -comportant d’une part un chapitre général dédié à l’action extérieure de l’Union (lequel constitue la principale nouveauté) et d’autre part un chapitre spécifiquement relatif à la PESC-et de la cinquième partie du TFUE (articles 205 à 222) intitulée “L’action extérieure de l’Union” qui regroupe la politique commerciale commune, la coopération avec les pays tiers et l’aide humanitaire, les mesures restrictives, les accords internationaux et enfin les relations avec les organisations internationales32. Cette réorganisation formelle ne s’accompagne pas de la consécration d’une compétence unifiée en matière d’action extérieure mais induit plutôt une mise en cohérence des divers objectifs poursuivis comme l’indique clairement l’article 21 § 3 alinéa 1 TUE : “L’Union veille à la cohérence entre les différents domaines de son action extérieure et entre ceux-ci et ses autres politiques”33.
41Cette “cohérence” revient d’ailleurs pas moins d’une quinzaine de fois dans les articles du TUE et du TFUE ; en outre, elle n’est pas seulement politique, mais véritablement contraignante juridiquement, le juge de l’Union ayant accepté depuis plusieurs années de lui conférer un caractère justiciable34. Concrètement, cet impératif, notamment en induisant la généralisation du principe de coopération loyale, oblige l’ensemble des acteurs à interagir afin d’assurer l’unité de l’action et de la représentation internationales de l’Union35.
42Mais cette volonté de cohérence n’est pas seulement substantielle ; elle présente également une évidente dimension institutionnelle.
43Le “premier agent” de cette cohérence extérieure de l’Union renforcée par le traité de Lisbonne est en théorie constitué par le “président stable” du Conseil européen. Désigné pour un mandat de deux ans et demi -renouvelable une fois- cette autorité a vocation “présider et animer les travaux du Conseil européen” ainsi qu’à représenter l’Union européenne “à son niveau”, c’est-à-dire celui des chefs d’État ou de gouvernement36. En outre, l’article 22 du TUE reconnaît bien le rôle décisif du Conseil européen dans la définition des “intérêts et objectifs stratégiques de l’Union”… Pour autant, le président du Conseil européen n’est pas doté de prérogatives précises, son influence se limitant à une simple “autorité morale” : concrètement, il joue le rôle d’intermédiaire entre les représentants des États afin de rapprocher leurs positions politiques en proposant des compromis. Par ailleurs, la nomination de M. Herman Van Rompuy en novembre 2009, personne peu connue du grand public, a pu être interprétée comme la volonté des États de ne pas donner trop de “consistance” à cette nouvelle fonction37 ; enfin, ce président doit composer avec un autre nouveau venu, le “Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union”.
44Le “Haut représentant” -mentionné à l’article 18 du TUE38- ne surgit pas “ex nihilo” : cette fonction -assurée par la Britannique Catherine Ashton depuis fin 2009-, correspond à la fusion des postes précédents de “Haut représentant pour la PESC” et de Vice-Président de la Commission européenne chargé des relations extérieures ; il constitue la reprise du poste de “Ministre des affaires étrangères de l’Union” prévu par la Constitution européenne et qui avait irrité plusieurs États -à commencer par le Royaume-Uni- dans la mesure où cette appellation pouvait laisser croire à la création d’un “super-État européen” et à la disparition, à terme, de la diplomatie telle qu’exercée par les seuls gouvernements… Ses prérogatives, détaillées aux articles 23 à 41 du TUE, apparaissent significatives sur le papier : il préside la formation “Affaires étrangères” du Conseil de l’Union, veille à assurer la cohérence de l’action extérieure de l’Union, contribue par ses propositions à la mise en œuvre de celle-ci, représente l’Union auprès des pays tiers, dans les organisations et conférences internationales, consulte régulièrement le Parlement européen sur les questions de Politique étrangère et s’appuie sur le Service européen d’action extérieure (SEAE)39.
45Toutefois, à l’analyse, il est difficile d’affirmer que ce “Haut représentant” dispose de moyens pour s’imposer dans la nouvelle configuration institutionnelle résultant du traité de Lisbonne : non seulement par rapport au Président du Conseil européen dont on a dit qu’il avait vocation lui aussi à jouer un rôle international, mais également par rapport au Président de la Commission à laquelle le “Haut représentant” appartient et enfin au pays qui assure la présidence semestrielle de l’Union et qui n’a assurément pas l’intention de disparaître de la scène internationale…
46L’intensité des débats relatifs à la composition de la délégation européenne se rendant à Oslo, début décembre 2012, pour y recevoir le prix Nobel de la Paix octroyé à l’Union est à cet égard particulièrement instructive ; au point que les observateurs les plus féroces n’ont pas manqué de faire remarquer que la célèbre question d’Henri Kissinger, “L’Europe quel numéro de téléphone ?” demeurait sans réponse et pis devait être reformulée au pluriel40...
47En conclusion, il est possible d’affirmer que la personnalité juridique que l’Union s’est “auto-attribuée”, loin de constituer une “révolution juridique” apparaît plutôt comme la simple officialisation d’une réalité consistant, depuis quelques années, à traiter l’UE comme un véritable sujet de droit international.
48À cet égard, l’attitude des autres acteurs internationaux (États et organisations internationales) est importante, non pour l’existence mais cette fois pour l’exercice de cette personnalité juridique. De manière explicite ou tacite, ceux-ci doivent en effet accepter l’Union pour lui permettre d’exister et d’agir dans la Société internationale : ainsi dans diverses enceintes multilatérales, le sigle “UE” a succédé à l’ancien sigle “CE” ; de même, l’admission de l’Union en tant que signataire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH)-prévue à l’article 6 § 2 du TUE et pour lesquelles les négociations exploratoires ont commencé en mai 2010-, devra logiquement être acceptée par les actuels États membres du Conseil de l’Europe.
49Cet enjeu d’un rôle actif de l’Union dans le développement du droit international est d’autant plus décisif pour une entité qui présente la particularité d’être une “puissance normative”41 soucieuse de structurer les rapports internationaux autour de règles et non sur les seuls rapports de force…
Notes de bas de page
1 F.-X. Priollaud et D. Siritzky, Le traité de Lisbonne. Texte et commentaire article par article des nouveaux traités européens (TUE-TFUE), La documentation Française, Paris, 2008, pp. 132-136.
2 En effet, “(…) alors que l’établissement conventionnel de la personnalité internationale ne vaut pas attribution expresse d’un pouvoir déterminé, inversement il est certain que l’octroi d’une capacité au plan international permet d’inférer une personnalité juridique internationale comme condition de possibilité de cette capacité” : J.-L. DeBaillenx et Y. Nouvel, “La personnalité des organisations internationales au crible de son énonciation”, RGDIP 2012-3, pp. 579-604, spéc. p. 597.
3 CIJ, Avis du 11 avril 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations unies (affaire dite du “Comte Bernadotte”), Rec. 1949, p. 179.
4 CJCE, 31 mars 1971, Commission c/ Conseil, aff. 22/70, Rec. p. 274 : comm. R. Kovar, “L’affaire de l’AETR devant la Cour de justice des Communautés européennes et la compétence internationale de la CEE”, AFDI 1971, pp. 393 et s.
5 En ce sens, et de manière plus générale, E. Bribosia et A. Weyembergh (“La personnalité juridique de l’Union européenne”, in L’Union européenne et le monde après Amsterdam (ss. dir. M. Dony), Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1999, pp. 38-0, spéc. p. 40) affirment : “Il est rare que la personnalité juridique internationale soit directement prévue dans l’acte constitutif de l’Organisation internationale. C’est peut-être la crainte de conférer par ce bais aux organisations internationales des compétences externes à l’égard d’Etats non membres et donc une autonomie qui affecterait la souveraineté des États qui les fait hésiter à inclure des dispositions expresses sur ce point”.
6 Voy. J.-C. Gautron, “Article I-7”, in Traité établissant une Constitution pour l’Europe (ss. dir. L. Burgorgue-Larsen, A. Levade et F. Picod), Bruylant, Bruxelles, 2007, pp. 117-122, spéc. pp. 120-121.
7 “Traité de fusion des exécutifs” du 8 avril 1965.
8 Voy. notamment : J. Charpentier, “De la personnalité juridique de l’Union européenne” in Mélanges Peiser, PUG, Grenoble, 1995, pp. 93 et s, D. Dormoy, L’Union européenne et les organisations internationales, Bruylant, Bruxelles, 1997, pp. 15 et s., et A. Pliakos, “La nature juridique de l’UE”, RTDE 1993, pp. 210 et s. Certaines juridictions constitutionnelles ont adopté également cette position, notamment la Cour constitutionnelle allemande dans sa décision du 12 octobre 1993 : comm. D. Hanf, RTDE 1994, pp. 391-423.
9 Ainsi, l’article 2 TUE de l’époque précisait que l’Union avait entre autres objectifs “d’affirmer son identité sur la scène internationale”.
10 Voy. J.-C. Gautron, art. préc., p. 119.
11 Article XI § 1 de l’Accord instituant l’OMC. Depuis le 1er décembre 2009, l’Union a naturellement succédé aux Communautés en tant que Membre de l’OMC.
12 Pour des précisions, voy. E. Bribosia et A. Weyembergh, art. préc., pp. 55 et s.
13 Voy. J.-C. Gautron, art. préc., p. 120.
14 L. Grard, “L’Union européenne, sujet de droit international”, RGDIP 2006, no 2, pp. 337-371, spéc. p. 351.
15 Voy. J.-C. Gautron, art. préc., p. 120
16 P. Daillier, “La disparition de la CECA le 23 juillet 2002. Des problèmes de succession d’organisations internationales ?”, Mélanges J.-C. Gautron, Pedone, 2004, pp. 19-28.
17 M.-C. Runavot, “La succession d’organisations internationales dans la construction européenne”, Europe Août-septembre 2011, chron. 8, pp. 7-12, spéc. p. 10.
18 Afin de promouvoir le progrès dans l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, l’Euratom a ainsi conclu divers accords avec des Etats tiers (Etats-Unis d’Amérique, Canada et Australie notamment) et avec une organisation internationale, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) plus précisément.
19 Voy. G. Isaac, “Le pilier communautaire, un pilier pas comme les autres”, CDE 2001, no 1/2, pp. 46-89.
20 Sur le contentieux de la base juridique en général, voy. C. Kholer et J.-C. Engel, “Le choix approprié de la base juridique pour la législation communautaire : enjeux constitutionnels et principes directeurs”, Europe Janvier 2007, pp. 5-10. Le critère est ici celui du “centre de gravité” de l’acte, dégagé par l’arrêt “Dioxyne de titane” : CJCE, 11 juin 1991, Commission c/ Conseil, aff. C-300/89, Rec. I-2867.
21 E. Neframi, “Le contentieux de la base juridique sous l’angle de l’article 47 du traité sur l’Union européenne”, Mélanges en l’honneur de Ph. Manin, Pedone, Paris, 2010, pp. 891-906, spéc. p. 892.
22 En 1996, la Commission avait introduit un recours en annulation contre une action commune du Conseil relative au régime de transit aéroportuaire, au motif que la mesure en cause pouvait être rattachée à la compétence d’harmonisation des États en matière de maîtrise de la voie aérienne relevant du pilier communautaire ; à la lumière de l’article 47 TUE, la Cour devait toutefois écarter le moyen après avoir constaté l’absence de compétence communautaire en la matière : CJCE, 12 mai 1998, Commission c/ Conseil, aff. C-170/96, Rec. I-2763.
23 Une décision-cadre du Conseil prévoyant une harmonisation des sanctions pénales des États en cas d’atteinte à l’environnement a été contestée par la Commission ; la Cour lui donnera gain de cause, estimant que les mesures visées, bien que de nature pénale, avaient vocation à assurer l’efficacité de la politique environnementale de la Communauté : CJCE, 13 septembre 2005, Commission c/ Conseil, aff. C-176/03, Rec. I-7879 confirmé par CJCE, 23 octobre 2007, Commission c/ Conseil, aff. C-440/05, Rec. I-9097.
24 L’Irlande et la Slovaquie avaient contesté une directive relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel en arguant que c’était une décision-cadre qui aurait du être prise ; la Cour rejettera leur recours en considérant que les mesures litigieuses avaient bel et bien comme finalité principale la protection du marché intérieur : CJCE, 10 février 2009, Irlande c/ Parlement et Conseil, aff. C-301/06, Rec. I-593.
25 CJCE, 20 mai 2008, Commission c/ Conseil, aff. C-91/05, Rec. I-3651. Pour un commentaire, B. VAN VOOREN, “EU-EC External Competences after the Small Arms Judgment”, European Foreign Affairs Review 2009, pp. 213-248.
26 E. Neframi, art. préc., p. 900.
27 Particularités prévues respectivement par les articles 76, 82 et 83, et enfin 276 TFUE.
28 Voy. F.-X. Priollaud et D. Siritzky, Le traité de Lisbonne…, op. cit., spéc. p. 136.
29 Au-delà du principe de spécialité rappelé à l’article 5 §§ 1 et 2 TUE, cette réalité apparaît également dans la déclaration no 4 sur la personnalité juridique.
30 Voy. l’article 3 § 5 TUE : “Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies”. Sur la logique européenne à l’OMC, voy. O. Blin, “La stratégie communautaire dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC)”, JDI 2006-1, pp. 89-125.
31 E. Neframi, L’action extérieure de l’Union européenne. Fondements, moyens, principes, LGDJ, coll. Systèmes, 2010, p. 13.
32 Voy. F.-X. Priollaud et D. Siritzky, Le traité de Lisbonne…, op. cit., pp. 108-109.
33 E. Neframi, op. cit., p. 15.
34 Voy. notamment CJCE, 7 février 2006, Avis 1/03, Rec. -1145.
35 Voy. C. Hillion, “Cohérence et action extérieure de l’Union européenne”, EUI Working Paper 2012-4, Florence.
36 Article 15 § 6 TUE.
37 En mars 2012, M. Van Rompuy a été renouvelé dans ses fonctions.
38 Voy. F.-X. Priollaud et D. Siritzky, Le traité de Lisbonne…, op. cit., pp. 96-99.
39 Ce service, prévu par l’article 27 § 3 TUE, a été mis en place en janvier 2011. Il est composé de fonctionnaires des directions des relations extérieures du Conseil et de la Commission ainsi que de diplomates détachés par les Etats membres.
40 Voy. J.-C. Zarka, “Après le traité de Lisbonne, l’Union a-t-elle enfin un numéro de téléphone”, Dalloz, 22 avril 2010, no 16, p. 972.
41 Z. Laïdi, La norme sans la force. L’énigme de la puissance européenne, Les presses de Sciences-Po, Paris, 2005, spéc. pp. 49 et s.
Auteur
Maître de conférences, HDR, Université Toulouse 1 Capitole, IRDEIC
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