Personnalité, incapacité... vulnérabilité
p. 85-94
Texte intégral
1La “vulnérabilité” rencontre depuis quelques années un vif succès. Il est tel que le droit des “personnes vulnérables” éclipse progressivement celui des incapacités1. Pourtant, à la différence de “la personnalité” ou de “l’incapacité”, la vulnérabilité ne reçoit aucune définition juridique2. Dans le langage courant, elle désigne le caractère de ce “qui peut être blessé, frappé par un mal physique”, ce qui est malheureusement le lot de tout être humain… De manière plus abstraite, est dit vulnérable ce “qui peut être facilement atteint, ou se défend mal”3. Peut donc être ainsi qualifiée la personne, qu’elle soit âgée ou dans la fleur de l’âge, qui est plus fragile4, moins apte à se défendre que les autres, en raison des circonstances, d’une maladie, d’une faiblesse physique ou mentale… Du fait de l’imprécision des critères de la vulnérabilité, variables d’une personne à l’autre et empreints d’une grande subjectivité, elle ne saurait suffire à délimiter une catégorie juridique5. Ceci explique que, malgré son omniprésence dans les discours, la loi du 5 mars 20076 n’a pas retenu la vulnérabilité comme critère de mise en œuvre des mesures de protection juridique des majeurs. Aujourd’hui comme hier, pour pouvoir bénéficier d’une protection, une personne doit être “dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté”7. Toutefois, derrière l’altération des facultés personnelles du majeur, transparaît une vulnérabilité particulière de la personne physique…
2Incontestablement, le concept de vulnérabilité innerve l’ensemble du droit des personnes protégées. Si le mineur bénéficie d’un statut juridique protecteur, c’est en raison de sa vulnérabilité présumée par la loi ; de même, le majeur bénéficie à titre exceptionnel d’une protection lorsque sa vulnérabilité particulière au regard de la norme incarnée par l’homme avisé, le “bon père de famille”, est établie. Il en a toujours été ainsi. Néanmoins, la place récemment prise par ce concept dans les discours est assurément la marque d’une évolution des mentalités. Malgré l’apparente stabilité des textes et des principes, la réforme de 2007 a traduit ce mouvement dans le Code civil : en consacrant l’élargissement du domaine d’intervention des régimes de protection juridique à la personne du majeur. Ce faisant, le législateur a fait de la “personne vulnérable”, leur nouvelle cible (I) et de remédier à la vulnérabilité, leur nouvel objectif (II).
I – LA PERSONNE VULNERABLE, NOUVELLE CIBLE DES REGIMES DE PROTECTION
3Désormais, tous les régimes de protection des majeurs qu’ils soient organisés par le juge – sauvegarde de justice, tutelle ou curatelle – ou par le majeur lui-même au moyen d’un contrat – mandat de protection future – sont en principe destinés à garantir “la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci”8 (A). Cette affirmation traduit la volonté du législateur de dépasser le cadre de la personnalité juridique pour intervenir auprès de la personne physique, c’est-à-dire là où bien souvent la vulnérabilité s’exprime avec le plus d’acuité (B).
A – Au-delà des biens, la personne
4Posé dès 1989 par la Cour de cassation9, le principe selon lequel les régimes civils d’incapacité “ont pour objet, d’une façon générale, de pourvoir à la protection de la personne et des biens de l’incapable” a été consacré dans le Code civil en 2007.
5 Protéger “les intérêts patrimoniaux de la personne” ou “protéger ses biens”, le Code civil utilisant indifféremment l’une ou l’autre de ces expressions10, demeure néanmoins l’objectif premier de la protection des majeurs. Il s’agit d’éviter que, en raison des troubles dont il souffre, le majeur ne porte atteinte à la consistance de son patrimoine par des actes irréfléchis se révélant lésionnaires ou excessifs, ou encore, qu’en raison de ces mêmes troubles, il ne puisse accomplir les actes nécessaires à la conservation et à la bonne gestion de son patrimoine. Ces intérêts patrimoniaux sont dignes de protection : il en va bien sûr dans une certaine mesure de l’intérêt de la famille du majeur, en particulier de ses héritiers, mais également de son intérêt propre car en dépend bien souvent son autonomie économique – “biens” et “personne” sont, on le sait, étroitement liés… Néanmoins, la vulnérabilité de la personne ne se manifeste que rarement dans le seul cadre patrimonial et se traduit très souvent par des difficultés à assurer la protection de son corps, de sa santé, de son intégrité. C’est ce qui a conduit la jurisprudence, et le législateur après elle, à élargir le domaine d’intervention du protecteur à la “personne” du majeur
6 Protéger “la personne” du majeur demeure cependant un objectif ambigu. Consacrée par la loi, l’expression jurisprudentielle n’a pas été définie pour autant. Loin de lever l’ambiguïté initiale, le législateur paraît même l’avoir aggravée en retenant une formulation pour le moins redondante – “[l]a mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci” – de la personne donc. On peut comprendre que le législateur ait jugé inutile de préciser le sens d’une expression où les termes utilisés sont d’un emploi aussi commun. Pourtant, la polysémie du mot “personne” aurait à elle seule justifié que des précisions soient apportées.
7En effet, de quelle “personne” s’agit-il ? De la personne juridique définie abstraitement comme tout être apte à jouir de droits11 ? Du sujet de droit ? Ou bien de la personne, prise dans sa réalité physique, la personne humaine, nécessairement vulnérable, qui n’est apparue dans notre Code civil qu’en 1994 à l’occasion de l’adoption des premières lois de bioéthique… ? Seules les quelques dispositions légales définissant les règles applicables à la “protection de la personne” donnent des éléments de réponse à cette question.
B – Au-delà de la personne juridique, la personne physique
8 La personnalité juridique, cible première des régimes de protection. La protection des intérêts patrimoniaux du majeur ou de ses biens implique nécessairement l’accomplissement d’actes juridiques, qu’il s’agisse d’actes de disposition, d’administration ou encore d’actes conservatoires12. Il s’agit de remédier à l’incapacité juridique du majeur pris en sa qualité de personne juridique, titulaire de droits qu’il doit pouvoir exercer. C’est alors que la protection organisée mérite sans conteste la qualification de “protection juridique”, expression privilégiée par le législateur depuis 200713. En revanche, pour protéger la “personne” du majeur, l’activité juridique ne peut être la seule visée. Certes, les articles 457-1 et suivants du Code civil, qui définissent les règles applicables à la protection de la personne, visent-ils quelques actes juridiques particuliers comme le mariage14 ou le PACS15. Mais, ils évoquent également plus généralement des décisions relatives au choix de la résidence16, aux fréquentations du majeur17, ou encore celles à prendre en matière médicale18.
9Les domaines concernés sont divers et il peut s’agir d’actes juridiques comme de décisions relevant du domaine des faits. Un seul dénominateur commun paraît les réunir : le lien étroit avec la vie privée de l’individu, chacune des décisions évoquées ayant des répercussions sur la vie intime ou le corps de la personne. Un majeur souffrant d’une altération avérée de ses facultés personnelles au point de ne pas pouvoir défendre lui-même ses intérêts doit bien sûr être protégé contre des actes de nature patrimoniale nuisibles à ses finances – ce à quoi pourvoient depuis toujours les régimes de protection. Mais il doit également bien souvent être pris en charge dans la vie quotidienne pour éviter qu’il ne prenne des décisions l’exposant à des dangers physiques dont il n’aurait plus conscience ou que, par son inaction, il ne néglige sa santé et sa sécurité. Dès lors, la mise en œuvre de ses droits et la prise en considération de sa qualité de personne juridique ne sauraient suffire. C’est sa qualité de personne physique, qui transcende celle de sujet de droits, qui est alors en ligne de mire.
10 La prise en charge de la personne physique. Le parallèle avec la protection du mineur est certainement ce qui permet le mieux de comprendre la dualité nouvelle des régimes de protection des majeurs. L’enfant mineur, parce qu’il est présumé vulnérable par la loi, est pris en charge de manière globale, en principe par ses parents ou à défaut par les organes de la tutelle : il bénéficie ainsi d’une protection dans le domaine juridique et principalement de ses biens par le biais d’un régime de représentation – l’administration légale ou la tutelle – mais sa personne est également protégée par l’“autorité parentale relativement à la personne de l’enfant” – intitulé du Chapitre 1er du titre IX du Code civil – ou par la tutelle en particulier quand elle est dite “à la personne”19.
11Ce parallèle avec les mineurs est fort éclairant. Il a pourtant longtemps fait office de repoussoir : il est à l’origine des hésitations du législateur lorsqu’il s’est agi de consacrer le principe de protection de la personne du majeur. Il implique en effet qu’une autorité soit exercée sur la personne vulnérable. Or seule la finalité éducative de l’autorité parentale, à l’évidence absente s’agissant d’un adulte, justifie que soit exercé un pouvoir sur la personne d’autrui. Aussi, pour se prémunir contre toute critique, le législateur a-t-il édicté des règles spécifiques à la protection de la personne du majeur dont l’objet est de remédier à sa vulnérabilité sans toutefois porter atteinte à son autonomie.
II – REMEDIER A LA VULNERABILITE DE LA PERSONNE, NOUVEL OBJET DE LA PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS
12Les règles édictées aux articles 457-1 à 463 du Code civil, bien qu’elles figurent sous un intitulé restrictif, sont applicables quelle que soit la mesure dont le majeur bénéficie : tutelle, curatelle, mais aussi sauvegarde de justice ou mandat de protection future20. Elles sont à l’évidence d’ordre public et composent une sorte de “régime primaire” qu’il n’est possible d’écarter, ni par une décision du juge ni par une disposition contractuelle – sauf bien sûr à exclure expressément la protection de la personne du domaine d’intervention du protecteur21.
13Ces dispositions reposent sur un postulat – l’intervention d’un tiers dans la vie personnelle d’un adulte est malvenue – et elles découlent du principe d’autonomie de la personne. Ce principe, martelé par les nouveaux textes, paraît être érigé en rempart contre l’intervention de tiers dans la vie privée du majeur (A). Pourtant, ces dispositions accordent par ailleurs une place non négligeable à la représentation et à l’assistance d’un tiers, techniques autrefois réservées aux régimes d’incapacité (B).
A – L’autonomie personnelle comme garde-fou ?
14 Un principe d’autonomie. L’article 415 l’affirme haut et fort : toute protection juridique doit être “instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne” et, dans la mesure du possible, favoriser son “autonomie”22. Ainsi, le majeur, en dépit de sa vulnérabilité, se voit reconnaître une autonomie de principe, une liberté, que l’organisation d’un régime de protection ne saurait remettre en cause. Les nouvelles dispositions légales rappellent que, en dépit de la protection dont il bénéficie, le majeur doit être traité, s’agissant des décisions qui le concernent, comme n’importe quel autre individu. Ainsi est-il rappelé in limine que c’est la personne protégée elle-même qui doit recevoir les informations qui la concernent personnellement23 – cette information devant être complète et circonstanciée24 – ou bien encore que “la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne”25, que c’est à elle de choisir son lieu de résidence et qu’elle est libre d’entretenir des relations personnelles avec tout tiers et d’être visitée ou hébergée par eux26. Toutefois, le rappel de ces règles de droit commun dans un chapitre dédié à la protection des majeurs n’aurait aucun sens si elles n’étaient immédiatement assorties de limites propres à prendre en considération la vulnérabilité de la personne…
15 Un principe nécessairement relatif. Ainsi, les textes prennent-ils à chaque fois le soin d’envisager le cas où le respect de ces principes ne serait pas possible. Dès lors, si le majeur est destinataire des informations qui le concernent, c’est “selon des modalités adaptées à son état”27 et, s’il prend seul “les décisions relatives à sa personne”, c’est “dans la mesure où son état le permet”28. Enfin la liberté qui lui est reconnue de choisir son lieu de résidence et ses fréquentations peut être atténuée “[e]n cas de difficulté”, le juge ou le conseil de famille étant alors invité à statuer sur la question29. C’est alors au protecteur désigné que l’on confie le soin d’apprécier l’état du majeur et le loisir d’écarter les règles respectueuses de son autonomie personnelle. Bien sûr, ces limites peuvent paraître nécessaires à la préservation des intérêts du majeur : la vulnérabilité, notion protéiforme, étant susceptible de degré et d’évolution, il paraît nécessaire d’offrir au juge et au protecteur la possibilité de remettre en cause l’autonomie de principe pour assurer la “protection de sa personne”.
16Si l’état du majeur ne lui permet pas de prendre seul une décision relevant du domaine personnel, le juge peut recourir aux mécanismes habituellement utilisés pour remédier à l’incapacité. Ainsi, peut-il “prévoir [que le majeur] bénéficiera, pour l’ensemble des actes relatifs à sa personne ou ceux d’entre eux qu’il énumère, de l’assistance de la personne chargée de sa protection” ou, “le cas échéant après l’ouverture d’une mesure de tutelle, autoriser le tuteur à représenter l’intéressé”30. Il est même prévu que dans les cas exceptionnels d’urgence ou de danger encouru par le majeur, le protecteur puisse prendre seul les décisions nécessaires sans avoir à être autorisé par le juge31. Seuls les actes impliquant un consentement strictement personnel que le législateur a soumis à un régime dérogatoire y échappent : quel que soit le régime de protection dont le majeur bénéficie et quelles que soient les difficultés qu’il éprouve à exprimer sa volonté, il est le seul à pouvoir accomplir ces actes juridiques ainsi que le prévoit l’article 458 du Code civil : “[s]ous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l’accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée”32.
17En dépit de cette exception, les précisions apportées diminuent fortement la portée du principe d’autonomie dont l’affichage paraît dès lors davantage servir d’alibi, que de garde-fou. Cette impression est en outre renforcée par le choix du législateur de recourir, par exception à l’autonomie de la personne, à des mécanismes traditionnellement utilisés pour remédier à l’incapacité juridique.
B – L’incapacité juridique comme référence
18La représentation et l’assistance sont des remèdes traditionnels à l’incapacité : si les troubles dont il souffre le justifient, le majeur peut se voir privé, en tout ou en partie, de l’exercice de ses droits ce qui l’empêche de pouvoir accomplir seul des actes juridiques relatifs à ses biens. Pour éviter que cette incapacité d’exercice ne devienne une incapacité de “jouissance”33, il est fait appel à un tiers qui agira en qualité de représentant du majeur – c’est le cas du tuteur ou du mandataire de protection future – ou bien l’assistera dans l’accomplissement des actes les plus graves – c’est le cas pour le curateur. La transposition de ces mécanismes d’assistance et de représentation au domaine personnel peut paraître aller de soi en ce qu’elle paraît permettre d’éviter par l’intervention d’un tiers que le majeur ne porte atteinte à ses intérêts sans toutefois le priver de l’exercice de ses droits. Elle suscite pourtant des difficultés incontestables.
19 Des principes antinomiques. Cet habillage technique ne saurait en effet dissimuler le fait qu’il s’agit en réalité d’autoriser un tiers à intervenir dans la vie et les choix personnels d’un adulte et donc de parfois porter atteinte à sa liberté… Conscient de ce que cela peut avoir de dérangeant, le législateur a édicté à l’article 458 une liste d’actes ne souffrant aucune intervention extérieure, liste a priori limitative et à juste titre critiquée par la doctrine34. Il y a de toute évidence été contraint, la notion d’actes à caractère strictement personnel étant connue de longue date en jurisprudence. L’idée est qu’il existe des actes juridiques où l’intervention d’un tiers est impossible car personne ne peut alors choisir en lieu et place du majeur – la reconnaissance s’analysant en un aveu, qui d’autre que le père ou la mère peut y procéder ? On a certes pu s’insurger contre “l’incapacité de jouissance” à laquelle aboutirait ce texte lorsque le majeur est dans l’impossibilité de manifester sa volonté. Mais ce danger ne semble pas si grand que l’on veut bien le croire. Notre droit civil sait garantir la protection des intérêts de celui qui ne peut exprimer sa volonté, sans pour autant faire appel aux régimes de protection juridique. Ainsi, comme Madame le professeur Neirinck l’a brillamment démontré35, le tribunal peut-il prononcer l’adoption d’un adulte dans son intérêt sans avoir à recueillir son consentement, si bien sûr il ne peut exprimer une volonté consciente et éclairée. De manière générale, l’urgence, la prise en compte de l’intérêt de la personne ou encore l’ordre public sont autant de considérations qui permettent de passer outre une volonté défaillante36… Tout bien considéré, le régime dérogatoire de ces actes strictement personnels paraît être le seul compatible avec l’autonomie affichée.
20 Des principes incompatibles. Le recours à ces mécanismes propres aux régimes d’incapacité soulève des difficultés fondamentales. Aucun aménagement spécifique n’a été prévu alors même qu’il pourra s’agir d’intervenir hors d’un cadre juridique. Pourtant, la représentation a toujours été pensée comme un mécanisme réservé à l’accomplissement d’un acte juridique. L’assistance également… En outre, alors que protéger les biens répond à des principes de conservation et de valorisation37 qui servent de guides pour les tiers habilités à intervenir dans les affaires d’autrui, rien de tel n’existe lorsqu’il s’agit du domaine personnel. Ainsi, on peut admettre que, si le titulaire du patrimoine pouvait agir, il déciderait comme son représentant d’accomplir tel ou tel acte qui, objectivement, se révèle être dans l’intérêt de son patrimoine. En revanche, il n’en est pas de même pour les décisions relatives au lieu de vie, au choix de ses fréquentations ou aux soins médicaux… L’exemple de l’admission du grand-père dans une maison de retraite, malgré son refus ou du moins l’absence d’accord exprès de sa part, est à cet égard topique : on ne peut prétendre que ce serait son choix s’il était encore apte à prendre une décision éclairée et, comme c’est bien souvent nécessaire, si on décide pour lui, il serait fallacieux de prétendre exprimer sa volonté par “représentation”. La situation est similaire lorsqu’il est demandé de mettre fin à un traitement sur la personne d’un patient hors d’état de manifester sa volonté et ce, même s’il a pu exprimer un souhait en ce sens de manière anticipée : on ne peut prétendre que son souhait serait le même au moment où la question se pose38.
21On le voit, en prétendant remédier à la vulnérabilité, notion polymorphe et à cet égard dangereuse, le législateur n’entend plus seulement permettre à des tiers d’exercer en ses lieu et place les droits de la personne. Les nouveaux textes conduisent incontestablement à limiter son autonomie personnelle, sa liberté individuelle, en autorisant des tiers à faire, à sa place, des choix qui n’appartiennent en principe qu’à la personne elle-même. Mais en consacrant dans le Code civil l’exception des actes à caractère personnel, le législateur révèle involontairement l’hypocrisie du dispositif. Hypocrite, l’affirmation d’une autonomie de principe au final de peu de portée, l’est assurément ; de même, est un leurre le recours aux mécanismes de représentation et d’assistance pour dissimuler le fait que protéger la personne humaine n’est guère comparable à remédier à l’incapacité juridique d’un sujet de droit ; l’est tout autant le fait de faire croire que le droit civil, dont le domaine d’intervention est celui des actes de la vie civile et l’objet la personne juridique, pourrait remédier à ce mal intime qu’est la vulnérabilité de l’être humain…
Notes de bas de page
1 Voir en particulier l’évolution des titres de manuels consacrés au droit des personnes et de la famille.
2 Le terme vulnérabilité était déjà employé par le Code pénal.
3 Le Robert, V° “vulnérable” : issu du latin vulnerare “blesser” ; qui peut être blessé, frappé par un mal physique (ne pas être immunisé) ( = fragile) ; qui peut être facilement atteint, se défend mal ( = sensible).
4 Le Robert : caractère vulnérable, syn. : fragilité.
5 Marie-Caroline Vincent-Legoux, L’ordre public, étude de droit comparé interne, PUF, Coll. Les grandes thèses du droit, 2001.
6 Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, JO 7 mars.
7 C. civ. art. 425 - L’ancien article 490, issu de la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 précisait déjà que “Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l’âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l’un des régimes de protection (…). Les mêmes régimes de protection sont applicables à l’altération des facultés corporelles si elle empêche d’expression de sa volonté. L’altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement constatée”.
8 C. civ. art. 425.
9 Cass. Civ. 1ère 18 avril 1989, n° de pourvoi : 87-14563, Bull. Civ. I, 1989, n° 156 p. 103 ; JCP. 1990, II, 21467, note Fossier.
Les anciens textes garantissaient en outre déjà que certains aspects de la personne soient protégés : ainsi existait-il déjà des dispositions préservant le lieu de vie du majeur ainsi que son environnement affectif ; de même, des dispositions particulières étaient déjà prévues pour limiter l’accès du majeur au mariage. Mais ces dispositions éparses n’auraient pu à elles seules constituer une réelle protection de la personne du majeur.
10 V. C. civ. art. 405, 415, 419, 447, 508 – utilisant l’expression “protection des biens” – et C. civ. art. 425, 427, 485, 513 – utilisant l’expression “intérêts patrimoniaux”. Voir également, l’intitulé du chapitre second du titre IX du Code civil – “De l’autorité parentale relativement aux biens” – et la possibilité offerte de désigner un protecteur “à la personne” et un protecteur “aux biens”.
11 J. Carbonnier, Droit civil, Tome I “Introduction, les personnes, la famille”, PUF, Coll. Quadrige, 2004, n° 193, p. 372.
12 Ces catégories d’actes composent ce que l’on nomme la classification tripartite des actes de gestion. Cette classification d’origine doctrinale et jurisprudentielle occupe désormais une place importante dans les nouveaux textes (V. le nouveau titre douzième “de la gestion du patrimoine des mineurs et majeurs en tutelle” issu de la réforme de 2007). La définition de chacune de ces catégories d’actes est désormais fournie par un texte réglementaire – décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, art. 1 et 2, JO 23 déc. – texte qui dresse en outre une liste “des actes regardés comme actes d’administration ou comme actes de disposition” et une autre “des actes regardés comme actes d’administration ou comme actes de disposition sauf circonstances d’espèce”.
13 La loi de 2007, intitulée “loi relative à la protection juridique des majeurs”, a par ailleurs imposé cette expression dans l’intitulé du chapitre II du titre X du livre 1er du Code civil : “des mesures de protection juridique des majeurs”. Elle ne figurait pas dans les textes précédents. Le recours à cette formule permet d’englober la protection judiciaire et conventionnelle et de distinguer clairement la protection juridique de la protection “sociale” résultant des mesures d’accompagnement social personnalisé réglementées par le Code de l’action sociale et des familles (V. CASF L271-1 et s.).
14 C. civ. art. 460.
15 C. civ. art. 461 et 462.
16 C. civ. art. 459-2 al. 1.
17 C. civ. art. 459-2 al. 2.
18 C. civ. art. 459-1 – le Code civil renvoie alors aux dispositions du Code de la santé publique.
19 V. sur ces notions : M. Bruggeman, L’administration légale à l’épreuve de l’autorité parentale, PUAM 2002.
20 Ces textes figurent dans une sous-section intitulée “Des effets de la tutelle et de la curatelle quant à la protection de la personne”, mais sont applicables à tous les régimes – V. notamment pour l’hypothèse de désignation d’un mandataire spécial au cas de sauvegarde de justice (C. civ. art. 438) et pour le mandataire de protection future (C. civ. art. 479).
21 L’article 425 alinéa 2 précise en effet que “[e]lle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions”. Est-ce à dire qu’il serait envisageable d’organiser la protection de la personne du majeur sans s’assurer de la protection des intérêts patrimoniaux du majeur ? Cette interprétation, a priori autorisée par la rédaction du texte, serait toutefois en contradiction avec de nombreuses autres dispositions qui confirment le caractère premier de la protection des biens et la possibilité d’écarter la protection de la personne du majeur du domaine de cette protection – V. dans le cadre d’une tutelle ou d’une curatelle, l’article 451 alinéa 2, et dans le cadre d’un mandat de protection future, l’article 479, et encore pour la sauvegarde de justice, l’article 438 du Code civil.
22 C. civ. art. 415. Ce principe directeur conforte ceux, traditionnels, de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité réaffirmés par les textes nouveaux. V. C. civ. art. 428.
23 On peut rapprocher de ce principe la possibilité désormais offerte au majeur de choisir par avance la protection dont il entend bénéficier pour le cas où il serait atteint d’une altération de ses facultés : le mandat de protection future. Ou encore celle de désigner par avance celui qui sera éventuellement chargé de sa protection (C. civ. art. 448).
24 C. civ. art. 457-1.
25 C. civ. art. 459 al. 1er.
26 C. civ. art. 459-2.
27 C. civ. art. 457-1.
28 C. civ. art. 459.
29 C. civ. art. 459-2.
30 C. civ. art. 459.
31 C. civ. art. 459 alinéas 3 et 4.
32 Le texte précise “Sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi” et renvoie ce faisant aux articles 460 du Code civil relatif au mariage du majeur, ainsi qu’aux articles 461 et 462 relatifs au PACS ou encore aux dispositions particulières régissant les libéralités.
33 L’incapacité en tant que modalité traditionnelle de protection implique en effet l’intervention de tiers venant remédier à cette incapacité. A défaut, celle-ci ne se limiterait pas à constituer une limite à l’utilité de la personnalité juridique mais constituerait bel et bien une incapacité de jouissance et donc une atteinte importante à la personnalité juridique elle-même (V. Supra. J. Séverin).
34 V. notamment, P. Salvage-Gerest, “Les actes dont la nature implique le consentement strictement personnel du majeur en tutelle (C. civ. art. 458. – L. no 2007-308, 5 mars 2007) : une catégorie à revoir d’urgence”, Dr. Famille 2009, étude 17.
Cette liste paraît excessivement restrictive – ne sont évoqués que des actes exceptionnels, ne relevant pas de la vie quotidienne des majeurs – voire incohérente – la déclaration de naissance, qui est pourtant citée, peut être réalisée par toute personne qui a connaissance d’une naissance (C. civ. art. 56) – le regret principal demeurant que le législateur n’ait pas indiqué ce qui justifie que tel acte et non tel autre “implique un consentement strictement personnel”
35 C. Neirinck, “L’adoption de la personne handicapée mentale”, Obs. sous Cass. Civ. 1ère 8 octobre 2008, RDSS 2009, p. 276.
36 Ce sera exactement la même chose pour les autres actes que le majeur est le seul à pouvoir accomplir. La déclaration de naissance d’un enfant peut être le fait d’un membre du personnel de la maternité ; il sera possible d’établir la filiation de l’enfant à l’égard du majeur par le biais soit de la possession d’état soit par une action dirigée contre lui malgré l’absence de reconnaissance ; les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant ne peuvent évidemment pas être accomplis par un tiers, mais à défaut de pouvoir exprimer sa volonté à cet égard, le majeur sera nécessairement privé de l’autorité parentale sur l’enfant – C. civ. art. 373 – et une tutelle sur l’enfant mineur sera éventuellement ouverte ; la déclaration du choix ou du changement du nom d’un enfant ne pose pas vraiment de difficulté dans la mesure où la loi supplée à l’absence de choix par des règles supplétives. Enfin, le consentement à l’adoption de son enfant pourrait éventuellement être donné par un conseil de famille.
37 V. A. Andorno, La gestion des biens en droit privé et en droit public comparé, Thèse dactyl. Université de Toulouse, 2012.
38 V. H. Capela et M. Bruggeman, “L’expression anticipée de la volonté individuelle en droit des personnes et de la famille”, in De la volonté individuelle (sous la dir. M. Nicod), coll. Les travaux de l’IFR “Mutation des normes juridiques” no 10/2009, Presses Université Toulouse 1 - Capitole.
Auteur
Maître de conférences, Université Toulouse 1 Capitole, Institut de droit privé
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