Le mariage de la carpe et du lapin
L’alliance de la personnalité juridique et de la capacité juridique
p. 69-83
Texte intégral
1- Origine de l’expression. L’origine de l’expression le mariage de la carpe et du lapin ne peut être attestée avec certitude. Sa recherche livre même quelques surprises comme, par exemple, la présence de Jean de La Fontaine. En effet, le mariage de la carpe et du lapin serait l’une de ses fables. Nous nous empressons alors de consulter les œuvres complètes de ce maître1 du genre afin de la retrouver mais rien n’y fait. Notre déception fut immense, La Fontaine n’avait jamais marié une carpe et un lapin. Nous qui rêvions de vous conter cette fable ; il faut y renoncer. Pourtant, la morale de notre sujet, la personnalité juridique et la théorie des incapacités, n’est pas si éloignée de cette fable imaginaire.
2- Sens de l’expression. Le sens de la métaphore du mariage de la carpe et du lapin n’échappe à personne : il s’agit d’une union impossible par nature entre deux entités qui paraissent s’exclure mutuellement. Dès lors, l’utilisation de cette expression, en guise de titre, pour traiter des liens entre la personnalité juridique et la capacité juridique révèle sans surprise notre intention et la morale de notre sujet : nous devons distinguer clairement la personnalité juridique de la capacité juridique car leur mariage n’est ni possible ni souhaitable. D’ailleurs, les organisateurs de ce colloque ne s’y sont pas trompés quand ils ont placé cette intervention dans la thématique plus large de la personnalité juridique et ses satellites. Ce rattachement suggérant alors que la capacité juridique est l’un des satellites en orbite autour de la planète personnalité juridique. Aussi, de la même manière que la carpe est un poisson d’eau douce alors que le lapin est un petit mammifère, la personnalité juridique ne semble pas avoir la même nature que la capacité juridique. Pourtant, cette différence substantielle ne paraît pas aller de soi.
3- Cause de l’emploi de l’expression. En effet, le mariage suppose, au préalable, que les futurs époux soient deux êtres humains sans quoi leur union est impossible. Pourtant, l’officier de l’état civil a bien procédé à l’alliance de la personnalité juridique et de la capacité juridique sans que l’on y oppose un quelconque empêchement. Le mariage de la carpe et du lapin était donc acquis. Les concepts de personnalité juridique et de capacité juridique furent alors intrinsèquement liés allant jusqu’à ne former finalement qu’une seule et même entité.
4- Effet de l’expression. La notion de capacité juridique recouvrant en partie celle de personnalité juridique, l’effet produit par cette assimilation ne tarda pas. En effet, le bonheur qui entoura l’évènement masqua la réalité de son quotidien. Quand la capacité juridique se transforma en incapacité juridique, la personnalité juridique fut ébranlée, voire même anéantie. On se mit alors à douter, purement et simplement, de l’existence de la personnalité juridique dans la mesure où l’incapacité juridique emportait corrélativement la fin de la personnalité juridique. En réalité, seule l’incapacité de jouissance avait cet effet néfaste du fait de sa synonymie avec la personnalité juridique. L’incapacité d’exercice ne remet pas cause la personnalité juridique puisqu’elle ne se confond avec elle à aucun moment ; elle n’en n’est que son exercice. Notre attention portera alors essentiellement sur la distinction entre l’incapacité de jouissance et la personnalité juridique.
5- Justification de l’expression. Le mariage entre d’une part, la personnalité juridique – la carpe pour l’occasion – et d’autre part, l’incapacité de jouissance – le lapin – ne doit rien au hasard. En effet, bien que le mariage soit vicié de toute évidence (I-Le mariage vicié de la carpe et du lapin), il faut pour autant en expliquer la raison car aussi surprenant que cela puisse l’être, ce mariage arrangea un temps la doctrine. Mais l’absence d’opposition au mariage, avant sa célébration, n’empêche pas d’en demander par la suite la nullité ou le divorce. Pour tout dire, un seul choix est permis dans notre affaire : la nullité. Cette voie doit être choisie car ce mariage repose sur une erreur d’identité des époux, la personnalité juridique n’ayant pas la même nature que l’incapacité de jouissance, la carpe n’étant pas un lapin et le lapin n’étant pas une carpe (II-La nullité du mariage de la carpe et du lapin).
I – LE MARIAGE VICIE DE LA CARPE ET DU LAPIN
6- Annonce du plan. La personnalité juridique, la carpe, est souvent analysée au regard de l’incapacité juridique ; le lapin. Alors que l’évidence conduit à séparer ces deux notions, ne serait-ce que parce que l’emploi de deux acceptions différentes le suggère, il est fréquent de les confondre. Le lapin s’est couvert d’écailles, la carpe a vu dans le lapin une carpe. En réalité, ce mariage n’a rien de surnaturel. En effet, bien qu’impossible par nature, n’importe quelle carpe s’y serait trompée pour un peu que l’habit fasse le moine. Aussi, si le lapin est une carpe alors nous avons marié deux carpes (A- Le lapin déguisé en carpe). Les deux y trouvèrent d’ailleurs satisfaction et, plus encore, quand la carpe, ruisseau faisant, rencontra un obstacle de taille : le droit subjectif. Ce dernier menaça l’existence de la carpe. Mais heureusement, le lapin, qui vit la scène s’empressa de venir en aide à la carpe. La personnalité juridique fut sauvée par la capacité juridique ; la carpe devait ainsi la vie au lapin (B- La carpe sauvée par le lapin).
A – Le lapin déguisé en carpe
7- Cause et effet du lapin devenu carpe. Si le lapin s’est doté d’écailles, c’est parce qu’on l’a désigné comme une carpe. En effet, les notions de personnalité juridique et de capacité juridique évoquent une même réalité (1- La cause de l’assimilation du lapin à la carpe). Une fois, cette confusion opérée, l’inévitable se produisit : celui qui se trouve frappé d’une incapacité, de jouissance, ne dispose plus de la personnalité juridique (2- L’effet de l’assimilation du lapin à la carpe).
1) La cause de l’assimilation du lapin à la carpe
8- Cause de la confusion. La personnalité juridique est généralement définie comme l’“ aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des obligations qui appartiennent à toutes les personnes physiques, et dans des conditions différentes aux personnes morales ; on spécifie volontiers personnalité juridique”2. La capacité juridique est quant à elle conçue comme l’“aptitude à acquérir un droit et à l’exercer reconnue à tout individu (C. civ., a. 1123) et, en fonction de leur nature, de leur objet et de leur forme, aux personnes morales”3. La rencontre de ces deux notions ne peut conduire, à première vue, qu’à une seule conclusion : on parle de la même chose. Avoir la capacité juridique, c’est avoir la personnalité juridique. Par conséquent, le mariage est alors possible puisqu’il s’agit de célébrer les noces de deux entités de même nature. Dès lors, on ne peut reprocher à la carpe de s’être mariée avec le lapin dans la mesure où ce dernier était désigné comme une carpe. En réalité, la confusion ne concerne pas la capacité juridique en elle-même mais seulement un type de capacité juridique. En effet, si l’on distingue la capacité d’exercice, celle-ci consistant dans l’“aptitude à faire valoir par soi-même et seul un droit dont on est titulaire sans avoir besoin d’être représenté ni assisté à cet effet par un tiers”4, de la capacité de jouissance témoignant de l’“aptitude à devenir titulaire d’un droit ou d’une obligation qui, pour une personne physique, ne peut être entamée, dans les cas exceptionnels limitativement prévus par la loi, que pour la jouissance d’un droit déterminé, une exclusion générale équivalant à la perte de la personnalité juridique et à la mort civile aujourd’hui abolie”5 ; on se rend bien compte que seule la capacité de jouissance recouvre le concept de personnalité juridique6. En d’autres termes, la confusion s’explique par les définitions communes de la personnalité juridique et de la capacité de jouissance puisque la capacité d’exercice suppose, quant à elle, d’avoir un droit pour l’exercer de sorte que la personnalité juridique n’est pas en cause ; seule son expression est limitée. Le lapin n’est donc pas tant la capacité juridique mais la capacité de jouissance. Une fois le mariage célébré, il n’y a plus d’empêchement, le mariage produit ses effets.
2) Les effets de l’assimilation du lapin à la carpe
9- Quand capacité de jouissance rime avec personnalité juridique. Avoir la capacité de jouissance c’est donc bénéficier de la personnalité juridique. Mais “la capacité en tant que telle n’existe pas dans la loi positive. Les textes font état que d’incapacités (…)”7. Aussi, et a contrario de la première proposition, avoir l’incapacité de jouissance, c’est ne pas disposer de la personnalité juridique. Si cette affirmation pouvait être encore acceptable au temps de l’esclavage8 et de la mort civile9, elle paraît aujourd’hui totalement injustifiée au regard de la considération qu’a notre société pour la personne humaine. Pourtant, si la capacité de jouissance correspond à la personnalité juridique, rien n’empêche de penser, qu’encore aujourd’hui, une personne peut être privée de la personnalité juridique. C’est d’ailleurs pour cette raison, que la doctrine est toujours très prudente quand elle évoque les incapacités de jouissance. Il faut dès les premières lignes rassurer le lecteur ; on ne va pas tuer la carpe.
10- La carpe doit survivre. Pourquoi ne peut-il pas en être autrement ? Parce que l’égalité des personnes juridiques le commande. Une carpe vaut bien une autre carpe. En effet, l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne dispose-t-il pas que “les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits (…)”, l’article 4 de cette même déclaration ne déclare-t-elle pas que “la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits”. Dès lors, reconnaître qu’une personne ne dispose plus de la personnalité juridique du fait d’une incapacité de jouissance revient à ne plus la regarder comme une personne humaine. Aussi, la doctrine a tendance à relativiser la taille de l’hameçon qui saigne la bouche de la carpe. Pour ce faire, on explique alors que les incapacités de jouissance constituent des exceptions spéciales ne pouvant être organisées qu’exceptionnellement par la loi. Il en va ainsi, par exemple, en matière de mariage celui-ci ne pouvant être contracté qu’à dix-huit ans révolus10, de l’impossibilité pour le mineur de moins de seize ans de disposer de ses biens11 ou encore de la prohibition pour le tuteur d’être adjudicataire des biens de ceux dont il a la tutelle12. Soyons donc rassurés, les incapacités de jouissance ne sont qu’exceptions, la personnalité juridique est préservée. En effet, il ne fait guère de doute que la capacité est la règle, le principe si l’on en croit l’article 1123 du Code civil quand il dispose que “toute personne peut contracter si elle n’en est pas déclarée incapable par la loi”. Pourtant, comment ne pas être inquiet quand on cherche à en établir la liste. En effet, et sans pouvoir toutes les recenser, le Code civil13 en contient la majorité mais l’on en trouve aussi dans le Code de commerce14, dans le Code pénal15, dans le Code du travail16, dans le Code de la construction et de l’habitation17 ou encore dans les dispositions de la loi du premier juillet 1901 relative au contrat d’association18. La multiplication des incapacités de jouissance ne conduit pas l’optimisme. Le pessimisme de la carpe est légitime quand elle contemple la prolifération des lapins. Pourtant, le mariage de la carpe et du lapin a eu quelques vertus : il a notamment permis à la carpe de s’épanouir et aura le mérite de révéler toute sa singularité. En effet, la capacité juridique vint un temps au secours de la personnalité juridique.
B – La carpe sauvée par le lapin
11- La carpe en danger. “Nulle trace, ni d’incapacité de jouissance, ni de capacité de jouissance, avant que n’apparaissent les développements relatifs au droit subjectif. (…) La notion de capacité est très étroitement liée à celle de sujet de droit qui, elle-même, ne se définit que par référence au concept de droit subjectif”19. Simple coïncidence de calendrier ou rencontre inévitable. Nous penchons pour la seconde hypothèse dans la mesure où nous croyons que le droit subjectif, tel que conçu à ses débuts, priva la personnalité juridique de son rayonnement. La carpe, si bavarde avant cette altercation devint par la suite muette (1- L’altercation entre la carpe et le droit subjectif). Il était alors urgent d’agir. La bouée parvint à la personnalité juridique de la terre ferme. La capacité juridique venant alors à son secours, la carpe retrouva sa voix (2- Le lapin secouriste ponctuel de la carpe).
1) L’altercation entre la carpe et le droit subjectif
12- La carpe et le droit subjectif-volonté. Madame Ingrid Maria a parfaitement montré dans sa thèse les liens qui unissent la personnalité juridique et le droit subjectif. En effet, au XIXe siècle la doctrine s’opposait à propos de la notion de droit subjectif. Celle-ci eut le mérite de mettre en évidence la dualité du droit. Sans qu’il soit nécessaire de revenir sur la distinction entre le droit et l’action20 qui se rapproche certes de la distinction entre la jouissance et l’exercice d’un droit, il faut s’arrêter, en revanche, sur la théorie du droit-volonté élaborée par Savigny et Windscheid21. Le droit subjectif est alors conçu comme un pouvoir de volonté. Ainsi, “(…) la volonté du titulaire est décisive pour la création des droits (…), ou encore pour la suppression ou la modification de ceux-ci. Le pouvoir de volonté attribué au titulaire n’intervient plus seulement aux fins de mise à exécution, mais en vue de la production même de norme de l’ordre juridique”22. Celle-ci exige alors d’être exprimée. Il n’en fallait pas davantage pour voir dans le sujet de droit l’être humain disposant de cette volonté. Par conséquent, le sujet de droit et la personne humaine ne formèrent qu’une seule et même entité. Or, “(…) en faisant de la volonté l’élément nécessaire de la qualification de sujet de droit et de l’être humain le seul sujet de droit possible, cette doctrine exclut de la catégorie “sujet de droit” tous les individus non dotés d’une volonté juridique efficace et les entités qui ne sont pas humaines”23. La théorie du droit subjectif-volonté portait dès lors substantiellement atteinte à la personne telle que comprise à l’époque. La personne était celle ayant bénéficié de la philosophie des Lumières, celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il s’agissait du triomphe de la seule personne humaine et l’on ne voyait plus de différence entre elle et la personne juridique. Par conséquent, la théorie du droit subjectif-volonté se heurtait à la conception de la personne dans la mesure où “(…) si est sujet de droit tout individu pourvu de volonté, cela exclut de la catégorie des personnes juridiques les incapables, sujets non pourvus de volonté juridique ; or, comme la personne juridique était assimilée à la personne humaine, l’incapable apparaissait comme n’étant pas un être humain (…)”24. On comprend ainsi tout l’embarras de la carpe, elle devait désormais exclure de sa propre famille, les carpes dont la volonté n’était pas suffisamment aboutie. Certaines carpes n’étaient plus des carpes mais des truites. La carpe n’y comprenait plus rien. C’est pourquoi, elle vit dans le lapin une providence. Les incapacités apparaissaient dès lors comme le moyen de rétablir les carpes écartées dans leur qualité pleine et entière de carpe.
2) Le lapin secouriste ponctuel de la carpe
13 - La carpe et Ihering. Les exclus de la personnalité juridique par la théorie du droit subjectif-volonté doivent leur salut à l’incapacité juridique et, plus encore, à sa division entre capacité de jouissance, d’une part et capacité d’exercice, d’autre part. Cette distinction se combinait alors parfaitement avec une autre théorie du droit subjectif, celle de Ihering : Le droit subjectif-intérêt. Le droit subjectif consiste pour lui dans un objet bien précis : l’intérêt. Mais l’intérêt ne suffit pas, encore faut-il qu’il soit protégé par le droit objectif. Aussi, cette doctrine considère le droit subjectif comme un but tant dans son objet concret que dans sa protection. En effet, “pour Ihering, deux éléments constituent le principe du droit, l’un substantiel dans lequel réside le but pratique du droit et qui est l’utilité, l’avantage, le gain assuré par le droit ; l’autre formel, qui se rapporte à ce but uniquement comme moyen, savoir la protection du droit, l’action en justice”25. La réunion de ces deux composantes fera alors qu’“(…) on se représentera les droits subjectifs comme des avantages importants accordés aux sujets, animés et mis en œuvre par ceux-ci, mais naturellement dans le cadre des règles du droit objectif”26. La théorie du droit subjectif-intérêt, appliquée à notre personne humaine et, par là même juridique, permit de considérer qu’était sujet de droit celui auquel la loi attribue l’utilité du droit. Ainsi, les exclus de la personnalité juridique pouvaient la réintégrer, les truites étaient redevenues des carpes puisque tout incapable était destinataire de l’intérêt du droit. Corrélativement, il fut alors tout à fait possible d’affirmer que tout être humain avait la personnalité juridique et, partant la qualité de sujet de droit dans la mesure où la loi leur conférait l’utilité du droit27. Néanmoins, bien que les incapables retrouvassent la personnalité juridique, il n’en demeurait pas moins qu’ils étaient toujours incapables. C’est à ce stade que s’employa l’incapacité de jouissance.
14 - Le lapin et Ihering au service de la carpe. L’égalité des hommes en droits pouvait être préservée puisque la théorie de Ihering permettait à tous les êtres humains d’être des sujets de droits égaux. Mais l’inégalité régnait alors à un autre niveau : celui de la capacité de jouissance. En effet, les hommes étaient nécessairement des sujets de droits mais certains d’entre eux ne disposaient pas pleinement de la capacité de jouissance. Ainsi, “alors que la personnalité renvoie au caractère absolu de l’aptitude à avoir des droits, la capacité, au contraire, renvoie au caractère relatif de cette aptitude à avoir des droits. (…) L’intérêt de diviser la capacité en deux est de pouvoir affirmer que l’attribution de droits n’est que relative, qu’elle est susceptible de degrés et qu’elle n’est pas finalement, en pratique donnée de la même façon à tous les sujets de droits”28. Madame Ingrid Maria a effectivement très bien décrit cet état de fait. Du moment, que tout être humain bénéficie de la personnalité juridique, rien n’interdit de penser, qu’en revanche, les sujets de droits frappés par une incapacité de jouissance n’ont pas la capacité d’avoir tous les droits. C’est bien l’incapacité de jouissance qui permet alors de sauvegarder l’égalité des sujets de droits sans pour autant nier l’inégalité de leur capacité. Aussi, “la capacité de jouissance devenait alors une face de la personnalité, sa face juridique alors que le terme personnalité n’était conservé que pour désigner le sujet de droit, la personnalité au sens éthique”29. C’est à partir de là que l’idée persistante selon laquelle la personnalité est insusceptible de degrés contrairement à la capacité s’est instaurée. Il est ainsi possible “(…) d’attribuer à un individu une parcelle de capacité alors qu’il est impossible de ne lui allouer qu’un morceau de personnalité. La personnalité est ou n’est pas ; on est ou on n’est pas sujet de droit ; on ne peut l’être qu’à moitié ou qu’un peu. En revanche, on peut n’être capable que pour certains actes de la vie juridique, que pour certains droits et non pour d’autres”30. Pourtant l’affaire n’était que de langage puisqu’en définitive on désignait par deux termes différents, personnalité juridique et capacité de jouissance, la même chose ; c’est-à-dire l’aptitude à avoir des droits. La carpe bien que repue par tant d’appâts finit par ne pas s’y tromper. En effet, le lapin perdit suffisamment d’écailles pour laisser deviner son pelage. Aussi, la carpe, bien qu’heureuse un temps en ménage, décida de demander, pour erreur sur l’identité de son conjoint, la nullité du mariage.
II – LA NULLITE DU MARIAGE DE LA CARPE ET DU LAPIN
15- Annonce du plan. La personnalité juridique, la carpe, ne pouvait se satisfaire d’un mariage avec la capacité de jouissance, le lapin, puisque celui-ci reposait sur une erreur fondamentale : croire que le lapin fut une carpe. La personnalité juridique et la capacité de jouissance sont, par nature, incompatibles. Il convient donc de délimiter précisément le milieu naturel de l’une et de l’autre. En effet, nous pensons que la personnalité juridique, une fois débarrassée d’une autre confusion, pourra retrouver son empire. Le temps est donc venu pour la carpe de quitter le terrier pour regagner sa rivière (A- La carpe regagnant sa rivière). Une fois son milieu naturel retrouvé, il sera alors plus aisé d’envisager la capacité de jouissance sous un nouveau jour et admettre, que quand le lapin est dans son terrier ; il ne nuit point à la carpe (B- Lapin au terrier ne nuit point à la carpe).
A – La carpe regagnant sa rivière
16- La fin des fictions. Le mariage de la carpe et du lapin n’a duré que par le biais de compromis reposant sur des fictions. Mais ces fictions doivent disparaître. Il n’est plus aujourd’hui possible d’affirmer qu’être sujet de droit est la même chose qu’être une personne humaine (1- L’absence d’identité entre la personne humaine et la personne juridique). Ce n’est qu’à ce prix que l’on peut reconsidérer le concept même de personnalité juridique (2- La carpe revisitée).
1) L’absence d’identité entre la personne humaine et la personne juridique
17- La carpe est une carpe mais pas seulement. Il suffit pour se convaincre de l’absence d’identité entre la personne humaine et la personnalité juridique d’examiner quelques dispositions du Code civil. Prenons deux exemples : l’absence et les articles 16 et suivants du Code civil. Dans l’hypothèse de l’absence, la capacité et la personnalité juridiques sont concernées. En effet, une fois le jugement de présomption d’absence31, le juge habilite une personne, en vertu de l’article 113 du Code civil32, à représenter la personne présumée absente et à gérer son patrimoine ; celle-ci étant incapable d’exercer ses droits. En revanche, quand dix ans se sont écoulés depuis le jugement de présomption d’absence, le juge peut rendre un jugement déclaratif d’absence emportant “(…) tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus”33. À ce stade, l’absent perd sa personnalité juridique alors qu’il peut-être encore en vie. Il y a bien dissociation entre la personne humaine et la personnalité juridique. Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où si la personne humaine déclarée absente réapparaît, il faudra alors procéder à l’annulation du jugement déclaratif d’absence34. En d’autres termes, par le biais de l’annulation du jugement, la personne humaine recouvrira la personnalité juridique. Par ailleurs, l’importance de la personne humaine dans notre société est parfaitement visible dans notre Code civil mais il est alors question de la personne humaine et non de la personnalité juridique. Ainsi, par exemple, l’article 16 du Code civil dispose que “la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”. Dans cette disposition, la personne juridique n’est pas en cause, seule est concernée la personne humaine ; celle faite de chair et de sang. Plus encore, l’article 16-1 du même code dispose que “chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial”. Il est difficile de faire plus explicite : seul le corps humain est visé de sorte que “la notion de “personne” est formelle. C’est la raison pour laquelle elle est détachée de son référent humain. Les opérateurs du commerce juridique ne se réduisant pas aux hommes (…)”35. Pourtant même si cette division doit être reçue, elle ne résout rien puisque la capacité juridique ne peut alors avoir de prise que sur la personnalité juridique et non sur la personne humaine. En d’autres termes, on aboutit encore et toujours à dire que celui qui est privé de la capacité de jouissance ne dispose pas de personnalité juridique. Aussi, s’il ne fait guère de doute de la nécessité de distinguer la personne humaine de la personne juridique car la vérité l’exige ; encore faut-il que cette constatation explique d’abord, ce qu’est la personnalité juridique ; qu’elle permette ensuite de distinguer la personnalité juridique de la capacité de jouissance pour que l’on puisse enfin appréhender les relations qu’entretiennent ces deux notions.
2) La carpe revisitée
18 - La personnalité juridique : une notion formelle. L’intérêt de distinguer la personne humaine de la personne juridique réside d’une part, dans la possibilité d’y voir une formalisation de la réalité permettant de justifier tout l’intérêt de la personnalité juridique et d’autre part, de montrer qu’elle est bien une aptitude contrairement à la capacité juridique qui n’en est que sa manifestation. En d’autres termes, la capacité juridique, c’est notamment la personnalité juridique en action. La personnalité juridique est avant tout “(…) la formalisation d’une réalité par le droit. Son existence est donc liée à celle de cette réalité, être humain ou organisme”36. On rejoint alors la définition du droit subjectif de Ihering dans la mesure où “la personnalité juridique est octroyée à une entité qui est en mesure de posséder des biens et d’être liée par des obligations”37 ; il y a donc un intérêt pour le droit subjectif de désigner une entité capable d’en être le pôle de rattachement. Mais il est indispensable que cet “(…) être – physique ou non – (…) [ait] un degré d’achèvement et une autonomie suffisants pour constituer un intérêt indépendant”38
La formalisation est donc consubstantielle à la personnalité juridique. Une fois celle-ci opérée, on peut alors s’attacher à son utilité. En d’autres termes, qu’est-ce qu’une carpe ?
19 - La dissection de la carpe, seul moyen de ne pas la confondre avec le lapin. Si on laisse de côté les discussions relatives à la naissance de la personnalité juridique, il est utile à notre dessein de montrer que la personne juridique est l’acteur de la vie juridique, plus précisément encore, du commerce juridique. Aussi, il va occuper une place dans une société donnée, il va y jouer un rôle ou, plus précisément, des rôles tout comme la persona romaine entendue dans son sens étymologique, c’est-à-dire “(…) celui de rôle, et au-delà plus concrètement, celui de masque que porte l’acteur qui joue le rôle. Le sujet est le masque juridique de la personne (…)”39. Aussi, “c’est en vue de leur participation au commerce juridique que les personnes ont besoin d’être identifiées autant que d’être certifiées dans leur existence. En ce sens l’état des personnes peut être considéré comme une condition a priori de la personnalité juridique”40. Ce n’est donc qu’à la condition d’être au préalable identifiée, que la personnalité juridique peut devenir un véritable acteur du commerce juridique. La personnalité juridique est donc avant tout une notion formelle et fonctionnelle. Cette fonction d’identification des acteurs du commerce juridique est intrinsèquement liée à l’essence même de la personnalité juridique. Cette dernière doit être effectivement comprise comme une aptitude mais une aptitude à quoi ? Nous croyons, comme le pensent les Professeurs Zénati-Castaing et Revet, que “la personnalité juridique se définit comme l’aptitude à avoir des biens et des obligations”41. Or, les biens et les obligations n’ont de réalité juridique que parce qu’ils sont dans le commerce juridique de sorte qu’il est possible d’avancer que la personnalité juridique est en définitive “(…) une aptitude au commerce juridique. La vie du droit est faite de relations de propriété et d’engagement dont les sujets sont les personnes, la personnalité désignant non pas ces relations en situation mais la potentialité que les opérateurs de la vie juridique ont de les établir”42. Cette conception de la personnalité juridique n’est pas isolée puisqu’une partie de la doctrine voit dans la personnalité juridique “(…) une “possibilité générale et abstraite” d’être titulaire de certains droits et obligations alors que la capacité mesurerait “la possibilité concrète pour une personne (…) d’être titulaire de droits et d’obligations et d’accomplir valablement des actes juridiques déterminés””43. Par conséquent, la personnalité juridique est abstraite parce que formelle et il faut encore acquiescer le fait que la capacité se situe au stade concret de la vie juridique. Pour autant, la capacité juridique est tributaire de la personnalité juridique ; elle n’en est qu’une facette permettant son expression et réalisant une potentialité : la participation au commerce juridique. La personnalité juridique une fois redessinée, il alors possible de s’attacher aux liens qu’elle entretient avec la capacité de jouissance et, plus largement avec la capacité juridique. C’est à partir de là que nous conviendrons que le prononcé de la nullité de leur mariage était inévitable bien que des liens, d’une autre nature, puissent les unir.
B - Lapin au terrier ne nuit point à la carpe
20- De la distinction des milieux à leur rapprochement. La carpe ne saurait survivre sur la terre ferme tout comme le lapin ne pourrait tolérer une trop longue plongée. Dès lors, il convient de distinguer les milieux dans lesquels évoluent la personnalité juridique et la capacité juridique afin de montrer que cette dernière ne remet pas en cause la première (1- Deux notions, deux milieux). Pour autant, la biodiversité est un tout qui procède des échanges entre les différents milieux de sorte qu’une perméabilité est permise et, mieux encore, est nécessaire si l’on veut assurer la survie de la personnalité juridique. Tel est l’enseignement de la nullité du mariage de la carpe et du lapin (2- L’enseignement du rapprochement des milieux).
1) Deux notions, deux milieux
21 - De la personnalité d’abord, de la capacité ensuite. Si la personnalité juridique est notamment l’aptitude à être propriétaire et partant, à être apte au commerce juridique, c’est alors “(…) dans les pouvoirs fondamentaux inhérents à ces aptitudes que gisent, sans jamais remettre en question cette aptitude en elle-même (…)”44. En effet, être apte à la propriété et donc au commerce juridique c’est pouvoir interagir avec lui de sorte qu’il est nécessaire, pour la personne juridique, d’avoir les moyens de réaliser cette potentialité45. En d’autres termes, “être apte à avoir, c’est pouvoir acquérir, posséder et disposer (…) ; c’est aussi défendre ses biens en justice (…)”46. Par conséquent, les capacités sont les possibilités de réaliser la potentialité de sorte qu’elles sont “(…) constituées par les droits d’agir en justice et, surtout, par le droit d’accomplir les différents actes que permet le commerce juridique (…). Elles ne portent pas, comme la personnalité juridique, sur des biens mais sur des droits d’agir permettant d’acquérir et de conserver ces biens”47. Aussi, si l’on résonne a contrario, on s’aperçoit que les incapacités juridiques ne remettent pas en cause la personnalité juridique, elle “(…) est seulement amoindrie par l’inaptitude du sujet à exercer certains pouvoirs fondamentaux ou par l’interdiction partielle qui lui est infligée de le faire. Elles restent des personnes juridiques mais sont privées de certaines capacités qui dérivent de la personnalité juridique : elles sont incapables”48. Les incapacités constituent alors seulement une restriction à la personnalité juridique dans la mesure où l’on ne permet pas à la personne juridique de mettre en œuvre son pouvoir de disposer, c’est-à-dire un droit d’agir consistant notamment dans le moyen d’acquérir des biens. C’est au stade de la disposition des biens que les incapacités juridiques interviennent car ce pouvoir est une “(…) faculté inhérente à la personne”49. Par conséquent, c’est parce qu’une entité est une personne juridique qu’elle est apte au commerce juridique et c’est à partir de cette aptitude que s’exerce pleinement le pouvoir de disposer sauf à être restreint par une incapacité, qu’il s’agisse d’une incapacité de jouissance interdisant, par exemple, d’acquérir un bien ou d’une incapacité d’exercice, justifiant, par exemple, qu’un tiers ne puisse vendre seul un bien. Si la distinction semble assurée et doit nous rassurer sur le fait qu’une incapacité, même de jouissance, ne remet pas en cause pour autant la personnalité juridique ; la différenciation des notions appellent deux observations.
22 - Deux observations tirées de la distinction des milieux. En premier lieu, si l’incapacité juridique est une incapacité qui restreint l’accès au commerce juridique, elle n’est pas la seule. En effet, le droit objectif a vocation à réglementer l’activité juridique soit en prescrivant l’impossibilité de faire un acte juridique soit en rejetant, par exemple, certaines choses jugées indignes de l’homme et partant réputées hors commerce. Aussi, dans les deux cas, que l’on prive une personne de l’accès au commerce juridique par le biais d’une incapacité ou par l’intermédiaire d’une chose que l’on ne saurait admettre au titre de bien, il n’en demeure pas moins que le résultat est une restriction de l’activité juridique au détriment d’une personne juridique. En second lieu, il faut noter, comme le fait une partie de la doctrine50, que l’on ne voit pas très bien l’intérêt de distinguer encore entre capacité de jouissance et capacité d’exercice dans la mesure où “[si] l’incapacité de jouissance a pour fonction d’assainir le commerce juridique, en excluant de son exercice les personnes inaptes à l’activité juridique (alors) sous cet angle, l’incapacité de jouissance se rapproche indéniablement de l’incapacité d’exercice”51. À cela, il suffit d’ajouter que certaines incapacités de jouissance n’en sont pas pour se convaincre de l’inutilité de cette notion. En définitive, nous n’assisterons pas à la tragédie du mariage de la carpe et du lapin. La carpe est une carpe et le lapin, un lapin. En revanche, ce mariage est riche d’enseignements.
2) L’enseignement du rapprochement des milieux
23 - Le lapin n’éradique pas la carpe. La personnalité juridique a besoin de la capacité juridique ; elle est son mode d’expression dans le commerce juridique. Et quand son expression n’est pas permise ou limitée, cela n’enlève rien au fait que la personnalité juridique demeure puisqu’il s’agit, précisément, d’une potentialité. Ainsi, “les incapacités d’exercice sont des limitations à la personnalité les moins graves car elles ne privent pas la personne d’une capacité mais seulement de son exercice (…). Il n’y a pas d’interdiction : l’opération est possible, mais elle est subordonnée à une volonté extérieure (…)”52. En revanche, les incapacités de jouissance consistent en l’exclusion pure et simple d’une personne juridique du commerce juridique. “L’éviction du commerce juridique est (…) radicale puisque l’acte considéré ne peut en aucune manière être accompli”53. Pour autant, dans ces deux hypothèses la personnalité juridique n’est pas remise en cause. Par ailleurs, la confrontation de la personnalité juridique aux incapacités de jouissance permet de douter de la pertinence du second concept.
24 - L’utilité du lapin ? Si les professeurs Zénati-castaing et Revet ont perçu que les incapacités de jouissance se rapportaient peut-être aux incapacités d’exercice, c’est à Madame Ingrid Maria qu’il revient l’honneur d’avoir ordonné ce sentiment. Bien qu’il s’agisse d’un sujet qui ne préoccupe pas directement la distinction entre la personnalité juridique et la capacité juridique, il nous semble que la proposition mérite d’être citée ne serait-ce que parce qu’elle va dans le sens d’une absence de disparition de la personnalité juridique quelle que soit l’incapacité envisagée. Pour elle, certaines incapacités de jouissance ne devraient pas recevoir cette qualification dans la mesure où elles poursuivent un but étranger à l’institution. À quoi servent alors les incapacités ? Selon elle, “(…) si la restriction a été édictée en fonction d’une qualité inhérente à la personne de l’incapable et dans le but de protéger la personne qu’elle atteint (il s’agit alors d’une véritable incapacité)”54. Il appert alors que les seules incapacités admises correspondent, en réalité, à celles qui répondent à la structure des incapacités d’exercice. Il en va ainsi de l’incapacité de se marier pour un mineur. En effet, ce dernier, du fait de son âge, peut notamment subir la pression de ses proches de sorte que cette incapacité le protège d’un mariage forcé. De la même manière, si l’une au moins des deux conditions cumulatives vient à manquer, l’on ne saurait parler d’incapacité. Trois exemples pour terminer. En premier lieu, toutes les interdictions imposées au titre d’une sanction ne peuvent recevoir la qualité d’incapacité de jouissance, elles ne procèdent pas de la volonté de protéger la personne condamnée mais servent un but essentiellement répressif. Il en va ainsi de l’indignité successorale quand, par exemple, un héritier a été l’auteur ou le complice de l’homicide volontaire du de cujus. En second lieu, les incompatibilités comme, par exemple, celles qui sont liées aux fonctions, ne peuvent être regardées comme des incapacités de jouissance car il est ici simplement question de défiance du fait justement de la fonction considérée. Ainsi, le médecin ne peut se voir gratifié par ses patients en vertu de l’alinéa premier de l’article 909 du Code civil. Le médecin dispose de la pleine capacité mais l’interdiction de recevoir ne vise pas à le protéger mais à protéger justement autrui. En troisième et dernier lieu, il est des impossibilités présentées comme des incapacités de jouissance qui relèvent non pas des incapacités mais de la personnalité juridique. Ainsi, par exemple, qu’il s’agisse de pouvoir recevoir entre vifs qu’à la condition d’être conçu au moment de la donation ou qu’il s’agisse encore d’avoir la capacité juridique pour une association que lorsque celle-ci est rendue publique, il n’est en aucun cas question d’une quelconque incapacité de jouissance mais tout simplement de l’absence de personnalité juridique et partant, de l’inexistence de la capacité de jouissance. En définitive, Madame Ingrid Maria a montré qu’“ une étude approfondie des incapacités de jouissance visées par la doctrine conduit à reconnaître que celles-ci désignent en réalité deux types d’éléments distincts : des règles protectrices de l’intérêt de la personne qu’elles atteignent, d’une part, et des règles protectrices de l’intérêt général, d’autre part”55 et seules “(…) les premières se rapprochent des incapacités d’exercice en ce qu’elles prolongent la protection habituellement apportée par celles-ci (…)”56. La confrontation de ces différentes notions n’était donc pas si inutile. Il semble que l’on puisse distinguer la personnalité juridique de la capacité juridique mais aussi mieux comprendre les liens qui les unissent. Ensuite, que l’on fasse ou non sien cet exposé, nous avons au moins la certitude d’une chose : une carpe n’est pas un lapin.
Notes de bas de page
1 Jean de La Fontaine avant d’être ce si grand fabuliste suivit des études de droit et avait obtenu le titre d’avocat en la Cour du Parlement en 1649.
2 G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 8ème éd. PUF, 2007, vis personnalité juridique (sens 1).
3 G. Cornu (dir.), ibid., v° capacité (sens 1).
4 G. Cornu (dir.), ibid., vis capacité d’exercice (sens 1).
5 G. Cornu (dir.), op. cit., vis capacité de jouissance (sens 1).
6 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, Manuel de droit des personnes, coll. Droit fondamental, éd. PUF, 2006, no 3.
7 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., loc. cit.
8 L’abolition définitive de l’esclavage est datée du 27 avril 1848 en vertu du décret relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et les possessions françaises. Certains ont considéré, qu’en réalité, il n’était pas question d’incapacité dans la mesure où l’esclave était considéré comme une chose. Pourtant, il convient de nuancer le propos. En effet, comme l’a parfaitement montré Monsieur Roberto Andorno si les esclaves étaient parfois classés parmi les res mancipi, “leur statut juridique était complexe ou hybride, ce qui rend difficile d’affirmer qu’ils n’étaient que des “choses” pour le droit. En effet, il serait trop simpliste de déduire de quelques textes leur manque de “personnalité” (R. Andorno, La distinction juridique entre les personnes et les choses à l’épreuve des procréations artificielles, thèse Paris XII, coll. Bibliothèque de droit privé, éd. LGDJ, 1996, tome 263, no 94). Monsieur Roberto Andorno en conclut que comme “(…) l’a remarqué Savigny (…) l’esclavage à Rome traduisait une situation d’incapacité juridique (…) mais non pas (…) un véritable manque de personnalité” (R. Andorno, ibid., no 95).
9 La mort civile visait les condamnés à mort par contumace ou en instance d’exécution, les condamnés aux travaux forcés à perpétuité ou encore les déportés. Les conséquences de la mort étaient prévues à l’article 25 du Code Napoléon. Elles consistaient dans la perte de la personnalité juridique de sorte que, comme l’esclavage, il était davantage question de personnalité juridique que de capacité de jouissance. La mort civile fut abolie par la loi du 31mai 1854 portant abolition de la mort civile.
10 L’article 144 du Code civil dispose que “l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus”.
11 L’article 903 du Code civil dispose que “le mineur âgé de moins de seize ans ne pourra aucunement disposer (…)”.
12 L’article 1596 du Code civil dispose que “ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées : Les tuteurs, des biens de ceux dont ils ont la tutelle (…)”.
13 Il suffit de songer, par exemple, pour le Code civil aux articles 144, 343, 343-1, 903 et s. (et particulièrement l’article 909 qui dispose dans son premier alinéa que “les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci (…)”), 1125-1, 1596 et 1597.
14 Pour le Code de commerce, voir l’article L. 227-7 ou encore L. 654-12 lequel dispose notamment qu’ “est puni des mêmes peines le fait, pour tout administrateur, mandataire judiciaire, liquidateur, commissaire à l’exécution du plan ou toute autre personne, à l’exception des représentants des salariés, de se rendre acquéreur pour son compte, directement ou indirectement, de biens du débiteur ou de les utiliser à son profit, ayant participé à un titre quelconque à la procédure”.
15 L’article L. 131-6 11° prévoit qu’en remplacement d’une peine d’emprisonnement pour un délit, le juge peut prononcer une ou plusieurs peines privatives ou restrictives de liberté comme, par exemple, “l’“interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’exercer une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l’infraction (…)”.
16 L’article L. 4155-1 du Code de travail dispose qu’ “il est interdit d’employer des travailleurs de moins seize-ans (…)”.
17 L’article L. 423-10 du Code de la construction et de l’habitation dispose que “toute convention, conclue directement ou par personne interposée entre un des organismes mentionnés à l’article L. 411-2 et un de ses dirigeants, un de ses salariés, un de ses administrateurs, un des membres du conseil de surveillance ou une personne morale dans laquelle un de ses dirigeants, un de ses salariés, un de ses administrateurs ou membres du conseil de surveillance exerce des fonctions d’administrateur, de membre du conseil de surveillance ou de dirigeant est subordonnée à l’autorisation préalable du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de l’organisme”.
18 La lecture combinée des articles 2, 5 et 6 de la loi relative au contrat d’association met en évidence la nécessité pour une association d’être déclarée faute de quoi elle ne peut prétendre avoir la capacité juridique.
19 I. Maria, Les incapacités de jouissance, Étude critique d’une catégorie doctrinale, thèse, coll. Doctorat et Notariat, éd. Defrénois, 2010, tome 44, no 43.
20 V. P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, éd. Dalloz, 2005, notamment page 285.
21 Savigny considérait que le droit subjectif ne pouvait résulter que de la volonté de l’homme. En effet, il pensait “le droit [subjectif] (…) comme un pouvoir de volonté. Dans les limites de ce pouvoir, la volonté de l’individu règne et règne du consentement de tous” (F.-C. von Savigny, Traité de droit romain, trad. Guenoux, tome 1, § 4, p. 7). Dans le même sens, Windscheid voit dans le droit subjectif un pouvoir de volonté (B. Windscheid, Pandektenrecht, 8ème éd. KIPP, 1900, tome I).
22 J. Dabin, Le droit subjectif, thèse, éd. Dalloz, 2008, p. 59.
23 I. Maria, op. cit., no 65.
24 I. Maria, ibid., no 85.
25 J. Dabin, op. cit., p. 65.
26 P. Roubier, “Délimitation et intérêts pratiques de la catégorie des droits subjectifs”, Le droit subjectif en question, Archives de philosophie du droit, éd. Sirey, 1964, tome 9, p. 84.
27 Cela vaut aussi pour les personnes morales puisqu’en isolant un intérêt collectif propre au groupement envisagé et distinct des intérêts individuels de ses membres, il était alors possible de reconnaître leur personnalité juridique.
28 I. Maria, op. cit., no 72.
29 I. Maria, ibid., no 74.
30 I. Maria, ibid., no 75.
31 L’article 112 du Code civil dispose que “lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence”.
32 L’article 113 du Code civil dispose que “le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à l’administration légale sous contrôle judiciaire telle qu’elle est prévue pour les mineurs, et en outre sous les modifications qui suivent”.
33 V. l’article 128 du Code civil.
34 V. l’article 129 du Code civil.
35 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., no 1.
36 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 7.
37 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 8.
38 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., loc. cit.
39 R. Martin, “Variétés, Personne et sujet de droit”, RTD civ. 1981, p. 789.
40 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., no 33.
41 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 3.
42 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 106.
43 I. Maria, op. cit., no 75
44 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., no 3.
45 Les Professeurs Zénati-Castaing et Revet estiment qu’“en tant que dimension du sujet, elle constitue une potentialité et non pas un rapport juridique actuel : le sujet ne peut avoir aucun bien, il n’en a pas moins, dans son statut, la faculté d’appropriation” (F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 111).
46 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 3.
47 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., loc. cit.
48 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 6.
49 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., no 112.
50 Pour Madame Ingrid Maria, “il serait (…) judicieux de supprimer complètement l’expression d’“incapacité de jouissance” de notre vocabulaire juridique” (I. Maria, op. cit., no 625). Cela ne signifie pas que celle-ci n’existe pas mais qu’elle répond techniquement à la structure des incapacités d’exercice. Or, s’il n’y a que des incapacités d’exercice ; il suffit d’utiliser un seul terme : l’incapacité. Pour d’autres auteurs encore, “(…) cette différenciation n’a que des conséquences pratiques limitées et sa valeur est essentiellement descriptive” (I. Maria, ibid., no 8).
51 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., no 207.
52 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, op. cit., no 119.
53 F. Zénati-Castaing et Th. Revet, ibid., no 207.
54 I. Maria, op. cit., no 401.
55 I. Maria, op. cit., no 624.
56 I. Maria, ibid., loc. cit.
Auteur
Docteur en droit privé, Université Toulouse 1 Capitole, IEJUC
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