La relativité du temps consumériste
p. 175-184
Texte intégral
1. Trop de lois, de règlements et d’arrêtés ; rythme trop rapide ; absence de recul ; changements incessants et irréfléchis... Combien ces formules semblent s’appliquer à merveille au droit de la consommation ! S’il est une législation marquée par l’instabilité normative, le perpétuel mouvement c’est bien celle-là. Lorsque Portalis, dans le Discours préliminaire au Code civil, énonçait que “les codes des peuples se font avec le temps, à proprement parler on ne les fait pas”, il visait bien entendu la législation civile, qui s’inscrit dans un temps naturellement long car il s’agit d’un droit structurant. Une telle approche ne semble que difficilement pouvoir s’appliquer au droit de la consommation qui, au contraire, s’inscrit dans une échelle de temps plus courte : comme il s’agit du droit du quotidien, il n’est pas étonnant qu’il cherche à s'adapter à lui, et à évoluer en même temps que lui. Plus qu’un droit de l’action et de la structuration, c’est un droit de la réaction et de la protection. Contrairement à la législation civile, la règle consumériste n’est pas le fruit d'une lente maturation ou d'une décantation, mais s’inscrit davantage dans l’instantanéité, dans la recherche d’un résultat concret et immédiatement applicable : plus que de principes, le législateur consumériste est à la recherche de solutions.
Le temps consumériste apparaît par conséquent court, et cela semble être conforme à sa nature. Pourtant, cette approche du temps consumériste n’estelle pas elle-même sujette à discussion ? Comme pour le temps lui-même, le temps consumériste dépend avant tout du point de vue de son observateur. Pour reprendre une formule attribuée à Albert Einstein : “placez votre main sur un poêle une minute et ça vous semble durer une heure. Asseyez-vous auprès d’une jolie fille une heure et ça vous semble durer une minute. C'est ça, la relativité !” Ainsi, et paradoxalement, si le temps consumériste semble de prime abord court, voire très court et au rythme syncopé, il ne l’est peut-être pas tant que cela. Droit paradoxal s’il en est, l’échelle du temps apparaît ici comme brève (I) et lente (II) en même temps...
I – LA BRIÈVETÉ DU TEMPS CONSUMÉRISTE
2. De prime abord, rien ne semble plus périlleux, et éprouvant, que de calquer son rythme sur celui du droit de la consommation. Envisageant la question du point de vue de la norme consumériste, force est de constater qu’elle semble être en perpétuel mouvement, évolution, comme toujours insatisfaite d’elle-même. A peine publiés, les codes d'éditeurs ne sont déjà plus sur certains points à jour. Il n’y a du reste sans doute pas lieu de s’en étonner, ni même de le regretter. La norme consumériste semble par nature s’inscrire dans un temps court, et finalement avoir une durée de vie assez brève : il y a à cela des raisons, sans doute fortes, mais qui ne sont pas sans soulever parfois des difficultés, voire des paradoxes.
A – Les raisons du temps court
3. Les raisons qui expliquent l’incessante modification, le continuel renouvellement du contenu même du droit de la consommation sont de natures diverses, tout en étant à la fois internes et externes.
Les raisons internes semblent graviter autour de deux éléments : la structure et la nature de la matière d'une part, ses finalités d’autre part. La structure et la nature des dispositions consuméristes expliquent tout d’abord le rythme rapide des évolutions qui peuvent être ici constatées. Bien que le code dispose évidemment d’une partie législative, importante et elle aussi changeante, la part du règlement est ici très importante. Il est alors bien évident que la norme réglementaire peut avoir – parfois mais pas toujours – une durée de vie plus brève que celle d’une loi et en tout cas peut plus facilement être modifiée, complétée, abrogée, remplacée... Les exemples sont légions dans lesquels il faut se reporter à l’article réglementaire pour trouver les moyens concrets de mise en œuvre d’une règle posée en principe dans la partie législative. Et, au gré des évolutions, alors que le texte de loi demeure, son “vis-à-vis” réglementaire est modifié, parfois d’un mot, est remplacé par une autre disposition... ou pas. Une critique facile – sans être totalement fausse – réside dans le fait que la codification de 1993 fut à droit constant. Œuvre de compilation, elle se contenta de rassembler1 les textes existants, sans réelle réflexion quant à l'agencement de la matière et bien sûr sans en modifier le fond. La remarque est vraie, mais elle pourrait encore être accentuée : une codification à droit constant fige dans un code l’état du droit antérieur, sans le modifier. A cet égard, la codification à droit constant est rétrospective : elle fige le passé, mais pour l’avenir. Mais s’agissant du Code de la consommation, la remarque est-elle en fin de compte pertinente ? Le code actuel n’a plus grand chose à voir avec celui de 1993 et son contenu à tellement évolué que l’on pourrait presque dire que c’est une compilation à droit constant et à un instant t : en somme une compilation à droit inconstant ! Son contenu est tellement évolutif que la notion de code n’est peut être pas la plus adaptée à décrire le phénomène consumériste : il s’agirait plutôt, si l’on ose, d’une sorte d’universalité de fait, les normes entrant, sortant, se modifiant etc, seule la structure demeurant... jusqu’au jour où cette dernière est elle-même modifiée. C’est ce qui fut fait par l’ordonnance no 2016-301 du 14 mars 2016. laquelle transforma radicalement la structure du code. Nouveau code de la consommation, en quelque sorte, pour l’essentiel fruit d’une réorganisation de la matière à droit constant (mais pas seulement). Entrée en vigueur le 1er juillet 2016. la réforme apporte davantage de clarté et de structure à l’ensemble, et participe ainsi de la construction de la visibilité de la matière2.
A ces premiers éléments se surajoutent les finalités de la règle consumériste, qui expliquent en grande partie le rythme rapide de ce droit. Celles-ci, parmi sans doute d’autres, peuvent se résumer en trois propositions, qui se complètent : apporter des solutions concrètes, s’adapter à l’évolution des pratiques et parfois répondre aux réactions de certains professionnels. Ainsi, il est évident qu’apporter des réponses concrètes à des difficultés particulières implique pour le pouvoir normatif une certaine réactivité, faute de voir l’efficacité de la règle diminuer rapidement. L’obligation d’information, due par le professionnel au consommateur, est à cet égard sans doute éclairante. Si les règles générales sont posées par les premiers articles du code, d’innombrables dispositions réglementaires, propres à tel ou tel bien sou service, viennent préciser l’objet de cette information. Les produits alimentaires sont bien entendu parmi les premiers concernés et l’information se fait toujours plus précise, en raison de l’avancée des connaissances scientifiques3 ou encore d'événements médiatisés4. L’adaptation aux évolutions des pratiques commerciales est un phénomène peut-être plus profond et plus permanent en la matière et le droit de la consommation a toujours fait preuve ici d'une plus grande réactivité que la législation civile : tel fut le cas en matière de contrats à distance, par exemple, ou encore de contrats conclus hors établissement. Enfin, la réaction aux mesures de contournement prises par certains professionnels, plus rare, n’en est pas moins éclairante. Deux exemples peuvent en être donnés. D'abord dans l'adoption de l’indication géographique accordée à présent aux produits manufacturés, destinée de manière assumée à lutter contre la distribution de certains produits par des entreprises étrangères, à l’identité territoriale pourtant marquée5. Ensuite par la modification de l’article L. 215-1, dont les évolutions rédactionnelles sont intéressantes. Ce texte, relatif à la reconduction des contrats, fut adopté afin de permettre à des consommateurs de ne pas rester “captifs” de contrats à durée déterminée comportant une clause de tacite reconduction. Il impose au professionnel d’informer le consommateur, avant l’échéance du contrat, de la possibilité qu’il a de ne pas reconduire ledit contrat. Alors qu’il était prévu que l’information fût donnée par écrit, sans plus de précision, certains professionnels purent considérer que la simple mention de la “date anniversaire” du contrat sur certains documents (comme des factures) suffisait. Le texte fut alors modifié afin de répondre à cette tentative de contournement : désormais, l’information doit se faire “par lettre nominative ou courrier électronique dédiés”. Mais à toutes ces raisons internes s’ajoutent également des raisons externes.
4. Les raisons externes sont principalement liées au droit de l'Union européenne qui est devenu une source majeure du droit de la consommation français. Ainsi, au rythme propre de l’évolution du droit national s’ajoute celui du droit de l'Union, qu’il s’agisse des textes bien entendu, comme de la jurisprudence de la Cour de Justice. A première vue, cette considération n’est évidemment pas propre au droit de la consommation, même si elle est particulièrement avérée ici. De même, l’inspiration du droit de l’Union n’a que rarement été, pour le législateur français, une source pressante de réforme... A l’inverse, le temps de transposition serait plutôt un temps long... C’est en réalité d'autre chose qu’il s’agit ici. Si le droit national et le droit de l’Union furent un temps convergents en la matière, on assiste depuis quelques années à une divergence dans l'approche de la matière et dans le degré de protection accordé au consommateur. En réalité, le fossé semble se creuser de plus en plus, le droit français étant très – trop ? – protecteur du consommateur. Ainsi, les diverses réformes récentes, transposant certaines directives, eurent pour conséquence d'abaisser en quelque sorte le seuil de protection du consommateur français. Deux exemples peuvent en être donnés. Le droit français, traditionnellement, interdisait le recours aux primes, seules certaines hypothèses, circonscrites par ailleurs, étant admises. Désormais, sous l’influence du droit de l’Union, le principe fut renversé : les primes sont autorisées, dès lors qu’elles ne constituent pas une pratique déloyale6. Mais, à vrai dire, cette divergence de solutions n’implique pas nécessairement un temps court, ou un rythme rapide de réforme. Pourtant, c’est parfois le cas comme le montre le second exemple, tiré du droit des loteries. Là encore, le droit français posait un principe d’interdiction des loteries, dès lors du moins qu’elles étaient payantes. En d’autres termes, seules les loteries “gratuites”, c’est-à-dire sans versement d’une mise ou obligation de quelque nature, étaient permises, d'où le développement important des loteries dites publicitaires. Là encore, le droit de l'Union, exprimé notamment par la jurisprudence de la Cour de Justice, vint contrarier cette vision nationale en précisant qu’une telle pratique – ne figurant pas sur la liste des pratiques déloyales – ne pouvait, en elle-même, être interdite. Par nature licite, elle ne devient prohibée que si elle est, en l’espèce, déloyale. Prenant acte de cette évolution, le législateur français, par la loi du 17 mars 2014, modifia le code en insérant toute une section relative aux loteries. Loi abrogée dès le 20 décembre de la même année : l’ensemble de la section créée quelques mois auparavant étant supprimé au profit d'un article unique précisant que les loteries sont licites sauf si elles sont déloyales7 ! Ainsi, la confrontation de deux visions du droit de la consommation peut conduire à une accélération telle du droit que des dispositions à peine entrées en vigueur disparaissent...
B – Les paradoxes du temps court
5. Bien que la norme consumériste soit changeante, et à un rythme parfois effréné, il pourrait être tentant d’y voir là la marque d'une législation réactive, s’adaptant presque en temps réel, et par voie de conséquence particulièrement efficace. Cela est sans doute vrai pour partie mais, le mieux étant souvent l’ennemi du bien, ce temps court se révèle souvent, et de manière paradoxale, contreproductif. Cela apparaît notamment lorsque ce temps court est mis en perspective avec certaines des vertus souhaitées de ce droit. En effet, si la règle consumériste est tatillonne, précise, technique, c’est avant tout parce qu’elle doit être claire, efficace et directement applicable. Le rythme rapide, saccadé, s’accommode assez mal de la clarté ; si un texte précis présente certains avantages, notamment du point de vue de la sécurité juridique, le rythme rapide des réformes introduit inévitablement de l’insécurité, liée à l’imprévisibilité de la norme. Les conditions de la règle changent, sa substance également, mais parfois trop rapidement pour qu’elle puisse s’inscrire durablement dans les esprits : une norme éphémère ne peut marquer de son empreinte la matière à laquelle elle est destinée. De cette absence de clarté découle nécessairement une absence d’efficacité, elle aussi source d’insécurité juridique, et ce pour les consommateurs comme pour les professionnels. Le cas de l’obligation d'information – et notamment de l’obligation précontractuelle – est à cet égard typique. A chaque avancée de la technique ou des connaissances, à chaque scandale également correspond une réaction législative liée souvent à l’information. La question, qui peut être posée simplement d’un point de vue théorique, devient extrêmement complexe en pratique et il n’est pas évident, pour un professionnel, de faire le point à un moment donné sur l’ensemble des éléments informatifs qu’il doit au consommateur. Enfin, l'applicabilité elle-même de la norme consumériste est parfois mise en doute par le rythme trop rapide des réformes. Son application dans le temps peut poser des difficultés, qu’il s’agisse de dispositions particulières – comme l’exemple pris en matière de loterie – ou porteuses d'ambition plus importantes. Ainsi, l’importante loi du 17 mars 2014 – dite loi Hamon – fut accompagnée, par les services du ministère d'une sorte de vade-mecum particulièrement détaillé de l’entrée en vigueur de ses diverses dispositions. Le rétrécissement du temps conduit enfin à sacrifier toute idée de réflexion sur le sens et la portée des réformes, ainsi que sur leur devenir. A ce titre, l’exemple de l’action de groupe est particulièrement édifiant. Cantonnée à la pure sphère consumériste, et excluant de son champ d'application les dommages corporels en environnementaux, le texte prenait soin cependant de préciser qu’au terme d’une année un rapport serait établi pour faire le bilan de l’application du texte et envisager la possibilité d’une extension de son champ d'application. Avant même la remise de ce rapport, le pouvoir politique annonçait la création d'une action de groupe santé – qui prit effectivement corps dans la loi no 2016-41 du 26 janvier 20168 – ainsi que d’autres types d'actions, à la fois plus générales et en même temps plus précises, annoncées dans le projet de loi sur la Justice au XXIe siècle. Et que dire de la nouvelle codification opérée en 2016 qui, quoi que salutaire, oblige les praticiens à intégrer rapidement la nouvelle numérotation des articles ?
A bien des égards, le droit de la consommation vit à rythme effréné, et semblable au lapin rencontré par Alice, toujours courir après le temps. Pourtant, et ce n’est pas là le moindre de ses paradoxes, la norme consumériste s’inscrit également dans un temps long.
II – LES LENTEURS DU TEMPS CONSUMÉRISTE
6. Raisonner sur le temps consumériste implique non seulement de l’examiner à un instant donné, mais également de le restituer dans sa propre histoire. Si la première démarche conduit souvent à la conclusion d’une frénésie confinant parfois à l’instabilité, la seconde aboutit à des conclusions inverses, le temps paraissant ici particulièrement long. C’est que le droit de la consommation, en tant que discipline, est non seulement nouveau mais dut également émerger et s’imposer face à des corps de règles environnants particulièrement imposants, droit civil et droit des affaires en tête. Il apparaît à bien des égards comme le fruit d’une longue maturation des concepts, laquelle est encore inachevée.
A – La maturation des concepts
7. Si les solutions techniques du droit de la consommation sont précises, rapides et changeantes, en revanche les concepts sur lesquels elles reposent émergent progressivement, voire lentement. L’histoire même de ce droit s’inscrit dans celle du vingtième siècle. Presque quatre-vingt dix ans séparent la loi du 1er août 1905, relative à la répression des fraudes, et le Code de 1993. La notion même de consommateur apparat peu à peu, tout comme la structuration d’associations représentatives de leurs intérêts. La consommation de masse commença véritablement à se développer après la fin de la seconde guerre mondiale et les premières grandes lois consuméristes furent promulguées durant les années 1970-1980. Le droit contemporain de la consommation, sans cesse changeant, s’appuie donc sur un corpus qui n’est finalement lui-même que l’aboutissement d’une lente construction, laquelle n’est pas encore pleinement réalisée. A cet égard, trois remarques peuvent être formulées.
D'abord, ce n’est qu’après quelques décennies que la discipline commence à émerger et à être identifiée en tant que telle. Souvent rattachée au droit des affaires, elle eut quelque peine à s’affranchir de la tutelle de ses aînés, et le Code de la consommation à se faire une place entre le Code de commerce et le Code civil. Il est vrai qu’il y a sans doute de bonnes raisons à cela et que les premières lois “consuméristes” furent promulguées à une époque où les consommateurs... n’existaient pas en tant que tels. Lois de régulation plus que de protection9, elles étaient en réalité réclamées par les professionnels eux-mêmes, désireux de disposer d'instruments permettant de séparer le bon grain de l’ivraie. Les liens avec le droit de la concurrence étaient donc très forts, et le droit de la consommation ne s’en est jamais vraiment départi. Encore aujourd’hui, comment ne pas remarquer que certaines dispositions du code – et pas des moindres, comme l’article L. 121-2 relatif aux pratiques trompeuses – sont applicables y compris entre professionnels10 ! Si à présent certaines affinités perdurent, le droit de la consommation a cependant gagné en autonomie11. La même remarque pourrait également être faite à propos du Code civil et en particulier du droit des contrats. Cependant, les liens entre droit de la consommation et droit des obligations semblent plus profonds et en même temps plus naturels. Ensuite, même si ce droit est techniquement efficace, si ce n’est performant, il n’en demeure pas moins fragile dans ses fondements théoriques. En particulier, une théorie de la “consumérialité” reste à bâtir. Enfin, preuve d’un temps finalement assez long, certains des mécanismes emblématiques du droit de la consommation ne réussirent à s’imposer qu’au terme d’un délai assez long. Ainsi en est-il du mécanisme de lutte contre les clauses abusives : entre la création de ce système (1978) et sa rénovation (2008), trente années s’écoulèrent... De même l’avènement de l’action de groupe, nouveauté remarquée s’il en est, s’inscrit dans un cheminement intellectuel lui aussi assez long. En effet, cela fait plusieurs décennies que la question est en réalité posée et c’est à partir de 2005 que les premiers jalons furent posés : il fallut presque dix ans pour que cette idée prenne finalement corps.
B – L’immaturité des concepts
8. Plus de vingt après avoir été porté sur les fonts baptismaux12, le Code de la consommation paraît encore jeune et des questions fondamentales ne sont pas encore tranchées. Ainsi, les concepts qui fondent, et légitiment d'une certaine façon, les solutions du droit de la consommation ne sont pas encore définitivement établis. A cet égard, deux questions – l’une ancienne et l’autre plus récente – peuvent illustrer ce phénomène. La première est à la fois ancienne, connue et fondamentale, quoique non véritablement résolue : quel est le champ d'application du droit de la consommation ? A qui s’applique-t-il ? Et la question semble même être double. En effet, et en premier lieu, le Code de la consommation est applicable, dans certaines de ses dispositions, y compris aux relations entre professionnels. Fruit sans doute d’un héritage remontant à la loi de 1905. le Code ne semble pas véritablement avoir choisi entre une fonction de protection (du consommateur) et une fonction de régulation (des comportements professionnels). Sans doute mêle-t-il les deux approches et est-il difficile de séparer nettement les deux. C’est probablement pourquoi il y a dans le Code de la consommation des dispositions qui pourraient tout aussi bien figurer dans le Code de commerce (comme par exemple celle qui est relative au refus de vente13, ou aux ventes pyramidales14), de même que dans le Code de commerce en figurent certaines qui pourraient relever du Code de la consommation (comme celle qui sont relatives aux ventes au déballage15 ou aux soldes16). En second lieu, même à réserver l'application du code aux seules relations entre professionnel et consommateur, ce champ d'application est encore sujet à discussion. Pendant longtemps, les principaux acteurs du droit de la consommation n’étaient pas définis par le code. Il fallut attendre 2014 pour que la notion de consommateur soit définie, mais d'abord imparfaitement et maladroitement17, avant que l'ordonnance du 14 mars 2016 ne vienne rectifier le tir18. Le même processus eut du reste lieu s’agissant du professionnel, non évoqué lors de la réforme de 2014, puis défini en 2016. Quant au non professionnel, spécificité française, il reçut également une consécration par l’ordonnance de recodification, défini comme “toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole”. Mais toutes les questions ne sont pas encore résolues, comme celle des actes mixtes. La maturité des notions fondamentales du droit consumériste semble ainsi encore à venir...
La seconde question est peut-être plus récente, mais pas moins importante. Il s’agit de déterminer si la norme consumériste est dérogatoire, spéciale et exceptionnelle, ou au contraire de principe, générale et commune. A cette question, la réponse semble devoir être évidente : reposant sur un postulat (d’inégalité des contractants) contraire à celui du droit commun (égalité), la règle consumériste ne peut être que dérogatoire et spéciale. Pourtant, comment ne pas remarquer la diffusion des techniques de protection issues du code et qui rayonnent largement au-delà. Ainsi en est-il des délais de réflexion et de rétractation, technique qui certes n’est pas propre au droit de la consommation, mais qui en a cependant permis la promotion, ou encore de la notion de clause déséquilibrante, c’est-à-dire abusive ? Dépassant la sphère purement consumériste, voici que ce mécanisme dépasse ses frontières pour gagner le Code civil, et devenir une règle de droit commun19. Ainsi, peu à peu, le droit de la consommation devient un modèle pour les autres droits spéciaux, ce qui est déjà beaucoup, mais plus encore pour le droit commun, ce qui est considérable et doit conduire à une réflexion plus poussée sur la fonction et la valeur de ce droit. Mais il a le temps devant lui...
Notes de bas de page
1 Quoique non exhaustivement.
2 V. N. Sauphanor-Brouillaud et H. Aubry, Recodification du droit de la consommation, à propos de l’ordonnance no 2016-301 du 14 mars 2016 : JCP G 2016, 392 ; J. Julien, Le nouveau Code de la consommation, premiers regards : RLDC mai 2016.
3 Par exemple en ce qui concerne les allergènes contenus dans certains produits alimentaires : v. C. cons., art. R. 112-12 et s.
4 Comme par exemple en ce qui concerne l'origine de certains aliments, comme les viandes.
5 C’est notamment le cas des couteaux de Laguiole. V. L. Bineau, Une extension attendue de l'indication géographique protégée aux produits manufacturés : CCC 2013, étude no 3 ; D. Marie-Vivien, La protection de l'indication géographique de produits industriels et artisanaux : le choix d'un régime spécifique en question : CCC 2013, étude no 15.
6 C. cons., art. L. 121-19.
7 Autrement dit qu'elles sont licites sauf lorsqu'elles sont illicites... V. C. cons., art. L. 121-20.
8 C. sant. publ., art. L. 1143-1 et s. (à compter du 1er juil. 2016).
9 Ph. Stoffel-Munck, L’autonomie du droit contractuel de la consommation : d’une logique civiliste à une logique de régulation : RTD com. 2012.705.
10 C. cons., art. L. 121-5.
11 V., de manière générale, G. Paisant : Défense et illustration du droit de la consommation, Lexis-nexis 2015.
12 V. C. Aubert de Vincelles et N. Sauphanor-Brouillaud (dir.) : Les 20 ans du Code de la consommation, nouveaux enjeux, Lextenso 2013.
13 C. cons., art. L. 121-11.
14 C. cons., art. L. 121-15.
15 C. com., art. L. 310-2.
16 C. com., art. L. 310-3.
17 C. cons., art. préliminaire. V. G. Paisant, Vers une définition générale du consommateur dans le Code de la consommation : JCP G 2013, 589 ; G. Raymond, Définition légale du consommateur par l'article 3 de la loi no 2014-344 du 17 mars 2014 : CCC mai 2014, dossier 3.
18 Article liminaire du code, intégrant l’activité agricole parmi les activités professionnelles.
19 Issue de la réforme des contrats, opérée par l'ordonnance no 2016-131 du 10 févr. 2016 : article 1171 nouveau du Code civil.
Auteur
Professeur, Université Toulouse Capitole, IDP
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