Les revirements de jurisprudence : une production a contre-rythme ?
Étude relative aux revirements de jurisprudence de la cour de cassation
p. 89-108
Texte intégral
1Si l’on s’attarde sur les définitions données du rythme1, il en ressort l’idée d’un phénomène périodique, d’une succession d’événements réguliers avec des temps forts et des temps faibles. Le revirement de jurisprudence, quant à lui, est souvent défini comme l’“abandon”2 d’une solution, ou au contraire son “adoption”3, voire son “remplacement”, ou encore comme un “renversement de tendance dans la manière de juger”4, un “changement brutal et complet”5. Il est alors assez naturel de s’interroger : le revirement de jurisprudence, ce “changement brutal et complet”, ne pourrait-il pas être considéré comme un “temps fort” de la production jurisprudentielle, venant rompre la cadence classique de la jurisprudence ? Avant de pouvoir esquisser une réponse à cette question, il est nécessaire d’admettre au préalable deux propositions : la jurisprudence est un mode de production des règles de droit et cette production jurisprudentielle a un rythme qui lui est propre.
2Le premier postulat vise à établir la jurisprudence comme un mode de production des règles de droit6. Cette simple affirmation est source de nombreux débats, parfois encore vifs. Il faut pourtant reconnaître qu’une importante partie de la doctrine admet aujourd’hui ce pouvoir créateur. S’il n’y a pas lieu ici de revenir amplement sur cette controverse, il peut être rappelé que pour certains auteurs le juge ne crée pas de droit. Selon cette conception du rôle du juge, ce dernier ne fait que révéler la signification d’une règle préexistante et la jurisprudence est simplement déclarative. Cette vision a l’avantage de venir apporter une solution simple à la plupart des critiques que soulève le revirement de jurisprudence et qui se cristallisent autour de son effet rétroactif. En raison de la déclarativité de la norme jurisprudentielle, le revirement ne pourrait avoir d’effet rétroactif. La règle énoncée par le juge à cette occasion est supposée déjà exister, puisqu’elle “fait corps avec la règle interprétée”7. Il est difficile de ne pas reconnaître qu’aujourd’hui cette déclarativité de la norme jurisprudentielle n’est qu’une “fiction”8.
3Dans une vision pluraliste de la production normative, la loi, source formelle par excellence, n’a plus le monopole de cette création. Le juge, en particulier lorsqu’il exerce sa fonction jurisprudentielle9, crée du droit. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que les juridictions dites “supérieures” ont pris conscience de ce pouvoir créateur. La Cour de Justice de l’Union Européenne10 et la Cour Européenne des Droits de l’Homme11 se sont tour à tour reconnues ce pouvoir normatif. Au niveau interne, cette prise de conscience, semble désormais bien établie pour le Conseil d’Etat12. Concernant plus spécifiquement la Cour de cassation, ses réticences13 à se référer à sa propre jurisprudence pour motiver ses décisions sont souvent mises en avant pour lui dénier tout pouvoir créateur. Pour autant il faut remarquer qu’elle n’hésite pas à faire référence à sa propre “doctrine” dans certaines de ses décisions14, ou encore à sa puissance créatrice dans ses Rapports Annuels15, ses communiqués16, ou au sein des discours lors des audiences solennelles de début d’année judiciaire17. Que ce soit ou non à déplorer, que ce pouvoir créateur soit ou non légitime, il nous semble nécessaire de reconnaître que la jurisprudence de la Cour de cassation est bien actuellement un mode de production des règles de droit.
4Le second postulat consiste à admettre que la production jurisprudentielle a un rythme qui lui est propre. Tout revirement de jurisprudence doit nécessairement être apprécié au regard de l’ensemble des producteurs du droit. En effet, il n’est pas rare de voir un revirement de jurisprudence intervenir alors que la doctrine18 ou la pratique19 l’appelait de ses vœux. Cependant, le revirement de jurisprudence, ce “changement brutal et complet”20, se définit par rapport à “la tendance habituelle d’une juridiction à juger dans le même sens”21. Le changement doit donc être opéré par la même juridiction que celle qui avait adopté la solution précédente. Ainsi, s’interroger sur le contre-rythme d’un revirement suppose que la production jurisprudentielle ait elle-même un rythme. Si la production législative obéit assurément à un rythme tourné vers l’avenir et obéissant à celui des grandes réformes décidées par le pouvoir en place, le rythme jurisprudentiel n’a rien d’une évidence. Une juridiction n’a pas l’initiative de son discours puisque la production d’une règle de droit par le juge est soumise aux saisines faites par les justiciables et ne peut intervenir qu’au gré de cas particuliers, de litiges contingents. La Cour de cassation n’exerce donc pas sa fonction jurisprudentielle au regard d’un plan d’ensemble décidé par avance et avec un rythme choisi. Toutefois, les chiffres des cinq dernières années révèlent qu’elle est annuellement saisie d’un nombre de pourvois approchant les 30 000 et rend autant de décisions22. Le constat est alors indéniable : la jurisprudence de la Cour de cassation, en raison du flux soutenu du contentieux, se doit de suivre une certaine allure, un certain tempo.
5Il est dès lors, indispensable d’observer à quelles conditions le revirement de jurisprudence peut être considéré comme un contre-rythme au sein de cette allure plus générale de production jurisprudentielle (I), puis de s’interroger sur les effets éventuellement néfastes de ce contre-rythme et sur les remèdes qui peuvent lui être apportés (II).
I – LA RARETÉ DU CONTRE-RYTHME
6Effectuer une première étude relative à la fréquence des revirements de jurisprudence de la Cour de cassation aurait été pertinent, mais il n’en existe pas, à proprement parler, de recensement. L’inexistence d’un tel inventaire s’explique aisément. Le revirement de jurisprudence reste une notion assez floue et il est parfois délicat de déterminer si une décision constitue ou non un véritable revirement. Le Rapport Molfessis23 avait déjà mis en évidence ces difficultés de reconnaissance. Ainsi, lorsque la solution est nouvelle mais que la question ne s’était jamais posée devant la Cour de cassation, s’agit-il d’un revirement ? N’est-il pas plus judicieux de parler d’“aboutissement”24 d’une solution ou de son avènement, plutôt que de revirement ? Quid également lorsque la Cour de cassation modifie simplement le fondement juridique de sa solution25 ? A quel moment dater précisément le revirement de jurisprudence ? Comment encore distinguer le revirement de jurisprudence d’une simple divergence entre deux chambres26 ? Cette distinction est d’ailleurs d’autant plus malaisée qu’il a été récemment souligné que “les revirements [sont] essentiellement des divergences qui ont réussi”27. Au regard de tous ces questionnements, une évidence apparaît : seule la Cour de cassation serait en mesure d’établir un recensement de ses propres revirements de jurisprudence et il n’est d’ailleurs pas certain que cette possibilité soit toujours envisageable28.
7En l’absence de tout recensement, il est impossible d’évaluer la fréquence exacte des revirements de jurisprudence. Néanmoins, il apparaît nécessaire de formuler une ébauche, de donner un ordre de grandeur de la production annuelle de ce phénomène. L’idée de départ est simple : il semble raisonnable de supposer que le revirement de jurisprudence, en ce qu’il constitue une modification de l’ordre juridique établi, va susciter une réaction en doctrine. Les modes de diffusion des arrêts facilitent la connaissance par la doctrine de la jurisprudence de la Cour de cassation et même un arrêt ne faisant l’objet d’aucune publication particulière passera difficilement inaperçu au regard des nombreuses veilles juridiques effectuées. Partant de cette présomption, il suffit aujourd’hui d’associer des mots-clés dans les moteurs de recherche des éditeurs juridiques pour obtenir des résultats par année. En choisissant de combiner les termes Revirement et Cour de cassation, 254 et 180 résultats apparaissent respectivement pour les revues recensées par les bases de données LexisNexis et Dalloz29 concernant l’année 2014. En 2013, la même recherche génère 197 résultats pour LexisNexis et 202 pour Dalloz. En étendant cette recherche aux dix dernières années les résultats vont de 129 à 25430 chez Lexis Nexis et de 180 à 26731 chez Dalloz. Cependant, avec l’augmentation du nombre de revues et la possibilité de commentaires d’une même décision au sein de plusieurs d’entre elles, il semble judicieux de restreindre la recherche à une seule revue de chacun des éditeurs. Le choix d’une revue généraliste s’imposait : les revirements, en raison de la modification de l’ordre juridique qu’ils engendrent, sont les décisions les plus susceptibles d’être commentées dans les revues mêmes non spécialisées. Cette sélection implique de laisser de côté certains revirements dans des domaines très particuliers mais elle s’avère nécessaire afin de parvenir à un ordre de grandeur plus réaliste. Ainsi, durant les quinze dernières années, la combinaison des termes Revirement et Cour de cassation donne des résultats allant de 35 à 6232 pour la Semaine Juridique - Edition Générale, et de 44 à 10633 pour le Recueil Dalloz. En se concentrant sur la seule année 2013 (celle-ci ayant été qualifiée de “belle année pour les revirements”34) et sur les 52 résultats recensés dans le Recueil Dalloz, seuls dix font finalement référence à des revirements de jurisprudence de la Cour de cassation qui seraient intervenus au cours de l’année 201335. En effet, de nombreuses occurrences renvoient à des décisions antérieures à l’année 2013 ou à des décisions rendues par d’autres Cours de justice. Certains articles de doctrine font également référence à ces deux termes simplement pour regretter l’absence d’un revirement ou encore pour effectuer une étude plus large de cet outil et de ses conséquences. Si ce résultat de dix références pertinentes obtenu ne peut prétendre à une quelconque exactitude, il est possible d’en déduire un ordre de grandeur relativement fidèle à la réalité. Quelques dizaines de revirements de jurisprudence annuels, tout au plus, interviennent probablement devant la Cour de cassation. D’ailleurs, il est permis de remarquer que déjà en 1998, M. le Conseiller honoraire Chartier. Président de la Commission du rapport et des études de la Cour de cassation estimait le nombre de revirements de jurisprudence à 25 “pour près de 30 000 arrêts rendus cette année là, soit moins d’un sur mille”36. Ce rapport semble être resté raisonnablement inchangé et il peut alors paraître excessif de dénoncer une forte augmentation du nombre de revirements ces dernières années.
8Si le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation est un phénomène rare, il faut souligner que le revirement de jurisprudence qualifié de contre-rythme est encore plus rare. En effet, pour qu’un revirement soit qualifié de contre-rythme la réunion de plusieurs conditions est nécessaire.
9La condition sine qua non pour qualifier un revirement de contre-rythme est l’existence même d’un rythme ; il faut que la Cour de cassation rende périodiquement des décisions sur la question posée. Les revirements qui interviennent après de longues années de silence vont difficilement être désignés comme des contre-rythmes. Tout au plus, certains de ces revirements peuvent être qualifiés de ruptures par rapport à un rythme plus général de production de droit extérieure à la Cour de cassation. Ainsi, une question qui connaîtrait une solution bien ancrée et régulièrement répétée devant une autre juridiction supérieure, et qui viendrait à être traitée pour la première fois par la Cour de cassation mais de façon différente, pourrait être qualifiée de solution en rupture par rapport au rythme plus général initié par l’ensemble des producteurs de droit. De même, n’est pas un contre-rythme mais plutôt une rupture de rythme, une décision relative à des faits jamais soulevés devant la Cour de cassation mais dont la solution est ressentie comme une dissonance avec une position prise précédemment concernant des faits analogues. Un arrêt de la chambre criminelle de 201437 prononçant la nullité de la sonorisation des locaux durant la garde à vue d’un suspect a, par exemple, pu être qualifié de revirement alors que cette question n’avait spécifiquement jamais été posée à la Cour de cassation. En revanche, il est vrai qu’elle avait décidé précisément l’inverse en validant une procédure de sonorisation des locaux durant une mise en examen38. En ce sens, l’arrêt de 2014 se situe en rupture avec un mouvement plus général, cette fois interne à la Cour de cassation.
10Néanmoins, ces hypothèses de rupture de rythme rejoignent la question plus large de la délimitation de la notion de revirement. D’ailleurs, concernant l’arrêt de 2014 et la validation de la procédure de sonorisation des locaux durant une garde à vue, une circulaire du garde des Sceaux est venue préciser explicitement que cette décision ne constituait pas un revirement de jurisprudence39. L’existence d’un rythme est ainsi une condition sine qua non du revirement de jurisprudence plus que du contre-rythme. Par contre, s’il parait difficile d’admettre qu’il y ait un contre-rythme lorsque le revirement n’intervient qu’à la suite d’une unique décision contraire prise des années plus tôt40, il faut néanmoins admettre que certaines questions ne peuvent que rarement revenir devant la Cour de cassation en raison de la spécificité des faits à l’origine du litige. Le rythme de la jurisprudence pourra alors être un rythme lent, étiré, mais un rythme tout de même.
11Une autre condition pour déterminer l’existence d’un contre-rythme est nécessaire : quand bien même la question soulevée connaîtrait un traitement régulier et constant devant la Cour de cassation, le contre-rythme ne pourra être caractérisé qu’au regard de l’ensemble des producteurs de règles de droit. Cela signifie que si le revirement de jurisprudence ne peut être qualifié qu’au regard des décisions prises par la Cour de cassation elle-même, le revirement à contre-rythme doit s’inscrire à contre-courant, non seulement des précédentes solutions de la Cour de cassation, mais également des productions normatives extérieures. En conséquence, un arrêt, qui romprait effectivement avec des solutions régulières antérieures de la Cour de cassation, mais qui aurait été rendu prévisible par des “indices externes”41, ne pourra pas être qualifié de revirement à contre-rythme. Ces indices peuvent être de plusieurs sortes : l’intervention d’un nouveau projet de loi ou d’une loi non encore applicable42, des critiques doctrinales fréquentes et unanimes de la solution précédemment acquise, un infléchissement remarqué des juridictions inférieures de leur position, ou encore une modification notable par les praticiens de leurs conduites. Dans ces circonstances, la Cour de cassation peut venir modifier la mesure de sa partition afin de s’aligner sur le mouvement impulsé par un autre producteur de droit. S’il s’agit bien d’un revirement, ce n’est en revanche pas un contre-rythme mais plutôt une mise au diapason entre les différents producteurs.
12Pour identifier un véritable contre-rythme, encore ne faut-il pas que la décision qualifiée de revirement vienne accompagner un mouvement déjà initié par la Cour de cassation elle-même. Autrement dit, il ne faut pas que la Cour de cassation ait déjà marqué le premier temps de ce changement de rythme.
13Ce sera tout d’abord le cas lorsque le revirement opère un retour à une solution plus ancienne, laquelle avait pendant un temps été remise en cause. Un arrêt de 201343 permet d’illustrer ce cas de figure. La chambre commerciale de la Cour de cassation est venue affirmer le 10 septembre 2013 qu’“un manquement à une règle déontologique, dont l’objet est de fixer les devoirs des membres d’une profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence déloyale”. Autrement dit, cette décision vient à nouveau opérer une séparation nette entre le non-respect des règles déontologiques et la faute civile. Cette distinction était clairement et régulièrement affirmée en jurisprudence par l’ensemble des chambres de la Cour de cassation jusqu’en 1997, date à laquelle la chambre commerciale de la Cour de cassation avait décidé que “les transferts de dossiers de certains clients [d’une société d’expertise comptable à une autre société] s’étaient effectués en méconnaissance des règles déontologiques de la profession d’expert-comptable, ce qui suffisait à établir que de tels agissements étaient constitutifs de concurrence déloyale”44.
14Cette solution avait d’ailleurs été réitérée à trois reprises entre 1997 et 201345. Une première remarque s’impose : il peut sembler curieux de parler de rythme en se fondant sur quatre solutions rendues en seize ans. Cependant, les faits en cause – le transfert de dossiers clientèle entre sociétés d’expertise comptable en méconnaissance des règles déontologiques – sont très spécifiques et il n’y avait aucune raison pour que ce contentieux se retrouve régulièrement devant la Cour de cassation, notamment si la solution paraissait fixée. Chaque question de droit a son propre rythme, lequel est nécessairement, comme cela a déjà été précisé, plus ou moins distendu en fonction de la particularité des faits litigieux. S’il est admis que ces quatre décisions sont révélatrices d’une certaine cadence jurisprudentielle, le revirement opéré en 2013 peut sembler, à première vue, à contre-rythme. En réalité, cet infléchissement est un retour à la solution qui était antérieurement retenue, avant 1997. Le revirement de 2013, d’ailleurs confirmé à deux reprises46 depuis, peut donc être difficilement qualifié de contre-rythme, c’est plutôt une reprise de rythme, ainsi qu’un retour à la solution antérieure qui avait été décidée.
15Il faut également évoquer l’hypothèse dans laquelle le revirement consacré est l’aboutissement d’une solution adoptée selon la technique des “petits pas”. Le revirement est alors le “temps fort” faisant suite à une succession de décisions régulières le préfigurant. A nouveau, il ne s’agit pas véritablement d’un contre-rythme mais plutôt de l’aboutissement d’un crescendo initié en amont.
16Enfin, le revirement peut intervenir à la suite de décisions connexes47, c’est-t-à-dire relatives à des questions similaires mais non parfaitement identiques. La Cour de cassation, au moment de son revirement, contribue à l’harmonie de sa jurisprudence et le rythme entourant la question soulevée n’est pas contrarié.
17Un arrêt de la chambre commerciale du 8 octobre 201348 permet d’éclairer ces deux dernières situations. Cette décision est venu préciser qu’une clause de non-concurrence prévue à l’occasion de la cession de droits sociaux est licite à l’égard des actionnaires qui la souscrivent dès lors qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace, et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. La validité d’une telle-clause de non concurrence n’est donc pas subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière49. Cet arrêt est une illustration de la politique des “petits pas” de la Cour de cassation. En effet, si cette solution constitue un revirement de jurisprudence par rapport à des positions plus anciennes de la Cour de cassation, elle avait été “murmurée”50 lors de décisions antérieures puisque quelques mois plus tôt la Cour avait été interrogée concernant des faits semblables. Une clause de non-concurrence contractée par un actionnaire à l’occasion de la cession de droits sociaux avait été censurée par une cour d’appel, non seulement en raison de son absence de limitation dans l’espace, mais également en raison de son absence de rémunération. Questionnée sur la validité de cette clause, la chambre commerciale de la Cour de cassation décide de son caractère illicite au motif que la cour d’appel avait bien relevé que cette clause n’était pas limitée dans l’espace, “abstraction faite du motif erroné mais surabondant”51 relatif à l’absence de rémunération de la clause. Par cette mention, la Cour de cassation décide bien, en creux, de la licéité d’une clause de non concurrence non rémunérée à l’égard d’actionnaires lors d’une cession de droits sociaux. L’arrêt du 8 octobre 2013 ne constitue donc qu’une confirmation de la solution suggérée le 12 février 2013. En outre, l’arrêt du 8 octobre 2013 intervient dans un contexte jurisprudentiel homogène puisque des décisions connexes permettaient également de pressentir ce revirement. En effet, un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 31 janvier 201252 avait déjà jugé licite une clause de réaffiliation non rémunérée et un arrêt de la première chambre civile du 2 octobre 201353 en avait décidé de même pour une clause signée par un mandataire d’assurance. Les faits sont certes différents mais les solutions obéissent toutes à une même logique : la rémunération de la clause de non-concurrence serait une condition de validité pour les seuls salariés ; or l’affiliation à un réseau, de même que le contrat de mandat libéral, ne s’apparente pas à une relation de travail salarié. Cette question relative aux clauses de non-concurrence et assimilées a bien connu un certain rythme ces dernières années, en étant examinées régulièrement par différentes chambres de la Cour de cassation. Pour autant, le revirement intervenu le 8 octobre 2010 ne peut être considéré comme à contre-rythme puisqu’il s’inscrit dans un mouvement d’ensemble émanant de la jurisprudence de la Cour de cassation.
18En conséquence, le revirement à contre-rythme sera celui pour lequel la jurisprudence connaissait un rythme, plus ou moins rapide selon la spécificité des faits litigieux, mais également celui qui constitue un changement brusque, véritablement inattendu, que ce soit au regard de la production normative propre de la Cour de cassation ou au regard des producteurs externes de règles de droit. Dans ces conditions, le revirement à contre-rythme ne serait-il pas, plus simplement, le revirement véritablement imprévisible pour les parties, c’est-à-dire celui qui a été tant décrié car déjouant les “anticipations légitimes des justiciables”54 ?
II – LA DISSONANCE DU CONTRE-RYTHME : CRITIQUES ET REMÈDES
19Le revirement de jurisprudence a souvent eu mauvaise presse. S’il est reconnu comme une “manifestation de la vie du droit”55, il a aussi été abondamment critiqué56 au regard du risque d’insécurité juridique qu’il engendre. La principale incrimination est celle de son imprévisibilité en raison de son caractère rétroactif. Pour autant le caractère rétroactif n’est pas propre au revirement de jurisprudence : “toute jurisprudence est par nature rétroactive, puisque la décision de justice statue nécessairement sur des actes ou faits du passé, même si elle peut avoir également vocation à en régir les conséquences futures”57. Un auteur58 a d’ailleurs pu souligner la nécessité d’une telle rétroactivité pour assurer l’efficacité de l’office du juge tant dans sa fonction juridictionnelle que dans sa fonction jurisprudentielle. La rétroactivité a même parfois pu être considérée “comme la seule solution pour que la fonction jurisprudentielle puisse produire l’effet attendu, à savoir la création de la norme applicable au cas”59. Cependant, les critiques relatives à cet effet rétroactif du revirement connaissent une certaine vigueur ces dernières années, notamment au regard d’une prise en compte toujours plus grande de la sécurité juridique, “désormais élevé[e] au rang de principe supra-législatif et de droit subjectif’60. Pourrait-on alors conclure avec le doyen HÉRON que la rétroactivité constituerait “toujours et par principe une mauvaise solution”61 ? Il semble que la réponse soit à nuancer. Si la rétroactivité est de l’essence même de la jurisprudence, celle-ci emporte parfois des effets qui ne peuvent qu’être reconnus comme néfastes, notamment lorsque la solution rendue menace la sécurité juridique en raison de son imprévisibilité. Le revirement deviendrait alors pathologique et il serait nécessaire d’y porter remède. Toutefois, cette crainte ne peut s’appliquer qu’aux revirements véritablement pathologiques, c’est-à-dire à ceux qui peuvent être qualifiés d’imprévisibles ; or cette imprévisibilité reste relativement rare si l’on s’attarde sur les critères qui permettent de la caractériser.
20Tout d’abord, il ne fait nul doute que les reproches relatifs à l’imprévisibilité du revirement de jurisprudence sont légitimes : le revirement de jurisprudence pourrait se révéler source d’insécurité juridique en imposant aux parties au litige une règle de droit dont ils ne pouvaient pas avoir connaissance. Pour autant il semble évident que ce grief ne peut être invoqué à l’encontre de l’ensemble des revirements de jurisprudence. Certains revirements peuvent être raisonnablement perçus comme prévisibles. Toutefois, une difficulté surgit immédiatement : à quel moment un revirement peut-il être considéré comme tel ? Pour répondre à cette difficulté, le Rapport Molfessis met l’accent sur la méconnaissance des anticipations légitimes des justiciables. La distinction est alors faite entre, d’une part, les revirements qui ne déjouent pas les prévisions des parties lorsque leur comportement n’aurait pas dépendu de la solution jurisprudentielle à l’époque des faits et, d’autre part, les revirements qui déjoueraient les prévisions des parties lorsque leur comportement a été ou aurait pu être orienté par la solution. Cette division semble cependant assez subtile et pourrait se révéler parfois difficile à mettre en œuvre. Ainsi, le Rapport Molfessis indique que ne déjoue pas les prévisions des parties le revirement par lequel “la Cour de cassation admet la réparation du préjudice de la concubine souffert par ricochet”62. Il est évident que cette inflexion jurisprudentielle ne déjoue par les prévisions des parties en ce sens que ces dernières se seraient abstenues par exemple de créer un préjudice. Il est, en effet vraisemblable que le comportement des parties à l’origine du préjudice n’aurait été en rien changé si elles avaient été prévenues de ce revirement. Toutefois, il n’est pas parfaitement exact de dire que ce changement de solution ne méconnait aucunement les anticipations légitimes des justiciables. Une fois le préjudice commis, il est tout à fait imaginable que le responsable, certainement assisté de son conseil, évalue les dommages et intérêts auxquels il est susceptible d’être condamné et par la suite, choisisse d’accepter ou de refuser une indemnisation extra-judiciaire qui serait négociée entre les parties. Il est également tout à fait concevable que le responsable prenne des dispositions financières différentes selon l’idée qu’il se fait du droit applicable. La distinction opérée par le Rapport Molfessis n’est pas toujours évidente à mettre en œuvre et elle vient créer une opposition qui peut sembler artificielle entre ce qu’il est ou non légitime d’espérer. Il est d’ailleurs souligné au sein même de ce Rapport que l’appréciation de la légitimité de l’anticipation ne peut être faite qu’au cas par cas et en référence à un modèle objectif : “le justiciable normalement diligent”63 ; or, le recours à ce critère d’appréciation pourrait être source de difficultés et se révéler d’une application pratique délicate.
21La critique de l’imprévisibilité du revirement de jurisprudence devrait peut-être alors être réservée aux seuls revirements véritablement à contre-rythme. Ainsi, seul un changement de position jurisprudentielle qu’il était impossible de présumer au regard de l’ensemble des discours tant internes qu’externes à la Cour de cassation serait effectivement imprévisible. Ce critère a l’inconvénient de ne pas de se défaire d’une appréciation au cas par cas de chaque revirement mais il a l’avantage d’être moins subjectif puisqu’il ne s’attache pas à l’analyse du comportement des parties. En outre, recourir à l’analyse de productions normatives extérieures à la Cour de cassation afin de caractériser l’imprévisibilité, permettrait d’éviter de qualifier excessivement certains revirements de pathologiques. En revanche, cette démarche ne permet pas de prendre suffisamment en compte le sentiment d’injustice qui peut naître chez la partie au litige qui va se voir appliquer le revirement de jurisprudence ; or, ce sentiment d’injustice est précisément ce qui a suscité la recherche de solutions pour tenter de corriger l’imprévisibilité du revirement.
22Les remèdes à cette imprévisibilité régulièrement mis en avant sont de deux types : la plupart sont des remèdes préventifs qui permettent de rendre plus prévisible le revirement, mais un remède curatif a également été proposé, qui consiste dans la modulation dans le temps des effets du revirement de jurisprudence.
23Cette dernière hypothèse a été la proposition du Rapport Molfessis qui a été le plus vivement critiquée. Les récriminations se sont essentiellement concentrées sur la violation, que constituait cette technique, des articles 4 et 5 du code civil. Surtout, la modulation dans le temps des effets du revirement de jurisprudence n’a pas été largement adoptée par la Cour de cassation. En effet, après quelques décisions remarquées64 écartant l’application de la règle à l’instance en cours, le revirement pour l’avenir n’est que très rarement admis. En outre, pour qu’il soit admis il faut que ce report dans le temps soit justifié par la protection d’une norme juridique supérieure (la Cour de cassation fonde ainsi généralement ces revirements pour l’avenir sur l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme). Remède considéré par certains comme “la solution “la moins mauvaise””65, cette modulation dans le temps des effets des revirements reste cependant exceptionnelle et ne peut donc apporter une solution générale à l’imprévisibilité du contre-rythme.
24Aux côtés de ce procédé curatif, trois remèdes préventifs sont principalement envisagés par le Rapport : l’emploi par la Cour de cassation de sa politique des “petits pas” pour l’adoption d’un revirement de jurisprudence, l’utilisation du Rapport Annuel ou encore l’usage de l’obiter dictum.
25La politique des “petits pas” de la Cour de cassation permet à cette juridiction de jeter les premiers jalons de son revirement dans une ou plusieurs décisions, avant de le consacrer définitivement. Cette technique a de nombreux avantages mais il serait impropre de la qualifier de “remède”. En effet, cette pratique est une façon de réaliser un revirement qui ne présente précisément aucun des effets néfastes des revirements dits pathologiques. Il s’agit simplement d’une modalité de revirement possible pour le juge de cassation. De plus, l’ensemble des revirements de jurisprudence ne peut être adopté de cette façon. La politique des “petits pas” implique notamment la possibilité de distiller la solution en devenir dans divers arrêts et plusieurs saisines du juge sont donc nécessaires. Il faut également que la question dont est saisie la Cour de cassation n’impose pas au juge de modifier sa solution pour trancher dès à présent et définitivement le point de droit qui posait difficulté. De plus, il n’est pas certain que ce qui est qualifié de politique des “petits pas” soit toujours une volonté affirmée de projection à long terme de la Cour de cassation. La première décision introduisant le revirement à venir ne peut être souvent interprétée qu’a posteriori comme le premier jalon posé du mouvement jurisprudentiel ; or il est possible qu’en réalité le cas d’espèce ne permettait pas à la Cour de cassation d’aller plus loin dans son raisonnement. En effet, les solutions rendues sont soumises au hasard des saisines et si la Cour de cassation peut parfois avoir une vision à long terme, il est difficile d’affirmer que ce soit toujours le cas.
26La même remarque peut d’ailleurs être effectuée pour la technique de l’arrêt blanc, “par lequel le juge opère un revirement là où l’application de la règle abandonnée aurait conduit à la même solution”66. Il n’est pas certain que la Cour de cassation se soit systématiquement saisie de cette occasion pour opérer un revirement. Il est aussi possible d’envisager qu’en présence d’une saisine faisant état de faits différents mais soulevant le même questionnement, le revirement aurait tout de même eu lieu et ce serait alors appliqué immédiatement.
27L’usage du Rapport annuel pour annoncer un revirement à venir ne s’accompagne pas de moins d’incertitudes. La publication une fois l’an du Rapport induit une première difficulté : la prévision des revirements de jurisprudence serait limitée temporellement. Il faudrait de surcroît que l’année précédant la rédaction du Rapport ait donné l’occasion aux juges du droit de s’interroger sur un revirement à venir. A nouveau, le hasard des saisines ne permettra pas toujours d’utiliser le Rapport annuel comme outil de prévision.
28Enfin, le recours à l’obiter dictum, “cette opinion que le juge livre chemin faisant”67 au sein de sa décision, est souvent invoqué comme remède aux effets néfastes des revirements de jurisprudence. L’obiter dictum est alors perçu comme un outil de prévisibilité des revirements en référence à l’usage qui en est fait en common law. Pourtant, il est impossible de transposer parfaitement l’usage fait de cet outil en common law au sein de notre droit. La common law repose en effet sur la règle du stare decisis, c’est-à-dire la règle selon laquelle une décision judiciaire créant un précédent devra être respectée et servir de fondement aux décisions ultérieures. Seule une partie de la décision est concernée par cette règle du stare decisis : la ratio decidendi. À l’inverse, l’obiter dictum ne peut constituer un précédent obligatoire. Chaque juge, en tant qu’interprète authentique, maîtrise la détermination de ce qui constitue la ratio decidendi et les obiter dicta au sein d’une décision précédemment rendue. Autrement dit, un obiter dictum peut devenir ratio decidendi lors d’un nouvel éclairage de la décision. Cela permet au juge d’affirmer que la solution choisie était déjà établie et qu’elle ne constitue donc pas un revirement. C’est ce que l’on nomme la technique du distinguishing. Ainsi, en common law, l’obiter dictum est bien plus un outil permettant de “maquiller” le revirement qu’une technique de prévisibilité de celui-ci. En raison des différences de fonctionnement de notre système juridique, l’obiter dictum ne peut jouer le même rôle dans notre droit. En revanche, il est possible d’envisager un usage différent de cet outil. L’avantage de l’obiter dictum est d’être une incise au sein même d’une décision et il pourrait donc, à ce titre, être utilisé comme une annonce de revirement à venir. Contrairement au Rapport annuel, il n’est pas nécessaire que la décision fasse l’objet d’une publication particulière, ni d’attendre une année entière pour être informé de l’intention de modifier la solution acquise en jurisprudence. L’obiter dictum présente indéniablement des avantages. Cependant, pour pouvoir lui attribuer une telle fonction, une meilleure connaissance et une meilleure lisibilité de cet outil est nécessaire ; or le recours encore rare à ce procédé par la Cour de cassation n’a pas permis une véritable prise de conscience de ses potentialités. En outre, une partie des critiques relatives au Rapport annuel et à la politique des “petits pas” peut également être adressée à l’obiter dictum : le hasard des saisines ne permet pas de le considérer comme un remède systématique aux répercussions néfastes des revirements.
29Au regard de l’impression d’insatisfaction laissée par ces différentes propositions de remède, il est peu probable que les effets pathologiques du revirement puissent être de façon certaine et constante atténués. Toutefois, il n’est pas nécessairement souhaitable de vouloir tendre à tout prix vers une absolue prévisibilité. Le changement de mesure, le contre-rythme en jurisprudence n’est, en définitive, qu’une “manifestation de la vie du droit”68 qu’il faut également parfois chercher à préserver. Une alternative à la protection de la sécurité juridique pourrait alors être recherchée par une motivation renforcée des décisions de la Cour de cassation et spécifiquement de ces revirements qui permettrait une meilleure compréhension et une meilleure acceptation de ceux-ci. Une Commission de réflexion sur la motivation des arrêts a été lancée au sein même de la Cour de cassation en octobre 2014 et a ouvert ses travaux en septembre 2015. Les premiers axes de réflexion dégagés vont dans le sens d’une prise en compte accrue des exigences de sécurité juridique et de prévisibilité de la jurisprudence, et envisagent “une motivation enrichie pour les affaires les plus importantes”69 “motivation enrichie” dont pourraient éventuellement faire l’objet les revirements de jurisprudence.
Notes de bas de page
1 Notamment si l’on s’attarde sur le terme de rythme dans sa définition en terme de musique, voir par exemple : P. E. Littré et supplément J. Baudenau et C. Morhange-Begue (dir.). Dictionnaire de la langue française, 1999, vo Rythme–Déf. 3e : “Système des durées des sons ; succession régulière des sons forts et des sons faibles” ; Trésor de la langue française informatisé – voRythme – Déf. B. 3e : “Ordre et proportion des durées, longues ou brèves, dont l’organisation est rendue sensible par la périodicité des accents faibles ou forts” ; P. Robert (dir.), Le Grand Robert de la langue française : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 1989, vo Rythme – Déf. 2e, “Retour périodique des temps forts et des temps faibles, disposition régulière des sons musicaux (du point de vue de l’intensité et de la durée) qui donne au morceau sa vitesse, son allure caractéristique”.
2 G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 7e ed., PUF, coll. “Quadrige Dicos Poche”, 2005, vo Jurisprudence (revirement de –) : “abandon par les tribunaux eux mêmes d’une solution qu’ils avaient jusqu’alors admise ; adoption d’une solution contraire à celle qu’ils consacraient : renversement de tendance dans la manière de juger”.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 J.-F. Casile, “Retour sur les conditions d’existence du revirement de jurisprudence en droit privé”, RRJ 2004-2 (vol. I), p. 639 : “le revirement se définit comme un changement brutal et complet dans la tendance habituelle d’une juridiction à juger dans le même sens”, cité par C. Malpel-Bouyjou, L’office du juge judiciaire et ta rétroactivité. Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. 134, p. 326.
6 Si les termes de “règle de droit” et de “norme” sont parfois distingués (v. notamment : C. Thibierge, “Sources du droit, sources de droit : une cartographie”, in Mélanges Jestaz, Dalloz 2006, p. 533), le terme de “norme” englobant celui de “règle de droit”, nous les considérerons, pour des raisons de simplicité, comme synonymes dans le cadre de cette étude.
7 C. Malpel-Bouyjou, op. cit., p. 17, § 29.
8 Ibid, p. 319, § 573.
9 Cette fonction est traditionnellement distinguée de la fonction juridictionnelle du juge, laquelle consiste à trancher le litige selon les règles de droit en vigueur ; V notamment : C. Malpel-Bouyjou, op. cit;, p. 16 et s.
10 V. notamment C.J.C.E., 13 juillet 1972, Commission c/ Italie, 48/71 ; et l’article de J. Boulouis, “À propos de la fonction normative de la jurisprudence, remarques sur l’œuvre jurisprudentielle de la Cour de justice des Communautés européennes”, in Mélanges offerts à M. Waline, t. 1, 1974, p. 149, LGDJ.
11 Si la Cour fait régulièrement référence à ses précédents dans ses décisions, elle a également récemment clairement affirmé “l’obligation pour le juge national d’assurer, conformément à son ordre constitutionnel et dans le respect du principe de sécurité juridique, le plein effet des nonnes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour”, CEDH, Gr. Ch. 7 février 2014, Fabris c/ France, § 75 ; cité par P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, 3e ed., p. 297.
12 CE ass., 6 avril 1998, Tête et Association de sauvegarde de l’Ouest lyonnais ; JCP G 1998, II, 10109, note P. Cassia ; AJDA 1998, p. 458, note F. Raynaud. V. notamment de façon plus large sur le sujet : M. Deguergue, “La jurisprudence et le droit administratif : une question de point de vue”, AJDA 2005, p. 1313 ; G. Teboul, “Quelques brèves remarques sur la création du droit par le juge administratif dans l’ordre juridique français” in Mélanges en l’honneur de G. Conac. Le nouveau constitutionnalisme, Economica, 2001, p. 209 et s.
13 Civ. 2e, 19 décembre 1967, Bull. civ. II, no 393 : “toute décision judiciaire doit être motivée et se suffire à elle-même” ; Civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. civ. III, no 101 : “pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer d’après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence à des causes déjà jugées” ; et plus récemment : Civ. lre, 27 juin 2006, no 05-13.337 “ne pouvait être invoquée comme cause d’une erreur de droit susceptible de justifier la nullité d’un contrat, une décision judiciaire rendue, entre d’autres parties” ; RTD civ. 2006, p. 761, obs J. Mestre et B. Fages.
14 V. par ex. : Soc. 27 octobre 1999, no 98-44.627, 98-44.674, 98-44.679 : “la cour d’appel, [...], n’a fait que se conformer à la doctrine de la Cour de Cassation” ; V. également la référence à une “jurisprudence nouvelle” in Ass. plé. 24 janvier 2003, Bull. A.P. no 2 et no 3. Plus récemment, des décisions de la Cour de cassation, traduisant une évolution dans sa tradition rédactionnelle, ont fait explicitement référence à la jurisprudence de la Cour de cassation, que ce soit à l’occasion d’avis (Cass., avis, 4 janv. 2016, no 16001 ; et Cass., avis, 29 fév. 2016, no 16002), ou à l’occasion d’arrêts (Civ. 1er, 6 avis 2016, no 15-10.552 ; et com. 22 mars 2016, no 14-14.218.
15 V par exemple : Rapport annuel 2006, p. 148 : “l’œuvre du législateur n’a pas diminué pour autant l’inspiration à la fois créatrice et protectrice de la Cour de cassation”, ou encore : Rapport annuel 2013, p. 509 : “Dans sa fonction de création prétorienne du droit, la Cour de cassation précise les éléments qui caractérisent l’interdépendance contractuelle [...]”.
16 “comm. Soc. 10 mai 2006 et 31 mai 2006, qui font référence à des arrêts de la première chambre civile ; comm. Soc. 21 juin 2006, à "la doctrine des arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation" et à la chambre criminelle”, P. Deumier, “Les communiqués de la Cour de cassation : d’une source d’information à une source d’interprétation”, RTD civ. 2006. p. 510.
17 A ce titre, le discours prononcé par le premier président Vincent Lamanda le 9 janvier 2014 est particulièrement éclairant : “D’interprète, le juge devient créateur. Après un demi-siècle d’immobilisme, la Cour de cassation, au sein de laquelle siègent alors d’anciens députés ou sénateurs, endosse, à de nombreuses reprises, les habits du législateur pour édicter des solutions que les juridictions respecteront à l’égal de la loi : responsabilité objective, abus du droit, enrichissement sans cause, régime de la personnalité morale, principes du droit international privé”.
18 Pour un exemple récent : Soc., 13 février 2013, no 12-19.662 ; et notamment l’article de F. Petit, “Désignation du représentant de la section syndicale : un revirement attendu”, Droit social 2013, p. 376.
19 Pour un exemple issu de la pratique notariale : la pratique du legs de residuo a d’abord été une pratique notariale avant d’être consacrée par la jurisprudence (Req. 8 mai 1899, DP 1900. 1. 68, S. 1901. 1. 68; Req. 28 juill. 1903, DP 1905. 1. 425, note P. M., S. 1904. 1. 87; Civ. lre, 17 nov. 1971, Bull. civ. I, no 72, D. 1972. 133, note A. Breton ; Defrénois 1972. 906, note A. Breton), puis par le législateur (loi no 2006-728 du 23 juin 2006).
20 J.-F. Casile, op. cit;, p. 639.
21 Ibid.
22 De 2010 à 2014 les statistiques font état (hors QPC) de 28 297 à 30 619 saisines selon les aimées, et de 28 332 à 29 971 décisions rendues.
23 N. Molfessis (dir.) Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
24 N. Molfessis, “Les revirements de jurisprudence”, in La Cour de cassation et l’élaboration du droit, N. Molfessis (dir.), Economica, 2004, p. 139.
25 L’exemple des loteries publicitaires est notamment pris au sein du Rapport Molfessis : N. Molfessis (dir.) Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, op. cit., p. 45.
Le fondement juridique a été modifié à trois reprises mais toujours dans le but de sanctionner l’organisateur de ces loteries. Ainsi : Civ.2e, 3 mars 1988, no 86-17.550 retenait comme fondement la responsabilité civile délictuelle (ce qui avait un effet sensiblement différent des fondements postérieurs puisque cela ne permettait de sanctionner l’organisation de telles loteries que par la réparation du préjudice subi par le consommateur et non par la délivrance du gain promis) ; Civ.1re, 28 mars 1995, no 93-12.678 a retenu l’existence d’un engagement unilatéral ; Civ.2e, 11 février 1998, no 96-12.075 a privilégié la théorie de l’offre de gain ; et enfin Mixte, 6 septembre 2002, no 98-22.981 a consacré l’existence d’un quasi-contrat.
26 Par exemple : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation estimait en 1998 que le tuteur ne pouvait être responsable sur le fondement de l’article 1384 alinéa lre du code civil (Civ.2e, 25 février 1998, no 95-20.419), tandis que deux ans plus tard la chambre criminelle de la Cour de cassation jugeait précisément le contraire sur le même fondement (Crim. 28 mars 2000, no 99-84.075), cité par N. Molfessis, “Les revirements de jurisprudence”, op. cit;, p. 138.
27 P. Deumier, “Les divergences de jurisprudence : nécessité de leur existence, nécessité de leur résorption”. RTD civ. 2013, p. 557.
28 La Cour de cassation devrait pour cela notamment renoncer à sa politique dite “des petits pas”. En effet, si elle devait admettre dès la première décision prise qu’il s’agit d’une amorce d’un revirement de jurisprudence, cela aurait pour effet de remettre en question cette pratique qui consiste à forger une solution par touches successives. Une reconnaissance a posteriori, une fois le revirement abouti, pourrait en revanche être envisagée mais la question épineuse de la datation du revirement ne serait pas pour autant réglée.
Toutefois, la Cour de cassation n’hésite plus à signaler parfois clairement la présence d’un revirement : Y notamment Com. 8 févr. 2011, no 10-11.896 ; RTD civ. 2011, p. 494, P. Deumier ; D. 2011. p. 1314, A. Lienhard, et note N. Molfessis et J. Klein ; ibid. p. 1321, F. Marmoz ; Rev. sociétés 2011, p. 288, LeCannu ; Dr. sociétés, avr. 2011, comm. 70, M. Roussille : JCP E 2011, p. 1151, B. Dondero.
29 Ces deux éditeurs ont été choisis arbitrairement mais l’étude pourrait être poursuivie sur l’ensemble des bases de données juridiques. Les résultats reportés dans cet article ont été vérifiés à la date du 25 janvier 2015 ; ils sont susceptibles de légères modifications lors d’une recherche ultérieure en raison d’un retraitement des documents non chargés sur la base par les éditeurs.
30 Pour le détail des résultats : 219 en 2012 ; 222 en 2011 ; 252 en 2010 ; 248 en 2009 ; 253 en 2008 ; 213 en 2007 ; 233 en 2006 : 208 en 2005 ; 158 en 2004 ; 167 en 2003 ; 141 en 2002 ; 129 en 2001 et 144 en 2000.
31 Pour le détail des résultats : 207 en 2012 ; 217 en 2011 ; 213 en 2010 ; 235 en 2009 ; 239 en 2008 ; 248 en 2007 ; 261 en 2006 : 261 en 2005 ; 225 en 2004 ; 267 en 2003 ; 221 en 2002 ; 227 en 2001 et 196 en 2000.
32 Pour le détail des résultats : 60 en 2014 ; 35 en 2013 ; 48 en 2012 ; 59 en 2011 ; 49 en 2010 ; 62 en 2009 ; 55 en 2008 ; 54 en 2007 ; 50 en 2006 : 46 en 2005 ; 49 en 2004 ; 50 en 2003 ; 48 en 2002 ; 47 en 2001 et 42 en 2000.
33 Pour le détail des résultats : 44 en 2014 ; 52 en 2013 ; 68 en 2012 ; 82 en 2011 ; 75 en 2010 ; 78 en 2009 ; 76 en 2008 ; 87 en 2007 ; 89 en 2006 : 84 en 2005 ; 83 en 2004 ; 91 en 2003 ; 106 en 2002 ; 97 en 2001 et 81 en 2000.
34 J. Lemoine, “Les revirements de jurisprudence de la Cour de cassation : entre excès et déni”, JCP G 2013, 1227.
35 D. 2013. p. 439. J. Siro ; D. 2013. p. 1325. G. Rouzet ; D. 2013. p. 1603. C. Paulin ; D. 2013, p. 2363, F.-X. Lucas et P.-M Le Corre ; D. 2013, p. 2561, X. Delpech ; D. 2013, p. 2599. P. Lokiec et J. Porta ; D. 2013, p. 2729, J.-C. Hallouin ; D. 2013, p. 2741, T. Favario ; D. 2013, p. 2812, Y. Auguet ; D. 2013, p. 2936, T. Clay.
36 N. Molfessis, “Les revirements de jurisprudence”, op. cit;, p. 140.
37 Crim. 7 janvier 2014. no 13-85.246 ; D. pénal 2014. p. 17. A. Lepage ; JCP G 2014, p. 1847, M.-L. Guinamant ; RSC 2014, p. 843, J.-F. Renucci ; Gaz. Pal. 2014, p. 41, F. Fourment ; AJDP 2014, p. 194, H. Vlamynck ; D. pénal 2014, p. 12, A. Bergeaud-Wetterwald ; JCP G 2014, p. 434, A. Gallois ; Procédures 2014, p. 25, A.-S. Chavent-Leclere ; D. 2014, p. 407, E. Verges ; Gaz. Pal. 2014, p. 19, O. Bachelet ; Droit pénal 2014, p. 45, A. Maron et M. Haas ; RSC 2014, p. 130, J. Danet.
38 Crim.1er mars 2006, no 05-87.251 et Crim. 9 juillet 2008, no 08-82.091.
39 Circ. garde des Sceaux, 2 avr. 2014, CRIM-PJ no 11-51-H 11, 5 ; cité notamment par J. Pradel, D. 2014, p. 1736.
40 La notion de rythme suppose, en principe, une certaine répétition, ainsi, une seule décision ne suffira que rarement à initier un rythme.
41 A. Lacabarats, “La genèse d’un revirement de jurisprudence”, in Justice et cassation 2012, “La norme, déclin ou renouveau”, p. 57 et s.
42 Le revirement est alors qualifié de “revirement d’anticipation”, P. Malaurie et L. Aynes, Droit civil, Introduction générale, Defrénois, 2e ed., no 353.
43 Com. 10 septembre 2013, no 12-19.356 ; D. 2013, p. 2812, note Y Serra ; D. 2013, p. 2165, obs. E. Chevrier ; D. avocats 2013. 359, obs. L. Dargent ; CCC 2013. Comm. 237, note M. Malaurie-Vignal.
44 Com. 29 avril 1997, no 94-21.424 ; D. 1997. p. 459, note Y. Serra ; RTD civ. 1998. p. 218, obs. R. Libchaber ; JCP 1997. I. 4068, obs. Viney ; LPA 22 juill. 1998, note Goffaux.
45 Com. 18 avril 2000, no 97-17.719 ; Com. 22 mai 2001, no 95-14.909 ; Com. 12 juillet 2011, no 10-25.386.
46 Com. 24 juin 2014, no 11-27.450 et no 13-26.332 ; Com. 7 juillet 2015. no 14-16.307.
47 Ne sera pas évoquée ici l’hypothèse du “revirement” d’une chambre de la Cour de cassation intervenu à la suite d’une solution prise par une autre chambre de la Cour de cassation ; ce phénomène sera plutôt qualifié d’alignement de jurisprudence que de véritable revirement.
48 Com. 12 février 2013, no 12-13.726 ; D. 2013, p. 2741, note T. Favario.
49 Excepté l’hypothèse où les associés ou les actionnaires ont, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu’ils se sont engagés à ne pas concurrencer.
50 T. Favario, “Clause de non-concurrence de l’associé salarié : l’arrêt” d’après”, D. 2013, p. 2741.
51 Com. 12 février 2013, no 12-13.726 ; Bull. Joly Société 2013, p. 388, comm. B. Dondero.
52 Com. 31 janvier2012, no 11-11.071, D. 2012. 501, obs. E. Chevrier.
53 Civ. lre, 2 octobre 2013, no 12-22.846 ; D. 2013, p. 2622, note C. Bahurel.
54 N. Molfessis (dir.) Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, op. cit. ; p. 32.
55 N. Molfessis (dir.) Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, op. cit. ; p. 14.
56 notamment : P. Voirin, “Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences (à propos de l’arrêt du 18 juin 1958)”, JCP, 1959, I, 1467 ; J. Rivero, “Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle”. AJDA. 1968, p. 15 ; C. Mouly, “Les revirements de jurisprudence”, in L’image doctrinale de la Cour de cassation, La Documentation française, 1994, p. 123 ; “Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ?”, LPA 18 mars 1994, no 33 ; “Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ?”, LPA, 4 mai 1994, no 53 ; “Le revirement pour l’avenir”, JCP, 1996, I, 3776.
57 A. Lacabarats, op. cit; p. 57.
58 C. Malpel-Bouyjou, op. cit.
59 Ibid, p. 515. § 940.
60 L. Condé. “La prohibition des arrêts de règlement”. Jurisclasseur civil, Fascicule no 5, § 63.
61 J. Heron, Principes du droit transitoire, Dalloz, 1996, no 67, p. 63.
62 N. Molfessis (dir.) Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, op.cit., p. 19.
63 Ibid, p. 21.
64 V. notamment : Civ.2e, 8 juillet 2004, no 01-10.426 ; D. 2004, p. 2956, C. Bigot ; RTD civ. 2005 p. 176. Ph. Thery ; Ass. plé. 21 décembre 2006, no 00-20.493 ; JCP G 2007, II. 10111, X. Lagarde ; D. 2007, p. 837, P. Morvan ; RTD civ. 2006, p. 72, P. Deumier.
65 C. Malpel-Bouyjou, op. cit;, § 943, p. 516.
66 L. Condé, op. cit., § 62.
67 Cornu (dir), op. cit. ; vo Obiter dictum.
68 N. Molfessis (dir.) Les revirements de jurisprudence. Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, op. cit., p. 14.
69 P. Deumier. “Repenser la motivation des arrêts de la Cour de cassation ? Raisons, identifications, réalisation”, D. 2015, p. 2022 ; la version intégrale de la conférence étant accessible sur le site de la Cour de cassation.
Auteur
ATER, Institut de Droit Privé, Université Toulouse Capitole
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