Le blocage des réformes pénales par la crise
p. 75-80
Texte intégral
1L’intitulé de cette intervention peut surprendre car dans une première approche, il apparaît dans l’histoire du droit pénal, que ce sont souvent des crises qui ont été à l’origine des réformes. Les crises que la justice pénale, les institutions répressives ont traversé, ont entraîné des réformes majeures du droit pénal, et plus particulièrement de la procédure pénale. La dernière illustration est liée à l’affaire d’Outreau, où sous l’effet d’une pression médiatique considérable et exagérée, a été dénoncée la crise de la justice pénale spécialement dans sa phase de l’instruction, alors qu’il n’y avait en réalité que des dysfonctionnements ponctuels dans le déroulement de cette procédure. Mais il n’empêche que cela a entraîné une réforme importante de la procédure pénale, notamment dans la phase de l’instruction et dans la réglementation de l’expertise.
2Cependant, ces dernières années nous assistons au phénomène inverse : de nombreux projets de réforme en matière pénale, sollicités par le Président de la République, ont été abandonnés dans le contexte de crise économique et sociale que nous connaissons mais également, parce que des affaires retentissantes ont montré que certaines réformes n’avaient peut – être pas toutes les qualités espérées. Dans ces cas, on constate que la crise a une incidence directe sur le cours des réformes pénales, sur leur aboutissement ou leur abandon.
3Depuis fort longtemps, les criminologues ont étudié les rapports entre la crise économique et la criminalité1. Les crises économiques et sociales entraînent, selon ce que les criminologues qualifient de “loi de l’articulation”, une augmentation de la criminalité et un changement de nature des actes délictueux. Le volume et la nature de la délinquance sont fonction de l’évolution des facteurs et des situations criminogènes de la société globale. Ainsi, en période de crise économique, le taux des atteintes à la propriété commises souvent avec violences, augmente. On peut identifier deux causes à cette augmentation : d’une part, la crise aggrave la situation de précarité et de marginalisation de certaines populations qui commettent donc des infractions pour se procurer des ressources ; d’autre part, la crise sert souvent de prétexte à une fraction délinquante de la population pour multiplier leurs projets criminels, se servant des désordres causés par la crise pour masquer leurs agissements. Cette seconde hypothèse se confirme notamment, en ce qui concerne la délinquance des mineurs, les jeunes délinquants s’abritant derrière des injustices sociales plus marquées en période de crise dont ils se prétendent victimes, pour expliquer le passage à l’acte2. Ces analyses sont éclairantes pour identifier les nouveaux délinquants ou les délinquants récidivistes en période de crise économique.
4Si le lien entre crise économique et sociale et criminalité est connu, celui qui pourrait exister entre les crises et le blocage des réformes pénales paraît plus novateur. D’autant plus novateur que l’impact de la crise ne touche plus les populations qui versent alors dans la délinquance, mais atteint le fonctionnement de l’Etat. Le législateur subit les conséquences de la crise qui se manifestent par une paralysie de l’élaboration de la norme pénale. Les réformes pénales sont donc bloquées par la crise (I). Cependant, le blocage des réformes pénales par la crise et l’abandon de la modification de nos règles juridiques peuvent entraîner des conséquences insoupçonnées. Nos règles de droit qui ne sont pas modifiées du fait de l’arrêt des réformes peuvent ne plus être conformes ni à nos engagements européens, ni à notre Constitution. Et l’on assiste alors à des situations où les réformes qui étaient bloquées par la crise, sont débloquées par le Droit (II).
I – LE BLOCAGE DES REFORMES PENALES PAR LA CRISE
5Les années 2007 à 2011 ont été marquées par la mise en place de multiples commissions chargées, à la demande du chef de l’Etat, de faire des propositions de réforme en matière pénale afin de rénover, moderniser et adapter notre droit aux évolutions de l’économie et de la société.
6Ces commissions ont toutes, dans les délais fixés par la lettre de mission, rendues au Président de la République et au Garde des Sceaux un rapport contenant des propositions concrètes qui devait donner lieu à des textes soumis rapidement au Parlement.
7Quatre commissions ont donc été nommées avec des missions très précises :
8La commission Coulon chargée de réfléchir à la dépénalisation de la vie des affaires. Le Président de la République avait en effet, annoncé en juin 2007 lors d’un discours prononcé devant l’université d’été du MEDEF, que la pénalisation excessive du droit des affaires constituait une source d’insécurité juridique, qui freinait l’initiative économique et l’esprit d’entreprendre et pesait sur l’attractivité économique de la France. Par conséquent, la commission Coulon était chargée de formuler des propositions destinées à limiter le risque pénal supporté par les entreprises, et d’envisager de modes de régulation plus adaptés que la sanction pénale à la vie économique. Le rapport final remis en janvier 2008, proposait en droit de sociétés, en droit financier et en droit de la consommation diverses dépénalisations, tout en conservant une sanction pénale sévère pour les comportements les plus graves, ainsi qu’un allongement des délais de prescription de l’action publique.
9La commission Guinchard était chargée de travailler sur la nouvelle répartition des contentieux et le rapport fut remis le 30 juin 2008. Il proposait un allégement des procédures dans un souci de rapidité et d’efficacité de la justice ; une dépénalisation de l’infraction de diffamation et d’injures ; le développement de la transaction pénale et l’instauration de procédures simplifiées notamment pour les infractions routières.
10La commission Varinard a remis son rapport en décembre 2008, consacré à la réforme du droit pénal des mineurs. Soixante dix propositions ont été formulées afin d’assurer une plus grande lisibilité de la justice pénale des mineurs, et de proposer des solutions nouvelles permettant d’apporter une réponse systématique mais plus adaptée à la délinquance des jeunes, avec le souci permanent de faire primer l’éducation sur la sanction. Un nouveau code pénal de mineurs devait à partir de ces propositions être élaboré avant la fin de premier semestre 2009.
11La commission Léger était chargée de proposer une réforme de la procédure pénale qui devait être mise en œuvre début 2010. Le rapport remis en juin 2009 proposait à la demande du Président de la République, la suppression du juge d’instruction et une conduite de toute la procédure par le parquet. Le rapport prévoyait également la réforme de la garde à vue, le renforcement des droits de la défense et des droits des victimes, ainsi que la réforme de la cour d’assises.
12Ces quatre rapports qui, à la lecture de leurs propositions réformaient en profondeur notre justice pénale ont donné lieu à des avant-projets de lois, parfois allant plus loin dans le processus législatif à des projets de loi, ont tous été bloqués au même moment. Quelles sont donc les raisons du blocage ? Les raisons ne sont pas les mêmes pour tous les textes, on peut créer deux catégories : les réformes abandonnées pour des raisons économiques et budgétaires en lien direct avec les conséquences de la crise économique, et celles abandonnées pour des raisons que nous qualifierons de “réalistes”.
13→ La réforme de la justice pénale des mineurs et la réforme des contentieux ont été pour l’essentiel, abandonnées pour des raisons de coût après des arbitrages budgétaires entre le Ministère de la Justice et le Ministère de l’économie et de finances. Ces réformes particulièrement coûteuses ne pouvaient être engagées à un moment où l’Etat, dans le contexte de la crise économique, cherche à faire des économies pour réduire les déficits. La justice pénale des mineurs a toujours buté sur le coût des réalisations en terme de structures, ou de personnel éducatif, et ce projet de réforme arrivait donc au mauvais moment. La même cause peut être retenue pour la réforme des juridictions.
14→ Les deux autres projets de réforme : dépénalisation et réforme de la procédure pénale ont été abandonnés pour des raisons différentes. La dépénalisation du droit des affaires paraissait incongrue dans une période de crise dont les causes sont très largement imputées au secteur financier, boursier. Dépénaliser certaines infractions financières, boursières, économiques… aurait inévitablement donné l’impression, qu’une fois encore, étaient protégés par la loi, ceux qui finalement souffraient le moins de la crise dont ils étaient en partie au moins, responsables. La confiance nécessaire en l’Etat, et en sa volonté de sanctionner les auteurs de pratiques préjudiciables à la société dans son ensemble, devait conduire à l’abandon de ce projet.
15La réforme de la procédure pénale a été enterrée par le Chef de l’Etat lui même, qui a reconnu que le chantier était bien trop important pour pouvoir faire voter une réforme avant la fin du quinquennat. En outre, en cette année 2010, la réforme de la procédure pénale n’apparaissait plus dans les priorités politiques qui se concentraient sur la sécurité, l ‘ emploi, la crise et la gestion des déficits. Le chantier était effectivement immense car il est très vite apparu que l’on ne peut pas toucher à un pan aussi important de la procédure pénale qui est la phase d’instruction, sans déséquilibrer tout le reste, ce qui impose une réforme d’ensemble qui suppose du temps et des moyens. Pour cette réforme la crise a été un obstacle, car elle a été reléguée au rang des actions non prioritaires générant des coûts beaucoup trop importants. Finalement la crise, pour cette réforme, a eu plutôt un effet positif car elle n’était pas prête. On ne peut pas se contenter de supprimer le juge d’instruction sans réformer l’ensemble de la procédure, sans réfléchir au statut du parquet. Il faut du temps, du recul… et d’ailleurs la suppression du juge d’instruction n’était pas une bonne idée, on voit dans les affaires en cours les mêmes personnes qui souhaitaient sa disparition en l’affectant de tous les vices, réclamer sa nomination pour dessaisir le parquet de la procédure.
16On peut donc constater que toutes les grandes réformes pénales que l’Etat souhaitait mettre en œuvre ont été bloquées directement ou indirectement par la crise. Cependant, cette absence de réforme conduit, du fait des évolutions juridiques, notre législation à ne plus être en conformité avec les exigences constitutionnelles et nos engagements internationaux. Le Droit va donc débloquer certaines réformes.
II – LE DEBLOCAGE DES REFORMES PENALES PAR LE DROIT
17Saisi de multiples questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la garde à vue, le Conseil a déclaré que de nombreuses dispositions du Code de procédure pénale, étaient contraires à la Constitution3. Le régime de la garde à vue de droit commun4 est déclaré inconstitutionnel car le Conseil a estimé qu’il “n’institue pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue… qu’ainsi la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peuvent plus être regardés comme équilibrés”.
18La Cour européenne des droits de l’homme a pris également position sur cette question dans l’arrêt Brusco5. Décision suivie par trois arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation6, qui s’appuyant à la fois sur la décision du Conseil constitutionnel et sur la jurisprudence de la Cour européenne, ont censuré le régime de la garde à vue dans son ensemble.
19Cette censure constitutionnelle repose sur le grief de violation des droits de la défense. Grief qui se dédouble car il concerne, tant les modalités de l’intervention de l’avocat que l’inexistence d’un droit du gardé à vue de se taire au cours des interrogatoires. S’agissant de l’intervention de l’avocat, le Conseil a relevé que les conditions dans lesquelles l’avocat intervenait, ne permettaient pas une assistance effective du gardé à vue sans justification impérative. Cette restriction des droits de la défense face aux pouvoirs croissants du ministère public dont le Conseil affirme, au détour d’une phrase, qu’il constitue une autorité judiciaire comme les magistrats du siège, contredisant ainsi la jurisprudence européenne7, devait être déclarée contraire à la Constitution.
20 S’agissant du droit de se taire du gardé à vue, la personne gardée à vue doit donc pouvoir garder le silence en ne répondant pas aux questions posées par les enquêteurs, si elle ne veut pas fournir des éléments de preuve8.
21Le Conseil rappelle qu’il n’a pas le pouvoir de proposer des modifications de la procédure pénale qui permettraient de remédier à l’inconstitutionnalité, seul le parlement dispose de cette possibilité. Prenant en compte les conséquences de sa décision sur la procédure pénale, il a considéré que l’inconstitutionnalité qui oblige le législateur à réformer notre droit, ne pouvait pas dans un souci de lutte contre la délinquance et de protection de l’ordre public, entraîner une abrogation immédiate des dispositions en cause. Le Conseil constitutionnel a considéré que l’abrogation immédiate des dispositions relatives à la garde à vue “méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ”. Par conséquent, le Conseil a décidé de reporter au 1er juillet 2011, la date de l’abrogation des textes du Code de procédure pénale censurés, ce délai laissant au législateur le temps de réformer la procédure pénale afin qu’elle soit conforme à la Constitution. La réforme de la garde à vue qui était prévue dans la réforme globale de la procédure pénale, et qui avait été reportée, est débloquée par la Conseil constitutionnel.
22Ce temps laissé au législateur pour réformer les dispositions relatives à la garde à vue a crée une situation est très particulière, car des dispositions inconstitutionnelles ont été appliquées pendant quasiment un an. Le Conseil a précisé afin d’éviter toute difficulté, que les mesures de garde à vue prises avant le 1er juillet 2011 sur le fondement des articles 62 et suivants du code de procédure pénale, ne pourront pas être contestées sur le fondement de l’inconstitutionnalité. Cependant, pendant le temps au cours duquel la réforme de la garde a été préparée, les personnes qui y ont été soumises, ont continué de soulever la nullité des procédures au regard de la jurisprudence de la CEDH9. Les gardes à vue inconstitutionnelles n’étaient pas annulables sur ce fondement, mais elles peuvent donner lieu à des condamnations prononcées contre la France au regard de la Convention européenne.
23La réforme de la garde à vue a été adoptée par la loi no 2011-392 du 14 avril 2011. Ce texte entré en vigueur le 1er juin 2011, marque une évolution théorique significative pour les libertés individuelles et les droits de la défense, tout en ne portant pas atteinte à l’efficacité des investigations. La garde à vue est encadrée par des cas qui légitiment son utilisation (art. 62-2 CPP) et doit être utilisée lorsqu’elle est l’unique moyen de garantir le bon déroulement de l’enquête. L’assistance de l’avocat peut être demandée durant toute la garde à vue par la personne qu’en fait l’objet ; et celle ci se voit indiquer qu’elle a le droit de répondre aux questions posées ou de se taire (art. 63-1 CPP).
24Au terme de ces brèves observations, il apparaît que si la crise peut bloquer les réformes pénales, et par conséquent des modifications et évolutions de notre droit, celui ci ne manque pas de ressources, sous forme de mécanismes juridiques, pour se transformer malgré la crise. L’avenir nous dira si ce constat se confirme en ce qui concerne les futures évolutions de notre droit, puisque la crise économique mondiale qui a un impact considérable sur la situation de la France, perdure.
Notes de bas de page
1 R. Gassin, Criminologie no 450 ss, 666ss. Dalloz 2003.
2 E. de Greeff, Introduction à la criminologie 1948 p. 45 ss.
3 Cons. const 30 juillet 2010 Décision no 2010-14/22 QPC D. 2010 p. 1876. A. Maron et M. Haas, L’article 61-1 de la Constitution efface les articles 62 et suivants du Code de procédure pénale. Dr. pén. 2010 com. no 113. A Macon.
4 Articles 62, 63, 63-1, 63-4 alinéa 1 à 6 et 77 du Code de procédure pénale.
5 Arrêt Brusco c/France CEDH 14 octobre 2010 cinquième section Requête no 1466/07.
6 Cass. crim 19 oct. 2010, no 10-82902 ; 10-82306; 10-82051.
7 CEDH 29 mars 2010, no 3394/03 Medvedyev c/France. J.B. Thierry, L’arrêt Medvedyev c/France du 29 mars 2010 : juge d’instruction : 1 – Parquet : 0. Dr. pén. 2010 Etudes 12. En première instance la CEDH avait affirmé que “force est de constater que le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion…, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié” CEDH 10 juillet 2008 D. 2009, 660 note J.F. Renucci ; Dr. pén. 2009 chr. 4 E. Dreyer. Dans son arrêt du 29 mars 2009 la Grande Chambre n’est pas aussi explicite mais elle rappelle toutefois que si le procureur de la République est un magistrat, il n’est pas pour autant “habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires” au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.
8 La jurisprudence européenne consacre le droit de ne pas s’incriminer soi même sur le fondement de l’article 6. Selon la cour de Strasbourg “le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6”. Ce droit de se taire est consacré par notre Code de procédure pénale dans la phase de l’instruction : l’article 116 alinéa 4 prévoit que lors de la mise en examen, le juge d’instruction avertit la personne qu’elle a le droit de se taire ou de faire des déclarations. La même disposition était prévue dans le cadre de l’enquête policière lors d’une mise en garde à vue par l’article 63-1 CPP. L’officier de police judiciaire devait informer la personne suspectée placée en garde à vue de son droit au silence. Afin de ne pas entraver les enquêtes, la loi du 18 mars 2003 a supprimé la notification de ce droit au gardé à vue, ce qui formellement libère les officiers de police judiciaire de la notification du droit, mais n’empêche pas le gardé à vue de rester muet.
9 C. Charrière-Bournazel, Garde à vue : le sursaut républicain. D. 2010 p. 1928.
Auteur
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Centre de Droit des Affaires, DELFIN (groupe de recherche sur la délinquance financière)
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