La légitimité du Conseil de prud’hommes
p. 191-205
Texte intégral
1Depuis quelques années, on parle volontiers de “crise de la justice” et de “crise du juge” dans l’organisation des pouvoirs en France ; ce phénomène est d’ailleurs protéiforme, omniprésent, sans frontières ni nationalité, et touche, en pratique, tous les domaines de la justice : civile, pénale ou encore administrative.
2Or, il semble bien que cette “crise de la justice” et du “juge” soulève, en réalité, deux questions principales, liées mais distinctes. D’abord, en effet, il est vrai qu’un premier phénomène retient l’attention, qui est celui d’une “montée en puissance de la justice”, se traduisant par une transformation de l’office même du juge, et qui conduit donc à s’interroger sur la place de l’autorité judiciaire dans l’organisation institutionnelle des pouvoirs en France. Dès lors, dans ce contexte caractérisé par un essai de redéfinition du rôle du juge, on ne saurait s’étonner qu’une seconde question suscite également l’intérêt et qui est celle de la justification, de la source, ou encore de l’origine fondatrice de ce pouvoir de juger dont disposent les magistrats1. C’est ainsi que l’on est donc conduit à s’interroger sur la “légitimité” du juge, sachant que celle-ci, objet d’un “débat qui n’a jamais cessé de hanter la pensée politique, (…) est un caractère qui s’attache à un pouvoir jugé ; elle n’est pas immanente au phénomène du pouvoir (mais) ne lui est attribuée qu’à partir du moment où il est évalué par rapport à une norme” (…), ce dont il résulte que, “sur le plan de la réflexion, toute légitimité est relative puisqu’elle reste tributaire d’une série de facteurs contingents (poids de l’histoire, degré d’évolution des mentalités…)”2. C’est ainsi, surtout, que, s’agissant du mode de désignation des magistrats le mieux à même d’assurer la qualité de la justice, se pose la question de l’opportunité de recourir ou pas à un recrutement électif, compte tenu des avantages qui sont, a priori, les siens. D’abord, en effet, ce mode de désignation permet de recruter des juges qui sont présumés avoir la confiance des justiciables ; on dit, d’autre part, que le recrutement par voie d’élection assure, au juge, une réelle indépendance par rapport au pouvoir exécutif ; enfin et surtout, on doit admettre, à la suite de M. J. Krynen, que le recours à l’élection peut être considéré comme “le seul procédé authentique de légitimation (du pouvoir de juger), en bonne logique démocratique”3.
3Or, il apparaît, dans ce contexte, que la question prud’homale présente des spécificités pour les deux raisons suivantes4. D’abord, en effet, il faut observer qu’en droit du travail, la question du pouvoir créateur du juge du travail —de son opportunité et/ou de ses éventuels excès— est davantage évoquée à propos de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qu’à propos de celle des conseils de prud’hommes5. En revanche, on sait que la question de la légitimité de la juridiction prud’homale, dont l’origine est ancienne6, reste très débattue alors même que, traduisant la volonté populaire, l’élection des conseillers prud’hommes devrait pourtant asseoir leur autorité de façon certaine et présenter, de façon générale, tous les avantages évoqués précédemment. C’est ainsi que l’on se trouve donc ici dans une situation paradoxale puisque la légitimité de la juridiction prud’homale est discutée alors même que l’élection des conseillers devrait, justement, leur conférer une dimension démocratique incontestable, même s’il est vrai qu’il “ne s’agit pas ici d’une élection par l’ensemble des citoyens mais par des groupes sociaux particuliers constitués de personnes ayant en commun un même type d’activité professionnelle”7. Une question essentielle —et récurrente— se pose donc : celle de savoir s’il convient, ou pas, de conserver cette juridiction sous sa forme élective et paritaire alors même que le droit du travail constitue, aujourd’hui, un droit complexe, essentiellement écrit, que son contentieux pose de nombreuses questions juridiques et que le nombre de recours augmente en pratique8.
4Or, il s’avère que, parmi toutes les critiques qui sont régulièrement adressées à la juridiction prud’homale9, deux d’entre elles sont particulièrement importantes puisqu’elles semblent concerner, non seulement les modalités des élections prud’homales, mais également et surtout le principe même de l’élection.
- Reproches portant, en premier lieu, sur les modalités de l’élection dès lors que certains estiment que l’élection des conseillers par deux collèges électoraux distincts et sur listes syndicales a pour conséquence de faire du conseil de prud’hommes une juridiction arbitraire et partiale, en donnant à ces élus le sentiment d’être représentants, non pas de l’ensemble du monde du travail, mais d’une catégorie ou d’une classe sociale donnée : c’est dire qu’assurant l’indépendance des juges par rapport au pouvoir exécutif, leur élection ne l’assurerait pas, en revanche, ni à l’égard des groupes socioprofessionnels dont ils sont les élus, ni à l’égard des syndicats.
- Mais reproches concernant également le principe même de l’élection puisque le fait d’évoquer l’éventuelle incompétence juridique des élus revient, au fond, à contester la présence de juges non professionnels : donc, en l’occurrence, le recours même à l’élection.
5Ces reproches sont-ils fondés ? Ou bien faut-il apprécier, au contraire, cet enracinement démocratique qui résulte de l’élection et qui traduit donc une certaine démocratisation de la justice ?
6Comme on voudrait l’établir dans un premier temps, il semble discutable de contester la légitimité du conseil de prud’hommes —issue du suffrage— et cela pour deux raisons au moins : d’une part, en effet, il est possible de relativiser les reproches d’incompétence, d’arbitraire et/ou de partialité qui sont adressés aux juges du conseil de prud’hommes et qui, selon certains, résulteraient donc du caractère élu et corporatif de cette juridiction d’exception. Par ailleurs, il semble bien que, loin d’être une institution “archaïque”, le conseil de prud’hommes constitue, en réalité, une juridiction en adéquation “avec un certain idéal moderne de justice”10 : comme on le verra, la raison en est que la philosophie prud’homale reste fondamentalement de conciliation, sans que soit pour autant nié l’incontestable déclin de la conciliation en la matière.
7Mais si, pour ces raisons, le conseil de prud’hommes constitue vraisemblablement une institution à préserver en raison de sa légitimité élective, elle n’en est pas moins une institution fragilisée et donc à parfaire, dès lors que le fonctionnement du système laisse à désirer sur certains points. Dans ces conditions, et comme on l’évoquera dans un second temps, quelles sont donc les propositions susceptibles d’être faites, non seulement pour améliorer le fonctionnement de la juridiction prud’homale mais, également et surtout, pour renforcer sa légitimité ? L’enjeu est important puisque, implicitement, la question se pose de savoir si l’élection de magistrats non professionnels est de nature à servir d’exemple dans d’autres domaines de la justice.
8Le conseil de prud’hommes : une juridiction à préserver en raison de sa légitimité démocratique (I) ; une légitimité qui, néanmoins, gagnerait à être renforcée (II) : telles sont, par conséquent, les deux questions à envisager successivement.
I — LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES : UNE INSTITUTION À MAINTENIR EN RAISON DE SA LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE
9Élue11, paritaire mais aussi conciliatrice : telle est la triple particularité de la juridiction prud’homale, dont la pertinence est cependant régulièrement contestée à cause de son caractère hybride, à mi-chemin entre une juridiction corporative et une juridiction étatique. C’est ainsi que la légitimité du conseil de prud’hommes —juridiction corporative— serait douteuse en raison d’un risque de partialité et d’insuffisante indépendance des conseillers prud’hommes ; elle le serait également à cause de leurs compétences juridiques lacunaires.
10Or, d’une part, ces critiques peuvent être relativisées (A) ; en outre, il semble bien que le rôle joué par la conciliation, dans la procédure prud’homale, peut permettre d’analyser le conseil de prud’hommes comme une juridiction “dans l’air du temps” (B).
A — Des griefs à nuancer
11Partialité et/ou arbitraire d’une part (1), incompétence juridique d’autre part (2), tels sont en effet les trois principaux reproches qui sont régulièrement adressés à la juridiction prud’homale ainsi qu’aux juges la composant et qui, cependant, méritent d’être nuancés.
12 1) S’agissant des griefs de partialité et/ou d’arbitraire souvent invoqués à l’encontre de la juridiction prud’homale, on observera, d’abord, que si le principe même de l’élection ne paraît pas ici contesté, l’existence de deux collèges électoraux suscite, en revanche, des réserves12 ; certains font valoir, en effet, que la situation de juge élu, dans une juridiction paritaire, recèle, au fond, une antinomie pour les raisons suivantes : en effet, “le bon élu ne doit-il pas défendre les intérêts de ses mandants ? Et le bon juge ne doit-il pas être impartial ? Dès lors, le conseiller prud’homme n’est-il pas condamné à être, soit un mauvais juge, soit un mauvais élu ?”13.
13Or, il s’avère que, pour deux types de raisons, ces critiques et/ou remarques peuvent être relativisées : une première raison tient au mode même de fonctionnement de la juridiction prud’homale (a) ; la seconde est relative au statut des conseillers prud’hommes (b).
14 a) Pour différents motifs, on peut estimer, d’abord, que, s’agissant de l’organisation prud’homale, l’équilibre ainsi qu’une certaine forme d’impartialité de l’institution sont, en réalité, garantis par le paritarisme en même temps que par l’intervention du juge départiteur, sachant d’ailleurs que l’intervention de celui-ci, en cas de partage des voix, n’a pas pour conséquence de rendre échevinale la juridiction prud’homale14. En effet, et comme on l’a écrit15, on peut penser que “le risque d’arbitraire et de partialité est exclu par la parité dans la composition des conseils de prud’hommes”, puisque, ce faisant, ce conseil ne peut être soupçonné d’être une juridiction protectrice des seuls intérêts salariaux ou patronaux. D’autre part, on ne saurait suspecter le juge départiteur de privilégier systématiquement une thèse, et spécialement la thèse salariale16.
15 b) Par ailleurs, outre ce premier argument relatif à l’organisation prud’homale, on peut évoquer un autre argument permettant également de relativiser les reproches de partialité et d’arbitraire adressés au conseil de prud’hommes et qui concerne, cette fois, le statut des conseillers prud’hommes17. S’agissant de ce statut, il est en effet essentiel de souligner que les conseillers prud’hommes ne sont pas, en principe, les représentants d’une organisation, comme ils ne sont pas non plus les mandataires du corps électoral. En revanche, ils sont de véritables magistrats participant à l’administration de la justice, et qui présentent, à ce titre, deux garanties au moins d’indépendance et d’impartialité, “peu important qu’ils soient élus, prêtent un serment différent du magistrat professionnel, ne portent pas de robe mais une médaille et encore bénéficient d’un statut particulier lorsqu’ils sont salariés”18. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, les conseillers prud’hommes –à l’instar des magistrats de carrière— sont soumis à toutes les obligations et charges professionnelles suivantes : récusation éventuelle en cas d’intérêt dans la contestation ou de parenté avec l’une des parties ; non-immixtion dans les pouvoirs législatif et exécutif ; obligation de juger sous peine de déni de justice ; ou bien encore, obligation de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables19, y compris les conventions collectives de travail et les usages et donc interdiction de fonder une décision en équité20.
16C’est ainsi que les conseillers prud’hommes présentent donc certaines garanties d’indépendance vis-à-vis des pressions extérieures, puisque la loi interdit, en principe, tout mandat impératif qui impliquerait l’engagement de juger dans un sens déterminé : c’est pourquoi l’acceptation d’un mandat impératif par un conseiller constitue, aux termes de l’art L 514-6 du Code du travail, une cause d’inéligibilité ou, après installation, une cause de déchéance.
17D’autres dispositifs tendent, par ailleurs à garantir l’impartialité21 des conseillers prud’hommes, et au premier chef, l’application, désormais avérée en la matière, de l’art 6 de la CEDH, aux termes duquel tout individu a droit à un procès équitable, conduit dans un délai raisonnable et devant un tribunal indépendant et impartial22. À ce propos, on sait désormais que, depuis un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 3 juillet 2001, un conseiller prud’homme ne peut plus exercer de mission d’assistance ou bien de mandat de représentation d’une partie devant le conseil dont il est membre sous peine d’annulation du jugement23 : faisant une lecture extensive de l’art L 516-3 C trav. qui circonscrit ce cumul à “la section ou, lorsque celle-ci est divisée en chambres, à la chambre” à laquelle appartient le conseiller, la Cour de cassation a ainsi mis fin aux situations ambiguës qui prévalaient jusque-là et dans lesquelles des juges pouvaient assister ou représenter les parties devant le conseil de prud’hommes auxquels, pourtant, ils appartenaient. Alors que cette question divisait les juges du fond24, la Cour de cassation vient, également et surtout, de répondre, dans deux arrêts rendus le 19 décembre 200325, à la question essentielle —au regard de l’article 6 de la CEDH— de l’impartialité du conseiller prud’homme siégeant à une instance où l’une des parties appartient à un syndicat auquel il est lui-même affilié : selon elle, en effet, “la circonstance qu’un ou plusieurs membres d’un conseil de prud’hommes appartiennent à la même organisation syndicale que l’une des parties au procès n’est pas de nature à affecter l’équilibre d’intérêts inhérents au fonctionnement de la juridiction prud’homale ou à remettre en cause l’impartialité de ses membres”, ce dont il résulte qu’une telle situation ne saurait justifier la récusation du conseiller concerné.
18 2) Mais les risques de partialité et/ou d’arbitraire ne constituent pas les seuls griefs formulés par les détracteurs de la juridiction prud’homale : on reproche également aux juges prud’homaux de ne pas toujours avoir les compétences juridiques nécessaires à l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles ; un autre reproche —d’ailleurs lié au précédent— est encore formulé, concernant les décisions prud’homales qui, selon certains, ne comporteraient pas une motivation suffisante. Or, ici encore, la réponse doit être nuancée.
19Sans doute, comme l’a relevé le Président Gélineau-Larrivet, il est possible que les décisions prud’homales ne soient pas toujours rédigées “selon les canons habituels et même soient parfois trop elliptiques tant sur le plan des faits qu’au niveau de l’analyse juridique”26. Mais ces considérations suffisent-elles à remettre en cause la légitimité élective du conseil de prud’hommes ? Trois raisons, notamment, permettent d’en douter.
20D’abord, on peut rappeler qu’il existe bien d’autres juridictions qui, à l’image des conseils de prud’hommes, sont composées de personnes issues de la société civile : tribunaux de commerce27, tribunaux paritaires des baux ruraux28, tribunaux des affaires de sécurité sociale29, ou bien jurys d’assise. On peut encore évoquer la mise en place, par la loi du 9 septembre 2002, des juges de proximité même si l’on sait que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les qualités que ces juges doivent présenter30.
21En second lieu, et toujours pour relativiser ce reproche d’incompétence, on peut évoquer le fait que le code du travail prévoit une formation juridique des conseillers prud’hommes dont le financement est assuré par l’État.
22À ce propos, il est alors certain que cette formation est courte et perfectible : d’abord en effet, un candidat n’a pas besoin de formation préalable de sorte qu’il lui suffit de remplir les conditions posées par l’article L 513-2 C Trav. pour être éligible ; par ailleurs, cette formation présente un caractère facultatif, même s’il est vrai que les employeurs sont tenus d’accorder à leurs salariés, membres d’un conseil de prud’hommes, des autorisations d’absence dans la limite de 6 semaines par mandat, sachant que la durée de l’absence ne peut dépasser deux semaines par année civile31.
23D’autre part, il est encore vrai que cette formation des conseillers prud’hommes se caractérise par une certaine hétérogénéité pour la raison suivante : est en cause le fait que cette formation peut être dispensée par des instituts spécialisés en liens avec des syndicats32, ce qui peut évidemment étonner et faire craindre, surtout, une certaine ambivalence du conseiller prud’homme, magistrat formé par un syndicat. Mais comme on l’a souligné33, on peut alors faire, à ce dernier propos, la remarque suivante : ne serait-il pas paradoxal que les partenaires sociaux soient privés de la possibilité d’intervenir dans le règlement des conflits, alors même qu’ils sont officiellement habilités à élaborer la règle de droit via la négociation collective ? D’ailleurs, c’est bien cette tendance que les Pouvoirs Publics veulent amplifier, si l’on en juge par les projets de réforme concernant le dialogue social et la négociation collective34.
24Enfin et surtout, il faut souligner que la présence de juges élus s’explique, traditionnellement, par la technicité des litiges et par l’importance que la loi attache à la conciliation. En effet, dans un domaine où les usages, les conventions collectives et les coutumes professionnelles continuent de jouer un rôle important —même s’il est vrai que le droit du travail tend à devenir un droit écrit--il semble justifié que les litiges du travail soient jugés par des professionnels ayant une bonne connaissance de ces règles particulières et qui, de plus, seront d’autant mieux placés pour proposer une conciliation qu’ils auront été élus par les justiciables. On peut évoquer, ici, l’idée d’une certaine proximité sociologique entre juges et justiciables ; cet impératif, d’ailleurs —qui s’entend plus largement en termes de facilité d’accès et de simplicité de la procédure prud’homale— justifie le recours à des règles spécifiques concernant notamment les modalités simplifiées de saisine de la juridiction, le principe de l’oralité des débats ou bien encore l’absence de représentation obligatoire des parties.
25Par conséquent, il semble possible de nuancer tous ces reproches d’incompétence, de partialité ou encore d’arbitraire qui sont si souvent formulés. Mais un autre argument peut être également évoqué au soutien de la légitimité de la juridiction prud’homale : il s’agit de son apparente adéquation avec un “certain idéal moderne de justice” se traduisant, aujourd’hui, par une faveur évidente pour les “modes alternatifs de règlement des conflits”35.
B — Une juridiction “dans l’air du temps”
26Comme on le sait, l’intervention d’un tiers, en vue de parvenir à un règlement d’accord, est classique en matière de relations de travail. En atteste le fait que, de façon générale et depuis une loi du 8 février 1995, tout juge, en application de l’article art 131-1 NCPC, a la possibilité de proposer une médiation dite “externe”36. En témoigne surtout la place que la conciliation occupe dans la procédure prud’homale même s’il est vrai, d’une part, que les exceptions au caractère obligatoire de la conciliation se sont multipliées37 et que, par ailleurs, le taux de conciliation a beaucoup baissé depuis quelques années, de sorte qu’aujourd’hui, moins de 10 % des affaires donnent lieu à procès-verbal de conciliation : comme on l’a souligné, il convient cependant de nuancer cet insuccès relatif de la conciliation ; en effet, “ces 10 % ne sont pas significatifs d’un échec de la conciliation mais simplement d’une évolution sociale de la concertation, qui fait échapper aux statistiques, car non quantifiables, les conflits réglés à l’amiable sans amorce de contentieux (…)”38.
27Or, l’on sait par ailleurs que, dans le paysage juridique, la recherche d’une solution transactionnelle constitue une préoccupation constante, et cela dans tous les domaines : en matière pénale39, administrative40 ou encore s’agissant du contentieux privé41. Dans ces conditions, il peut sembler paradoxal de décrier la conciliation prud’homale alors même que, d’une part, le législateur a souhaité renforcer la conciliation devant tout juge et à toute étape de la procédure et que, plus généralement, les modes alternatifs de règlement des litiges sont largement développés ; il faut encore tenir compte du fait que la conciliation peut se révéler indispensable dans le cas de litiges du travail survenant dans des entreprises dépourvues de toute représentation du personnel et où le conseiller du salarié peut ne pas être en mesure d’intervenir. C’est la raison pour laquelle on peut émettre l’idée que, loin de constituer une institution dépassée et/ou archaïque, le conseil de prud’hommes présente, de ce point de vue au moins, une certaine exemplarité : pour qu’il en soit réellement ainsi, encore faut-il, néanmoins, “parfaire” l’institution et essayer surtout de renforcer sa légitimité élective.
II — LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES : UNE INSTITUTION À PARFAIRE ?
28S’agissant de l’institution prud’homale, il est incontestable que le fonctionnement du système laisse à désirer sur certains points (lenteur de la procédure, notification tardive des décisions, éventuelle politisation de certains conseils de prud’hommes…), sachant d’ailleurs que l’établissement d’un point de vue objectif, au-delà des procès d’intention, n’est pas chose aisée. Étant entendu que les propositions de réforme sont nombreuses42 mais que, pour le moment, aucune n’a véritablement abouti en raison de l’attachement de tous à l’existant, et notamment au paritarisme et contre tout recours à l’échevinage, il semble alors possible de distinguer, parmi toutes ces propositions, deux voies différentes qui pourraient être empruntées pour renforcer l’institution prud’homale.
29D’abord, en effet, il est vrai que certaines propositions de réformes sont émises dans le but de prendre en compte l’évolution contemporaine du droit du travail et pour atténuer ainsi certains des dysfonctionnements de l’institution prud’homale : comme on va le voir dans un premier temps, il s’agit là, toutefois, de propositions de réforme qui sont plus ou moins modestes et/ou plus ou moins techniques, mais qui ne pourraient pas réellement renforcer la dimension démocratique du conseil de prud’hommes (A). En revanche, et si l’on veut bien admettre que la conception française de règlement des litiges du travail est finalement défendable parce que reposant sur le principe démocratique —avec toutes les conséquences en résultant, notamment, en termes de relations de confiance ainsi tissées entre juges et justiciables— c’est une autre voie qu’il faudrait emprunter pour renforcer la légitimité du conseil de prud’hommes : comme on l’évoquera dans un second temps, il s’agit de l’identification des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le très fort taux d’abstention caractérisant les élections prud’homales et qui, en fin de cause, risque de mettre en péril cette légitimité élective (B).
A — Un foisonnement de propositions de réformes
30En premier lieu, il est vrai que les propositions de réforme qui sont faites concernant l’institution prud’homale sont très diverses et plus ou moins radicales ; toutes ont pour objectif essentiel de tenir compte du développement très important du droit du travail et de sa complexification qui ont pour conséquences de requérir des juges des compétences juridiques de plus en plus étendues.
31C’est ainsi que l’on rappellera, en premier lieu, que les partisans d’une continuité de l’institution prud’homale pourraient s’accommoder d’une réforme de la formation prodiguée aux conseillers pour permettre son approfondissement43 ; et que d’autres, dans un esprit similaire, proposent des réformes concernant la procédure prud’homale (renforcement de la place de l’écrit dans une procédure en principe orale pour permettre un meilleur respect du contradictoire ; représentation obligatoire devant la Cour de cassation ; ou bien encore assistance obligatoire devant la Cour d’appel) : selon un auteur, en effet, il s’agirait là de réformes, qui, “sans opérer de bouleversement, pourraient améliorer tant le sort des justiciables que la bonne marche des juridictions”44.
32En revanche, d’autres propositions de réforme sont beaucoup plus radicales puisqu’elles conduiraient, si elles étaient adoptées, à une véritable remise en cause de la juridiction du travail.
33C’est ainsi que l’on pense, en premier lieu, aux promoteurs d’un 3ième ordre de juridiction, et au premier chef, à Pierre Laroque45, qui pourrait permettre, selon les partisans de cette solution, une spécialisation des magistrats en droit social et donc une amélioration de leurs compétences : il s’agirait ainsi de concevoir, en France, un ordre de juridiction propre à la matière sociale composé de tribunaux spécialisés ayant, au sommet, une instance suprême à compétence spécifique.
34On rappellera également que d’autres auteurs, sans aller aussi loin, se disent favorables à l’introduction de l’échevinage dans la pratique prud’homale et à la présence simultanée de juges élus au sein des chambres sociales des Cours d’appel : selon eux, en effet, l’échevinage constituerait la solution idéale pour allier compétences professionnelles et compétences juridiques ; ainsi la justice prud’homale serait-elle améliorée par la participation de magistrats de carrière46.
35Or il s’avère que, si les propositions relatives à la formation des conseillers ne peuvent que susciter l’adhésion et notamment celles tendant à instituer une formation commune et obligatoire portant, par exemple, sur les principes fondamentaux de procédure, c’est moins le cas s’agissant de ces réformes radicales que seraient la création d’une magistrature sociale ou bien encore le recours à l’échevinage.
36S’agissant d’une réforme en profondeur des juridictions sociales (type création d’une magistrature sociale), on peut d’abord douter qu’elle constitue une solution heureuse dès lors qu’elle ne pourrait qu’accroître les problèmes, déjà réels, de délimitation des frontières entre les ordres de juridiction existants. En outre, et à supposer même qu’elle soit opportune, il est patent qu’une telle solution a, en réalité, peu de chances d’aboutir pour deux motifs au moins, sans parler des très importants efforts financiers qu’elle impliquerait : en premier lieu, on peut souligner que cette solution ne tient aucunement compte du fait que des magistrats spécialisés dans le contentieux social sont, finalement, déjà à l’œuvre depuis longtemps, puisque la création de la chambre sociale de la Cour de cassation date de 1939 et celle des chambres sociales des Cours d’appel de 1958 ; la seconde réserve tient naturellement à la complexité de la solution proposée puisque la mise en œuvre de celle-ci supposerait un complet remaniement de l’organisation et un “remodelage en profondeur du profil des magistrats appelés à prendre en charge le contentieux du travail et, le cas échéant, de la sécurité sociale”47.
37Mais si, pour ces motifs, les propositions tendant à la création d’une véritable magistrature sociale ne sauraient emporter l’adhésion, on peut également douter de la réelle pertinence d’un recours à l’échevinage. D’abord, on ne saurait minimiser l’hostilité des partenaires à l’égard de cette solution, analysée comme une façon d’octroyer à leur activité juridictionnelle une place subalterne par rapport à celle qui serait impartie à un magistrat professionnel. Dans un autre registre, on peut également considérer que les débats récurrents sur l’échevinage ne sont peut-être pas d’une extrême acuité puisque, finalement, une sorte d’alliance “verticale” entre magistrats de profession et magistrats professionnels existe déjà : il semble bien d’ailleurs que cette association (donnant) “la priorité aux compétences professionnelles des juges élus, avant que, par l’appel ou la cassation, les compétences juridiques des magistrats de carrière n’aient à s’exprimer (…) repose sur un choix non seulement de magistrature, mais de justice. L’espace (ainsi) offert en première instance à la magistrature élue est celui d’une justice matérielle dont la fonction serait de conciliation, d’harmonie sociale, de résolution des conflits d’intérêts plutôt que de résolution des conflits de droits”48.
38C’est la raison pour laquelle on peut considérer qu’en définitive, la conception française de règlement des conflits du travail est donc soutenable, mais qu’il conviendrait néanmoins de renforcer la légitimité de cette juridiction élue. Or, comme on va le voir, un aspect de la question est ici essentiel : il s’agit de l’identification des moyens qui pourraient être utilisés pour lutter contre la très forte abstention aux élections.
B — La lutte contre l’abstention : un défi pour l’avenir de l’instance prud’homale
39Si l’on veut bien admettre que la légitimité de la juridiction prud’homale s’explique fondamentalement par le système électif sur lequel elle repose, et qui garantit donc sa proximité sociologique avec les justiciables, il faut reconnaître, en effet, que cette juridiction constitue aujourd’hui, et pour cette raison même, une institution fragilisée49 : preuve en est le fort taux d’abstention qui caractérise les élections prud’homales et, en dernier lieu, celles du 11 décembre 2002 ; on sait en effet que ce scrutin, destiné à élire les quelques 15 000 juges du travail, s’est caractérisé par un nouveau recul de la participation50.
40Sans doute, il est vrai que plusieurs raisons peuvent alors expliquer cette faible mobilisation, se traduisant par un taux d’abstention qui est passé de 36 % en 1979 à 67 % en 2002, et ce malgré une campagne de communication importante, dont, en 1997, la Cour des Comptes avait déjà dénoncé l’inadaptation, en raison de la faiblesse du taux de participation51.
41C’est ainsi que l’on peut d’abord évoquer des explications purement circonstancielles, au rang desquelles on peut placer la simultanéité des élections prud’homales et des élections présidentielles ; on évoque encore certains dysfonctionnements dans la préparation des élections, que des dispositifs ultérieurement adoptés ont tenté de corriger52.
42Mais on peut également et surtout faire état d’explications plus structurelles dont deux qui sont sans doute essentielles.
43D’abord, en effet, on peut évoquer, avec d’autres, une certaine méconnaissance des élections prud’homales ainsi qu’une poussée éventuelle de l’individualisme dont ces élections seraient victimes au même chef que les scrutins politiques, qu’ils soient nationaux ou locaux : cette remarque, cependant, doit être nuancée dès lors que “l’absence des agents publics fausse les résultats des élections (…), d’autant que c’est dans la fonction publique que le taux de syndicalisation est le plus élevé et que la participation est la plus forte”53.
44Mais également et surtout, on peut penser que cette abstention aux élections est en rapport avec la crise du syndicalisme, que reflète, notamment, le faible taux de syndicalisation en France. Sans doute, on ne saurait oublier ici le fait qu’il n’existe pas de monopole syndical pour la présentation des listes de candidats de sorte que le jeu électoral est, en principe, très ouvert sous réserve du caractère professionnel des listes54. Toutefois, on sait aussi que seuls les syndicats les plus importants se lancent, en pratique, dans une campagne électorale : la raison en est qu’en application de l’article R 513-32 C Trav., les listes électorales ne peuvent pas comporter “un nombre de candidats inférieur au nombre de postes à pourvoir” ; c’est la raison pour laquelle “seules les organisations ayant une implantation réelle dans la circonscription électorale” peuvent, le plus souvent, présenter des candidats ce qui réduit, d’ailleurs, “les risques de candidatures dites fantaisistes”55. Dans ce contexte, on comprend alors pourquoi les résultats des élections prud’homales sont analysés, dans le secteur privé, comme un test de représentativité des organisations syndicales interprofessionnelles56. Mais on conçoit également que l’on ne saurait —dans le même temps— trouver dans les résultats des élections prud’homales le reflet de l’état des forces syndicales et refuser de voir, dans l’abstention, le signe d’un désintérêt du corps électoral à l’égard de ces mêmes forces syndicales : c’est la raison pour laquelle on peut penser que cette abstention sanctionne, selon toute vraisemblance, une perte d’influence des syndicats auprès des salariés, notamment des cinq centrales bénéficiant d’une présomption irréfragable de représentativité57 ; allant plus loin, cette faible participation conduit à s’interroger sur l’offre syndicale et sa réception par les salariés.
45Dans ces conditions, comment lutter contre cet abstentionnisme, dès lors qu’il a pour conséquence d’ébranler la légitimité démocratique du conseil de prud’hommes sachant, d’ailleurs, que la même remarque pourrait être faite concernant les élections politiques ? Compte tenu de la diversité des causes pouvant expliquer la faible participation électorale, il semble bien que plusieurs voies pourraient et/ou devraient être suivies pour essayer de favoriser une augmentation du taux de participation.
46D’abord, le recours au vote électronique est aujourd’hui envisagé, en raison des différents avantages qu’on lui prête : allégement dans l’organisation du scrutin ; intérêt des populations particulièrement intéressées par l’outil informatique et, notamment, des 18-25 ans qui se montrent par ailleurs traditionnellement circonspects vis-à-vis de l’élection…. D’autre part, certains syndicats proposent une modification de la carte judiciaire au regard, notamment, de la densité des populations actives : l’idée est de proposer une nouvelle répartition géographique des conseils de prud’hommes en fonction des différents bassins d’emploi, afin de mieux répartir entre eux l’activité et d’améliorer ainsi leur fonctionnement. D’autres syndicats souhaitent, pour leur part, l’établissement d’une liste permanente des électeurs, gérée par les pouvoirs publics et qui se substituerait au fichier constitué par les employeurs tous les cinq ans ; les mêmes proposent d’éviter désormais toute coïncidence entre élections politiques et sociales.
47Mais puisque l’on considère que les résultats des élections prud’homales reflètent l’audience réelle des syndicats, et que le fort taux d’abstention traduit, par conséquent, une certaine désaffection à leur égard, d’autres voies doivent être explorées ; à défaut, le risque est de voir monter en puissance les critiques adressées à la juridiction prud’homale ainsi que les propositions tendant à la remise en cause de son caractère électif alors même que cette juridiction semble bénéficier d’une bonne image dans l’opinion publique.
48C’est pourquoi, dans cette logique, on peut estimer que la pertinence de l’actuel système de représentativité syndicale mérite d’être vérifiée, sachant d’ailleurs que, s’appuyant sur la Position Commune adoptée par les partenaires sociaux le 16 juillet 200158, les pouvoirs publics ont décidé de se saisir de cette question : l’heure est, en effet, à l’introduction du principe majoritaire dans le champ de la négociation collective, afin de renforcer ainsi la légitimité des accords collectifs et de ceux qui les signent, c’est-à-dire les syndicats, et spécialement les syndicats présumés représentatifs.
49Mais, également et surtout —et au-delà même de cette première question— il faut admettre que le débat relatif au taux de participation des électeurs et donc à la légitimité du conseil de prud’hommes soulève, de façon beaucoup plus générale, la question de la faiblesse des syndicats et témoigne, notamment, de leurs difficultés à appréhender les structures actuelles du monde du travail ; comme on le sait en effet, les syndicats rencontrent de multiples obstacles dans leurs tentatives de mieux impliquer une masse croissante de salariés. Ainsi en est-il du déclin des grandes entreprises traditionnelles et de l’essor corrélatif d’un secteur tertiaire sur lequel ils ont de moins en moins d’influence en raison de propositions semble-t-il, peu adaptées ; la multiplication de salariés dits “nomades” ainsi que le développement de l’emploi précaire constituent d’autres réalités dont les syndicats, aujourd’hui encore, semblent insuffisamment tenir compte.
Notes de bas de page
1 SALAS D., “Le juge dans la Cité : nouveaux rôles, nouvelle légitimité”, Justices, 1995, 181.
2 BURDEAU G., “Légalité”, Encyclopaedia Universalis, p. 413.
3 KRYNEN J., “avant-propos”, L’élection des juges, ouvrage collectif dirigé par J. Krynen, PUF, 1999. Voir aussi VARAUT J.-M., “La légitimité du juge”, La vie judiciaire, 2 mars au 3 avril 1994, p. 1.
4 De façon générale, sur la justice du travail, voir Justices, 1997-8, “rapport introductif” par LYON-CAEN G., p. 1 ; “Présentation du thème” par CADIET L. et GUINCHARD S. Sur l’originalité présentée par le droit français par rapport aux autres techniques dites “professionnelles” et “judiciaires” de règlement des conflits du travail, voir aussi PÉLISSIER J., SUPIOT A. et JEAMMAUD A, Droit du travail, Précis Dalloz, 2002, p. 1189 et s ; GP, QUÉTANT, “Conseils de prud’hommes. Regards sur les juridictions du travail en Europe”, SSL, no 1099, 25 novembre 2002, p. 6.
5 Sur cette question, voir LANGLOIS Ph., “La Cour de cassation et le respect de la loi en droit du travail”, D., 1997, 45 ; BOUBLI B., “Le pouvoir créateur du juge du travail”, RHM, 2003, 3.
6 BOUVERESSE J., “Des élections malgré tout : l’histoire mouvementée des conseils de prud’hommes”, L’élection des juges, ouvrage précité, p. 165 ; DAVID M., “L’évolution historique des conseils de prud’hommes en France”, D. Soc, 1974, p. 3.
7 Selon les termes du professeur SAVATIER J., qui observe encore que l’on “est donc en présence d’une juridiction qui, par sa composition, est de type corporatif, (sachant que) l’idée démocratique est quand même prise en compte puisque, au lieu de confier la désignation à des groupements déjà constitués (syndicats), une élection est organisée parmi tous les membres de la catégorie professionnelle, qu’ils soient syndiqués ou non syndiqués” : “Rapport de synthèse”, Le conseil de prud’hommes. “Une juridiction originale au sein de l’Europe”, Journées d’étude Poitiers, 21 mai 1999, PUF, t. 38, 2000.
8 Sans doute, il est vrai que le taux d’appels interjetés contre les décisions prud’homales est élevé, supérieur à la moyenne (en 2001, 59, 3 % des jugements rendus en premier ressort par les conseils de prud’hommes ont ainsi fait l’objet d’un appel alors que ce taux d’appel est de 15, 3 % en ce qui concerne les jugements rendus par le Tribunal de Grande Instance, 4, 7 % en ce qui concerne les jugements rendus par le Tribunal d’Instance, 12 % en ce qui concerne les jugements rendus par les Tribunaux de commerce) (source : Les chiffres-clés de la justice, octobre 2003). Il semble néanmoins discutable de déduire de ces chiffres, traduisant a priori un taux d’appel excessif, un défaut de pertinence du conseil de prud’hommes. D’abord, on peut remarquer que les décisions qui sont rendues par le juge départiteur sont aussi amplement frappées d’appel. On peut observer également que le taux d’infirmation des décisions prud’homales est conforme au taux moyen.
9 Lenteur des procédures ; inadaptation des formes du procès prud’homal aux exigences d’une justice rapide et efficace (impuissance du bureau de conciliation à remplir son rôle, mauvaise répartition des pouvoirs entre les différentes sections de la juridiction…) ; éventuels partis-pris (syndical ou patronal), voire incompétence juridique de certains juges…
10 Selon les termes de G. GIUDICELLI-DELAGE, “Exposé introductif”, Le conseil de prud’hommes, Une juridiction originale au sein de l’Europe, ouvrage précité, p. 16.
11 Les règles organisant l’élection (art L 513-1 et suiv, art R 513-1 et suiv) ont été modifiées par les lois du 9 mai 2001 et du 17 janvier 2002 ainsi que par un certain nombre de décrets, en vue des élections du 11 décembre 2002. Sur cette question, voir notamment “Les élections prud’homales”, SSL Suppl, no 1069, avril 2002.
12 On souligne ainsi qu’une nette différence apparaît entre élections prud’homales et élections politiques à l’occasion desquelles, en effet, les élus sont issus des suffrages d’un seul et même collège, ce qui révèle leur vocation à être les représentants de tous.
13 SUPIOT A., “Prud’hommes : la consécration de la réforme Boulin”, D. Soc, 1982, 595
14 En ce sens, Civ, 2ème, 26/11/1990, BC, II, no 250.
15 GÉLINEAU-LARRIVET G., “Quelques réflexions sur les conseils de prud’hommes et la procédure prud’homale”, Mélanges offerts à Pierre Drai, Le juge entre deux millénaires, 2000, Dalloz, p. 343.
16 S’agissant de la question de savoir si les conseils de prud’hommes ont souvent recours au juge départiteur, il est peu aisé de mesurer l’ampleur du phénomène car les chiffres cités sont difficiles à vérifier : on s’accorde à dire que l’intervention du juge départiteur porte sur 10 % environ des affaires et concerne les affaires les plus difficiles. C’est dire que, contrairement à ce qui est souvent évoqué, le juge départiteur intervient finalement peu souvent, sachant que cette situation est alors diversement analysée. Comme on l’a relevé, il apparaît en effet que pour certains, il s’agit là de la preuve d’un “véritable dysfonctionnement et d’une réaction d’autodéfense pour la préservation de la parité contre l’échevin et au détriment de la qualité juridique des jugements. Pour d’autres, c’est la preuve de la cohésion fonctionnelle des conseils de prud’hommes, de leur maturité” : G. GIUDICELLI-DELAGE, Exposé introductif, précité, p. 15.
17 Statut qui tient compte, en réalité, non seulement, de la qualité de juge mais aussi de l’exercice d’une activité professionnelle. On peut ainsi rappeler, de ce second point de vue, les règles suivantes concernant la protection spéciale des conseillers prud’hommes et les conditions de leur indemnisation. C’est ainsi qu’en tant que salariés, les conseillers prud’hommes titulaires d’un contrat de travail jouissent d’une protection légale destinée à garantir le respect de leurs fonctions juridictionnelles (droit de s’absenter pour aller siéger et se former ; protection contre le licenciement). Pour permettre l’exercice de ces fonctions, le code du travail a, par ailleurs, institué un mécanisme d’indemnisation sous forme de vacations horaires au bénéfice des employeurs et des retraités, et d’un maintien de la rémunération au profit des salariés siégeant pendant les heures de travail, l’État remboursant ensuite à l’entreprise le montant de ces heures (art L 514-1 C Trav).
18 Selon les termes de J.-C. JAVILLIER, Manuel de Droit du Travail, LGDJ, 1999, p. 143.
19 Art 12 NCPC.
20 On observera d’ailleurs, à la suite du professeur SAVATIER, que “le plus paradoxal est que ce rappel à l’ordre (selon lequel “l’équité n’est pas une source du droit”), figure dans un arrêt du 4 décembre 1996, à propos d’une espèce où le juge prud’homal n’avait eu recours à l’équité que sous couvert de l’art 1135 C. Civ, lequel dispose que “les conventions légalement formées obligent, non seulement à ce qui est exprimé, mais à toutes les suites que l’équité et l’usage donnent à l’obligation d’après sa nature””, Rapport de synthèse précité.
21 Sur laquelle voir, par exemple, M.-A. FRISON-ROCHE, “L’impartialité du juge”, D., 1999, 29.
22 LYON-CAEN P., “La juridiction prud’homale et l’article 6-1 de la CEDH”, RJS, 12/03, p. 936.
23 Soc. 3 juillet 2001, BC, V, no 247 ; QUÉTANT G.-P., “L’irrésistible ascension de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dans le procès prud’homal : prud’homme et défenseur, un cumul impossible”, JP Soc Lamy, no 87, 2 octobre 2001, p. 4.
24 C’est ainsi que la Cour de Grenoble a estimé que le fait qu’un conseiller prud’homme soit appelé à connaître d’une affaire concernant un syndicat auquel il est affilié devait justifier la récusation de ce conseiller : CA Grenoble, Ch Soc, 23 octobre 2002, no 02/03409, CA Grenoble, ch Soc 6 mai 2003, no 03/01197, SSL, no 1142, p. 4. À l’inverse, pour la Cour d’appel de Dijon, il ne s’agissait pas là d’une circonstance remettant en cause l’impartialité du conseil de prud’hommes : CA Dijon, Ch Soc, 25 octobre 2001, no 01/00590 ; CA Dijon, Ch Soc, 15 janvier 2002, no 04/00737.
25 Cass Soc 19 décembre 2003, no 01-16-956, D., et no 02-41-429, SSL, 5 janvier 2004, no 1150, p. 12.
26 GÉLINEAU-LARRIVET G., “Quelques réflexions sur les conseils de prud’hommes et la procédure prud’homale”, article précité.
27 Art L 413-3, COJ.
28 Art L 441-1, COJ.
29 CSS, Art L 142-4.
30 S’agissant des critères de sélection de ces juges et les références qu’ils doivent présenter, Cons. Const, 20 février 2003, Déc no 2003-466, DC, JO du 27 février 2003, p. 3480.
31 Art L 514-3 et D 514-1, C Trav.
32 S’agissant de la liste des organismes et établissements publics d’enseignement supérieur agréés au titre de l’art D 514-1, C Trav, pour assurer la formation des conseillers prud’hommes, voir Arr du 23 décembre 2002 (JO 3 janvier 2003, 131).
33 En ce sens, QUÉTANT G.-P., “Réflexions à propos d’un plaidoyer pour l’échevinage prud’homal. Retour sur le citoyen-juge du travail”, JP Soc Lamy, no 124, 27 mai 2003, 4.
34 Dialogue Social. Projet de loi, SSL, 1er décembre 2003, no 1146, p. 2.
35 S’agissant des modes alternatifs de règlement des conflits, on rappellera que l’on distingue généralement les trois hypothèses suivantes. En premier lieu, les parties peuvent s’entendre en dehors de toute intervention d’un tiers (formule de la transaction). Elles peuvent également faire appel à un tiers : médiateur ou conciliateur, qu’il s’agisse d’une conciliation judiciaire, parajudiciaire (conciliateur de justice) ou bien encore extra-judiciaire (conseiller du salarié). Une dernière possibilité peut être évoquée qui est celle dans laquelle les parties ne s’entendent pas mais sans pour autant vouloir faire appel à la justice étatique : il s’agit du recours possible à l’arbitrage. Voir RIVIER M.-C., “Les modes alternatifs de règlements des conflits en droit du travail”, Justice et travail, Justices, 1997-8, 33.
36 AUGIER B., “La médiation dans les conflits individuels du travail. Une chance pour le patronat, un piège pour les salariés ?”, DO, 1999, 225 ; BLOHORN-BRENNEUR B., “La médiation judiciaire. Vers un nouvel esprit des lois dans les conflits individuels du travail”, Gaz Pal, 2 juillet 1998.
37 En effet, les dispenses légales de conciliation sont de plus en plus nombreuses. Elles peuvent se traduire par un droit de saisine directe du bureau de jugement (ainsi, l’art L 122-3-13 C Trav dispense-t-il la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée du préalable de la conciliation). Dans d’autres hypothèses, la loi prévoit que le bureau de jugement statuera “en la forme des référés” ou bien “en urgence” : tel est le cas, notamment, en ce qui concerne certains congés spéciaux, tels que congé parental d’éducation ou sabbatique, ou bien encore s’agissant des procédures consécutives aux licenciements économiques (art L 516-5 C Trav).
38 Selon les termes de J.-J. PAGOT, “Le conseil de prud’hommes. Une juridiction originale au sein de l’Europe”, ouvrage précité, p. 24. Sur la question, voir CLÉMENT Ph. et al, “Les règlements non juridictionnels des litiges prud’homaux”, D. Soc, 1987, 55.
39 Sur la médiation en matière pénale, voir art 41-1, C Procédure pénale.
40 En ce sens, une circulaire administrative du 6 février 1995 soulignant l’intérêt du recours à la transaction en cas de litige opposant l’État à des personnes privées.
41 En effet, le contentieux privé n’échappe pas à cette préoccupation de la recherche d’une solution transactionnelle, comme en atteste l’art 21, NCPC, aux termes duquel “il entre dans la mission du juge de concilier les parties”.
42 Par exemple ORLIAC C., D. Soc, 1992, 373 ; GÉLINEAU-LARRIVET G., “Quelques réflexions sur les conseils de prud’hommes et la procédure prud’homale”, article précité. De façon plus générale, voir SUPIOT A., “L’impossible réforme des juridictions sociales”, RF Aff Soc, 1993, 91.
43 Voir, par exemple, ESTOUP P., “La question prud’homale”, Gaz Pal, 1991, 422.
44 Selon les termes de GÉLINEAU-LARRIVET G., “Quelques réflexions sur les conseils de prud’hommes et la procédure prud’homale”, article précité.
45 LAROQUE P., “Contentieux social et juridiction sociale”, Etudes et Documents du Conseil d’Etat, 1953 ; SAINT-JOURS Y., “La perspective d’on ordre juridictionnel social : utopie ou prémonition ?”, DO, 1993, 167 ; SARAMITO F., “À propos d’un ordre juridictionnel social”, DO, 1992, 199.
46 Voir par exemple, POISSONIER G. et DUHAMEL J.-C., “Plaidoyer pour l’échevinage prud’homal”, JP Soc Lamy, no 117, 11 février 2003, 4 ; QUÉTANT G.-P., “Réflexions à propos d’un plaidoyer pour l’échevinage prud’homal. Retour sur le citoyen-juge du travail”, étude précitée.
47 LE GOFF J., Droit du travail et société, “Les relations individuelles de travail”, PUR, 2001, p. 961.
48 GIUDICELLI-DELAGE G., Exposé introductif, “Le conseil de prud’hommes. Une juridiction originale au sein de l’Europe”, ouvrage précité, p. 16.
49 Sur la question, voir par exemple “Mortelles abstentions”, Le Monde Initiative, Mai 2002, p. 13.
50 C’est ainsi que, s’agissant des salariés, le taux de participation s’établit à 32, 6 % en 2002 (contre 34, 4 % en 1997). Quant au taux de participation des employeurs, et même s’il a augmenté par rapport à 1997, il reste nettement inférieur à celui des salariés : il est de 26, 6 % en 2002, contre 19, 3 % en 1997. Pour une présentation des résultats du scrutin prud’homal du 11 décembre 2002, par collège et par section, voir Liais Soc, “Législation Sociale”, 17 février 2003, no 8366, A5, 44.
51 Rapport Public, 2000, La Documentation Française, 2001, 136.
52 Ainsi, erreurs et/ou retards dans les inscriptions sur les listes électorales…
53 ARSEGUEL A. et CABANIS A., “Les élections prud’homales de décembre 2002 : une fausse stabilité ?”, ANDCP, 2003, 16.
54 Art L 313-3-1, C Trav.
55 SUPIOT A., “Les juridictions du travail”, Dalloz, 1987, no 462, p. 429.
56 En outre, ce sont les résultats aux élections prud’homales qui déterminent aujourd’hui la répartition des sièges dans les instances paritaires (conseil économique et social…).
57 Les derniers résultats de 2002 montrent que si le paysage syndical n’est pas sorti bouleversé de ces élections puisque la hiérarchie entre les cinq syndicats présumés représentatifs est maintenue, des déplacements de voix significatifs se sont produits au bénéfice des petites listes.
58 Voir sur ce point, “Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de l’approfondissement de la négociation collective”, D. Soc, 2003, 92.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Toulouse I Sciences Sociales. Chercheur au LIRHE, UMR/CNRS 5066
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