Avant-propos
p. 7-10
Texte intégral
1Le thème choisi pour ces quatrièmes journées Michel Despax a tout pour retenir durablement l’attention. “L’emploi”, sa nature, son niveau dans le pays par rapport au nombre des actifs, les conditions dans lesquelles il est trouvé et conservé, font figure d’enjeu décisif pour la société, à la fois sujet d’une actualité toujours brûlante et question au cœur des préoccupations permanentes de tous les responsables, qu’ils soient politiques ou syndicaux. En même temps, c’est un problème dont la solution est justiciable d’une grande pluralité de solutions, politiques assurément mais également économiques et en s’efforçant d’accorder à chacune la place qui lui convient, sociales bien sûr, introduisant parfois même des éléments de sociologie, voire de psychologie sociale. Il convenait que, dans ce tintamarre d’analyses et de propositions, les juristes fassent entendre leur voix et proposent leurs propres réponses, partielles sans doute mais utiles à une construction d’ensemble.
2Avec Jean Pélissier, nous nous sommes attachés à faire accourir au chevet de ce malade chronique que constitue l’emploi en France depuis une trentaine d’années, des spécialistes venus d’horizons professionnels divers, relevant des Universités bien sûr ce qui s’imposait pour de multiples raisons, ne fût-ce qu’en mémoire de celui auquel cette réunion était dédiée, mais aussi des personnalités issues de la magistrature et des divers services de l’administration économique et sociale, tels l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) ou encore un service formation de l’enseignement supérieur. Nous nous sommes également appliqués, par les sujets choisis, de privilégier une démarche fondée sur une pluralité d’approches, en mettant l’accent, dans une description qui ne pouvait pas être exhaustive, sur les aspects les plus discutés et sur les problématiques les plus actuelles. Dans cet esprit, il y a d’abord et tout naturellement les constructions juridiques qui s’efforcent de protéger l’emploi, avec la mise en cause de la théorie trop facilement brandie de “l’employeur seul juge” quant à l’appréciation des nécessités économiques contraignant au licenciement, également avec les limites à apporter à l’argument d’inaptitude pour justifier une perte d’emploi, limites liées à l’obligation mise à la charge de l’employeur d’assurer l’adaptation de ses salariés à l’évolution de leurs emplois.
3Il y a également, dans le cadre du traitement social du chômage, une tendance de plus en plus affirmée à la contractualisation des rapports entre le demandeur d’emploi et les services qui le prennent en charge, dans le cadre notamment du versement des allocations liées à l’assurance chômage ou, d’une façon qui se veut plus novatrice, à l’occasion de la mise en œuvre du “plan d’action personnalisé pour un nouveau départ” : au-delà des ambiguïtés d’un système où l’administration ne se sent que partiellement tenue par sa signature et où les clauses imposées au chômeur font figure de déclarations d’intentions plus que d’engagements fermes, l’on constate une sorte de retournement de situation, avec des conséquences juridiques inattendues pour beaucoup, telles que ce qui était prévu pour peser sur celui qui bénéficie d’une protection sociale et pour l’inciter à ne pas faiblir dans la recherche d’un emploi, pourrait être utilisé par lui pour empêcher une remise en cause unilatérale des taux, des conditions d’attribution ou -en l’occurrence-de la durée de versement des allocations. Il y a enfin -et c’est à dessein que nous l’avons placé en tête dans la succession des contributions et ici comme une sorte de conclusion-le rôle de la formation, avec le concept lourd d’une portée peut-être pas encore complètement évaluée par tous, de “formation tout au long de la vie”, avec la reconnaissance du “droit individuel à la formation”, avec surtout la “validation des acquis de l’expérience”, procédure qui invite notamment les Universités à accorder des diplômes au vu d’un parcours professionnel, avec ou même sans formation complémentaire, sans imposer le passage par les modes académiques de contrôle des connaissances et des aptitudes ; une institution à certains égards révolutionnaire.
4Il n’est pas question, dans cet avant-propos, de tenter de résumer chacune des interventions. Par la masse des données maîtrisées, par les nuances que chaque auteur apporte à l’analyse des problèmes, par la pluralité des réponses proposées pour résoudre la question à laquelle il a choisi de se colleter, les contributions ne sont guère susceptibles de synthèse. Il n’est même pas possible d’en prélever un élément, à titre d’échantillon et comme pour pratiquer une sorte de teasing, destiné à accroître la curiosité du lecteur. L’on peut tenter en revanche d’évoquer quelques thèmes communs, résultant de la comparaison des textes et révélant des préoccupations communes et des approches semblables, sinon identiques. Ainsi des réflexions liées au droit comparé : il est présent partout et il ne peut qu’en aller ainsi puisque le législateur lui-même fait appel à un certain nombre d’expériences étrangères, tirées des pays scandinaves, de Grande-Bretagne, voire d’outre Atlantique, pour tenter de résoudre les problèmes d’emploi. Pour autant, il n’est pas de solutions miracles même si la tendance actuelle est de reporter sur les importations juridiques venant d’au-delà les frontières nationales, la confiance que l’on mettait autrefois dans des solutions à base de certitudes idéologiques qui n’ont pas tenu toutes leurs promesses. En fait, une étude précise et rigoureuse des résultats atteints par chaque système montre que s’il est des mécanismes intéressants dont on peut s’inspirer, en revanche il n’est pas de législation parfaite réglant toutes les difficultés : le modèle français mérite sur nombre de points l’attachement de nos concitoyens lui accordent.
5Parmi les éléments communs, il faut également souligner la volonté, présente chez chacun, de séparer la réalité juridique de l’image que beaucoup s’en font en rectifiant un certain nombre d’idées reçues. Nul ne peut nier que le droit social ne soit actuellement, plus que jamais, au centre de controverses où la dénonciation des rigidités qu’il est censé imposer à des entreprises qui n’attendraient que sa disparition pour nous faire entrer dans un monde économique enchanté, côtoie la conviction chez beaucoup qu’il est en cours de démantèlement, désarmé et même impuissant pour apporter sa contribution aux problèmes de licenciement et de précarité. Ceux qui ont accepté de participer à ce colloque puis à cet ouvrage se sont efforcés de décrire le nouveau ordre juridique social, sans nier les évolutions récentes, en constatant l’imagination toujours renouvelée quoique parfois mal maîtrisée du législateur, en évaluant le souci du juge de préserver les droits fondamentaux dans une perspective de protection des plus défavorisés, surtout en remettant à leurs places des réformes aux conséquences surestimés tant par leurs défenseurs que par leurs adversaires. S’impose un salubre travail de mise en perspectives des réformes les plus récentes du droit social. C’est, croyons-nous, sans esprit corporatiste mais avec la conviction de pouvoir apporter quelque chose aux débats actuels que nous proposons de réserver, dans la prise de parole, une place une importante aux “travaillistes”, aux spécialistes de cette branche du droit privé, qui sont actuellement et sans l’avoir cherché au cœur du malstrom politique. Les contributeurs à ces actes se sont efforcé de jouer ce rôle d’expertise dans un esprit de fidélité au souvenir du professeur Despax.
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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2011