Quod solus Papa
p. 421-422
Texte intégral
1« Ce que seul peut le pape » : une telle expression, aux accents grégoriens, se retrouve maintes fois sous la plume d’Auteserre, avec des variantes qui n’en affectent pas la portée sentencieuse1987. Caractéristique d’un état d’esprit romain, tourné au-delà des monts diraient ses contemporains, l’emploi d’une telle expression n’est pas une simple manie de notre canoniste. Dans ses œuvres, il fait de nombreuses parenthèses, de multiples digressions indicatives de sa pensée relativement au chef spirituel de la Chrétienté. Pour lui, le souverain pontife est bien maître d’œuvre légitime et inspiré de la centralisation romaine, tant honnie par les canonistes gallicans. A tel point que plus d’un tiers des Libertés gallicanes s’articulent autour de la formule « le pape ne peut... »1988.
2Admiratif des Dictatus papae, qu’il ne manque pas de citer, notre canoniste donne une puissante unité aux droits exclusifs du pape1989, le hisse à une place intouchable, au-dessus du droit, au-dessus du concile, et bien évidemment, au-dessus des évêques, ses « délégués ». S’il n’aborde que peu la seconde centralisation romaine, celle des congrégations, il s’étend longuement sur la première, issue de la Réforme grégorienne, dont les textes majeurs sont passés dans le Décret de Gratien, texte qu’il commente journellement à l’Université. Thuriféraire de l’Ecclesia Romana, Auteserre lui attribue des prérogatives absolues, impartageables, tant dans les domaines administratif, législatif, exécutif que judiciaire.
3Or, ainsi que l’écrivait Mgr Martimort, « les théologiens de Paris sont attentifs à la clameur des protestations qu’ont soulevées, au cours des siècles, le progrès et les abus de la centralisation romaine : évocation de causes innombrables par les tribunaux pontificaux, exactions financières, dispenses des lois et des vœux accordées à la légère et même sans aucun motif, réservation de bénéfices au mépris des collateurs normaux, restrictions de plus en plus nombreuses apportées à l’exercice de l’autorité des évêques, envois fréquents de délégués apostoliques à pouvoir discrétionnaire »1990. De ces clameurs, Auteserre n’a cure. A l’opposé de la pensée dominante, il maintient le pape au sommet de l’ordonnancement de l’Eglise (Chapitre 1) et à la source des bienfaits prodigués en son sein (Chapitre 2).
Notes de bas de page
1987 « Quod solus Papa », Clémentines, Opera, t. 5, p. 218 ; « Solus vero Pontifex potest », Innocent III, Opera, t. 10, p. 186 ; « Solus Romanus Pontifex », Innocent III, Opera, t. 10, p. 85 ; « Solus summus Pontifex », DJE, Opera, t. 1, p. 287.
1988 Q. Epron, « Le gallicanisme a-t-il connu l’idée d’un ordre juridique ? », Droits, n° 35,2002, p. 8.
1989 J. Gaudemet, Eglise et cité. Histoire du droit canonique, Paris, 1994, p. 302. Plus largement, tout le 1er chapitre de la 3ème partie, à qui nous empruntons le titre « Quod solus papa... », pp. 301-373.
1990 A.-G. Martimort, Le gallicanisme de Bossuet, Paris, 1953, p. 33.
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