Titre premier. Délimitation de la soft law
p. 44-169
Texte intégral
1Se méfier des triomphes généralisés. Voilà un conseil (une recommandation, pourrions-nous dire) qui pourrait guider la démarche qui va nous habiter dans ces premiers développements. La soft law est un concept d’origine doctrinale qui semble se développer et connaître un succès grandissant. A ce titre, elle ne s’appréhende pas a priori comme un donné, mais comme un construit : l’expression soft law s’identifie alors comme un « étant général », qui permet au réel d’accéder à notre conscience. Cette perspective « nominaliste » a le mérite d’expliquer de manière assez pédagogique l’apparition d’instruments nouveaux qui semblent heurter les catégories classiques du droit. La soft law rassemble ainsi sous sa bannière toutes formes d’instruments atypiques, de moyens divers, de procédés variés, qui ne peuvent en réalité se ranger derrière aucune catégorie connue du droit, sauf à en modifier grandement les contours. Il a fallu alors en inventer une nouvelle qui permettrait à « l’objet droit » de garder ses frontières : le concept de soft law se révèle être essentiellement un concept conservateur (au sens premier du terme).
2Dans cette perspective, l’essence des phénomènes décrits nous échappe. Il nous faudra ainsi déterminer en premier lieu ce que la doctrine y voit, afin de montrer que son invocation confine parfois à l’incantation. Sans doute le travail nécessaire de délimitation du concept commence-t-il par là : faire tomber certaines apparences commodes en démontrant qu’il recouvre des réalités sensiblement différentes (CHAPITRE PREMIER).
3Loin d’être une vue de l’esprit, la soft law se comprend alors par le truchement d’une technique innovante au regard de la technique juridique classique. Déterminer sa nature juridique ou non juridique nous amènera nécessairement à une confrontation avec les théories positivistes afin de déterminer dans quelle mesure la soft law peut s’envisager comme une technique normative (CHAPITRE SECOND).
CHAPITRE PREMIER. LA SOFT LAW, UN CONCEPT INDÉTERMINÉ
4Il s’agira ici d’opérer une première réduction de l’objet soft law. A cette fin, nous devrons exposer toutes les acceptions qu’elle peut recouvrir chez les auteurs, qu’il s’agisse du droit international, du droit de l’Union européenne ou du droit interne. Cette étape, nous en convenons, pourrait aisément se percevoir comme purement introductive. Pour autant, il nous semble qu’elle est rendue nécessaire par la variété des sens que la doctrine a bien voulu donner au concept. Nous l’avons souligné, chaque traduction va révéler une signification particulière qu’il convient d’exposer en détail avant de tenter de la critiquer.
5Chaque traduction va ainsi receler des insuffisances qu’il conviendra de dépasser. Ainsi, nous verrons que, loin d’être une abstraction au contenu très hétérogène, la soft law correspond essentiellement à deux hypothèses qui se recouvrent, selon que l’on envisage la nature de l’instrumentum ou la formulation du negotium.
6Face à cette indétermination sémantique entretenue par la doctrine (SECTION PREMIÈRE), il faudra alors essayer de ramener le concept à son unité originelle. Dans ce cadre, nous verrons qu’elle s’identifie en fait comme une technique duale utilisée par les autorités publiques (SECTION SECONDE).
Section première. LA SOFT LAW, UN CONCEPT DOCTRINAL MAL IDENTIFIE
7Le concept de soft law, d’origine anglo-saxonne, a fait l’objet d’une réception dans le droit français qui pourrait être qualifiée de « byzantine », tant les auteurs se sont évertués à subdiviser un concept déjà peu aisée à cerner.
8Trois facettes semblent toutefois se dégager de ces tentatives de définition, facettes que certains auteurs ont pu qualifier de « formes proliférantes »78.
9D’un côté, la soft law s’analyserait comme l’instrument dépourvu d’effet obligatoire à l’égard de son auteur ou de son destinataire. Ce « droit mou » ferait ainsi référence à l’absence de force obligatoire de l’instrumentum, en prenant en considération la nature même du moyen utilisé (Paragraphe premier).
10D’un autre côté la soft law serait comprise comme la norme dont l’inobservance ne conduirait à aucune forme de sanction. Cette conception, « le droit doux », se distinguerait alors des deux autres en ce qu’elle s’intéresse non à la force obligatoire, mais à la force contraignante79 de la norme ou de l’instrument utilisé (Paragraphe deuxième).
11Enfin, la soft law témoignerait de l’absence de force obligatoire de la proposition normative. Ce « droit flou » s’attacherait, lui, à étudier les faiblesses du negotium, c’est-à-dire de l’énoncé contenu dans un acte juridique (Paragraphe troisième).
§1. La référence à la nature de l’instrumentum : le « droit mou »
12Cette conception de la soft law est sans doute la plus répandue80, que ce soit en droit français ou en droit international. Elle détaille ainsi un droit qui ne serait pas contenu entièrement dans la loi, les traités, les règlements, ou la jurisprudence, mais aussi dans des instruments particuliers dont la nature même interdirait toute juridicité. Ces instruments nouveaux, issus du droit international et européen (A), seraient en développement anarchique dans notre droit (B).
A - Un foisonnement d’actes innommés issus de la pratique des institutions internationales et européennes
13Le caractère obligatoire de la proposition normative vient ici se heurter à la nature de la règle utilisée. Dans l’hypothèse du « droit mou », ce n’est donc pas la formulation de l’énoncé (ou le « wording »81 en anglais) qui entre en considération, mais l’instrument et sa nature. On décide ainsi arbitrairement si cet instrument revêt un caractère obligatoire ou non, en se fondant sur la hiérarchie classique des normes juridiques.
14Les instruments de « droit mou » correspondraient alors à une catégorie hétérogène, définie par opposition aux normes ou aux sources du droit classiquement reconnues. La nouveauté, le caractère « atypique »82, voire « imprévu »83 priveraient la règle de tout effet obligatoire à l’égard des destinataires. Cette analyse, initiée par le droit international public (1), s’est aussi étendue en droit européen (2).
1 - L’émergence progressive du droit mou en droit international
15L’analyse des sources du droit international public témoigne d’une certaine rigueur dans ses principes (a), mais la pratique des États et des organisations vient bouleverser cette organisation normative (b).
a - Des sources normatives clairement établies
16Classiquement, les normes du droit international public sont au nombre de quatre : les traités internationaux, la coutume internationale, les « principes généraux de droit reconnus par les Nations civilisées » et les « décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit »84. Cette liste énumérative de sources appelle deux observations.
17Premièrement, elle ne s’organise pas comme une pyramide de normes à l’instar de l’ordre juridique interne. En effet, il n’existe pas vraiment de hiérarchie des normes au sens « kelsenien » du terme dans l’« ordre juridique international »85, et une coutume internationale ne s’efface pas devant un traité86 (elle est même parfois reprise par celui-ci).
18Deuxièmement, cette liste est limitative et laisse peu de place à l’innovation en matière d’instrument, signifiant par là un contrôle strict de la Cour internationale de justice. En outre, la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités énonce que « l’expression “traité” s’entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière »87. Là encore, on note une volonté de limiter les sources du droit international public, puisque tout accord écrit signé entre États sera considéré comme un véritable acte juridique et ce, indépendamment du choix de l’instrument, ou plutôt de la dénomination que les parties voudront bien lui donner. Dès lors, il apparaît difficile de laisser une quelconque place à des actes de soft law qui ne rentreraient pas dans ce cadre bien précis. Le droit international des traités ne reconnaîtrait donc aucune forme d’instrument « mou ».
b - Réalité de la production normative en droit international
19Cette rigueur apparente exposée par le droit international des traités, et par le Statut de la C.I.J., se heurte à la pratique des États, mais surtout des organisations internationales, à tel point que le « dogmatisme de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice [masque] une incapacité à saisir l’ensemble des actes normatifs qui, d’une manière ou d’une autre, concourent à l’établissement ou à la constatation des règles de comportement assujettissant les sujets de droit international »88.
20Depuis le début des années 197089, cette liste de sources se trouve ainsi perturbée par le développement d’actes nouveaux, désignés sous le terme générique et volontairement englobant de « résolution des organisations internationales »90. A l’expression indéterminée de soft law, on substituait alors un autre « principe parapluie », qui recouvrirait une variété d’actes non « orthodoxes » dont la juridicité serait atténuée voire inexistante.
21L’expression regroupe ainsi selon la doctrine un foisonnement d’actes divers comme les « communications », les « programmes », les « chartes », les « positions communes », les « déclarations d’intention » ou les « recommandations ». Rechercher une unité dans ce nouveau désordre tient, là encore, de la gageure, car il apparaît clairement que l’expression a un contenu tout aussi hétérogène qu’excluant. En effet, d’autres instruments, non issus des organisations internationales, sont classés par la doctrine au sein des actes de « droit mou ». C’est notamment le cas des « actes finaux »91, ou plus généralement des gentlemen’s agreements92 qui émanent de la pratique des États dans la conduite de leurs relations diplomatiques.
22Il semble toutefois que deux critères peuvent se dégager afin de réunir ces instruments.
23En premier lieu, et comme nous l’avons précédemment exposé, ces actes viendraient perturber les sources classiques du droit international, par leur caractère informel93. D’un strict point de vue juridique, certains actes ne seraient pas prévus, non seulement par le statut de la C.I.J., mais aussi par le texte instituant les compétences de l’organe prenant telle ou telle résolution, à tel point que l’on pourrait se demander si le caractère essentiel de ces actes n’est pas leur caractère innovant. En effet, si l’on replace l’avènement de ces normes dans leur contexte, il s’agit d’une volonté réelle de pallier les insuffisances du droit international, car ces règles de droit mou « n’exigent pas un temps d’élaboration aussi long que les sources du droit traditionnelles »94.
24Toutefois, à côté de ces actes non prévus par le droit primaire des organisations internationales (notamment la Charte des Nations Unies), d’autres instruments de « droit mou », tels que la recommandation, font partie du droit dérivé que Ton pourrait qualifier « d’officiel »95. Derrière la présumée audace d’un organe d’une organisation internationale, il existerait parfois au moins une compétence formellement attribuée pour édicter des actes de « droit mou » : innovation ne signifie pas forcément incompétence.
25En second lieu, et c’est la conséquence de notre première observation, il apparaît que la juridicité de ces instruments innovants est contestée, ce qui pourrait contribuer à les regrouper dans une catégorie certes hétérogène mais définie a contrario : face aux normes classiques reconnues et contrôlées par la C.I.J., se dressent des actes informels qui n’aboutissent en droit à aucune obligation juridique, ou à des obligations atténuées. C’est alors la nature même de l’instrumentum, et notamment son appellation, qui affecte la normativité et l’effet obligatoire de la norme.
26L’utilisation d’instruments non conventionnels témoignerait en effet de la volonté de l’auteur de ne pas se lier par l’acte qu’il prend, volonté pouvant parfois correspondre à un choix délibéré (comme c’est le cas de l’Acte final de la conférence d’Helsinki, précité). Le développement de ces instruments révèlerait alors en partie les doutes sur la normativité du droit international, qui n’a eu de cesse d’être contestée en doctrine, notamment concernant l’absence de véritables mécanismes de sanction (au sens où on l’entend en droit interne).
27Ces interrogations sur la normativité de « l’ordre juridique international » n’ont de prime abord pas lieu d’être en droit de l’Union européenne.
2 - Un important développement du droit mou en droit de l’Union européenne
28La normativité du droit de l’Union européenne96 et sa hiérarchie des normes97 ne sont pas véritablement contestées (a). Il semble cependant qu’à l’instar du droit international, le droit de l’Union européenne est le lieu d’une production anarchique d’instruments « mous » (b).
a - Une production normative apparemment maîtrisée par les traités institutionnels
29La production normative en droit européen s’articule classiquement autour d’un droit primaire (les traités institutionnels) qui détermine les modalités d’intervention d’un droit dérivé. A ce titre, les articles 249 du Traité C.E.98 et 161 du Traité C.E.E.A. dressent la liste des actes unilatéraux qui relèvent des institutions pour l’accomplissement de leurs missions : les règlements, les directives, les décisions, les recommandations et les avis. Les Traités sont clairs sur la nature et sur la valeur juridique99 des trois premiers instruments : ceux-ci lient les États et leur non-respect appelle à une sanction juridictionnelle. Il est cependant intéressant de noter que leur formulation pourrait nous paraître équivoque, notamment dans l’hypothèse des directives, qui ne recouvrent évidemment pas la même réalité que les mesures d’ordre intérieur du droit français100. La dénomination des instruments, si variée et si trompeuse en droit international, est ici clairement clarifiée par le droit primaire de l’Union européenne.
30A l’inverse, comme en droit international public, nous pouvons noter qu’un droit dérivé mou et « officiel » est prévu par les traités institutionnels. Aussi un pouvoir d’édicter des recommandations est-il reconnu aux organes de l’Union, instruments qui « incitent les États à adopter une ligne de conduite [et] ne créent ni droits ni obligations »101. La soft law, dans l’acception qui s’attache à l’instrumentum, est donc reconnue par le droit classique en ce qu’il prévoit et organise son intervention, même si la pratique nous montre que cette dernière peut être désordonnée.
b - Les actes non prévus par les Traités institutionnels, reflets du droit mou communautaire
31Ces instruments ressortissent à la pratique des institutions communautaires qui dépassent le cadre formel de l’article 288 du T.F.U.E., formant de fait un droit « hors nomenclature » et en principe dénué de tout effet juridique. Il s’agirait en effet de simples « intentions », d’« engagements de comportement »102, n’ayant parfois qu’une « portée interprétative »103.
32Il faut toutefois distinguer ici ces instruments issus de la pratique des « actes déviés », c’est-à-dire des actes pris sur le fondement d’autres articles du T.F.U.E. mais qui empruntent la dénomination classique de règlement, directive, décision ou même de recommandation104. L’existence de ces « actes atypiques »105 montre que la dénomination employée complique toute tentative d’appréhension simple du concept de soft law106. En effet ces actes empruntent leur nom à la nomenclature de l’article 288 sans pour autant en avoir le régime. C’est ainsi le cas des « règlements intérieurs des institutions » dont la violation produit des effets de droit. Ce cas est cependant peu pertinent pour notre propos, dans la mesure où les règlements ne sont pas considérés comme des instruments de soft law. En revanche, on note l’existence d’hypothèses où les actes de « droit mou » de la nomenclature de l’article 288, les avis et les recommandations, sont utilisés selon une autre base légale (comme les avis de la Commission rendus sur le fondement des articles 258 et 260 du T.F.U.E.) dans le cadre de la procédure en manquement). Dans cette imprécision normative, il faut toutefois rappeler que ces actes sont internes aux institutions et s’inscrivent dans le cadre d’un processus décisionnel.
33L’hypothèse des actes de soft law issus de la pratique des institutions montre mieux la réalité du phénomène en droit européen : la prolifération d’actes innommés séparés de tout processus décisionnel (et dont la normativité ne se règle pas par un rejet dans la catégorie d’actes préparatoires) nous semble ainsi bien plus important pour notre propos. Ces actes témoignent en effet, là encore, d’une certaine imagination des producteurs de normes qui s’émancipent des compétences attribuées, et dont l’effet juridique est formellement atteint107.
34On distingue alors toute une série d’actes dont la dénomination recouvre parfois celle du droit international108. Nous retrouvons notamment au sein de ces instruments les « résolutions » du Conseil et de la Commission, « engagements politiques qui sont ensuite développés sous des formes juridiques efficaces »109, et qui ont connu un développement sans précédent depuis le Traité d’Amsterdam. D’autres actes interviennent aussi en dehors de toute habilitation : les « conclusions » du Conseil, les « communications » de la Commission, les « programmes d’action », les « lignes directrices », « livres verts »110 ou des « accords interinstitutionnels »111. Il est encore une fois difficile d’établir une liste limitative de ces actes tant la pratique « débridée » des institutions communautaires est source de confusion pour leurs destinataires. Cette inflation normative confine ainsi à l’absurde lorsqu’une résolution du Parlement européen, acte par principe dépourvu de valeur juridique, condamne l’utilisation abusive des instruments non contraignants par les institutions communautaires112.
35Le rapprochement que l’on pourrait opérer avec l’ordre juridique international n’apparaît donc pas uniquement sémantique : le recours à ces actes « innommés » témoigne d’un glissement du modèle particulier de la communauté vers une organisation internationale classique. La soft law communautaire s’entend en effet à peu près de la même manière qu’en droit international (c’est-à-dire des instruments non prévus par les traités, issus de la pratique et dont la force obligatoire est inexistante ou contestée) alors que l’ordre juridique communautaire se distingue précisément de l’ordre juridique international par sa nature contraignante non seulement à l’égard des États, mais aussi à l’égard des particuliers. La justification du droit international du recours à ces instruments, qui s’entend comme la nécessité de pallier l’inadaptation des normes classiques à la pratique ne tiendrait pas à notre sens en droit européen.
36Cette apparition de normes nouvelles qui heurtent les catégories traditionnelles du droit international et européen consacre la première acception de la soft law : celle d’instruments originaux se développant par la pratique en dehors du cadre formellement attribué. Ce désordre normatif qui caractérise le recours à ces actes se retrouve aussi en droit interne.
B - L’émergence du droit mou en droit interne
37La doctrine a pu témoigner ces dernières années de l’apparition de nouveaux instruments appelés à modifier les comportements sans réellement être porteurs d’obligations. C’est tout d’abord en droit privé que le phénomène s’est manifesté avec le plus d’acuité (1). Le droit public français, pourtant traditionnellement fondé sur l’exorbitance de ses normes, semble lui aussi céder aux sirènes de la soft law (2).
1 - L’apparition d’instruments mous en droit privé, manifestation des phénomènes d’autorégulation
38C’est dans les années 1970113 que la doctrine a commencé à s’intéresser aux actes de « droit mou », notamment par l’étude d’instruments au confluent du droit et de la morale (ou les obligations naturelles). Le droit privé, fondé sur le contrat et l’obligation civile, a donc lui aussi vu ses sources se « dégrader »114. Au-delà du désordre de la production normative (a), ces instruments témoignent d’une fonction particulière (b).
a - Une production normative désordonnée
39L’engagement d’honneur, instrument inspiré du gentlemen’s agreement, a traduit la percée de la soft law internationale dans notre ordre juridique, y faisant entrer des « obligations non juridiques car non sanctionnées »115. La justification donnée à l’utilisation de ces instruments s’entend cette fois encore comme le rejet volontaire des normes classiques, soit parce qu’elles sont inadaptées, soit parce qu’elles n’existent pas encore (vacuum juris).
40Le choix de recourir à un acte de « droit mou » s’entendrait alors comme la volonté de se placer hors du droit classique116. Le gentlemen’s agreement, première figure du « droit mou » en droit privé, n’a cependant été qu’une première étape dans le développement anarchique de ces instruments non obligatoires, catégorie considérée à juste titre comme une « véritable auberge espagnole »117.
41C’est ainsi l’avènement des « codes de bonne conduite » et autres « chartes éthiques » qui traduit le mieux l’apparition d’actes « innommés » en droit privé118. C’est encore le droit international qui semble avoir initié ce type d’actes, avec les codes de conduite des sociétés transnationales et relatifs aux transferts de technologie119, entendus comme « un ensemble global de recommandations qui sont élaborées progressivement et qui peuvent être révisées lorsque l’expérience ou les circonstances se justifient ; bien que de telles recommandations n’aient pas de caractère obligatoire, elles jouent le rôle d’un instrument de persuasion morale, renforcées qu’elles sont par l’autorité des organisations internationales et par la force de l’opinion publique »120. Sous cette appellation englobante, sont réunis des instruments divers dont la seule caractéristique commune serait « l’absence de caractère obligatoire des normes et leur contenu évolutif »121 : « codes de déontologie », « directives », « avis », « chartes éthiques » ou encore « recommandation patronales »122, en se substituant par la pratique aux formes traditionnelles du droit privé (le contrat), rentreraient dans cette vaste catégorie.
42Le foisonnement d’instruments atypiques nous empêche alors à nouveau de donner une définition universelle du « droit mou » et force est de constater qu’à ce stade de notre raisonnement, la seule grille d’analyse que nous pouvons proposer serait celle d’une identification a contrario. La soft law, dans son sens formel, recouvre ainsi les actes issus de la pratique des acteurs qui ne revêtent pas les formes classiques du droit. Ces « normes de convenance »123, instruments innovants et non prévus, témoignent de la volonté de leurs auteurs de s’émanciper du droit traditionnel en ce qu’ils « dirigeraient les conduites de façon non autoritaire et exprimeraient le souhaitable plutôt que l’obligatoire »124.
b - La signification du phénomène : un recours volontaire à l’« autocontrôle »
43La caractéristique essentielle des instruments mous résiderait dans leur fonction principale : l’autocontrôle ou l’autoréglementation125. La normalisation privée répondrait alors à un besoin de droit des opérateurs privés, censé être plus en phase avec leurs nécessités. Cette « loi du milieu », acceptée par la pratique et par l’ensemble des professionnels (l’entreprise, ou un groupe d’entreprises dans le cas des entreprises réseau126) serait mieux adaptée aux besoins, et pallierait les carences ou la lourdeur de la législation classique.
44D’un côté, il s’agirait d’adopter des règles de comportement propres à un groupe donné, en voulant les placer hors du droit établi par l’ordre juridique étatique. C’est cette idée qui a amené les professionnels à se doter de codes de déontologie, à la différence que ces derniers revêtent un caractère obligatoire (soit par des mécanismes de sanction propres à la profession, soit par reprise par l’ordre juridique étatique). C’est plutôt le nouveau paradigme qui semble s’imposer en droit du travail, la « responsabilité sociale des entreprises »127, qui reflète le mieux cette hypothèse. Cette « responsabilité » s’entend comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties prenantes »128. L’ébranlement du modèle de l’entreprise, fondé sur la forme traditionnelle de la pyramide129, par la libre circulation et la concurrence internationale130, aurait ainsi favorisé l’émergence de formes nouvelles en lieu et place du contrat de travail classique : « tandis que les règles instituant la libéralisation internationale du commerce se situent toutes du côté de la dura lex et s’imposent absolument aux ordres juridiques nationaux, les aspects sociaux de cette libéralisation semblent voués à un droit mou (soft law) livré au bon vouloir de ceux auxquels il s’adresse »131. La nouvelle gouvernance de l’entreprise mondialisée justifierait le recours à des instruments nouveaux, plus en harmonie avec le passage de relations verticales de domination à des relations horizontales d’adhésion.
45D’un autre côté, il s’agirait d’élaborer des règles techniques que seuls les professionnels sont à même de connaître. C’est ainsi le cas de la normalisation technique, entendue comme « une spécification technique ou autre document accessible au public, établi avec la coopération et le consensus ou l’approbation générale de toutes les parties intéressées, fondée sur les résultats conjugués de la science (...) et visant à l’avantage optimal de la communauté et approuvé par un organe qualifié »132. Ces normes techniques, d’application volontaire, semblent bien entrer dans les cadres de la soft law : élaborées par consensus et dans un vide de réglementation, elles laissent le choix à leurs destinataires d’appliquer ou non les prescriptions133 qu’elles contiennent134.
46Cette privatisation des sources du droit privé s’expliquerait ainsi par un « laisser-faire » de l’État dans l’utilisation d’instruments non obligatoires en lieu et place de la loi ou du contrat135. Les actes relevant de la soft law sont ainsi la preuve la plus frappante du pluralisme juridique, en ce qu’ils relèvent d’« ordres juridiques » privés. Cette décentralisation des sources du droit manifestée par le « droit mou » se retrouve aussi en droit public.
2 - L’avènement d’instruments mous en droit public, de l’exorbitance à la mollesse des normes
47Le droit public (et plus précisément le droit administratif), a, par le jeu du marché, vu ses normes se modifier (a). C’est dans les autorités de régulation que ce phénomène prend toute sa force et son actualité (b).
a - L’évolution de la production normative en droit public face au management public et à la gouvernance
48Le droit public est traditionnellement marqué par l’exorbitance de ses normes136, et caractérisé par le recours privilégié à l’acte administratif unilatéral. Aussi les sources classiques du droit public ont-elles toujours témoigné de rapports verticaux dominés par la puissance publique étatique. Inégalitaire dans ses instruments d’action, le droit administratif a cependant connu une mutation sans précédent ces trente dernières années sous la pression de deux paradigmes nouveaux, le « management public » et la « gouvernance ».
49Cette organisation des sources du droit administratif a donc pu admettre en son sein des actes « non décisoires », véritable zone aveugle du contentieux de l’excès de pouvoir en vertu du principe De minimis praetor non curat. Les « mesures d’ordre intérieur »137 ont pu ainsi dénoter une modification de la technique juridique en droit public. En se limitant à rappeler ou à interpréter la réglementation tout en laissant une latitude aux destinataires, les circulaires et autres instructions de service visent à modifier les comportements sans véritablement obliger. Le cas le plus probant est bien celui de la directive française138 en ce qu’« elle n’ordonne pas impérativement mais doit normalement être respectée »139. Ces hypothèses sont toutefois limitées à la vie interne des administrations140, et si elles ont pu changer la manière d’exercer l’autorité, il ne s’agit ici que du pouvoir hiérarchique141 de l’administration sur ses subordonnés.
50L’apparition d’« actions administratives informelles » qui n’obligent pas leurs destinataires et sont extérieures à l’administration reflètent mieux à notre sens la soft law formelle142. Cette nouvelle forme de management public s’entend par l’utilisation d’instruments variés143 et dénués en principe de toute force obligatoire : « ce qui est nouveau à l’époque actuelle, c’est l’importance même prise par ce mode non autoritaire de direction des conduites »144. La recommandation, prise dans un sens large, et déjà appréhendée en droit international et européen, connaît en effet un essor considérable dans notre droit.
51En témoigne le développement des « chartes », véritables outils de communication pour les nouvelles politiques publiques145. On trouve ainsi, et de manière non exhaustive, la charte des services publics locaux, de fonctionnement des E.P.C.I.146, de la personne hospitalisée147, du contribuable vérifié148, de lutte contre le bruit149... La liste est tellement longue que l’on pourrait croire que chaque catégorie de citoyen ou chaque institution a droit à sa charte : il devient bien difficile alors de leur trouver un autre trait commun que l’absence de caractère obligatoire, « car ces textes dits, qualifiés, dénommés, intitulés, présentés... “chartes” sont trop souvent de nature et de raison différentes »150.
52Cette variété formelle151 ne doit pas cependant occulter les raisons pour lesquelles ces instruments sont utilisés : il s’agit bien dans la plupart des cas de trouver des alternatives à la réglementation classique, quitte à parfois faire preuve d’une « inventivité débridée »152. La recherche de l’adhésion des destinataires semble bien être une finalité importante, tout comme le recours volontaire à l’incitation plus qu’à la contrainte153. Ces chartes montrent enfin l’importance de la dénomination de l’acte, fruit d’un choix délibéré de l’autorité qui l’édicte, et reflet de leur volonté de ne pas obliger ceux auxquels elle s’adresse.
53L’étude de la soft law dans son acception formelle montre encore une fois ses limites, tant les instruments visés prolifèrent de façon anarchique et sans réelle grille d’analyse. Force est de constater que la définition donnée, si elle veut être suffisamment englobante, se révèle bien trop générale pour être vraiment rigoureuse.
54Une autre étape dans cette désorganisation des sources du droit public a été franchie lors du développement du phénomène de contractualisation à partir des années 1980, et la doctrine a pu révéler une mutation des formes de l’action publique154 tendant vers la négociation plus que l’obligation imposée155. Le recours au contrat, figure classique d’un droit privé fondé sur l’autonomie du consentement, a concouru à un certain affaiblissement de la prérogative de puissance publique. Le « droit des programmes finalisés », dont l’objet est d’imposer des obligations de résultat plus que de moyen, a en effet contribué à l’idée que l’État pouvait transiger sur certains aspects de sa politique publique, soit parce qu’il souhaite laisser une certaine liberté156 (dans le cadre des contrats de projet État-Région par exemple), soit parce qu’il souhaite rentrer dans une logique incitative (dans l’hypothèse des contrats passés avec les entreprises publiques ou privées).
55La justification de l’intervention d’instruments nouveaux (tout du moins pour le droit public) reflète alors encore sensiblement la même idée157 qui voudrait que l’imagination dans les formes normatives s’entend par l’évitement des formes traditionnelles du droit, et serait gage d’une meilleure efficacité que la réglementation classique en laissant tout ou partie de la liberté d’application au destinataire de la norme. A ce choix délibéré et téléologique d’un instrument peu ou pas obligatoire, répondrait ainsi le choix des destinataires dans l’application volontaire des prescriptions contenues dans l’instrument.
56Ce phénomène normatif récent s’expliquerait par la transformation du rôle de l’État dans l’économie qui se muerait en « État incitateur ». L’émergence des autorités administratives indépendantes, a pu aggraver ce phénomène : ce n’est plus l’État lui-même qui produit des normes de soft law, mais bien une myriade d’organes qu’il a laissé proliférer au-dessous de lui.
b - Les actes des autorités administratives indépendantes, reflet de la soft law formelle en droit public
57L’émergence et le développement des autorités administratives indépendantes n’est pas un phénomène nouveau158 ni méconnu par la doctrine, comme en témoigne l’abondante littérature sur le sujet159. Il est toutefois toujours actuellement malaisé de définir de manière simple cette notion, surtout lorsque cette dernière s’identifie avec un autre paradigme mal connu, celui de régulation. Ces autorités, fruit de la volonté de l’État de décharger une partie de sa compétence dans des domaines techniques, reflètent en effet le phénomène de « déréglementation » amorcé dans les années 1980 en France. Elles ont depuis connu un succès qui ne s’est pas démenti, le législateur ayant recours à la formule dans des domaines autres que l’économie (comme celui des libertés publiques). Ce succès explique en partie la difficile appréhension du concept, car « ce foisonnement contribue (...) à instaurer un certain flou sur la notion, la qualification d’autorité administrative indépendante étant donnée à des institutions ne présentant que partiellement les critères retenus par la doctrine pour justifier cette appellation »160. Nous nous retrouvons encore une fois devant la même difficulté : la dénomination d’une chose ne correspond pas forcément à la réalité qu’elle désigne, à tel point qu’essayer de classer ces autorités relève de la gageure.
58Face au désordre des actes relevant de la soft law formelle se dresse alors un nouvel obstacle, celui du désordre des autorités administratives indépendantes161. Pour certains auteurs, la fonction de régulation s’entendrait par l’utilisation même des instruments de soft law. Pour L. CALANDRI, l’« acte de régulation » est un acte « invitatif » et « informel », au même titre que la recommandation internationale, et « se référer à la “fonction de régulation”, c’est nécessairement désigner une activité, un ensemble d’actes (...) A cet égard, la régulation possède deux fondements : sa qualité de fonction, consacrée par le droit positif concrétisée par l’adoption d’un ensemble d’actes dotés des attributs de la nouveauté »162. Ainsi, par delà l’existence d’un pouvoir réglementaire octroyé aux A.A.I., c’est plutôt leur pouvoir d’« opinion » qui retient l’attention : « à travers l’émission d’avis et de recommandations, [il] contribue à l’émergence de ce droit “mou”, de ce droit “souple” qui reste dans un giron étatique mais constitue une forme nouvelle – car non contraignante – de régulation des rapports sociaux »163.
59La régulation s’entend alors comme la substitution d’actes « mous » aux figures du droit classique, et par le glissement d’un modèle de commandement unilatéral vers un modèle d’adhésion, d’invitation, voire d’incitation164 aux règles émises par ces autorités administratives indépendantes. Cependant la régulation ne se définit pas tant organiquement que fonctionnellement ou matériellement, l’État ou les institutions européennes, nous l’avons vu, s’abandonnant eux aussi au « vertige de la soft law »165.
60Le « droit mou », constitué par un ensemble d’actes inclassables autrement que par leur dénomination particulière, témoigne aussi de la volonté de l’auteur de la norme de ne pas lier ses destinataires. Ce commandement « sans la force » se comprend donc comme une stratégie d’évitement du droit classique : en donnant à ces instruments une dénomination si spécifique, et parfois trompeuse, leurs auteurs manifestent le souhait de ne pas obliger ceux à qui ils s’adressent. Cette conception de la soft law dénote une certaine préférence pour le contenant (l’instrumentum) de la norme au détriment de son contenu (le negotium). Mais cette acception, si séduisante qu’elle soit, ne semble pas tenir compte de la qualité de la formulation de la proposition normative elle-même. Elle s’inscrit de fait dans une logique purement kelsenienne qui nie la qualité de norme aux énoncés qui ne proviennent pas d’une autorité compétente conformément aux critères posés par l’ordre juridique166.
61Toutefois, l’examen de cette acception est plus complexe considérant que le caractère non obligatoire de ces actes vient non seulement de leur dénomination et de leur caractère nouveau, mais aussi de leur contenu formulé en termes souples. La formulation de l’énoncé normatif de ces instruments serait alors celle de leur nature propre : une recommandation ne commande pas, au même titre qu’une loi ne recommande pas.
62Une autre conception de la soft law vient tout à la fois renforcer ce volontarisme dans la négation des effets de droit et compliquer la relation entre la nature de l’instrumentum et ses effets : le « droit doux », en faisant intervenir un phénomène extérieur à l’acte, celui de sa sanction, pose le problème de la force contraignante de ces actes.
§2. La référence à la force contraignante de l’instrumentum : le « droit doux ».
63Cette conception de la soft law n’est assurément pas la plus répandue dans la doctrine, et lorsqu’elle invoque cette absence de force contraignante de l’instrument (c’est-à-dire principalement l’absence de sanction), elle peut parfois faire référence au « droit mou » précédemment exposé. Ainsi, selon C. THIBIERGE, le « droit doux » serait celui dont la force obligatoire serait atténuée voire inexistante, réservant par là l’appellation « droit mou » aux actes dénués de force contraignante167. Ce n’est pas l’avis de M. DELMAS-MARTY, qui considère, comme nous le faisons, que si le « droit mou » et le « droit doux » s’attachent tous deux à la force obligatoire, seul le « droit doux » témoigne d’une souplesse de la force contraignante168. Le problème qui se dresse face à nous est encore une fois purement sémantique, et, il faut bien le concéder, réserver l’appellation « droit doux » aux normes dépourvues de force contraignante relève purement et simplement d’un choix arbitraire. Tout au plus pourrions-nous avancer l’idée que l’obligation peut être « molle » et que la sanction peut être « douce », mais que l’inverse se justifie plus difficilement : la contrainte exprime en effet une idée de violence169 (légitime ou illégitime) que l’obligation ne recèle pas forcément170.
64Si toutefois nous admettons le caractère arbitraire du choix sémantique, celui-ci s’explique parfaitement. Pendant longtemps en effet, on a eu tendance à confondre la « force obligatoire » et la « force contraignante » de la norme. Les deux termes sont ainsi parfois considérés comme synonymes, et un même instrument peut parfaitement revêtir les deux faiblesses dans sa force. L’admission d’une dissociation entre contrainte et obligation est au fondement de cette seconde acception de la soft law.
65Ce « droit doux », affaibli dans sa force contraignante, serait donc le droit dépourvu de mécanismes de sanction. C’est ainsi encore une fois par rapport au droit classique que s’appréhende la soft law, concept privé de l’élément essentiel de définition du droit pour une grande partie de la doctrine171, la sanction organisée par l’État.
66Il s’agira ici d’abord d’analyser les deux concepts de force obligatoire et de force contraignante, ce qu’ils recouvrent, leur assimilation et leur difficile distinction (A). Il faudra ensuite montrer que les instruments relevant de la soft law ont été le lieu privilégié de la confusion entre les deux phénomènes. La première conception de la soft law précédemment exposée s’attache en effet à décrire les instruments dépourvus de force obligatoire, mais, justement, ces derniers sont tout aussi dépourvus de force contraignante, à tel point que la séparation des deux concepts est à relativiser (B).
A - Le droit doux, conséquence de la dissociation théorique entre la force obligatoire et la force contraignante
67La force obligatoire d’une norme s’entend généralement par la question de savoir si elle s’impose à ses destinataires alors que sa force contraignante essaye de déterminer « comment elle s’impose »172. Nous croyons avoir démontré dans notre premier paragraphe que certains instruments particuliers viennent assombrir la première question. Les recommandations internationales, européennes ou internes relèvent de cette idée selon laquelle elles ne revêtent aucun caractère obligatoire, leur caractère « incitatif », « persuasif » ou simplement « invitatif » impliquant que leur destinataire est libre de les appliquer ou non. Ces derniers ne sont donc pas liés, pas obligés par ces actes, et c’est d’abord leur nature qui leur indique si leur comportement doit être modifié ou non.
68Le concept de « force contraignante » met, lui, en œuvre une notion hautement polysémique, qui est pourtant irrémédiablement liée à celle d’obligation, sans pour autant lui être assimilée. La force contraignante de la norme est celle qui va attacher des conséquences au non respect d’une norme. Elle implique donc un élément cette fois extérieur à celle-ci, qui est celui de la sanction juridique. Une première précision s’impose ainsi : les conséquences de la violation de la norme s’entendent par des effets juridiques qu’est la sanction et non pas par des effets de droit indirects ou purement informels173. S’intéresser à la force contraignante d’une norme, c’est donc se heurter en premier lieu au caractère polysémique du mot « sanction »174. Ceci est d’autant plus vrai que la sanction juridique admet elle-même plusieurs sens175. Ph. JESTAZ distingue ainsi trois acceptions possibles de la sanction en droit : « la consécration ou reconnaissance de la règle par l’ordre juridique », « les conséquences précises attachées à la règle » (le « tarif »), et « la mise en œuvre autoritaire de ces conséquences » (la « contrainte »)176. Selon l’auteur, les deux premières conceptions nécessitent l’intervention d’un juge, soit pour affirmer que la règle est bien du droit, soit pour faire droit aux prétentions du plaideur qui voit dans la règle telle ou telle conséquence précise. La sanction juridique ne serait alors au fond qu’une sanction juridictionnelle, bien avant d’être la contrainte hypothétique d’un « gendarme »177. Nous adhérons à l’idée de l’auteur selon laquelle la contrainte étatique, extérieure au juge, n’est pas systématique. Mais force est de constater que le recours au juge ne l’est pas non plus : des pans entiers du droit international178, européen ou français se développent sans l’intervention d’une quelconque juridiction qui représenterait plus la « pathologie » du droit que le droit lui-même179. Tout au plus pourrions-nous avancer l’idée que la force contraignante d’une norme viendrait de la possibilité d’un recours juridictionnel180, mais c’est sans doute là assimiler la sanction à sa menace, voire au sentiment d’être contraint par la norme.
69Le concept de « force contraignante », censé répondre à l’interrogation sur la manière avec laquelle une norme s’impose, ne peut alors selon nous s’assimiler complètement à la sanction. Le concept est en effet polysémique même en droit et une norme peut devenir obligatoire par d’autres biais que la simple mise en jeu de mécanismes qui lui sont extérieurs. Au même titre que la formulation impérative du contenu de la norme (son énoncé) n’explique pas à elle seule que l’on doive s’y conformer, le recours au concept de sanction ne paraît pas expliquer correctement comment la norme s’impose. Certains auteurs ont alors proposé une définition de la sanction en droit qui paraît plus satisfaisante, celle de « contrainte externe imposée »181, qui est l’acte de volonté d’un auteur qui s’impose à un agent, « la configuration du système juridique [étant] telle qu’elle crée une situation objectivement contraignante »182. Le droit se formule ainsi de manière conditionnelle comme suit : si tu ne respectes pas la prescription X, tu risques telle ou telle sanction183.
70Le « droit doux » serait donc celui qui n’attache aucune sanction au non respect de la prescription posée par la norme. Cependant cette définition est rendue moins pertinente par la coïncidence évidente entre l’absence de force obligatoire et l’absence de force contraignante. En effet la contrainte n’a de sens que si l’on veut obliger. Distinguer l’effectivité de la norme (savoir si l’obligation existe et si elle fonctionne) des moyens pour la mettre en œuvre n’est utile que si l’obligation existe, et qu’elle est formulée de manière suffisamment précise. L’obligation ne s’entend ainsi que par la contrainte, car elle est l’un des moyens en vue de l’assurer. La distinction entre les deux concepts relève alors d’une hypothèse purement théorique, car dans les faits, ils sont irrémédiablement liés184. Toutefois, cette dissociation s’explique en ce qu’elle permet de distinguer la norme de ses effets et des moyens existants pour la mettre en œuvre.
71S’intéresser au « droit doux », c’est alors s’intéresser non plus à la qualité ou à la nature de l’instrument, mais à un élément extérieur et consubstantiel. Il pose la question des conséquences attachées à son non-respect, et se distingue alors du « droit mou » précédemment évoqué. Il nous semble cependant que, précisément, les actes de « droit mou » viennent perturber cette distinction entre la force obligatoire et la force contraignante, et, par là, la pertinence même du concept de « droit doux » dans l’identification de la soft law.
B - La confusion subséquente entre le droit mou et le droit doux
72Le lien génétique entre la force contraignante et obligatoire maintenant exposé, nous nous retrouvons devant une nouvelle difficulté : le fait de savoir si la contrainte existe suppose que l’on a voulu obliger, et les instruments de « droit mou » manifestent justement une volonté inverse. Les instruments cumulant les deux faiblesses de la force sont ainsi nombreux, à tel point que la pertinence de la distinction mou-doux est largement à relativiser
73L’apparition et le développement d’instruments mous témoignent, nous l’avons dit, d’une volonté de l’auteur de la norme de ne pas s’obliger en droit ou de ne pas lier juridiquement ses destinataires. Pourquoi alors vouloir sanctionner juridiquement une obligation qui n’existe pas ? Si l’on a voulu ne pas obliger, et si la force obligatoire est atténuée ou inexistante, la force contraignante le sera elle aussi. Noter cette absence est théoriquement intéressant, car elle permet de contester en droit les effets de la soft law. Mais relever cette absence, c’est irrémédiablement admettre que la contrainte n’existe que si l’obligation est posée, et c’est aboutir à la conclusion que si l’on envisage la soft law dans son ensemble, le concept de « droit doux » n’est qu’un avatar ; qu’une conséquence du « droit mou ».
74Les instruments déjà dépeints cumulent ainsi bien souvent tant l’absence de force obligatoire que de force contraignante : le « droit mou » est aussi un « droit doux ». En droit international, rien ne prévoit en effet une quelconque sanction juridique attachée au non-respect d’une recommandation d’une organisation internationale. Le droit français témoigne du même état de fait lorsqu’on s’aperçoit que la plupart des recommandations des autorités administratives indépendantes, actes qui ne lient pas en droit ni leurs destinataires ni leurs auteurs, ne bénéficient en général d’aucun mécanisme de contrainte en droit. Mais, encore faut-il le rappeler, ceci est logique dans la mesure où ces actes ne supposent et ne contiennent aucune forme d’obligation. M. DELMAS-MARTY tempère néanmoins notre propos lorsqu’elle concède que malgré sa méfiance à « l’égard des délices de la sophistication juridique, [elle doit] convenir, bien que les deux échelles (le mou et le doux) soient le plus souvent confondues, que la dissociation permet d’affiner la mesure de la force juridique avec laquelle jaillissent les sources du droit »185.
75Le « droit doux » témoignerait alors selon nous des hypothèses où une obligation n’est pas sanctionnée, notamment par les tribunaux. On pense ainsi au courant de la « justice alternative » qui désigne « l’ensemble des pratiques ou procédures, les plus souvent informelles, de résolution des conflits, impliquant habituellement l’intervention d’un tiers qui, à l’aide de techniques non juridictionnelles, permet de parvenir au règlement d’un conflit opposant deux ou plusieurs parties »186. La « médiation » ou la « conciliation » paraissent alors révéler des mécanismes d’évitement de la sanction juridique étatique, et semblent ainsi mieux recouvrir la réalité de cette acception. Il convient donc d’atténuer assez largement la pertinence du concept de « droit doux », car, nous le répétons, le « droit doux » n’est qu’une conséquence du « droit mou », de sorte que l’autonomie du concept au regard du phénomène de soft law est selon nous à remettre en cause.
76La soft law, présentée sous un triple visage, revient déjà à une certaine unité, tant la distinction entre les forces qui s’attachent à l’instrumentum ont en réalité peu de pertinence en la matière. Le dernier sens de la soft law qu’il nous reste à aborder met en lumière les faiblesses du negotium, et le présenter à part ne relève donc pas de l’artifice, mais bien d’une nécessité scientifique.
§3. La référence à la formulation du negotium : le « droit flou »
77Cette conception de la soft law se distingue des deux autres précédemment évoquées par un changement de l’objet d’étude. Les caractères inhérents à l’acte qui porte la norme, c’est-à-dire la question de sa forme ou de sa force ne sera pas évoquée. Le « droit flou » est en effet celui dont le negotium, le contenu, est formulé de manière vague, imprécise ou en laissant une marge d’interprétation à son destinataire. Il suppose alors une conception matérielle de la normativité : en s’intéressant aux qualités de l’énoncé signifiant la norme, on dépasse une conception formelle qui voudrait que tout acte reconnu par l’ordre juridique et pris selon les règles de compétences et de procédure posé par lui soit une norme indépendamment de son contenu. Le « droit flou » s’analyse alors en terme sémantique dans la mesure où ce sont bien les qualités de l’énoncé normatif lui-même qui sont sujettes à caution. En effet, l’acte ou l’instrument qui recèle ce « flou » n’est pas en cause, car il s’agit de normes habituellement reconnues et ayant toute leur place dans la hiérarchie kelsenienne ou dans l’article 38 du statut de la C.I.J. pour l’ordre juridique international. Cette soft law « matérielle », troisième et dernière acception reconnue du concept, ne doit pas alors être considérée comme un avatar du « droit doux » ou du « droit mou », mais bien comme un objet d’étude à part entière187.
78Ce droit n’est donc plus celui de la nouveauté : bien loin des instruments précédemment étudiés, le « droit flou » s’intéresse aux actes communément reconnus comme appartenant à la hiérarchie des normes : traités internationaux, décisions de la commission, actes législatifs sont en effet tous visés par ce phénomène.
79Là encore, il est clair que le phénomène s’est développé en premier lieu dans le droit international, et cette soft law matérielle semble encore le traverser de part en part (A). Toutefois, comme nous avons pu le constater pour la soft law formelle, le « droit flou », technique particulière de formulation du droit, se retrouve aussi en droit interne (B).
A - Le droit flou, première acception de la soft law internationale
80Cette conception de la soft law apparaît traditionnellement dans la doctrine des juristes de droit international comme celle qui a le plus de force, et repose sur une analyse de la souplesse du contenu de l’instrument utilisé. La doctrine internationaliste semble s’accorder sur l’émergence de ce phénomène et paraît parfois même l’assimiler entièrement au concept de soft law (1). Une frange minoritaire des auteurs estime toutefois que la notion de « droit flou » ne doit pas entrer dans la soft law internationale (2).
1 - Une doctrine majoritaire assimilant le droit flou à la soft law
81Nous avons vu que le concept de soft law s’était développé d’abord dans le droit international public, son « inachèvement » favorisant l’émergence de figures nouvelles dans la normativité. Mais avant de considérer ces nouveaux actes, rappelons que l’origine du mot soft law est attribuée à Lord Mc NAIR qui décrivait alors le droit sous forme de propositions ou de principes abstraits188. La notion n’est donc pas née avec le développement anarchique d’actes atypiques, mais bien avec un changement dans le contenu même des normes du droit international. Ces dernières seraient ainsi parfois formulées de manière imprécise, floue, formant par là une démarcation entre le « déclaratoire », le « proclamatoire » et « l’exécutoire »189.
82Deux hypothèses semblent toutefois pouvoir se dégager. D’abord, la soft law matérielle recouvre les dispositions purement déclaratoires ou « politiques » insérées dans les dispositions conventionnelles, et dont la formulation imprécise sous forme de souhait ou de vœu pieux entacherait leur caractère obligatoire. Il s’agit ici des dispositions purement déclaratoires et politiques notamment énoncées au début des Traités internationaux.
83Certains auteurs assimilent alors entièrement la soft law à la souplesse du contenu de l’instrument. Pour eux, la notion recouvre les dispositions conventionnelles dont la formulation reste imprécise, et qui ne renferment au mieux que des obligations de résultats, ou des obligations pré-juridiques190 (expliquant la traduction parfois rencontrée de « droit vert »). Ces dispositions relèvent ainsi de l’hypothétique ou du « souhaitable », et rendent poreuse la frontière séparant la lex ferenda de la lex lata191, variante de la distinction précédemment exposée entre le droit et le « non-droit »192. Etudier le « droit flou » revient alors encore une fois à rejeter un phénomène hors du droit classique193, comme c’est le cas lorsque l’on s’intéresse aux instruments « mous ». La soft law matérielle heurte la rigueur d’un droit fondé sur le commandement et reposant sur la loi ou la convention. Ces actes conventionnels contiennent en effet un type de disposition qui présente une « inaptitude normative », c’est-à-dire « qui ne contient aucune directive de comportement et qui laisse intacte la liberté de ses destinataires »194. La formulation non impérative de l’énoncé normatif est alors au centre de cette conception, ce « wording » particulier faisant obstacle à une réelle normativité. Les expressions signifiant que les États « souhaitent », « désirent », « cherchent à », « font des efforts pour » sont pour les tenants de cette conception des indices viables du caractère souple de la norme contenue dans telle ou telle convention internationale195.
84Ensuite, sont visées les dispositions énoncées sous forme de principe, laissées à la libre interprétation des parties, mais surtout du juge, qui les rend effectives : « il s’agit fréquemment de proclamations de droit désirable, permettant d’effectuer des jugements politiques, mais pas juridiques au sujet d’une législation ou d’un comportement »196. Le droit de l’environnement en est l’exemple le plus frappant, l’émergence de grands principes environnementaux dans les années 1970 figurant assez bien le phénomène197. Cette deuxième manifestation présente cependant non pas une différence de nature avec la première, mais bien une différence de degré : dans les deux hypothèses, le destinataire de la norme se voit en effet octroyer une certaine liberté d’appréciation et une marge de manœuvre dans l’application des prescriptions énoncées. Dans le cas de la formulation des principes abstraits se bornant à donner des orientations, c’est en réalité au juge de rendre opératoire la norme insérée, notamment par un effort de conciliation des principes contradictoires198. Plus généralement, cette partie de la doctrine considère « qu’une règle de soft law dans un traité est celle qui donne à l’Etat une plus grande marge d’action ou d’exercice de pouvoir, tandis que la hard law conventionnelle détermine rigoureusement le comportement de l’Etat ou le résultat à atteindre »199.
2 - Une doctrine minoritaire excluant le phénomène de la définition de la soft law
85D’autres auteurs s’évertuent au contraire à exclure les dispositions déclaratoires insérées dans des actes obligatoires de la définition de la soft law. Cette partie de la doctrine considère en effet que la force obligatoire de ces dispositions ne pose aucun problème, car elles revêtent celle de l’instrument qui les porte. P.-M. DUPUY note ainsi qu’« il existe (...) de plus en plus de dispositions conventionnelles rédigées avec une telle prudence normative que l’obligation ainsi énoncée est seulement celle de s’efforcer d’atteindre un certain but, sorte de version édulcorée de l’obligation de résultat. On doit cependant exclure ce type de norme du cadre de la soft law, parce que, formellement, il s’agit bien toujours d’obligations contractuelles »200. P. WEIL a lui aussi estimé que « le fait qu’une règle soit soft ou hard n’affecte certes en rien son caractère normatif : une règle conventionnelle ou coutumière peut être peu contraignante, soft : elle ne cessera pas pour autant (...) d’être une norme juridique »201.
86Il s’agit là d’un artifice habile et pratique : prendre en considération uniquement l’acte (ou la nature de la règle) et non ce qu’il contient pour déterminer sa force obligatoire revient à évacuer purement et simplement les faiblesses de la formulation de la proposition normative qu’il recèle. C’est s’inscrire de fait dans une logique purement normativiste qui privilégie une conception essentiellement formelle de la validité, logique pourtant assez peu adaptée aux caractères du droit international public (en l’absence de hiérarchie des normes). Ces auteurs se rattachent en effet à un critère formel de définition des conventions internationales, et semblent ainsi mélanger le processus de formation et son produit : « une loi. produit d’une procédure législative, ne se confond pas avec cette dernière, et ne s’y réduit pas (...) Un traité, résultant d’un ensemble de procédures conventionnelles, contient des normes conventionnelles dont l’autorité apparaît distinct du mécanisme lui-même »202. Même KELSEN admet ainsi qu’un acte formellement valide au sein de la hiérarchie des normes puisse avoir un « contenu juridiquement irrelevant »203, c’est-à-dire qui ne constitue pas une norme. Il estime en effet qu’il faut « distinguer nettement cette “norme” de l’acte de volonté qui la pose : elle est bien la signification spécifique de cet acte qui vise, en intention, la conduite d’autrui ; elle est cependant autre chose que cet acte. En effet la norme est un “devoir être” (Sollen), alors que l’acte de volonté dont elle est la signification est un « être » (Sein) »204.
87Il nous semble ainsi qu’essayer de distinguer l’acte et la norme qu’il porte est riche en enseignements. Certes ce distinguo n’aurait pas vraiment sa place dans une conception où la validité d’une norme ne serait que formelle, mais l’intérêt de cette soft law « matérielle » est précisément de montrer en quoi la « mauvaise » qualité de la proposition normative affecte son effectivité. Bien plus loin que l’absence de sanction du « droit doux », le caractère inopérant de certaines règles du « droit flou » les rend ineffectives car elle laisse une marge d’appréciation à leurs destinataires205.
88Savoir si le phénomène est réellement récent semble toutefois malaisé à déterminer, tant le droit formulé selon des principes abstraits, voire selon de simples propositions n’engageant pas les États a toujours existé, notamment dans l’exorde des conventions internationales. Cette conception de la soft law en droit international semble donc être celle de la multiplication et du développement du phénomène de dégradation de la formulation des règles de droit. L’approche utilisée lorsque l’on étudie la soft law matérielle relève alors d’une logique à la fois qualitative (comment la règle est-elle formulée ?) et quantitative (combien de règles sont ainsi formulées ?). Cette manière d’appréhender le concept, et cette dégradation, non pas des sources du droit (comme exposé pour le « droit mou »), mais des normes elles-mêmes pénètre aussi le droit interne.
B - Le droit flou, phénomène connu du droit public français
89La soft law matérielle, censée être née en droit international, semble connaître une vigueur tout aussi visible dans notre ordre juridique. En effet, nombre d’auteurs ont pu dénoncer la dégradation de la loi, norme pourtant considérée comme absolue et gravée dans le marbre (du moins dans l’esprit des révolutionnaires français).
90Il est ainsi communément admis que la loi est descendue de son socle206, tant ses qualités premières de généralité, d’abstraction et de permanence semblent remises en cause par des lois techniciennes, parcellaires et « bavardes ». Il nous semble alors que c’est bien le droit public français (et surtout son instrument d’action privilégié qu’est la loi) qui est le plus touché par les vicissitudes de la soft law matérielle. La loi, instrument unilatéral par essence, est censée commander et non recommander, et force est de constater que ce n’est pas là un caractère habituellement reconnu au contrat de droit privé, fondé sur l’autonomie de la volonté207.
91Cependant, comme en droit international, cette acception de la soft law semble recouvrir deux réalités distinctes dans leur origine mais similaires dans leurs effets. D’une part en effet, cette soft law matérielle se comprend comme un droit formulé sous la forme de principes abstraits (1). D’autre part, elle s’entend comme un droit peu effectif dont les règles se formulent de manière non impérative. Il s’agit de l’hypothèse vivement critiquée en doctrine des dispositions législatives « non prescriptives », voire « non normatives » (2).
1 - Un phénomène ancien et nécessaire : le droit sous forme de principe
92La loi est classiquement censée se formuler de manière abstraite et générale. Bien loin des normes personnelles et individuelles, elle a longtemps été considérée comme la norme générale et impersonnelle par essence, proche du commandement divin. C’est l’approche qui semble en effet avoir été privilégiée par les révolutionnaires dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et qui semble avoir survécu dans notre droit positif par l’article 34 de la constitution de 1958 qui énonce que la loi « fixe les règles » et « détermine les principes fondamentaux »208. La formulation de principes généraux par la loi n’est donc pas nouvelle, et c’est même un gage d’égalité et de lutte contre l’arbitraire en ce qu’elle évite de viser des situations personnelles, limitées à un groupe particulier.
93Ainsi, la démarche consistant à insérer ces principes au sein de la soft law doit être pondérée. En effet, le Code civil regorge de principes généraux tels que la « bonne foi »209 de l’article 1134 §3. Le droit constitutionnel reconnaît pléthore de principes constitutionnels en matière de droits fondamentaux et le juge administratif dégage bon nombre de principes généraux du droit, parfois repris par le législateur. Or la force de ces principes n’est pas contestée : s’agissant notamment des droits énoncés dans le préambule de la Constitution de 1958, leur valeur juridique n’est en effet plus à démontrer210. Elle ressort d’une consécration par le juge constitutionnel de sa normativité, consécration ayant opéré une mutation dans la qualité de la norme : « un des exemples les plus topiques (...) est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont la force déclaratoire a été transformée en force prescriptive par l’effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel »211. La formulation de principes généraux par la loi ou la Constitution ne s’apparente donc pas à une faiblesse du negotium, bien au contraire : ces normes-là sont justement les plus « indérogeables » de notre droit. S’agissant des droits fondamentaux de la seconde génération, les « droits-créances », leur réalisation impose même en théorie une obligation d’intervention au législateur : en effet ces derniers « sont consacrés par les dispositions constitutionnelles qui mettent à la charge de l’État une obligation d’intervention positive en vue de répondre à un certain nombre de besoins fondamentaux de la vie humaine, besoins matériels (droit à l’emploi, droit à la protection contre les risques ordinaires ou “exceptionnels” de l’existence) et intellectuels (droit à l’éducation, droit à la culture...) »212.
94Le flou ne s’analyse pas alors selon l’échelle utilisée pour le « mou » et le « doux ». Bien loin d’affecter l’effectivité de la norme par l’absence de force contraignante ou obligatoire, le « flou du droit » se comprend surtout comme un moyen pour l’auteur de la norme de garder une marge de manœuvre213 et de conserver une certaine généralité pour consacrer des droits ou des règles qu’il souhaite voir appliquer à un nombre indéterminé de situations. Le caractère obligatoire de ces normes n’est donc pas vraiment remis en cause.
95Dans une perspective purement formelle, elles sont en effet insérées dans des instruments classiques de la hiérarchie des normes, ce qui leur confère une certaine validité214. Dans une perspective matérielle, leur contenu reste à déterminer, et laisse une marge d’interprétation au récepteur de la norme (en n’ayant parfois qu’une simple obligation de moyen et non de résultat). Néanmoins cette marge d’appréciation ne signifie pas forcément que la réalisation de cette norme ne leur est pas imposée : c’est en réalité au juge de rendre opératoires ces notions floues car elles lui donnent « une potentialité d’aménagement de la norme en fonction de la réalité sociale ; elles apparaissent alors essentiellement comme des moyens privilégiés de la régulation sociale, des instruments judiciaires d’équilibre (...) »215, tout comme certains standards jurisprudentiels216. En effet, le standard, défini comme une « technique de formulation de la règle de droit qui a pour effet une certaine indétermination a priori de celleci »217 pourrait alors s’apparenter a priori à la soft law. Pourtant, à notre sens, il n’en est rien : si le « droit flou » constitue aussi pour nous une « technique particulière de formulation », elle est celle qui porte sur des énoncés particuliers dont le caractère obligatoire révèle une certaine indétermination, et non sur des règles posant des concepts à la définition indéterminée, et dont la nature obligatoire n’est pas en cause.
96Ces principes ne sont alors que la manifestation d’un droit qui ne s’épuise pas dans les règles. HART avait ainsi développé l’idée d’une « texture ouverte du langage » du législateur afin de réglementer un nombre indéterminé de situations de fait : « quel que soit le procédé choisi pour assurer leur communication, qu’il s’agisse du précédent ou de la législation, et quelle que soit la facilité avec laquelle ils règlent la grande majorité des cas courants, ces modèles de comportement s’avéreront indéterminés sous un certain aspect qui rend leur application problématique ; ils possèderont ce que l’on a appelé une texture ouverte »218. DWORKIN a lui aussi théorisé cette palliation des lacunes du droit par les principes, à la différence près qu’il place le juge et le contentieux des cas douteux (« hard cases ») à l’origine de leur formulation219 (le juge se contentant d’ailleurs de découvrir des principes supérieurs et préexistants au litige).
97Accueillir au sein de la soft law cette formulation du droit par principe relève donc de l’artifice. En effet, ces principes ont en réalité toujours existé, et il est paradoxal de critiquer leur développement anarchique et l’atteinte qu’ils peuvent porter au droit classique lorsque l’on sait qu’eux seuls sont à même d’assurer sa généralité et son adaptabilité. Tout ne serait à notre sens qu’une question de degré dans cette « teneur indécise du droit »220 : la généralité des principes s’entend en effet par la nécessaire généralité du droit, mais encore faut-il qu’un organe puisse intervenir pour les appliquer aux cas concrets. C’est donc bien le juge qui détermine quelle est la portée de ces principes en décidant de les sanctionner ou non. Ainsi, concernant cette première hypothèse de la soft law matérielle, nous pouvons constater avec M. DELMAS-MARTY que « contrairement à certaines assimilations hâtives, le flou du droit (fuzzy law), qui renvoie à la validité formelle et à la rationalité des systèmes de droit, n’est pas la traduction de la soft law, qui renvoie plutôt à la validité empirique et à la question de l’effectivité d’un droit non obligatoire (droit mou) et/ou non sanctionné (droit doux) »221. Une autre conception du « droit flou », moins « conceptuelle » qu’« opérationnelle »222, plus récente et plus critiquée vient toutefois nuancer ces propos.
2 - Un phénomène récent et critiqué : les dispositions législatives non prescriptives
98Nous avons pu voir en quoi la prédominance d’un critère formel de définition des sources internationales, et notamment des traités internationaux, rendait inopérant le concept de soft law matérielle. Le problème se rencontre aussi en droit interne lorsque la loi n’est envisagée que formellement, tant et si bien que la question de la soft law matérielle pourrait être rapidement évacuée. Telle n’est pas notre position, car encore une fois, l’acte ou l’instrument doit être séparé de l’énoncé qu’il contient. Certes une loi contenant des dispositions non prescriptives restera bien une loi, au même titre qu’un décret pris en Conseil d’État contenant des directives « n’emporte pas la création d’une nouvelle catégorie d’acte règlementaire »223. Cependant l’intérêt de l’analyse du « droit flou » se comprend en terme d’effectivité et non en terme de validité.
99Partant, le phénomène de dégradation de la loi peut être analysé comme un aspect de la soft law en droit public. En effet, on a pu observer l’apparition et le développement de normes « non prescriptives » insérées dans des instruments normatifs obligatoires tels que la loi votée par le Parlement, tout comme celles insérées dans les conventions internationales et qui relèvent du phénomène originel de la soft law. Se pose alors encore ici la question de savoir quelle est l’approche à adopter face à ces normes considérées comme « affaddiblies ».
100Il s’agit bien entendu d’abord d’adopter une démarche qualitative qui consisterait à rendre compte exactement de la teneur de ces normes. Ce qui semble être le plus souvent relevé par la doctrine est bien l’absence de formulation impérative de l’énoncé normatif. Cependant, il est certain que le droit ne se formule généralement pas à l’impératif quand on pense à la variété des normes existantes (et notamment aux normes permissives224) ou quand on sait que le droit constitutionnel assimile l’indicatif à l’impératif225. Bien plus loin que l’absence d’impératif, ces normes ne revêtent en effet qu’une portée déclaratoire, proclamatoire, voire purement émotive (l’adjectif étant volontairement péjoratif).
101Essayer de recenser ces dispositions relève de la gageure, tant les exemples foisonnent226. Ces derniers semblent toutefois témoigner d’une volonté d’assigner de simples objectifs de moyens aux destinataires de la norme, en disposant simplement qu’ils « s’assurent » ou « s’efforcent » de les respecter. Ainsi l’article 1 de la loi du 3 janvier 1977 énonce que « L’architecture est une expression de la culture ; la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant (...) sont d’intérêt public. Les autorités habilitées à délivrer le permis de construire ainsi que les autorisations de lotir s’assurent au cours de l’instruction des demandes du respect de cet intérêt »227. La fonction de prescription de la loi s’effacerait ainsi face à une intention de proposition, voire de simple proclamation228, s’éloignant de fait de toute normativité et se rapprochant de la recommandation.
102Dans une perspective quantitative, essayer de déterminer non seulement le nombre des dispositions visées mais aussi leur éventuelle augmentation reste très délicat. Il est bien difficile en effet de n’y voir qu’une vue de l’esprit, au même titre que certaines « crises » dont serait victime le droit public français et certains de ces actes. Toutefois, deux acteurs sont intervenus récemment pour critiquer ce phénomène. Le Conseil d’État d’abord avait pu s’indigner de la loi bavarde et d’un « droit à l’État gazeux » dès 1991229. Le Conseil constitutionnel est lui aussi intervenu à plusieurs reprises en posant d’abord un principe de clarté de la loi230 et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme231, puis en censurant explicitement depuis 2005 les dispositions dépourvues de portée normative232 (ce qu’il se refusait jusqu’ici à faire233). Ces « neutrons législatifs » sont donc maintenant considérés comme étant inconstitutionnels, ce qui vient mettre à mal cette conception matérielle de la soft law. Il faut toutefois garder une certaine prudence dans cette analyse. En effet le Conseil s’est limité à censurer les dispositions « non normatives » et plus précisément celles qui sont purement déclaratoires. Or il nous semble que cette faiblesse de la force obligatoire de l’énoncé normatif est susceptible de degré, et que l’incantatoire ou le proclamatoire peut parfois faire place à une démarche incitative, propre à revêtir une forme de normativité.
103Nous avons montré le caractère pluriel et hétérogène du concept de soft law et sa réception dans la doctrine internationale, européenne et interne. En réalité, deux acceptions nous semblent maintenant réellement pertinentes, celles qui s’attachent à la force obligatoire du negotium et de l’instrumentum (en réalité déterminé par sa nature). D’un concept à triple visage, nous avons montré que la soft law recouvre en fait deux hypothèses apparemment distinctes : le « droit mou » et le « droit flou ». Loin d’un concept doctrinal pratique, propre à ratisser tous les phénomènes étrangers à la figure d’un droit obligatoire et sanctionné, il nous semble que la soft law relève d’une « technique », au même titre que la règle de droit, mais dont la nature reste encore à déterminer.
Section seconde. LA SOFT LAW, UNE TECHNIQUE DUALE
104Après avoir écarté certaines acceptions de la soft law dans notre première section, il s’agit maintenant d’essayer de ramener le concept à une certaine unité, sans quoi aucune réelle grille d’analyse pertinente ne pourra être proposée. En effet, la soft law, qu’elle soit formelle ou matérielle, n’est souvent définie que par opposition au droit classique. Le concept est alors relativement commode pour la doctrine qui y range toutes les manifestations de la normativité « diluée ». En conséquence, elle accueille en son sein un nombre grandissant d’actes innommés que l’on rejette volontiers dans une catégorie qui, de fait, n’en est pas une. Elle comprend ensuite nombre de dispositions non impératives, proclamatoires, incitatives ou recommandatoires insérées dans des instruments formellement obligatoires.
105C’est bien cette dualité de la soft law qu’il faudra d’abord essayer de pondérer, tant ce « concept parapluie » semble hétérogène : la distinction entre le « droit mou » et le « droit flou » peut en effet être remise en cause par l’étude approfondie des actes concernés (Paragraphe premier). Toutefois, cette remise en cause ne peut être en réalité que partielle, en ce qu’il existe des situations particulières de dissociation entre les deux phénomènes (Paragraphe second). Bien plus loin qu’un concept doctrinal englobant, la soft law relève d’une technique, de sorte que si le concept apparaissait comme un discours essentiellement doctrinal sur certains instruments ou énoncés, il s’en détache nécessairement pour devenir un réel instrument ou une méthode d’édiction de la norme.
§1. Un lien apparent entre le droit mou et le droit flou : l’unité de la soft law
106Le « droit mou » et le « droit flou », figurant successivement la conception formelle et matérielle de la soft law, sont en réalité étroitement liés. D’abord, le « droit flou » constitue la technique privilégiée de formulation des énoncés contenus dans les instruments relevant du « droit mou » (A). Ensuite, l’utilisation de ces derniers s’explique précisément par l’existence d’un droit formulé de manière floue : le « droit mou » est bien souvent le vecteur d’application du « droit flou » (B).
A - Le droit flou, technique de formulation des actes relevant du droit mou
107Le « droit flou », technique particulière de formulation de l’énoncé normatif, se retrouve au sein des instruments « mous » précédemment étudiés. Une certaine coïncidence entre la nature de l’instrumentum (le contenant) et la qualité du negotium (le contenu) est en effet à relever (1). Ce lien entre les deux phénomènes est porté à son point culminant lorsque le « droit flou » est constitué par un « droit mou » repris par la suite dans un instrument « dur » (2).
1 - Le droit mou : une coïncidence évidente entre la nature de l’instrumentum et la qualité du negotium
108Les instruments relevant du « droit mou » constituent des actes sui generis, développés par la pratique des acteurs et parfois en dehors de toute habilitation légale. A ce titre, nous avons pu voir une partie de leur spécificité : leur nature formelle est en effet originale en ce qu’elle ne cadre pas vraiment avec la hiérarchie classique des normes juridiques. Le « droit mou » se comprend donc comme un ensemble d’actes particuliers qui forment une catégorie très hétérogène, catégorie dont le trait caractéristique principal consisterait essentiellement en l’absence totale ou partielle de force obligatoire.
109Toutefois, un facteur d’unité semble se dégager au sein de ces actes divers. En effet, si l’on s’attache à étudier leur contenu, c’est-à-dire si l’on regarde la qualité du negotium, on constate qu’elle correspond à ce que la doctrine a pu critiquer concernant la loi. Ces actes de « droit mou » se formulent ainsi la plupart du temps en termes flous, de sorte que la nature même de l’acte déteint sur son contenu. Il est en effet évident qu’une recommandation ne commande pas ou qu’une ligne directrice se contente d’offrir un simple modèle de conduite facultatif à ses destinataires.
110Il est donc constant que le « droit mou » est aussi et avant tout un « droit flou » contenu dans un acte particulier234 dont il revêt les caractères extérieurs et premiers. L’apparence de ces actes, symbolisée par leur dénomination si particulière de « charte », de « ligne directrice » ou encore d’« acte final », n’est alors que leur fond qui ressurgit au grand jour. Il peut s’agir aussi de la volonté de l’auteur et de son pouvoir discrétionnaire qui ressortent dans le choix d’un tel instrument, lorsqu’il opte pour une recommandation en lieu et place d’une décision. La distinction entre le negotium et l’instrumentum peut donc être assez largement relativisée s’agissant du phénomène relevant du « droit mou », la forme n’étant que le fond qui ressurgit. L’acte particulier de « droit mou » recèle en effet une technique particulière de formulation de l’énoncé, technique qui se révèle avant tout dans la dénomination particulière que l’auteur a bien voulu donner à l’acte qu’il édicte. Par conséquent il nous semble avec J. CHEVALLIER que « ce droit doux (soft law), parce que dépourvu de dimension contraignante, est aussi inévitablement un droit flou : formulé en termes d’objectifs, directives ou de recommandations, le droit perd de sa précision ; non seulement se multiplient les termes vagues, tels que “charte” ou “partenariat”, mais encore la formulation sous forme de principes ou de standards crée une zone d’incertitude et d’indétermination »235.
2 - Le droit flou, une reprise du droit mou dans un instrument normatif
111Cette hypothèse de reprise ou d’intégration d’actes relevant formellement de la soft law par des instruments obligatoires figure pour une partie de la doctrine de droit international public le phénomène de soft law lui-même et certaines traductions rencontrées en droit interne. La soft law relève ainsi parfois d’un « droit vert »236, « pour évoquer l’image d’une règle de droit qui n’aurait pas mûri suffisamment pour accéder au niveau d’une normativité à part entière »237. Les États préfèreraient ainsi l’adoption d’instruments de « droit mou » dans des domaines où le consensus ne s’est pas encore fait, pour les intégrer par la suite dans des instruments classiques que sont les traités internationaux : « La soft law explore et défriche les nouvelles aires d’expansion de la règlementation juridique (...) Elle joue le rôle d’éclaireur et de tête de pont de cette expansion, démarquant les nouveaux territoires de la règlementation (...) tout en incitant les États à aller de l’avant dans l’élaboration de cette règlementation ou à l’affiner d’avantage dans son contenu et ses instruments »238.
112Le phénomène pourrait alors se comparer avec celui de la coutume internationale qui est parfois reprise par un traité, lorsque cette dernière s’est suffisamment généralisée. Source formellement reconnue du droit international public, la coutume peut parfois aussi reprendre à son compte une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, tout comme une résolution peut formaliser une règle coutumière. Cette « dynamique » des sources du droit n’échappe donc pas à la soft law formelle qui peut parfaitement s’intégrer dans des instruments « durs » et cette « vision tend à concevoir le droit dans tout son processus à partir du premier stade de formation, où une norme juridique fait apparaître son germe, jusqu’au stade de l’affermissement (...) Ainsi, chaque norme de soft law se place à une des étapes du processus de formation des règles de droit »239.
113Or, nous l’avons dit, le « droit mou » est souvent un « droit flou » se formalisant dans un instrument particulier. Repris dans un instrument relevant des sources classiques du droit, ce negotium gardera sa nature et les faiblesses qui touchent sa force obligatoire. Pourtant formellement il s’agira d’un instrumentum obligatoire et contraignant mais dont les obligations sont imparfaites ou formulées de manière imprécise. Dans cette hypothèse, le « droit flou » ainsi constitué est, dans une perspective dynamique, un « droit mou » qui s’est « endurci » dans un instrument formellement obligatoire.
114Le lien entre le « droit mou » et le « droit flou » est donc avant tout un lien consubstantiel qui unit l’essence et la substance. Plus loin, le « droit mou » apparaît comme le vecteur d’application du « droit flou ».
B - Le droit mou, vecteur d’application du droit flou
115Les actes relevant du « droit mou » ne se développent pas toujours en dehors de la hiérarchie des normes ou tout du moins sans habilitation légale. Expression particulière des compétences de certaines autorités administratives indépendantes, ces actes apparaissent en effet comme le corollaire du « flou » des missions qui leur sont octroyées : le « droit mou » n’est alors qu’une conséquence nécessaire du « droit flou ».
116Les lois instituant certaines autorités administratives indépendantes montrent bien ce glissement du commandement vers la recommandation, notamment dans la définition de leurs missions. Ainsi l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication240 dispose que le C.S.A. « contribue aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations (...) Il veille, notamment, auprès des éditeurs de services de communication audiovisuelle, compte tenu de la nature de leurs programmes à ce que la programmation reflète la diversité de la société française (...) Le Conseil peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi ». Cet exemple nous semble particulièrement frappant et à double titre, dans la mesure où le « flou » des objectifs se double du « flou » des moyens, la présente loi se cantonnant à donner une simple possibilité d’adresser des recommandations aux opérateurs. Ceci est en outre aggravé par le constat généralement accepté que les compétences octroyées aux autorités administratives indépendantes distinguent assez mal celles à caractère décisoire et celles à caractère recommandatoire241.
117Les compétences normatives octroyées à une autorité, si elles sont peu ou pas obligatoires, témoigneraient ainsi d’un flou dans les missions qu’on lui octroie, une simple obligation de moyen ne pouvant pas vraiment justifier l’octroi d’actes obligatoires. Les instruments « souples » reflètent alors la volonté du créateur de l’institution de ne pas lui conférer un réel pouvoir de décision, car il considère qu’il n’est pas réellement nécessaire à l’exercice de ses missions.
§2. Un lien perturbé entre le « droit mou » et le droit flou : la dualité de la soft law
118La coïncidence entre la soft law formelle, celle qui s’attache à la nature de l’acte, et la soft law matérielle, celle qui s’attache à l’énoncé normatif, peut rencontrer des limites dans la pratique. Théoriquement, l’instrumentum n’est que l’apparence première, le miroir du negotium et de sa qualité. C’est un aspect du volontarisme dans l’édiction d’instruments mous : l’auteur n’envisage pas de lier ses destinataires (et de fait de se lier lui-même) et la rédaction de l’énoncé suit cette volonté.
119Le constat n’est toutefois pas si aisé à résumer. Il existe en effet une autre hypothèse de dissociation entre la qualité du contenu de l’acte et la nature du contenant, de sorte que si le droit « classique » est susceptible de degré dans la force obligatoire de l’énoncé normatif, justifiant l’hypothèse du « droit flou », le « droit mou », constitué par un ensemble d’actes innommés, semble connaître la même déformation (A). Cette nouvelle hypothèse témoigne alors d’une gradation dans la normativité qui toucherait les deux phénomènes. Indépendamment de la dénomination et la nature de l’instrument, la soft law revient à considérer que le caractère obligatoire de la norme est en effet susceptible de degré (B).
A - Une dissociation entre l’instrumentum et le negotium : les actes de « droit mou » contenant des normes « dures »
120Certains instruments de « droit mou » peuvent receler des obligations dures qui dénotent alors par rapport à l’« étiquette » que l’auteur de l’acte a bien voulu leur donner. Si l’on réalise une analyse sémantique de ces actes, on peut parfois constater que le discours employé se rapproche plus de l’obligation que de la simple invitation. Ainsi, les instruments de la soft law formelle ont parfois un contenu potentiellement précis, ce qui révèle au mieux une confusion de l’auteur dans la technique employée, au pire une réelle volonté de sa part de dépasser le caractère non obligatoire de l’instrument par une formulation largement plus « dure ».
121A ce titre, certaines recommandations du C.S.A. illustrent bien cette dissociation entre l’apparence et le fond. Par exemple la recommandation relative à la présentation TV de programmes, de jeux, de services ou de sites qui font l’objet de restrictions aux mineurs du 4 juillet 2006 « décide d’édicter » que « lorsque est diffusé un extrait ou une bande annonce d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle ou d’un jeu vidéo qui fait l’objet d’une classification par tranche d’âge ou d’une interdiction aux mineurs, cette classification ou cette interdiction doit être portée à la connaissance du public de manière claire et intelligible »242. Ce texte n’est que l’application de la compétence conférée au C.S.A. par l’article 15 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée243. Cependant, la recommandation en cause va plus loin en disposant que « des extraits ou des bandes annonces d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles interdites ou déconseillées aux moins de 12 ans, de jeux vidéos destinés aux plus de 12 ans ne doivent pas être diffusés ni pendant des émissions destinées à la jeunesse, ni dans les dix minutes qui précédent ou qui suivent ces émissions ».
122Il peut s’agir alors d’une volonté de l’auteur de s’affranchir des limites qu’on a pu lui poser dans ses compétences normatives. Une autorité qui n’est pas investie d’un réel pouvoir de décision dans tel ou tel domaine (qu’il soit formulé de manière floue ou qu’il soit à proprement parler inexistant) pourra essayer de contourner cette limitation par l’utilisation détournée d’instruments mous qu’on a bien voulu lui octroyer. La compétence générale de recommandation donnée aux A.A.I. leur ont ainsi bien souvent servi pour s’affranchir du cadre légal l’ayant institué. Dès lors la dénomination de l’acte peut paraître trompeuse dans le sens où son contenu ne lui correspond pas : en fait, c’est un réel pouvoir de décision qui avance masqué. Ce dernier peut ne pas exister dans un domaine particulier, et ce dépassement peut alors relever de l’incompétence. Ce pouvoir de décision peut aussi exister mais être refusé par l’auteur de l’acte, qui préfère agir en utilisant un acte de « droit mou » en lieu et place d’une décision faisant grief.
123Le juge jouera alors un rôle primordial dans la révélation de ces hypothèses de dissociation entre l’instrumentum et le negotium, en acceptant d’aller au-delà de la dénomination de l’instrument et de contrôler plus en avant la formulation même de la proposition normative. Ainsi le juge administratif français ne tient pas compte de l’apparence et n’hésite pas à requalifier les actes qui ne respectent pas la coïncidence précédemment exposée : pour le Conseil d’État, une recommandation ne doit pas commander, au même titre que le Conseil constitutionnel estime qu’une loi ne doit pas recommander. Aussi le Conseil d’État considère-t-il comme décisoire un « communiqué » du C.S.A. qui « restreint de manière impérative et générale » une interdiction posée par décret244. Le communiqué en question ne s’était pas en effet borné à interpréter les dispositions dudit décret et avait par là « fixé une règle juridique nouvelle », sans que compétence ait été donnée au C.S.A. En adoptant une telle démarche de requalification, l’attitude du juge se veut pédagogique et illustre particulièrement bien la nécessaire coïncidence entre l’instrumentum et le negotium. Plus que la simple concordance entre le fond et la forme, entre l’être et le paraître, c’est bien le contrôle de la compétence de ces autorités qui se joue lorsque le contenu dénote avec le contenant, et réaffirme la nécessaire correspondance entre le « droit mou » et le « droit flou ».
124Toutefois, là encore, tout ne semble être qu’une question de degré. Il existe en effet des hypothèses où un acte relevant du « droit mou » se contente de rappeler la règlementation en vigueur : dès lors les prescriptions énoncées ne fixent pas de règle juridique nouvelle. L’exemple des Chartes de lutte contre le bruit est à ce titre très pertinent, les maires préférant parfois formaliser la règlementation existante (et fondée sur l’article L. 2212-2 du C.G.C.T.) dans un outil relevant de la pure communication destinée aux personnes concernées : « Des arrêtés existent, mais leur contenu est décliné de manière plus attrayante, et leur publicité plus largement faite par des outils présentés comme contractuels (...) L’affichage a longtemps été, et demeure, un moyen de communiquer sur le droit »245. La question de savoir quelle est la réelle valeur de ces instruments se pose, au même titre que celle de savoir quelle sera l’éventuelle attitude du juge face à ces derniers246. La soft law, forme particulière de discours de droit, peut ainsi devenir un discours auto-légitimant du droit.
125Cette non-coïncidence entre l’acte et son contenu est au cœur du concept même de la soft law, et montre que quel que soit l’instrument utilisé, sa force obligatoire sera susceptible de degré.
B - Une dissociation figurant une échelle dans la normativité
126La soft law revient donc ici à une double forme. D’un côté elle signifie une « dégradation » des sources formelles du droit par une formulation « altérée » (ou de manière moins péjorative « particulière ») du negotium, formulation considérée comme peu ou pas obligatoire. De l’autre côté, elle formalise l’existence de cette même « dégradation » dans des instrumenta exclus des sources formelles du droit. La formulation de l’énoncé, ou plus précisément son langage et la forme employée est donc au centre du concept qui nous intéresse. Que l’on s’intéresse en effet au « droit mou » ou au « droit flou », que l’on remarque que les deux phénomènes se dissocient parfois revient à cette même idée : la soft law ne se comprend que par l’existence d’une gradation dans la normativité qui témoigne d’une diversité sémantique dans les énoncés dits « normatifs » (1). Cette gradation se manifeste en outre de manière indépendante vis-à-vis de la nature de l’instrumentum concerné (2).
1 - Une manifestation d’une gradation dans la force obligatoire
127L’idée selon laquelle la normativité serait susceptible de degré pose un postulat original qui ne voit pas une ligne de démarcation nette entre le droit et le « non-droit ». Cette frontière fondamentale entre le sein et le sollen, théorisée par la pensée classique et décrivant le droit comme un ordre obligatoire soumis à la contrainte étatique épuise en effet l’existence même de la soft law. Elle explique qu’au niveau formel, la doctrine précédemment exposée rejette ces instruments dans une catégorie définie a contrario tant ces derniers ne semblent pas correspondre aux sources classiques du droit. Elle permet de comprendre qu’au niveau matériel, le passage du commandement à la recommandation, concrétisé dans un discours particulier, c’est-à-dire non prescriptif, est condamné par cette même doctrine, voire par le juge. La soft law ne pourrait alors vraiment se comprendre que par une remise en cause de ces mêmes critères classiques de la règle de droit.
128Certains auteurs en droit international ont allègrement franchi le pas en estimant que la frontière séparant le droit et le non-droit devait être appréhendée comme poreuse et incertaine. Le « seuil de juridicité », propre à distinguer le droit de ce qu’il n’est pas ne serait pas cette ligne droite que la doctrine classique a bien voulu tracer, mais une ligne mouvante et qui n’est pas susceptible d’être appréhendée. P. WEIL énonce ainsi qu’« à la normativité conçue jusqu’ici comme un bloc unique tend à succéder une normativité graduée »247. G. ABI-SAAB confirme cette idée dans une approche plus dynamique, estimant que réduire la création et l’évolution du droit international en les formulant « exclusivement en terme de seuil, c’est adhérer à la théorie instantanée ou ‘big bang’ de la création du droit, en ignorant tout ce qui précède ce point, c’est-à-dire le processus cumulatif qui a mené à lui et qui continue au-delà »248. R. IDA va plus loin en offrant une grille de lecture censée systématiser cette frontière diluée : la soft law recouvrirait les traités dont la force obligatoire matérielle est affaiblie, et les résolutions (etc.) « en voie d’obtenir » cette force obligatoire matérielle ou en possédant déjà une mais d’un « niveau inférieur »249. Il exclut d’ailleurs les résolutions ayant un contenu disposant d’une force obligatoire matérielle totale : la soft law n’est pas un instrument « mou » à contenu « dur ».
129Certains auteurs en droit interne ont aussi tenté de dépeindre la gradation normative qu’implique la soft law. C. THIBIERGE dresse en effet une « échelle de densité normative du droit » : tantôt un droit déclaratoire (sans normativité, et sans sanction juridique), le « droit souple » deviendrait parfois un droit recommandatoire (comportant une « force obligatoire possible », et donc pouvant être sanctionné juridiquement, notamment par des mécanismes de responsabilité déclarés par le juge, ou par des sanctions dites « sociales »)250. Cette position confirme d’abord que le « droit doux » n’est qu’une conséquence du « droit mou » et du « droit flou », la perte du caractère obligatoire de la norme expliquant la perte de son caractère contraignant. Cette thèse appuie l’idée que ce « droit souple », même formalisé dans des instruments particuliers, peut connaître une gradation dans sa force obligatoire.
2 - Une gradation de la force obligatoire indépendante de la nature de l’instrumentum
130Le « droit flou » en est l’exemple le plus frappant, lorsqu’une disposition législative se contente de proposer ou d’inciter. Le « droit flou » en est encore la preuve la plus éclatante lorsqu’il s’insère dans des instruments à la nature et à la dénomination particulière. La gradation dans la force obligatoire de la norme se double alors d’une forme de gradation dans la nature de l’instrument qui la porte : une recommandation semble signifier clairement l’absence de commandement. Cependant une « Charte » ou un « Code de bonne conduite » paraissent marquer le passage à une étape supérieure, sans que leur contenu oblige généralement. De la même manière, une loi est censée commander, mais il arrive qu’elle n’y parvienne pas : son contenu ne portera en effet pas la même force, et sera alors susceptible d’interprétations divergentes. La dichotomie droit mou/droit flou, issue d’un même concept « parapluie », remet donc en cause les critères classiquement attribués à la règle de droit, et c’est pour l’instant la seule (et, il faut l’avouer, bien maigre) spécificité qu’on peut lui reconnaître.
131Le droit est susceptible de degrés : à ce titre, il laisse proliférer en son sein le « droit flou ». Le « droit mou » est lui aussi sujet à une gradation, et par conséquent, son contenu sera parfois potentiellement plus précis que son apparence première le laissait présager, comme si les instruments étudiés empruntaient la technique et le langage de l’autre. Le « droit flou » est censé représenter une invitation à adopter tel ou tel comportement, normalement associée aux instruments relevant du « droit mou ». Pourtant il arrive que le législateur (pris dans un sens large, puisque, nous l’avons vu, cette objection vaut aussi en droit international et européen) utilise cette formulation imprécise, peu ou pas obligatoire dans certaines de ses lois. Il arrive aussi que l’auteur d’une recommandation ne respecte pas la signification même de l’acte qu’il pose en formulant des prescriptions particulièrement « dures ». Il reviendra alors au juge de requalifier cette discordance, ou à l’auteur de l’instrument mou de le formaliser dans un instrument « dur » (dans l’hypothèse où ce dernier disposerait d’un pouvoir normatif complet, le pouvoir de prendre des décisions).
132Le concept aurait ainsi une terre privilégiée, celle des instruments particuliers que sont les recommandations, les programmes d’action, les lignes directrices, ou les codes de bonne conduite (la liste n’est pas exhaustive). Ces instruments sont en effet le théâtre d’une coïncidence parfaite entre leur nature et leur contenu : leur force obligatoire est atténuée ou inexistante d’un point de vue formel comme d’un point de vue matériel. Le concept aurait ensuite un terre d’exil : formalisée dans des instruments « durs » (les traités, la loi, les règlements), cette force obligatoire atténuée ou inexistante (issue cette formulation particulière de l’énoncé), vient « contaminer » des actes dont la force obligatoire formelle n’est pas à remettre en cause.
***
133Nous croyons avoir d’ores et déjà mieux cerné le concept de soft law. Issu du droit international et pénétrant à la fois notre ordre juridique et l’ordre juridique de l’Union européenne, la soft law revient à identifier une technique particulière de formulation de l’énoncé : elle est donc celle qui laisse place à une certaine gradation dans la signification et la force obligatoire de la norme. Elle se concrétise alors dans des instruments particuliers qui viennent heurter la conception classique des sources du droit international, européen et français. Elle se formalise parfois dans des instruments reconnus classiquement par ces ordres juridiques, mais elle semble revêtir toutefois le même but : celui de recommander, persuader, orienter, voire inciter la modification du comportement de ses destinataires. Sans cela, la soft law semble perdue dans l’infra-droit, dans la pure description de phénomènes relevant du fait et soumise à la causalité. Pourtant la soft law oblige peu, ou pire, elle n’oblige pas : dans ce constat, il devient alors pressant de déterminer sa nature réellement juridique, c’est-à-dire de savoir si la technique est normative ou non.
CHAPITRE SECOND. LA SOFT LAW, UNE TECHNIQUE NORMATIVE
134On a pu mettre en évidence une certaine unité du concept doctrinal de soft law en l’identifiant comme une technique particulière de formulation de l’énoncé normatif. Cette formulation traduit une absence ou une limitation de l’obligation, qu’elle se réalise par le biais d’un énoncé recommandatoire (negotium) ou d’un instrument spécifique (instrumentum).
135Cette première identification laisse toutefois la question de la nature de la soft law sans réponse. Plus précisément, il s’agit maintenant de déterminer la nature juridique ou non de la technique mise en œuvre par notre concept. Tracer les contours de la soft law revient en effet à lui attribuer une place au sein de l’ordre juridique. Aussi, l’analyser comme une technique juridique reviendrait-il à l’intégrer de facto dans la catégorie « droit », et plus particulièrement dans le monde des normes juridiques. L’exclure reviendrait à la rejeter dans le « non-droit », l’infra-droit, voire dans le fait. Il nous semble donc que cette identification est nécessaire à notre démonstration d’un concept autonome.
136En outre identifier la soft law comme une norme juridique pourrait a priori conduire à « une remise en cause en cascade de la théorie du droit »251. Il nous faut en effet être particulièrement prudent dans notre démarche scientifique. Il est constant que le droit est une des rares sciences qui ne voit pas son objet universellement défini : bien au contraire, le droit, ou plus précisément la norme juridique a fait, et fait encore, l’objet de controverses doctrinales importantes. Deux attitudes s’offrent alors à nous. La première voudrait que l’on choisisse la définition de la norme juridique la plus large possible afin de démontrer la juridicité (un Graal !) de notre objet d’étude. La deuxième attitude consiste en un évitement partiel : il s’agit plutôt de voir en quoi la soft law peine à accéder à la normativité juridique, voire qu’elle n’est tout simplement pas ab initio prévue pour. Cette solution a le mérite de l’honnêteté intellectuelle la plus grande en ce qu’elle ne fait pas tomber les remparts traditionnels de la théorie du droit, et de son avatar le plus présent, le normativisme. Cette voie conserve donc une certaine orthodoxie en ce qu’elle n’essaye pas de changer à dessein l’objet « droit » afin d’y glisser une technique mal identifiée. Il est ainsi évident que la soft law s’accorde mal avec le normativisme qui fait du couple obligation/contrainte un préalable à toute juridicité. Il s’agira donc en premier lieu de vérifier si ces a priori sur la technique mise en œuvre par la soft law, préfigurés par les infirmités formelles et matérielles qui l’affectent, justifient une exclusion totale de la juridicité. Il sera alors opportun de déterminer en quoi la soft law est inapte à la normativité juridique (SECTION PREMIÈRE).
137Toutefois, s’arrêter à ce constat d’incompatibilité entre notre concept et la théorie du droit nous oblige immédiatement à le préciser. En effet, conscient que la normativité ne se réduit pas à la normativité juridique, il nous faudra déterminer si la soft law peut s’intégrer à d’autres phénomènes normatifs généralement exclus par l’orthodoxie positiviste de l’ordre juridique. A ce titre, nous verrons que, là encore, la soft law présente certaines particularités qui font d’elle une technique normative originale (SECTION SECONDE).
Section I. LA SOFT LAW, UNE TECHNIQUE INAPTE A LA NORMATIVITE JURIDIQUE
138Si nous décidons de choisir de confronter notre concept au seul normativisme c’est parce que c’est la théorie du droit qui pose a priori le plus de difficultés à admettre sa juridicité. C’est même principalement par rapport à elle que la soft law est rejetée dans le non-droit, voire dans la morale pure et simple. Et pour cause : en s’attachant uniquement à la norme, à son caractère obligatoire et à son insertion dans un ordre effectif et sanctionné, le « test de juridicité » proposé par les positivismes et plus encore par le normativisme offre une ligne de « partage et de rejet » que la soft law ne peut passer avec succès. La technique recommandatoire s’oppose ainsi clairement aux constantes du positivisme : l’obligation et la sanction. Lorsqu’elle malmène la première en la soumettant à différents degrés et en l’étirant de l’indicatif à l’impératif, elle se passe purement et simplement de la seconde.
139Un examen critique des constantes du positivisme et du normativisme s’avère donc ici nécessaire, bien avant de les confronter à notre concept. Le couple sanction/obligation, formalisé par une conception du droit comme un « droit-contrainte », voit en effet son sens éminemment varier en fonction des auteurs, des courants et des époques. Il nous faudra alors définir précisément les différentes acceptions mais aussi la place accordée à ces deux notions dans la théorie du droit. Cet examen va ainsi nous conduire à convenir que la sanction, ou la contrainte qui lui est attachée, n’est pas un critère suffisant afin de déterminer la nature juridique de la soft law (Paragraphe premier). En revanche, il nous faudra concéder que le caractère obligatoire est un élément essentiel dans l’identification de toute norme (même non juridique) et que, dans ce cadre, la soft law ne peut accéder à la normativité et encore moins à la juridicité (Paragraphe second).
§1. L’absence de sanction, critère insuffisant de rejet de juridicité
140Nous verrons ici que la sanction est de loin le critère le plus utilisé en doctrine afin de définir le « concept de droit »252. Elle offre en effet un prisme séduisant afin de délimiter voire de circonscrire un objet qui complique l’émergence d’une véritable science. Le courant positiviste en fait alors une constante qu’il n’a de cesse de développer au point de la sublimer (A). Toutefois, un examen du sens et de la portée du concept de sanction montre qu’il n’est pas réellement apte à fonder la juridicité à lui seul : d’autres phénomènes affectant la soft law peuvent parfaitement s’en réclamer. La sanction, terme excessivement polysémique et indéterminé, apparaît en outre comme la conséquence de l’existence du droit et non son point d’existence. Ainsi, si le concept permet de caractériser et éventuellement de mesurer les effets de la règle de droit ou de la norme253, il ne nous permet pas de qualifier plus avant la soft law (B).
A - La sanction, une constante sublimée par le positivisme
141La sanction est ici présentée comme un élément inhérent à la norme juridique, en ce que son recours permet de caractériser sa nature et ipso facto de la définir (1). Quelle que soit la définition retenue, la sanction apparaît en outre comme le seul moyen en vue de conférer la plus grande efficacité à la règle de droit, de sorte que l’invocation de sa menace est parfois considérée comme suffisante (2).
1 - La sanction, un élément inhérent à la nonne juridique
142Elément nécessaire à la définition positive de la règle de droit, la sanction n’en est pas moins un terme sensiblement polysémique. Ceci est certainement dû à la diversité des emplois par la doctrine (a). Plus loin, le recours à la notion voisine de « contrainte publique » fait d’elle un critère de définition particulièrement puissant : elle permet de singulariser l’« objet droit » et de le distinguer des autres phénomènes normatifs mais non juridiques telle que la morale (b).
a - Le recours fréquent à un concept polysémique
143Définir la sanction juridique n’est pas chose aisée, et les multiples acceptions reconnues par la doctrine peuvent déjà nous conduire à nous demander pourquoi le courant positiviste l’a couronnée avec un si grand succès254. La sanction, cette illustre « inconnue du droit »255, est initialement conçue comme une peine infligée suite au manquement à une prescription par un acte256. Ph. JESTAZ, nous l’avons déjà dit257, identifie alors au moins trois sens du mot : elle est d’abord la consécration de la règle par l’ordre juridique ; elle s’assimile ensuite aux conséquences du non respect de la règle (ce qu’il appelle le « tarif »258) ; elle est enfin un recours à la force ou tout du moins à sa menace (c’est-à-dire la « contrainte »)259.
144La première acception n’a pas pour effet d’exclure la soft law du monde des normes juridiques. En effet, assimiler ces dernières à des règles obligatoires insérées au sein d’un ordre ou d’un système de normes ne constitue pas en soi un obstacle : nombreux en effet sont les recommandations, avis et autres codes de bonne conduite qui résultent d’une compétence légalement octroyée. C’est par exemple le cas des actes recommandatoires des A.A.I. ou des recommandations de la Commission européenne qui résultent la plupart du temps d’une habilitation par le droit (c’est-à-dire la loi ou les traités institutionnels). Sauf à considérer que l’intégralité des actes pouvant se réclamer de la soft law relève d’une pratique spontanée (ce que d’ailleurs nous ne défendrons pas dans nos propos260), cette première vision de la sanction pourrait parfaitement conduire à intégrer notre concept au sein de la juridicité. Le critère de l’appartenance à l’ordre juridique (pris en tant que système de normes), avatar de celui de la sanction, est un critère particulièrement présent dans la doctrine classique telle que développée par KELSEN, HART ou BOBBIO. Aux normes primaires de comportement viendraient ainsi s’ajouter des normes secondaires de sanction261, de sorte que de Tordre ainsi créé naîtrait la juridicité262. Par conséquent, si la soft law peut être perçue comme reconnue par Tordre juridique en ce qu’elle émane la plupart du temps de compétences instituées, on aurait du mal à défendre qu’elle soit réellement consacrée par lui. En effet, rien ne permet de lui reconnaître un réel effet obligatoire en droit (nous le verrons, la dénomination des actes qui y participent dénotant bien la volonté de ne pas lier leurs adressataires) et surtout, un comportement en contradiction avec une recommandation ne pourra faire l’objet d’une sanction intervenant par le truchement d’une norme secondaire. Toutefois il est constant que certaines règles de Tordre juridique voient parfois leur « autorité contestée ou douteuse dans le cas particulier. [mais alors] une nouvelle porte peut s’ouvrir, celle de la reconnaissance judiciaire de la règle et des effets juridiques concrets qui en découlent »263. Le juge pourra alors « réaffirmer l’existence de la règle méconnue ou contestée et déclarer officiellement s’il y a eu concrètement ou non transgression de celle-ci »264. La justiciabilité devient alors le test de juridicité. Rien n’empêche toutefois de contester un comportement devant le juge administratif au titre de la violation d’une recommandation d’une A.A.I. Cependant il est généralement admis qu’en ces cas l’opération de qualification « avant de dire droit » mise en œuvre par le juge constituera un obstacle dirimant. Reconnaissant la nature recommandatoire ou « invitative »265 d’un tel acte, le juge ne pourra en effet que déclarer la requête irrecevable et, en conséquence, le comportement déviant ne sera pas sanctionné266. Le passage du paradigme de la sanction comme critère principal de juridicité à celui de la justiciabilité des comportements déviants à la règle de droit (a-normaux) n’aide donc pas à reconnaître une quelconque autorité à la soft law.
145La deuxième conception, celle qui décrit la sanction comme les conséquences attachées au non respect de la règle, demeure suffisamment vague pour a priori ne pas exclure la soft law. Il est constant que ces « conséquences » peuvent être de nature fort différente, sans pour autant être juridiques. Cependant, la plupart des auteurs s’accordent pour préciser que ces conséquences, ou plus précisément ce « tarif », doivent s’apprécier en droit : ainsi « une règle est assortie de conséquences lorsque l’ordre juridique la reçoit comme pouvant et devant donner lieu à des décisions précises d’application prises par les autorités publiques et/ou les particuliers »267. L’intervention de divers mécanismes propres au « monde du droit » tels que la réparation, des dommage-intérêts, ou une peine assureraient alors à la règle sa juridicité, de sorte « que l’accent est dès lors mis exclusivement ici sur la réaction objective à la violation de la règle, sans préjuger de la nature particulière de cette réaction »268. Cependant, à y regarder de plus près, cette deuxième conception laisse encore une place centrale au contentieux en ce que « toutes ces décisions se ramènent en définitive à celle du juge qui, en tant que de besoin, donnera un ordre en conformité de cette règle (...) la règle est donc assortie de conséquences lorsque le juge en déduit des décisions d’application, indépendamment de savoir si ces décisions seront ou non suivies d’effets »269. Pour les mêmes raisons évoquées plus haut, la soft law ne pourra globalement pas se réclamer de tels atours. Partant, l’adoption de ces conceptions de la sanction, présentées derechef comme des critères d’identification de la règle de droit, contribue à affaiblir le concept en le délaissant dans le non-droit. Une dernière acception reconnue à la sanction, particulièrement présente dans le positivisme, ne facilite pas non plus la reconnaissance de la juridicité de notre concept.
b - La contrainte publique, élément de séparation du droit des autres phénomènes normatifs
146Au détriment du terme « sanction », certains auteurs lui substituent la notion de « contrainte », censée marquer davantage l’existence de la juridicité. En effet, on s’accorde généralement pour considérer que la sanction au sens large n’est pas propre à la normativité juridique. La morale religieuse conduit en effet à penser qu’il existerait des formes variées de sanction, et la sanction divine prononcée après la mort à l’aune des comportements de la « vie terrestre » n’en est qu’un exemple. La doctrine positiviste a donc cherché, avant même de définir le droit, à le séparer des autres phénomènes normatifs afin de déterminer la spécificité de l’objet d’étude. Cette recherche est ainsi au cœur du « concept de droit » tel qu’il a été développé par HART ou par KELSEN, les commandements d’une « bande de voleurs » ne pouvant se départir du droit qu’en ce que la menace de contrainte (« la bourse ou la vie ! ») ne provient pas ici d’une tierce personne habilitée par le droit pour le faire270. Le terme de contrainte manifeste alors l’idée de mise en œuvre d’une force qui n’apparaissait pas ab initio concernant la sanction271. Il désigne en effet comment la violation de l’obligation va être sanctionnée, c’est-à-dire les « moyens extérieurs à elle et même extérieurs au juge, de la mettre en application »272.
147Dans ce cadre, c’est bien évidemment l’État qui dispose de ce monopole de la contrainte légitime et, dire qu’il n’y a pas de droit sans l’État n’est qu’un pas que les normativistes les plus radicaux n’ont pas hésité à franchir. Le droit ne serait alors « qu’un ordre de contrainte de la conduite humaine », plus précisément un ordre de contrainte étatique273. L’insertion dans un ordre juridique apparaîtrait une nouvelle fois capitale car son « aspect contraignant (...) tiendrait à la perspective et à la menace tantôt dissuasive, tantôt incitative, de ces sanctions et d’éventuelles mesures de coercition ou autres voies d’exécution »274. Le tiers impartial se concrétise alors ici encore dans la figure du juge de sorte que, comme le note RIVERO, « la règle de droit, c’est dans la conception dominante et aussi dans l’opinion la règle dont la violation appelle l’intervention du juge ; de cette intervention, elle tire sa spécificité théorique par rapport aux autres règles de conduite, et son efficacité pratique »275. Dans ce cadre, la soft law se trouve a priori doublement écartée : d’abord en effet, elle ne se formalise pas par un ordre, encore moins assorti de contrainte. On imagine mal en effet qu’un acte déjà insusceptible de sanction soit dans le même temps susceptible de faire peser une contrainte sur les comportements déviants. Ensuite, elle manifeste une forme de normativité plus « diluée » en ce qu’elle émane de foyers divers (l’État, les groupes, les autorités administratives indépendantes, l’entreprise...) et concrétise les thèses pluralistes et de complexité, bien éloignées du monisme étatique idéalisé par le normativisme. La contrainte met alors en œuvre un critère particulièrement réducteur de la normativité, et, dans cet état de fait, la soft law ne pourrait être acceptée comme étant du droit qu’à la condition de déformer sensiblement ses critères traditionnels.
148C. THIBIERGE résume ainsi le sort réservé à la soft law par les tenants du « droit-contrainte » (et plus généralement du positivisme) : « c’est un sursaut, une réaction, une certitude : le “droit mou” n’est pas, ne peut pas être du droit. Cela relève de l’évidence : il n’y a de droit que contraignant ! C’est aussi une sécurité et un repère : jusqu’où irait-on à admettre que de vagues énoncés sans valeur normative, ni force contraignante, participent du juridique ? Cela finirait par dissoudre le droit et pour le moins brouiller la frontière nette assurant sa spécificité et sa force. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il n’y a qu’à reprendre sa définition : tout en découle dans une boucle parfaite, avec une conséquence logique qui ne laisse, apparemment, aucune place au doute »276.
149Si la sanction, ou plus précisément la contrainte, est à ce point magnifiée par la doctrine positiviste, c’est qu’elle serait à elle seule à même de fonder l’effectivité de l’ordre juridique, et donc, de la norme juridique.
2 - La sanction : un mécanisme assurant l’effectivité de la norme
150Faire de la sanction un critère réducteur de la normativité n’est pas sans arrière-pensée. Cette démarche constitue en effet à la fois un moyen de singulariser l’objet « droit », mais aussi de lui attribuer une force que les autres phénomènes normatifs n’ont pas. S’interroger sur la « force du droit »277 revient donc ici à analyser les moyens par lesquels on y parvient. Dans ce cadre, la sanction-contrainte devient un puissant argument en vue d’expliquer l’effectivité de la norme juridique. Puissant en effet, car la doctrine positiviste considère la sanction, ou sa menace, comme seule permettant d’assurer l’application des commandements contenus dans la règle de droit. En effet « l’idée selon laquelle c’est la sanction ou même la “sanctionnabilité” de la règle qui détermine son caractère juridique revient à poser que l’effectivité de ladite règle conditionne directement sa juridicité »278.
151Toutefois il est constant que l’ineffectivité du droit ne se conçoit généralement pas au sein du normativisme (au même titre que les lacunes dans l’ordre juridique)279, puisqu’il s’agirait là d’une question secondaire : la règle juridique est effective en ce qu’elle est juridique, c’est-à-dire insérée dans un système de normes. Cependant, les autres courants positivistes, en sublimant ce critère, impliquent que la juridicité d’un acte, d’une norme ou d’un énoncé ne puisse se déterminer que lors de son application concrète et par voie de conséquence essentiellement au sein des Palais de justice.
152Dans ce cadre, la soft law déjà attaquée de part en part se verrait en outre affectée d’une ineffectivité de principe. Sans mécanisme de contrainte, elle serait condamnée naturellement (génétiquement) à ne pas être respectée. Cette identification de la juridicité à la sanction, et l’assimilation de cette dernière à la contrainte280, a contribué à affaiblir grandement l’existence même du droit international. Deux de ses caractéristiques fondamentales ne peuvent en effet se concilier avec cette orthodoxie. D’abord, il est constant que la souveraineté des États, fondement de l’ordre juridique international, constitue un frein à l’intervention d’un « tiers impartial » sanctionnant les comportements illicites des États au regard des conventions auxquelles ils ont adhéré. La C.I.J. n’intervient dès lors que lorsque deux États y ont consenti. Ensuite, et ceci nous concerne sans doute plus, le droit international est une figure de proue pour la soft law en ce que les résolutions de l’Assemblée générale des Nations-Unies sont une technique courante et fréquemment employée. En conséquence, l’ordre international se voit frappé d’une « normativité relative »281, en ce que ses instruments normatifs sont concurrencés par des actes formellement plus souples. Dans ce prisme du « droit-contrainte », il n’y aurait donc pas de place pour un droit international, ni encore moins pour la soft law. Certains auteurs n’hésitent pas à aller plus loin en soulignant l’absence de voies d’exécution contre l’État. En conséquence, l’absence de réelle contrainte (ou plutôt de sa figure la plus avancée) pesant sur la première des personnes publiques conduirait à affaiblir aussi le droit administratif282. Il nous semble cependant que l’arsenal de sanctions pesant sur l’État n’a eu de cesse de se développer (c’est le sens de l’histoire d’un État de droit), à en voir l’insertion du pouvoir d’injonction du juge administratif ou le développement des référés. Le fait qu’il manque un barreau dans l’« échelle des contraintes » ouvre un autre débat, celui de sa nature et de son degré. Ainsi arguer de l’inexistence de voies d’exécution contre l’État afin d’atténuer la juridicité du droit administratif revient à arguer de l’ineffectivité du droit pénal au titre de l’abolition de la peine de mort... La spécificité du sujet concerné, et sa souveraineté, justifie selon nous à elle seule la particularité des mécanismes de contrainte qui peuvent peser sur elle.
153Il nous semble toutefois que la rigueur de principes précédemment exposés est largement à relativiser de sorte que ce critère d’identification de la règle de droit revient en fait à un critère d’exclusion de la soft law peu performant.
B - La sanction, un critère d’exclusion de la soft law peu performant
154Le caractère sanctionné d’une règle de droit ne devrait pas en réalité constituer un critère d’identification de cette dernière. Elle ne lui est pas en effet inhérente et constitue plutôt un caractère extérieur à elle venant lui assurer une certaine effectivité. Ainsi, la sanction n’est qu’une conséquence de l’existence d’une norme juridique et non un critère afin de l’identifier (1). Pire encore, l’existence de normes juridiques non sanctionnées atténue la puissance démonstrative du raisonnement positiviste, et elle contribue en outre à voir l’effectivité comme un phénomène beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord (2).
1 - Une conséquence de la norme et non un critère d’identification
155Si la sanction ne peut pas accéder au rang de critère véritablement réducteur de la normativité, c’est parce qu’elle est impliquée par l’existence d’un mécanisme beaucoup plus satisfaisant : l’obligation. Elle devient dès lors non plus le critère principal d’identification de la règle de droit, mais une simple conséquence de son caractère obligatoire (a). Plus loin, la sanction est elle-même une obligation : celle qui pèse sur les autorités ou les juges afin de faire respecter la norme juridique (b).
a - La sanction, une conséquence du caractère obligatoire d’une norme
156La sanction est en réalité toujours peu ou prou définie en relation avec l’obligation contenue dans la règle de droit : il s’agit ainsi de « toute mesure, peine, réparation ou récompense, prise dans le but d’assurer le respect d’une obligation juridique »283. Nous voyons donc que la sanction, si elle est consubstantielle à la norme juridique, n’est en pas moins extérieure à elle. En effet, elle suppose l’intervention d’une tierce personne s’interposant entre la règle et son destinataire, sauf à considérer que sa simple menace suffise à faire exister un sentiment d’obligation284... La doctrine positiviste définit dès lors la sanction selon deux critères : d’abord, « elle intervient pour faire respecter la règle de droit et, plus précisément, pour réprimer la violation d’une obligation primaire qui fixe une norme de conduite », ensuite « il doit y avoir une autorité, spécialement habilitée par l’ordre juridique qui, en position de tiers par rapport au conflit, procédera à l’application des sanctions »285. Le caractère « extérieur » de la sanction n’est pas cependant une limite en soi afin de tenter de définir le droit : il est propre à toute démarche scientifique d’essayer de dresser les caractéristiques immédiatement observables d’un phénomène, caractéristiques qui seront d’autant plus visibles qu’elles lui sont extérieures et immédiatement palpables.
157Cependant faire de la sanction, et plus précisément de la sanction juridictionnelle, le critère déterminant de la juridicité conduit à un renversement logique : en effet, « c’est parce qu’il y a caractère d’acte juridique obligatoire qu’il y a possibilité en règle générale de recours pour excès de pouvoir et nullement caractère d’acte juridique parce qu’il y a possibilité de recours. La logique va ici du caractère juridique de l’acte à la possibilité de recours et non l’inverse »286. Dès lors, le seul caractère véritablement inhérent à la norme serait son essence obligatoire287, de sorte que la question de la juridicité s’en trouverait d’autant déplacée. La sanction ne permet ainsi que de parachever l’obligation juridique, sans pour autant la conditionner.
158En outre, arguer du caractère sanctionné pour fonder la juridicité d’une norme suppose que l’on se réfère au caractère juridique de cette sanction. Cette dernière doit en effet être prévue par le droit (en figurant une « norme secondaire ») dans ses conditions d’intervention, de degré et de mise en œuvre. Nombre d’auteurs ont alors relevé le caractère tautologique de l’argument : « admettre que la règle de Droit puise sa définition dans une sanction qui ne peut elle-même se définir indépendamment de la règle de droit qui la prévoit et l’encadre, c’est en quelque sorte définir le droit par son caractère... juridique »288. La pertinence de la sanction comme critère du droit trouve alors sa limite fondamentale en ce qu’elle ne peut se définir que par rapport à la règle de droit289 : ainsi, elle se limite à peindre de lui une seule de ses caractéristiques (pas toujours réalisée au demeurant). L’exclusion de la soft law de la juridicité par l’entremise unique de la sanction apparaît donc largement moins fondée en ce qu’elle revient à dire qu’elle n’est pas du droit parce que le droit ne la reconnaît pas comme juridique.
159Partant si l’on pousse le raisonnement logique jusqu’au bout, la sanction ou la contrainte ne peuvent elles-mêmes se définir que par le recours à la notion d’obligation.
b - La sanction, une obligation juridique
160Les argumentations précédemment exposées puis critiquées ont montré leur limite fondamentale en ce qu’elles proposent un raisonnement circulaire : poser la sanction comme critère du juridique revient à s’interroger sur son propre caractère juridique. Loin de conduire à une aporie, cette démarche amène surtout à identifier la sanction comme étant elle-même mise en œuvre par une norme juridique secondaire de sorte qu’« on en vient nécessairement à faire entrer la “sanction” en question dans le contenu de certaines règles de droit elles-mêmes et ainsi à la rendre inapte à constituer un élément extérieur caractéristique de toutes les règles de droit : la règle de droit serait, en somme, la règle juridiquement sanctionnée ! »290. Nous retombons dès lors dans la vision ordonnée propre à KELSEN ou à HART. Ce n’est donc pas tant le concept de sanction en tant que tel que nous critiquons, surtout si on l’entend comme une articulation de normes primaires et secondaires, c’est plutôt la place qui lui est faite dans la théorie du droit par certains auteurs. La sanction à elle seule, nous le répétons, ne suffit pas à caractériser la règle de droit : elle n’est que le pendant d’une obligation, et à y regarder de plus près, elle constitue elle-même une norme juridique obligatoire.
161Ainsi, même lorsque l’on identifie la sanction selon une autre acception que celle qui faisait intervenir un ordre juridique, celle de la contrainte, « on note que dans tous les cas, la violation d’une prescription juridique a pour effet de substituer à l’obligation initiale une autre obligation. Il en résulte que la contrainte ne pénètre dans le droit que sous forme d’exécution forcée d’une obligation ou d’une peine »291. Concernant la vision d’une sanction assurée par l’intervention nécessaire d’un juge, l’objection vaut toujours. En effet, « ce qui caractérise le droit, ce n’est pas qu’il puisse utiliser la contrainte, mais que, pour la mettre à son service, il s’adresse aux détenteurs des moyens de contrainte comme à tous ses destinataires : afin de les convaincre qu’ils doivent déférer à ses injonctions »292.
162Cette identification de la sanction, quelle qu’elle soit, à une obligation secondaire permet enfin de la séparer définitivement du concept de « contrainte » (ce qui aura le mérite indirect de réhabiliter quelque peu le droit international) : « le lien entre ces obligations secondaires, qui constituent la sanction juridique, et la force, tient au fait que leur réalisation est garantie, d’abord par la menace, puis par la mise en mouvement d’un appareil exécutif doté de moyens de contrainte irrésistibles (...) dans le dessein d’obtenir, par la force, la réalisation de l’obligation secondaire »293. La contrainte ne serait alors qu’un mécanisme de réassurance « ultime » non pour l’obligation primaire violée par tel ou tel comportement, mais pour l’obligation secondaire de la sanction.
163Aussi voit-on dans toutes ces hypothèses que la question de la juridicité se déplace sur le terrain de l’obligation, de sorte que la soft law ne peut pas, a posteriori cette fois, être rejetée en dehors de la normativité juridique au simple titre que sa violation n’est pas sanctionnée par un tiers. Nous l’avions déjà souligné concernant la distinction entre la force obligatoire et la force contraignante, si la soft law n’est pas sanctionnée, c’est qu’a priori, elle ne dispose pas de force obligatoire.
164Enfin, avant de s’interroger sur l’idée même d’obligation et sur les conséquences qu’elle a sur la normativité de notre concept, il convient d’atténuer encore le postulat du « droit-contrainte ». A considérer la sanction comme unique critère du juridique, on a en effet tendance à réduire considérablement la notion d’effectivité.
2 - Une dissociation de la sanction juridique et de l’effectivité
165L’effectivité se situe en réalité en dehors de la règle de droit, dans les faits sociaux, voire dans la psychologie individuelle. Le fait de respecter telle ou telle norme juridique ne devrait pas selon nous être simplement tiré de l’existence d’une sanction. Il est vrai cependant que sa menace offre une dissuasion propre à lui assurer une certaine effectivité. Mais comment s’assurer que c’est bien cette menace qui aboutit à faire changer les comportements ? En l’absence de statistiques réelles, il faut convenir, tout comme le fait D. de BECHILLON, que « le particularisme de chacun reste trop élevé pour que l’on puisse aller au-delà de ces approximations grossières et statuer avec pertinence sur le rôle joué par la sanction (ou sa menace) dans l’effectivité de la règle de droit »294. D’autres mécanismes pourraient par exemple être avancés pour expliquer l’effectivité de la règle : le consensus qui l’entoure (c’est-à-dire les conditions dans lesquelles la règle a été adoptée), l’attente dont elle a pu faire l’objet dans la société, l’examen de son contenu qui peut représenter une certaine idée du « juste » (dans une perspective axiologique)... Ces critères n’ont guère plus de précision que celui de la puissance quasi innée de la sanction, mais il nous semble qu’ils s’insèrent mieux dans les paradigmes actuels qui semblent justement traduire des mécanismes d’évitement de la sanction judiciaire.
166Le phénomène n’est pas nouveau : on a déjà pu montrer les stratégies développées par certains acteurs économiques afin d’éviter la sanction, notamment juridictionnelle295. C’est même le paradigme principal développé par les approches économiques du droit, qui étudient l’efficacité des règles juridiques au regard du comportement des agents à leur endroit, et qui les évaluent au regard du critère de maximisation de la richesse296. Ainsi l’efficacité de la norme juridique n’est plus ici déclarée comme un postulat de principe, elle peut même en réalité aboutir à des résultats catastrophiques sur le marché ou se révéler totalement inefficace. Ces théories montrent alors que l’on peut parfaitement dissocier effectivité et validité. Une règle de droit aura beau être insérée dans tous les ordres juridiques du monde, être adoptée selon telles ou telles conditions de forme et de procédure, sa capacité à remplir ses objectifs, c’est-à-dire à modifier les comportements, ne semble plus a priori assurée.
167Ce changement dans la vision d’un droit « jupitérien » dont la seule évocation suffirait à faire trembler les justiciables se manifeste aussi dans les mécanismes censés remplacer la sanction juridique dite classique. Les modes de règlement dits « alternatifs » des litiges297 (qui relèvent du « droit doux » évoqué plus haut) en témoignent, la médiation ou la conciliation faisant certes intervenir ce « tiers impartial », mais ils peuvent être analysés comme un évitement volontaire du tiers étatique et de sa contrainte. Ils relèvent en outre d’une logique qui fait du « risque juridique » un des principaux moteurs du droit « post-moderne » et des transformations de l’État. Ainsi, il faut bien avouer que « la complexification du droit, la diversification de ses sources, l’émergence de juges multiples (...) le développement des stratégies contentieuses des usagers et partenaires de l’administration (...), tout cela milite une fois de plus pour des conduites d’adaptation de l’administration »298.
168Ces deux éléments expliquent sans doute qu’existent et perdurent des normes juridiques non sanctionnées, confirmant que « la juridicité ne peut être subordonnée à l’existence d’une sanction coercitive sous peine de se confondre avec la force : il est des règles non sanctionnées ou ineffectives, en droit international, en droit constitutionnel ou même en droit privé, qui restent néanmoins des règles de droit »299.
169Dire que la sanction sous quelque forme que ce soit n’est pas un critère de la norme juridique pourrait nous faire croire en une éventuelle intégration de la technique au sein du monde des normes. Ce prisme contribue simplement à admettre que la soft law ne peut revêtir une des caractéristiques de la norme juridique (mais qui n’est pas son attribut principal).
170En réalité ce constat d’inefficacité de la sanction (à la fois pour modifier les comportements comme pour définir la règle de droit) conduit à reposer la question de la normativité d’une autre manière, et aborder la question de l’obligation juridique.
§2. L’absence de caractère obligatoire, critère déterminant de rejet de juridicité
171Nous croyons arriver ici au cœur de la normativité, l’obligation. Nous avons précédemment pu montrer que le droit « mou » et le droit « souple » étaient entendus comme des actes, ou des nonnes dont la force obligatoire était atténuée, voire nulle. Conscient que cette définition n’est que toute relative et imparfaite, il nous faut donc envisager l’obligation juridique sous un angle critique. En effet si cela doit constituer le critère d’exclusion de la soft law de la normativité juridique, il nous faut déterminer en quoi il l’exclut. Plus loin, ce critère risque de nous conduire à une impasse : faire de l’obligation le critère d’une norme juridique c’est parfois considérer par extension qu’il s’agit là de l’essence de tout phénomène normatif. Aussi la soft law, acte ou énoncé « non obligatoire » (les deux hypothèses ne s’excluant d’ailleurs pas forcément) risque-t-elle de sombrer dans le non-normatif, bien avant d’être rejetée par la normativité juridique.
172Il nous faut alors déterminer avec plus de précision ce que l’on entend par « règle de droit obligatoire ». A dire vrai, la question se déplace encore de sorte que c’est la notion d’impératif juridique qui va essentiellement nous intéresser. En effet, il apparaît bien que la règle de droit s’énonce sous la forme de commandements, de prescriptions, qui la rendent obligatoire. Ainsi, nombre d’auteurs s’accordent pour attribuer à la norme juridique le caractère de règle énoncée sous la forme d’un impératif (A). Dans ce cadre la soft law, déjà privée du « bras armé » de l’obligation que constitue la sanction, se verrait dénuée de toute juridicité. Cependant il nous semble que ce constat doit être nuancé. En effet le critère de l’impérativité semble généralement trop complexe à mettre en œuvre : il suppose une démarche casuistique qui fait encore une fois du juge l’organe central dans la détermination de la juridicité. Il nous semble ainsi quelque peu paradoxal de confier une telle place au contentieux face à des actes qui manifestent précisément une volonté de l’éviter. Dès lors, en prenant en compte ces remarques liminaires, nous verrons que le critère de l’impérativité est un critère d’exclusion de la normativité certes nécessaire (au même titre que la sanction), mais particulièrement complexe à mettre en œuvre. Il fonctionne ainsi relativement bien a priori pour exclure la soft law en ce qu’elle se bornerait à recommander, mais il se révèle bien moins commode à la vue de la pratique des autorités administratives (B).
A - Une constante déterminante de la normativité : l’impératif juridique
173Si l’obligation devient le critère principal de définition du droit et donc d’exclusion de la soft law, il nous reste encore à déterminer ce qu’il signifie. L’impératif, traduction juridique du commandement, semble à même de fournir un prisme d’identification (1). Il est d’ailleurs le prisme privilégié par le juge administratif dans l’examen de la recevabilité des circulaires, même si ce dernier semble en avoir une conception toute particulière (2).
1 - La traduction juridique du commandement : l’impératif
174La doctrine majoritaire fait coïncider la norme et l’obligation, dépassant alors l’identification de la simple norme juridique (a). Dans cette affirmation de la corrélation parfaite entre l’obligation et la règle de droit, la notion d’impératif intervient afin d’objectiver le phénomène du commandement et de l’obéissance à la règle. Il nous faudra toutefois distinguer les différentes acceptions que les auteurs lui attribuent (b).
a - Une coïncidence affirmée entre la norme et l’obligation
175L’affirmation de la coïncidence entre la norme et l’obligation n’est pas une chose très nouvelle. Déjà, les rédacteurs du Code civil proclamaient que la « loi permet, ordonne ou interdit ». Ce dogme300 a dès lors traversé toute la doctrine contemporaine, faisant de l’obligation un élément constant, voire « légitime »301 de la normativité. Il est vrai que la loi divine adressée aux hommes par Moïse témoignait du fait que la norme s’exprime sur le ton du commandement. Cette vision « jupitérienne »302 du droit a ainsi conduit à ce qu’une fois sécularisée, la norme divine devienne une obligation d’origine essentiellement étatique, toujours imposée d’en haut par un ordre.
176Là encore, le normativisme kelsenien, à la suite de HUME et de KANT, aura marqué les esprits avec la séparation entre le Sein et le Sollen, c’est-à-dire entre le descriptif et le prescriptif. Si la norme témoigne d’un « devoir-être »303, (le fait restant dans l’être) c’est bien qu’elle relève de l’obligation, en ce qu’il « équivaudrait à un “tu dois être” ou, ce qui revient au même, à un “tu ne dois pas être” »304. L’ontologie de la norme serait l’obligation, et alors dans ce cadre le droit « est formé par un ensemble de pouvoirs et d’obligations ordonnant les rapports sociaux »305. Cependant il advient que dans ce cadre, le droit n’est plus qu’une catégorie normative comme une autre, placée à côté des normes morales ou éthiques.
177Afin de spécifier la norme juridique, P. AMSELEK avance l’idée originale selon laquelle l’« obligatoireté »306 s’entend comme une traduction par les destinataires de la spécificité formelle du droit en ce qu’il représente un « modèle devant être réalisé ». Ainsi, lorsqu’une norme se donne à moi comme “juridique”, j’assigne au modèle qu’elle constitue une vocation à être obligatoirement réalisé : j’applique donc à cette norme une certaine forme a priori, une certaine catégorie transcendantale »307. La question est alors de savoir ce qui peut imprimer à la conscience cette nature obligatoire : si, en effet, ce n’est pas la qualité ou le contenu de la proposition normative308 qui joue, il s’agirait alors de sa « vocation instrumentale, à sa signification d’instrument de jugement spécifique [de sorte que] la juridicité ne spécifie pas la proposition elle-même, mais sa fonction d’instrument de jugement, sa normativité »309. Partant, l’obligation juridique se distinguerait de l’obligation morale car cette dernière ne possède pas cette « vocation formelle à l’obligatoireté », et ne « correspond pas à une certaine technique de production d’instruments objectifs de jugement ayant pour fonction de poser des modèles obligatoires »310. C’est toutefois convenir que les normes morales ne sont pas réellement obligatoires, leur simple contenu (i.e. les valeurs proposées et leur nature « juste ») ne pouvant justifier que l’on les appréhende immédiatement comme telles. La théorie proposée, toute originale et performante311 qu’elle soit, conduit cette fois à assimiler la soft law à la morale. Pourtant, elle dispose, elle, d’une certaine force puisque là où la morale s’énonce ou s’écrit, la soft law se concrétise dans des instruments particuliers intitulés (et véritablement institués) « charte », « code de bonne conduite » ou « recommandation »312. Il nous semble alors que ces instruments pourraient parfaitement constituer des modèles de jugement, à ceci près (et la nuance est importante) qu’ils n’impliquent pas a priori qu’ils doivent être obligatoirement respectés. Enfin cette conception « formelle » de l’obligation n’explique pas l’existence de « dispositions législatives non prescriptives » qui pourraient pourtant paraître recouvertes par l’indubitable « vocation formelle à l’obligatoireté » de la loi.
178Il nous faut ainsi continuer plus en avant car il nous semble que d’autres éléments permettent de cerner l’obligation. Une grande partie de la doctrine (à laquelle nous souscrivons) lui préfère l’expression d’impératif, malgré son évidente complexité. Dans ce cadre, la norme serait la « signification d’une proposition indiquant un modèle sur un mode impératif »313.
b - L’impératif, une notion polysémique
179Quand les auteurs se réfèrent à l’idée d’impératif afin de caractériser l’obligation, c’est souvent pour immédiatement préciser qu’il ne s’agit pas là nécessaire ment du mode impératif. Il est ainsi communément admis que le droit se formule généralement à l’indicatif et qu’un indicatif peut parfaitement valoir un impératif (par exemple, la formule très contemporaine « on ne fume pas ici »314). Il ne s’agira pas dès lors ici de traiter de l’impératif en tant que tel, mais de sa capacité à rendre la norme obligatoire : « il existe plusieurs impératifs, consistant soit dans l’emploi d’une désinence (mode impératif soit dans l’emploi d’un auxiliaire. Ainsi on peut dire “fais” ou “tu dois faire” ou “tu es obligé de faire”. “Tu es obligé” veut dire “tu es sujet d’impératif”. Obligation = impératif »315. Par conséquent, la nature impérative d’une norme doit se rechercher ailleurs que dans le simple mode de conjugaison employé. Considérer que toute norme est un impératif conduit en effet à se demander ce qui fait qu’elle est un impératif. De manière analogue avec la notion d’obligation, il semble que deux approches peuvent se dégager.
180Une conception « externe » de l’impérativité conduit ainsi à s’interroger sur sa capacité à s’imposer dans l’esprit des destinataires. L’impératif est alors ici extérieur à la norme et à sa formulation mais intérieur au sujet. R. CAPITANT le définit ainsi comme une « règle d’action formulée par une conscience, c’est-à-dire en fonction de données indicatives »316, et dépasse alors le clivage vis-à-vis de l’indicatif. En effet, « toute proposition indicative donne naissance immédiatement à une proposition impérative correspondante »317, de sorte qu’il y aurait une forme de traduction immédiate par une « voix intérieure qui proclame ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire »318. Si ce prisme a le mérite d’éviter aux juristes un encombrant et ô combien difficile examen systématique de la forme modale des énoncés normatifs, il dépeint toutefois un mécanisme quelque peu ésotérique. La définition proposée conduit en effet à une aporie qui est celle de tout raisonnement purement subjectiviste : comment vérifier (au sens de la « vérification » chère à K. POPPER) que le sujet comprend la règle comme impérative et comment peut-on affirmer que ce partage entre l’interdit et le permis procède de la même façon chez tous les justiciables ?
181D’autres auteurs ont alors tenté d’objectiver cette opération de la conscience par l’entremise du phénomène de l’autorité : « au même titre que la religion, la règle de Droit naît du discours de personnes investies du pouvoir de direction des conduites (...) Autrement dit, l’arrière-pensée du discours normatif juridique, c’est l’obligation, le fait qu’une norme aboutit le plus souvent à interdire, à réduire le champ du possible à l’alternative du licite et de l’illicite, du permis et de l’interdit. En ce sens, l’assise du discours normatif juridique, c’est l’impératif »319. Cette « arrière-pensée » est alors bien souvent réalisée par une relation de subordination entre l’auteur et le destinataire de la norme car « si l’on réfléchit, on s’aperçoit que pour qu’il y ait commandement il faut nécessairement que la volonté qui commande ait une supériorité de nature sur les volontés auxquelles s’adresse le commandement »320.
182L’idée selon laquelle l’impérativité serait « interne » à la norme permet alors d’objectiver le concept. Cette conception pousse en effet à s’intéresser essentiellement à la formulation des énoncés normatifs, et plus particulièrement en s’interrogeant sur leur construction grammaticale, c’est-à-dire leur forme. La logique dite « déontique »321 analyse alors « les relations constantes formelles existant entre les propositions normatives, quelles que soient les normes signifiées par ces propositions »322. Elle s’intéresse ainsi à l’existence de modalités déontiques (l’obligatoire, le facultatif, l’interdit et le permis) manifestées par certains « fondeurs propositionnels normatifs » qui sont censés être des marqueurs de la normativité : « “... doit faire...” (“il est obligatoire que...”), “... ne doit pas faire...” (“il est défendu que...”), “... a le droit de faire...” (“il est permis que...” au sens de “s’il est obligatoire de faire, alors il est permis de faire”), “... a droit de ne pas faire...” (“il est permis que...” au sens de “s’il est défendu de faire, alors il est permis de ne pas faire”) et “... peut faire et ne pas faire...” (“il est permis que...” au sens de “il n’est ni obligatoire de faire ni défendu de faire”) »323. Ces identifiants de la normativité s’articulent donc largement autour du devoir et du pouvoir, de sorte que les tenants du positivisme ont largement pu se retrouver dans cette approche qui, nous l’avons dit, énonce que l’obligation « se présente sous deux formes distinctes, négative et positive : celle de l’interdit, qui prohibe un comportement déterminé (...) et celle qui prescrit, qui enjoint, au contraire, un comportement déterminé. Toutes deux relèvent cependant de la même catégorie de l’impératif ou, si on les considère du point de vue de celui qui leur est soumis, du devoir : ce sont deux contenus possibles d’un devoir »324. L’impératif (comme signifiant l’obligation afférente à la norme325) retrouve alors une certaine objectivité, de sorte qu’il suffirait de regarder la construction des énoncés afin de déterminer s’ils sont normatifs. Cette mécanique semble toutefois se heurter à de sérieuses objections sur sa capacité à réellement identifier la règle de droit.
183Si on met de côté les critiques pouvant être faites concernant l’évacuation totale de la question des valeurs portées par le droit (une norme doit être, mais la question de savoir si elle est juste ou injuste est évacuée, comme du reste dans l’ensemble du positivisme), on pourrait arguer que la non-exclusivité des foncteurs déontiques aux énoncés normatifs constitue une des limites fondamentales de cette théorie. P. AMSELEK326 note en effet qu’il faudrait expliquer « pourquoi des énoncés dotés des fameux foncteurs déontiques en “devoir” ou “pouvoir” ne sont pas des énoncés de normes : c’est le cas, par exemple, lorsque je dis, pour exposer les projets ou encore l’état de fortune de quelqu’un, qu’"il doit partir bientôt aux États-Unis” ou qu’“il peut s’acheter des châteaux” »327. Dans cette optique, la soft law apparaît encore une fois exclue simplement a priori, en ce qu’elle privilégierait dans ses énoncés des foncteurs « non déontiques » tels que « invite », « conseille », « souhaite » ou « recommande » qui remplaceraient l’idée de « pouvoir » et de « devoir ».
184Cette logique conduit cependant à adopter une démarche empirique dans laquelle un énoncé doit nécessairement être vérifié comme étant une norme par une opération de qualification du langage (ou de la syntaxe) employé. Dans ce cadre, le juge devient central, et c’est d’ailleurs la démarche qu’il semble généralement adopter dans son contrôle de recevabilité des actes administratifs.
2 - L’impérativité, un critère approprié par le juge administratif
185La juge administratif semble témoigner de la prégnance de l’idée d’impératif dans la définition (ou plus précisément ici de sa délimitation) de la norme juridique, témoignant du phénomène d’« impérativisation du droit »328 développé il y a quelques années par G. TIMSIT. L’impératif, nous l’avons vu, est une notion relativement insaisissable, mais cela n’a pas empêché le juge administratif de se l’approprier afin d’en faire une ligne de partage non pas entre le droit et le non-droit, mais bien entre le recevable et le non-recevable, entre le décisoire et le non décisoire. Le contrôle opéré en matière de circulaires administratives nous le démontre avec éclat.
186La jurisprudence Duvignères329 aura sans doute eu le mérite de clarifier l’examen du contentieux des circulaires, là où l’ancienne jurisprudence Notre Dame du Kreisker330 laissait planer une inversion, voire une confusion entre la légalité et la recevabilité. Depuis lors, seules les circulaires contenant des « dispositions impératives à caractère général » seront contrôlées par le juge administratif, leur légalité étant conditionnée ensuite par le fait qu’elles prescrivent une interprétation réglementaire331. La question est alors de savoir ce que le juge administratif entend par l’expression « dispositions impératives » et si elle peut vraisemblablement relever d’une acception déjà entrevue.
187Le Commissaire du gouvernement P. FOMBEUR proposait aux juges du Palais Royal d’y entendre « toutes les dispositions au moyen desquelles une autorité administrative vise soit à créer des droits ou des obligations, soit à imposer une interprétation du droit applicable en vue de l’édiction de décisions »332, en admettant cependant qu’une hésitation serait parfois permise. Il propose alors de distinguer entre les simples « indications » et les « prescriptions auxquelles les destinataires de l’acte doivent se conformer » et dans cette optique, « plus encore que la rédaction du texte, c’est l’intention de son auteur et la façon dont il est perçu par ses destinataires qui nous semblent déterminants. Dès lors que l’auteur de la circulaire expose aux services chargés de la mise en œuvre de la réglementation l’ensemble des règles applicables, en indiquant de façon univoque et non dubitative comment il faut le comprendre et l’appliquer, on peut considérer qu’il s’agit de dispositions à caractère impératif »333. L’importance attachée à la volonté de l’auteur par-delà la structure du texte (c’est-à-dire de l’énoncé) semblerait exclure l’utilisation exclusive de l’impératif déontique, qui ne constituerait dès lors qu’un moyen complémentaire dans la détermination de la nature impérative de l’acte. Toutefois, on pourrait se demander comment rechercher l’intention prescriptive d’une autorité administrative lorsqu’elle adresse une circulaire à ses subordonnés ? L’intention normative n’est-elle pas inhérente au pouvoir hiérarchique du chef de service, de sorte que toute circulaire comporterait peu ou prou cette part d’« impérativité » nécessaire pour accéder au contentieux, voire à la normativité ?
188L’examen des jurisprudences suivantes démontre ainsi que c’est avant tout la nature formellement indicative des actes soumis à son contrôle qui est privilégiée : « de manière générale, le considérant de principe exposant la démarche de contrôle issue de la solution Duvignères exprime l’idée selon laquelle les dispositions impératives “prescrivent d’adopter” une interprétation. Parallèlement, pour rejeter le recours contre une circulaire, le juge précisera soit qu’elle est simplement indicative, soit qu’elle ne fixe pas de “règle impérative”, ce qui renvoie à l’action de prescrire, au sens d’établir une règle »334. La logique purement déontique serait alors parfois dépassée par le juge, lui préférant un faisceau d’indices : « l’appréciation du caractère impératif d’une circulaire ou d’une directive fait sans doute davantage appel à la subjectivité, compte tenu, notamment, qu’il faut être sensible, au moins autant qu’au vocabulaire employé, au ton général du document et au contexte dans lequel il se situe »335. L’impératif « interprétatif » ne se limiterait donc pas nécessairement à l’utilisation de foncteurs déontiques marquant une prescription, soulignant par là que l’impérativité peut aussi se manifester plus prosaïquement par des effets sur la situation juridique des destinataires336. L’appréciation de l’impérativité serait alors avant tout une question d’opportunité du juge.
189Au contraire, d’autres auteurs soulignent la mise en œuvre d’éléments objectifs dans la qualification impérative faite par le juge administratif, et, dans ce cadre, la logique déontique retrouverait toute sa place : « la jurisprudence montre que les circulaires qualifiées d’impératives sont souvent impératives d’un point de vue déontique : elles prescrivent au sens strict, une injonction ou une prohibition, ne laissant aucune marge de manœuvre à leur destinataire »337. La tendance de la jurisprudence à objectiver son contrôle marque alors selon nous la prééminence de la logique déontique dans la détermination de l’impératif.
190Cependant, justiciabilité n’est pas normativité (nous l’avons souligné), et il convient de s’interroger sur les implications théoriques de l’utilisation d’un tel critère par le juge. On a pu noter en effet la « coloration normative »338 du critère juridictionnel de l’impérativité, faisant penser qu’un tel choix n’est pas anodin dans l’« impérativisme » ambiant. Aussi faut-il immédiatement préciser qu’impérativité n’est pas ici synonyme d’acte réglementaire, puisque précisément cette qualification dépend de la légalité de la circulaire et non de sa recevabilité, et admettre le contraire reviendrait à soutenir que « les circulaires interprétatives “impératives” s’insèrent dans l’ordonnancement des règles juridiques et relèvent de la catégorie des actes administratifs unilatéraux »339 et que la doctrine administrative deviendrait une interprétation authentique340.
191Certains auteurs n’hésitent pourtant pas à la qualifier comme telle, conduisant alors à considérer la question de l’impérativité comme purement accessoire : si l’interprétation administrative est authentique, elle met en œuvre non pas un acte de connaissance mais un acte de volonté produisant des effets de droit (i. e. une norme juridique), et son caractère impératif n’est alors qu’un moyen judiciaire en vue de révéler son éventuelle illégalité en ce qu’elle prescrirait, par exemple, une interprétation contra legem. Dans cette optique, on aboutirait à une dissociation totale entre normativité et impérativité puisque certaines circulaires seraient alors normatives, sans pour autant être impératives341. Dès lors, « la notion d’impérativité dégagée par le juge doit s’entendre de manière contentieuse, comme un moyen de recevabilité du recours en ce sens, elle se rapproche davantage de l’acte décisoire, condition objective de la recevabilité du recours, que de l’acte normatif dont l’existence est déterminée en dehors du contrôle juridictionnel (...) cette dissociation nécessaire entre impératif et normatif peut d’ailleurs surprendre le théoricien du droit car au fond de la norme, il y a cette idée d’impératif »342. Sans ici rentrer plus avant dans l’épineuse question de la normativité de principe de l’interprétation administrative343, il est constant que la doctrine se limite à ne voir dans ce critère de l’impérativité qu’un « sésame contentieux », ou « une notion fonctionnelle »344, mais certainement pas un réel critère de normativité.
192Il nous semble pourtant qu’il incarne une véritable ligne de partage entre le droit et le non-droit : si les circulaires interprétatives non impératives ne sont pas contrôlées, c’est bien parce qu’elles témoignent a priori d’une faiblesse normative. On leur nie en effet toute nature obligatoire, fût-elle fondée sur un énoncé déontique ou sur l’existence d’effets juridiques à l’égard des destinataires (ce que d’ailleurs l’expression « faire grief » signifie), voire des tiers (en l’occurrence les usagers).
193Dès lors, il nous semble que l’impératif obéit à une constante : qu’il soit utilisé pour contester la normativité ou pour refuser la justiciabilité, il offre un mécanisme puissant d’exclusion du phénomène juridique et, appliqué à la soft law, il devient alors particulièrement discriminant.
B - Un critère efficace d’exclusion de la soft law
194Sous l’égide d’une pareille doctrine positiviste, la soft law ne semble trouver terre d’accueil. Pis, la logique qui voudrait que la norme soit immanquablement un modèle de conduite obligatoire aboutit à rejeter sans ménagement le concept hors des frontières du droit, voire de la normativité (1). Certains auteurs envisagent alors une voie de rechange : à l’appui d’une application extensive de la théorie kantienne, la soft law témoignerait d’un « impératif conditionnel », ce qui serait propre à la réconcilier avec le phénomène juridique. Cette présentation, toute séduisante qu’elle soit, doit pourtant, selon nous, être dépassée (2).
1 - Un critère performant d’exclusion de la soft law de la normativité
195La nature obligatoire du droit est conçue par la majorité de la doctrine positiviste comme un critère d’identification de la norme et pas seulement de la norme juridique. Aussi cette vision de la norme est-elle celle qui conduit le plus à affaiblir notre concept. Elle ne se contente pas en effet de l’exclure de la juridicité, elle la rejette de tout phénomène normatif. La soft law ne serait donc même pas une norme tant son aspect formel (l’intitulé de l’acte par exemple) ou matériel (l’emploi de formules éloignées de la juridicité) l’empêchent d’être reconnue autrement que comme une pure et simple déclamation dénuée d’effet ou même d’intérêt. En outre, afin de spécifier réellement la norme juridique, il faudrait dès lors avoir recours au concept de sanction pris dans son acception la plus large, de sorte que le couple obligation/sanction, couple de singularisation de la règle de droit, constitue une véritable « boucle de rejet [de la soft law] hors du droit »345, voire hors de la normativité.
196Le critère de l’impérativité ne fait qu’accentuer ce phénomène lorsqu’en excluant la soft law de tout contentieux, elle la prive de la sanction juridictionnelle qui pour beaucoup signifie une forme de reconnaissance par l’ordre juridique. En effet, des décisions du Conseil d’Etat montrent que certaines recommandations d’A.A.I. sont exclues du recours pour excès de pouvoir sur le fondement de leur « rédaction » non impérative346. Loin d’en contester seulement l’efficacité, il s’agit bien de sa qualité qui est remise en cause : la soft law ne peut même pas disposer d’effets sur ses destinataires, en ce que la volonté qui la porte n’est pas destinée à produire des effets de droit. Cependant faire de l’impérativité un critère d’exclusion de la soft law du phénomène normatif conduit alors à avancer une argumentation quelque peu paradoxale. C’est accepter en effet que l’on exclue un phénomène indéterminé par un phénomène mal déterminé. Les différentes acceptions de l’impérativité possèdent toutes en elles les germes de leur remise en cause pratique ou théorique et il devient alors assez peu pertinent d’en user de manière exclusive. En effet il nous semble que c’est surtout le couple formé par l’obligation et la sanction qui assure un mécanisme d’exclusion de la soft law de la normativité. L’absence de sanction conduit simplement à atténuer les effets du concept, et à l’assimiler aux normes morales, voire à des normes juridiques non sanctionnées, ce qui revient en réalité à lui refuser toute autonomie. L’absence de caractère obligatoire, elle, fonde une frontière totalement hermétique entre la soft law et la normativité tout entière : l’objection est alors dirimante, mais elle semble se diluer dans l’appréciation même de la nature obligatoire d’un énoncé.
197Afin de réhabiliter quelque peu la soft law au sein du monde du droit, on a pu toutefois proposer de l’assimiler aux impératifs conditionnels développés par KANT.
2 - Le recours peu satisfaisant à l’« impératif conditionnel »
198Exclure la soft law de la normativité et plus généralement du monde du droit ne va pas sans quelques inconvénients. Nous l’avons souligné en introduction, cette vision a en effet tendance à évacuer un certain nombre de phénomènes que le droit post-moderne semble revêtir. D. de BECHILLON se propose alors d’invoquer la dialectique kantienne afin de montrer qu’« une sorte de commandement sommeille dans la recommandation »347, manière de réintégrer la soft law dans la juridicité, une nouvelle fois à l’aune de l’impératif. En effet, l’auteur explique que contrairement à « l’impératif catégorique », obligatoire par lui-même, « l’impératif conditionnel présuppose le consentement du destinataire sur la finalité de la proposition ; sur l’objectif à atteindre, si l’on veut »348. Ainsi, « l’impératif apparaît sous la condition que ces valeurs soient admises et partagées par celui à qui s’adresse la recommandation »349. On voit bien ici à quel point le prisme de l’impératif est recherché à tout prix, quitte à biaiser quelque peu la distinction opérée par le maître allemand (ce que l’auteur reconnaît d’ailleurs volontiers350).
199A supposer déjà que la norme juridique et le droit s’apparentent véritablement à un « impératif catégorique », ce qui n’est pas incontestable351, réhabiliter la soft law au sein des impératifs nous paraît quelque peu artificiel. En effet, si le prisme de la réception qu’en ont ses destinataires paraît adapté, en ce qu’il se place sous l’égide de ses effets, on voit mal ici d’où sortirait une quelconque forme d’impératif ou d’obligation. Si le destinataire veut bien appliquer le conseil ou la recommandation, il pourra parfaitement à tout moment adopter le comportement inverse, de sorte que si le modèle de comportement conseillé n’est pas épuisé par une seule application, son sujet se trouve parfaitement libre de ne plus le respecter à l’avenir.
200Cette remarque permet d’ailleurs de distinguer la recommandation de l’incitation, qui ne dispose pas non plus a priori de force obligatoire, mais qui suppose bien en revanche l’octroi conditionné d’une certaine situation. Cependant, on a pu parfaitement montrer que les incitations masquaient en réalité une réglementation « unilatérale et obligatoire »352 en ce qu’elles sont sanctionnées au moins de manière positive. Plus loin, l’avantage octroyé cessera dès lors que le modèle de comportement conditionné cessera d’être respecté : une fois la condition réalisée, la norme incitative devient à proprement parler obligatoire car sanctionnée par le retrait de l’avantage. En revanche, au même titre qu’une règle de droit n’est jamais à notre sens obligatoire en soi, au contraire justement de la morale kantienne, mais garantie par l’intégration au sein d’un ordre sanctionné, on voit mal comment une simple acceptation pourrait faire basculer une recommandation dans l’obligation. En poussant un peu plus cette critique, on pourrait avancer ainsi que toute norme juridique voit l’impératif qu’elle recèle soumis à un choix conditionnel : le destinataire peut parfaitement opter pour ne pas respecter le modèle de comportement, quitte à risquer l’intervention d’une sanction. Ainsi, une interdiction ne se formule jamais comme telle en droit, mais plutôt par l’association d’un modèle de comportement donné et d’une sanction qui lui est attachée : le droit, au contraire de la morale, ne dit pas que le crime est interdit, mais bien qu’il est puni de dix ans de réclusion.
201Il nous semble ainsi que cette grille d’analyse cadre mal avec la soft law qui laisse une liberté au destinataire encore plus grande, dans la mesure où son choix n’est pas conditionné par d’éventuelles sanctions (juridiques tout du moins). En réalité, le recours aux impératifs catégoriques paraît beaucoup mieux convenir à une forme particulière de normes que sont les normes techniques. En effet, l’impératif est ici réalisé par le fait que le modèle de comportement ne peut se réaliser qu’à la condition impérieuse du respect de certaines données scientifiques : si l’on veut faire bouillir de l’eau, il faut la faire chauffer à cent degrés. Ce n’est donc pas tant le comportement qui est formulé à titre d’obligation, mais bien le moyen pour arriver à une fin. En détaillant plus avant les catégories kantiennes, on se rend compte que ce type de proposition correspond bien mieux à un impératif conditionnel, réalisé ici par le biais d’un « impératif problématique »353 sous forme d’un ordre technique.
202Dès lors si l’on cherche à adopter cette analyse, ce n’est pas tant dans l’acceptation des destinataires qu’il faudrait chercher, mais plutôt dans la réception possible par un juge de certains énoncés à la normativité a priori nulle ou incertaine, ou de certains actes souples dont la force obligatoire était ab initio inexistante. En ces cas en effet, l’impératif sera révélé voire posé par le juge qui rendra sa solution354, mais au prix d’un changement radical de nature juridique. Ainsi, plutôt que de vouloir chercher à tout prix un impératif sous-jacent à la soft law, il nous semble qu’une autre voie doit être privilégiée, celle qui précisément respecte le mieux sa nature et ses fondements et qui accepte qu’elle n’oblige pas en droit ses destinataires. Dans ce cadre, la soft law relève alors d’une technique à la normativité particulière.
Section II. LA SOFT LAW, UNE TECHNIQUE MANIFESTEE PAR UNE NORMATIVITE NON PRESCRIPTIVE
203Il s’agira de démontrer ici que les conceptions réductrices de la normativité juridique, si puissantes qu’elles soient, ne doivent pas conduire à exclure la soft law de l’intégralité du phénomène normatif. A ce titre, de récents développements sur la définition de la norme, portés par C. THIBIERGE dans la lignée de P. AMSELEK, sont particulièrement éclairants : la norme, conçue à la fois comme un instrument de mesure des comportements et comme un guide destiné à être suivi d’effets, ne s’oppose plus frontalement au phénomène, de sorte que ce dernier peut se comprendre comme un modèle de comportement recommandé (Paragraphe premier). Enfin, cette identification particulière de la soft law contribue à l’assimiler dans son intégralité à la « direction non autoritaire des conduites ». La séparation toute relative entre la soft law formelle et matérielle précédemment envisagée semble de fait beaucoup plus poreuse et malléable. La soft law est une technique mettant en œuvre une recommandation, et dont la « normativité » doit s’envisager de manière particulière (Paragraphe second).
§1. La soft law, un modèle de comportement recommandé
204La nature « directive » et non purement « déclamatoire » de la soft law doit ici être réhabilitée. En effet, elle apparaît bien être une norme qui ne se pare pas de certains atours de la juridicité (A). En outre, cette norme non juridique procède d’une recommandation : la soft law, qu’elle soit prise dans son sens matériel ou formel, apparaît comme une technique recommandatoire (B).
A - La soft law, une norme non juridique
205La polysémie du terme « norme » est révélatrice de deux conceptions qui peuvent parfois seulement se dissocier. Si la soft law constitue bien un modèle de comportement guidant l’action (1), elle peine à former un réel instrument de mesure du licite et de l’illicite, du légal et de l’illégal ou du permis et de l’interdit (2).
1 - La norme, un instrument de mesure et modèle de comportement
206Certains auteurs souhaitent dépasser l’approche purement normativiste qui intègre les normes au sein d’un système clos, qui détermine à la fois la nature obligatoire (par l’autoréférentialité progressive, d’une norme inférieure à une norme supérieure) et sanctionnée des normes (par la punition du non respect de cette hiérarchie). On propose alors des approches plus fonctionnelles, « aptes à élargir la catégorie “norme” sans la réduire aux seules règles de droit et différencier les types de normes dans leur hétérogénéité »355. Ces approches consistent en effet à dépasser la réduction normativiste en retrouvant le sens originel des mots.
207La norme et la règle, peuvent se concevoir dès lors comme des « outils », ce que d’ailleurs confirme leur étymologie : « la “norma”, dans la langue latine, désignait un instrument, un instrument matériel, physique, en l’occurrence une équerre formée par deux pièces perpendiculaires et servant à vérifier ou à réaliser des angles droits ou des tracés perpendiculaires rectilignes (...) Le mot règle, lui aussi, a désigné originairement un certain type d’outil (...) la “régula” comme la norma désignait une équerre mais elle désignait en outre “un instrument constitué par une planchette allongée ou par une tige à arrêtes rectilignes et qui sert à guider le crayon ou la plume quand on trace un trait, à mesurer une longueur, etc.” »356. Ce sens étymologique a ainsi par la suite été en quelque sorte détourné pour désigner « un instrument de mesure de texture purement psychique (...) une mesure d’un déroulement du cours des choses »357. La vocation instrumentale des normes s’est ainsi progressivement dématérialisée, de sorte que ce n’est pas la main que la norme fut censée guider, mais bien l’humain dans ses agissements et dans son action. Le mot norma s’est ainsi détaché de l’outil matériel afin de constituer une norme au sens moderne, un outil essentiellement abstrait.
208Pourtant, C. THIBIERGE relève que cette dissociation n’emporte pas vraiment de conséquences quant à leurs fonctions, qui resteraient similaires. En effet, la norma en tant qu’outil sert à la fois pour le « tracé » (et en ce sens elle « guide » la main, c’est-à-dire l’action), et pour la « mesure », c’est-à-dire « la vérification de ce qui a été accompli »358 (en ce sens, elle offre un moyen de jugement sur l’action). La « norme », elle, indique « un modèle pour agir »359, qui guide ou dirige l’action afin de tracer des lignes de conduite, tout en offrant un « modèle pour juger » et « dans ce rôle d’étalon, la norme sert la vérification »360 de ce qui a été accompli. Un tiers pourra alors intervenir (i.e. le juge, lui encore...) afin de vérifier que le comportement du destinataire s’est bien réalisé à l’aune de ce qui était porté par la norme. P. AMSELEK, ne distingue pas nécessairement entre ces deux fonctions361 (à l’instar d’autres auteurs362), il les fond au contraire dans une seule et même finalité, celle qu’a la norme de diriger la conduite humaine. En ce sens « sa vocation instrumentale fondamentale, c’est de constituer une mesure, un étalon, un modèle. “Modèle” est, en fait, synonyme de “mesure” : en latin, mesure se disait modus »363.
209Cette dissociation entre le « tracé » et la « mesure » ne relève pas à notre sens de l’artifice théorique, bien au contraire : une telle approche fonctionnelle de la norme offre une grille de lecture particulièrement pertinente. En effet, elle a le mérite de singulariser la norme juridique en ce qu’elle serait précisément le seul lieu de coïncidence entre la fonction de mesure et de modèle, de sorte que seule la règle de droit revêt une « plénitude de normativité »364. En fait, « pour les règles de droit dur, au sens obligatoire et sanctionné, les deux fonctions se superposent : la règle impose à ses destinataires un modèle d’action qui permettra au juge d’évaluer la conformité du comportement litigieux audit modèle »365. Cette dissociation permet alors de caractériser le « standard » (telle que la bonne foi, l’intérêt de l’enfant...), qui, en tant que « pur instrument de mesure des comportements et des situations en termes de normalité »366, n’accéderait donc pas à la normativité juridique, « en l’absence de fonction autonome de tracé »367. Simple outil de mesure, le standard ne se conçoit alors que par l’intervention d’un juge qui le rend « positif ». Dans ce cadre, l’on conçoit mieux la « fonction normative des notions floues », leur mise en œuvre impliquant « une activité de création de contenu »368 par le juge.
210Enfin, cette dissociation permet de mieux cerner la soft law qui ne mettrait en œuvre qu’une fonction de modèle ou de tracé.
2 - La soft law, une manifestation de la dissociation fonctionnelle de la norme
211Dans le sillage de C. THIBIERGE, nous considérons que la soft law constitue essentiellement un instrument proposant un modèle de comportement pour agir (a). Par conséquent, la technique mise en œuvre ne peut consister en un instrument de mesure dudit comportement, en étant, nous l’avons précédemment souligné, globalement exclue du contentieux. Cependant la rigueur proclamée dans l’approche fonctionnelle de la norme qui sépare le tracé et la mesure doit être partiellement remise en cause. En effet, si le modèle proposé par la soft law ne peut permettre de vérifier la conformité de l’action au modèle par un juge, c’est uniquement au titre d’un a priori sur sa nature. En réalité, la soft law incarne un instrument de mesure potentiel des comportements (b).
a - La soft law, un modèle de comportement « proposé »
212Nous avons souligné que la règle de droit pouvait s’entendre avant tout comme un modèle de comportement guidant l’action. Cette direction se pare en outre des attributs de la juridicité que sont l’obligation et la sanction qui lui est attachée. Dans ce cadre, la soft law s’entend, elle, certes aussi comme un « modèle de conduite », mais un modèle se bornant à « inviter ses destinataires à adopter certains comportements »369. Le contrôle juridictionnel des actes des autorités administratives indépendantes permettrait ainsi de dégager leur « nature invitative »370. Cette conception de la norme permet alors de la dégager de toute obligation, tout du moins au sens juridique du terme, ce qui revient à réintégrer la technique au sein de la normativité. Cette position nous ramène ainsi à un certain réalisme : quel intérêt aurait le législateur à habiliter des autorités indépendantes à prendre des actes ne contenant aucune norme, aucun modèle de comportement ? Quelle utilité à conférer ainsi des compétences non normatives ? Attribuer une sorte de droit de parole, de discours sans force et sans portée n’a, on le comprend bien, aucun intérêt. Ce n’est d’ailleurs pas du tout l’ambition qui gouverne la création de telles autorités de régulation : elles cherchent bien à réguler (en latin regulare ne signifie rien d’autre que régler).
213En conséquence, le constat fait par le positivisme de la non normativité de la soft law doit être renié en ce qu’il ne donne tout simplement pas la mesure de la réalité normative actuelle : le succès grandissant de la technique ne doit pas nous faire oublier qu’elle vise à faire modifier les comportements et, en ce sens, constitue bien une norme. Le fait qu’elle ne soit pas obligatoire n’obère en rien sa normativité puisque « si ces règles visent à gouverner les actions, en favoriser certaines et en décourager ou éradiquer d’autres, ce n’est pas nécessairement en prescrivant, interdisant ou permettant des conduites »371. La norme s’assimile dès lors plus à une « règle pour les actions » qu’à des règles de conduite372.
214Il est constant que la soft law offre un modèle de référence à ses destinataires en ce qu’elle permet de guider leur action : la norme ainsi proposée exprime simplement ce qu’il serait souhaitable de réaliser. En droit international, la soft law offre alors par exemple des « normes de référence » aptes à harmoniser les différents ordres juridiques. La détermination de nature juridique de telle ou telle norme deviendrait de ce fait éminemment relative. Une norme juridique intégrée au sein d’un Etat peut ainsi devenir un simple modèle à suivre pour les autres États : « en effet, norme unique dans le contexte étatique, elle devient norme multiple dans le contexte international ; norme positive dans le contexte étatique, elle devient norme de référence dans le contexte international »373. Cette dissociation entre la fonction de modèle et la fonction de mesure se réaliserait alors à un niveau vertical : en pénétrant dans l’ordre juridique international, une norme étatique perdrait son caractère d’instrument de mesure. Aucun juge ne lui assure en effet d’être garantie, et la souveraineté des États lui interdit de s’imposer, même si rien n’empêche un État d’y voir une source de référence.
215Cependant s’en tenir à ce constat ne permet pas à la soft law de se départir de la règle de droit, qui témoigne de la même vocation instrumentale. Toutefois, l’autre versant fonctionnel de la norme juridique semble a priori se dérober lorsque l’on envisage la soft law.
b - La soft law, un instrument de mesure potentiel
216Dans le cadre ainsi posé, la soft law s’apparente à des « normes de comportement sans être des normes de jugement (le tracé sans la mesure, la direction sans l’étalon ni la sanction) »374 L’immunité contentieuse attachée aux instruments relevant de la soft law formelle, ainsi que l’annulation par le Conseil constitutionnel des dispositions législatives non normatives, dénote une absence générale de mécanismes assurant la vérification des comportements au modèle proposé. Ainsi, aucun mécanisme de « réassurance » ne s’offrirait au phénomène : si le guide proposé n’est pas suivi, aucune autorité ne pourra juger de la légalité ou de l’illégalité, de la licéité ou de l’illicéité, ou de la normalité ou de l’anormalité du comportement en contradiction avec ce qui était proposé.
217Par conséquent, au contraire de la norme juridique qui offre une coïncidence parfaite entre le « tracé » et la « mesure », la soft law ne pourrait a priori n’indiquer qu’un modèle pour l’action. Nous nous permettons toutefois d’insister sur le terme « a priori ». En effet cette absence de jugement, de mesure, porté sur l’action est quelque peu atténuée si l’on replace la soft law dans une perspective dynamique et temporelle. Nous avons ainsi souligné que le phénomène était entendu par une partie non négligeable de la doctrine de droit international comme un « droit vert », c’est-à-dire en attente d’être formellement repris dans un instrument hard. Cette éventualité, ou potentialité, n’est pas à négliger lorsque l’on conçoit la soft law dans une perspective fonctionnelle (nous aurons l’occasion d’y revenir), et est appuyée par les mêmes hypothèses en droit interne (songeons par exemple à la Charte de l’environnement). De simple modèle sans mesure, l’acte considéré muterait en véritable norme juridique de sorte que ceux qui s’y seraient déjà conformés auraient un comportement « légal ».
218L’étalon proposé doit alors s’envisager aussi au regard de cette potentialité : la soft law permet donc de pré-juger la légalité future de l’action à l’aune du modèle proposé. Cette action se réalise ici non par un juge, mais bien par le destinataire du modèle qui peut parfaitement anticiper cet « endurcissement ». C’est d’ailleurs tout l’intérêt que revêt la soft law dans les hypothèses de convergence des droits : celle-ci ne sera reprise que lorsqu’un nombre suffisant d’acteurs, d’opérateurs ou d’États se seront mis en conformité avec le guide proposé. L’apparence souple de certains actes ou de certains énoncés serait alors, nous le répétons, particulièrement trompeuse, spécialement quand ces derniers sont prédestinés à être intégrés par la suite dans de véritables normes juridiques (ce qui était le cas du reste de la Charte de l’environnement ou des droits fondamentaux de l’Union européenne375).
219On pourrait aussi arguer du fait que la « norme souple » porte en elle les germes d’un instrument d’évaluation. En effet, l’exclusion du contentieux des actes « invitatifs » des A.A.I. ne veut pas forcément dire qu’il n’y a pas là de vérification : au contraire, il nous semble qu’en les écartant de la sorte, le Conseil d’État juge que les comportements pourront ne pas être conformes au modèle. Encore fallait-il qu’il s’exprime sur la question ! L’évaluation ainsi portée se veut délibérément générale et adressée en forme (elle aussi) d’invitation : vos comportements quels qu’ils soient, peuvent parfaitement ne pas respecter le modèle. Cette invitation relève bien déjà, d’une manière certes beaucoup plus neutre, d’une forme de jugement, de vérification, portée sur l’action des destinataires.
220Ainsi, pour l’ensemble de ces raisons, il nous semble que la soft law incarne un instrument de mesure potentiel.
221Enfin, la dissociation fonctionnelle proposée dans l’identification du phénomène se heurte à deux objections. D’abord, que faire de l’hypothèse d’une recommandation invitant à respecter la bonne foi ? Doit-on considérer avant tout la mise en œuvre d’un standard pour la considérer comme un pur instrument de mesure, ou envisager prioritairement l’invitation pour plutôt la qualifier d’« instrument de pur tracé » ? La question ne peut à notre sens que rester sans réponse. Ensuite, l’intervention nécessaire d’un tiers évaluant et mesurant l’action ne constitue-t-elle pas un simple avatar de la sanction juridique précédemment exposée ? A cette question en revanche, nous répondrons par l’affirmative : la parole d’un juge consiste en une forme de sanction en ce qu’il contribue à l’insertion de la norme au sein d’un ordre376.
222Cette seconde caractéristique attribuée à la soft law n’est donc pas si décisive afin de déterminer sa particularité normative face à la norme juridique. Il convient donc de rechercher un prisme qui pourrait lui conférer une certaine unité : à cette fin, nous allons voir que la soft law est un modèle de comportement recommandé.
B - La soft law, une technique recommandatoire
223Identifier la soft law comme une technique recommandatoire vient du fait qu’elle s’intégre dans la « direction souple des conduites humaines » initiée par P. AMSELEK (1). Toutefois, cette assimilation doit être précisée : la soft law ne peut plus accueillir en son sein toutes les manifestations de l’atténuation de la force obligatoire. A ce titre, nous identifierons le phénomène de manière restrictive, de sorte que la technique est en réalité strictement délimitée (2).
1 - Une intégration globale au sein de la « direction non autoritaire des conduites »
224Toujours dans cette contestation du postulat que toute norme est obligatoire, certains auteurs distinguent au sein des normes éthiques celles qui s’énoncent sur le mode du commandement, et celles qui s’expriment par une recommandation (a). Cette technique particulière transcende alors l’identification duale de la soft law que nous avions précédemment pu identifier : la technique de direction souple des conduites s’envisage en effet tant à propos de la formulation du negotium que de la particularité de l’instrumentum (b).
a - De la dualité des normes éthiques : le commandement et la recommandation
225Dans un effort louable et particulièrement pertinent de catégorisation des normes, P. AMSELEK distingue tout d’abord les normes scientifiques des normes à fonction directive. La première catégorie regroupe les normes ayant une « vocation instrumentale spécifique [en ce qu’elles] assument une fonction que l’on pourrait qualifier de recognitive », ainsi, elles ont pour but de « constituer des modèles du déroulement des choses dans la réalité, des modèles de survenance des choses dans le réel »377. Elles se formulent alors bien souvent de la manière suivante : « l’eau bout à 100 degrés », de sorte que leur énoncé (ou plutôt leur « assertion »378) n’indique aucun modèle comportemental. Au contraire, les normes éthiques sont des normes à « fonction directive : leur finalité instrumentale essentielle est de servir à guider, à diriger la conduite des hommes »379. L’instrument de mesure n’est plus alors le même, d’un côté, il s’agit en effet d’une prédétermination du cours des choses, alors que de l’autre côté, on suppose à l’inverse une indétermination des comportements de l’homme380.
226Ensuite, au sein des normes directives, l’auteur distingue les normes éthiques à proprement parler des normes techniques. Ces dernières consistent à offrir un modèle de « procédés à suivre en vue de parvenir à un certain résultat, à une certaine fin », de sorte que « les normes techniques ne sont qu’une adaptation à des fins directives de normes scientifiques »381. Par conséquent, ces dernières proposent généralement une alternative entre le modèle et le procédé pour y arriver : « si tu veux cuire des pâtes, l’eau bout à 100 degrés ». Bien sûr, il arrive que certaines règles de droit se formulent de la même manière : « pour construire ta maison, il faut demander au Maire un permis de construire »382. Cependant l’alternative ne se pose pas du tout dans les mêmes termes dans la mesure où une norme technique aurait, elle, expliqué le procédé permettant de réaliser concrètement cette maison (exemple : « les fondations doivent être réalisées en béton armé »), et ce procédé est issu non d’un choix arbitraire de l’homme, mais bien d’une reconnaissance d’un état de choses383. Cette distinction nous offre alors un critère puissant lorsque l’on envisage une relation éventuelle entre ces normes techniques et la soft law. En effet, on leur attribue à toutes deux généralement une absence de caractère obligatoire, même si elles disposent parfois d’une autorité de fait. Ce raisonnement trouve toutefois une triple limite : d’abord le non respect de ces normes peut se révéler être un indice pour une éventuelle responsabilité civile ou pénale, confirmant l’idée que l’inexistence de leur force obligatoire n’est que de principe, le juge pouvant parfois leur donner certains effets de droit ; ensuite ces normes peuvent revêtir un caractère impératif indirect par l’obligation de renvoi dans les spécifications contractuelles (l’article 6 du Code des marchés publics rend par exemple la référence aux normes techniques obligatoire384) ; enfin certaines normes sont d’application obligatoire en ce qu’elles sont formalisées par les pouvoirs publics (elles perdent cependant leur caractère de norme technique pour devenir des actes de l’autorité publique)385. Ainsi certaines assimilations hâtives doivent être évitées, car si la normalisation relève une normativité particulière (de par son élaboration concertée et l’absence de force obligatoire directe), elle ne peut s’apparenter intégralement à la soft law.
227Enfin, P. AMSELEK distingue deux modalités de « direction des conduites humaines »386, le commandement et la recommandation, observant qu’une « norme n’est pas nécessairement un commandement », que « le normatif est un genre qui contient deux espèces principales : l’impératif et l’appréciatif »387. Ainsi, les commandements ne sont qu’une « variété de normes directives auxquelles est assignée la vocation spécifique qui est de constituer des mesures à suivre, à reproduire, obligatoirement, impérativement »388, et, dans ce cadre, le droit n’est plus qu’une espèce du genre éthique, genre qui se propose de diriger la conduite humaine389. Les normes éthiques comprendraient alors également des recommandations (prises dans leur acception large, « recouvrant tout ce qu’en pratique on désigne sous le terme de “vœux”, “souhaits”, “directives”, “conseils”, “avis” etc. »390), offrant des « lignes de conduite-modèles réputées opportunes à emprunter, mais que les hommes-conducteurs ne sont pas tenus de suivre, qui impliquent dans leur vocation même, la possibilité de s’en détourner »391.
228Ce prisme a pour mérite d’expliquer l’évolution de la technique juridique, et d’un droit venu d’en haut, « jupitérien »392 et fondé sur le commandement : nous assisterions à l’émergence d’un droit « post-moderne »393. Phénomène censé expliquer la perte des caractères classiques de la règle de droit, cette post-modernité se révèlerait à la fois dans un changement dans les modes d’élaboration des règles mais aussi dans leur contenu394. Une direction non autoritaire (ou souple) des conduites aurait alors remplacé une direction dite « autoritaire » de commandement, figurant une altération de la structure de la technique juridique. Les « recommandations » correspondraient ainsi au nouveau paradigme nécessaire à la régulation en ce qu’elles s’analysent comme des « normes éthiques dont l’observance est conçue comme souhaitable mais non pas obligatoire et est donc laissée à l’appréciation discrétionnaire des intéressés »395.
b - L’unité de la technique recommandatoire
229Cette approche de la recommandation, et le constat qu’il s’agit d’analyser avant tout sa prolifération (ces normes ayant peu ou prou toujours existé) se trouve être assez proche de celle précédemment développée. Nous avions pu en effet témoigner de la dualité du phénomène de soft law, dualité manifestée par des instrumenta particuliers (des recommandations au sens large) et par une formulation non obligatoire (une recommandation au sens étymologique). La vision proposée des normes éthiques permet de transcender ce clivage. La technique recommandatoire est un mode de direction non autoritaire des conduites, que ce dernier soit impliqué par une rédaction non déontique de l’énoncé, ou par l’intervention d’un acte particulier (charte, code de bonne conduite, directive, ligne directrice...) qui manifeste a priori la volonté de l’auteur. Cependant P. AMSELEK semble obscurcir son raisonnement lorsqu’après l’avoir rapproché de la recommandation internationale, ce dernier donne pour exemples des actes de droit « dur » à contenu « souple »396. Certains auteurs en ont alors conclu que le phénomène ici développé relevait purement et simplement de la soft law formelle (le « droit mou ») et non de la soft law matérielle (le « droit flou »), réaffirmant alors de fait la nette séparation qui existerait entre les deux phénomènes. C’est notamment la position de L. CALANDRI : « l’objet nommé par le terme “recommandation” par P. AMSELEK n’est donc pas le procédé imitatif tel qu’il a été défini. L’acte de régulation ne peut être assimilé aux techniques de “direction juridique souple des conduites”, La technique de recommandation ne désigne pas le contenu mou, vague, imprécis d’un acte juridique. Au contraire, la recommandation peut avoir un contenu extrêmement détaillé, précis ou “dur” ». Il nous semble cependant que ce constat quelque peu péremptoire doit être nuancé.
230En effet, la technique visée par P. AMSELEK ne semble pas uniquement être une formulation particulière mais bien aussi un acte particulier. La technique juridique ne s’entend pas en effet comme un simple processus, mais également comme un procédé, et il nous semble que, précisément, son évolution dans les « sociétés occidentales » s’entend par l’utilisation grandissante d’actes atypiques que seul le droit international connaissait jusqu’alors. Que ces derniers revêtent la forme correspondante à leur nature intrinsèque n’est pas étonnant, et invoquer les hypothèses de non concordance de nature entre l’instrumentum et le negotium n’est pas à notre sens réellement pertinent pour exclure du phénomène décrit les actes relevant de la soft law. Cette démarche consiste en effet à rendre compte d’un principe en mettant en exergue ses exceptions et c’est oublier que majoritairement, le contenu des actes de la soft law formelle est un contenu qui recommande, au même titre que majoritairement, le contenu d’une loi commande.
2 - Une technique strictement délimitée
231Déterminer l’unité de la technique recommandatoire ne suffit pas à délimiter la soft law de manière suffisante. Elle reste en effet toujours susceptible de degrés dans sa force obligatoire sans que l’on puisse réellement appréhender son « seuil de normativité »397. Il convient dès lors d’opérer une réduction de la technique. Une réduction « par le bas » d’abord, en ce que les énoncés purement déclaratoires doivent être exclus de toute normativité (a). Une réduction « par le haut » ensuite, puisque les énoncés purement impératifs doivent être inclus dans la normativité proprement juridique (b).
a - L’exclusion des énoncés « manifestement non normatifs »
232Les énoncés purement déclaratoires doivent être exclus du phénomène de soft law. En effet, ce dernier révèle l’utilisation d’une norme, et il nous semble que certaines dispositions, notamment législatives, ne contiennent aucun modèle de conduite. Ainsi, « on amalgame souvent le cas des recommandations à celui, de caractère fort différent, dans lequel le législateur, sous couvert d’édicter des normes juridiques, énonce des contenus de pensée inaptes (...) à remplir en pratique la vocation des normes qui leur est assignée, c’est-à-dire à encadrer la conduite des intéressés, à les diriger »398.
233Dans ce cadre, certains phénomènes précédemment envisagés par la doctrine comme appartenant à la soft law doivent être à notre sens purement et simplement écartés de toute normativité. C’est du reste la position du Conseil constitutionnel concernant les dispositions législatives non normatives399. En 2005, le Conseil a ainsi annulé l’article 7-II de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école400 qui disposait que « l’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves. Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents. La formation scolaire, sous l’autorité des enseignants et avec l’appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives. Elle contribue à la préparation de son parcours personnel et professionnel ». Nous insistons sur le choix de l’expression « normative » et non « prescriptive »401 car il ne semble pas que la démarche du juge constitutionnel soit avant tout guidée par la recherche d’un caractère obligatoire (et partant « prescriptif ») mais bien de l’existence d’une réelle norme : « Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “La loi est l’expression de la volonté générale”, et qu’il résulte de cette norme, comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi, que sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles de droit et doit par suite être revêtue d’une portée normative »402. Cette analyse semble confortée par le fait que l’expression « doit reconnaître et promouvoir » contenue dans l’article déféré s’apparente à un impératif déontique, ce qui n’a pas empêché le juge constitutionnel de l’annuler de sorte que « si la présomption semble forte pour exclure la normativité d’un énoncé qui ne peut être réduit à une forme prescriptive classique “permis, obligatoire, interdit”, en revanche, la formulation d’un impératif n’implique pas nécessairement la normativité d’un énoncé »403. Ainsi, on voit bien que la logique déontique n’est pas adaptée lorsqu’on envisage certaines « zones grises » de la normativité, tant il semble que la présence ou l’absence de certains marqueurs formels n’est pas déterminante, même pour le juge constitutionnel. Il est important alors de préciser que ce n’est pas réellement le « droit flou » en tant que tel qui est visé par le Conseil, mais uniquement les énoncés purement non normatifs, c’est-à-dire ceux qui ne comportent pas de modèle de comportement mais qui se contentent de déclarer un état de fait, ou une considération purement politique. L’absence d’obligation réellement « positive » (dans le sens où elle serait apte à provoquer des effets) semble alors déterminante. D’ailleurs, le Conseil a explicitement pris acte dans cette décision d’une certaine échelle de normativité, en séparant formellement les dispositions dénuées de toute portée normative de celles à la « normativité incertaine ». Le contrôle opéré sur ces deux types d’énoncés sera alors différent, les premiers fondant une censure au titre de leur absence de normativité, les seconds étant soumis au principe de clarté et à l’objectif d’intelligilibilité de la norme404.
234Il faudrait donc dépasser cette vision purement objective de la normativité reposant sur le commandement. Dans cette perspective, « on pressent, en s’appuyant sur les cadres généraux de l’analyse sémiotique, que l’exigence constitutionnelle de normativité vise à sanctionner les énoncés qui s’écartent de l’idéal des codes scientifiques monosémiques et qui, au contraire, s’approchent des codes poétiques polysémiques, à connotation variée »405.
235Dans ce cadre, le degré de précision qui s’attache au modèle de comportement de la technique recommandatoire n’est pas en cause. En effet, la recommandation « encourage une direction, donne des indications, parfois fort précises pour l’action »406. Le vocabulaire employé et la structure générale des recommandations s’apparentent ainsi le plus souvent à la technique législative, à ceci près qu’elle s’insère dans un instrument particulier, ou qu’elle revêt une « portée normative incertaine » par l’utilisation d’une formulation plus invitative qu’impérative. Pour prendre un exemple récent (ils sont nombreux), une délibération de la H.A.L.D.E. du 18 avril 2011 relative aux discriminations en raison du lieu de résidence, après avoir rappelé les dispositions législatives et réglementaires sur ce point, recommande au législateur, « l’intégration du critère de l’adresse comme critère de discrimination prohibé, sauf motif légitime, dans le Code du travail à l’article L. 1132-1, mais aussi dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations, afin de couvrir les situations de discriminations dans l’accès aux biens et services publics ou privés »407. Le modèle de comportement est alors particulièrement clair quant à son domaine, sa portée et son champ d’application. Malgré le degré de précision de la norme, et son caractère innovant (elle propose en effet de modifier la réglementation), ceci serait couvert par l’expression « recommande », de sorte que la H.A.L.D.E. ne semble pas vraiment vouloir décider, obliger ou prescrire, mais bien recommander aux pouvoirs publics une évolution au regard de l’interprétation des réglementations européennes en la matière. Nous voyons bien que ce genre de recommandations s’éloigne considérablement de dispositions exclusivement déclaratoires à portée normative nulle.
236La soft law ne s’étend donc pas jusqu’à la non-normativité. La technique débute là où le Conseil veut bien la faire débuter, et nous soulignons que cette ligne de partage contentieuse se révèle éminemment empirique, loin d’envisager que les destinataires de telles normes puissent eux-mêmes apprécier leur caractère hard ou soft.
b - Le rejet des énoncés purement prescriptifs
237A l’inverse, et au sommet de l’échelle de normativité, les énoncés à la signification purement impérative doivent aussi être exclus de la soft law. Bien entendu ceci vaut a fortiori pour les dispositions législatives ou réglementaires, a priori formulées sur le ton du commandement. Cette délimitation vaut alors essentiellement concernant les instruments particuliers que sont les « chartes », les « recommandations », les « avis » ou encore les « codes de bonne conduite ». Ainsi, une recommandation impérative sera recevable à l’excès de pouvoir. Dans ce cadre, il est nécessaire de souligner que le juge n’intègre pas à proprement parler la soft law dans son empire408. Il est simplement conduit en effet à regarder au-delà des apparences et de la dénomination de l’acte. Ce faisant, il révèle leur force obligatoire (par la nature impérative de la proposition normative qu’ils contiennent), et va alors attacher à leur respect (ou à leur non-respect) des conséquences, notamment en prononçant l’illégalité ou la légalité du comportement litigieux au regard du modèle prescrit. En effet, « il ne serait notamment pas possible à un interprète authentique, au sens de Kelsen, et a fortiori à un juge, de sanctionner comme illicite la violation d’une norme si le modèle de comportement ou d’état de choses que cette norme fait advenir n’était pas lui-même fulminé à titre d’obligation »409. Par cette opération de requalification, le juge administratif contribue ainsi au changement de nature de l’acte soumis : d’instrument formellement recommandatoire, il devient matériellement décisoire et à ce titre il se soumet aux exigences de la légalité. Là encore, le juge, sans réellement le vouloir, trace les frontières de la technique recommandatoire. Peu importe la dénomination de l’acte, si ce dernier contient des prescriptions impératives il sera considéré comme une décision et perdra son caractère formellement souple. Par conséquent, la technique recommandatoire trouve là sa seconde limite.
238Dans ces hypothèses, il ne s’agit alors que d’un juste retour à la réalité des choses, confirmant que les hypothèses « limites », que l’on s’attache à la force obligatoire du negotium ou de l’instrumentum, ne relèvent pas de la soft law. D’un côté en effet il s’agit d’un droit qui se cache derrière l’apparente souplesse de l’instrument, de l’autre côté, c’est une simple description qui ne recèle aucun modèle de comportement (une norme au sens large) qui se formalise dans un acte particulier.
239Notre concept débute donc là où le déclaratoire s’arrête et là où l’impératif commence. Entre ces deux extrêmes, toutes sortes d’énoncés, de formulations, de structures syntaxiques peuvent cependant se rencontrer. L’échelle de normativité précédemment envisagée410 n’est pas alors à terre, bien au contraire, nous avons simplement contribué ici à lui retirer quelques barreaux.
§2. La soft law, une forme de normativité extérieure aux énoncés
240Cette délimitation de la technique recommandatoire ne permet pas encore d’expliquer pourquoi elle semble se développer avec succès. La théorie générale des normes ne considère la question de l’autorité des normes que de manière accessoire : une norme est ou n’est pas au sein d’un ordre juridique, et la question de savoir si et comment elle s’impose n’est que secondaire. Si la soft law est une norme ni obligatoire ni sanctionnée, ne disposant dès lors ni du glaive ni même de sa menace, comment peut-on expliquer que ses destinataires s’y conforment en fait ?
241Il nous semble qu’il nous faut encore une fois dépasser la simple idée que la normativité ne serait que purement formelle, assurée simplement par son intégration au sein d’un ordre juridique. En réalité, il apparaît que la soft law est une technique qui revêt une certaine autorité reposant à la fois sur la position de ceux qui l’énoncent et de la réception de ceux à qui elle s’adresse. Cette perspective dialogique réhabilite ainsi quelque peu le rôle des acteurs du droit, qu’ils soient ses auteurs ou ses destinataires, et remet en perspective le « dialogue qui s’instaure entre l’un et l’autre, les deux logiques qui s’associent, le dialogisme qui fait de la norme ce qu’en définitive elle devient, après qu’elle a été émise, par l’interprétation et l’exécution dont elle fait l’objet »411.
242Dés lors le point de vue des auteurs des normes recommandatoires et de leurs destinataires seront envisagés successivement. D’abord, la soft law revêt l’autorité de la personne qui parle et du contexte dans lequel il parle (A). Ensuite, la soft law est interprétée par les destinataires comme une norme à suivre, de sorte qu’elle devient un modèle de comportement suivi d’effets (B).
A - Le point de vue des auteurs : l’autorité de la soft law
243Il s’agira de comprendre en quoi la technique recommandatoire est une norme qui est effectivement respectée par ses destinataires. Privée de l’« obligatoireté », sans sanction, dénuée donc de toute contrainte, elle ne s’impose pas au sens où elle oblige, elle impose en tant qu’elle fait « naître sans conteste le respect chez autrui »412. Il nous faut ainsi rechercher l’obligation ailleurs que dans un aspect purement formel (qu’il s’agisse de la valeur de l’instrument ou la construction sémantique de l’énoncé). Rechercher une obligation non juridique suppose alors que l’on focalise son attention non sur le discours de l’auteur de la technique recommandatoire mais sur la position d’où il parle. L’autorité reconnue au locuteur imprime ainsi, selon les apports de la théorie des actes de langage, une « force illocutoire » à la recommandation (1). Ainsi, ces « actes de langage » permettent de rechercher la volonté de l’auteur dans le contexte d’émission de l’énoncé là où le prisme de la logique déontique se limitait uniquement à une analyse du texte. L’absence de foncteurs déontiques particuliers au sein des recommandations peut alors largement être évacuée (2).
1 - Les éclairages de la théorie des actes de langage : la force illocutoire de la recommandation
244La théorie des actes de langage, telle que formulée par le philosophe AUSTIN413 en 1962 et reprise par SEARLE414, a montré que certaines positions de communication entre un locuteur et un récepteur traduisent du premier une volonté de faire quelque chose par un énoncé au-delà du simple acte de dire quelque chose. L’application de cette théorie au « phénomène juridique » offre un puissant outil afin de comprendre que l’obligatoire peut se développer en dehors d’une approche essentiellement formelle. Cette approche a ainsi contribué à renouveler la théorie du droit en insistant sur la force implicite de certains énoncés (a). Cette valeur imprimée à la norme n’est alors qu’une traduction de la position de l’auteur et de son autorité. Par conséquent, la technique recommandatoire retrouve là une certaine « obligatoireté » (b).
a - Les apports de la théorie des actes de langage : la force illocutoire des énoncés
245Les travaux d’AUSTIN n’ont pas mis beaucoup de temps à intéresser les théoriciens du droit qui ont cru voir là le moyen de dépasser l’approche purement normativiste de la norme juridique415. En admettant que certains énoncés purement indicatifs puissent révéler une certaine force, on semble en effet pouvoir se débarrasser de quelques prédicats qui font de toute norme une signification d’un énoncé formulé de manière impérative. Sous l’égide de philosophes du droit éminents416, la théorie des actes de langage a ainsi connu un certain succès, ouvrant de « nouvelles perspectives d’approche » à la philosophie du droit417.
246Le mérite d’AUSTIN est ainsi d’avoir mis en évidence certains énoncés performatifs, qui « loin de décrire un fait et d’être vrais ou faux, comme les énoncés qu’il nomme “constatifs”, constituent l’accomplissement fa (“performance” en anglais) d’une action qui n’est pas simplement l’action consistant à dire quelque chose »418. Selon les exemples consacrés, on établit ainsi que l’énoncé « le chat est sur le paillasson » est « constatif », c’est-à-dire pouvant être examiné en terme de vérité ou de fausseté, tandis que l’énoncé « je te promets que je viendrai demain » est « performatif », c’est-à-dire susceptible d’être réalisé ou en « échec » (« infelicity »). Seul ce dernier exprime un « acte de langage » (« speech act ») : « l’énonciation de ces phrases n’est pas une description de ce que je fais, elles ne peuvent donc être vraies ou fausses, bien qu’elles soient indiqués à l’indicatif présent. Ce sont des cas où dire quelque chose, c’est faire quelque chose »419. Cette première distinction opérée par AUSTIN n’est pas toutefois si novatrice et pertinente concernant le langage du droit. En effet, elle ne fait que prendre acte de la séparation positiviste entre le Sein (d’ontologie « constative ») et le Sollen (d’essence « performative ») et il devient ainsi « difficile au juriste de ne pas se sentir éminemment concerné par cette catégorie austinienne du performatif qui ressemble trait pour trait – et a toutes les chances de s’identifier purement et simplement - au phénomène, si ce n’est juridique, du moins normatif en général (...) qui est de son ressort »420.
247Il faut bien se garder toutefois de réduire la pensée d’AUSTIN à cette simple distinction, qu’il a lui-même testée pour mieux la dépasser. Certains énoncés d’apparence purement « constative », peuvent parfois exprimer un « performatif » que le Professeur d’Oxford qualifiera d’« implicite ». L’énoncé « je viendrai demain » peut ainsi être entendu par son destinataire comme une promesse de venir de sorte que « je te promets de venir demain » peut équivaloir à « je viendrai demain »421. Par conséquent, une nouvelle distinction dépassant ce clivage fut proposée, classant les « actes de langage » en trois catégories : le « locutoire » (qui exprime simplement l’action de dire quelque chose, indépendamment du sens), l’« illocutoire » (qui s’accomplit en disant quelque chose) et le « perlocutoire » (qui tient des effets, des conséquences par le fait de ce qui a été dit).
248Dans ce cadre, l’acte illocutoire imprime une valeur à l’acte de locution, sans pour autant en changer le sens ou sa signification objective, mais bien sa « signification subjective », c’est-à-dire celle qui sera reçue et ressentie par le destinataire. Par conséquent, si la « signification subjective » d’un énoncé selon KELSEN se réalisait avant tout par son insertion dans un système de normes remontant jusqu’à une norme hypothétique fondant la validité de toutes les autres (« grundnorm »)422, la théorie des actes de langages rend aux énoncés leur force compte tenu de l’endroit d’où ils sont énoncés et mène alors « une attaque frontale contre les bases mêmes de la théorie pure en permettant de faire l’économie de l’hypothèse de la norme fondamentale »423.
249Pour résumer, on pourrait dire avec P. AMSELEK que « l’acte de parole » est un « acte humain qui comporte en filigrane, par-delà les paroles énoncées (“le locutoire”), des éléments intentionnels plus ou moins implicites par lesquels le locuteur a entendu assigner, dans le contexte où il se trouvait placé, une certaine fonction conventionnelle à ses paroles – ce qu’Austin appelait l’“illocutoire” »424. Dans ce cadre, peu importent la structure des énoncés, leur forme ou leur intégration dans tel ou tel instrument : leur caractère obligatoire ou non dépend étroitement de la force illocutoire que les auteurs leur impriment de manière plus ou moins intentionnelle. La volonté de l’auteur (l’intention) et l’endroit d’où il parle (le contexte) confèrent alors selon nous cette part de force à la technique recommandatoire comme à n’importe quelle norme juridique.
b - Une autorité appuyée par la position et la qualité de l’auteur
250L’acte illocutoire peut s’entendre comme la force imprimée à l’acte locutoire : cela sous-entend que ce dernier peut revêtir plusieurs tonalités indépendantes de son sens. Ch. GRZEGORCZYK constate ainsi avec AUSTIN que « le même acte locutoire peut réaliser plusieurs actes illocutoires [ainsi] l’énoncé “je viendrai ce soir” est une promesse, une menace, un avertissement, une prédiction, une déclaration d’intention, etc... »425. Le choix entre toutes ces « illocutions » dépend alors précisément de l’interprétation qu’en fait son destinataire, interprétation qui ne sera pas toutefois libre dans la mesure où la position de l’auteur fait précisément varier cette valeur. Un même énoncé aura, dans cette perspective, plusieurs tonalités en fonction de la personne qui le prononce : la phrase « la séance est ouverte » n’aura évidemment pas la même signification subjective, la même force, selon qu’elle est prononcée par le président de séance ou par le quidam qui le répète à l’oreille de son voisin : dans le premier cas, c’est bien « un effet normatif qui est recherché : solliciter l’adoption d’un certain type de conduite de la part des gens situés en face de lui » (i.e. se taire), dans le second cas, « la proposition perd sa vocation immédiatement prescriptive, et vise plutôt un effet d’information ou de description »426. L’exemple pris par D. de BECHILLON et l’interprétation qu’il en fait semble toutefois témoigner surtout d’un changement de nature (passage de la prescription à la description, encore cette ligne de partage...) que d’une gradation dans la force de la locution. Nous croyons pourtant qu’un voisin qui re-prononcera les paroles du président de séance procède exactement de la même volonté de modifier le comportement de son adressataire. On pourrait en effet interpréter cette reprise comme signifiant : « le président a dit que la séance est ouverte, il faut maintenant se taire », sous-entendu, « je te conseille de te taire, au regard des paroles du président ». Dans cette hypothèse, la répétition faite par le membre de l’assemblée ne s’assimile pas à un « constatif », mais bien à un performatif que l’on pourrait qualifier d’indirect : il lui re-commande de se taire puisque la séance est ouverte. La fonction d’un tel acte de langage ne change donc pas à l’aune de la position du locuteur, c’est en réalité sa force illocutoire qui va varier : le contexte de l’édiction d’un tel acte de parole, c’est-à-dire ce qui est fait en parlant.
251Les éclairages de la théorie des actes de langage permettent alors à notre concept de retrouver une force contextuelle que le normativisme lui niait formellement (dans tous les sens du terme). Si cette approche linguistique et pragmatique a pu être heureusement mariée avec la définition classique de la norme juridique427, notre ambition n’est pas, encore une fois, de montrer que la soft law est à proprement parler une règle de droit, mais plus simplement (et honnêtement), de considérer qu’elle revêt une certaine force, qui n’est certes pas celle d’un commandement impératif et sanctionné, mais qui est celle qu’une autorité lui imprime de manière plus ou moins intentionnelle.
252Cette perspective a ainsi le mérite de réhabiliter quelque peu la soft law, tout du moins en droit public, en ce qu’elle émane essentiellement des autorités administratives indépendantes, qui, sans être les supérieurs hiérarchiques des opérateurs qu’elles régulent, n’en restent pas moins des entités disposant d’une certaine autorité. La « supériorité naturelle » des A.A.I. proviendrait alors tout à la fois de critères objectifs et quantifiables tels que l’ampleur de la délégation faite par le législateur – de l’éventuelle personnalité morale parfois conférée, à l’octroi, parallèlement aux recommandations, d’un réel pouvoir de décision (ou réglementaire) - ; mais également de critères subjectifs tels que la compétence ou plutôt l’ expertise technique de l’autorité et son caractère monopolistique. On sait depuis M. FOUCAULT combien celui qui a la maîtrise du discours dispose du pouvoir428 : en attribuant le « monopole du discours qualifié » à une autorité sur un marché, on favorise l’émergence de jeux de pouvoirs dans son sillage, on admet que l’auteur ainsi placé en position d’autorité sera à même d’imposer ses modèles, de les diffuser largement par une publication au Journal officiel et d’influencer les comportements. L’expertise reconnue à ces autorités n’est plus alors qu’un aspect de leur pouvoir, cette maîtrise du discours technique s’apparentant non à une contrainte juridique mais bien à une « violence symbolique »429. Ainsi, comme nous l’avions pressenti, « celui qui recommande exerce en quelque sorte une fonction d’autorité ou commandement au second degré : il fixe l’orientation en fonction de laquelle l’intéressé doit se diriger ; la conduite de celui-ci n’est pas dictée, mais elle est tout de même guidée »430.
253Inversement, c’est précisément l’utilisation de la technique recommandatoire par ces autorités qui leur conférerait leur autorité : « non seulement elles ont de l’autorité – en ce sens elles sont pleinement des Autorités – mais elles tirent leur autorité de l’utilisation privilégiée qu’elles font des moyens “non juridiques” dont elles disposent. C’est donc bien qu’il n’est plus guère possible de s’en tenir à la conception objective d’un droit classique, pur et dur – les Anglo-Saxons disent, pour le droit international, hard law – et qu’il devient nécessaire en droit interne, comme en droit international, d’adopter le concept de “soft law” »431. Le prisme de l’illocutoire nous offre alors un puissant mécanisme afin d’allouer une force à la soft law ; et si ce prisme peut tout aussi bien être valide concernant la règle juridique, la force ainsi attribuée n’aura jamais la force d’une obligation juridique, en l’absence de sanction réprimant sa violation. Toutefois, elle permet de mettre un terme définitif à l’application de la logique déontique dans la détermination du caractère obligatoire d’une norme.
2 - Une approche permettant de dépasser la logique déontique
254Les tenants de la logique déontique n’ont pas pris acte du dépassement du clivage entre les énoncés constatifs et les énoncés performatifs, l’identification de foncteurs tel que « je te promets » validant en grande partie leur postulat. Dans ce cadre, la performativité tiendrait moins de la force illocutoire que de la structure sémantique ou sémiotique de l’énoncé. L’invocation de marqueurs nettement moins « normatifs » (je « recommande », je « souhaite », je « conseille »...) peut alors, au regard de ce qui a été précédemment dit, être en tout ou partie évacuée lorsque l’on cherche à refuser la juridicité à la technique recommandatoire. Ainsi, selon nous, la mise en évidence de ces foncteurs ne devrait simplement constituer qu’un indice de la juridicité de l’énoncé et non un critère général de normativité. Le style rédactionnel de chaque autorité n’a en effet plus vraiment d’intérêt, sauf celui de montrer qu’il peut parfois jouer un rôle perturbateur dans l’appréciation subjective qu’en auront leurs destinataires : les hypothèses de dissociation entre la validité formelle de l’instrumentum et la signification du negotium manifestées par une recommandation qui, au fond, commanderait, doivent simplement montrer que la recommandation s’arrête là où la prescription commence. La logique déontique ne serait alors qu’un prisme utile dans certains cas « limite » où l’auteur ne serait pas forcément compétent, et c’est ce qui explique sans doute que le juge administratif continue de le privilégier dans l’examen de la recevabilité des circulaires et des actes des autorités administratives indépendantes. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas tant de faire de la soft law une véritable norme juridique obligatoire et sanctionnée, mais bien de la repenser quelque peu au sein du système juridique en la considérant comme une norme recommandatoire disposant d’une certaine force et manifestant l’intervention d’une autorité.
255L’idée que la normativité puisse être recherchée ailleurs que dans la structure des énoncés n’est plus alors une absurdité conceptuelle : il s’agirait simplement de prendre acte de l’insuffisance du critère de l’impérativité, magnifié par le juge administratif dans son contrôle, et d’aller rechercher dans le contexte de l’acte la force qu’il revêt. Le Commissaire du gouvernement BRAIBANT n’avait-il pas déjà souligné dans les années 1960 que « dans le style administratif l’invitation peut être la forme polie d’un ordre »432 ?
256Cependant si cette conception pragmatique permet de fonder une certaine autorité à la soft law, elle n’emporte pas entièrement notre conviction au regard des phénomènes d’autorégulation qui investissent un large panel d’instruments pouvant se réclamer du concept. Dans ces hypothèses, la participation des intéressés à l’élaboration des normes conduit à quelque peu repenser ce lien de subordination. Ainsi, la force ou l’autorité de la soft law, comme nous l’avions pressenti, ne peut s’envisager que dans une perspective dialogique, la réception de l’acte illocutoire étant au moins tout aussi important que l’acte illocutoire lui-même.
B - Le point de vue des destinataires : un modèle de comportement suivi d’effets
257La position de la personne qui est visée par le discours doit elle aussi s’envisager comme un élément expliquant l’autorité de la soft law. De cet endroit, nous verrons que les adressataires, n’étant pas obligés par le modèle de comportement, doivent recourir à une adhésion volontaire, témoignant d’une interprétation de la signification de l’énoncé (1). Cette adhésion serait d’autant plus importante que la soft law, en tant que méthode, laisse une large place à la création d’un consensus quant à l’élaboration de la norme (2).
1 - L’adhésion volontaire à la recommandation : un acte d’interprétation
258Mettre en exergue la réception dont fait l’objet la soft law n’est en réalité que prendre acte de son caractère non obligatoire : la volonté du destinataire retrouve une place beaucoup plus conséquente que dans l’hypothèse d’une norme juridique qui s’imposerait d’elle-même par le truchement d’une contrainte (a). Cette volonté est toutefois assurée de manière indirecte par l’existence de sanctions non juridiques, de sorte que la norme recommandatoire figure une forme de parodie de la norme juridique (b).
a - La référence centrale à la volonté du destinataire de l’acte
259Cette volonté des adressataires, oubliée par le normativisme, est le corollaire de la soft law. Dans la mesure où cette dernière leur laisse une marge d’appréciation, il s’agit pour eux de déterminer dans quelle mesure la recommandation adressée doit être suivie ou non. Mais ce devoir ne s’entend bien évidemment pas comme une obligation, tout du moins juridique, et se rapproche d’un acte de conscience. Il se peut alors que s’opère une forme de jugement de valeur sur la nature favorable ou défavorable du modèle de comportement recommandé, selon qu’il induit une peine ou une récompense433.. Bien entendu, nous l’avons déjà souligné, ceci est assez largement appuyé par l’expertise technique et l’autorité de la personne qui prononce le discours normatif, et cette « violence symbolique » assure au modèle de conduite une certaine pérennité. En réadoptant la classification austinienne, on se rend alors compte que la soft law témoigne ici d’une « force perlocutoire », « qui consiste à provoquer chez l’auditeur certains effets par l’énonciation de certaines phrases (convaincre, alarmer, tranquilliser) »434.
260La technique recommandatoire fait en effet l’objet d’un « décodage [de la part] des instances de réception »435, décodage particulièrement libre dans la mesure où la stratégie normative employée par l’instance émettrice laisse une large liberté de manœuvre, de sorte que « l’instance de réception de la norme – le lecteur de la norme – contribue donc tout autant que l’instance d’émission à faire la norme »436. Ce décodage du sens du texte s’apparente ainsi à une véritable interprétation qui ne serait pas dès lors un acte de simple connaissance mais aussi un acte de volonté. Une vision élargie de la théorie réaliste de l’interprétation437, appliquée non plus de manière monopolistique à l’interprète authentique incarné par le juge438, mais à tout récepteur de la norme, conduirait alors à penser que la norme n’est vraiment réalisée qu’au travers de ce dialogue interprétatif qui positionne les récepteurs dans une position centrale et non plus subalterne. Le paradigme réaliste a en effet comme assertion principale : « Si la norme est la signification d’un texte, alors celui qui détermine la signification énonce la norme »439. Nous précisons bien entendu qu’il ne s’agit pas là de faire de tout récepteur d’une norme recommandatoire un interprète authentique de cette dernière (ce serait à proprement parler irréaliste !) cette qualité n’étant attribuée qu’aux instances habilitées par le droit et soustraites à tout contrôle (i.e. celles qui sont souveraines). Mais justement, qui pourra contrôler le comportement de tel ou tel adressataire au regard de telle ou telle recommandation ? L’interprétation réalisée sur elles, notamment concernant la détermination de leur nature simplement invitative, n’est, précisément, soumise à aucun contrôle, lorsque le juge se refuse généralement à les intégrer dans le champ de l’excès de pouvoir. La volonté des adressataires de se conformer à une recommandation permettrait simplement d’authentifier le modèle de conduite recommandé comme un modèle effectivement suivi, elle conduit à le rendre réel dans une perspective pragmatique. L’ontologie de la soft law revient ainsi à attribuer un large pouvoir discrétionnaire aux adressataires, qui est fonction de la réception qu’ils ont de la norme dans le cadre d’un diptyque éthique (dois-je m y conformer ? Vais-je m’y conformer ?).
261Donner cette part de liberté conduit alors à penser les normes comme n’importe quel produit de consommation. En acceptant de se plier à la conduite recommandée, les destinataires se trouvent dans une situation d’usagers des normes et non plus d’assujettis : libérés de toute contrainte, ils peuvent alors puiser dans ce « marché normatif » la solution la plus adaptée à leurs besoins, tout en rejetant celles qu’ils ne souhaitent pas appliquer. Le fait qu’ils adhèrent au modèle, élément accessoire lorsque l’on pense à la norme juridique, devient alors central dès lors que cette réception conditionne sa validité (cette dernière n’étant plus assurée par l’intégration au sein d’un système hiérarchisé de normes). Effectivité et validité ne se confondent en effet généralement pas au sein du normativisme, tant ils relèvent soit du Sein, soit du Sollen et la soft law semble bien figurer ce renversement logique d’un monde par rapport à l’autre.
262Il peut toutefois arriver que les adressataires aient un sentiment d’obligation, notamment face à une autorité administrative dotée d’une particulière autorité et d’une légitimité certaine. La volonté n’est plus alors si libre qu’on veut bien le croire tant le modèle de conduite recommandé sert de référence. Si l’on dissocie « trois pôles dans la force normative », on voit en effet que certaines recommandations, si elles ne sont pas dotées à priori d’une « valeur normative » formelle (car faiblement conférée par l’instrument « innovant »), sont en revanche affectées d’une certaine « portée normative », incarnée par « la force de la norme perçue, ressentie, vécue et conférée par ses destinataires »440. Ainsi, cette adhésion ne semble pas uniquement reposer sur un ressort purement psychologique qui laisserait une part d’appréciation et semble tout autant assurée par l’existence de nouvelles formes de sanction.
b - Une adhésion assurée par l’entremise de sanctions non juridiques
263L’effectivité du droit, on l’a dit, est principalement assurée par l’existence de sanctions juridiquement instituées par l’ordre juridique. Sans ce bras armé, la soft law semblait alors perdre toute utilité. Cependant, le fait que ses destinataires s’y conforment révèle selon nous l’existence de mécanismes parfois beaucoup plus puissants afin que la recommandation s’impose. En effet, plusieurs facteurs accréditeraient la thèse selon laquelle la sanction juridique n’est pas à elle seule effective : il existerait d’autres formes de sanctions moins « contraignantes » pouvant conduire à une modification des comportements.
264Ainsi en est-il par exemple de la sunshine regulation qui « consiste pour le régulateur, qui est ou non indépendant de l’exécutif à stigmatiser, dans des rapports, avis et analyses, les conditions de fonctionnement d’un service donné. Le régulateur ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte. Sa force réside dans la menace qui pèse sur les entreprises gestionnaires de voir leurs défauts ou carences “livrés” à l’opinion publique par le régulateur »441. Ainsi l’évaluation par les pairs442, ou plus simplement la mauvaise publicité, une atteinte à l’image de marque, à la réputation443, faite à une entreprise sur un marché très concurrentiel pourrait à elle seule être bien plus efficace que l’hypothétique intervention d’un juge prononçant une amende, fut-elle a priori dissuasive.
265Dans cette double remise en cause de la sanction (quant à son effectivité et quant à l’existence d’autres formes plus douces la concurrençant), la soft law pourrait retrouver une part de force qui lui manquait. L’existence de sanctions indirectes serait alors propre à réassurer à la norme « molle » une certaine « garantie normative »444 que l’absence d’opposabilité ou plus généralement de contrôle juridictionnel affectaient d’une nullité de principe. En effet, l’existence concomitante d’un pouvoir de décision mais surtout de sanction donné à certaines autorités administratives indépendantes (et parfois considérés comme un « complément indispensable »445 à leur mission de régulation), est aussi une forme de réassurance de l’application effective de leurs normes. D’abord, il est constant que leur présence dans l’habilitation législative donne une certaine aura, une forme de puissance implicite qu’une autorité administrative purement consultative n’aura pas de facto. Ensuite, l’existence d’un tel pouvoir est susceptible d’assurer au modèle de comportement une certaine effectivité que la simple adhésion n’engendrerait pas nécessairement. En effet, la menace du refus d’émettre par le C.S.A., ou un risque de refus d’autorisation de l’A.M.F., montrent que la recommandation « est dotée d’une garantie qui passe par l’autorité administrative elle-même. Une garantie qui, pour n’être pas juridictionnelle, n’en est pas moins extrêmement efficace et contraignante »446. Par exemple, la « signalétique » de classement des programmes en fonction de leur nature recommandée par le C.S.A. dans une charte de 1996 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence a été signée et effectivement appliquée par toutes les chaînes de télévision, mais il semble bien que c’est surtout la proximité ou « l’imminence de l’ouverture des discussions sur le renouvellement de leur autorisation » qui a joué un rôle447. Ainsi, dans le cas de la technique recommandatoire, c’est bien la menace, la probabilité de sanctions non juridiques et non leur intervention réelle qui semble commander à son respect, de sorte qu’un mimétisme avec la norme juridique existe quant aux mécanismes permettant l’effectivité du modèle de conduite.
266Cette réassurance offerte par la proximité, la potentialité d’une éventuelle sanction non juridique et parfois très indirecte montre toutefois qu’elle n’est plus ici immanente à la norme comme le postule le normativisme, mais bien parfois imminente. Elle repose sur d’autres ressorts qui mettent en exergue une nouvelle fois la nature et la position de l’auteur du modèle de conduite (et de fait son autorité). Plus loin, cette adhésion à la norme recommandatoire se manifeste lorsque les deux volontés de l’auteur et du destinataire sont en quelque sorte associées, dans l’hypothèse où un consensus est recherché par le premier, et désiré par le second.
2 - La naissance et la recherche d’un consensus sur la qualité du contenu
267Un autre mécanisme témoigne de l’autorité et des effets concrets de la technique recommandatoire : la négociation, remplaçant l’unilatéralisme imposé d’en haut pourrait assurer à la norme une certaine pérennité en ce qu’elle serait consentie et non plus subie. On a certes fréquemment noté que la norme juridique elle-même semble se parer des atours du consensualisme, de la « contractualisation »448 et l’émergence d’un droit négocié, véritable figure d’un droit post-moderne essentiellement pragmatique qui « se traduit à la fois par l’association des destinataires au processus d’élaboration des normes (le droit devient un droit négocié) et par le recours à des procédés informels d’influence et de persuasion (le droit devient un droit souple) »449.
268Il nous semble toutefois que cette ligne de partage entre le droit négocié, qui trouve sa spécificité dans sa procédure d’élaboration, et le droit souple (la soft law), qui trouve son caractère dans sa force atténuée, doit être dépassée. En effet la technique recommandatoire symbolise tout autant la recherche d’un consensus et d’une participation de ses adressataires, et, tout comme le droit classiquement entendu, elle semble vouloir rechercher une efficacité maximale. Pis, elle semble être le moyen, la méthode, la plus appropriée à cette fin. Il est ainsi généralement admis que les A.A.I. ont « pour finalité de permettre (...) une intervention des acteurs économiques et sociaux intéressés, dans le processus de production des normes et ce, afin d’accroître la légitimité de l’action des pouvoirs publics »450. Concernant les autorités administratives classiques, le procédé de la Charte utilisé dans les services publics, témoigne aussi une « capacité à transposer le droit » en établissant « un dialogue entre les parties en facilitant la compréhension de la norme »451. Dès lors, cette recherche d’un consensus sur la norme semble se réaliser par deux biais : d’abord, on associe les destinataires dans la procédure de leur édiction (ce qui témoigne d’une mutation dans la nature même de la norme qui oscille entre l’unilatéral et le contractuel452), ensuite, on s’efforce de rendre la norme plus intelligible et attirante en portant l’attention sur la rédaction de son énoncé de sorte que son interprétation par des destinataires sera facilitée (ce qui révèle une mutation du contenu de la norme).
269Cette participation des adressataires aurait alors pour fonction d’améliorer la qualité de la norme, voire sa sécurité (dans le cas des produits de santé par exemple). Ainsi, dans ce cas, l’autorité dont dispose la technique recommandatoire n’est plus réellement externe et dépendante du contexte, elle est bien une manifestation d’un consensus sur la qualité du contenu de la norme, ce que sa signification porte. Elle témoigne alors d’une certaine privatisation du processus normatif, mêlant régulation, autorégulation et co-régulation453.
270L’exemple des recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé (H. A. S.)454, définies comme « des propositions développées selon une méthode explicite pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données », montre que le procédé recommandatoire se réalise de plus en plus souvent dans le cadre d’un processus propre à associer ses adressataires, et paraissent incarner le véritable point d’orgue de l’association des destinataires à l’élaboration des normes. L’autorité produit ainsi des « fiches méthodologiques »455 afin que les professionnels de santé élaborent eux-mêmes leurs recommandations, qui seront ensuite approuvées par l’apposition d’un label, à même de leur conférer une certaine valeur, ou du moins leur assurer une généralisation à tous les acteurs intéressés. Cette méthode de recommandation par « consensus formalisé » est ainsi définie comme « rigoureuse et explicite fondée sur l’implication de professionnels du champ de la recommandation et de représentants de patients ou d’usagers, le recours à une phase de lecture externe, la transparence, l’indépendance d’élaboration et la prévention et la gestion des conflits d’intérêts »456. Ces guides apparaissent alors comme de véritables guides d’action normative « en kit » et détaillent avec une grande précision la méthode pour y arriver. Le rôle de la H.A.S. est alors à la fois d’harmoniser les pratiques par son label mais aussi de garantir que les professionnels à l’origine de ces recommandations suivent un certain moule formel, permettant d’éviter certains conflits d’intérêts ou qu’une recommandation ne corresponde qu’à une forme déguisée de publicité pour tel ou tel produit pharmaceutique. Ce label n’a cependant pas pour fonction de publiciser ou de « juridiciser » ces normes puisque, selon les termes même de l’autorité, il signifie simplement que « les recommandations ont été élaborées selon les procédures et règles méthodologiques préconisées » et que (et c’est sans doute le plus révélateur) « toute contestation sur le fond doit être portée directement auprès des sociétés promotrices » : apposer un label ne signifie donc en rien se porter garant du contenu de la recommandation (on évite alors pas mal de recours contentieux...). Enfin, il est à noter que ces recommandations sont une véritable passerelle entre la norme « directive » et la norme « technique », puisque toutes deux semblent coexister en leur sein457.
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271En remettant la technique recommandatoire dans cette perspective dialogique, et a fortiori lorsque l’on s’attache à ses effets sur ses destinataires, on se rend compte que si elle ne s’impose pas par l’entremise du couple obligation juridique/sanction juridique, elle témoigne d’une autre association a priori aussi efficace, le sentiment d’obligation et l’éventualité de sanctions non juridiques indirectes. En outre, la soft law, en étant la technique la plus appropriée à l’émergence d’un consensus (elle l’est doublement en tant que résultat d’un processus et un procédé qui en appelle à l’adhésion à défaut d’obliger), symboliserait à elle seule « l’éthique de la discussion » chère à HABERMAS : « le droit ne prend pas tout son sens normatif en vertu de sa seule forme, pas plus qu’en vertu d’un contenu moral donné a priori, mais à travers une procédure d’édiction du droit qui engendre la légitimité »458.
CONCLUSION DU TITRE PREMIER
272Nous avons montré que la soft law, au-delà des diverses acceptions doctrinales, devait être ramenée à une certaine unité. Cette dernière ne pouvait avant se comprendre que par un rapport de dissemblance avec les critères généralement attribués à la règle de droit, et de manière plus générale, à la normativité juridique. D’un concept doctrinal pluriel et mal délimité, nous avons identifié la soft law comme une technique duale, se rencontrant tant au niveau des énoncés qu’au niveau des instruments. Elle est en outre une technique recommandatoire, qui met en œuvre une norme non juridique mais qui revêt une certaine autorité et, de facto, provoque des effets sur ses destinataires. Cependant cette première délimitation du périmètre du concept n’est pas encore suffisante afin de l’identifier au sein de l’ordre juridique : d’autres phénomènes a priori assez proches se dressent face à nous, de sorte que notre démarche doit nous conduire à particulariser plus avant cette technique.
273Une approche qualitative est alors à privilégier : la technique est synonyme de degrés dans la normativité. Une autre approche, quantitative celle-là, n’est toutefois pas non plus à négliger : c’est bien le développement et le succès de cette technique et de ces instruments qui rend pertinent cet objet d’étude. Le droit dérivé des institutions étatiques, supra-étatiques ou infra-étatiques nous a montré la réalité la plus visible de la soft law, celle d’instruments se définissant soit a contrario comme des actes dépourvus de caractère obligatoire (et remplissant la catégorie hétérogène du « non-droit »), soit par leur caractère nouveau, inventif, ou imprévu (les deux hypothèses ne s’excluant d’ailleurs pas forcément). La généralisation du phénomène met en lumière la prédominance de ce critère de définition de la soft law en droit public, mais aussi en droit privé. Cette généralisation ne doit pas toutefois masquer la signification de ce même phénomène : le succès de la « direction non autoritaire des conduites » et d’un langage qui n’oblige pas ou qui oblige peu ses destinataires.
274Toutefois cette gradation nous montre que le concept ne peut s’appréhender que par une démarche empirique qu’il sera difficile de systématiser. La catégorie des actes relevant de la soft law, catégorie très hétérogène, ne se comprend en effet que par un rapport de similitude. La soft law formelle rassemble en effet les instruments qui ne revêtent pas les critères formels et matériels de la règle de droit, et qui s’intitulent en conséquence, et il devient alors bien difficile de mettre de l’ordre dans ce chaos. La soft law matérielle semble témoigner de la même difficulté, lorsqu’il s’agit d’essayer de comprendre cette diversité dans les énoncés normatifs, qui ne s’apparentent entre eux que par leur absence d’impérativité.
275Ce rapport de ressemblance dans l’ordonnancement des savoirs relève alors selon nous du premier épistèmê cher à M. FOUCAULT qui « derrière lui, (...) ne laisse que des jeux. Des jeux dont les pouvoirs d’enchantement croissent de cette parenté nouvelle de la ressemblance et de l’illusion ; partout se dessinent les chimères de la similitude, mais on sait que ce sont des chimères ; c’est le temps privilégié du trompe-l’œil, de l’illusion comique, du théâtre qui se dédouble et représente un théâtre, du quiproquo, des songes et visions ; c’est le temps des sens trompeurs ; c’est le temps où les métaphores, les comparaisons et les allégories définissent l’espace poétique du langage »459.
276Notre question se déplace alors : après avoir rendu à la soft law une certaine unité, il nous faudra maintenant déterminer ses caractères et dépasser cette approche privilégiant « le partage et le rejet »460 d’un phénomène hors de nos conceptions dominantes du droit.
Notes de bas de page
78 M. DELMAS-MARTY, « Le mou, le doux et le flou sont-ils des garde-fous ? », in J. CLAM et G. MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, L.G.D.J., coll. Droit et Société – Recherches et travaux, 1998, p. 209 et s.
79 Sur la distinction entre la force obligatoire et la force contraignante, voir infra, p. 70 et s.
80 C’est la position de nombreux auteurs qui assimilent la soft law à la souplesse du contenant. Voir notamment R.-J. DUPUY, « Droit déclaratoire et droit proclamatoire : de la coutume sauvage à la soft law », in SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, L’élaboration du droit international public, Paris, Pédone, 1975, p. 132 et s. Cependant, une frange minoritaire opte pour la deuxième conception qui s’attache plus à la souplesse et à l’absence de caractère obligatoire du contenu de la norme (ce que nous nommerons par la suite « droit flou »). Voir notamment P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international », R.G.D.I.P. 1982, p. 5 et s. Certains auteurs appellent ces instruments « soft law formelle », s’opposant à la « soft law matérielle » : I. DUPLESSIS, « La mollesse et le droit international du travail : mode de régulation privilégié pour une société décentralisée », document de travail Gouvernance, droit international et responsabilité sociétale des entreprises, DP/182/2007, ISBN 978-92-9014-836-4, Institut international d’études sociales (IIES) de l’ΟΙΤ, Genève, 2007, p. 8.
81 Voir P. DOMCHOWSKI, soft law internationale – Validité et “autorité” de l’“instrumentant ”, APD, 2ème éd., 2009, spéc. p. 78 et s.
82 Voir S. LEFEVRE, Les actes communautaires atypiques, Préf. L. DUBOUIS, Bruxelles, Bruylant, coll. Travaux du CERIC, 2006, 552 p.
83 Ce caractère « imprévu » signifie que ces actes ne sont justement pas toujours prévus par les normes primaires qui attribuent une compétence à telle ou telle autorité. Ainsi un auteur d’un acte de « droit mou » n’aura pas forcément la compétence attribuée pour édicter un tel acte. Voir infra, Partie I, Titre II, Chap. I, spéc. p. 175 et s.
84 Article 38 du statut de la Cour Internationale de Justice.
85 C’est la formulation employée par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2004-505 DC du 19 novembre 2004 relative au Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Voir L. FAVOREU & L. PHILIP, « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 2005, 13ème éd., pp. 902-947 ; « Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le traité “établissant une constitution pour l’Europe” signé à Rome le 29 octobre 2004 », J.C.P. éd. G., 2004.49, p. 2181.
86 C’est la position de S. SUR : « L’analyse [de l’article 38] conduit à constater l’inexistence d’une hiérarchie abstraite et générale de normes internationales, du fait de l’équivalence de principe entre coutume et traité ». Voir S. SUR & J. COMBACAU, Droit international public, 8ème éd., Paris, Montchrestien, 2008, p. 50.Il existerait toutefois des normes indérogeables et réellement impératives en droit international. Il s’agit là bien entendu du jus cogens défini par l’article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités comme « une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par me nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».
87 Article 2-1-a de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, in « NATIONS UNIES, Recueil des Traités, vol. 1155, p. 331.
88 P.-M. EISEMANN, « Le gentleman’s agreement comme source du droit international », J.D.I. 1979, p. 326. Voir aussi M. VIRALLY, « La distinction entre textes internationaux de portée juridique et textes internationaux dépourvus de portée juridique », Annuaire de l’Institut de droit international, session de Cambridge, vol. 60-1, Paris, Pedone, 1983, pp. 166-374, spéc. p. 221-222.
89 F. CHATZISTAVROU, « L’usage du soft law dans le système juridique international et ses implications sémantiques et pratiques sur la notion de règle de droit », Le portique [en ligne], 15/2005, p. 2.
90 Voir notamment sur la question : M. VIRALLY, « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », A.F.D.I. 1956, pp. 66-96 ; J. CASTANEDA, « Valeur juridique des résolutions des Nations unies », R.C.A.D.I. 1970 no 1, t. 129, pp. 205-332 ; J. DEHAUSSY, « Les actes unilatéraux et l’action normative des organisations internationales », J.C.D.I., Fasc. 14, spéc. p. 26 ; B. SLOAN, « The Binding Force of a Recommendation of the General Assembly of the United Nations », British Year book of International Law 1987, p. 39.
91 La doctrine s’est ainsi beaucoup interrogée sur le caractère novateur de l’Acte final de la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, qui formellement s’apparente à un Traité, mais qui dans son corps exclut expressément une quelconque force juridique. Voir notamment J.-F. PREVOST, « Observations sur la nature juridique de l’acte final de la CSCE », A.F.D.I. 1975, pp. 73-127.
92 P.-M. EISEMANN, « Le gentleman’s agreement comme source du droit international, op. cit., pp. 326-343.
93 La résolution « adoptée généralement au sein de l’organe plénier d’une organisation internationale, oppose la relative aisance de son adoption et sa grande souplesse d’utilisation à la lourdeur de la négociation des conventions multilatérales comme aux incertitudes pesant sur leur entrée en vigueur », P.-M. DUPUY, Y. KERBRAT, Droit international public, 10ème éd., Paris, Dalloz, Coll. Précis, 2010, p. 423, no 395.
94 R. IDA, « Formation des normes internationales dans un monde en mutation. Critique de la notion de soft law », in Mélanges Michel VIRALLY, Paris, Pédone, 1999, p. 340.
95 L’article 10 de la Charte des Nations Unies énonce par exemple que : « L’Assemblée générale peut discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte ou se rapportant aux pouvoirs et fonctions de l’un quelconque des organes prévus dans la présente Charte, et, sous réserve des dispositions de l’article 12, formuler sur ces questions ou affaires des recommandations aux Membres de I Organisation des Nations Unies, au Conseil de sécurité, ou aux Membres de l’Organisation et au Conseil de sécurité ».
96 Voir F. PICOD, « La normativité du droit communautaire », Les cahiers du droit constitutionnel, no 21, 2006, pp. 94-99.
97 Voir P.-Y. MONJAL, Recherches sur la hiérarchie des normes communautaires, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de Droit international et communautaire, 2000.
98 Désormais remplacé par l’article 288 du T.F.U.E.
99 Voir les manuels de droit institutionnel de l’Union européenne : G. ISAAC & M. BLANQUET, Droit général de l’Union européenne, Paris, Sirey, coll. Sirey Université, 9ème éd., 2006, spéc. pp. 203-209 ; C. BLUMANN & L. DUBOUIS, Droit institutionnel de l’Union européenne, 4ème éd., Paris, Litec, 2010, p. 547 et s.
100 L’article 288 §3 du T.F.U.E. indique que la directive communautaire « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence nationale quant à la forme et aux moyens ».
101 J.-L. CLERGERIE, A. GRUBER et P. RAMBAUD, L’Union européenne, op. cit., p. 238, no 301.
102 Ibid., p. 240, no 305.
103 J. RIDEAU, Droit institutionnel de l’Union et des Communautés européennes, op. cit., p. 207, no 113.
104 P.-Y. MONJAL, Les normes du droit communautaire, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ?, 2000, p. 42 et s.
105 Voir S. LEFEVRE, Les actes communautaires atypiques, op. cit.
106 L. SENDEN note ainsi que “The heterogeneity of Community soft law is further complicated by the fact that the adopted acts are often silent on why a particular instrument has been chosen [...] This problem is reinforced by the fact there are no rules (at least no obvious ones) for distinguishing between and denominating the different soft law instruments, Different terms are regularly used interchangeably, both by the EC institutions and in legal writing”, in L. SENDEN, soft law in European Community Law, Oxford, Portland (Or.), Hart, coll. Modern studies in European Law, 2004, p. 116.
107 L. SENDEN définit ainsi la soft law communautaire comme suit : « Rules of conduct that are laid down in instruments which have not been attributed legally binding force as such, but nevertheless may have certain (indirect) legal effects, and that are aims at and may produce practical effects ». L. SENDEN, soft law in European Community Law, op .cit., p. 113.
108 Voir notamment sur ces actes : W. MELCHIOR, « Les communications de la Commission : contribution à l’étude des actes communautaires non prévus par les traités », in Mélanges Fernand Dehousse, La construction européenne, Nathan-Labor, 1979, t. 2, p. 243 et s ; A.-M. TOURNEPICHE, « Les communications : instruments privilégiés de l’action administrative de la Commission européenne », Revue du Marché commun, no 454, janvier 2002, p. 55 et s ; Ch.-A. MORAND, « Les recommandations, les résolutions et les avis du droit communautaire », C.D.E. vol. 6 no 2 1970, p. 62 et s ; N. RUBIO, « Les instruments de soft law dans les politiques communautaires : vecteur d’une meilleur articulation entre la politique de la concurrence et la politique de cohésion économique et sociale », R.T.D.E. 1/10/07, pp. 597-608 ; R SOLDATOS et G. VANDERSANDEN, « La recommandation, source indirecte du rapprochement des législations nationales dans le cadre de la Communauté Économique Européenne », in D. de RIPAINSEL-LANDY, Les instruments du rapprochement des législations dans la communauté Economique Européenne, Bruxelles, Editions de l’université de Bruxelles, 1976, p. 95 et s ; R. KOVAR, « Recommandations », Répertoire Communautaire Dalloz, 2000 ; M. et D. WAELBROECK, « Les ‘déclarations communes’ en tant qu’instruments d’un accroissement des compétences du Parlement européen », in J.-V. LOUIS et D. WAELBROECK (Dir.), Le Parlement européen dans l’évolution institutionnelle, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, coll. Etudes européennes, 1989, p. 79.
109 J.-L. CLERGERIE, A. GRUBER et P. RAMBAUD, L’Union européenne, op. cit., p. 240, no 305.
110 V. LASSERRE-KIESOW, « Les livres verts et les livres blancs de la Commission européenne », in Association Henri Capitant, Le droit souple, Journées nationales t. XIII / Boulogne sur Mer, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2009, p. 75 et s.
111 Voir R.GODET, Accords interinstitutionnels et équilibre institutionnel dans la Communauté européenne, thèse, Paris I, 2001. Ces actes signifient un accord et une coopération entre le Conseil, la Commission et le Parlement. L’article 193 §3 TCE énonce ainsi que « Les modalités d’exercice du droit d’enquête sont déterminées d’un commun accord par le Parlement européen, le Conseil et la Commission ». Cette hypothèse est la seule prévue par le Traité, mais, là encore, la pratique a révélé une certaine audace des trois institutions. Ce type d’acte a ainsi pu aboutir à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont la valeur juridique a pu faire débat. Cette question est maintenant en passe d’être réglée, l’article 6 du Traité de Lisbonne renvoyant à cette Charte, sous la condition de ratification par tous les États. Voir G. BRAIBANT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Témoignages et commentaires, Paris, Le Seuil, 2001 ; N. DELPIERRE, La nature juridique de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne, Thèse, Montpellier I, 2006.
112 Résolution du Parlement européen du 4 septembre 2007 sur Les implications juridiques et institutionnelles du recours aux instruments juridiques non contraignants (soft law), 2007/2028(lNI). Le Parlement condamne cette utilisation avec une particulière virulence, considérant cette pratique comme « ambiguë et pernicieuse ». Il nuance toutefois ses critiques lorsqu’il semble distinguer « une bonne pratique » (les lignes directrices, les communications de la Commission par exemple) d’une « mauvaise pratique », qui consisterait en l’utilisation d’instruments non contraignants dans des domaines où l’institution en cause a un « pouvoir législatif » (point X). C’est donc bien la substitution d’instruments non contraignants aux normes de la nomenclature dans un domaine où elles devraient s’appliquer qui semble être la cible des réserves du Parlement.
113 C’est la datation communément admise. Voir D. De BECHILLON, « La structure des normes juridiques à l’épreuve de la modernité », in A. BERTHOUT et E. SERVERIN, La production des normes entre État et société civile : les figures de l’institution et de la norme entre États et sociétés civile. Actes du troisième colloque de l’Association pour le développement de la Socio – Economie, Villeneuve d’Ascq, décembre 1997, Paris – Montréal, L’harmattan, 2000, p. 63.
114 Voir F. OSMAN, « Avis, directives, code de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique : réflexions sur la dégradation des sources privées du droit », R.T.D.Civ. 1995, p. 509 et s.
115 B. OPPETIT, « L’engagement d’honneur », D. 1979, chron., p. 108.
116 Cette hypothèse est reconnue depuis longtemps en droit privé, s’agissant de la renonciation au bénéfice de la loi. Voir J. CARBONNIER. La renonciation au bénéfice de la loi en droit privé, Rapport général, Trav. Association Henri Capitant (Journées de Paris-Dijon, 24-27 mai 1960), t. 13, Dalloz, 1963, p. 283 et s., spéc. p. 291 et s.
117 C.-E. TRIOMPHE, « L’étendue et l’impact du développement de la soft law et d’un droit réputé comme non contraignant », Liaisons sociales Europe, Les synthèses, septembre 2004, p. 66.
118 Voir notamment : G. FARJAT, « Nouvelles réflexions sur les codes de conduite en droit privé », in J. CLAM et G. MARTIN (Dir.), Les transformations de ta régulation juridique, L.G.D.J., Coll. Droit et société, Recherches et travaux, vol. 5, 1998, p. 151 et s. ; M. VIRALLY, « Les Codes de conduite, pour quoi faire ? », in J. TOUSCOZ, Transferts de technologie : sociétés transversales et nouvel ordre international, Colloque organisé par le Centre d’études et de recherches sur la coopération internationale de l’Université de Nice, Paris, P.U.F., 1978, 329 p.
119 G. FARJAT, « Réflexions sur les codes de conduite privés », in Mélanges B. Goldman, Litec, 1982, p. 47.
120 GROUPE DE PERSONNALITES DE L’ONU, Effets des sociétés multinationales sur le développement et sur les relations internationales, Doc. O.N.U. E/5500/Rev.1/ESA/6, 1974, Nations Unies, New York.
121 G. FARJAT, « Réflexions sur les codes de conduite privés », op. cit., p. 48.
122 Le droit du travail présente sur ce point des spécificités par rapport aux autres branches du droit privé : c’est lui qui semble bien le plus innovant dans l’utilisation de tels instruments. Philippe JESTAZ nous le confirme : « Véritable laboratoire pour les sources du droit, le droit du travail présente (...) une spécificité qu’un civiliste pourrait trouver déconcertante, tant il est vrai que les figures travaillistes ne répondent pas toujours à celles du droit civil ». Ph. JESTAZ, « La nature juridique des recommandations patronales », R. T.D. Civ. 2000, p. 200. Voir aussi : E. DEHERMANN-ROY, Les codes de conduite et labels sociaux, thèse, Toulouse, 2004, 552 p. ; R.B. FERGUSON, « The Legal Status of Non-Statutary Codes of Conduct », Journal of Business Law, 1988, p. 12 ; I. DESBARATS, « Codes de conduite et chartes éthiques des entreprises privées. Regard sur une pratique en expansion », J.C.P. 2003, no 112, p. 337.
123 F. HEAS, « Les normes de convenance dans le cadre des relations de travail », J.C.P. éd. Sociale, 2007, no 29, p. 9.
124 P. MALAURIE et P. MORVAN, Droit civil. Introduction générale, 3ème éd., Paris, Defrénois, coll. Introduction générale, 2009, no 40.
125 C’est la position de G. FARJAT et M. VIRALLY, voir : G. FARJAT « Réflexions sur les codes de conduite privés », op. cit., p. 48 et s ; M. VIRALLY, « Les codes de conduite, pour quoi faire ? », in J. TOUSCOZ, Transferts de technologie, sociétés transnationales et nouvel ordre international, Colloque organisé par le Centre d’études et de recherches sur la coopération internationale de l’Université de Nice (novembre 1977), Paris, P.U.F., 1978, spéc. p. 215. Voir aussi : F. CAFAGGI, Le rôle des acteurs privés dans les processus de régulation : participation, autorégulation et régulation privée, R.F.A.P. 2004-1, no 109, p. 23 et s.
126 C’est l’apparition de ces entreprises réseau qui aurait contribué non seulement au développement de ces codes de bonne conduite, devenus nécessaires pour les réguler, mais aussi à leur changement de nature : « La seconde transformation des codes de conduite est relative à leur élaboration. Aujourd’hui, les codes de conduite ne sont en effet plus élaborés par les organisations internationales ou par d’autres autorités publiques, mais surtout par des acteurs privés, et en particulier par les entreprises, qui répondent ainsi à une pression sociale, la société civile devenant plus sensible aux conséquences sociales des activités économiques de l’entreprise », A. SOBCZAK, Réseaux de sociétés et codes de conduite. Un nouveau modèle de régulation des relations de travail pour les entreprises européennes, Paris, L.G.D.J., Coll. Bibliothèque de droit social, t. 38, 2002, p. 10. L’entreprise américaine Nike représente parfaitement cette idée : c’est en effet une des premières à avoir adopté un tel acte, adoption sans doute motivée avant tout par des préoccupations plus publicitaires que réellement normatives.
127 Voir A. SOBCZAK, « Le cadre juridique de la responsabilité sociale des entreprises en Europe et aux États-Unis », Droit social 01/09/2002, p. 806 et s. ; A. SOBCZAK, « La responsabilité sociale de l’entreprise. Menace ou opportunité pour le droit du travail ? », Relations industrielles/lndustrial Relations, 2004, vol. 59, no 1, p. 26 et s. ; A. SUPIOT, « Du nouveau au self service normatif : la responsabilité sociale des entreprises », in Mélanges en l’honneur de Jean Pélissier. Analyse juridique et valeurs en droit social, Paris, Dalloz, 2004, p. 54 et s. ; C. NEAU-LEDUC, « La responsabilité sociale des entreprises : quels enjeux juridiques ? », Droit social 2006, p. 952 et s.
128 COMMISSION EUROPÉENNE, Livre vert, Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, 18 juillet 2001, COM/2001/0366 ; cité par F. HEAS, op. cit., p. 11.
129 F. OST et M. Van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Facultés universitaires de Saint Louis, 2002.
130 M.-L. MORIN, « Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises », Revue internationale du travail, 2005, vol. 144, no l, p. 9 et s.
131 A. SUPIOT, « Du nouveau au self service normatif : la responsabilité sociale des entreprises », op. cit., p. 541.
132 ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION (ISO), 1991.
133 Le terme est choisi sciemment, ces normes sont en effet marquées par un contenu fortement opérationnel, ce qui n’est pas toujours le cas dans ces actes de « droit mou », qui préfèrent souvent une formulation plus... floue. Sur le lien entre le « droit mou » et le « droit flou », voir infra, Section II, p. 89 et s.
134 Nous verrons que cette assimilation première est en réalité trompeuse : la norme technique ne peut véritablement constituer une norme relevant de la soft law. Voir infra, Partie I, Titre I, Chapitre II, p. 121 s.
135 Pour une critique de cette thèse, voir G. KOUBI, « La notion de charte : fragilisation de la règle de droit ? », in J. CLAM et G. MARTIN, Les transformations de la régulation juridique, op. cit., spéc. p. 177. L’auteur montre bien que la question se déplace et va au-delà de la simple distinction règlementation-régulation-autorégulation. M. DELMAS-MARTY montre par là que l’avènement de ces actes, notamment dans le cas des autorités administratives indépendantes, ne signifie pas forcément moins de droit : « ces formes nouvelles, par leur polyvalence même, entraînent une extension de l’encadrement juridique car elles font entrer les normes juridiques dans des replis qui leur avaient échappé jusqu’alors ». M. DELMAS-MARTY, « Les nouveaux lieux et les nouvelles formes de régulation des conflits », in J. CLAM et G. MARTIN (Dir.), Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., Coll. Droit et société, Recherches et travaux, vol. 5, 1998.
136 Voir notamment : F. MELLERAY (Dir.), L’exorbitance du droit administratif en question(s), Université de Poitiers, L.G.D.J., 2004, 312 p.
137 Voir sur le sujet : R.-E. CHARLIER, « Circulaires, instructions de service et autres prétendues mesures d’ordre intérieur administratives », J.C.P. 1954, I-1169 ; M. HECQUART-THÉRON, « De la mesure d’ordre intérieur », A.J.D.A. 1981, p. 235.
138 Nous précisons volontairement pour la distinguer de la directive communautaire, qui est un acte de la nomenclature du T.F.U.E. et qui lie ses destinataires. On peut noter que l’expression choisie correspond mieux à la réalité de la force obligatoire de l’acte en France qu’en droit européen.
139 R DELVOLVE, « La notion de directive », A.J.D.A. 1974, p. 468. J. CHEVALLIER constate ainsi que dans cette logique, « l’action publique ne présenterait pas une singularité telle qu’elle devrait être soumise à des règles de droit dérogatoires du droit commun ; et l’existence d’un droit administratif, irrémédiablement marqué par le sceau de l’unilatéralité, et conçu comme un droit d’inégalité et de privilège, serait contraire au nouveau contexte dans lequel se déploie l’action publique ». J. CHEVALLIER, « La gouvernance et le droit », in Mélanges P. AMSELEK, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 195.
140 Voir D. MOCKLE, Recherches sur les pratiques administratives pararèglementaires, Paris, L.G.D.J., 1984, 623 p.
141 A. LEGRAND, « Un instrument du flou : le pouvoir hiérarchique », in L’unité du droit : Mélanges en l’honneur de Roland DRAGO, Paris, Economica, 1999, pp. 59-78.
142 Y. GAUDEMET, « Les actions administratives informelles », R.I.D.C. 1994, vol. 46, no 2, pp. 645-654.
143 Certains auteurs ont pu regrouper ces instruments sous l’appellation de « documents référents » : P. SABLIERE, « Une nouvelle source du droit ? Les “documents référents” », A.J.D.A. 2007, p. 66 et s.
144 P. AMSELEK, « L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », R.D.P. 1982, p. 141 et s.
145 Ces termes nouveaux « tendent à glisser du discours politique au langage juridique et [leur] emploi complique d’autant plus la lecture des textes qu’il n’est pas certain que ceux-là même qui les utilisent leur donnent le sens précis que le vocabulaire du Droit appelle ». J. RIVERO, « État de droit, état du droit », in L’État de droit, Mélanges en l’honneur de G. Braibant, Dalloz, 1996, p. 611.
146 A. TOUZET, « Les chartes de fonctionnement des EPCI : un pouvoir d’auto-organisation conforté », A.J.D.A. 2006, no 9, p. 484 et s.
147 Voir P. JEAN, La charte du patient hospitalisé, Paris, Berger-Levrault, 1996, 237 p. La charte du patient hospitalisé, annexée à la circulaire DGS/DH/95 no 22 du 6 mai 1995 a laissé place à la charte de la personne hospitalisée. Voir la Circulaire no DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006, relative au droit des personnes hospitalisées.
148 J. ΜΑΙΑ, « La “charte des droits et obligations du contribuable vérifié”, son utilité et son opposabilité », R.J.F. 4/01 p. 295.
149 R. ROMI, « “Engagements de bonnes pratiques” et “chartes”, “nouveaux” instruments de lutte contre le bruit », L.P.A. 15/08/2003, no 163, p. 4 et s.
150 G. KOUBI, « La notion de “charte” : fragilisation de la règle de droit ? », in Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., 1998, p. 168.
151 La forme de ces chartes peut en effet être unilatérale ou contractuelle.
152 R. ROMI, « “Engagements de bonnes pratiques” et “chartes”‘, “nouveaux” instruments de lutte contre le bruit », op. cit., p. 4.
153 En ce sens, Ch.-A. MORAND énonce que « L’État dispose d’une panoplie de moyens lui permettant d’orienter les comportements sans édicter de normes obligatoires (...) L’État imitateur renonce à la contrainte pour exercer une influence douce sur les comportements ». Voir Ch. A. MORAND, Le droit néo-moderne des politiques publiques, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 159.
154 P. AMSELEK, « L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », R.D.P. 1982, p. 275 et s.
155 Voir A. de LAUBADERE, « L’administration concertée », in Mélanges Stassinopoulos, L.G.D.J., 1974, p. 411 et s ; F. MODERNE, « L’évolution récente du droit des contrats administratifs : les conventions entre les personnes publiques », R.F.D.A. 1984, p. 14 et s. ; J. CAILLOSSE, « Sur la progression en cours des techniques contractuelles d’administration », in Le droit contemporain des contrats. Bilan et perspectives, Travaux coordonnés par L. CADIET, Paris, Economica, 1987, p. 107 et s. ; Ch.-A. MORAND, « La contractualisation corporatiste de la formation et de la mise en œuvre du droit », in Ch.-A. MORAND (Dir.), L’État propulsif, Paris, 1991, p. 181 et s. ; M. HECQUARD-THERON, « La contractualisation des actions et des moyens publics d’intervention », A.J.D.A. 1993, p. 451 et s. ; L. RICHER, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », A.J.D.A. 2003, p. 973.
156 M. HECQUARD-THERON estime ainsi que « le contrat apparaît dans sa fonction politique, comme symbole de liberté (celle des parties), avant d’être conçu et compris en termes juridiques (instrument respectant l’autonomie des volontés) », in « La contractualisation des actions et des moyens publics d’intervention », op. cit., p. 451.
157 Certains auteurs avancent l’idée qu’« aussi bien pour l’objet, l’effet et le procédé dont ils relèvent, il y a bien une situation commune entre la recommandation internationale et le plan, qu’il y a, en bref, une catégorie des “actes recommandatoires” ou, pour mieux dire, “incitatifs” ». P. BRINGUIER, « De la recommandation en droit interne et international », in La terre, la famille, le juge. Études offertes à H. D. COSNARD, Paris, Economica, 1990, p. 445.
158 La première de ces autorités est en effet généralement considérée comme la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (C.N.I.L.), créée et qualifiée comme telle par le législateur en 1978.
159 De manière non exhaustive, voir : P. SABOURIN, « Les autorités administratives indépendantes. Une catégorie nouvelle », A.J.D.A. 1983, p. 275 et ; J. CHEVALLIER, « Réflexion sur l’institution des autorités administratives indépendantes », J.C.P. 1986, I-3254 ; « La politique française de modernisation administrative » in L’État de droit, Mélanges en l’honneur de G. BRAIBANT, L.G.D.J. 1996 p. 69 ; « Régulation et polycentrisme dans l’administration française », Revue administrative. no 301 p. 43. ; P. SABOURIN, Recherches sur la notion d’autorité administrative, Paris, L.G.D.J., 1966, 393 p. ; C.-A. COLLIARD et G. TIMSIT (Dir.), Les autorités administratives indépendantes, Paris, PU.F., coll. Les voies du droit, 1988 ; Ph. ICARD, Les autorités administratives indépendantes, Thèse Lille III, 1992 ; M.-J. GUÉDON, Les autorités administratives indépendantes, Paris, L.G.D.J., coll. Systèmes, 1991, 142 p. ; M. GENTOT, Les autorités administratives indépendantes, Paris, Montchrestien, coll. Clefs politiques, 1994, 158 p. ; RAPPORT PUBLIC DU CONSEIL D’ÉTAT, Les autorités administratives indépendantes, Paris, La Documentation française, 2001 ; D. FOURCADE, Le droit des autorités administratives indépendantes : d’un nouvel état de droit à un nouvel état du droit, Mémoire DEA Toulouse, 2004 ; M. COLLET, Le contrôle juridictionnel des actes des autorités administratives indépendantes, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit public, 397 p. ; M. JODEAU-GRYMBERG, « Autorités administratives indépendantes : un essai de recensement », in « Les autorités administratives indépendantes », C.F.P. mai 2000 no 190, p. 3 et s.
160 RAPPORT PUBLIC DU CONSEIL D’ÉTAT, Les autorités administratives indépendantes, Paris, La Documentation française, 2001, p. 263.
161 Voir N. DECOOPMAN (Dir.), Le désordre des autorités administratives indépendantes : l’exemple du secteur économique et financier, Centre de droit privé et de sciences criminelles, Amiens, Paris, PU.F., 2002, 212 p.
162 L. CALANDRI, Recherche sur la notion de régulation en droit administratif français, op. cit., p. 378.
163 A.-S. BARTHEZ, « Les avis et les recommandations des autorités administratives indépendantes », in ASSOCIATION HENRI CAPITANT, Le droit souple – Journées Nationales de Boulogne-sur-Mer – Tome XIII, Paris, Dalloz, 2009, p. 60.
164 C’est d’ailleurs un élément de la définition de la soft law donnée par F. OST et M. VAN DE KERCHOVE : selon eux il s’agit bien d’un « droit incitatif moulé dans des recommandations plus que dans des interdits comminatoires », in De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 119.
165 I. DUPLESSIS, « Le vertige de la soft law », Revue québécoise de droit international, 2007, pp. 245-258
166 H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. EISENMANN, Paris, L.G.D.J., coll. La pensée juridique, 1999 réimpr. 2004.
167 C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », R.T.D.Civ. 1/10/2003, p. 612 et s. L’auteur paraît elle-même brouiller son raisonnement lorsqu’elle relève que le « droit mou » est généralement perçu par la doctrine comme celui qui n’oblige pas : « Que mettent habituellement les juristes sous cette appellation de “droit mou” ? Les tentatives pour le cerner relèvent généralement du manque : vague, imprécis, insécurisant, il manque de rigueur ; sans force obligatoire », C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », op. cit., p. 609.
168 L’auteur note en effet que la traduction française de la soft law s’entend par le « droit mou » et le « droit doux » et que « pour distinguer les deux adjectifs, on peut faire observer que cette souplesse peut affecter soit la force obligatoire (l’intensité des normes serait graduée entre dur et mou), soit la force contraignante (l’intensité des sanctions entre dur et doux) », in Le flou du droit : du droit pénal aux droits de l’homme, Paris, P.U.F., 2004, p 28.
169 Le dictionnaire Littré définit le mot « contrainte » comme la « violence exercée sur les actions ».
170 L’étymologie des deux termes peut toutefois nous éclairer. Constringere signifie « lier ensemble ; enchaîner, contenir, réprimer » et traduirait peut-être plus nettement les conséquences qui s’attachent au non respect d’une norme ; tandis qu’obligare, « attacher à, contre ; fig. : lier, engager, obliger (par un contrat ; un voeu ; un bienfait ; un service) retranscrirait mieux les qualités inhérentes à la norme.
171 Pour une thèse critique, voir notamment : D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Paris, O. Jacob, 1997, 302 p. L’auteur développe en effet des critères différents de définition, notamment le critère de l’impérativité. Voir aussi M. VIRALLY, « Le phénomène juridique », R.D.P. 1966, vol. 82, pp. 5-64, spéc. p. 20, où l’auteur constate le caractère tautologique de la définition du droit par sa sanction. Voir infra, Chapitre suivant, spéc. p. 103 et s.
172 Voir C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », op. cit., p. 610.
173 L’idée de sunshine regulation qui met en lumière un comportement « déviant » d’un opérateur membre d’un groupe donné reflète bien cette acception de la sanction. Il suppose en effet des mécanismes de rejet du groupe, et repose sur la crainte d’une perte de réputation auprès des consommateurs pour un opérateur qui ne respecterait pas, par exemple, les recommandations d’une autorité administrative indépendante. Cette idée repousse alors les frontières des effets de la règle de droit. Voir infra, Partie I, Titre I, Chap. II, spéc. p. 162 et s..
174 Nous aurons l’occasion de développer ce point lorsque nous nous interrogerons sur la normativité de la soft law. Voir infra, Partie I, Titre I, Chapitre second, p. 102 et s.
175 KELSEN a pu énoncer qu’une conception suffisamment large de la sanction conduisait à l’assimiler aux « actes de contrainte » de l’ordre juridique : « Finalement. la notion de sanction peut être étendue à tous les actes de contrainte qui sont prévus par l’ordre juridique, si par cette notion on veut exprimer tout simplement que par de tels actes, l’ordre juridique réagit à un fait ou une situation socialement indésirés et affirme cette indésirabilité par cette réaction [...] Si l’on prend la notion de sanction en ce sens extrêmement large – où elle englobe (on y prendra garde) toute réaction à n’importe quel fait ou situation socialement indésirables, et non plus simplement des réactions à an délit –, on pourra caractériser le système de monopole de la contrainte pour la collectivité en énonçant cette alternative : la contrainte exercée par un homme contre un autre homme est soit un délit, soit une sanction », in Théorie pure du droit, trad. Ch. EISENMANN, Bruylant, L.G.D.J., coll. La pensée juridique, 1999, p. 49.
176 Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », D. 1986, chron., p. 197 et s.
177 Ibid., p. 204.
178 La C.I.J. considère d’ailleurs elle-même que « l’existence d’obligations dont l’exécution ne peut faire, en dernier ressort, l’objet d’une procédure judiciaire a toujours constitué la règle plutôt que l’exception », C.I.J., Affaire du Sud-Ouest africain, Rec. 1966, p. 44, § 86, cité par G. ABI-SAAB, « Eloge du ‘droit assourdi’ : quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », in Nouveaux itinéraires en droit : hommage à François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 63.
179 La comparaison n’est pas nouvelle, c’est celle du Doyen CARBONNIER, in Flexible droit, Paris, L.G.D.J., 10è éd., 2001, p. 21 et s.
180 C’est la position d’A. JEAMMAUD qui estime que la sanction existe lorsqu’une règle est suffisamment précise pour fonder un recours devant un juge, in « La règle de droit comme modèle », D. 1990, p. 207.
181 Ch. GRZEGORCZYK, « Obligations, normes et contraintes juridiques – Essai de reconstruction conceptuelle », in M. TROPER, V. CHAMPEIL-DESPLATS, Ch. GRZEGORCZYK (Dir.), Théorie des contraintes juridiques, Paris, L.G.D.J.-Bruylant, coll. La pensée juridique, 2005, p. 36 et s.
182 Op. cit., p. 42.
183 Il faut bien le concéder, bien souvent ce « risque » se révèlera lors de l’intervention d’un juge, voire dans sa potentialité. La « configuration du système juridique » développe toutefois d’autres contraintes telles que le nécessaire respect des compétences de l’autorité qui est supérieure à l’auteur de la norme. L’impératif juridique ne serait alors pas la seule méthode pour modifier les comportements, l’autre consistant à « distribuer les compétences ou des habilitations de telle sorte que le comportement sera obtenu par le seul jeu de cette distribution ». Voir V. CHAMPEIL-DESPLATS & M. TROPER, « Proposition pour une théorie des contraintes juridiques », in M. TROPER, V. CHAMPEIL-DESPLATS, Ch. GRZEGORCZYK (Dir.), Théorie des contraintes juridiques, op. cit., p. 19.
184 Sur la distinction entre l’obligation et la sanction, voir infra, Partie I, Titre I, Chapitre II, p. 111 et s.
185 M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, op. cit. p. 28. Toutefois, elle semble justifier sa position par l’exemple d’instruments mous rendus contraignants par la volonté des parties ou par l’intervention d’un juge, ce qui, à notre sens, contribue largement à changer leur nature même
186 A.-J. ARNAUD (Dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 2ème éd., 1993, p. 11.
187 M. DELMAS-MARTY va même plus loin en considérant que cette conception ne fait pas partie de la soft law. Voir : M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, op. cit., p. 25. Sa conception restrictive de la soft law se justifie, mais elle va cependant à l’encontre de la doctrine majoritairement acceptée en droit international, lieu où le concept est né et où le phénomène a encore le plus d’acuité.
188 G. ABI-SAAB, « Eloge du “droit assourdi” : quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », op. cit., p. 60.
189 Voir M. CHEMILLIER-GENDREAU, « Le droit international : droit proclamatoire et droit exécutoire (idéologie et/ou superstructure) », in Réalités du droit international contemporain, La relation du droit international avec la structure économique et sociale, Reims, Centre d’études des relations internationales de la faculté de droit de Reims, 1974, p. 46.
190 Voir P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international », R.G.D.I.P. 1982, p. 5 et s. L’auteur expose ainsi qu’il vaut mieux « réserver l’appellation de soft law aux règles peu contraignantes, car les obligations pré-juridiques [de certains « actes non normatifs »] ne sont ni de la soft law ni de la hard law : elles ne sont tout simplement pas law du tout ». P. WEIL, op. cit., p. 8.
191 M. VIRALLY, « A propos de la “lex ferenda” », in Mélanges offerts à P. REUTER, Paris, Pédone, 1981, pp. 519-533. L’auteur considère cette distinction comme fondamentale en ce qu’« elle correspond, de fait, à la nécessaire distinction entre le droit en vigueur (qui oblige et confère des droits de façon actuelle) et celui qui ne l’est pas, même s’il serait très souhaitable qu’il le fût », p. 519. Il est toutefois important de préciser que l’auteur parle ici essentiellement des instruments mous qui contiennent aussi des dispositions formulées de manière floue.
192 L’expression célèbre est empruntée au Doyen CARBONNIER. Voir J. CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, L.G.D.J., 10è éd., 2001. L’utilisation de la négation n’est pas à notre sens complètement anodine, elle permet en effet de mieux l’opposer au droit classique, sans pour autant employer d’autres concepts comme celui de « politique » voire de « morale ».
193 Certains auteurs mentionnent en effet des « conventions non juridiques » pouvant parfois contenir des dispositions purement « émotionnelles », voir W. WENGLER, « Les Conventions “non juridiques” comme nouvelle voie à côté des conventions en droit », in Nouveaux itinéraires en droit : hommage à François Rigaux, 1993, pp. 637-656, spéc. p. 647, note 14.
194 J. D’ASPREMONT LYNDEN, « Les dispositions non normatives des actes juridiques conventionnels à la lumière de la jurisprudence de la Cour internationale de justice », 26e revue belge de droit international, 2003 no 2 p 497. L’auteur, prenant l’exemple de l’appréciation du principe de l’effet utile par la C.I.J., développe quatre critères de non-normativité : l’absence de contenu utile, le caractère non potestatif de ce contenu, la faculté de formuler des réserves par les États et l’inapplicabilité autonome de la disposition (c’est-à-dire nécessitant l’intervention d’un autre texte pour être opératoire).
195 Les exemples foisonnent, et il serait vain d’essayer d’être exhaustif sur ce point. Toutefois, certaines dispositions de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (G.A.T.T.) et plus généralement de l’Accord sur l’O.M.C. sont souvent citées en exemple. Voir H. CULOT, « soft law et droit de l’OMC », Revue Internationale de droit économique, 01/07/2005, pp. 251-289. L’auteur a cependant une position plus nuancée que la simple opposition soft law/hard law, voyant ces normes de manière graduelle et continue en fonction de leur caractère contraignant, laissant surtout au juge le soin d’apprécier ce dernier de manière téléologique, voire « politique ».
196 Ch.-A. MORAND, Le droit néo-moderne des politiques publiques, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 168. L’auteur continue d’ailleurs en estimant que le principe pollueur-payeur illustre ce phénomène : « ainsi en est-il probablement du principe pollueur-payeur, lorsqu’une législation l’affirme, mais s’en écarte si souvent dans les dispositifs précis qu’elle met en place qu’on peut douter de son caractère obligatoire », Ibid.
197 Voir notamment sur le sujet : N. de SADELEER, « Le rôle des principes dans l’essor du droit de l’environnement », in Conséquences de l’introduction des perspectives écologiques en droit : analyse comparative et prospective du statut juridique de l’environnement, Bruxelles, 1994 ; Ch.-A. MORAND, « Vers un droit de l’environnement souple et flexible : le rôle et le fonctionnement des principes », in Quel avenir pour le droit de l’environnement ? Actes du colloque organisé les 1-2 décembre 1995 par le CEDRE et le CIRT, Bruxelles, 1996, pp. 261-286 ; N. de SADELEER, « Les principes du droit de l’environnement. Du slogan politique au droit positif », Droit et ville, 2003, no 55, pp. 201-204 ; M. GROS, « Quel degré de normativité pour les principes environnementaux ? », R.D.P. 2009 no 2, p. 425. Pour une étude du principe en matière de responsabilité civile, voir M. BOUTONNET, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit privé, t. 444, 2005, 712 p.
Pour les exemples en anglais, voir: J. ELLIS, soft law as topos : the role of principles of soft law in the development of international environmental law, Mc Gill University (Montreal Canada), Ann Arbor (Mich.), UMI dissertation service, 2003; P.-M. DUPUY, « soft law and the International Law of the Environment », Michigan Journal of International Law, 1990-1991, pp. 420-435, spec. pp. 429-431.
198 Ch.-A. MORAND, « Vers un droit de l’environnement souple et flexible : le rôle et le fonctionnement des principes », op. cit., p. 274 et s.
199 R. IDA, « Formation des normes internationales dans un mode en mutation. Critique de la notion de soft law », op. cit., p. 335.
200 P.-M. DUPUY, Y. KERBRAT, Droit international public, op. cit., p. 433, no 405, note 2. C’est aussi la position de J. D’ASPREMONT LYNDEN, qui estime « qu’il est courant de soutenir que la soft law est synonyme d’acte politique c’est-à-dire d’acte que les auteurs ont délibérément soustrait au droit [...] Il demeure que si cet acte n’est pas juridique, on ne comprend pas l’intérêt de qualifier un acte qui est justement hors du droit de “law” », in « Les dispositions non normatives des actes juridiques conventionnels à la lumière de la jurisprudence de la Cour internationale de justice », op. cit., p. 519.
201 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international ? », op. cit., p. 8.
202 S. SUR & J. COMBACAU, op. cit., p. 42.
203 H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 71.
204 H. KELSEN, ibid., p. 14.
205 L’absence de sanction, si elle peut être un indice d’une faible effectivité de la règle, n’en est pas pour autant son critère déterminant de définition, tout comme l’effectivité n’est pas la « condition du droit ». Voir D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Paris, O. Jacob, 1997, pp. 60-63. Voir aussi infra, Chap. suivant, p. 111 et s.
206 La critique n’est en réalité pas très récente, même si les critiques initiales visaient surtout la perte de la suprématie de la loi au profit de la Constitution, voir : R.-E. CHARLIER, « Vicissitudes de la loi », in Mélanges offerts à Jacques MAURY, t. II, Dalloz & Sirey, 1960, pp. 303-320.
207 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé. Etude critique de l’individualisme juridique, Thèse, Dijon, 1912.
208 A. BERTRAND, Les dispositions législatives non prescriptives : contribution à l’étude de la normativité, thèse dact. Toulouse, 2000, p. 96.
209 D’une manière plus générale, voir R MORVAN, Le principe en droit privé, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit privé, 1999, 788 p.
210 Depuis la fameuse décision no 74-44 D.C. du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
211 G. CANIVET, « Le juge et la force normative », in C. THIBIERGE et alli, La force normative. Naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J., Bruylant, 2009, p. 25.
212 L. GAY, Les droits-créances constitutionnels, Thèse dact., Aix-en-Provence, p. 16.
213 C’est l’idée exprimée par M. DELMAS-MARTY lorsqu’elle identifie un « flou conceptuel », c’est-à-dire l’imprécision dans la définition des droits consacrés par l’émetteur de la norme, laissant une marge d’interprétation à son récepteur, le juge, in Le flou du droit, op. cit., p. 15. Il est toutefois important de rappeler que l’analyse de l’auteur concerne essentiellement les instruments internationaux. Cependant cette logique s’adapte parfaitement au droit interne, seule la fonction d’harmonisation de ce « flou » apparaissant de manière moins nette.
214 Une validité toute... formelle, qui est celle qui prescrit de respecter les formes et les procédures dans l’édiction de l’acte. Voir F. OST et M. Van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 326. Cet argument est toutefois à relativiser, car précisément nous distinguons bien entre l’acte et la norme qu’il contient.
215 V. FORTIER, « La fonction normative des notions floues », R.R.J. 1991, no 3, p. 762.
216 Voir S. RIALS, Le juge administratif français et la technique du standard : essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit public, 1980, 564 p.
217 Ibid, p. 120.
218 H.L.A. HART, Le concept de droit, trad. M. Van de KERCHOVE, Bruxelles, Facultés universitaires de Saint Louis, 2005, p. 147.
219 Voir R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, Paris, P.U.F., coll. Lévianthan, 1995, 515 p. ; R. DWORKIN, Une question de principe, Paris, PU.F., coll. Recherches politiques, 1996, 512 p. Voir aussi le dossier spécial R. DWORKIN de la Revue droit et société no 1-1985 et no 2-1986.
220 P. AMSELEK, « La teneur indécise du droit », R.D.P. 1991, pp. 1 199-1216.
221 M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, op. cit., p. 25.
222 Pour reprendre justement la classification opérée par M. DELMAS-MARTY, Ibid.
223 Voir C.C., 1er juillet 1980, Loi d’orientation agricole, no 80-115 D.C., Rec. p. 34.
224 Voir C. GROULIER, La nonne permissive en droit public, Thèse dact., Limoges, 2006.
225 La question s’était notamment posée concernant le refus de signer trois ordonnances de l’article 13 de la Constitution par François Mitterrand, ce dernier considérant que la formulation « Le Président de la République signe les ordonnances » devait être comprise par « Le Président de la République peut signer les ordonnances ». Le débat sur cette question de savoir si la compétence du Président de la République est liée ou discrétionnaire n’a jamais vraiment été tranchée autrement que par l’analyse des faits : « En droit pur, on pourrait parfaitement soutenir la thèse de la compétence liée (...) Mais quelque thèse que l’analyse juridique permette de soutenir avec pertinence, c’est le droit réel qui tranche : la preuve que le chef de l’État peut refuser de signer des Ordonnances, c’est qu’il l’a fait ». Voir G. CARCASSONNE, La Constitution, Paris, éd. Du Seuil, 9ème éd., 2009.
Concernant les dispositions législatives, le Conseil constitutionnel adopte une jurisprudence constante qui voit dans l’indicatif un impératif. Voir par exemple : C.C., 17 janvier 2008, Loi ratifiant l’ordonnance no 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), no 2007-561 D.C. ; Rec. p. 41 ; J.O.R.F. du 22 janvier 2008, p. 1131 : « Considérant, en quatrième lieu, que, l’emploi du présent de l’indicatif ayant valeur impérative, la substitution du présent de l’indicatif à une rédaction formulée en termes d’obligation ne retire pas aux dispositions du nouveau code du travail leur caractère impératif (...) ».
226 Le site du Conseil constitutionnel donne toutefois quelques exemples d’« absence de normativité ou de normativité incertaine des dispositions législatives » dans les annexes de la décision no 2005-512 D.C. du 21 avril 2005 relative à la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école.
227 Loi no77-2 du 3 Janvier 1977 modifiée sur l’architecture. Citée par A. BERTRAND, Les dispositions législatives non prescriptives : contribution à l’étude de la normativité, op. cit., p. 191.
228 C’est le cas des « lois mémorielles », telles que certaines dispositions de la loi « Taubira » reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Selon M. FRANGI « La loi mémorielle reconnaît l’existence d’un événement passé en se bornant à en affirmer la réalité mais sans créer de norme juridique (...) La loi mémorielle semble instituer une obligation à caractère moral plus que juridique », in « Les ‘lois mémorielles” : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », R.D.P. 2005-1, p. 241. L’article 1er de la loi no 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 figure assez bien cette définition : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».
229 CONSEIL D’ÉTAT, De la sécurité juridique, Paris, La documentation française, E.D.C.E., 1991.
230 Voir : C.C., 10 juin 1998, Loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail, no 98-401 D.C., Rec. p. 258, J.O.R.F. du 14 juin 1998, p. 9033 & C.C., 14 janvier 1999, Loi relative au mode d’élections des conseillers régionaux et des conseillers à l’Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux, no 98-407 D.C., Rec. p. 21 ; J. O.R.F. du 20 janvier 1999, p. 1028.
231 Voir C.C., 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, no 99-421 D.C., Rec. p. 136 ; Obs. D. RIBES, D. 2000, pp. 425-426 ; M.-A. FRISON-ROCHE & W. BARANES, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », D. 2000, chron., p. 361. Voir aussi : L. MILANO, « Contrôle de constitutionnalité et qualité de la loi », R.D.P. 2006, no 3, p. 637.
232 C.C., 21 avril 2005 relative à la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, no 2005-512 D.C. ; Rec. p. 72 ; J.O.R.F. du 24 avril 2005, p. 7173 : « Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “La loi est l’expression de la volonté générale”, et qu’il résulte de cette norme, comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi, que sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles de droit et doit par suite être revêtue d’une portée normative ». Voir J.-P. CAMBY, « La loi et la norme (A propos de la décision no 2005-512 DC du 21 avril 2005) », R.D.P. 2005, p. 849 ; M. VERPEAUX, « Neutrons législatifs et dispositions réglementaires : la remise en ordre imparfaite », D. 2005, chron. p. 1886.
233 Voir notamment : C.C., 27 juillet 1982, Loi portant réforme de la planification, no 82-142 D.C., Rec. p. 52, ; J.O.R.F. du 29 juillet 1982, p. 2424 (spéc. cons. 5 et 8) ; C.C., 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, no 85-196 D.C. ; Rec. p. 63 ; J.O.R.F. du 8 août 1985, p. 9125 (spéc. cons. 7).
234 Acte particulier dont les caractéristiques et la nature juridique seront étudiées plus avant dans cette première partie. Voir infra, Titre II, Chap. I, spéc. p. 171 et s.
235 J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, L.G.D.J., coll. Droit et société, 3ème éd., 2008, p. 123.
236 C’est la traduction notamment employée par R.-J. DUPUY, « La technique de l’accord mixte utilisée par les Communautés européennes », Annuaire de l’Institut de droit international, 1973, vol. 55, p. 259. Cité par F. CHATZISTAVROU, « L’usage du soft law dans le système juridique international et ses implications sémantiques et pratiques sur la notion de règle de droit », op. cit., p. 3. L’auteur distingue par ailleurs le « droit mou » et le « droit vert » : « Le droit mou se réfère plutôt au caractère infra-juridique d’une règle de conduite, et le droit vert inclut plus une connotation temporelle et se réfère à la possibilité que le soft law puisse impulser le développement du hard law », Ibidem.
237 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international ? », op. cit. p. 11. Il est important de préciser que l’auteur ne se rattache pas explicitement à cette doctrine et conclut : « on n’est pas plus avancé pour autant ». Ce dernier considère en effet que ce critère de normativité atténuée « échappe à tout entendement ».
238 G. ABI-SAAB, « Eloge du “droit assourdi”. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », op. cit., p. 65.
239 R. IDA, « Formation des normes internationales dans un monde en mutation. Critique de la notion de soft law », op. cit., p. 336.
240 Loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (modifiée et complétée).
241 D’ailleurs, nous verrons que la nature « recommandatoire » des recommandations du C.S.A. est très largement à relativiser, au vu du contrôle opéré par le juge administratif. Voir infra, Partie II, Titre I, Chapitre I, p. 330 et s.
242 Publiée ou Journal officiel du 5 août 2006.
243 L’article 15 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 dispose que : « Lorsque des programmes susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs sont mis à disposition du public par des services de télévision, le conseil veille à ce qu’ils soient précédés d’un avertissement au public et qu’ils soient identifiés par la présence d’un symbole visuel tout au long de leur durée ».
244 C.E., 3 juillet 2000, Société civile des auteurs réalisateurs producteurs, no 218358, Rec. p. 289. Le communiqué est ainsi annulé pour incompétence.
245 R. ROMI, « “Engagements de bonnes pratiques” et “chartes”, “nouveaux” instruments de lutte contre le bruit », L.P.A. 15/08/2003, no 163, p. 5.
246 Face à ces instruments, le juge administratif a tendance à maintenir son contrôle classique concernant les actes administratifs unilatéraux, et notamment celui réalisé en matière de circulaire. Nous verrons que cette démarche ne respecte pas les caractères de ces instruments relevant de la soft law formelle. Voir infra, Partie II, Titre I, Chap. I, spéc. p. 354 et s.
247 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international ? », op. cit. p. 17. Cette graduation peut d’ailleurs être une graduation « par le haut », les règles impératives du jus cogens créant une échelle au sein des normes « les plus incontestablement situées en aval du seuil de normativité », ibid.
248 G. ABI-SAAB, « Eloge du “droit assourdi” Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », op. cit., p. 62.
249 R. IDA, « Formation des normes en droit international dans un monde en mutation. Critique de la notion de soft law », op. cit., p. 334. L’auteur dresse ainsi un tableau des différentes hypothèses, selon que l’on s’intéresse au negotium ou à l’instrumentum.
250 C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », op. cit., p. 628.
251 C. THIBIERGE, « Le droit souple, réflexions sur les textures du droit », R.T.D.Civ. 1/10/2003, p. 603.
252 H.L.A. HART, Le concept de droit, trad. Fr., Publications des facultés Université de Saint-Louis, Bruxelles, 1976.
253 Il est important de préciser ici que les expressions « règle de droit » et « norme juridique » seront pour le moment employées de manière indifférente. Traditionnellement, on a coutume de considérer que les règles juridiques ne sont qu’une catégorie particulière des normes juridiques de par leur abstraction et leur généralité, par opposition aux « décisions » qui sont des normes individuelles. Voir en ce sens : O. PFERSMANN, « Norme », in D. ALLAND & S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PU.F., 2003, p. 1079 et s. Sous les auspices de certains Professeurs éminents, nous considérons cependant qu’une distinction entre les deux concepts serait quelque peu superflue pour nos développements. Voir ainsi P. AMSELEK, « Norme et loi », A. P.D., vol. 25, 1980, p. 89 et s., D. De BÉCHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Paris, O. Jacob, 1997, spéc. p. 218. Toutefois, nous envisagerons par la suite (Section II) qu’au sens étymologique, la « règle » n’est qu’un aspect de la « norme », de sorte que la normativité peut s’envisager selon différents points de vue.
254 On pourrait considérer, à l’instar de certains auteurs, qu’elle est frappée d’une double indétermination : « cette notion apparaît affectée d’une incertitude fondamentale, tant au niveau de ses frontières générales qui permettent de la distinguer de certaines notions voisines, qu’au niveau des frontières spécifiques qui permettent de différencier divers types de sanctions juridiques les uns par rapport aux autres », F. OST et M. Van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Facultés universitaires de Saint Louis, 2002, p. 221.
255 Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », D. 1986, chron., p. 197 et s.
256 C’est le sens commun donné par les dictionnaires de la langue française les plus courants.
257 Concernant la délicate distinction entre la force obligatoire et la force contraignante, celle qui recouvre l’apparente opposition droit mou – droit doux. Voir supra, Titre I, Chapitre premier, p. 70 et s.
258 Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », op. cit., p. 198.
259 Certains auteurs, par une minutieuse analyse de l’ensemble de la doctrine, vont jusqu’à doubler cette triple acception. F.OST & M. van de KERCHOVE attribuent ainsi au concept trois sens supplémentaires, en distinguant selon que la « sanction-conséquence » est attachée à la violation d’une règle (elle sera dès lors forcément négative) ou plus généralement à un comportement. Elle sera dans ce deuxième cas soit positive, soit négative : elle vise alors à la fois les « peines et les récompenses édictées par la loi, les règlements et les conventions pour assurer leur exécution ». En outre, à côté du sens courant de « sanction-peine », ils identifient les « sanctions-reconnaissance » généralement formalisées par la sanction judiciaire, « désignant par là la reconnaissance solennelle par le juge, dans un cas concret, du droit subjectif, de l’obligation, de la peine ou de la récompense qui découle d’une loi formulée en termes généraux », in De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., spéc. pp. 222-230. Il nous semble toutefois que cette dernière hypothèse procède d’une dissociation superflue : la reconnaissance par un juge peut parfaitement se comprendre comme une forme de consécration par l’ordre juridique, de sorte que cette dernière acception doit plutôt être entendue comme une sous-définition.
260 Nous démontrerons par ailleurs exactement l’inverse : la soft law peut parfaitement être instituée par les textes. Voir infra, Partie I, Titre II, Chapitre premier, spéc. p. 195 et s.
261 KELSEN identifie la sanction comme tous les « actes de contrainte qui sont prévus par l’ordre juridique ». Voir H. KELSEN, Théorie pure du droit, Paris, L.G.D.J., coll. La pensée juridique, 1999, p. 49.
262 H.L.A. HART, Le concept de droit, op. cit., spéc. p. 119.
263 F. OST et M. Van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 229.
264 Ibidem.
265 L. CALANDRI, Recherche sur la notion de régulation en droit administratif français, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit public, t. 259, 2008.
266 Voir M. COLLET, Le contrôle juridictionnel des actes des autorités administratives indépendantes, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit public, t. 233, spéc. pp. 193-230.
267 Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », op. cit., p. 198.
268 F. OST et M. Van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 225.
269 Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », op. cit., p. 198.
270 KELSEN identifie surtout les ordres émanant d’une autorité habilitée par le droit comme ayant une « signification objective », impliquant que tous les justiciables se sentent commandés par cet « acte de contrainte ». Dans le cas d’un ordre venant d’un brigand, la menace ainsi proférée n’a qu’une portée subjective : seule la personne placée sous cette contrainte la recevra comme un réel ordre.
271 Voir P. ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1951, 2ème éd., spéc. p. 32, cité par F. OST et M. Van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour me théorie dialectique du droit, op. cit., p. 226.
272 Ph. JESTAZ, « La sanction ou l’inconnue du droit », op. cit., p. 199.
273 H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 49.
274 A. JEAMMEAUD, « Contrainte », in D. ALLAND & S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 275.
275 J. RIVERO, « Sanction juridictionnelle et règle de droit », in Mélanges L. JULLIOT de la MORANDIERE, Dalloz, 1964, p. 457.
276 C. THIBIERGE, « Le droit souple, réflexions sur les textures du droit », op. cit., p. 603.
277 P. BOURETZ (Dir.), La force du droit, Paris, Editions Esprit, 1991.
278 D. De BÉCHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 61.
279 L’effectivité peut se définir comme le « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit ». Dans ce cadre, il est important de préciser que le normativisime kelsenien n’en fait pas a priori une condition de validité de la norme, « l’effectivité dans sa théorie n’est qu’une question seconde, liée aux conditons non d’existence mais de survie de la règle ». Voir A.-J. ARNAUD (Dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, L.G.D.J., 1993, p. 218.
280 Sur cette assimilation, voir M. VIRALLY, « Sur la prétendue primitivité de droit international », in Le droit international en devenir, Paris, PU.F., Publications de l’institut universitaire de hautes études internationales, 1990, p. 91.
281 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international », R.G.D.I.P. 1982, p. 5 et s. Voir aussi : J. CASTANEDA, « Valeur juridique des résolutions des Nations unies », R. C.A.D.I. 1970 no 1, t. 129, pp. 205-332.
282 Voir : Ph. JESTAZ, Le droit, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2007, 5ème éd., p. 25.
283 A. LAQUIEZE, « Sanction », in D. ALLAND & S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1381.
284 Ce sentiment psychologique est par exemple mis en avant par M. VIRALLY dans sa définition du droit : « c’est parce qu’il est droit qu’il doit être obéi : parce qu’il exprime la justice ou le commandement de l’autorité légitime, mais aussi parce qu’il punit ceux qui se dérobent à ses impératifs et avantage ceux dont il protège les intérêts. En un mot, il pèse sur l’esprit et non pas sur le corps. Sa puissance est celle d’une représentation intellectuelle (...) on le voit ainsi s’intégrer dans les mécanismes psychologiques conscients qui orientent le comportement », M. VIRALLY, La pensée juridique, Paris, L.G.D.J. Ed. Panthéon Assas, 1998, p. 8.
285 A. LAQUIEZE, « Sanction », in D. ALLAND & S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1384.
286 F.-P. BENOIT, « Les réunions du Conseil municipal », in Encyclopédie Dalloz des collectivités locales, 1996, p. 283-17, cité par P. COMBEAU, « De l’art du trompe-l’œil juridique : la contractualisation des rapports entre l’État et les entreprises publiques », L.PA. 26/01/2007, no 20, p. 6 et s.
287 Le « tarif » avancé par Ph. JESTAZ dont nous parlions plus haut est pourtant présenté comme un élément constitutif de la norme et intérieur à elle. Cependant il nous semble que si la règle de droit est implicitement tarifée dès son origine, c’est bien parce qu’elle contient une obligation.
288 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 68.
289 Sur la même idée (exprimée avec plus de véhémence), F. TERRE énonce qu’« on ne peut pour le discerner, voir pour le définir, se référer à l’existence de “sanctions organisées”, car le raisonnement se heurte aussitôt à la présupposition alors mystérieuse de cette organisation même. Pendant combien de temps faudra-t-il répéter qu’une règle n’est pas juridique parce qu’elle est sanctionnée, mais sanctionnée parce qu’elle est juridique ? », in « Pitié pour les juristes ! », R.T.D.Civ. 2002, p. 248.
290 P. AMSELEK, Méthode phénoménologique et théorie du droit, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de philosophie du droit, 1964, p. 222.
291 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2003,4ème éd., p. 45.
292 M. VIRALLY, La pensée juridique, op. cit., p. 9.
293 N. BOBBIO, Essais de théorie du droit, trad. M. GUERET et Ch. AGOSTINI, Bruylant, L.G.D.J., 1998, p. 178, cité par A. LAQUIEZE, « Sanction », in D. ALLAND & S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1383.
294 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 66.
295 J. RIVERO, « Sanction juridictionnelle et règle de droit », op. cit., p. 457 et s.
296 Voir notamment : R. A. POSNER, The Economic analysis of Law, Aspen Publishers, 6th ed., 2003 ; S. HARNAY & A. MARCIANO, Richard A. Posner – L’analyse économique du droit, Paris, éd. Michalon, coll. Le bien commun, 2003.
297 Désignant « l’ensemble des pratiques ou procédures, le plus souvent informelles, de résolution des conflits, impliquant habituellement l’intervention d’un tiers qui, à l’aide de techniques non juridictionnelles, permet de parvenir au règlement d’un conflit opposant deux ou plusieurs parties », in A.-J. ARNAUD (Dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 11.
298 J.-M. SAUVÉ, « État de droit et efficacité », A.J.D.A. 1999, p. 126.
299 B. OPPETIT, « Le droit hors de la loi », Droits, 1989, no 10, p. 49.
300 Le positivisme peut s’analyser comme un phénomène où « il s’agit de rationaliser me technique constituée donnée, un certain ensemble de normes, un dogme », Voir P. AMSELEK, Méthode phénoménologique et théorie du droit, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de philosophie du droit, vol. II, 1964, p. 384.
301 M. VIRALLY, « Le phénomène juridique », R.D.P. 1966, p. 19.
302 G. TIMSIT, « Les deux corps du droit ; essai sur la notion de régulation », R.F.A.P. 1996, no 78, p. 375.
303 H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit.
304 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 174.
305 M. VIRALLY, La pensée juridique, op. cit., p. 9.
306 Voir P. AMSELEK, Méthode phénoménologique et théorie du droit, Paris, L.G.D.J., op. cit., p. 275, note 101.
307 Ibid., p. 276.
308 L’auteur s’éloigne ainsi de la thèse avancée par BURDEAU qui fonde le caractère obligatoire par l’existence « d’une liaison, d’un contact, entre le sujet et la norme [qui] est le contenu de la règle » (Ibid., p. 277), nous y reviendrons par la suite.
309 Ibid., p. 278.
310 Ibid., p. 276.
311 Elle permet par exemple d’intégrer sans encombre les normes permissives ou supplétives au sein de la normativité juridique, là où les tenants de l’« impérativisme » peinent à voir des normes. Voir notamment C. GROULIER, Norme permissive et droit publie, Thèse dactyl., Limoges, 2006.
312 Voir infra, Partie I, Titre II, Chapitre I, p. 173 et s.
313 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 174.
314 M. VILLEY, Critique de la pensée juridique moderne. Douze autres essais, Paris, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2009, spéc. pp. 51-84. Voir aussi : M. VILLEY, « De l’indicatif dans le droit », A.P.D., vol. 19, Paris, Sirey, 1974, pp. 33-61.
315 R. CAPITANT, Introduction à l’étude de l’illicite – L’impératif juridique, Paris, Dalloz, 1928, p. 63.
316 Ibid., p. 5.
317 Ibidem.
318 Ibid., p. 6.
319 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 175.
320 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, cité par R. CAPITANT, in Introduction à l’étude de l’illicite – L’impératif juridique, op. cit., p. 10.
321 Du grec deos, « devoir », « ce qu’il faut », « ce qu’il convient ». L’origine de cette logique est souvent attribuée à LEIBNIZ. Voir J. L. GARDIES, Essai sur la logique des modalités, Paris, P.U.F., 1979, p. 87 ; cité par P. AMSELEK, « Ontologie du droit et logique déontique », R.D.P. 1992, p. 1017.
322 G. KALINOWSKI, Introduction à la logique juridique. Eléments de sémiotique juridique, logique des normes et logique juridique, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de philosophie du droit, vol. III, 1965, p. 70. Voir aussi : G. KALINOWSKI, La logique des normes, Paris, P.U.F., coll. Initiation philosophique, 1972, 212 p.
323 Ibid., p. 54.
324 M. VIRALLY, « Le phénomène juridique », op. cit., 19.
325 Certains auteurs distinguent toutefois impératif et obligation : « il semblerait particulièrement indiqué de cantonner l’emploi d’impératif à la qualification du contenu déontique de certaines normes (injonctives ou prohibitives), et de parler de caractère obligatoire s’agissant de la force référentielle conférée à une norme du fait de son introduction dans l’ordonnancement juridique et de sa vocation à s’imposer », C. GROULIER, « L’impératif dans la jurisprudence Duvignères : réflexion sur un “sésame contentieux” », R.F.D.A. 2008, p. 942.
326 Il est rejoint par M. VILLEY qui relève que « de même que l’indicatif présent, employé dans la vie pratique, y peut signifier un ordre (...), les verbes devoir et pouvoir, utilisés par les juristes, entrent dans des propositions authentiquement indicatives », in Critique de la pensée juridique moderne. Douze autres essais, op. cit., p. 61.
327 P. AMSELEK, « Ontologie du droit et logique déontique », op. cit., p. 1012. L’auteur multiplie les critiques à l’encontre de ce qu’il nomme le « réductionnisme logiciste », notamment en montrant que l’on peut parfaitement adresser des normes par de simples gestes sans faire intervenir un quelconque acte de parole.
328 G. TIMSIT, « Les deux corps du droit ; essai sur la notion de régulation », op. cit., p. 375.
329 Voir C.E., Sect., 18 décembre 2002, Mme Duvignères, Rec. p. 287 ; concl. P. FOMBEUR, « Les circulaires administratives sont des actes faisant grief », R.F.D.A. 2003, p. 280 ; F. DONNAT et D. CASAS, chron. A.J.D.A. 17 mars 2003, p. 489 ; note P. COMBEAU, « Une avancée dans le contrôle juridictionnel des circulaires ? », L.P.A. 23 juin 2003, no 124, p. 19.
330 C.E., Ass., 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, Rec. p. 64 ; chron. F. GAZIER et M. LONG A.J.D.A. 1954, II bis, p. 5.
331 C’est-à-dire une interprétation qui pose une règle nouvelle illégale pour incompétence ou d’autres motifs, qui interprète mal les dispositions législatives et réglementaires ou qui réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure. En ce sens, le contrôle de la légalité ne s’apparente pas à celui qui était réalisé sous l’empire de la jurisprudence Notre-Dame du Kreisker, ce qui fait dire à nombre d’auteurs que la décision Duvignères ne constitue pas à proprement parler un revirement de jurisprudence. Voir B. TABAKA, « Quelles circulaires administratives peuvent être qualifiées d’impératives au regard de la jurisprudence Duvignères ? », J.C.P. éd. A. 2003, no 26, no 1607 ; cité par G. KOUBI, « Distinguer « l’impératif » du « réglementaire » au sein des circulaires interprétatives », op. cit., p. 501.
332 P. FOMBEUR, concl. sur C.E., Sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères, op. cit., Rec. p. 287.
333 Ibidem.
334 C. GROULIER, « L’impératif dans la jurisprudence Duvignères : réflexion sur un “sésame contentieux” », op. cit., p. 943.
335 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 13ème éd., 2008, no 648, p. 550.
336 Par exemple, le juge admet l’impérativité d’une circulaire au regard de « son objet et de ses destinataires », voir : C.E., 6 sept. 2006, Syndicat national des professionnels de la santé au travail, no 287527 ; cité par C. GROULIER, « L’impératif dans la jurisprudence Duvignères : réflexion sur un “sésame contentieux” », op. cit., p. 944.
337 C. GROULIER, « L’impératif dans la jurisprudence Duvignères : réflexion sur un “sésame contentieux” », op. cit., p. 945.Il convient de préciser ici que l’auteur, dans la suite de son raisonnement, énonce que cet « impératif interprétatif » n’est pas nécessairement « déontique » dans la mesure où il arrive que des circulaires à contenu purement permissif aient été recevables à l’excès de pouvoir. Cependant, l’auteur semble ici oublier que le verbe « pouvoir » fait bien partie des fameux foncteurs déontiques, et que le mérite de cette approche a précisément permis de réintégrer les normes permissives au sein de la normativité juridique : « une norme permissive implique, en effet, que quelque chose doit pouvoir se passer ou ne pas se passer », P. AMSELEK, « Phénoménologie et droit », A.P.D., t. 17, 1972, p. 228 (souligné par nous).
338 V. J. GUEZ, La « normalisation » du recours pour excès de pouvoir contre les circulaires et instructions administratives, A.J.D.A. 2005, p. 2445.
339 G. KOUBI, « Distinguer « l’impératif » du « réglementaire » au sein des circulaires interprétatives », op. cit., p. 507.
340 Voir notamment : A. ZARCA, « Force normative, force normatrice ? A propos des interprétations impératives contenues dans les recommandations de la HALDE », in C. THIBIERGE et alii, La force normative. Naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J., Bruylant, 2009, p. 459.
341 P. COMBEAU note en effet que « les circulaires impératives regroupent me partie seulement de l’interprétation administrative : celle qui modifie l’ordonnancement juridique ou qui impose une interprétation », in « Une avancée dans le contrôle juridictionnel des circulaires ? », op. cit., p. 19.
342 Ibidem.
343 Nous y reviendrons plus avant, voir infra, Partie I, Titre II, Chap. II, spéc. p. 234 et s.
344 C. GROULIER, « L’impératif dans la jurisprudence Duvignères : réflexion sur un “sésame contentieux” », op. cit., p. 949.
345 C. THIBIERGE, « Le droit souple, réflexions sur les textures du droit », op. cit., p. 604. Nous précisons que nous avons volontairement remplacé l’expression « droit mou » utilisé par l’auteur. Nous ne nous réclamons pas de cette définition (nous aurions volontairement parlé ici de « droit doux ») mais il nous semble que cette boucle d’exclusion s’applique parfaitement concernant la soft law puisque, nous le répétons, une norme ne peut être sanctionnée que si elle est obligatoire.
346 Concernant les recommandations de l’A.N.A.E.S. (remplacée par la H.A.S.), voir : C.E., 26 septembre 2005, C.N.O.M., no 270234, Rec. p. 395 ; concl. C. DEVYS ; note F. AUBERT, A.J.D.A. 2005, p. 1873 ; note J.-P. MARKUS, A.J.D.A. 2006, p. 309 ; note D. CRISTOL, R.D.S.S. 2006, p. 53 ; note C. MASCRET, L.P.A. 9 janvier 2007, no 7, p. 3. S’agissant des délibérations de la H.A.L.D.E. (remplacée depuis peu par le Défenseur des droits), voir : C.E., 13 juillet 2007, Société Editions Tissot, no 294195, Rec. p. 335 ; concl. L. DEREPAS, A.J.D.A. 2007, p. 2145 ; chron. F. MELLERAY & A. CLAEYS, L.P.A. 09 juin 2008 no 115, p. 4. Pour un examen complet de ces jurisprudences, mises en perspective dans la cadre de la réception limitée par l’ordre juridique de la soft law, voir infra, Partie II, Titre I, Chap. I.
347 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 191.
348 Ibid., p. 192.
349 Ibidem.
350 D. de BECHILLON concède en effet que la distinction des deux types d’impératifs se fait « au prix d’une schématisation extrême – et dont, encore une fois, je reconnais volontiers l’impureté philosophique (ou en tout cas kantienne) », ibidem.
351 Voir ainsi : S. GOYARD-FABRE, Essai de critique phénoménologique du droit, Thèse dactyl., Lille, 1971 ; cité par l’auteur, p. 191, note 49.
352 M. HECQUARD-THERON, Essai sur la notion de réglementation, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit public, t. 126,1977, p. 232. De manière plus convaincante encore, l’auteur montre bien que la création et l’application de la situation suppose « l’intervention unilatérale de la puissance publique » qui décide d’octoyer ou non l’avantage demandé par le bénéficiaire, ibid., spéc. pp. 237-240.
353 KANT distingue en effet deux sous catégories au sein de l’impératif conditionnel : « L’impératif hypothétique exprime (...) seulement que l’action est bonne en vue de quelque fit, possible ou réelle. Dans le premier cas, il est un principe PROBLEMATIQUEMENT pratique ; dans le second, un principe ASSERTOTIQUEMENT pratique », in Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. V. DELBOS, Paris, Le livre de poche, coll. Les classiques de la philosophie, 1993, p. 86.
354 Ces hypothèses feront ainsi l’objet du Titre premier de notre seconde partie.
355 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », A.P.D. t. 51, Dalloz, 2008, p. 343.
356 P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 91.
357 Ibid., p. 90.
358 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », op. cit., p. 345.
359 Ibidem.
360 Ibidem.
361 Ce que concède d’ailleurs volontiers C. THIBIERGE : « A notre sens, la règle de droit fournit doublement modèle, pour diriger l’action et pour la mesurer. La mesure n’est que l’une de ses fonctions. Alors que pour M. Amselek, la mesure englobe la fonction directive de la règle qui “est de servir à guider, diriger la conduite des hommes” », Ibid., p. 350.
362 C’est aussi ce qui semble être la position de S. RIALS qui témoigne de leur lien consubstantiel : « Le mot vient du latin norma, “équerre”, “règle” (l’instrument qui sert à tracer des lignes droites) ; d’où “modèle” (de ce qui doit être) », voir « Norme », in D. ALLAND et S. RIALS (Dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 399. C’est aussi l’opinion d’A. JEAMMEAUD qui énonce que « situer la norme dans le genre des modèles, c’est mettre en évidence sa nature instrumentale de mesure, d’étalon », in « La règle de droit comme modèle », D. 1990, chron., p. 202.
363 P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 91.
364 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », op. cit., p. 351 : « mode de référence pour ses destinataires, instrument de mesure pour le juge, la règle de droit cumule les deux fonctions de la norme, ce qui permet d’y voir l’expression la plus accomplie de la norme juridique ».
365 C. THIBIERGE, « Le droit souple, réflexions sur les textures du droit », op. cit., p. 620.
366 Voir : S. RIALS, Le juge administratif français et la technique du standard : essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, Paris, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit public, 1980, 564 p.
367 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », op. cit.,p. 356.
368 V. FORTIER, « La fonction normative des notions floues », R.R.J. 1991, no 3, p. 767.
369 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », op. cit., p. 353.
370 C’est d’ailleurs un point essentiel de définition de l’acte de régulation donné par L. CALANDRE Voir : Recherche sur la notion de régulation en droit administratif français, op. cit., spéc. p. 217 et s.
371 A. JEAMMAUD, « Les règles juridiques et l’action », D. 1993, chron., p. 209.
372 Ibid, p. 208.
373 Voir : S. POILLOT-PERUZZETTO, « Les méthodes de la CNUDCI, le choix de l’instrument », L.P.A. 2003, no 252, p. 43 et s.
374 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », op. cit., p. 369.
375 Voir notamment : N. DELPIERRE, La nature juridique de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne, Thèse dactyl., Montpellier I, 2006.
376 Il est important de souligner que C. THIBIERGE se défend précautionneusement d’assimiler la sanction et la mesure : « La mesure ne se confond pas avec la sanction qui en est une conséquence possible mais non nécessaire. En d’autres termes, la mesure permise par la règle de droit (mesure de la légalité, de constitutionalité, de licéité...), ne s’identifie pas à l’effet produit par la règle (...) Le prononcé de la sanction d’annulation est une conséquence du constat de l’illicéité de la convention. Et ce constat peut s’effectuer grâce à la nature de l’instrument de mesure de la règle de droit », in « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre normes et règles de droit », op. cit., p. 366. Il nous semble cependant que la déclaration de nullité faite par un juge s’apparente déjà à une forme de sanction, et qu’elle est en germe dans le modèle de conduite.
377 P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 97.
378 Le terme nous paraît mieux choisi dans la mesure où les normes scientifiques se proposent de donner une ligne de partage entre le vrai et le faux, ce qui n’est bien entendu pas du tout applicable au monde du Sollen.
379 P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 96.
380 Ibid., p. 98.
381 Ibid., p. 99.
382 Sur les relations entre norme technique et norme juridique, voir notamment : F. VIOLET, Articulation entre la norme technique et la règle de droit, Paris, P.U.A.M., 2003, 533 p.
383 P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 100.
384 C. ROUSSEL, « L’incidence du non respect des normes techniques dans les marchés publics », A.J.D.A. 2003, no 32, p. 1696 et s
385 Voir A. PENNEAU, Règles de l’art et normes techniques, Paris, L.G.D.J., 1989, spéc. pp. 190-214 ; O. ZAMPHIROFF, Esquisse d’une théorie juridique de la normalisation, thèse, Aix-en-Provence, 1990 ; D. VOINOT, La norme technique en droit comparé et en droit communautaire, thèse dact., Grenoble II, 1993 ; D. BOURCIER et V. TAUZIAC, Du standard technique à la norme juridique : impacts et enjeux. Rapport final, Paris, IDL – CNRS, 1995 ; F. VIOLET, Articulation entre la norme technique et la règle de droit, P.U.A.M., 2003, 533 p. ; D. LOCHAK, « Droit, normalité et normalisation », in Le droit en procès, C.U.R.A.P.P., 1983, p. 51 et s. ; M. LANORD, « La norme technique et le droit : à la recherche de critères objectifs », R.R.J. 2005, no 2, p. 619 et s ; M. LANORD, « La norme technique : une source du droit légitime ? », R.F.D.A. 2005, no 4, p. 738 et s ; L. BOY, « La valeur juridique de la normalisation », in J. CLAM & G. MARTIN, Les transformations de la régulation juridique, Paris, L.G.D.J., 1998, p. 183. Voir enfin le dossier spécial des Petites affiches, « Aspects juridiques de la normalisation technique », L.P.A. 1998, no 18.
386 P. AMSELEK, « Le droit, technique de direction des conduites humaines », Droits 1989, no 10, “Définir le droit”, p. 10.
387 L’auteur cite ici le Dictionnaire philosophique d’A. LALANDE, in P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 101.
388 Ibidem.
389 « En effet, la liaison de la qualification éthique à une certaine vocation instrumentale spécifique apparaît, du reste, dans la terminologie même : l’éthique, dans son sens le plus fondamental, se définit comme l’art de diriger sa conduite », P. AMSELEK, « Phénoménologie et droit », op. cit., p. 229.
390 P. AMSELEK, « Norme et loi », op. cit., p. 101.
391 P. AMSELEK, « Phénoménologie et droit », op. cit., p. 243.
392 Voir F. OST, « Le rôle du droit : de la vérité révélée à la réalité négociée », in Les administrations qui changent, PUF, Paris, 1996, p. 73 et s. Voir aussi OST F., « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », in La force du droit, Seuil, coll. Esprit, 1991.
393 Voir J. CHEVALLIER, « Régulation et polycentrisme dans l’administration française », R.A. no 301 1998, pp. 43-53 ; « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », R.D.P. 1998, pp. 659-690 ; Le droit post-moderne, Paris, L.G.D.J., coll. Droit et société, 2004 ; D. de BECHILLON, « La structure des normes juridiques à l’épreuve de la postmodemité », in A. BERTHOUT et E. SERVERIN La production des normes entre Etat et société civile : les figures de l’institution et de la norme entre Etats et sociétés civiles, op. cit., pp. 46-74.
394 D. de BECHILLON, « La structure des normes juridiques à l’épreuve de la postmodernité », op. cit., p. 51.
395 P. AMSELEK, « L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », R.D.P. 1982, p. 286.
396 P. AMSELEK illustre en effet son propos en invoquant le développement des Plans, des lois-cadres, prenant enfin l’exemple d’un décret pris en Conseil d’État.
397 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international », R.G.D.I.P. 1982, p. 5 et s.
398 P. AMSELEK, « Autopsie de la contrainte associée aux normes juridiques », in C. THIBIERGE et alii, La force normative. Naissance d’un concept, op. cit., p. 8.
399 C.C., 21 avril 2005, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, no 2005-512 D.C. ; J.O.R.F. 24 avril 2005, p. 7173. Voir J.-E. SCHOETTL, « La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école devant le Conseil constitutionnel », L.P.A. 20 mai 2005, p. 12 ; J.-P. CAMBY, « La loi et la norme (A propos de la décision no 2005-512 DC du 21 avril 2005) », R.D.P. 2005, p. 849 ; M. VERPEAUX, « Neutrons législatifs et dispositions réglementaires : la remise en ordre imparfaite », D. 2005, chron. p. 1886 ; B. MATHIEU, « Le Conseil constitutionnel censure les lois trop “verbeuses” », J.C.P. 2005, no 20 ; J.-C. ZARKA, « La décision no 2005-512 du 21 avril 2005 (loi Fillon) du Conseil constitutionnel : une censure partielle prévisible », D. 2005, chron., p. 1372 ; P. DEUMIER, « Qu’est-ce qu’une loi ? Ce n’est ni un programme politique, ni un règlement », R.T.D.Civ 2005, p. 564.
400 Loi no 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, J.O.R.F. du 24 avril 2005, p. 7173.
401 L’expression « dispositions législatives non prescriptives » est en effet plus large en ce qu’elle concerne des énoncés normatifs formulés par exemple en termes d’objectifs. Voir Voir A. BERTRAND, Les dispositions législatives non prescriptives : contribution à l’étude de la normativité, Thèse dact., Toulouse, 2000, 372 p.
402 Décision no 2005-512 D.C. du 21 avril 2005 « Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ». Il s’agit d’une reprise dans les mêmes termes de la Décision no 2004-500 D.C. du 29 juillet 2004, « Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités locales », Rec. p. 116, § 12 ; obs. V. OGIER-BERNAUD & C. SEVERINO, D. 2005, p. 1132; note J.-E. SCHOETTL, L.P.A. 13 août 2004, no 162, p. 12; D. CHAMUSSY, R.D.P. 2004, no 6, p. 1739.
403 V. CHAMPEIL-DESPLATS, « N’est pas normatif qui peut. L’exigence de normativité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », C.C.C., no 21, 2006, p. 65.
404 Pour un examen plus détaillé de cette jurisprudence, voir infra, Partie II, Titre II, Chap. II, spéc. p. 506 et s.
405 V. CHAMPEIL-DESPLATS, « N’est pas normatif qui peut. L’exigence de normativité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 65.
406 C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction entre nonnes et règles de droit », op. cit., p. 366.
407 Délibération no 2011-121 du 18 avril 2011 de la H.A.L.D.E., voir : http://www.halde.fr/IMG/alexandrie/6239.PDF
408 Sur ce point, voir infra, Partie II, Titre I, Chap. I, spéc. p. 312 et s.
409 D. De BÉCHILLON, « La structure des normes juridiques à l’épreuve de la postmodernité », in A. BERTHOUT et E. SERVERIN, La production des normes entre État et société civile : les figures de l’institution et de la norme entre États et sociétés civiles. Actes du troisième colloque de l’Association pour le développement de la Socio-Economie, Villeneuve d’Ascq, décembre 1997, Paris - Montréal, L’harmattan, 2000, p. 64.
410 Voir supra, Chapitre précédent, p. 97 et s.
411 G. TIMSIT, « Pour une nouvelle définition de la norme », D. 1988, chron., p. 268.
412 C’est la quatrième définition du verbe « imposer » donné par le Dictionnaire Larousse.
413 J. L. AUSTIN, Quand dire c’est faire, trad. G. Lane, Paris, éd. du Seuil, 1991, 202 p.
414 J. R. SEARLE, Les actes de langage, trad. Fr. H. Pauchard, Hermann, 1972, 261 p.
415 Pour un constat précis de cette réception faite par les juristes, voir Ch. GRZEGORCZYK, « L’impact de la théorie des actes de langage dans le monde juridique : essai de bilan », in P. AMSELEK (Dir.), Théorie des actes de langage, éthique et droit, Paris, P.U.F., 1986, p. 165.
416 Pour un aperçu de la doctrine sur la théorie des actes de langage, voir notamment : P. AMSELEK (Dir.), Théorie des actes de langage, éthique et droit, Paris, P.U.E, 1986, 252 p. Voir aussi les Archives de philosophie du droit, t. 19, Le langage du droit, Paris, Sirey, 1974.
417 P. AMSELEK, « Philosophie du droit et théorie des actes de langage », in P. AMSELEK (Dir.), Théorie des actes de langage, éthique et droit, op. cit., p. 111.
418 F. RECANATI, « La pensée d’Austin et son originalité par rapport à la philosophie analytique antérieure », in P. AMSELEK (Dir.), Théorie des actes de langage, éthique et droit, op. cit., p. 26.
419 Ch. GRZEGORCZYK, « Le rôle du performatif dans le langage du droit », A.P.D., t. 19, Paris, Sirey, 1974, p. 230.
420 O. CAYLA, La notion de signification en droit. Contribution à une théorie du droit naturel de la communication, Thèse dact., Paris II, 1992, p. 33. Nous précisons que l’auteur critique toutefois plus loin cette réduction normativiste de la pensée d’AUSTIN, nous aurons l’occasion d’y revenir.
421 D’autres apories ont pu être décelées par AUSTIN lui-même, de sorte que l’opposition de principe entre performatif et constatif ne tient plus dans certaines hypothèses : « d’un côté, existent des performatifs qui peuvent être vrais ou faux (par exemple : “je te préviens que ce taureau va charger”) et que d’autre part, certains constatifs peuvent être exposés à des échecs (“j’affirme que l’actuel roi de France est chauve”) », Ch. GRZEGORCZYK, « Le rôle du performatif dans le langage du droit », op. cit., p. 232.
422 Voir H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit.
423 Ch. GRZEGORCZYK, « L’impact de théorie des actes de langage dans le monde juridique : essai de bilan », op. cit., p. 170.
424 P. AMSELEK, « La théorie des actes de langage et le droit », op. cit., p. 111.
425 Ch. GRZEGORCZYK, « Le rôle du performatif dans le langage du droit », op. cit., p. 233
426 D. de BECHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, op. cit., p. 167.
427 C’est l’apport essentiel de la thèse d’O. CAYLA qu’il serait difficile de résumer dans cette modeste note de bas de page sans en déformer la subtilité toute particulière. L’hypothèse démontrée, stipulée au début de l’ouvrage, se formule comme suit. « Dans la logique pragmatique adoptée par principe, la signification juridique ne peut surgir, seulement et exclusivement que 1) dans le cadre d’une parole vive et en acte, se présentant selon la configuration essentielle du dialogue ; 2) c’est-à-dire dans le cadre d’une communication orale effectivement et discursivement opérée par le truchement physique de la voix d’un locuteur, et adressée par ce dernier à la personne, physiquement distincte de lui, d’un interlocuteur, qui en assure non moins effectivement la réception par un acte d’audition ; 3) l’acte d’émission vocale du locuteur s’effectue dans l’intention de normer le comportement de son adressataire, c’est-à-dire de définir à sa place les mouvements et évolutions du corps physique de son interlocuteur ; 4) cette intention du locuteur, du point de vue subjectif de l’auto-compréhension de ce dernier, est que la définition normative du comportement de son interlocuteur s’impose à lui avec la force maximale d’un commandement impératif, déployant la contrainte d’une obligation qui, en cas d’infraction, donnera certainement lieu à l’administration d’une sanction, pouvant ultimement porter physiquement atteinte au corps de l’adressataire et à tout le moins à sa liberté de mouvement par une action directe, non verbale ; 5) l’acte d’audition de l’interlocuteur est un acte de compréhension de cette intention ; 6) la signification juridique n’est constituée que si l’intention du locuteur est pleinement comprise et saisie par l’interlocuteur, c’est-à-dire admise comme pouvant valablement le saisir, lui et son corps, dans le cadre de leur dialogue. On peut encore ajouter que le locuteur pourrait être appelé : “gouvernant”, l’interlocuteur : “gouverné”, et la parole dialogique émise par le gouvernant et comprise par le gouverné : “loi” », O. CAYLA, La notion de signification en droit. Contribution à une théorie du droit naturel de la communication, op. cit., XXI. Nul besoin de s’appesantir sur une éventuelle application de cette définition à la technique recommandatoire : si l’approche pragmatique austienne est conservée (et quelque peu dépassée d’ailleurs, le concept de « force illocutoire » étant par exemple remplacé par le concept voisin de « force volitionnelle », voir p. 21, spéc. note 17), le couple obligation/sanction l’est tout autant, de telle manière que les constantes du normativisme font encore obstacle à une éventuelle « théorie du tout » qui engloberait toutes les manifestations de la normativité.
428 Voir : M. FOUCAULT, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, Coll. N.R.F., 1971.
429 P. BOURDIEU, La reproduction, Paris, Ed. de Minuit, Coll. Le sens commun, 1970.
430 P. AMSELEK, « La théorie des actes de langage et le droit », op. cit., p. 156. Nous précisons par ailleurs que l’auteur, dans le sillage d’AUSTIN, se propose de classer les différentes catégories d’actes illocutoires. Soulignant que la classification proposée n’est pas adaptée aux normes éthiques, P. AMSELEK identifie la catégorie des « actes de mandement » englobant tout à la fois les « demandes », les « commandements » et les « recommandations », Ibid.
431 G. TIMSIT, « Sur l’engendrement du droit », R.D.P. 1988, p. 74.
432 C.E., 13 juillet 1962, Conseil national de l’ordre des médecins, R.D.P. 1962, p. 739.
433 L’expression est empruntée à l’utilitarisme hérité notamment de J. BENTHAM : « La nature a placé l’humanité sous l’empire de deux maîtres, la peine et le plaisir. C’est à eux seuls qu’il appartient de nous indiquer ce que nous devons faire comme de déterminer ce que nous ferons. D’un côté, le critère du bien et du mal, de l’autre, la chaîne des causes et des effets sont attachés à leur trône », in Introduction aux principes de morale et de législation, Paris, Vrin, coll. Analyse et philosophie, 2001. Voir aussi : E. DUMONT, Théorie des peines et des récompenses : ouvrage extrait des manuscrits de J. Bentham, jurisconsulte anglais, Paris, Bossange, 1825.
434 Ch. GRZEGORCZYK, « Le rôle du performatif dans le langage du droit », op. cit., p. 233.
435 G. TIMSIT, « Pour une nouvelle définition de la norme », op. cit., p. 268.
436 Ibidem.
437 Voir bien entendu : M. TROPER, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », in Mélanges Eisenmann, Paris, Librairie Cujas, 1975, p. 135 ; « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, P.U.F., coll. Léviathan, Paris, 2001, p. 69.
438 On considère ainsi que pour les réalistes « le droit n’existe pas juridiquement ; les juges se voient ainsi reconnaître me sorte de monopole : eux seuls peuvent dire la teneur du droit [ainsi] les réalistes reconnaissent au juge une sorte de monopole de l’influence concrète et par conséquent un monopole de la juridicité », E. DOCKES, Valeurs de la démocratie (huit notions fondamentales), Paris, Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 2004, p. 26, cité par E. MILLARD, in « Quelques remarques sur la signification politique de la théorie réaliste de l’interprétation », L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Paris, Economica, 2006, p. 725.
439 F. HAMON, M. TROPER, G. BURDEAU, Droit constitutionnel, L.G.D.J., 29ème éd., 2005, p. 57.
440 C. THIBIERGE, La force normative. Naissance d’un concept, op. cit., p. 822. L’auteur prend ainsi pour exemple les recommandations d’autorités administratives indépendantes censées symboliser une « distorsion en valeur et portée normatives » et « ce qui vaut pour les recommandations est aussi vérifiable plus largement pour un certain nombre d’instruments de droit souple. Véritables références pour ceux auxquels ils s’adressent, malgré leur absence de force obligatoire, ils sont parfois dotés d’une véritable force régulatrice des conduites et des pratiques », ibid., p. 831.
441 S. BRACONNIER, « La régulation des services publics », R.F.D.A. 2001, p. 43.
442 Ce phénomène suppose un milieu relativement fermé dans lequel les acteurs ou les opérateurs disposent d’une information suffisante non seulement des nonnes en vigueur, mais aussi des comportements de correspondant pas à ce qu’elles énoncent. Le droit pénal international des affaires témoigne ainsi de cet état de fait « Le “risque pénal”, intégré à l’ensemble des risques du métier, et moralement toléré, n’entraîne pas l’effet de stigmatisation qui caractérise la criminalité “de droit commun”. Juridiquement, cette tolérance se traduit par la place donnée aux mécanismes d’autorégulation (soft law), tels que les codes de conduite ou les procédures d’évaluation par les pairs (peer evaluation), supposés plus efficaces parce que mieux acceptés par les acteurs économiques, qui gardent ainsi la maîtrise de leur mise en œuvre », M. DELMASMARTY, « Aplanir le terrain de jeu », Revue de science criminelle 2005, p. 535.
443 En effet, « sans enfreindre la légalité, des acteurs peuvent susciter, par leur comportement, la réprobation chez les autres acteurs : dans une société où l’image et la marque sont particulièrement importantes, les “effets de réputation” tiennent un rôle bien souvent supérieur aux sanctions judiciaires », C. MARTINAND, « Une passerelle entre le droit, la régulation et la gouvernance. L’exemple de la charte des services publics locaux », in G. CLAMOUR et M. UBAUD-BERGERON (Dir.), Contrats publics. Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Guibal, Volume II, Montpellier, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, coll. Mélanges, 2006, p. 593.
444 Définie assez généralement comme une « garantie du respect et de la validité de la norme (offerte) par le système juridique. Cette garantie est constituée d’une série d’attributs attachés à la norme : assortie de contrainte, sanctionnable, contestable, mobilisable par le juge – d’office ? au fondement de sa décision ? au soutien de sa motivation ? – opposable, invocable par les justiciables. Ce ne sont pas là des caractères inhérents à toute norme juridique, mais seulement des attributs qui lui sont attachés par le système juridique ». C. THIBIERGE, La force normative. Naissance d’un concept, op. cit., p. 823.
445 C. TEITGEN-COLLY, « Sanctions administratives et autorités administratives indépendantes », L.P.A. 1990, p. 28. Voir aussi : T. TUOT, « Quel avenir pour le pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes ? Les organismes de régulation économique », A.J.D.A 2001, p. 135.
446 C. THIBIERGE, La force normative. Naissance d’un concept, op. cit., p. 835.
447 H.ISAR, « Déontologie de l’entreprise et communication audiovisuelle », in J.-L ; BERGEL (Dir.), Droit et déontologies professionnelles, Aix-en-Provence, Librairie de l’Université, coll. Ethique et déontologie, 1997, p. 224, cité par M. COLLET, Le contrôle juridictionnel des actes des autorités administratives indépendantes, op. cit., p. 190.
448 Voir notamment : A. de LAUBADERE, « L’administration concertée », in Mélanges STASSINOPOULOS, Paris, L.G.D.J., 1974, p. 411 ; Ch.-A. MORAND, « La contractualisation corporatiste de la formation et de la mise en œuvre du droit », in Ch.-A. MORAND (Dir.), L’Etat propulsif, Paris, 1991, p. 181 ; M. HECQUARD-THERON, « La contractualisation des actions et des moyens publics d’intervention », A.J.D.A., 1993, p. 451 ; L. RICHER, « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », A.J.D.A. 2003, p. 973.
449 J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, L.G.D.J., Coll. Droit et société - Série politique, vol. 35, 2ème éd., 2004, p. 118.
450 L. BOY, « Normes », R.I.D.E. 1998, p. 137.
451 C. MARTINAND, « Une passerelle entre le droit, la régulation et la gouvernance. L’exemple de la charte des services publics locaux », op. cit., p. 587. Les chartes de fonctionnement des E.P.C.I. révèlent le même objectif en permettant « d’associer les communes à la définition des politiques communautaires [qui] se traduit par l’intervention directe des communes dans les processus décisionnels ou par l’affirmation de principes encadrant l’action des E.P.C.I. », A. TOUZET, « Les chartes de fonctionnement des EPCI : un pouvoir d’auto-organisation conforté », A.J.D.A. 2006, no 9, p. 484 et s.
452 La doctrine note en effet qu’« affirmer que la charte est un acte unilatéral signifierait qu’elle résulte d’une manifestation unilatérale de volonté. Mais le consensus ou tout au moins l’apparence de consensus qui entoure l’élaboration d’un charte, permettant ainsi à chacun de s’affirmer comme l’auteur du texte, conduit à définir la charte comme le résultat d’un compromis, le fruit d’une conciliation, l’aboutissement d’une négociation. Il s’agirait en quelque sorte d’un acte unilatéral négocié », V. BLEHAUT-DUBOIS, « À l’“école des chartes” », A.J.D.A. 2004, p. 2433.
453 Voir F. CAFAGGI, « Le rôle des acteurs privés dans les processus de régulation : participation, autorégulation et régulation privée », R.F.A.P. 2004-1, no 109, p. 23.
454 Créée par la loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, J.O.R.F. 17 août 2004, p. 14598.
455 A noter que cette labellisation, sauf erreur de notre part, ne figure ni dans la loi no 2004-810 du 13 aout 2004, ni dans le décret no 2004-1139 du 27 octobre 2004. Tout au plus, l’article L. 161-37 §2 du Code de la sécurité sociale dispose que l’autorité peut « élaborer les guides de bon usage des soins ou les recommandations de bonne pratique, procéder à leur diffusion et contribuer à l’information des professionnels de santé et du public dans ces domaines, sans préjudice des mesures prises par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans le cadre de ses missions de sécurité sanitaire ».
456 Cette méthode est livrée aux personnes concernées sur le site internet de l’autorité : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_5233/recommandations-de-bonne-pratique ?cid=c_5233.
457 Leur objectif affiché est ainsi « d’informer les professionnels de santé et les patients et usagers du système de santé sur l’état de l’art et les données acquises de la science afin d’améliorer la prise en charge et la qualité des soins ». Nous insistons ici sur le fait que cette coexistence ne signifie pas réellement coïncidence. En effet, tout comme les instruments juridiques classiques peuvent parfois reprendre en leur sein une norme technique par une intégration, les instruments souples peuvent parfaitement aussi receler cette « adaptation à des fins directives de normes scientifiques » (voir supra). Il suffit d’examiner certaines recommandations adoptées en vertu de cette méthode pour s’en convaincre qui témoignent en réalité de ces deux approches de la norme. Par exemple, les recommandations de bonne pratique relatives à la « protection personnelle antivectorielle » initiées par la Société de médecine des voyages et la Société française de parasitologie, labélisées par la H.A.S., sont de nature parfois fort différente. Il s’agit ainsi d’un côté de recommander un comportement au regard de certaines données et acquis de la science : « En raison de leur durée d’efficacité en général inférieure à 20 minutes vis-à-vis des principaux vecteurs et des risques allergiques photosensibilisant reconnus, il est fortement recommandé de ne pas utiliser des huiles essentielles comme répulsif cutané ». D’un autre côté, il s’agit en revanche de recommander un modèle de comportement sans lien réel avec un quelconque état de l’art ou de connaissances : « il est fortement recommandé que les firmes proposant des vêtements et tissus imprégnés [de répulsif] indiquent les arthropodes ciblés et la durée d’efficacité de l’imprégnation ». Voir le site internet de la société de médicine des voyages : http://www.medecine-voyages.fr/detail_document.php5?id=188.
458 J. HABERMAS, Droit et démocratie, cité par L. BOY, « Normes », op. cit., p. 135.
459 M. FOUCAULT, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 65.
460 M. FOUCAULT, L’ordre du discours, Paris, Flammarion, coll. N.R.F., 1971, p. 12.
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