Conclusion générale
p. 602-606
Texte intégral
1« Le peu pose au Droit des questions immenses » affirmait Jean Carbonnier1748. Cette thèse aura probablement permis d’en offrir une nouvelle illustration. Le travail, vocable peu maîtrisé, peu délimité, peu défini par le droit positif, en constitue un exemple topique. Cette impression d’imprécision enveloppant la notion, a naturellement constitué une source de difficultés non négligeable. Elle a toujours imposé d’évoluer dans la sphère de la supposition, de l’hypothétique, de l’incertain. Pour autant, c’est ce même constat qui a justement suscité la curiosité et constitué le point de départ de cette recherche. Elle en a guidé le sujet, légitimé l’intérêt et autorisé une certaine liberté quant à sa conclusion.
Une définition juridique du travail.
2La présente étude aura eu pour ambition de clarifier la manière dont le droit traite le travail, en s’intéressant aux sens, aux représentations, aux frontières que celui-ci lui attribue. La première partie de cette thèse s’est donnée pour objectif de proposer une définition juridique du travail, en tant que terme générique, d’en dresser un portrait le plus pertinent possible, combinant représentations actuelle et prospective. Il convenait de s’intéresser à ce qui rassemble les différentes formes que cette activité peut prendre, ce qu’elles ont de commun, ce qui les unit au-delà de leurs particularités propres. Cette recherche a elle-même supposé deux étapes.
3Il a d’abord été nécessaire d’identifier la conception juridique du travail telle qu’elle se présente actuellement, pour en cerner plus finement les contours. Il s’agissait, ce faisant, de délimiter les formes de travail saisies par le droit. Les conclusions suivantes se sont rapidement imposées : au sein du droit positif, une définition du travail en tant que notion générique semble introuvable. Les définitions liées au travail se trouvent limitées à certaines de ses formes : au travail salarié et dans une moindre mesure, au travail indépendant. Tout en observant qu’au sein même de ces définitions, ce n’est jamais l’activité de travail qui est définie, mais les adjectifs qui lui sont associés. Le droit positif ne paraît retenir une approche globale de ce terme et ne l’envisager en tant que tel, et au-delà de ses formes particulières, seulement dans de rares cas. Le travail est en outre, d'un point de vue juridique, presque toujours analysé au regard d’une autre notion qui lui est voisine, celle d’emploi.
4C’est par une observation précise des textes et des décisions de jurisprudence, qu’il a été possible de confirmer que le droit use principalement du terme « travail » pour qualifier des activités accomplies en vue d'obtenir une rémunération. Ce n’est que ponctuellement que celui-ci désigne par ce vocable une activité gratuite ; cette tendance est essentiellement visible en droit de la Sécurité sociale.
5Il convenait ensuite de s’inscrire dans une démarche prospective, en délimitant quelles formes de travail pourraient plus justement être saisies par le droit en tant que travail. Pour ce faire, nous proposons une définition du travail qui rompt assez nettement avec l’approche juridique actuelle, puisque suffisamment large pour inclure dans son champ des formes de travail ayant une finalité non marchande ; ceci en vue d’orienter plus nettement le droit positif dans le sens d’une approche globale afin que celui-ci traite du « travail », notion générique, et non plus simplement du travail professionnel, salarié ou indépendant, notions particulières.
6La définition du travail que nous proposons repose sur l’association de deux critères : le travail s’exerce toujours dans un lien d’obligation, que cette obligation soit volontairement souscrite ou légalement imposée. Le travail désigne également une activité socialement utile. Il présente une utilité pour celui qui la réalise, mais aussi pour d’autres et pour la société dans son ensemble qui va, de manière plus ou moins visible, toujours bénéficier de cette prestation.
7La finalité d’une telle démarche, ici purement théorique, doit s’analyser au regard de ses enjeux pratiques, notamment la protection de la personne qui travaille. Élargir les contours de la catégorie juridique « travail » a pour objectif principal qu’un plus grand nombre d’individus soit considéré comme étant en situation de travail et protégé à ce titre par le droit.
Une protection de la personne du fait de son travail.
8La seconde partie de cette thèse s’est intéressée à la question du statut accordé au travail, en jaugeant l’étendue du lien entre travail et protection. Il s’agissait de préciser les enjeux liés à l’élaboration d’une définition juridique du travail.
9Il a été démontré un lien de corrélation et une relation significative entre la reconnaissance par le droit positif de l’activité en tant que travail (hypothèse qui concerne principalement les activités réalisées dans une finalité lucrative) et l’accès aux protections pour la personne qui l’accomplit. Plus précisément, c’est lorsque le droit positif envisage l’activité comme étant du travail, et donc a fortiori la personne qui l’accomplit comme un travailleur, que celle-ci est protégée du fait de son travail (le travail salarié, le travail indépendant, le travail dans la Fonction publique). Confirmant cette hypothèse, on observe qu’une faible protection juridique est assurée aux personnes exerçant des activités généralement non considérées comme du travail par le droit (le travail au foyer, le travail bénévole).
10L’exemple du travail volontaire est à ce propos atypique puisqu’il est l’un des seuls cas où le droit, sans qualifier l’activité en tant que « travail », assure néanmoins certaines protections à la personne qui exerce cette prestation (une couverture sociale complète notamment). Ce qui conduit en un sens, à défaut de considérer directement l’activité comme du « travail », à la traiter partiellement comme tel. Le niveau de protection assuré à ces travailleurs est cependant bien loin de celui accordé en cas d’emploi salarié.
11Il est dès lors possible d’affirmer que certaines formes de travail seulement conduisent au statut juridique, de surcroît à des statuts pouvant être très différents. La reconnaissance par l’ensemble du droit positif de l’activité en tant que « travail » semble constituer un préalable souvent indispensable pour que la personne puisse bénéficier de protections du fait de son travail.
12Par conséquent, la proposition d'un élargissement de la catégorie juridique « travail » a pour ambition d’octroyer une protection à toutes les personnes se trouvant en situation de travail et de les protéger à ce titre. Il s’agit de raviver le lien entre « l’exercice d’un travail » et « la protection de la personne » grâce à son travail. L’objectif principal est donc de donner une pleine résonance et un « effet total » à la notion juridique de travail.
13Ceci suppose également de faire émerger une protection juridique davantage harmonisée pour éviter de trop grandes disparités parmi les travailleurs. Il n’est cependant pas question par ce biais d’appliquer l’ensemble du droit du travail aux différentes relations de travail. Il semble nécessaire de se diriger plus nettement vers une protection de la personne qui travaille, tout en maintenant certains droits distincts attribués en fonction de la forme de travail.
14Pour aller plus loin dans cette recherche, il serait probablement opportun de replacer la définition proposée dans le cadre de cette étude au sein des principes les plus essentiels qui utilisent ou traitent de cette notion, et analyser les conséquences pratiques qu’un tel élargissement du vocable « travail » supposerait. C’est ainsi que la « liberté du travail », le « droit au travail », « le devoir de travailler », le maniement du « temps de travail » auraient un tout autre écho, une ampleur bien plus grande. La notion de « travailleur » devrait elle aussi être repensée.
15Concernant la « liberté du travail », celle-ci serait plus effective, puisque chaque individu pourrait véritablement accomplir le travail de son choix, dans la mesure où des protections seraient uniformément assurées à la personne quel que soit le travail réalisé. Cette dimension présente un intérêt particulier pour la liberté du travail gratuit qui serait ainsi totale, contrairement à la situation actuelle.
16S’agissant du « droit au travail », ce principe trouverait en théorie à s’appliquer à un plus grand nombre d'activités. Cet élément pourrait par exemple justifier que l'État finance les différentes protections accordées aux travailleurs exerçant leur activité à titre gratuit, pour que ceux-ci puissent véritablement jouir d’un droit au travail gratuit, encadré et protégé comme tel. Ceci est déjà le cas pour les travailleurs liés par un contrat de volontariat, mais ce financement pourrait s’étendre plus largement aux travailleurs bénévoles évoluant au sein de structures associatives voire même à certains conjoints au foyer.
17Dans une telle configuration, le « devoir de travailler » serait également considéré comme « rempli » dans des cas plus nombreux. Ce principe s’entendrait du devoir de chacun d’accomplir une activité utile pour la société, que celle-ci soit réalisée, ou non, en vue d’obtenir une rémunération1749. Ce devoir pourrait alors résider dans l’exercice d’un travail, qu’il soit professionnel ou non professionnel. Le sens attribué à la notion d’inactivité serait par conséquent modifié.
18Le décompte du temps de travail devrait aussi être repensé, notamment si le temps de travail domestique - seconde vie de travail accomplie par nombre de salariés - était pris en compte. Cette reconnaissance pourrait induire l’application de mesures visant à combiner d'une meilleure manière ces deux temps, en diminuant le temps de travail dans l’entreprise ou en l’organisant différemment, ou à envisager des temps de repos plus longs.
19Un autre élément semble également essentiel. Si la finalité principale de notre démarche est de réfléchir aux outils juridiques qui permettraient à toutes les personnes d’être protégées grâce à leur travail, pour certaines activités, l’accès au statut doit demeurer au rang de possibilité et non d’obligation. Cette remarque concerne plus particulièrement le travail du conjoint au foyer et certaines activités de bénévolat ou d’entraide effectuées ponctuellement. L’esprit particulier dans lequel ces activités s’exercent rend nécessaire de laisser le choix aux personnes qui le désirent, d’accomplir leur travail hors de la sphère juridique. C’est la nature familiale ou naturellement non institutionnalisée de ce travail qui l'impose. Si tout travail mérite statut et que tout travailleur doit pouvoir avoir accès à un certain nombre de droits, il n'est pas obligatoire que le droit s’immisce sur tous les territoires où le travail s’exprime. Pour certaines activités de travail seulement, il doit s’agir d’une possibilité. Ceci constitue un autre aspect de la liberté du travail.
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