Titre 1. Les régimes juridiques résultant de l’exercice d’un travail
p. 342-476
Texte intégral
1L’intérêt d’une définition juridique de la notion de travail, possédant de surcroît des frontières élargies, serait de faire bénéficier d’une protection juridique satisfaisante un nombre croissant de travailleurs. Ceci suppose d’adhérer au préalable à l’hypothèse selon laquelle travail et statut coïncident, si ce n’est totalement, au moins de manière suffisamment significative.
2Avant même de s’intéresser au contenu précis de la protection juridique qui pourrait être accordée à chaque personne se trouvant en situation de travail (et non seulement d’emploi), il convient d’analyser la manière dont le lien entre ces deux notions semble s’être construit, juridiquement et socialement. Cette analyse permettra de confirmer que si liaison entre travail et statut il y a, elle ne concerne en réalité que le seul travail rémunéré, le plus souvent salarié. La solidité de cette relation ne semble assurée qu’en cas de travail professionnel. Ceci signifie que certaines formes de travail ne conduisent pas le travailleur à un statut, ni à aucune protection.
3Tout travail doit-il obligatoirement mener à un statut ? Est-il systématiquement nécessaire de rechercher l’association entre ces deux notions, particulièrement au regard de formes de travail qui n’en sont pas dotées ? Si le statut a principalement pour vocation de protéger l’individu, il a également pour effet d’encadrer juridiquement une activité. Ce principe se heurte naturellement à l’environnement et à l’esprit de certaines formes de travail (Chapitre 1).
4Dans un second temps, après avoir jaugé l’automaticité du lien entre travail et statut, solide uniquement lorsque l’activité est accomplie contre une rémunération, il faudra s’interroger de manière plus précise sur les critères qui permettent de déclencher effectivement l’application d’un statut. Nous analyserons les critères retenus par le droit positif, ce qui nous permettra de constater qu’il existe une gradation significative entre le degré de dépendance du travailleur, et l’ampleur des protections juridiques qui lui sont accordées. Il sera par la suite opportun de s’intéresser aux critères actuellement en réflexion ou en construction (Chapitre 2).
Chapitre 1. Tout travail mérite-t-il statut ?
5Se demander si tout travail « mérite » statut nécessite de préciser préalablement dans quel sens les termes susvisés sont utilisés, afin d’éviter toute confusion. Le verbe « mériter » n’évoque pas ici l’idée de récompense, comme dans le célèbre adage « tout travail mérite salaire », impliquant que tout labeur, tout effort, induise nécessairement une compensation monétaire. Il s’agit davantage de se demander si, et dans quelle mesure, le travail permet d’accéder à un statut complet ou au moins à un minimum de garanties protectrices.
6Il conviendra d’abord d’étudier la construction du lien qui semble s’être établi entre les notions de « travail » - dans le sens où le droit la conçoit - et de « statut(s) », puis d’analyser comment et pourquoi celui-ci s’est progressivement tissé. Si la liaison entre ces deux notions s’avère relativement stable et demeure « acquise » pour le travail salarié notamment, l’on verra que pour certaines formes de travail, ce lien s’avère bien plus fragile. Pour cette raison, il sera nécessaire d’opérer une distinction entre le travail synonyme d’emploi et celui ne répondant pas à cette définition. Par ailleurs, ce lien est indirectement remis en cause au regard de l’intensité et de la teneur des garanties que le statut assure, s’agissant notamment de certains salariés pour lesquels les protections s’amenuisent de manière préoccupante. Aussi, si le travail reconnu comme tel par le droit mène de manière assez sûre à une protection, il ne mène pas toujours à une protection juridique suffisante (Section 1).
7Une fois ce lien envisagé, il faudra se demander s’il est toujours « opportun », dans le sens « adapté », d’associer travail et statut, particulièrement au regard de formes de travail non professionnelles qui n’en sont pas naturellement dotées. En effet, est-il toujours « utile » pour chaque forme de travail, en raison des atypismes ou des spécificités qu’elles supposent, d’être encadrée par un statut de droit ? Notre réflexion s’articulera autour du travail gratuit associatif, puis du travail domestique et familial effectué par l’un des membres du couple au sein du foyer (Section 2).
Section 1. Travail et statut : un lien irrégulièrement tissé
8S’intéresser à la notion de travail, au-delà de la délimitation de ses frontières, implique d’analyser les conséquences, d’un point de vue juridique, que cette qualification suppose. L’une d’elles se matérialise dans le concept de statut professionnel, censé découler et encadrer son exercice. Un lien étroit semble s’être forgé entre l’exercice du « travail » juridiquement reconnu (seulement celui-ci), et l’accès à un « statut », ou pour être tout à fait exact, entre la possession d’un emploi et l’accès à un statut professionnel, l’un constituant la « continuité » logique de l’autre, une conséquence légitimement attendue par le travailleur.
9Avant de rechercher les critères permettant de déclencher l’application d’un statut, il convient de se focaliser sur les justifications, ainsi que sur la construction sociale et juridique d’une telle union en se demandant pourquoi, mais surtout dans quelle mesure, l’exercice d’un travail peut effectivement conduire à un statut de droit. Nous analyserons, et ceci constituera l’objet principal de cette section, comment ce lien s’est tissé, en tant que tel.
10Il sera nécessaire d’évoquer préalablement le concept polysémique de statut (§1), puis les fonctions que le statut permet de remplir vis-à-vis de la personne du travailleur, notamment en terme de reconnaissance collective, de valorisation, de protection et d’intégration sociale (§2). Enfin, l’on évoquera des notions qui lui sont voisines, celles d’état et de condition (§3).
§1 - Un lien plus significatif entre statut et emploi
11La notion de statut évoque plusieurs définitions (I). Au-delà de sa délimitation, ce vocable doit être entrevu au regard des liens qu’il entretient avec celui de travail afin d’analyser en quoi ces notions sont juridiquement et socialement liées. En outre, participant de l’étude de cette union entre travail et statut, l’on insistera sur le rôle essentiel que tient le droit dans la fondation de ce lien et dans quelle mesure celui-ci constitue un instrument indispensable de médiation entre eux (II).
I - La notion de statut
12Le mot « statut » est polysémique. Dans un sens général, il désigne « soit un ensemble de règles établies par la loi, soit la condition juridique qui en résulte pour une personne, une catégorie de personnes ou une institution »1002. De façon plus précise, il évoque un « ensemble cohérent de règles applicables à une catégorie de personnes (statut des gens mariés) ou d’agents (statut des fonctionnaires) ou à une institution (statut des collectivités locales) et qui en déterminent, pour l’essentiel, la condition et le régime juridiques »1003. De manière plus ancienne, ce terme fait référence à « l’acte qui établit une règle »1004.
13Selon le Professeur Christian Garbar, le statut doit se délimiter de la manière suivante : « dans son sens le plus large, il désigne un ensemble de règles juridiques applicables à des personnels déterminés, et il est synonyme dans ce sens générique, de condition juridique ou de régime juridique, alors que dans son sens le plus étroit, il ne désigne que les seules règles unilatérales (législatives et réglementaires), et ce par opposition aux règles contenues dans des actes bilatéraux (conventions collectives) »1005. De plus, le mot « statut » pris au pluriel a un sens différent, puisque « les statuts » évoquent l’« ensemble des dispositions constitutives d’un être moral »1006 (par exemple, les statuts d’une société ou d’une association).
14L’ensemble de ces définitions suggère plusieurs dimensions. En premier lieu, le statut a un rôle général de réglementation, d’encadrement. Tout d’abord d’une activité, et dans ce cas il est synonyme de cadre juridique, de norme permettant de gouverner l’exercice d’une prestation spécifique. Il évoque par exemple le statut professionnel salarial, des magistrats, celui de la Fonction publique, ou encore, le statut non professionnel des travailleurs volontaires. Ensuite, il peut réglementer une situation particulière (le fait d’être marié, parent), et dans ce cas il est davantage fait référence à un état, à une condition civile, en somme, au statut personnel de l’individu. En outre, mais cela est lié, il évoque les droits et les devoirs octroyés à un personnel, à des agents ou à une institution déterminés en vue de leur assurer une condition juridique analogue. En cela, le statut « exclut »1007, distingue, car il s’adresse à une catégorie particulière se trouvant dans une situation spécifique et relevant d’un cadre juridique propre.
15En second lieu, cette notion sous-tend un ensemble de droits et de devoirs non négociable issu de la loi et du règlement. Elle évoque une réglementation unilatéralement fixée, par opposition à celle découlant d’un contrat : « celui-ci (le contrat) postule, tandis que celui-là (le statut) exclut la volonté des sujets de droit dans la définition des liens qui les unissent »1008. Cette distinction met en avant la dimension collective et objective du statut, issu de normes unilatéralement établies et applicables à un ensemble, à une collectivité particulière1009. Au contraire, le contrat suggère une situation individuelle et subjective, une réglementation forgée sous l’angle de la liberté contractuelle, pouvant varier en fonction du contrat conclu et des parties liées. Le statut implique un ensemble de droits et d’obligations qui s’impose aux parties, a contrario du contrat qui suppose un accord individuel de volontés.
16À cet égard, un auteur précise qu’« il y a dans l’idée de statut, caractéristique du droit public, l’idée de définition objective d’une situation échappant au jeu des volontés individuelles. J’entre dans un statut ou je n’y rentre pas, mais en toute hypothèse la définition du cadre statutaire ne m’appartient pas »1010. Cette définition du mot « statut » peut justifier certaines frilosités dans l’évocation d’un « statut » salarial, puisque ce dernier est en partie forgé par des dispositions insérées dans le contrat de travail1011. Ce « statut-là » n’est pas totalement identique à celui évoqué dans le cadre de la Fonction publique.
17Cette opposition définitionnelle entre statut et contrat fait inévitablement écho à celle qui existe entre les théories institutionnelle et contractuelle. Elle suppose d’en rappeler brièvement la teneur en vue de mettre en lumière, par ce biais, certains des traits permettant de caractériser plus finement la notion de statut.
18La « confrontation » du statut et du contrat évoque l’opposition entre deux cultures juridiques - germanique et romaniste - l’une fondant la relation de travail sur un acte juridique, la conclusion d’un contrat, et l’autre sur un fait, l’intégration personnelle du travailleur dans l’établissement patronal1012. Dans ce cadre, contrat et statut répondent d’une opposition totale, impliquant une manière profondément différente d’entrevoir la relation de travail. Dans un cas, elle est principalement appréhendée sous l’angle d’un échange contractuel et économique, dans le cadre d’un rapport homme/chose, régi par le droit des obligations. Dans l’autre, c’est l’appartenance et l’intégration personnelle du travailleur à une communauté qui engendre la relation de travail1013. Ce sont les rapports entre les personnes fondant la collectivité de travail qui prédominent ici, et qui supplantent l’idée d’échange marchand, comme caractéristique essentielle de la relation de travail. De plus, au sein de la logique contractuelle, les droits et obligations garantis au travailleur naissent et sont issus d’un contrat, alors que selon la logique statutaire, c’est la communauté elle-même qui est entrevue comme une « source vivante du droit »1014.
19Selon la théorie germanique prise dans son acception la plus extrême, répondant alors d’une logique purement statutaire, la relation juridique de travail se créée par l’intégration personnelle du travailleur dans l’établissement patronal. Par cette seule insertion, le salarié appartient à la collectivité de travail et acquiert le statut de membre de cette communauté. C’est de l’intégration du travailleur, de son appartenance à l’institution que la relation de travail va naître, débuter et se développer. Le statut de l’établissement est alors appliqué au travailleur par sa seule intégration physique dans l’entreprise. Il entre ainsi en relation de travail, sous le sceau d’un rapport communautaire et des liens personnels (et non contractuels) qui l’unissent au reste des membres de l’entreprise.
20Une fois intégré dans la « société professionnelle »1015, et en tant que membre de celle-ci, le travailleur jouit d’un statut objectif et collectif s’appliquant à l’établissement dans son ensemble, à la communauté organisée. Ainsi, « la condition du travailleur est régie par le droit de la communauté de travail »1016, cette dernière remarque confirmant une nouvelle fois la dimension collective, objective, unilatérale et non négociable que la notion de statut, et que toute relation statutaire supposent. Par conséquent, « (...) soumettre les rapports entre employeurs et salariés à la loi de l’établissement, permet de substituer à un droit subjectif un pur statut de droit objectif »1017. C’est d’ailleurs cette dimension essentielle qui irrigue la logique statutaire. « C’est cette appartenance de fait à l’entreprise qui est la véritable source de la relation juridique de travail, c’est elle qui lui confère le statut de membre de cette communauté. Le travailleur salarié se trouve dans une position statutaire et non pas contractuelle. Ce statut confère un ensemble de droits et d’obligations, dont la teneur dépend de la fonction qu’occupe le travailleur au sein de la communauté »1018.
21À la source de ces deux théories, l’opposition conceptuelle entre contrat et statut était patente et particulièrement tranchée, puisque l’un « chassait » l’autre et que ces deux vocables ne se confondaient pas, ou peu. À cet égard, les propos de Paul Durand sont particulièrement révélateurs, « métaphorisant » sur le fait que « plus le statut légal prend de la place et plus le contrat recule »1019. Le champ de l’un exclut par conséquent celui de l’autre, et il n’y a - du moins pas à cette époque - aucun rapprochement possible entre ces deux théories.
22Cette confrontation est aujourd’hui tempérée pour aboutir à une jonction dans le cadre du droit français, notamment visible dans la manière dont celui-ci appréhende la relation de travail salarié. Dans le système juridique qui est le nôtre, les notions de contrat et de statut évoquent toujours, dans une certaine mesure, ces mêmes données, mais de façon beaucoup moins tranchée. En effet, la relation de travail en droit du travail français, au même titre que celui issu de nombreux régimes juridiques voisins, repose comme l’observe le Professeur Alain Supiot, sur l’insertion d’un statut (salarié) dans un contrat (le contrat de travail). Le contrat de travail apparaît d’ailleurs comme un savant mélange entre ces deux conceptions : « la notion de contrat peut donc rester dans un tel système la pierre angulaire de la définition juridique de la relation de travail, puisque ce contrat « incorpore » en quelque manière une bonne partie du dispositif légal qui forme le droit du travail »1020. Par conséquent, la notion de « statut » salarial, sous couvert que cette qualification usuellement utilisée soit réellement appropriée, ne revêt pas tout à fait le même sens que lorsqu’il est question d’évoquer le « statut » des fonctionnaires. Même si les deux expressions sont couramment usitées (notamment par le droit), dans le premier cas, cette notion a un sens plus large, s’éloignant de la définition avancée par le droit public. Dans le second cas, la notion de statut évoque une définition plus « classique ».
23Il convient désormais d’évoquer le rôle central que tient le droit dans la constitution de ce lien. Il s’agit spécialement de se demander comment ce « médiateur », par définition indispensable, permet de créer une connexion entre deux notions, l’une – le statut – qui constitue la conséquence juridique voire la cause de l’autre – le travail.
II - Le droit comme instrument indispensable de médiation entre travail et statut
24Travail et statut sont liés. Pour autant, si le lien entre ces deux notions est relativement stable, l’exercice d’un travail ne conduit pas automatiquement à un statut. La connexion entre ces deux termes suppose, en effet, l’intervention du droit. Cette « nécessaire » intrusion s’illustre à plusieurs niveaux. D’abord, la notion de statut étant « naturellement » irriguée par celle de réglementation, le droit est par définition amené à jouer un rôle essentiel, et sera nécessairement appelé à intervenir. Il constitue, de ce fait, un instrument indispensable en vue d’établir la connexion entre l’exercice d’un travail et le bénéfice d’un statut juridique.
25Ensuite, « l’impact » de cette immixtion s’illustre au niveau de la qualification juridique de l’activité elle-même. Il apparaît que le lien entre travail et statut est plus ou moins certain selon que cette activité est juridiquement reconnue ou non, comme étant du travail. Au-delà d’être « l’instrument » permettant de joindre ces deux notions, le droit joue un rôle primordial en amont, selon qu’il hisse ou non l’activité au rang de travail. La jonction est ainsi non seulement assurée par le droit, mais elle est également permise par lui, en fonction de la qualification donnée à l’activité.
26Une distinction doit dès lors être faite entre le travail présentant les mêmes traits que l’activité professionnelle et celui qui ne correspond pas à cette définition, le « travail non professionnel ». Dans le premier cas, l’accès à un statut est une composante essentielle du travail, une conséquence juridique relativement sûre, voire la finalité principale de son exercice (A). Dans le second, l’accès au statut est moins certain (B).
A - La stabilité du lien entre le travail reconnu par le droit et l’accès à un statut professionnel
27Si le droit permet d’assurer le lien entre l’exercice d’un travail et le bénéfice d’un statut, ceci suppose qu’au préalable l’activité soit « reconnue » et prise en compte par le droit. Sans cela, la « connexion » ne peut être établie. Cette reconnaissance juridique s’entend d’un double point de vue. Il convient premièrement que l’activité soit dans son existence, reconnue en tant que telle, que le droit y fasse référence et ne l’écarte pas complètement de la sphère juridique. Cette étape n’est pas toujours suffisante. Pour mener plus sûrement au statut, le droit doit aussi désigner cette activité par le terme de « travail ».
28Lorsque l’activité est captée par le droit et hissée au rang de « travail », ceci aura pour conséquence juridique essentielle de garantir à la personne l’exerçant un statut professionnel. Dans ce cas, le lien entre travail (professionnel) et statut semble automatique. Celui-ci se présente comme une contrepartie « obligatoire », comme l’une des finalités essentielles de son exercice. Les deux notions sont alors juridiquement liées, et l’un ne va en principe pas sans l’autre1021. D’ailleurs, c’est bien ce que le Professeur Christian Garbar laisse entendre lorsqu’il s’interroge sur l’opportunité de créer un statut (professionnel) de l’élu. Il précise « (...) si la fonction élective est considérée par le droit comme une activité professionnelle, ce qui amène ipso facto à se demander si, en tant que telle, elle est régie par un statut »1022. Vu sous cet angle, le statut apparaît comme le corollaire de toute activité professionnelle, et donc bien souvent, de toute activité juridiquement reconnue comme étant du travail. Un constat identique pourrait être fait à l’égard du statut du conjoint du chef d’entreprise. C’est parce que le droit reconnaît là l’existence d’un travail, qu’il impose au conjoint participant à l’entreprise familiale de choisir un statut professionnel. D’ailleurs, la loi évoque bien le terme de personne « travaillant »1023 ou accomplissant une « activité professionnelle » dans l’entreprise de son conjoint1024.
29Sans trop d’hésitation, pourrions-nous énoncer que l’activité professionnelle mène de façon relativement certaine à un statut. Que celui-ci soit salarié, et dans ce cas le travailleur accède au statut protecteur du salariat, ou que celui-ci soit indépendant et dans ce cadre, à défaut d’accéder à un véritable statut professionnel, la personne jouit d’un ensemble hybride de règles plus ou moins protectrices, issues de disciplines juridiques diverses1025. Ce constat s’illustre également en cas de travail effectué dans la Fonction publique. En revanche, la question de la solidité du lien entre travail et statut est plus délicate et incertaine lorsque l’activité n’est pas juridiquement reconnue comme étant du travail.
B - La fragilité du lien entre travail non reconnu par le droit et statut
30Il est nécessaire de distinguer plusieurs cas de figure. Lorsque l’activité est « oubliée » par le droit, qu’elle n’est prise en compte par celui-ci que de manière très limitée, le statut est absent et se trouve complètement délié du travail. Il en va différemment du « sort » réservé à l’activité non constitutive d’un « travail » pour le droit, mais à laquelle est cependant associée une réglementation. Dans cette situation, à défaut de mener à un statut professionnel, le travail permet à l’individu d’être encadré dans son activité, voire de bénéficier d’un ensemble de dispositions protectrices.
1 - Le travail (presque) « invisible » pour le droit social
31Deux exemples précis retiennent notre attention : le travail bénévole et celui du conjoint au loyer. Concernant le bénévolat, ce dernier, non juridiquement reconnu comme étant du travail, est presque « oublié » par le droit social. Même si quelques mesures parcellaires et dispersées se font jour – certes, de façon de plus en plus marquée - attestant que cette activité éveille lentement l’intérêt du législateur, il est encore difficile de parler de « statut » s’agissant de cette activité.
32L’exemple du travail du conjoint au foyer mène peu ou prou à la même analyse. À l’instar du bénévolat, cette activité n’est nullement considérée d’un point de vue du droit, comme du travail. Au sein même de la discipline juridique, celle-ci est également quasi invisible en tant que telle, même si une timide prise en compte est vérifiable une nouvelle fois en droit de la sécurité sociale. Dans ce cas, le conjoint au foyer jouit d’un statut – d’ayant droit – qui lui assure une couverture sociale quasi complète, non en raison de son activité ou de son travail, mais seulement en vertu de sa condition de « conjoint » d’une personne qui exerce elle-même une activité professionnelle.
2 - Le travail juridiquement encadré mais non qualifié comme tel par le droit
33Dans ce cas, la problématique soulevée est un peu différente de celle entrevue précédemment. Sans être qualifiées par le droit de « travail », car ne s’apparentant pas à une activité professionnelle, ces prestations sont néanmoins prises en compte et réglementées par celui-ci. Ceci démontre que le « statut » peut parfois coïncider avec certaines formes de travail, pourtant non professionnelles. Tel est le cas pour le travail du volontaire, le travail du religieux, celui du stagiaire1026 ou encore celui de l’élu politique.
34Pour l’activité du travailleur volontaire, il n’est sans doute pas erroné d’affirmer l’existence de véritables statuts juridiques visant à assurer l’encadrement de cette activité gratuite. Différentes lois en témoignent1027. Celles-ci, qui feront l’objet d’une analyse ultérieure, permettent la mise en place de normes visant à gouverner l’exercice de cette activité, mais assurent surtout une condition juridique aux personnes l’exerçant. Un ensemble de droits (particulièrement en matière de protection sociale), mais également de devoirs et d’obligations, est légalement garanti. Dans ce cas, il existe bien un statut, mais un statut non totalement professionnel. La situation juridique du « personnel religieux » est sensiblement la même. Sans être a priori considérée comme une activité professionnelle par le droit, et donc non désignée comme étant du « travail », l’activité des ministres du culte est non seulement reconnue par le droit, mais répond d’une réglementation et d’un encadrement spécifiques. Ce constat est également valable pour le travail de l’élu politique1028. Prenons pour exemple le « statut de l’élu local ». Il existe bien un statut juridique encadrant cette activité, sans pour autant que cette fonction ne soit considérée par le droit comme étant une activité professionnelle. Enfin, la condition juridique du stagiaire implique une analyse analogue. Celui-ci bénéficie d’un « statut » récemment modifié1029, mais le droit n’envisage pas pour pourtant son activité comme du travail.
§2 - Fonctions du statut
35Le statut remplit plusieurs fonctions. La première est évoquée lorsque l’on s’intéresse à l’étymologie même de cette notion. Elle provient du vocable latin « statuere », qui signifie « élever, ériger, dresser, mettre debout »1030. De manière un peu métaphorique, pourrait-on dire que le statut est ce qui permet à l’individu de « tenir debout » et de ne pas « s’écrouler » (I). En sus de remplir cette fonction, l’octroi d’un statut peut également se justifier par une volonté de reconnaître plus spécifiquement l’utilité sociale d’une activité en particulier, notamment lorsque celle-ci n’est pas considérée comme un « travail » d’un point de vue juridique, et que son accès au statut est par conséquent plus hypothétique. Il s’agit dans ce cas de doter la personne de certains droits, telle une « contrepartie », un gage collectivement garanti en raison du bienfait que cette activité procure à l’ensemble de la société (II). Enfin, en assurant un encadrement commun à un ensemble de personnes qui se trouvent dans une situation analogue, le statut participe également de la construction d’une identité collective pour les travailleurs s’y trouvant soumis (III).
I - L’accès aux protections et aux sécurités par le travail
36Le concept de statut permet de matérialiser en quoi, par son travail, l’individu peut accéder à la sécurité et – mais cela est lié – à la propriété. Il peut d’abord avoir accès à la propriété privée, lorsque le salaire obtenu est suffisamment élevé pour acquérir certains biens mobiliers ou immobiliers (A), mais également à la « propriété sociale ». Selon cette analyse, notamment mise en lumière mise par Robert Castel, via son travail, la personne « possède » des droits, accède à un « nouveau type de ressources », à une propriété d’un autre ordre collectivement garantie. Le travail est support de droits sociaux et autorise le travailleur, au même titre qu’un propriétaire, à s’assurer sécurité et protection, non de façon individuelle, mais de manière collective (B).
A - Travail et propriété privée
1 - Le travail : moyen d’accéder à la propriété
37Selon Locke, l’homme devient un « individu » lorsqu’il accède à la propriété privée. La condition de propriétaire lui assure un certain niveau de protection et lui garantit - autant que possible – de ne pas se trouver en situation de dépendance, vis-à-vis d’un autre. Par son patrimoine, la personne acquiert stabilité et indépendance financière. Plus précisément, « l’homme selon Locke est quelqu’un qui s’approprie et transforme la nature par son travail, qui devient ainsi propriétaire et qui, par l’intermédiaire de cette appropriation, devient capable d’exister pour lui-même comme individu, c’est-à-dire de ne dépendre de personne »1031.
38Afin de pouvoir accéder à la propriété privée, gage de sa protection et de sa « liberté », l’homme dispose de plusieurs moyens. La manière la plus classique est d’acquérir directement des biens mobiliers ou immobiliers pour ainsi renflouer son patrimoine, mais également par un processus d’appropriation résultant de l’activité de travail. C’est en cela que la théorie de Locke est novatrice, car il est l’un des premiers à entrevoir l’activité de travail sous cet angle. Il explique que le travail constitue avant tout une activité d’appropriation de la nature, permettant à l’homme de posséder et d’accéder de facto à l’état de propriétaire, et de s’assurer par son biais protection et indépendance1032.
39Dans cette même lignée, Robert Castel précise que l’homme n’est individu que lorsqu’il est investi de supports. Cette notion est particulièrement intéressante, à plusieurs égards. « Le mot de « support » a au moins pour une part un sens métaphorique ; il fait image, mais il n’est pas à prendre au pied de la lettre dans sa matérialité. On pourrait aussi parler de socle et d’assise. C’est ce qui peut donner consistance à l’individu (...) ». Rapprochant cette théorie de celle de Locke, la propriété privée constitue à l’évidence, l’un de ces supports1033.
40Cela étant, dès la fin du XIXe siècle, même si le « support », « l’assise » permettant de porter l’individu est toujours symbolisé par l’idée de propriété privée, une propriété nouvelle se fait jour, et s’affiche en tant que substitut de la précédente. C’est le travail (l’emploi salarié seulement) – lorsqu’il devient support de droits – qui va permettre à l’individu, au même titre qu’un propriétaire ordinaire, d’être protégé, en dotant la personne de droits sociaux, d’un statut juridique, lui-même forgé par le droit du travail et de la Sécurité sociale. Ce dernier permet au salarié d’accéder à une autre propriété, qui dépasse la simple acquisition de biens1034.
41Dès que le travail est support de droits, en somme, dès qu’il est associé à un statut assurant un minimum de garanties, travail et propriété privée vont « cohabiter » et constituer deux voies différentes en vue d’aboutir à une même finalité. L’un – le travail – se présente comme un substitut de l’autre – la propriété privée – lorsque cette dernière n’est pas accessible. Le travail apparaît comme une solution de « remplacement ». C’est à partir de cette date, correspondant peu ou prou à l’invention de l’emploi salarié, que le statut et le travail deviennent centraux. C’est d’ailleurs lui, en associant travail et sécurité, qui va permettre d’entrevoir « sérieusement » le travail comme un substitut possible, crédible, de la propriété privée.
2 - Le travail : substitut de la propriété privée
42La donne sociale change profondément lorsqu’au travail – à l’emploi - sont associées des protections, et quand le concept de « travail – sécurité » se juxtapose à celui de « propriété privée – sécurité ». Le travail devient un support à part entière, permettant au salarié et à l’homme de tenir debout, de ne pas « flotter ». Le travailleur « (...) se construit des supports à partir de son travail, il est supporté par son travail »1035.
43La protection issue de la propriété privée se juxtapose à celle découlant du travail, qui elle, est synonyme d’une protection sociale et collective, née d’un système assurantiel et non strictement individuel. C’est une « propriété de transfert », « ce n’est certes pas un patrimoine privé dont on dispose à tout instant. Elle résulte de l’inscription dans un système juridique d’obligations qui, en retour, produit des droits et des ressources »1036. Mais l’on relèvera que si la nature de la propriété change, la sécurité et la protection sont toujours connectées à cette idée générale de propriété. Dans un cas, elle repose strictement sur la notion de patrimoine, et dans l’autre, elle se fonde principalement sur la liaison qui existe entre travail et statut, et sur l’insertion de la personne dans des collectifs.
44Par conséquent, le lien entre travail et sécurité, n’est possible et « plausible » que parce que le travail conduit au statut. Ainsi, « la sécurité sociale procède d’une sorte de transfert de propriété par la médiation du travail et sous l’égide de l’Etat. Sécurité et travail vont devenir substantiellement liés parce que, dans une société qui se réorganise autour du salariat, c’est le statut donné au travail qui produit l’homologue moderne des protections traditionnellement assurées par la propriété »1037.
45Dès le XIXe siècle, concomitamment à la création de la société salariale, le travail, par le statut qu’il procure, s’inscrit en tant que solution « salvatrice » pour ceux qui ne pourraient accéder à la propriété privée. On oppose conceptuellement un accès à la sécurité par la propriété privée et un autre par l’exercice d’un travail, d’un emploi. Le concept de propriété sociale se fait jour, et donne une place encore plus centrale au travail, essentiellement en raison du statut qu’il procure.
B - Travail et propriété sociale
46L’union entre travail (salarié) et propriété sociale se forge à partir de l’instant où est rattachée au travail l’idée de sécurité dans et par le travail, et lorsque celui-ci est inséré dans des systèmes de protections collectivement garanties. Cette étape correspond au moment où est accroché au travail un statut professionnel, lui même forgé sur la double branche : droit du travail, droit de la Sécurité sociale1038. Ce concept se construit dès la fin du XIXe siècle, et s’affirme pleinement au cours du siècle suivant.
47La notion de propriété sociale évoque « (...) la promotion d’une nouvelle forme de propriété (...). La propriété sociale n’est pas la propriété privée, mais c’est une sorte d’analogon de la propriété, qui fait fonction de propriété privée pour les non – propriétaires et qui leur assure la sécurité »1039. L’idée maîtresse ici, est que l’on passe, concomitamment à la création de la société salariale, d’une protection privée liée au patrimoine que chacun détient personnellement, à une protection collective et sociale forgée sur un système assurantiel que la collectivité des travailleurs enrichit par des cotisations et dont chaque individu peut personnellement profiter parce qu’il exerce un travail (un emploi salarié). C’est pourquoi, « la solution qui s’esquisse à la fin du 19e siècle opère un retournement du paradigme du social. Au lieu de tenter d’assister les victimes des situations les plus dégradées, il va s’agir d’attacher de la sécurité au travail lui-même ; imposer un dispositif nouveau par lequel le travailleur ne travaille pas seulement pour acquérir un salaire qui lui permet de vivre ou plutôt de survivre, mais grâce auquel il œuvre aussi pour se construire un droit à la sécurité. Une part socialisée de son salaire, capitalisée sous la forme de droits sociaux, promeut un déplacement du fondement de la sécurité....Mais pour la « classe non propriétaire », la propriété sociale va constituer une institution nouvelle, homologue à cette propriété privée dont elle manque, afin de fonder sa sécurité sur son travail »1040.
48Le statut « métamorphose » le travail en lui donnant un visage « plus humain ». Il « transforme » également le travailleur qui accède ainsi à une condition de « propriétaire ». Il lui procure une dignité1041 et lui confère une place sociétale absolument centrale. En vertu du couplage travail - sécurité, matérialisé et rendu possible par le statut, le travailleur est protégé dans son travail (droit du travail) mais également par son travail (Sécurité sociale). Il est doté de supports, d’une « consistance sociale ». Pour en revenir à l’étymologie du mot « statut », le travailleur « tient debout »1042.
49L’on relèvera qu’au départ, lorsque ce mouvement visant à associer « dignité sociale » et « exercice d’un travail » apparaît, celui-ci ne concerne que le travail synonyme de métier. Plus précisément, avant la Révolution industrielle, le métier permettait de distinguer le travail « forcé » du travail « réglé »1043. Ce dernier faisait référence aux réglementations des métiers, qu’il s’agisse de métiers jurés dont les privilèges étaient garantis par la royauté, ou des métiers réglés dont les réglementations émanaient des autorités principales. Quoiqu’il en soit, à cette époque, le métier caractérisait le travail réglé c’est-à-dire celui pour lequel une réglementation stricte était établie. De ce fait – et ceci demeure essentiel – le métier assure au travail un « statut », il garantit au travailleur d’accéder à une « dignité sociale », et le sauve du vagabondage ou du travail forcé. La « noblesse » du métier fait qu’une distinction est établie entre le travail, auquel sont adossées des compétences et des qualifications, et le travail qui n’en demande aucune1044. Le métier permet également d’établir une frontière entre la part de population inactive, vagabonde, associée à une « masse sans statut », et les autres travailleurs qui ont un métier et un statut. « Le métier trace donc la ligne de partage entre les inclus et les exclus d’un tel système social »1045. Mais en définitive, l’on remarque que cette liaison stricte entre statut et métier est annonciatrice de ce qui est aujourd’hui visible dans le cadre du travail indépendant, où les différents statuts intéressant cette forme de travail sont strictement reliés au métier exercé par le travailleur (statut du commerçant, de l’artisan, de l’agriculteur).
50L’une des fonctions essentielles également attribuée au statut, et qui n’exclut pas les autres mais s’y adjoint, réside dans une volonté de reconnaissance et de valorisation d’une activité, et par ricochet de celle de la personne qui l’exerce. Cette finalité revêt une place décisive dans le cas où l’activité est non rémunérée et non professionnelle, et que les prestations issues de ce statut sont garanties non par les cotisations directes du travailleur, mais par la collectivité.
II - Reconnaissance et valorisation de la personne du travailleur
51Faire coïncider l’exercice d’une activité, professionnelle ou non, avec l’accès à un statut de droit, permet de reconnaître juridiquement et socialement l’activité en tant que telle. Dans son existence d’abord, mais également au regard de futilité que celle-ci procure à la société et de la place qu’elle y tient. En effet, « le travail dépasse l’utilité économique et accède à la reconnaissance sociale par le droit (...) »1046. Par conséquent, le statut constitue un moyen de reconnaissance collective et juridique. Il permet de valoriser une activité aux yeux de la société, mais aussi de la distinguer d’autres en raison de leur utilité sociétale. Au-delà, il peut également s’agir d’une volonté d’encourager l’exercice de telle ou telle prestation par un encadrement juridique « incitatif ».
52C’est dans cet « esprit » que des propositions relatives à la construction d’un statut du travail bénévole se font jour. Bien sûr, il s’agit avant tout de protéger le travailleur bénévole dans l’exercice de sa mission, mais il est également question de reconnaître collectivement – par le biais du droit – l’existence et l’utilité de cette forme d’activité, distinguée des autres, bénéficiant d’un régime juridique spécifique qui en fait une activité spéciale, non anonyme. Il s’agit en quelque sorte de reconnaître que l’activité, en raison de son utilité, « mérite » un traitement particulier et doit être insérée dans des systèmes collectifs de solidarité. Son exercice est valorisé non par le versement d’une rémunération, mais par l’octroi d’une contrepartie sociale et collectivement garantie, en raison justement de l’utilité que cette activité suppose.
53Concernant le travail au foyer, une proposition de loi visant à organiser un « statut du parent au foyer »1047 fait clairement référence à ces fonctions de reconnaissance et de valorisation. Le texte évoque que « le fait d’être parent au foyer doit être valorisé, socialement et économiquement ». Le statut « serait ainsi une mesure importante de reconnaissance publique de l’utilité sociale du parent au foyer et offrirait à chaque famille une réelle opportunité de choix de vie ». Ici, ce sont bien la nécessité de valorisation sociale et juridique, ainsi que le besoin de reconnaissance collective - par l’octroi d’un statut – qui sont mises en avant.
III - Le statut vecteur d’identité collective
54En soumettant des travailleurs à une loi commune, le statut permet de regrouper et de procurer à un ensemble d’individus une condition juridique analogue, les faisant bénéficier de droits et garanties identiques. De cette manière, certains travailleurs en particulier se reconnaissent dans une catégorie juridique qui les rassemble, et se trouvent reliés et encadrés par les mêmes règles. Ceux-ci sont juridiquement et socialement identifiés de manière identique car relevant d’un même statut. L’on parle d’ailleurs souvent de façon indifférenciée des « fonctionnaires », des « salariés », peu important la tâche - parfois même très différente - que ceux-ci réalisent.
55Toutefois, cette « assimilation globale » via le statut a également pour conséquence inévitable d’exclure et d’éloigner ces mêmes travailleurs de ceux ne s’y trouvant pas soumis. Dès lors, le statut rassemble tout autant qu’il évince, en procurant une identité à la fois collective (pour ceux qui en bénéficient), mais également exclusive (car tout le monde n’y a pas accès). En la matière, outre le statut des salariés, l’exemple le plus topique est probablement celui des fonctionnaires. Ceux-ci sont distingués des autres travailleurs en raison de leur statut spécifique, et se trouvent alors corrélativement unis entre eux, en raison justement de leur condition juridique « à part ». S’agissant des travailleurs indépendants, non dotés d’un statut encadrant uniformément l’ensemble des activités entrant sous ce qualificatif, le sentiment identitaire et d’appartenance s’exprime davantage au travers du métier exercé : les commerçants, les artisans, les agriculteurs.
56Le statut professionnel permet par conséquent de distinguer une catégorie de personnes d’une autre (le travailleur, le chômeur, l’étudiant, le retraité) ; d’une catégorie de travailleurs d’une autre (le salarié, l’indépendant, le volontaire associatif) ; mais aussi de rassembler sous une condition uniforme, une réglementation commune, des individus se trouvant unis et identifiés par un même statut1048. Il permet à l’individu (pas seulement au travailleur), de s’inscrire dans un groupe juridiquement délimité et d’être socialement identifié : le « salarié », le « fonctionnaire ». L’on relèvera d’ailleurs que pour ces derniers le qualificatif de fonctionnaire « gomme » celui de salarié. Peut-être le lien né de ce statut est-il encore plus spécifique ou plus fort que dans toute autre forme de travail ? Au-delà, ce sentiment se trouve d’autant plus renforcé dans la mesure où le statut salarial notamment, instaure un système « d’interdépendance » entre les différents salariés, puisque celui-ci s’organise et fonctionne principalement par le biais de cotisations collectives et d’un fonds de ressources communément alimenté1049.
57Après s’être penché sur la notion polysémique de statut et des différentes fonctions que ce dernier a vocation à remplir, il convient de s’intéresser à des notions qui lui sont proches, plus particulièrement celles de « condition » et « d’état ».
§3 - Notions voisines : la « condition » et « l’état »
58Le statut s’entremêle ou se confond parfois avec certaines notions qui lui sont voisines, telles la « condition », l’« état », voire le « support », évoqué précédemment. Ces notions peuvent s’avérer relativement proches. Il en va ainsi de la notion de « condition » (I), souvent évoquée pour définir le statut, et pour celle « d’état » qui semble sous-tendre un champ d’application plus large (II).
I - La « condition »
59La condition évoque la « situation d’une personne, parfois, d’une chose »1050, qu’il s’agisse de sa situation sociale1051, économique ou juridique.
60La notion de condition désigne également l’« élément d’un acte juridique ». Dans ce dernier cas, dans un sens très différent, elle s’oppose au « terme » et se délimite comme un événement futur et incertain.
61Le vocable de condition, et notamment celui de condition « juridique », entretient des liens étroits avec l’idée de statut. Lorsque l’on se focalise sur la définition de ce dernier, il est clairement fait référence à la « condition » en ce sens où le premier de ces termes (le statut) est censé, par les règles qu’il impose, induire le second (la condition), en octroyant une condition juridique à certains individus. D’ailleurs, c’est bien ce qu’évoque la notion de « condition juridique » qui désigne un « ensemble de règles relatives à une certaine sorte de personnes ou de choses ». Dans ce cas, statut et condition juridique se recoupent.
62C’est pourquoi sans doute, plusieurs auteurs évoquent la notion de « condition juridique » préférablement à celle de « statut ». Probablement parce que celle-ci est plus précise et moins polysémique que ne l’est le statut. Elle évoque directement et spécifiquement la situation juridique d’une personne. Le statut y fait aussi référence, mais dans un ensemble plus diffus. Certains observateurs soulignent également que la notion de statut conviendrait mieux pour décrire la situation de travailleurs évoluant spécialement dans le secteur public.
63Cela étant, si le terme de condition (juridique) suggère un champ d’application moins vaste, s’il désigne plus sûrement la situation juridique d’un individu, cette notion a le « désavantage » d’évoquer au moins dans un sens, le futur et l’incertitude (lorsqu’elle s’oppose au terme). Aussi, faire référence à « la condition juridique » du travailleur évoque - au moins d’un point de vue symbolique- une situation juridique future, mais surtout incertaine. L’image est peut-être moins attractive et symboliquement moins « séduisante » que ne l’est la métaphore du statut, qui permet quant à lui de « tenir debout ».
II - L’« état »
64L’état est la « situation de fait ou de droit »1052 d’une personne ou d’une chose. Plus précisément, l’état des personnes évoque « l’ensemble des éléments qui concourent à identifier et à individualiser chaque personne dans la société (date et lieu de naissance, filiation, nom, domicile, situation matrimoniale, etc) »1053. Il désigne également l’« ensemble des conséquences juridiques qui découlent de ces éléments et dont la somme caractérise la condition civile d’une personne »1054. La notion d’état suppose aussi celle plus précise d’état civil, qui se définit comme la « situation de la personne dans la famille et dans la société ». Le Code civil, à l’article 34, dresse ainsi une liste des éléments forgeant l’état civil de l’individu. Il s’agit notamment des « prénoms, noms, professions et domiciles ». S’y ajoutent d’autres éléments, comme le sexe, la situation matrimoniale, ou encore la filiation.
65L’état, particulièrement au regard de l’état civil, ne se limite donc pas à décrire une situation ou à « enregistrer » des données. Elle est dispensatrice d’identité ; elle permet de distinguer un individu d’un autre en raison de sa situation, par définition unique. C’est pourquoi, l’état civil est un moyen de délimiter et de reconnaître « publiquement » les traits forgeant l’identité d’une personne.
66L’on remarque que participe de l’état civil et donc de l’identité d’un individu, la « profession » que celui-ci exerce ; l’on relèvera d’ailleurs qu’il est question de « profession » et non de « travail ». Est-ce à dire que seul le travail synonyme de profession est pourvoyeur d’identité ?
67« L’identité professionnelle », ici suggérée, demeure l’un des maillons central permettant de forger l’identité globale. D’ailleurs, « l’état professionnel des personnes »1055 proposé par le Professeur Alain Supiot évoque clairement cette dimension. Elle fusionne sous un seul et même terme - « état professionnel » - l’idée d’identité dont est imprégnée la notion d’état (l’état civil), mais met également en exergue la place centrale qu’occupe le travail (et non seulement la profession) dans la formation de celle-ci. « Le travail, l’apport propre de chaque personne à la vie de la collectivité, est une dimension de l’identité humaine »1056.
68Plus précisément, il s’agit par cette proposition de créer une analogie « évocatrice »1057 entre état civil et état professionnel1058. À l’image de l’état civil, l’état professionnel permet d’insister sur le fait que le travail est un vecteur important d’identité, une identité professionnelle absolument essentielle qui suppose, pour cette raison, que son accès soit « facilité ». Dans cette optique, l’emploi ou le contrat de travail ne serait plus le principal - voire le seul - moyen d’accéder à cette identité. Mais c’est bien par son état professionnel et par l’ensemble des formes de travail par lesquelles celui-ci peut se forger - activités diverses hissées au même niveau de reconnaissance et porteuses des mêmes droits - que la personne doit accéder à cette identité qui lui est trop souvent refusée, notamment lorsqu’elle déborde du cadre de l’emploi. En effet, « l’identité professionnelle est refusée (...) dans le modèle de l’emploi à tous ceux (et à toutes celles) dont le travail s’exerce hors de la sphère marchande, et consiste notamment à élever ses enfants, à entretenir sa maison ou à soigner ses proches, ou bien s’instruire ou se former »1059.
69Au-delà de cette analogie entre état civil et professionnel, l’idée maîtresse de cette proposition est que la personne du travailleur, via son état professionnel, doit pouvoir jouir de droits sociaux et de sécurités, quelle que soit la forme de travail exercée par lui – rémunérée ou gratuite, salariée ou indépendante - mais également (et surtout) pendant les périodes transitoires : en cas de formation, de passage d’une forme de travail à une autre, ou en cas de chômage. La notion de « travail » est ici entendue largement et recouvre un éventail d’activités bien plus étendu que l’emploi. Il s’agit de « raccrocher » à l’individu, en raison de son « état professionnel », un ensemble de droits liés au travail indépendamment des différentes formes que ce dernier peut prendre. Par conséquent, le lien entre travail et statut professionnel est ici repensé, remanié. Il est également, d’une certaine manière, renforcé.
70L’application du statut n’est plus simplement « déclenchée » par l’accomplissement d’une activité rémunérée ou encadrée par un contrat de travail. Dans cette perspective, « le statut professionnel doit être déterminé non plus à partir de la notion restrictive d’emploi, mais de la notion élargie de travail »1060. Ainsi conçu, le statut fait naître des droits sociaux et assure des protections dans des situations juridiques variées1061. La base, le socle de celui-ci, est à cet égard bien plus large que pour un statut professionnel « classique ».
71Ces droits peuvent d’abord naître pendant des périodes de travail marchand ou non-marchand, juridiquement dépendant ou indépendant. Les personnes peuvent en bénéficier lorsqu’elles travaillent, ainsi que pendant des périodes transitoires de « non-travail » (en période de chômage) davantage sujettes à fragilité et insécurité. Il s’agit par ce biais de garantir une transition « indolore » au travailleur lorsqu’il souhaite passer d’une situation de travail à une autre (en cas de passage du statut salarié à celui d’indépendant particulièrement), ou de « dédramatiser » (économiquement et socialement) sa situation lorsque celui-ci se trouve en période de chômage. Il est question d’assurer des droits, un financement, pendant des périodes d’activités non rémunérées autrement et de forger en quelque sorte un « droit des transitions »1062. C’est pourquoi, participe notamment de cet état professionnel, tout ce qui permet de faciliter et de sécuriser le passage d’une situation de travail à une autre : par l’assurance de ressources monétaires, ou par l’accès à la formation.
72Le lien entre travail et statut est également solidifié, puisque ce « statut professionnel élargi » est porteur de droits plus nombreux. Il recouvre trois des quatre cercles du droit social, « les droits propres au travail salarié (l’emploi), les droits communs de l’activité professionnelle dépendante ou indépendante (hygiène, sécurité, etc.) et les droits fondés sur le travail non professionnel (charge de la personne d’autrui, travail bénévole, formation de soi-même, etc) »1063
73Le statut revêt dans ce cadre une fonction nouvelle qui s’ajoute à celles précédemment évoquées. 11 a toujours pour finalité d’assurer protection et sécurité au travailleur, mais en se focalisant particulièrement sur les périodes de transition. Le statut ne protège pas l’emploi, il protège la personne qui l’exerce, il garantit « la continuité d’une trajectoire »1064 à un individu. En somme, il assure la fluidité et la solidité de son état professionnel au-delà de la conclusion d’un contrat de travail. Il est non seulement lié au travail, et non plus simplement à l’emploi, mais déborde même de ce cadre pour assurer à la personne une protection pendant les phases transitoires, pourtant non constitutives d’une période d’emploi ou de travail contractuellement organisée. Il est d’ailleurs évocateur qu’un statut « professionnel » puisse garantir des droits pendant des périodes d’activités qui sont elles, par définition, non professionnelles.
74Enfin, le statut « élargi » possède une finalité spécifique qu’un statut professionnel ordinaire n’a pas pour vocation d’assurer. Il doit en effet permettre et autoriser une liberté du travail plus effective. D’où la proposition de « droits de tirages sociaux » qui concrétisent la liberté de pouvoir effectivement changer de travail et la possibilité d’organiser activement son avenir, sans prendre trop de risques. « Le problème n’est alors plus seulement de prémunir le travailleur contre les risques prévisibles de l’existence, mais aussi de lui donner les moyens concrets d’assumer cette liberté et ces responsabilités nouvelles »1065. Presque s’agit-il, dans cette perspective, de protéger l’individu – avant le travailleur – tout au long de sa vie. Cette continuité est rendue possible parce que via l’état professionnel, toutes les formes de travail sont hissées au même niveau d’importance et de reconnaissance, puisqu’elles supposent les mêmes droits et garanties. Il n’y a donc économiquement, matériellement, mais aussi socialement, « aucun » risque à changer de travail. La liberté du travail n’est alors pas totalement abstraite, le travailleur disposant de moyens concrets lui permettant d’assumer pleinement ses choix.
75Dans cette optique, statut et état ne s’opposent pas, mais sont au contraire étroitement liés. L’état professionnel désigne alors un statut professionnel élargi. L’on relèvera d’ailleurs que tous deux possèdent la même étymologie1066. Corroborant cette analyse, le Professeur François Gaudu écrit : « Qu’est-ce qu’un état ? Non point seulement un statut, mais plutôt la fusion d’une identité, d’un statut et d’une activité »1067. L’« état » recouvre l’individu dans son ensemble. C’est la personne dans sa totalité - dans le cadre de sa vie professionnelle mais aussi dans celui de sa vie privée - dont il est question ici. Assurer un état, c’est protéger l’individu, bien avant le travailleur. Ainsi, selon A. Lavagne « (...) il (l’état) définit toujours une condition à la fois sociale et personnelle1068, une situation complexe qui marque la vie individuelle tout entière et non pas seulement l’activité limitée à l’exercice d’une fonction ou d’une profession »1069. Oserait-on le raccourci selon lequel le statut évoque davantage le travailleur, la personne en situation de travail et le plus souvent rémunéré ? L’« état » fait plus nettement référence à l’individu dans tous les moments de sa vie. La distinction entre vie privée et vie professionnelle est moins sollicitée. Il s’agit de saisir l’individu dans sa globalité, lorsqu’il travaille ou se trouve en périodes transitionnelles, mais également dans le cadre de sa vie strictement privée.
Section 2. L’opportunité d’un statut juridique pour certaines formes de travail
76S’il existe un lien entre les notions de travail et de statut, cela signifie-t-il pour autant que tout travail « mérite » statut ? Est-il véritablement « opportun », bienvenu, d’associer toutes les formes de travail à un statut de droit ? L’association entre travail et statut doit-elle toujours être recherchée ? Ces interrogations se posent tout particulièrement pour certaines formes de travail qui n’en sont pas naturellement dotées, notamment des activités gratuites et désintéressées.
77Il s’agira de se demander si, en tant que tel, le travail gratuit peut se conjuguer avec l’idée de statut, ou s’il existe par définition une incompatibilité fondamentale ? Deux raisons sont souvent avancées pour ne pas doter ces activités d’un statut : celles-ci s’associeraient naturellement mal avec l’idée de réglementation et d’encadrement, et le statut risquerait de heurter trop fortement les idées de gratuité et de désintérêt qui les innervent et forment leur spécificité.
78Nous avons choisi de centrer notre analyse sur deux formes de travail : associatif (§1) et au foyer (§2). Nous aurions également pu évoquer ces mêmes interrogations au regard du travail du religieux ou de celui du travail de l’élu politique1070. À la nuance près que pour ces derniers un « statut » existe déjà et que la question de l’opportunité du statut est dès lors moins pertinente.
§1 - Le travail gratuit associatif
79L’exemple le plus topique s’agissant de l’opportunité de l’association entre travail et statut concerne probablement le travail gratuit associatif. Ce terme, qui désigne une branche spécifique de l’activité réalisée à titre bénévole, évoque le travail accompli au sein d’une structure associative, le bénévolat « formel », institutionnel, mais également celui effectué de manière régulière et non occasionnelle. La question du statut ne se pose réellement et ne présente de véritable enjeu qu’au regard de cette dernière situation.
80Il convient d’évoquer successivement le cas du volontariat associatif dont l’activité est réglementée, encadrée, et pour lequel un statut de droit existe déjà (I), puis celui du travail bénévole pour lequel en revanche aucun statut juridique n’a encore vu le jour. Pour autant, les propositions en ce sens ne manquent pas (II)1071. Cette mise en parallèle de la situation juridique du travailleur volontaire et de celle du bénévole, permettra de mettre en évidence le fait que si, effectivement, l’activité désintéressée semble être lentement mais sûrement prise en compte par le droit, cette reconnaissance progressive se fait en faveur du volontariat seulement.
I - Le volontariat : un statut « kaléidoscope »
81Le travail volontaire peut se définir comme « tout travail effectué de sa propre initiative et non par obligation (...) pour en retirer une satisfaction personnelle et obéir à certaines valeurs humanistes et non pas pour bénéficier d’une quelconque rémunération »1072. De même, « le terme « volontariat » est utilisé pour désigner un engagement réciproque et formalisé, limité dans la durée et permettant pendant cette durée (impliquant généralement un déplacement, c’est un temps de vie pleinement consacré au projet de volontariat), au service de la collectivité »1073. Il constitue une forme particulière et juridiquement délimitée d’engagement bénévole.
82Le statut du travail volontaire est régi par différentes lois1074. Celui-ci, qui répond d’un dispositif relativement complexe, se décline sous différentes formes. Voguant entre statut de droit public et statuts de droit privé, le régime juridique du travail volontaire s’organise autour de différents supports. Il repose d’abord sur une loi du 14 mars 2000 relative au volontariat civil1075. Cette forme de volontariat, organisée dans un cadre juridique de droit public, permet l’accomplissement d’une mission d’intérêt général dans les domaines suivants : cohésion sociale et solidarité - prévention, sécurité et défense civile - coopération internationale et aide humanitaire. Il se décline sous trois formes principales, le volontariat civil international en entreprise (VIE), le volontariat civil international en administration (VIA) et le volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité (VCSS). Ensuite, une loi du 23 février 20051076 organise le volontariat de solidarité internationale, qui a pour visée la réalisation d’une mission à l’étranger dans les domaines de la coopération au développement et de l’action humanitaire. Enfin, une loi du 23 mai 2006 ayant trait au volontariat associatif1077 réglemente les prestations d’intérêt général revêtant un caractère « philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif (...) »1078, nécessairement effectuées dans le cadre d’une structure associative et qui n’entrent pas dans le champ du volontariat de solidarité internationale. Ce dispositif a pris fin par une loi du 10 mars 2010, instaurant le « service civique volontaire »1079 (qui se substitue également au service civil volontaire créé en 2006). Ce dernier, qui repose sur un engagement volontaire, a pour objet « de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale et offre à toute personne volontaire l’opportunité de servir les valeurs de la République et de s’engager en faveur d’un projet collectif en effectuant une mission d’intérêt général »1080. Le service civique volontaire se présente tel un cadre juridique bien plus large que les précédents, offrant la possibilité d’exercer des missions d’utilité publique variées.
83Il englobe plusieurs dispositifs distincts : « l’engagement » de service civique, le « volontariat » de service civique. Il inclut également dans son champ ce qui relevait auparavant du volontariat civil : le volontariat international en administration, le volontariat international en entreprise, mais également le volontariat de solidarité internationale, ou le service volontaire européen. À défaut d’effectuer un exposé précis et détaillé de ces mesures, nous tenterons d’entrevoir ces dispositifs sous l’angle de ce qui les rapproche et les unit.
84Pour l’ensemble de ces lois, il s’agit d’organiser une « collaboration désintéressée »1081 entre un travailleur volontaire et une personne morale agréée (une personne morale autre que l’Etat, le plus souvent une association ou une fondation d’utilité publique) en vue de réaliser une « mission d’intérêt général »1082 dans des domaines variés1083. Un contrat écrit (de droit public ou de droit privé) doit être conclu entre les parties afin d’établir les modalités dans lesquelles la mission se déroulera, concernant notamment le lieu et la durée d’engagement. Cette dernière, qui doit être nécessairement limitée, répond d’une période maximale d’une ou deux années1084 selon le contrat. Une durée minimale d’engagement de six mois peut parfois être imposée1085. Les volontaires ont parfois avoir accès à une formation avant le début de leur mission1086 et reçoivent à la fin de celle-ci une attestation « d’accomplissement de mission »1087 retraçant les activités exercées pendant la durée du contrat1088. L’ensemble des compétences acquises durant l’exécution du contrat de volontariat peut également être pris en compte, sous certaines conditions, au titre de la validation des acquis de l’expérience1089.
85En outre, le travailleur volontaire bénéficie pendant l’exécution de son contrat d’une indemnité qui lui est mensuellement versée. Celle-ci doit permettre au volontaire d’évoluer dans des « conditions de vie décentes »1090 ; elle n’a ni le caractère d’une rémunération, ni d’un salaire, et n’est donc pas soumise à l’impôt sur le revenu ou aux cotisations et contributions sociales. Cette indemnité peut soit répondre d’un montant uniforme, et ce, quelle que soit la prestation réalisée comme en cas de volontariat civil, soit d’une indemnité variable, mais qui doit respecter un montant minimal et maximal, fixé par arrêté ministériel comme en cas de volontariat international, ou d’un montant seulement maximal prévu par décret comme en cas de volontariat associatif. S’ajoute à cette indemnité, le versement de « prestations nécessaires à sa subsistance, à son équipement et à son logement »1091.
86De même, une couverture sociale est assurée aux travailleurs (et à leurs ayants droit) dans le cadre de leur mission, leur garantissant des droits d’un niveau identique à celui du régime général. Ils bénéficient d’une couverture contre les risques maladie, maternité, invalidité, décès, accident du travail et maladies professionnelles, garantie par le versement de cotisations forfaitaires assuré par l’organisme agréé. Le risque vieillesse est également couvert dans les conditions prévues à l’article L. 241-3 du Code de la sécurité sociale. En outre, le volontaire a accès à une assurance complémentaire, notamment en cas de maladie (en cas d’hospitalisation, de risque d’évacuation sanitaire, ou de rapatriement sanitaire et de rapatriement de corps).
87Il est précisé que les volontaires ne bénéficient pas des dispositions du Code de travail et que le contrat de volontariat n’emporte aucun lien de subordination juridique, ou aucun lien de subordination « tout court » comme il est fait mention pour le service civique volontaire. Ce faisant, il s’agit de distinguer et d’exclure clairement le volontariat du champ du salariat afin d’anticiper tout risque de requalification. Enfin, cette activité doit en principe être exercée à titre principal, pendant un seuil minimal d’heures hebdomadairement fixé1092, et ne peut se conjuguer à l’exercice d’une activité professionnelle parallèle.
88Par conséquent, au regard de ces différentes dispositions, force est de constater qu’un statut juridique du travail volontaire est d’ores et déjà construit. La question de l’opportunité n’est donc en pratique pas très « pertinente » dans la mesure où ce statut existe déjà. La seule interrogation essentielle est de savoir s’il est toujours possible, et dans ces conditions, de parler de travail « gratuit », étant donné que les volontaires bénéficient d’un statut juridique relativement protecteur et présentant une attractivité certaine. Dès lors, le statut peut-il constituer une contrepartie « effaçant » la nature gratuite de l’activité ? Ou celui-ci doit-il être entrevu principalement comme une « nécessité », garantissant une protection minimale indispensable, qui n’entrave nullement le caractère désintéressé de cette activité ?
89Les réflexions des auteurs sur le sujet sont symptomatiques de l’hybridité juridiquement « embarrassante » du statut du travail volontaire. Travail « gratuit » parce que non rémunéré, et résidant dans la réalisation d’une « collaboration désintéressée », le volontariat se distingue néanmoins de la situation juridique du bénévolat en assurant au volontaire un ensemble de garanties, tout en se détachant expressément du travail rémunéré et salarié. Au regard des dispositions innervant le statut du travail volontaire, un auteur observe que dans ces conditions « la gratuité ne tient « qu’à un fil » »1093. D’ailleurs, l’expression évocatrice de « bénévolat rémunéré »1094 a pu être utilisée par des commentateurs pour qualifier le travail volontaire.
90La question de la « gratuité » de ce travail ayant déjà été entrevue1095, la problématique de l’opportunité d’un statut juridique sera seulement évoquée au regard du bénévolat. Un statut du travail bénévole n’existant pas, la question est ici d’autant plus essentielle. Par ailleurs, le bénévolat - sans doute encore plus que le volontariat -évoque la gratuité et la liberté totale d’exercice, dans ce cas, l’union entre statut de droit et travail gratuit - encadrement juridique et spontanéité - soulève encore plus de questions et de réserves. Au contraire du travail volontaire dont l’exercice a toujours (ou presque) cohabité avec un statut qui ne cesse d’évoluer et de s’enrichir, constituant une composante presque « naturelle » de cette activité, le bénévolat a toujours évolué sans encadrement statutaire.
II - Le travail bénévole : un statut à construire
91Aucun statut juridique du travail bénévole n’existe, du moins pas encore. Quelques mesures dispersées sont consacrées au bénévolat, notamment en droit de la Sécurité sociale. Mais elles sont peu nombreuses et font du travail bénévole une activité presque « oubliée » par le droit (A). Pourtant, la construction d’un statut juridique n’est pas une « idée » nouvelle et les propositions en ce sens abondent. Cette question a été de nombreuses fois évoquée, voire même fermement défendue par plusieurs auteurs et parlementaires. L’on verra toutefois que la création d’un tel statut constitue une problématique qui divise et partage. Si l’ensemble de la doctrine estime que le bénévole doit être davantage protégé dans l’exercice de sa mission (C), de nombreuses réserves sont soulevées concernant les moyens à utiliser afin de leur assurer protection et sécurité (B).
A - L’état du droit positif
1 - Définition du bénévolat
92Les notions de « bénévolat » et de « travailleur bénévole » ne répondent pas d’une définition légalement établie. Un avis rendu par le Conseil Economique et Social le 24 février 1993, attribue cependant au bénévole le sens suivant : « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial ». Un auteur précise que le bénévolat est le travail par lequel « une personne fournit, de son plein gré, une prestation sans recevoir de rémunération correspondant à la valeur économique de son travail »1096. L’activité bénévole peut recouvrir un ensemble de situations extrêmement variées. Il peut s’agir du bénévolat associatif, ou d’activités réalisées en dehors de toute structure, répondant d’une entraide ponctuelle, d’un coup de main rendu à un ami, à un membre de la famille, à un voisin, à un inconnu, effectués totalement spontanément et librement.
93Le travail associatif – qu’il soit bénévole ou volontaire – évoque uniformément : la notion d’engagement, de liberté (de son plein gré1097), de non lucrativité (activité désintéressée1098), d’appartenance à un groupe (action organisée) et l’action d’intérêt commun ou général (au service d’une ou de la communauté)1099. Par conséquent, ce qui distingue principalement le bénévolat du volontariat, c’est l’existence, dans un cas et non dans l’autre, d’un statut de droit.
2 - Le travail bénévole timidement pris en compte par le droit social
94De manière générale, le bénévolat retient peu l’attention du législateur. De façon relativement dispersée et ponctuelle, le droit fait référence à l’activité bénévole mais sans jamais lui consacrer une réglementation spécifique. Si l’essentiel de ces mesures est visible en droit social, et particulièrement en droit de la Sécurité sociale, d’autres disciplines évoquent également cette activité mais toujours de manière furtive1100.
En droit du travail : une reconnaissance au « compte - gouttes »
95Le travail bénévole en tant que tel - et le travail bénévole associatif tout particulièrement - fait l’objet d’une prise en compte limitée par le droit du travail. Les exemples en la matière sont peu nombreux. Une loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions1101 précise d’abord que « tout demandeur d’emploi peut exercer une activité bénévole ». Certaines conditions doivent être respectées : l’activité ne peut être exercée chez un précédent employeur, elle ne peut se substituer à un emploi salarié et doit être compatible avec la recherche d’un emploi. Une loi du 19 janvier 2000, ayant trait à la réduction négociée du temps de travail, prévoit des dispositions spécifiques en faveur des salariés exerçant « des responsabilités à titre bénévole » au sein des associations1102. Également, s’il n’est pas expressément fait référence au travail bénévole, l’article L. 3142-51 du Code du travail prévoit que lorsqu’un salarié est membre d’une association et qu’il y exerce certaines fonctions1103, son employeur doit lui accorder un congé de représentation afin qu’il dispose d’un « temps nécessaire pour participer aux réunions de cette instance ». En matière de validation des acquis de l’expérience, les compétences professionnelles acquises pendant l’exercice d’une activité bénévole peuvent être prises en compte au même titre qu’une activité salariée ou indépendante. Il est nécessaire que l’activité en question ait un rapport direct avec le contenu du diplôme ou du titre visé. La loi impose également une durée minimale d’exercice qui ne peut être inférieure à trois années1104. Enfin, l’article L. 6322-1 précise que les actions de formation proposées au salarié dans le cadre du congé individuel de formation doivent pouvoir lui permettre « de s’ouvrir plus largement à la culture, à la vie sociale et à l’exercice des responsabilités associatives bénévoles ».
En droit de la sécurité sociale : une reconnaissance plus significative
96Il est nécessaire de distinguer le risque professionnel « accident du travail et maladie professionnelle » où le mécanisme d’assimilation aux travailleurs rémunérés est déjà enclenché, des autres risques « maladie, maternité, vieillesse, invalidité », où le bénévole, s’il n’est pas couvert à un autre titre (activité professionnelle parallèle, statut d’ayant - droit, assurance volontaire), n’a accès – sur ce fondement - qu’à peu de prestations1105.
Les risques « professionnels » : accident du travail/maladie professionnelle
97La difficulté essentielle qui se pose concernant la couverture sociale attribuée ou potentiellement attribuable au bénévole est que la Sécurité sociale s’organise sur une base professionnelle1106. Par conséquent, comment procéder pour des activités n’impliquant aucune rémunération ? Cette difficulté, certes de taille, n’est toutefois pas insurmontable, comme en témoigne l’exemple des travailleurs volontaires pour lesquels une couverture sociale quasi complète est assurée.
98S’agissant du travail bénévole, le Code de la Sécurité sociale prévoit différentes mesures afin d’assurer une protection contre le risque « accident du travail et maladie professionnelle ». Si cette démarche doit être encouragée et poursuivie, elle doit aussi être tempérée. D’abord, seuls ces risques-là bénéficient d’une couverture relativement « satisfaisante » (et même en la matière, le « fossé » entre bénévolat et salariat demeure). Ensuite, la couverture « accident du travail/maladie professionnelle » ne profite de façon systématique qu’à certains bénévoles. Deux situations doivent par conséquent être distinguées, celle où l’assurance est obligatoire, celle où elle n’est que facultative.
99En premier lieu, l’article L. 412-8-6° du Code de la sécurité sociale prévoit qu’une assurance doit être obligatoirement souscrite, à la charge de l’association, en faveur des bénévoles participant au fonctionnement d’organismes à objet social. Cette couverture contre le risque « accident du travail/maladie professionnelle » n’est imposée que dans la mesure où le travailleur bénévole ne bénéficie pas déjà d’une couverture à un autre titre1107. Sont plus précisément concernées par ces mesures, certains travailleurs bénévoles exerçant des fonctions dans des domaines spécifiques, dont la liste est énumérée à l’article D. 412-79 du Code de la sécurité sociale1108. Si celle-ci est régulièrement étoffée, elle est encore loin de concerner l’ensemble des travailleurs bénévoles1109. Une proposition de loi relative au statut du bénévolat associatif avait d’ailleurs été déposée à l’Assemblée nationale en 19991110, afin de rendre cette assurance obligatoire pour l’ensemble des bénévoles. En cas d’assurance obligatoire, le bénévole aura droit aux prestations prévues par la législation en matière d’accident du travail. L’octroi de prestations en espèces sous la forme d’indemnités journalières suppose que le bénévole prouve une perte de gains.
100En second lieu, il est possible de souscrire une assurance de manière facultative. Une loi du 27 janvier 19931111 offre la possibilité aux œuvres et organismes d’intérêt général entrant dans le champ de l’article 200 du Code général des impôts, de couvrir tout ou partie de leurs travailleurs bénévoles contre le risque accident du travail/maladie professionnelle1112. Cette assurance volontaire peut être souscrite à titre individuel, par le travailleur bénévole lui-même, qui peut choisir de s’assurer personnellement contre ce risque1113. Cette solution ne paraît néanmoins pas satisfaisante dans la mesure où les cotisations sont à la charge de l’association ou du bénévole. Elle s’avère donc peu incitative. De plus, celle-ci ne sera pas complète puisqu’en cas d’accident le bénévole n’aura pas droits aux indemnités journalières et à l’indemnité en capital prévue à l’article L. 434-1 du Code de la sécurité sociale1114.
Les risques de l’existence : maladie, maternité, vieillesse
101Au titre de sa seule activité, le bénévole n’est pas couvert contre les risques de l’existence : notamment en cas de maladie, de vieillesse, ou de maternité. Si le travailleur n’exerce pas une activité professionnelle parallèle, ou s’il ne possède pas un statut de retraité, d’étudiant, de chômeur ou d’ayant-droit, sa condition sera particulièrement fragile. Pour cette raison, certains dispositifs visent à consolider sa situation.
102En matière de maladie et de maternité, tout d’abord, si le bénévole n’est couvert à aucun autre titre, celui-ci pourra toujours bénéficier de la couverture maladie universelle1115. Concernant le risque vieillesse, s’il remplit certaines conditions, ce dernier peut souscrire une assurance volontaire prévue à l’article L. 742-1 du Code de la sécurité sociale1116. En échange de cotisations à sa charge, il pourra acquérir des trimestres d’assurance lui donnant accès à une pension de vieillesse. Se focalisant sur cette question essentielle, certaines propositions ont été avancées en vue de prendre en compte l’activité bénévole pour l’ouverture des droits à la retraite, notamment une proposition de loi déposée en 2003 qui envisageait de « compléter les dispositions du code de la sécurité sociale qui prévoient la prise en compte pour l’ouverture des droits à pension de certaines périodes d’interruption de l’activité professionnelle, par une disposition visant les périodes d’activité bénévole au sein des associations à but non lucratif, à caractère ni politique, ni religieux »1117.
103Participent également de la protection de la personne du bénévole, notamment lorsque celle-ci ne bénéficie pas des dispositions susvisées, les mécanismes de responsabilité civile, que celui-ci cause un dommage ou qu’il en soit victime.
3 - Le bénévolat considéré par le droit civil
104Plusieurs cas de figure doivent être distingués : d’abord lorsque le bénévole évolue au sein d’une structure associative et se trouve, à l’occasion de l’exécution de son contrat, victime d’un dommage, puis celui où une personne subit un préjudice en portant secours ou en offrant son aide à une autre, de manière ponctuelle et le plus souvent spontanée, en dehors de toute mission associative. Dans le premier cas, et si elle n’est pas couverte à un autre titre, elle pourra obtenir réparation auprès de l’association en vertu d’une « convention tacite d’assistance » ; dans l’autre, il lui sera possible de se retourner contre la personne ayant bénéficié de son aide, en raison de la formation entre elles d’une convention d’assistance bénévole ou de l’existence d’une gestion d’affaires.
La convention tacite d’assistance liant la structure associative au bénévole
105Lorsqu’un bénévole est victime d’un accident au cours de sa mission associative, la jurisprudence peut reconnaître l’existence d’une convention tacite d’assistance entre les parties. La formation de cette convention implique pour l’association une obligation d’indemniser les dommages corporels subis par le bénévole au cours de l’exécution de son contrat, indépendamment de toute faute de la part de celle-ci.
106Ce cas de figure se présente généralement dans le cas où l’association n’entre pas dans les cas légaux d’assurance obligatoire1118 ou si elle n’a pas souscrit une assurance volontaire concernant le risque accident1119. Dans ce cas, le bénévole pourra s’appuyer sur les mécanismes de responsabilité civile classiques. L’association pourra toutefois s’exonérer totalement ou partiellement de cette responsabilité, en cas de force majeure, de faute du bénévole ou de faute d’un tiers.
107Comme le soulignent certains auteurs, si la reconnaissance d’une telle convention est louable dans la mesure où elle offre une autre possibilité au bénévole d’être indemnisé, elle suppose quand même que ce dernier fasse réparer son préjudice par la voie judiciaire, ce qui peut s’avérer long et coûteux1120.
La convention d’assistance bénévole liant l’assistant bénévole et la personne bénéficiant de la prestation d’entraide
108Dans ce cadre, la situation diffère légèrement. Elle concerne le cas d’un individu qui, répondant à la sollicitation (expresse ou présumée) d’un autre, subit à cette occasion un préjudice. Ici, la personne porte assistance ou offre son aide gratuitement, « librement », de manière non institutionnelle. Il peut s’agir d’une activité d’entraide ponctuelle, d’un simple « coup de main » porté à un ami, à un voisin, ou à un membre de la famille. Il peut être également question de porter secours en situation d’urgence à une personne se trouvant en danger. Au contraire de la situation précédente, même si la prestation est toujours réalisée à titre bénévole, il ne s’agit pas d’exécuter un contrat de bénévolat ou d’accomplir une mission associative1121.
109Lorsqu’un individu porte assistance à une autre et se trouve à cette occasion victime d’un préjudice, la jurisprudence peut reconnaître qu’une convention d’assistance bénévole s’est formée entre les parties1122. Pour aboutir à une telle qualification1123, il est nécessaire que cette intervention résulte d’une sollicitation de l’assisté, ou à défaut, de l’acceptation expresse ou tacite par l’assisté d’une proposition d’aide émise par l’assistant.
110Sur ce fondement et dans un tel cas, l’assisté, dont la responsabilité contractuelle est engagée, est tenu d’une obligation de sécurité et de garantie vis-à-vis de l’assistant bénévole, quand bien même assistant et assisté n’auraient pas expressément démontré leur volonté d’entrer en relation contractuelle1124. Une double obligation est mise à la charge de la personne aidée, qui doit, en raison de son engagement contractuel – dont l’existence même est sujette à de nombreuses critiques concernant le véritable échange de consentements1125 - réparer le préjudice subi par celui qui offre son aide, sans qu’il soit nécessaire de prouver une faute de sa part (de la part de la personne assistée)1126. La jurisprudence fonde plus particulièrement l’existence de cette obligation de réparation sur les articles 11351127 et 1147 du Code civil1128.
111 Une obligation de sécurité 1129 repose d’abord sur la personne assistée, impliquant l’obligation pour elle de réparer les dommages corporels subis par l’assistant. Les exemples jurisprudentiels en la matière sont nombreux et témoignent de la volonté de protéger « à tout prix » celui qui apporte son aide gracieusement. Ainsi, une personne aidant un ami à débroussailler son jardin et qui trébuche sur une souche, est en droit de demander une indemnisation auprès de la personne assistée dans la mesure où celui-ci aurait du prévenir ce dernier de l’existence d’un tel « danger ». Il en va de même concernant la personne offrant ses services bénévolement et qui chute dans les escaliers1130, ou lorsqu’un collègue de travail apporte son aide pour la réalisation d’une tranchée et se trouve victime d’un éboulement1131. Dans ce cadre, « l’obligation de l’assisté est conçue comme une sorte de contrepartie de l’acte d’assistance. Le geste altruiste ne doit pas être, in fine, lésé »1132.
112De même, pour que l’assisté soit tenu d’une obligation de sécurité vis-à-vis du bénévole, la jurisprudence peut imposer que l’intervention de l’assistant soit utile et opportune1133. Par exemple, une personne qui intervient bénévolement pour organiser un concours hippique lors d’une journée portes ouvertes et qui se blesse à cette occasion, ne sera pas indemnisée s’il est démontré qu’elle ne rendait pas vraiment service mais profitait de cette occasion pour participer à cet évènement, et s’il est prouvé que l’évènement aurait quand même pu se dérouler sans son intervention1134.
113Ensuite, l’obligation de garantie sous-tend que la personne qui bénéficie du service peut être déclarée responsable dans le cas où l’un des assistants bénévoles blesse un autre « donneur d’aide ». L’assisté doit prendre en charge les dommages et intérêts qu’un assistant peut être condamné à verser dans le cas où il cause un dommage à autrui. La Cour de cassation affirme que la convention d’assistance bénévole « comporte nécessairement l’obligation, pour l’assistée, de garantir l’assistant de la responsabilité par lui encourue, sans faute de sa part, à l’égard de la victime d’un accident éventuel, que cette victime soit ou non un autre assistant »1135. Précisons que la protection garantie au bénévole n’est pas absolue, puisqu’il est possible pour l’assisté en cas de faute de celui-ci, ayant concouru à la réalisation du dommage, de s’exonérer totalement ou partiellement de sa responsabilité. Il en va de même en raison d’une cause étrangère, lorsque celle-ci permet de justifier la non exécution de ses obligations.
114Dans d’autres situations, la jurisprudence fonde le droit à indemnisation de l’assistant bénévole, non sur une convention d’assistance, mais sur l’existence d’une gestion d’affaires.
L’existence d’une gestion d’affaires
115Il y a gestion d’affaires, « lorsqu’une personne s’immisce dans les affaires d’autrui avec l’intention de lui rendre service »1136. Il est nécessaire que l’intervention du gérant soit volontaire, utile et opportune1137.
116Ce cadre juridique peut tout à fait s’appliquer à des situations d’assistance, notamment lorsque le bénévole vient porter secours à une autre personne. Un arrêt rendu par la première Chambre civile le 28 janvier 20101138 en offre une illustration. Cette affaire concernait des enfants qui se trouvaient juchés sur un engin de plage et qui ne parvenaient pas à rejoindre le rivage. Leur père sollicita alors l’assistance d’un baigneur situé à proximité de ceux-ci, afin qu’il leur porte secours. Lors de la tentative de sauvetage, et étant dans l’obligation de rebrousser chemin en raison de trop fortes vagues, le baigneur se noya. Sur le fondement des articles 1372 et 1375 du Code civil, relatifs à la gestion d’affaires, les héritiers du défunt obtinrent réparation.
117Cette solution n’est pas nouvelle. La jurisprudence a pu considérer que le client qui tente de stopper un voleur dans un magasin, et qui se blesse à cette occasion, peut obtenir une indemnisation auprès de la société exploitant le magasin sur le fondement d’une gestion d’affaires, dès lors que cette personne a agi pour le compte du magasin et que son intervention était utile1139.
118Il convient de rappeler que les règles « classiques » de responsabilité civile ne s’appliquent pas en cas d’entraide agricole. La loi prévoit l’application d’un régime de responsabilité dérogatoire, puisque les risques reposent sur fauteur de l’entraide. L’article L. 325-3 du Code rural et de la pêche maritime précise en effet que : « Le prestataire reste responsable des accidents du travail survenus à lui-même ou aux membres de sa famille, ou à toute personne considérée légalement comme aide familial, ou à ses ouvriers agricoles ». Il en va de même s’agissant de celui qui bénéficie de l’entraide, qui demeure seul responsable des accidents qu’il subit1140. Il ne dispose pas de recours contre l’assistant.
119Pour finir, précisons que la jurisprudence prévoit une protection particulière pour le collaborateur bénévole ou occasionnel de service public qui se blesse, alors qu’il prête volontairement son concours aux autorités administratives pour réaliser une tâche d’intérêt public. Dans ce cas, celui-ci peut obtenir une réparation de l’administration sans avoir à prouver une faute de celle-ci1141. C’est le principe qu’a pu énoncer un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 22 novembre 1946. Dans cette affaire, des particuliers avaient accepté bénévolement, et sur la demande du maire, de tirer un feu d’artifice à l’occasion d’une fête locale. Au cours de cet évènement, ceux-ci sont blessés par l’explosion prématurée d’un engin. Le Conseil d’Etat, relevant qu’aucune imprudence ne pouvait être reprochée aux intervenants, affirme que « la charge du dommage qu’ils ont subi, alors qu’ils assuraient l’exécution du service public dans l’intérêt de la collectivité locale et conformément à la mission qui leur avait été confiée par la maire, incombe à cette commune »1142. La jurisprudence a par la suite précisé plus finement les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité. Si la collaboration doit en principe avoir été sollicitée par l’administration, comme l’affirme l’arrêt précédent (cette sollicitation peut n’être qu’implicite ou écartée en cas d’urgence), elle peut également jouer à défaut de toute sollicitation lorsque les circonstances rendaient l’intervention de la personne indispensable1143. Il convient ensuite que la personne soit intervenue dans l’intérêt général et non dans son intérêt propre1144. La jurisprudence rappelle également que le bénévole ne doit pas avoir subi le dommage en tant qu’usager.
120Finalement, l’on voit bien au travers de ces mesures, que le bénévolat n’est pas encadré par un véritable statut juridique unifié, mais seulement par des dispositions rares et dispersées. L’opportunité de la construction d’un véritable statut juridique consacré au travail bénévole ne fait pas l’unanimité. Pour certains, elle serait source de nombreuses réserves et de critiques appuyées. Pour d’autres, elle constitue une réelle nécessité.
B - Vers la construction d’un véritable statut pour le travail bénévole ?
121L’objet de ce développement est de s’interroger sur la pertinence et sur la nécessité, en tant que telle, de doter ou non le travail bénévole d’un statut juridique. À ce niveau de l’analyse il ne s’agit pas de s’intéresser à l’architecture précise que celui-ci pourrait éventuellement revêtir, mais seulement à « l’idée » elle-même qui vise à associer « travail bénévole » et « statut juridique », et sur l’opportunité d’une telle union. L’on analysera successivement les réserves que la construction d’un tel statut suggère, puis les avantages que celui-ci impliquerait pour le travail bénévole - et surtout pour la personne qui l’exerce - bien souvent en demande de protection et de reconnaissance.
1 - Les réserves relatives à la construction d’un statut du travail bénévole
122Les réserves relatives à la création d’un statut du travail bénévole sont nombreuses. Elles s’articulent autour de plusieurs points : comment encadrer juridiquement une activité empreinte de spontanéité et symbolisée par une liberté totale d’exercice ? N’existe-t-il pas dans ce cas un risque d’« enfermement » incompatible avec l’esprit même du bénévolat ? Ensuite, la construction d’un tel statut impliquerait que le bénévole puisse accéder dans le cadre de sa mission à un certain nombre de droits sociaux et d’« avantages ». Cette donnée pourrait-elle porter atteinte à la gratuité de cette activité et à son caractère désintéressé ? Pire, cette situation risque-t-elle d’entraver la nature et l’essence du bénévolat, lui niant alors toute sa spécificité ?
Bénévolat et encadrement juridique
123La première réserve est presque d’ordre « définitionnel » et concerne l’union a priori délicate entre bénévolat et statut. Elle suppose de soulever plusieurs interrogations : est-il conforme à l’esprit du bénévolat d’être encadré dans son exercice ? Le droit social a-t-il vocation à accueillir ce genre de prestations ? Dispose-t-il d’outils suffisamment spécifiques et adaptés pour le faire « correctement » et « pertinemment »1145 ?
124Concernant la question de « l’intrusion » du droit dans la sphère du bénévolat et selon certains auteurs, la création d’un statut, lui-même marqué par les notions de réglementation, d’encadrement et d’obligation, risquerait de bouleverser profondément la donne et l’esprit dans lequel s’exerce habituellement cette activité1146. Par définition, le bénévolat est « (...) un acte libre, spontané, que l’on fait sans y être obligé. Il est en dehors de l’engagement, de l’obligation, de la contrainte. Il est acte de cœur. Mais ce qui est libre, sans contrainte, spontané, lié au sentiment, échappe à l’obligation (...) »1147. L’on se trouverait ainsi face à une situation paradoxale, peut-être même face à une impasse, car « (...) comment encadrer la spontanéité ? Les mots jurent entre eux »1148. Ensuite, certains auteurs soulignent qu’il ne serait pas non plus de l’essence du droit social d’encadrer l’activité bénévole, celle-ci n’entrant pas dans son champ naturel d’application. En effet, « le droit social est un droit à finalité essentiellement professionnelle et qui se trouve donc par là même en antinomie avec la notion de désintéressement »1149.
125Cette non juridicité constituerait une composante essentielle de la prestation bénévole, qui dans le cas contraire et en cas d’encadrement, perdrait de facto son essence et sa spécificité. En effet, « (...) la bienfaisance est, par nature, en dehors du droit »1150 ; le bénévolat, selon ce point de vue, le serait aussi. C’est finalement peut-être cela qui forgerait sa particularité et en constituerait l’attrait principal. Comme le relève le Professeur Jean Carbonnier pour l’entraide amicale, « l’amitié implique une volonté désintéressée en dehors du droit ; sinon, les amis fonderaient une association, une amicale selon le droit. Et cela pourrait être la fin de leur amitié »1151.
126Si l’on suit ces analyses, la prestation bénévole quelle qu’elle soit, devrait alors, si l’on souhaite préserver sa nature, être forcément exercée en dehors du droit et de tous liens contractuels et/ou statutaires. Pour autant, il semble qu’une telle supposition n’ait un véritable impact et une réelle pertinence qu’au regard de certaines formes d’entraide. En effet, la situation d’entraide relevant de rapports amicaux ou familiaux ou le fait de rendre service ponctuellement à des êtres qui nous sont chers, doit être distinguée de l’activité exercée dans le cadre du bénévolat associatif. Dans le premier cas, il est vrai que l’intrusion du droit convient assez mal aux rapports amicaux et familiaux, en principe exclus de la sphère juridique. En revanche, dans le second cas, il est davantage question d’un engagement réalisé dans la durée, supposant des liens personnels moindres entre le bénévole et les bénéficiaires de ses activités. L’intrusion du droit dans ce cadre plus institutionnel semble poser moins de difficulté et avoir des conséquences moins « néfastes ».
Statut de droit et maintien du caractère désintéressé
127Une seconde réserve a trait à la difficulté de préserver le caractère désintéressé de l’activité bénévole malgré l’intrusion du droit et la soumission du bénévolat à la technique contractuelle. Doter l’activité bénévole d’un statut juridique impliquerait que soient associés à son exercice des avantages sociaux et une indemnisation, ce qui pourrait également mettre à mal le caractère désintéressé du bénévolat.
128Le mécanisme contractuel évoquerait en lui-même une opération nécessairement économique, car elle implique calcul, mesure et comparaisons des prestations fournies. Ainsi, « l’on contracte pour l’avantage de chacun, et ce n’est pas le mérite de la gratuité, mais l’espoir du gain que l’on recherche »1152. Soumettre l’exercice d’une telle activité à un encadrement juridique, notamment à la technique contractuelle, ébranlerait nécessairement l’aspect désintéressé de cette prestation puisqu’elle induirait un calcul, un engagement sujet à sanctions lorsque les prestations ne seraient pas correctement réalisées. Au-delà, l’inconvénient majeur de l’inclusion complète du bénévolat au sein du droit serait son absorption inéluctable par la sphère marchande qui retirerait inévitablement sa dimension gratuite. Se présenterait alors « un risque incontestable de dénaturation du bénévolat et d’hégémonie universelle de la sphère marchande »1153.
129Outre la technique contractuelle qui se marierait assez mal avec le bénévolat, que penser de l’octroi de droits et d’avantages sociaux en cas de réalisation d’une prestation gratuite ? Ces deux aspects sont-ils définitivement antinomiques ? Le travail « désintéressé » est-il condamné à ne jamais jouir d’un statut juridique, précisément pour cette raison ?
130D’appréciation constante, la notion « vague » d’activité désintéressée est avant tout synonyme de prestation effectuée sans contrepartie rémunératrice. Pour autant, l’activité désintéressée est-elle seulement celle qui est accomplie sans rémunération, ou bien est-elle (ce qui est profondément différent) celle qui est réalisée sans contrepartie matérielle ou immatérielle ?
131Il paraît délicat de savoir à partir de quand une activité passe précisément d’un domaine à l’autre. Quelques indices définitionnels sont avancés par la doctrine. Selon le Professeur Sylvie Moreau, la prestation désintéressée se délimite par le truchement de critères objectifs (particulièrement l’absence de rémunération) et subjectifs (au regard du « moteur » et du contexte motivant la réalisation de cette prestation)1154. Pour le Professeur Jean Savatier, « ce qui permet de reconnaître un caractère désintéressé à un travail, malgré les prestations dont bénéficie le travailleur pour lui permettre une vie décente, c’est sans doute que le travailleur accepte, en se mettant au service d’un organisme sans but lucratif dont il partage l’idéal, de renoncer à la rémunération qui correspondait à la valeur économique de son travail »1155.
132Aussi, nonobstant l’absence d’une rémunération, le fait de garantir au travailleur bénévole dans l’exercice de sa mission des droits juridiquement établis - l’on pense notamment à une indemnisation et à une protection sociale – comporterait pour beaucoup, un risque profond de dénaturation du bénévolat. D’un double point de vue : d’une part, il ne serait plus possible dans ces conditions de parler de travail véritablement gratuit et désintéressé, d’autre part, cette possibilité statutaire impliquerait un risque important de « résignation au bénévolat »1156. Ce statut, en raison des protections qu’il procurerait, pourrait alors attirer certaines personnes qui à défaut d’avoir une véritable vocation, ou ne serait-ce qu’une réelle envie d’exercer ce type d’activité, réaliseraient cette prestation pour les garanties qui l’accompagnent.
Le risque de professionnalisation
133Une autre réserve concerne le risque de professionnalisation et d’institutionnalisation lié à la création d’un statut. Un auteur affirme à ce propos que « dans le bénévolat organisé, il risque de ne plus y avoir de bénévoles, mais des professionnels du bénévolat »1157. Cela étant, n’est-il pas possible d’entrevoir cette problématique en sens inverse et de l’interpréter comme l’aboutissement de quelque chose qui est, au final, déjà en marche ? Ne s’agit-il pas de la conséquence naturelle d’un phénomène de professionnalisation déjà enclenché ? Ainsi, ce ne serait pas tant le statut qui induirait une professionnalisation du bénévolat, mais bien l’accès à un statut de droit qui constituerait la suite logique d’une professionnalisation qui irrigue elle-même d’ores et déjà progressivement le secteur associatif.
134L’on remarque que le bénévolat tend à devenir un « véritable métier »1158, impliquant parfois qualifications et savoir-faire. Le monde associatif se professionnalise assez nettement1159. De plus en plus de compétences ou d’expérience sont demandées au travailleur bénévole, non seulement pour être « sélectionné » (oserait-on dire recruté), mais également durant l’exercice de sa mission. Ce mouvement rejoint celui de la spécialisation du secteur associatif lui-même1160.
Le financement de ce statut
135Le problème essentiel concernant la construction d’un statut du travail bénévole est probablement celui de son financement, dans la mesure où il s’agit d’activités qui n’impliquent aucun revenu pour le travailleur, et qui s’effectuent au sein d’organismes à but non lucratif. La possibilité la plus souvent envisagée, assurément la plus opportune1161, est de mettre ce financement à la charge de la collectivité.
136Afin de justifier ce financement collectif, il est proposé par plusieurs auteurs de se fonder sur la distinction entre intérêt privé et intérêt public. Plus précisément, si l’activité désintéressée présente un intérêt public, le financement devrait être assuré par la société. Dans le cas contraire, il devrait rester à la charge du bénévole lui-même1162 ou de l’association. Le Professeur Jean Savatier envisage la possibilité d’un financement assuré par l’Etat, mais sous certaines conditions (uniquement pour des organismes agréés par lui) et le montant de ces aides devrait varier en fonction de la situation du bénévole (notamment savoir s’il dispose déjà de revenus de substitution (retraités, préretraités ou chômeurs indemnisés)1163. Le parlementaire Bernard Murat préconise également que le financement de ce statut soit assuré par l’Etat1164.
137Si l’ensemble des réserves et craintes susvisées repose sur des arguments solides, nous pensons qu’un statut du travailleur bénévole est, malgré cela, nécessaire, a fortiori si l’on souhaite « hisser » le bénévolat au rang de travail. « Notre droit a besoin de l’institution d’un statut général du travail associatif »1165.
2 - Une construction nécessaire
138L’on se trouve ici face à une question fondamentale : faut-il préserver à tout prix le caractère désintéressé de l’activité de bénévolat qui pourrait être éventuellement mis à mal en présence d’un statut synonyme d’avantages et de garanties, ou bien décider de faire prévaloir la nécessité de protéger la personne qui l’exerce ? Si la question peut paraître un peu abrupte, il n’est pas sans intérêt de la poser en termes aussi lapidaires.
139Pour formuler autrement, quelle facette de la notion de statut choisit-on de « regarder en premier », de faire dominer : celle de l’encadrement et de l’obligation qui se marient assez mal avec l’idée de bénévolat, ou celle de protections et de garanties qui se conjuguent en revanche « naturellement » bien avec l’idée de travail ? La réponse à cette interrogation doit, selon nous, s’orienter vers la seconde possibilité, particulièrement si l’on désire entrevoir le bénévolat comme du « travail » digne de ce nom, et non comme une simple activité. Qualifier l’activité bénévole de « travail » implique « logiquement » de lui adosser un statut de droit au même titre qu’un travail exercé dans une finalité professionnelle ou semi – professionnelle, tout en maintenant sa spécificité et en bâtissant un cadre juridique épousant parfaitement les atypismes de cette forme de travail. Dans le cas contraire, on nie la présence de la personne qui l’accomplit, ce qui revient à faire prévaloir la nature de l’activité sur la protection de l’individu qui l’exerce. Mais on occulte également une composante essentielle du travail – le statut de droit - qui doit (ou devrait) en principe, toujours l’accompagner. De ce point de vue, l’opportunité de l’association entre statut de droit et travail – même désintéressé – nous apparaît bien réelle.
140Dans cette ligne d’idées, il convient de rappeler l’intéressante proposition relative à l’élaboration d’un contrat de travail solidaire. Celle-ci a pour ambition principale d’offrir un cadre juridique aux personnes qui souhaitent accomplir une activité de travail solidaire ou extra-professionnelle (dont l’activité bénévole)1166.
141Afin de distinguer le travail salarié du travail solidaire les auteurs proposent de retenir deux critères cumulatifs : l’un est juridique, l’autre a trait au caractère désintéressé de l’activité solidaire. Le premier de ces éléments tient au caractère non professionnel du lien de subordination exprimé. Ce lien trouve uniquement sa source dans l’engagement solidaire de son auteur avec sa communauté d’appartenance1167 (comme pour les compagnons d’Emmaüs par exemple). Le second concerne le caractère désintéressé de l’activité. Pour être assimilable à une activité solidaire, le travail ne doit pas remplir une fonction principalement économique. Par conséquent, ce contrat s’adresse à des travailleurs bénévoles ou volontaires et particulièrement à ceux qui accomplissent leur mission auprès d’organismes labellisés (agréés)1168. Les auteurs semblent plus réservés sur la possible application de ces contrats au personnel religieux.
142S’agissant de son architecture, la proposition insiste sur la nécessité pour les parties de prévoir expressément l’objet du contrat d’activité solidaire. Par exemple, il serait utile d’énoncer précisément dans les lignes du contrat qu’il s’agit d’un engagement sciemment souscrit à titre bénévole, « dans le cadre d’une activité non professionnelle, c’est-à-dire qui n’a pas pour finalité l’exercice d’une profession ou d’un métier destiné à procurer un revenu »1169. Il est également suggéré que soient mentionnés dans le contrat : le montant et la forme de l’indemnité, la durée de l’engagement et les conditions d’exercice de l’activité solidaire. Les auteurs préconisent aussi d’imposer une obligation d’information préalable au profit du travailleur. Toute référence de nature disciplinaire doit aussi être exclue. La seule sanction possible est la rupture du contrat. Enfin, concernant la protection sociale de ces travailleurs, il conviendrait de « (...) procéder à l’affiliation, à titre obligatoire, de l’ensemble des travailleurs appartenant à cette catégorie à un régime de Sécurité sociale unique (comme le régime général), moyennant le paiement d’une cotisation annuelle forfaitaire »1170.
143À l’instar de certaines propositions formulées par la doctrine, dont celle relative au contrat d’activité extra-professionnelle ou solidaire, nous pensons que tout travail (et donc que tout travailleur) mérite « statut » - a fortiori le travail bénévole - car il est un moyen de reconnaître et de valoriser, par l’octroi d’avantages sociaux collectivement garantis, l’utilité et la place sociétales de ce travail, mais aussi d’inciter et d’encourager son exercice.
144À ce stade de l’analyse, il n’est pas encore question de préciser de façon détaillée l’architecture d’un éventuel statut du travail bénévole. Il semble néanmoins utile d’esquisser d’ores et déjà ses contours principaux. Il devrait être organisé autour de deux volets : l’un relatif à l’indemnisation et l’autre à la protection sociale du bénévole. Concernant son champ d’application, la création d’un tel statut ne serait assurément pertinente que pour le bénévolat réalisé au sein d’une structure associative, notamment pour des personnes qui l’accomplissent dans une visée « semi » professionnelle, c’est-à-dire qui n’ont pas d’autre activité professionnelle en parallèle et qui l’exercent à titre principal et pendant une durée relativement longue. Dans le cas contraire, pour le bénévolat ponctuel ou informel, lorsque la personne travaille par ailleurs la nécessité d’un statut serait moindre1171.
145Le statut serait le moyen le plus sûr d’assurer une protection à la personne dans l’exercice de sa mission altruiste. Ce faisant, il s’agit également de protéger le bénévole « contre lui-même ». Si celui-ci s’engage à travailler gratuitement – ce qui ne serait nullement remis en cause, même en cas de statut et d’indemnisation - il n’est pour autant pas question « d’apostolat »1172 ou de sacrifice, encore moins d’appauvrissement. Il ne s’agit pas par un tel statut de « rétribuer » le bénévole, de l’enrichir, mais bien de protéger la personne avant même le travailleur, et d’éviter qu’elle ne se trouve dans une situation délicate du fait de son activité désintéressée. Dans ce cadre, l’indemnisation s’apparenterait à un moyen de subsistance permettant de vivre dignement, et non à une rétribution équivalente à la valeur marchande du travail fait1173. Il convient ici d’assurer « non pas une rémunération correspondant à la valeur économique de sa prestation de travail, mais des moyens de subsistance lui permettant de vivre, et compatibles avec le caractère désintéressé de son travail »1174, ceci justifiant que l’on puisse – sans toucher à la nature du bénévolat – assurer une indemnisation, ainsi qu’une protection sociale au travailleur. Le statut du bénévolat doit être entrevu non comme un « gain », mais comme une contrepartie essentielle pour toute personne qui travaille puisque participant de sa dignité et de sa sécurité. C’est pourquoi « l’activité associative peut demeurer bénévole et constituer un travail sans contrat de travail, même si elle procure aux intéressés certains avantages (...). L’essentiel est de veiller à ce que cette compensation ne soit pas conçue comme le prix d’un travail, tel qu’il est apprécié sur le marché du travail »1175.
146La question de la « gratuité » et du « désintérêt » est en outre, comme nous l’avons vu, on ne peut plus délicate et complexe. Les inquiétudes soulevées à cet égard sont assurément exagérées. La définition de ces termes prête nécessairement à l’imprécision et à la pluralité1176, et il n’est pas certain que la notion « d’activité désintéressée » réponde pour tous d’une acception analogue, d’autant que la gratuité totale et le désintérêt pur n’existent même peut-être pas1177. En effet, lorsque le bénévole exerce sa mission, même sans statut, celui-ci y trouve probablement un intérêt, ne serait-ce que moral. Aussi, est-il toujours possible, même dans ces conditions de parler d’activité totalement désintéressée et gratuite ?
147En cas d’absence de gratuité totale de l’activité, ceci suffit-il à condamner définitivement la dimension désintéressée de l’activité ? Cette donnée constitue-telle au contraire une composante naturelle probablement inhérente à chaque activité humaine ? Les propos du Professeur Jean Rivero sont à cet égard révélateurs et semblent résumer au mieux le paradoxe gravitant autour de cette notion complexe, « il faut, me semble-t-il, maintenir cette idée qu’il y a chez l’homme une part de désintéressement. Et peut-être n’est-elle pas absolument pure, mais qu’est-ce qui est entièrement pur chez l’homme ? Peut-être y a-t-il toujours au fond de chacun de nos comportements un zeste d’amour-propre, un souci de soi-même, le souci de trouver son propre équilibre, de se mettre en paix avec sa conscience ; mais, encore une fois, est-ce réductible à la quête du plus ? Personnellement, je ne le crois pas »1178. En somme, si l’activité désintéressée existe, l’activité totalement désintéressée n’existe sans doute pas.
148Pour associer « bénévolat » et « statut juridique » - sans toucher à l’essence du travail bénévole – le plus important est que la recherche d’un tel statut ne constitue pas la cause principale de l’engagement de la personne. Il convient que celui-ci soit simplement entrevu comme une motivation supplémentaire, ou comme une soupape de sécurité. À ces conditions, la nature du bénévolat n’est pas entravée car « même si le travailleur bénévole n’est pas totalement désintéressé, même s’il recherche au moins des satisfactions morales, il reste qu’il donne son temps et se donne lui-même au service d’une cause qui le dépasse, et qui est souvent d’intérêt général »1179. Certes, le doute, l’incertitude, « l’ambiguïté sera maîtresse » pour reprendre les propos du Professeur Sylvie Moreau, mais ce doute-là est à notre sens nettement préférable au manque de reconnaissance et de protection juridique du bénévole, qui est bien plus préoccupante et préjudiciable.
La situation du conjoint travaillant au foyer soulève
peu ou prou les mêmes intérrogations et réserves.
§2 - Le travail du conjoint au foyer
149Le travail du conjoint au foyer évoque un ensemble d’activités relativement large. Il semble recouvrir deux catégories essentielles de « prestations » qui ne sont pas toujours cumulativement exercées par le conjoint : les activités relevant de l’éducation des enfants (le « travail » parental) et les tâches relatives à l’entretien du foyer (courses, ménage, cuisine, entres autres). À l’instar du travail associatif, l’activité domestique et parentale est timidement prise en compte par le droit et ne répond pas d’un corpus juridique spécifique et uni. L’on retrouve de façon éparpillée certaines dispositions notamment en droit civil1180, en droit de la sécurité sociale, ainsi qu’en droit du travail.
150Ces quelques mesures dispersées, trop peu nombreuses pour évoquer le terme de « statut », forment une combinaison complexe, fragile, et innervée par une impression d’insécurité. Il en va ainsi au regard de la couverture sociale attribuée au conjoint au foyer, qui a pour particularité de reposer sur un double lien de dépendance. D’abord, elle découle directement de l’activité professionnelle exercée par le conjoint se trouvant hors du foyer, elle est ensuite strictement liée au statut matrimonial. En somme, c’est parce qu’il est marié, concubin ou pacsé d’un assuré social, et parce que l’autre membre du couple exerce une activité professionnelle, que le conjoint peut avoir accès à certaines prestations sociales (I).
151Face à cette protection, synonyme en première approche de « régime de faveur », mais en réalité fragile et incertaine à l’image d’une protection « en trompe l’œil », il paraît nécessaire pour certains observateurs de construire un « statut » autonome qui serait forgé non sur l’état matrimonial du conjoint, mais bien sur ce qu’il fait et sur l’activité que lui-même exerce, même si celle-ci s’effectue au foyer. Ceci représenterait un double enjeu : pour la personne (parent et/ou conjoint) elle-même, qui ne serait plus dépendante de l’activité professionnelle d’autrui, ni même de son statut matrimonial, puis pour la valorisation de l’activité au foyer qui pourrait par ce biais et à elle seule, être source de droits sociaux autonomes (II).
I - Une protection fondée sur le travail d’autrui
152La situation du conjoint au foyer traduit une impression de fragilité et d’incertitude. D’un point de vue juridique, son activité n’est pas considérée comme du travail à proprement parler. De plus, dans la mesure où notre système de protection sociale repose sur une logique professionnelle et fonctionne par des cotisations assises sur les revenus du travail, les quelques prestations sociales dont les conjoints au foyer bénéficient actuellement sont donc « à la charge » de la collectivité des travailleurs. Ce qui est à l’origine de nombreuses critiques1181, et source de fragilités nouvelles.
153Ensuite, cette situation juridique est instable, parce qu’elle ne dépend pas directement du conjoint au foyer lui-même, mais du lien qui l’unit à son époux ou concubin, assuré social. Ainsi, tant que l’un travaillera, l’autre, le conjoint au foyer, aura accès « par ricochet » à certaines prestations sociales via le mécanisme des droits dérivés (A), tout en relevant que l’accès à ces mêmes droits dérivés n’est possible qu’en raison de son statut matrimonial et en vertu de sa condition « d’ayant-droit » (B). D’où la fragilité de ces situations qui peuvent prendre fin brutalement, aussi bien en cas de rupture du lien matrimonial, divorce ou rupture, qu’en cas de cessation de l’activité professionnelle du conjoint, démission ou licenciement.
A - Une protection « par ricochet » : le mécanisme des droits dérivés
154La notion de « droits dérivés »1182 est relativement floue et ne répond pas d’une définition légalement établie. Elle semble désigner une technique d’extension de certains droits sociaux au profit d’une personne « inactive » qui se trouve à la charge d’un assuré social et qui ne dispose pas de protections propres1183. Les droits dérivés s’opposent aux droits propres et individualisés1184.
155Répondent de la technique des droits dérivés qui permettent à l’ayant – droit1185 de jouir de certaines prestations : les prestations en nature de l’assurance maladie - maternité, et l’accès à une pension de réversion1186 en matière d’assurance vieillesse. Dans le premier cas, il s’agit d’une extension de droits à proprement parler, dans le second il est question d’un transfert de droits1187.
1 - Les prestations en nature de l’assurance maladie/maternité
156Il est coutumier d’affirmer que l’assurance maladie présente un « caractère familial »1188. Ceci est visible au regard des prestations en nature qui s’étendent à un éventail assez large de personnes insérées dans le cercle familial de l’assuré social (dont le conjoint, qu’il soit époux, concubin hétérosexuel1189 ou homosexuel1190, ou partenaire pacsé1191). Dès lors, le conjoint au foyer, en raison de son statut d’ayant - droit d’un assuré social, bénéficie de droits dérivés en matière de prestations en nature de l’assurance maladie1192 et maternité. Précisons que dans ce cas il reçoit même le qualificatif « d’ayant - droit autonome », ce qui lui permet d’être personnellement remboursé de ses frais de soins1193 sans passer par l’assuré lui-même. Un auteur relève à juste titre que ce droit dérivé subit de facto une « individualisation partielle »1194, puisque l’ayant - droit est personnellement remboursé.
157Le conjoint au foyer bénéficie également de droits dérivés en matière d’assurance vieillesse et d’accès à une pension de réversion.
2 - L’assurance vieillesse : la pension de réversion1195
158L’article L. 353-1 du Code la Sécurité sociale1196 prévoit qu’au décès1197 de son conjoint, l’époux survivant1198 peut avoir accès à une fraction de la pension de vieillesse, dont le conjoint décédé bénéficiait ou aurait dû bénéficier avant son décès. Celle-ci, dont le versement est assuré sous condition de ressources1199 et d’âge1200 (jusqu’en 20031201, d’autres conditions étaient également imposées concernant la durée du mariage1202, ou celle de non - remariage en cas de divorce), est censée permettre à la veuve (ou au veuf) qui se trouvait à la charge de l’assuré(e), de maintenir le niveau de vie dont elle (il) jouissait avant le décès de son mari (ou épouse)1203. Le montant de cette pension représente 54 % du montant brut de la retraite de base dont bénéficiait ou allait bénéficier l’époux. Celle-ci peut également être assortie d’une majoration forfaitaire pour chaque enfant à charge1204 et d’une majoration de 10 % si le conjoint survivant a élevé au moins trois enfants.
B - Une protection dépendante du lien matrimonial
159Si le conjoint au foyer peut accéder à certaines prestations sociales, ceci n’est possible qu’en raison de son état matrimonial1205. La protection dont celui-ci bénéficie est par conséquent relative, elle ne tient finalement « qu’à un fil », pouvant cesser brutalement en cas de rupture, de divorce, de chômage, ou en cas de décès de l’assuré. Dans une telle situation, afin d’éviter une exclusion trop directe et pour que l’ayant - droit trouve un moyen de s’affilier à un autre titre, la loi prévoit un maintien des droits pendant une durée de douze mois1206. À l’expiration de cette période, le bénéfice des prestations en nature de l’assurance maladie – maternité se prolonge par l’affiliation obligatoire du conjoint au régime général, si celui-ci n’est couvert à aucun autre titre et lorsqu’il a à sa charge au moins trois enfants1207.
160Même si des sécurités existent en cas de rupture du lien matrimonial, cette situation met la personne au foyer dans une situation relativement inégalitaire, de dépendance « problématique » peu sécurisante. Elle se trouve protégée non en raison de son activité, mais seulement en vertu des liens matrimoniaux qui l’unissent à l’assuré social. Elle existe au regard du droit de la Sécurité sociale, non grâce aux tâches qu’elle réalise au foyer, mais seulement parce qu’elle est une épouse ou une concubine à la charge d’un assuré social. Par conséquent, celle-ci intéresse le droit en raison de son inactivité professionnelle supposée, ce qui rend nécessaire de lui assurer des droits sociaux, puisqu’elle ne peut être protégée au titre de son travail1208.
161Cette dimension matrimoniale et familiale dans l’octroi des prestations sociales est palpable lorsque l’on se penche sur l’origine même du concept de droits dérivés : « en forçant à peine le trait, on pourrait dire que le travailleur mâle contractait une assurance le couvrant dans ses responsabilités familiales : en remboursant les soins prodigués à ses ayants-droit, la sécurité sociale le protégeait, lui, contre les risques pécuniaires liés à sa situation d’homme marié ou à sa paternité. Les droits dérivés constituaient ainsi en quelque sorte une « assurance père de famille » »1209.
162C’est en vue de pallier cette situation qui met la personne au foyer dans une situation délicate car synonyme de dépendance, mais également en raison des critiques tenant au fait que les prestations dont celle-ci bénéficie reposent sur un financement collectif qui ne serait pour certains pas justifiée, qu’il convient de réfléchir à l’octroi de droits propres pour la personne qui travaille au foyer (préférable aux notions d’époux (se), ou de conjoint). Il est nécessaire que la protection sociale dont celle-ci jouit soit basée et attribuée en raison de l’activité qu’elle-même exerce, et non grâce à celle de son conjoint. En outre, il convient que la personne qui décide de se consacrer à l’éducation de ses enfants et à l’entretien de son foyer soit entrevue par le droit de la Sécurité sociale, non comme une personne en demande et « entretenue », mais comme un individu actif qui peut légitimement et de façon indépendante bénéficier de prestations sociales, en raison de son activité, de son travail.
II - Des droits sociaux attribués en raison du travail accompli par le conjoint au bénéfice du foyer
163Pour reprendre les propos de Rolande Cuvillier, l’objectif est « (...) de traiter la personne au foyer en fonction de ce qu’elle fait et non de ce que fait l’autre membre du couple »1210. Pour le dire autrement, il semble nécessaire de prendre en considération celle-ci - en raison de son activité (de son travail) - et non de sa situation matrimoniale. Dans une certaine mesure, ce mouvement est déjà enclenché, puisque l’on relève l’émergence de droits propres pour le « parent » au foyer en droit de la Sécurité sociale, mais aussi de manière beaucoup plus indirecte en droit du travail, où un droit à l’exercice d’une activité parentale prend progressivement place (A). Une attention particulière doit également être portée au conjoint effectuant un travail au sein de l’entreprise familiale. S’il ne s’agit pas d’un travail au foyer à proprement parler, il est toutefois question, comme en cas de travail domestique privé, de réaliser une prestation, parfois gratuitement, au bénéfice de son foyer (de l’entreprise familiale). Une loi du 2 août 2005 oblige le conjoint, alors pleinement entrevu comme un « travailleur », à choisir un statut pour accéder à certaines prestations sociales essentielles (B). Si l’accès à des droits autonomes est nécessaire, et que l’exemple du statut du conjoint du chef d’entreprise ouvre la voie, est-il pour autant opportun de se diriger vers un statut complet visant à encadrer le « travail du foyer »1211 ? Plusieurs propositions militent en ce sens (C).
A - Le parent au foyer : l’émergence progressive de droits propres
1 - En matière de Sécurité sociale : l’existence de droits individualisés
L’affiliation à l’assurance vieillesse
164En principe, les périodes prises en compte au titre de l’assurance vieillesse sont seulement celles durant lesquelles la personne a exercé une activité professionnelle rémunérée et a pu à ce titre cotiser pendant une durée suffisamment longue. Cependant, comment procéder lorsque l’on souhaite assurer l’accès aux prestations vieillesse à des personnes qui n’ont jamais cotisé, car s’étant pleinement consacrées à leur foyer ? Plusieurs interrogations se posent : concernant le financement de ces prestations tout d’abord, par définition non contributives, et s’agissant de la « légitimité » de celles-ci à pouvoir accéder gratuitement à ces mêmes avantages sociaux dans la mesure où ils constituent en principe le résultat, la « récompense » de toute une carrière professionnelle. Néanmoins, dans certains cas, la question de la légitimité de l’accès à ces prestations devrait être posée dans un sens différent. En effet, les personnes qui ont assuré une activité continue au foyer (certes non professionnelle), qui se sont consacrées (par choix ou par obligation) à l’éducation de leurs enfants, et qui n’ont pas pu exercer une activité professionnelle rémunérée, ne devraient-elles pas elles aussi avoir automatiquement accès à ces prestations (au moins à une partie de celles-ci) ?
165Pour pallier cette situation, plusieurs solutions sont légalement prévues afin d’autoriser l’accès à des droits en matière de retraite. Dans ce cas, comme l’explique le Professeur Jean-Jacques Dupeyroux, l’accès à ces prestations est entrevu comme « la compensation du handicap professionnel résultant de la naissance et de l’éducation des enfants »1212.
L’assurance vieillesse des parents au foyer
166L’assurance vieillesse des parents au foyer1213 permet d’organiser une affiliation obligatoire au régime général de la personne au foyer « en tant que telle », et non en vertu de droits dérivés ; la différence est importante. Dans ce cas, les cotisations sont prises en charge par la caisse d’allocations familiales, et un transfert interne s’effectue entre la caisse nationale des allocations familiales (C.N.A.F.) et la caisse nationale d’assurance vieillesse (C.N.A.V.) pour assurer le financement de ces prestations. Aussi, par définition, cette affiliation concerne nécessairement les périodes durant lesquelles le parent bénéficie de prestations familiales, étant donné que c’est cette dernière qui assure auprès de l’assurance vieillesse le versement de ces cotisations forfaitaires. L’assurance vieillesse des parents au foyer (qui ne concernait à l’origine que les seules mères au foyer)1214 fut créée par une loi du 3 janvier 19721215. Elle avait pour finalité principale d’assimiler les périodes passées par les mères au foyer à élever leurs enfants, à des périodes d’assurance, dans le cadre du calcul des pensions de vieillesse. Cette étape est importante puisqu’elle amorce, à défaut d’une assimilation directe, un rapprochement significatif entre le travail domestique relevant de l’éducation des enfants et l’exercice d’une activité professionnelle plus « classique ». Ce dispositif s’est progressivement généralisé pour concerner aujourd’hui, toute personne physique percevant certaines prestations ou ayant à charge un enfant ou un adulte handicapé. Elle vise à « compenser » les périodes pendant lesquelles le parent cesse son activité professionnelle pour s’occuper de son enfant (ou de ses propres parents), en préservant ses droits à la retraite par une affiliation gratuite.
167Cette assurance s’adresse à la personne isolée élevant seule ses enfants ou, pour un couple, à l’un ou l’autre de ses membres n’exerçant pas d’activité professionnelle, bénéficiaire « du complément familial, de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant, ou du complément de libre choix d’activité de cette prestation »1216. Elle concerne également « la personne isolée ou chacun des membres d’un couple exerçant une activité professionnelle à temps partiel, bénéficiaire du complémente de libre choix d’activité à taux partiel »1217. L’assujettissement de ces personnes au régime général est soumis à différentes conditions. L’une est relative aux ressources de la personne isolée ou du couple qui doivent être inférieures à un plafond fixé par décret. L’autre concerne l’âge et le nombre d’enfants dont celui-ci doit assurer la charge1218. Rappelons que le complément familial est attribué, sous condition de ressources, aux ménages et aux personnes seules assurant la charge d’au moins trois enfants tous âgés d’au moins trois ans1219. La prestation d’accueil du jeune enfant est constituée d’une prime de naissance, d’une allocation de base et d’un complément de libre choix offert dès le premier enfant, versée jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de trois ans. Ces prestations sont accordées sous conditions de ressources. Le complément de libre choix est notamment versé aux parents qui cessent leur activité professionnelle (ou passent à temps partiel) pour s’occuper de leur enfant. Cette assurance s’applique également au parent qui bénéficie de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP)1220 (versée au cours d’un congé de présence parentale1221), et à la personne qui suspend son activité professionnelle pour s’occuper d’un membre proche de sa famille qui présente « (...) un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité » (pour les salariés, il s’agit du congés de soutien familial)1222. Cette affiliation obligatoire concerne aussi la personne (qu’elle soit isolée ou en couple) qui a à sa charge un enfant handicapé, dont les ressources ne dépassent pas le plafond du complément familial, et seulement si cette affiliation n’est pas déjà acquise à un autre titre. Concernant l’enfant à charge, ce dernier doit avoir moins de vingt ans, ne doit pas être admis dans un internat, et son incapacité doit être au moins égale à un taux de 80 %.
Le minimum vieillesse
168La personne au foyer peut également se prévaloir d’une autre sécurité qui relève du minimum vieillesse. Il s’agit d’un revenu minimal garanti à la personne (pas spécifiquement au foyer) ne disposant pas de ressources, et qui ne peut se prévaloir du versement d’une pension de vieillesse. Il implique le versement d’une « allocation de solidarité aux personnes âgées » (ASPA) - allocation différentielle - versée à la personne âgée d’au moins 65 ans (ou 60 ans en cas notamment d’inaptitude au travail) dont les ressources sont inférieures à un certain seuil, et qui réside d’une manière stable et régulière en France1223. Elle concerne la personne et, le cas échéant, son conjoint ou concubin ou partenaire lié par un PACS, qui ne peut obtenir le versement d’une pension de vieillesse (de retraite ou de réversion) au titre de dispositions législatives ou réglementaires1224. L’ASPA, issue d’une ordonnance du 24 juin 20041225 visant à simplifier le minimum vieillesse, permet la substitution d’une allocation unique (ASPA) à un ensemble complexe de plusieurs allocations de base. Elle a notamment remplacé l’ancienne allocation aux mères de famille dont bénéficiaient les mères de famille, conjointes, veuves ou divorcées d’un salarié1226, ayant élevé au moins cinq enfants et âgée de 65 ans, et ne disposant pas d’une pension de vieillesse ou de réversion plus avantageuse.
L’assurance volontaire
169Pour finir, il est possible pour le conjoint au foyer, s’il en remplit les conditions, de souscrire une assurance vieillesse volontaire1227. Néanmoins, celle-ci soulève les mêmes difficultés que pour le travail associatif, dans la mesure où elle implique un financement personnel assez difficilement conciliable avec l’absence de revenus.
Les prestations en nature de l’assurance maladie
170Une recommandation du Comité Economique et Social relevait déjà en 1984, qu’« il serait (...) plus clair et plus honnête sûrement de payer l’assurance-maladie et l’assurance maternité à toute femme malade ou enceinte comme un droit direct, plutôt que comme un droit dérivé gagné parce qu’on est à charge de son amant, ce dernier fut-il marié »1228.
171Dans cette ligne d’idées, la personne au foyer dépourvue de protection en ce domaine, car non affiliée à un autre titre, peut bénéficier individuellement des prestations en nature de l’assurance maladie - maternité, indépendamment de son statut matrimonial, au titre de la couverture maladie universelle de base (C.M.U.)1229. Si le problème est en pratique en partie résolu, car une protection est effectivement et personnellement assurée à la personne, d’un point de vue théorique, il ne l’est pas. En effet, la C.M.U. prévoit une protection universelle pour la personne – quelle qu’elle soit – qui ne dispose pas de protections à un autre titre1230. Il ne s’agit donc pas d’assurer spécialement une couverture à la personne au foyer en raison de l’activité qu’elle accomplit au sein de sa communauté familiale, mais bien seulement d’assurer un minimum de protections à tout individu qui n’en n’est pas autrement doté. D’autant plus qu’en la matière l’accès à ces prestations ne constitue un droit « propre » que dans la mesure où le lien matrimonial est rompu. Dans le cas contraire, la personne évoluant au foyer bénéficie de ces prestations, non au titre de la C.M.U. et de droits individuellement attribués, mais bien en raison de son statut d’ayant – droit d’un assuré social et donc prioritairement, via le mécanisme des droits dérivés.
2 - En droit du travail : un droit à « l’activité parentale »
172L’idée d’émergence de droits propres pour le parent au foyer, doit, en droit du travail, être nuancée. En effet, contrairement au droit de la Sécurité sociale, il ne s’agit pas d’attribuer des droits individuels à la personne travaillant au sein du foyer, mais bien de reconnaître à l’individu, dans le cadre de son activité professionnelle, un droit à l’activité familiale et parentale. Cette étape est importante, car elle permet une reconnaissance juridique de l’existence de cette activité, et parce qu’elle octroie individuellement des droits à la personne du travailleur pour qu’il puisse se consacrer pleinement à ces mêmes activités familiales et parentales. Ces éléments participent assurément, de près ou de loin, de l’idée de « statut de parent au foyer ».
173L’activité parentale est déjà partiellement encadrée par le Code du travail. Elle est entrevue comme un droit à une parenthèse plus ou moins longue dans la vie professionnelle. Ceci est d’abord le cas pour le congé de maternité, attribué avant et après l’accouchement1231, qui permet à la salariée d’avoir un temps de repos et de récupération suffisants, mais qui lui assure aussi de pouvoir pendant un laps de temps précis, s’occuper pleinement de son enfant et se consacrer entièrement à son éducation. Il en va de même en ce qui concerne le congé de paternité1232. Le parent peut aussi bénéficier d’un congé parental d’éducation1233 qui peut aller jusqu’à trois années, pour se consacrer totalement à l’éducation de son enfant. L’idée est un peu identique, même si les circonstances sont différentes, en cas de congé de présence parentale1234 où le parent décide de cesser son activité pour s’occuper de son enfant dépendant.
B - Le conjoint exerçant une activité non rémunérée au sein de l’entreprise familiale : le statut de conjoint collaborateur
174Même s’il ne s’agit pas d’un travail effectué directement au sein du foyer, la situation du conjoint apportant son concours au fonctionnement de l’entreprise familiale a longtemps soulevé un ensemble d’interrogations analogues à celles évoquées dans le cadre du travail au foyer, notamment s’agissant de la protection devant être assurée au conjoint travaillant gracieusement au sein de cette entreprise.
175Depuis une loi du 2 août 20051235, afin de corriger l’absence de protection du conjoint du chef d’entreprise dont l’activité était le plus souvent entrevue comme une simple activité d’entraide, celui-ci a désormais l’obligation (et non plus seulement la faculté) de choisir parmi l’un des statuts suivants : le statut de conjoint de salarié, d’associé ou de collaborateur1236. L’on évoquera plus précisément le dernier d’entre eux, dans la mesure où il accorde au conjoint travaillant sans rémunération et au bénéfice de l’entreprise familiale, la possibilité de bénéficier de certains avantages sociaux1237. Ce cas de figure se rapproche le plus de la situation du conjoint au foyer. Il pourrait éventuellement servir de cadre de référence pour la création d’un statut du conjoint au foyer, dans la mesure où ces activités ont pour point commun d’être accomplies gratuitement et au bénéfice du foyer.
176Le statut de conjoint collaborateur est reconnu au conjoint du chef d’entreprise commerciale, artisanale ou libérale qui exerce une activité professionnelle régulière dans l’entreprise sans percevoir de rémunération. En fonction de son activité, le conjoint sera inscrit au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou immatriculé auprès de l’U.R.S.S.A.F.
177Il bénéficie d’abord d’une couverture en matière d’assurance maladie – maternité. Il a gratuitement accès en tant qu’ayant - droit du chef d’entreprise aux prestations du régime des professions indépendantes. La conjointe a droit à une allocation forfaitaire de repos maternel1238, ainsi qu’à une indemnité de remplacement en cas de maternité. De plus, quand la conjointe du chef d’entreprise cesse son activité pendant au moins sept jours et fait appel à du personnel salarié pour la remplacer dans les travaux, professionnels ou ménagers, une indemnité complémentaire lui est versée1239.
178En matière de retraite, le conjoint collaborateur est obligatoirement affilié au régime de retraite de base et complémentaire, d’invalidité-décès, auquel est affilié le chef d’entreprise. En contrepartie de ces cotisations, celui-ci jouira de droits propres. Concernant le régime de base, les cotisations d’assurance vieillesse du conjoint collaborateur sont calculées, en l’absence de rémunération, soit sur un revenu forfaitaire ou un pourcentage du revenu professionnel du chef d’entreprise, soit sur une fraction de ce revenu qui sera ensuite déduite de l’assiette de sa propre cotisation1240. En plus de cette couverture sociale, le conjoint dispose d’un droit à la formation professionnelle et peut participer au plan épargne de l’entreprise.
179Par conséquent, l’exemple du conjoint collaborateur travaillant au sein de l’entreprise familiale permet d’ouvrir la voie en démontrant qu’une couverture sociale et certains droits peuvent être garantis même en cas d’activité professionnelle non rémunérée et familiale, et de surcroît, que l’accès à ceux-ci peut même être basé sur l’exercice de cette activité. Pour autant, doit-on choisir un chemin analogue pour le conjoint qui travaille au foyer ? Convient-il d’assurer une protection minimale pour chaque forme de travail réalisée au bénéfice du foyer et de la famille (que ce soit dans le cadre de l’entreprise familiale ou du foyer stricto sensu) ?
C - Le « travailleur au foyer » : vers la création d’un statut autonome ?
180Si l’octroi de droits propres pour la personne évoluant au foyer est de notre point de vue indispensable, ceci n’est pas sans soulever difficultés et réserves. Tout d’abord, il s’agit par ce biais de doter de droits sociaux spécifiques, la personne accomplissant des activités qui relèvent avant tout de devoirs moraux, d’obligations légalement établies et qui incombent à chaque individu, que celui-ci exerce ou non une activité professionnelle hors du foyer1241. Aussi, la difficulté essentielle concernant la légitimité d’un statut spécifiquement consacré au travail au foyer réside dans le fait que ce dernier fait parties des obligations que chacun se doit d’accomplir. C’est pourquoi, selon certains auteurs, il ne pourrait s’agir de travailleurs à proprement parler dans la mesure où leurs tâches quotidiennes n’auraient rien à voir en termes de pénibilité et de durée avec l’exercice d’un emploi classique1242. « L’épouse au foyer ne peut être considérée comme une travailleuse, quoi qu’elle fasse de son temps et qu’elle ait des enfants ou non. Dans son cas, il n’y a pas de relation contractuelle, de tâches définies, d’exigences de formation ou de qualifications, d’obligation de faire ou de ne pas faire, d’objectifs de rendement ou de résultat, de contrôle, de contraintes disciplinaires, de risques de sanction, de licenciement ou de chômage »1243.
181Pourtant, en pratique, l’on relèvera que les tâches effectuées par le conjoint au foyer correspondent toutes à des activités qui pourraient être effectuées par des professionnels et échangées contre rémunération (s’occuper d’enfants, faire le ménage, cuisiner, faire faire les devoirs à ses enfants). C’est bien que leurs tâches, en tant que telles, ne différent pas trop de celles qu’occupent certains salariés ou indépendants. La différence essentielle réside alors dans la manière dont se déroule le travail. Le parent au foyer accomplit son activité dans des conditions plus souples, il s’organise comme il le souhaite. Il s’agit ici de la sphère privée, ce qui suppose que toute idée de contrôle soit peu envisageable.
182Ensuite, le risque essentiel concernant la création d’un éventuel statut pour le travail au foyer est celui de la désocialisation de ces personnes et de l’incitation en raison des droits que cette activité supposerait, à demeurer au foyer et hors de la vie publique. C’est pourquoi la notion de « conjoint » ou de « personne » au foyer est socialement préférable à celle « d’épouse » au foyer, ce qui permet de dissiper au moins en théorie, le risque d’exclusion de la vie sociale et de cantonnement des femmes, en particulier, dans la sphère privée.
183Nonobstant ces différentes réserves, il semble que l’individualisation de droits sociaux1244 pour la personne évoluant au foyer soit opportune. Aussi, que l’on se dirige vers l’octroi de droits sociaux propres spécifiquement consacrés à la protection sociale du conjoint au foyer, ou que l’on s’oriente vers un statut plus complet qui viserait à octroyer de nouveaux droits au-delà d’une couverture sociale complète, deux aspects semblent essentiels : assurer à la personne évoluant au foyer une protection adaptée à sa situation particulière, respectant ses spécificités, et ensuite lui garantir des droits autonomes attribués non en raison de sa situation matrimoniale, mais en vertu de son activité quotidiennement exercée ; un peu à l’image de ce qui existe déjà pour le conjoint du chef d’entreprise.
1 - Des droits sociaux adaptés
184S’il convient d’octroyer des droits sociaux propres au conjoint, ceux-ci doivent demeurer spécifiquement adaptés à sa situation1245. En ce qui concerne sa couverture sociale, si elle doit être aussi complète que possible (en matière de maladie et de retraite notamment), il ne serait probablement pas opportun, ni même juste, de calquer celle-ci sur celle dont jouissent les travailleurs salariés (en effet, comment justifier l’accès à des prestations en espèce, dans la mesure où il n’y a aucune perte de revenus ?). En revanche, concernant l’octroi éventuel d’un revenu parental, comme ceci a de nombreuses fois été évoqué, il n’est pas non plus certain que cette contrepartie monétaire soit la plus adaptée. En effet, il ne semble pas qu’elle épouse au mieux l’esprit du travail au foyer. D’autant plus qu’il peut paraître moralement délicat d’associer la perception d’un « revenu »1246 avec l’éducation de ses propres enfants.
2 - Des droits sociaux autonomes
185Au-delà d’un régime juridique épousant spécifiquement les particularités de cette activité, il convient de se diriger vers l’octroi de droits autonomes indépendamment du lien matrimonial et de l’activité professionnelle exercée par l’assuré social. La situation actuelle implique une situation de dépendance et d’insécurité juridique en raison des risques de ruptures qu’elle suppose (lien matrimonial, relation de travail du conjoint, décès) installant assurément le conjoint dans une situation moralement et économiquement inconfortable1247.
186Afin de légitimer l’accès du conjoint au foyer à des droits propres en matière de protection sociale, le Professeur Marie-Thérèse Lanquetin sollicite les droits fondamentaux et le droit pour chaque personne, homme ou femme, d’en bénéficier individuellement. Elle observe que « la question de l’individualisation des droits économiques et sociaux implique (...) leur mise en cohérence avec les droits civils et politiques. Il s’agit d’une réflexion en termes de droits fondamentaux (...) »1248. Ces éléments justifient que l’accès à une couverture sociale, droit fondamental, soit dès lors individualisé et non plus « familiarisé »1249. De sorte que le conjoint au foyer (en l’occurrence le plus souvent la femme) en vertu du principe d’égalité homme/femme notamment, ne soit plus en état de dépendance en ce domaine. Conçu comme propre et autonome, l’accès à une protection sociale serait ainsi « en cohérence avec les droits de la personne »1250.
187Au-delà, que l’on se dirige vers un statut complet du travail au foyer, ou simplement vers l’octroi de droits sociaux spécifiques, évoquer le terme de droits fondamentaux, individualisés, propres pour la personne au foyer, aurait une légitimité renforcée si l’on attribuait ceux-ci en raison de l’activité domestique exercée au sein du foyer1251 et plus particulièrement en raison de l’utilité1252 que ce travail suppose. De cette manière, il ne serait plus question d’attribuer des droits en raison de considérations familiales, ou en vue de compenser le « handicap professionnel »1253 que la situation de ces personnes supposerait.
188Assurer l’accès à des droits propres en raison du « travail » au foyer, permettrait également de mettre fin à de nombreuses critiques faisant état « d’un régime de faveur »1254 de la personne au foyer, ou l’évoquant telle une « charge injustifiée ». D’autant plus que ce point vue est nettement discutable, dans la mesure où cette « faveur » peut rapidement se transformer en « cadeau empoisonné », étant donné que cette situation de dépendance peut, en raison de la perte des protections qu’elle suppose en cas de séparation, dissuader certaines conjoints de quitter le foyer. Ce problème ne se poserait plus si le conjoint pouvait se constituer - par son travail - une protection propre.
Conclusion chapitre premier
189Les notions de travail et de statut semblent liées. Cette liaison est le fruit d’une construction historique, juridique et sociale. Le statut est généralement entrevu comme la « continuité » logique du travail, il peut même justifier son exercice. Celui-ci remplit plusieurs fonctions. Il possède d’abord un rôle général d’encadrement et de réglementation. Le statut permet d’offrir un cadre juridique à l’activité de travail. Cette notion évoque ensuite l’idée de protection. Le statut assure un certain de nombre de droits à la personne qui réalise l’activité.
190Si un lien significatif existe entre ces notions il est inégalement tissé. D’abord, toutes les formes de travail ne mènent pas au statut. S’agissant du travail rémunéré, cette association ne semble pas poser de difficultés. Ce lien paraît même assez solide. Le statut constitue le prolongement presque « naturel » du travail, ce que confirment les exemples relatifs au travail salarié, aux statuts de la Fonction publique, aux différents statuts du travail indépendant (celui de commerçant, d’artisan, d’agriculteur...). Concernant le travail gratuit, l’accès au statut est plus incertain. Les exemples du travail bénévole et du conjoint au foyer l’illustrent. Ces formes d’activités, non considérées comme du travail par le droit, ne semblent pas mener la personne au statut, mais simplement à certaines protections dispersées.
191Ensuite, d’aucuns estiment qu’il ne serait pas de l’essence de chaque forme de travail de conduire au statut. Cette remarque concernerait plus particulièrement les activités de travail exercées dans une finalité désintéressée. L’idée de statut juridique se marie il est vrai assez mal avec l’esprit dans lequel s’exerce ces activités, soit parce qu’il s’agit de rendre service spontanément à des personnes, soit parce qu’il est question de s’occuper, d’éduquer et d’élever ses propres enfants. Pour autant, l’insécurité juridique dans laquelle ces personnes peuvent se trouver semble bien plus problématique.
192Le travail doit-il toujours mener celui qui l’accomplit à un statut ? L’association entre ces deux notions doit-elle toujours être recherchée ? Si l’on souhaite hisser au même niveau d’importance et de reconnaissance l’ensemble des formes de travail, il est nécessaire que chacune d’elles, quelle que soit sa nature, puisse mener la personne au statut.
Chapitre 2. Les critères déclenchant l’application d’un statut
193La liaison entre « travail » et « statut » n’est pas linéaire, ni même toujours automatique. Celle-ci est en effet conditionnée par un certain nombre de critères auxquels l’activité doit répondre pour pouvoir être rattachée à tel ou tel statut juridique. Cependant, le travail ne mène pas toujours au statut. De surcroît, toutes les formes de travail n’induisent pas pour le travailleur l’application d’un statut analogue, particulièrement au regard des protections qui lui sont accordées.
194Face à l’étendue de notre problématique, cette étude sera doublement limitée : l’on ne s’intéressera d’abord qu’aux statuts (professionnels ou non) accordés aux personnes qui se trouvent en situation de « travail » (entendu largement). Nous nous pencherons ensuite plus particulièrement sur les critères déclenchant l’application de statuts « protecteurs » accordés le plus souvent en vue de compenser une situation de dépendance juridique ou économique, ou pour protéger l’individu qui ne peut répondre du couplage « emploi/statut ».
195Dans un premier temps, l’on s’intéressera aux critères retenus par le droit positif pour permettre l’application d’un statut. Deux cas généraux seront distingués, lorsque l’individu exerce une activité professionnelle rémunérée (dans le secteur privé ou public), puis lorsqu’il accomplit une activité non rémunérée (Section 1). Dans un second temps nous évoquerons les critères en construction, notamment celui de la dépendance économique, qui vise à accorder une protection statutaire spécifique au travailleur qui se situe entre salariat et indépendance, puis le critère de l’utilité sociale de l’activité, qui justifie de plus en plus que certaines formes de travail non rémunérées puissent également être source de protection (Section 2).
Section 1. Les critères retenus par le droit positif
196Si la perception d’une rémunération n’est pas le critère permettant à lui seul de déclencher l’application d’un statut juridique (comme en témoignent les statuts encadrant les activités gratuites de volontariat ou les activités de travail non déclarées) la rémunération demeure néanmoins un élément essentiel autour duquel celui-ci s’articule. Aussi, en vue d’identifier les critères retenus par le droit positif pour déclencher l’application d’un statut, nous commencerons par distinguer deux situations très générales, scindées par la présence ou l’absence d’une contrepartie rémunératrice dans le cadre de l’activité exercée.
197Il existe une corrélation évidente entre l’exercice d’un « travail » tel que le droit l’entrevoit, c’est-à-dire d’une activité procurant une rémunération, et l’accès à un statut professionnel. La rémunération va alors « conditionner » le contenu de ce statut puisqu’une part importante de ses dispositions repose sur la Sécurité sociale, qui est elle-même organisée sur la base d’une logique professionnelle et donc sur les revenus du travail1255. En cas d’activité professionnelle rémunérée, le statut (salarial notamment) constitue principalement un moyen de compenser une relation de travail inégalitaire, un rapport de pouvoir, un déséquilibre contractuel entre les parties (§1).
198Lorsque la personne exerce une activité non rémunérée, c’est justement parce que celle-ci ne perçoit aucune rémunération qu’il conviendra de la protéger, en tant qu’individu. C’est alors l’absence de rémunération, l’absence d’une situation de « travail » du point de vue du droit, qui détermine la condition juridique de la personne et le « statut », alors non professionnel (et souvent moins complet), qui lui sera applicable. Dans cette optique, le statut constitue une protection pour la personne qui ne peut bénéficier du couplage « classique » emploi/statut (§2).
§1 - Critères en présence d’une activité professionnelle rémunérée
199L’exercice d’une activité professionnelle constitue l’environnement classique et usuel permettant à un travailleur - en raison de son travail1256 de pouvoir accéder aux dispositions d’un statut professionnel, plus ou moins protecteur : statut salarial, l’un des statuts encadrant le travail indépendant, ou l’un de ceux de la Fonction Publique. Ce dernier est souvent entrevu comme une « rémunération » indirecte, s’additionnant à la rémunération « classique » que le travailleur va en principe percevoir. Par conséquent et de manière générale, c’est l’exercice d’une activité rémunérée qui va permettre de déclencher - au moins de manière indirecte - l’application d’un statut, notamment s’agissant de l’accès à bon nombre de prestations sociales1257
200.Ce sont pourtant des critères plus précis qui vont induire directement l’application de tel ou tel statut en particulier. Plusieurs questions doivent être distinguées : d’abord, quel est l’acte qui permet précisément de déclencher l’application d’un statut1258 ? Puis, quel est le critère qui justifie et motive (uniformément) l’application, pour telles ou telles catégories de travailleurs, d’un ensemble de dispositions protectrices ? Cette question se pose notamment au regard du statut salarial (I) et de celui de la Fonction publique (II).
I - L’application du statut salarial
201Le « statut » salarial, sous couvert une nouvelle fois que cette qualification usuellement utilisée convienne réellement, se trouve principalement forgé par le droit du travail et par le droit de la Sécurité sociale. Il s’applique à un ensemble de travailleurs exerçant parfois des activités très diverses. Pourtant, le droit se fonde sur un critère communément identifiable dans l’ensemble de ces situations pour en déclencher l’application, gommant par la même la diversité des activités et professions incluses sous le terme de travail salarié. Classiquement, c’est la conclusion d’un contrat de travail qui va constituer l’acte déclencheur permettant au travailleur d’avoir accès aux dispositions salariales1259. Cette application se justifie par la volonté du législateur de compenser la situation de subordination juridique dans laquelle le travailleur va se trouver, à la suite de la conclusion de son contrat.
202Les termes de l’échange contractuellement organisés sont les suivants : l’assurance pour le salarié d’une protection statutaire, en contrepartie de laquelle celui-ci accepte de s’inscrire dans un rapport de subordination juridique vis-à-vis de son employeur. Cet échange se trouve au fondement même de l’emploi salarié (A). Mais l’application des dispositions du Code du travail peut également se détacher de ce schéma classique et résulter d’une détermination légale. Il s’agit alors d’assurer, à certains travailleurs exerçant une profession en particulier, l’accès à une part plus ou moins importante des dispositions salariales, en vue de contrebalancer la situation de faiblesse économique dans laquelle ceux-ci peuvent parfois se trouver (B).
A - Le bénéfice du statut salarial déclenché par la conclusion d’un contrat de travail
203L’application du statut salarial est principalement déclenchée par un acte : le contrat de travail. L’on se trouve ici face au cas le plus fréquemment rencontré, celui qui est à l’origine de la construction de l’emploi salarié. Il convient d’organiser, via la conclusion d’un contrat de travail, un échange entre le « consentement »1260 du salarié qui accepte de se soumettre à l’autorité et aux ordres de son employeur, de s’inscrire dans un rapport de pouvoir juridiquement organisé, en contrepartie de quoi, il va accéder à un ensemble de protections et sécurités. Dans ce cadre, le champ d’application du régime salarial se limite à un domaine strictement ciblé, ne concernant que le travailleur juridiquement subordonné.
204Or, décider de lier la sécurité du travailleur à sa situation de subordination juridique suppose que soit préalablement établi le constat selon lequel la relation contractuelle qui unit l’employeur à son salarié est « inégalitaire »1261, « déséquilibrée »1262, puisque le travailleur accepte de se soumettre aux ordres et à l’autorité de son cocontractant. Cette relation hiérarchique constitue le « terreau » favorable et adéquat à l’éclosion du statut salarial, justifiant qu’une personne « faible » – en raison de sa situation de subordination juridique - puisse avoir accès à des dispositions protectrices1263. Ceci implique que le contrat de travail, parce qu’il induit (inévitablement) une relation contractuelle déséquilibrée, ne puisse faire à lui seul la loi des parties1264. Le statut salarial s’inscrit dès lors comme un instrument de compensation, de « correction » de l’état de subordination, qui ne trouve d’ailleurs sa raison d’être qu’en présence de ce déséquilibre, son bénéfice étant pour cette raison refusé aux travailleurs insérés dans des relations contractuelles supposées égalitaires. De cette manière, le statut se présente comme « (...) une valeur ajoutée par rapport à la structure purement contractuelle de la relation salariale. Ces ajouts par rapport à un « pur » contrat de travail ont opéré comme des réducteurs des facteurs d’individualisme négatif. La relation de travail échappe progressivement au rapport personnalisé de subordination du contrat de louage, et l’identité des salariés dépend de l’uniformité des droits qui leur sont reconnus ».
205Dès lors, si l’application des dispositions salariales est le plus souvent déclenchée par la conclusion d’un contrat de travail, elle se trouve justifiée par la volonté de protéger la personne se trouvant en situation de subordination juridique. C’est d’ailleurs sur ce fondement, et par la reconnaissance en amont d’un contrat de travail, que le juge va décider ou non d’appliquer les dispositions salariales. Il observe alors une procédure chronologique précise : c’est parce que dans les faits le travailleur sera en situation de subordination juridique (justification), qu’il conviendra de reconnaître entre les parties l’existence d’un contrat de travail (acte déclencheur) ; et c’est seulement de cette requalification contractuelle préalable que pourra découler l’application du statut salarial. C’est ce qu’affirme en un sens l’arrêt « Barrat» : « Il appartient aux juges, dans une matière d’ordre public telle que le droit du travail, d’interpréter les contrats réunissant les parties afin de leur restituer leur véritable nature juridique, la seule volonté des parties est impuissante à soustraire (la personne concernée) au statut social qui découlait nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail »1265.
1 - La reconnaissance par le droit du travail d’une relation contractuelle inégalitaire
Une inégalité d’abord niée : la relation de travail encadrée par le Code civil
206La relation de travail salarié, qu’elle soit réglementée par le droit civil sous le nom de louage de services ou plus tard par le droit du travail, a toujours eu pour corollaire presque « naturel » un déséquilibre, puisque l’un des contractants est soumis à l’autorité et aux ordres de l’autre. Par cette simple constatation, le particularisme contractuel de toute relation de travail salarié est « dévoilé ». Pourtant, à la différence du premier – le Code civil – qui nie cette spécificité et « oublie » sciemment (ou ne tire aucune conséquence de) la situation de « soumission » du travailleur, le second - le Code du travail - l’intègre et fonde essentiellement sa raison d’être sur ce constat, tentant d’estomper au mieux (à défaut de supprimer) ce déséquilibre.
207Tout en traitant la relation de travail comme un rapport contractuel quelconque, intégré « anonymement » dans le droit des contrats – supposant que lui soit appliqué les principes d’égalité et de liberté contractuelles – le Code civil, bien avant l’émergence du statut salarial, met déjà en avant la situation de soumission dans laquelle se trouve le travailleur vis-à-vis de son « maître ». L’on rappellera en effet la formule évocatrice de l’article 1781 du Code civil, « le maître est cru sur son affirmation, pour la quotité des gages, pour le paiement du salaire en cours et pour les acomptes donnés pour l’année courante »1266. Traduisant expressément dans les textes la situation d’infériorité du travailleur, le Code civil n’en tire pourtant aucune conséquence. Il reste « fidèle » à sa logique d’assimilation du louage de services – le travail – au louage de choses, maintenant sa ligne constante selon laquelle les contractants sont présumés égaux. Néanmoins, cette technique d’assimilation de la relation de travail à une relation contractuelle ordinaire démontrera rapidement ses limites, en effet, l’« on s’aperçut bientôt que, dans les faits, l’égalité juridiquement proclamée n’existait pas et la liberté encore moins ; que l’inégalité de puissance économique engendrait une inégalité dans l’exercice de la puissance juridique (...) On comprit, en un mot, que le régime du contrat ne fonctionne qu’entre égaux, et devient, dans l’inégalité, la loi du plus fort »1267.
208Ainsi, avant même la naissance du contrat de travail et du Code du travail, dont le dernier constitue la preuve que le caractère inégalitaire de la relation de travail n’est plus juridiquement nié, les choses commencent d’abord à évoluer à l’époque du paternalisme d’entreprise. Dès cette période, le patron est tenu d’assurer une protection à ses salariés, justement parce qu’il se trouve vis-à-vis d’eux dans une position dominante. Cette étape est importante, car elle suppose une reconnaissance – si ce n’est juridique, au moins sociale - du caractère inégalitaire de la relation unissant le chef d’entreprise à ses ouvriers.
Le paternalisme d’entreprise : le devoir de protection du patron en raison de sa position dominante
209Le « devoir » (et non l’obligation) de protection de la part du « plus fort » vis-à-vis du « plus faible » innerve depuis une période éloignée les relations de travail, dès l’époque du paternalisme d’entreprise1268 et bien avant la naissance du Code du travail. Le « patron » qui a d’ailleurs relevons-le pour étymologie « patronus » qui signifie « protecteur »1269, est depuis longtemps investi d’un devoir de protection à l’endroit de ses ouvriers, tel un père de famille vis-à-vis de ses enfants.
210Si ce devoir de protection est largement imprégné par la morale chrétienne1270, celui-ci ne répond pas seulement d’un acte de dévouement et d’altruisme complet dès lors qu’il s’agissait également de fidéliser par des protections attrayantes une main-d’œuvre souvent rare et mouvante. En outre, au-delà de constituer un acte de « bienveillance » supposée, le paternalisme constitue un moyen pour le patron d’asseoir davantage son autorité. Fréquemment, le chef d’entreprise allait jusqu’à organiser la vie entière de ses salariés et de leur famille, sur le lieu de travail, mais également en dehors du temps de travail, offrant le gîte et le couvert aux ouvriers de l’usine. La « tutelle » du travailleur par le « maître » implicitement décrite dans le Code civil n’est, même dans ce cas, pas totalement absente. Au contraire, en agissant en père de famille et en associant autorité et relation affective, le patron - comme tout chef de clan - garde ainsi une mainmise d’autant plus légitimée et accentuée sur la vie entière de ses ouvriers1271.
211À cet égard, les propos de Jacques Le Goff traduisent parfaitement l’esprit dans lequel cette protection – dont l’existence et la teneur dépendent exclusivement ou presque du patron – est accordée : « Il (le patron) se donne comme « père » à travers l’exercice d’une autorité à la fois ferme et bienveillante animée du seul « souci du bien commun », du bonheur de l’ouvrier – enfant (...) Mère, il l’est aussi par sa sollicitude, par le souci du bien-être matériel et moral qui conduit à mettre à la disposition des ouvriers, logements, cités, économats, écoles, lieux de loisirs, dispensaires, églises, protection sociale (contre la maladie et pour la vieillesse) »1272. Cependant, « le paternalisme conteste moins le droit (...) qu’il ne cherche à le dépasser, à le priver de raison d’être par déplacement des relations sociales sur un nouveau terrain, celui du sentiment »1273. Dans ces conditions, le patron est associé à un véritable « père », mais intéressé, à un chef de famille tenu finalement dans la mesure de ce que celui-ci souhaite, de protéger ceux qui lui obéissent. La sécurité garantie au travailleur résulte ainsi principalement d’un devoir reposant sur le patron qui fonde et organise lui-même cette protection assez librement. C’est également un moyen pour lui d’affirmer et de renforcer son autorité vis-à-vis de ses ouvriers.
212À l’inverse du paternalisme qui instaure une protection issue d’une initiative privée du chef d’entreprise, l’idée de « statut » salarial suppose une protection résultant principalement d’une intervention étatique, constituant le fruit non plus d’un simple devoir, mais d’une obligation légalement établie. Ceci supposait de faire émerger préalablement du débat, et de manière claire, la notion de subordination.
L’émergence de la notion de subordination : une étape essentielle
213Suivant la logique civiliste d’assimilation du travail à une chose, il est vrai que la prise en compte de la subordination n’a « logiquement » pas sa place au sein du Code civil, puisqu’elle impose, par définition, que soit prise en considération la personne du travailleur1274, ce que le Code civil ne fait pas ou avec une parcimonie extrême. « En présence donc dans cette relation (le louage de services) : un donneur d’ouvrage dont la personne importe peu, et un ouvrier qui après la manifestation de volonté initiale se réduit à sa force de travail, à son corps - machine. Comment un rapport de subordination pourrait-il s’instaurer dans ces conditions ? Il n’y a de subordination possible qu’entre des personnes, des individus, non entre un donneur d’ordre et une machine »1275. En insérant la relation de travail dans le régime du droit des contrats, il s’agit de la considérer comme une relation supposée égalitaire, équilibrée, ne nécessitant pas, par conséquent, un régime contractuel spécial et adapté.
214L’émergence de la notion de subordination supposait de se détacher de la logique civiliste et de se diriger vers un droit prenant en compte la situation d’un individu qui « accepte » (ce que ne saurait faire une machine ou une chose) de se subordonner à l’autre. Dans ces conditions, l’émergence du critère de la subordination1276 est absolument essentielle, symboliquement, mais surtout d’un point de vue juridique. Elle est d’abord la preuve que la dimension humaine et personnelle de cette relation contractuelle est partiellement reconnue : « dès lors que l’on parle de subordination comme élément caractéristique du contrat on admet du même coup que le contrat ne porte plus sur des « choses » mais concerne très directement des individus qui sont eux-mêmes parties prenantes au contrat (...) »1277. Ensuite, il permet par l’intrusion de ce critère de reconnaître l’existence d’une situation contractuelle déséquilibrée, induite par un lien hiérarchique, et par le fait qu’un individu soit détenteur d’un pouvoir de direction vis-à-vis d’un autre. Il s’agit ainsi de prendre en compte juridiquement les spécificités de la relation de travail où « l’un peut commander et l’autre doit obéir »1278, et où le travailleur consent à se soumettre à l’autorité et aux ordres de son employeur, ébranlant les principes civilistes d’égalité et de liberté contractuelles. Ceci suppose qu’un régime juridique particulier et adapté soit spécifiquement consacré à la relation de travail, et que cette situation inégalitaire soit en quelque sorte « contrebalancée ».
215Enfin, au-delà de la reconnaissance de ce déséquilibre contractuel, le droit du travail, au contraire du droit civil, tire juridiquement les conséquences d’un tel constat. Il intègre le travail dans un cadre juridique qui prend en compte les spécificités de cette relation – le contrat de travail – mais il instaure surtout un contrepoids à cet « état », assurant le travailleur d’un ensemble de garanties légales et d’une protection sociale. En effet, « le droit du travail est né de l’incapacité du droit civil à traiter de la sécurité physique du travailleur, de la subordination librement acceptée de sa volonté individuelle »1279. Ce faisant, le statut salarial se présente principalement comme un outil juridique de compensation et de correction.
2 - Le statut salarial : compensation de la situation de subordination juridique
L’échange au fondement du statut salarial : protection contre subordination juridique
216Le statut salarial constitue un instrument de « compensation » visant, non pas à annihiler le rapport de pouvoir qui caractérise toute prestation de travail salarié et qui de surcroît justifie l’existence d’un tel statut, mais à contrebalancer partiellement les effets découlant du lien d’autorité qui lie l’employeur au salarié1280. Comme le précise Jacques Barthélémy, « ce qui justifie l’existence d’une discipline autonome, ce n’est pas (pas seulement) le déséquilibre contractuel dans la mesure où d’autres disciplines tirent une fonction protectrice d’un tel état (par exemple le droit de la consommation ou celui du logement). C’est le postulat de l’impossibilité de rétablir l’équilibre, qui oblige à protéger le salarié, y compris contre lui-même, par un arsenal visant seulement à corriger les effets de la subordination »1281.
217Le statut n’a donc pas pour vocation essentielle d’effacer l’inégalité juridique entre les parties, mais davantage de la pondérer en assurant au travailleur inséré dans une relation contractuelle déséquilibrée, d’accéder à un corpus législatif protecteur. Il serait peu logique que le droit, par le biais du statut salarial, ait pour vocation d’effacer totalement un déséquilibre que lui-même autorise et organise, via le contrat de travail et le concept de subordination juridique1282. « L’inégalité, en effet, n’est pas seulement de fait dans les relations de travail (...) ; elle est aussi juridique, non seulement enregistrée par le droit pour en atténuer ou en éliminer les excès, mais organisée par lui »1283.
Une fonction de compensation actuellement tempérée
218La fonction de « compensation » attribuée au statut salarial doit être nuancée, au moins pour deux raisons. En premier lieu, l’échange au fondement de ce statut fait apparaître une disproportion progressive dans les obligations imposées à chacune des parties. Les termes de l’échange organisé par le contrat de travail – subordination juridique contre sécurité – sont d’une certaine manière mis à mal, car les compétences et les attentes de l’employeur vis-à-vis du salarié semblent plus nombreuses (responsabilisation du salarié qui doit prendre davantage de décisions, qui doit être plus autonome dans sa manière de travailler, à qui plus de compétences sont demandées, dont les tâches sont diversifiées (le salarié polyvalent)), sans pour autant que la contrepartie de l’échange, les sécurités, n’accroissent proportionnellement1284. C’est ce qu’illustre le développement des formes atypiques d’emploi1285 qui induisent une baisse du niveau des protections accordées aux salariés, sans pour autant diminuer les obligations qui reposent sur eux. L’effritement entre emploi et protection est dès lors de plus en plus visible.
219 A contrario, cette fonction de compensation s’avère presque inversée et dénaturée pour certains salariés qui disposent d’un degré d’autonomie élevé dans leurs conditions de travail. Dans ce cas, ces « salariés haut de gamme »1286 (cadres dirigeants ou supérieurs) se trouvent « surprotégés » dans la mesure où ils peuvent aisément, en raison de leurs fonctions au sein de l’entreprise, négocier leur contrat de travail. Le déséquilibre contractuel qui caractérise en principe la relation salariale, et qui justifie l’application d’un statut protecteur, est ici moins présent. Dans cette configuration, le statut salarial semble remplir bien plus qu’une fonction de compensation.
220En second lieu, cet échange n’est pas automatique, chaque situation de subordination juridique (ou s’y apparentant fortement) n’entraîne pas le bénéfice pour le travailleur des dispositions salariales. Ceci confirme que c’est bien la conclusion d’un contrat de travail qui déclenche principalement l’application du statut, davantage que l’existence d’une situation de subordination juridique en tant que telle. Cet échange est par conséquent assez fragile, à certains égards également « arbitraire », puisque toute forme de subordination n’implique pas une protection d’un niveau analogue à celle prévue par le Code du travail (alors même que certains travailleurs se trouvant en situation de dépendance économique peuvent en bénéficier) comme l’illustre l’exemple des stagiaires en entreprise. N’étant pas considérés comme des salariés, car non liés par un contrat de travail, ils ne bénéficient pas de la même contrepartie statutaire que des travailleurs salariés, alors qu’ils sont pareillement soumis aux ordres de l’employeur. Témoignent également de cette situation, les personnels religieux intégrés dans un rapport d’autorité vis-à-vis de leur hiérarchie, ou les compagnons d’Emmaüs également installés dans un lien de quasi subordination, mais qui ne bénéficient pourtant pas des dispositions salariales car n’étant pas liés par un contrat de travail.
221Si la conclusion d’un contrat de travail et la situation de subordination juridique qui en découle constituent le schéma classique justifiant l’application d’un statut protecteur, l’on assiste depuis quelques années à un assouplissement des termes de cet échange. Ceux-ci tendent en effet à s’élargir pour concerner non plus seulement des travailleurs en situation de subordination juridique, mais également des travailleurs se trouvant en situation de dépendance économique vis-à-vis de leur cocontractant. Mais il s’agit toujours de suivre la même logique, au fondement même de la construction de l’emploi salarié, en lui donnant toutefois une résonance plus forte : protéger des travailleurs qui se trouvent en situation de déséquilibre contractuel, de dépendances (juridique et/ou économique) et qui pour cette raison, doivent pouvoir avoir accès à un ensemble de dispositions protectrices.
B - L’application déterminée par la loi
222L’application du statut salarial peut également résulter d’une détermination légale. Dans ce cas, il convient de protéger un travailleur qui, en raison de la nature de sa profession, est présumé se trouver en situation de dépendance économique, ceci justifiant qu’il puisse accéder à un arsenal juridique protecteur. Ainsi, certaines catégories de travailleurs légalement désignées, parce qu’ils exercent une profession qui laisse supposer une situation de dépendance économique et l’existence d’un déséquilibre contractuel entre les parties, bénéficient d’une part plus ou moins importante des dispositions salariales : soit en présumant l’existence d’un contrat de travail, soit en les assimilant partiellement à des salariés. La démarche est un peu différente s’agissant du portage salarial. Si les salariés « portés » bénéficient également du « régime du salariat », la finalité poursuivie et la justification de l’application d’un statut protecteur pour ces travailleurs, sont nettement plus obscures et sujettes à un ensemble de réserves, si ce n’est de critiques.
1 - L’application du statut salarial en raison d’une situation de dépendance économique
223Selon la définition proposée par Cuche, les travailleurs qui se trouvent en situation de dépendance économique vis-à-vis de leur cocontractant sont « ces humbles collaborateurs qui vivent au jour le jour de l’activité économique de l’employeur comme il vit de la leur, mais ne sont point placés sous son autorité »1287. L’identification d’une situation de dépendance économique résulterait principalement du fait que l’essentiel des ressources du travailleur provient du même cocontractant. Dans le même sens, le Professeur Paul-Henri Antonmattéi et Jean-Christophe Sciberras précisent que « la dépendance économique d’un travailleur exprime le résultat d’une relation d’activité : le professionnel tire l’essentiel de ses revenus de cette dernière »1288 En effet, « alors que la théorie de la dépendance économique appréhende l’effet du pouvoir, celle du lien de subordination s’intéresse à l’exercice du pouvoir lui-même »1289. Une situation de dépendance économique est également identifiable si la relation contractuelle est d’une importance telle que sa fin « (...) introduit dans leurs conditions d’existence (aux travailleurs économiquement dépendants) un trouble sérieux, quand ce n’est pas à leur disparition qu’elle aboutit lorsque l’assujetti revêt une forme sociétaire »1290.
224La question de la protection juridique des travailleurs se trouvant en situation de dépendance économique soulève un vieux débat. La qualification de contrat de travail est-elle liée à l’état de dépendance économique et de fragilité du travailleur ? Est-ce plutôt la situation de subordination juridique de cette personne qui doit conduire à lui reconnaître la qualité de salarié ? En somme, à quel ensemble de travailleurs choisit-on d’appliquer les protections nées du statut salarial ? La réponse est connue depuis l’arrêt « Bardou » rendu par la Chambre sociale en 1931 qui affirme que « (...) la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie »1291. Cette exclusion de principe n’est toutefois pas absolue, que ce soit pour la jurisprudence elle-même, comme en témoigne notamment l’arrêt « Labanne »1292, ou plus clairement pour la loi qui inclut sous le régime du salariat un ensemble de travailleurs économiquement dépendants. Les termes de l’échange sur lequel repose le statut salarial se trouvent alors nettement élargis.
225Néanmoins, la démarche demeure toujours la même. Il s’agit d’assurer une protection à un travailleur inséré dans une relation contractuelle déséquilibrée, qui se trouve en situation de dépendance, mais cette fois-ci économique. Ainsi, ou le contrat sera présumé par la loi être un contrat de travail1293, ou la loi ne fera qu’assimiler ces travailleurs à des salariés, sans toucher à la qualification de leur contrat. La différence est importante puisque seule la conclusion (naturelle ou présumée) d’un contrat de travail, permet d’appliquer automatiquement une grande partie des dispositions du Code du travail. Dans le cas contraire, et en cas d’assimilation légale, cette application peut n’être que partielle. L’idée de « parasubordination », si elle n’est pas clairement évoquée par le législateur, transparaît ici en filigrane.
2 - Des motifs à préciser s’agissant du portage salarial
226S’agissant du portage salarial1294, les critères permettant de déclencher l’application du statut salarial perturbent assez nettement les mécanismes décrits précédemment, à plus d’un égard. En effet, le portage constitue un mode d’organisation du travail salarié assez singulier, permettant à une entreprise de portage d’appliquer le « régime du salariat » à une « personne portée »1295, qui accomplira sa prestation auprès d’une entreprise cliente que le travailleur aura lui-même prospectée. Si l’acte déclencheur résulte d’une décision légale qui précise que la conclusion d’un contrat entre l’entreprise de portage et le salarié entraîne l’application du statut salarial, la justification de l’extension d’un statut protecteur à des travailleurs semblant dans les faits relativement autonomes et indépendants, soulève certaines interrogations.
En raison d’un contrat de travail ?
227La loi du 25 juin 2008 ne se prononce pas sur la qualification du contrat conclu entre l’entreprise de portage et le travailleur porté. Pourtant, selon un accord du 24 juin 2010 conclu par les partenaires sociaux (et avant par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 20081296), la qualification de ce contrat ne fait pas de doute. Il s’agit d’un contrat de travail, entraînant l’application du statut salarial. Ce texte l’affirme expressément : « le présent accord s’applique aux personnes titulaires d’un contrat de travail en portage salarial ». La rédaction de cet accord semble cependant révéler une incohérence importante. Tout en affirmant que les parties sont liées par un contrat de travail, il énonce que le salarié doit lui-même prospecter ses futurs clients. Contradiction que la Chambre sociale n’a pas manqué de relever dans un arrêt du 17 février 20101297 dans lequel elle rappelle que « l’existence d’un contrat de travail implique l’obligation pour l’employeur de fournir du travail à son salarié »1298. Cette décision touche au principe même sur lequel repose l’organisation du portage, qui reconnaît l’existence d’un contrat de travail entre les parties, tout en imposant au « salarié » de prospecter lui-même ses futurs clients.
228Avant cela, dans un arrêt du 16 décembre 20091299, la Chambre sociale avait cependant pu affirmer que le travailleur porté était en situation de subordination juridique vis-à-vis de l’entreprise de portage du seul fait que cette dernière « s’était réservée la faculté d’accepter ou de refuser un client apporté par le consultant, lequel devait lui adresser ses comptes rendus d’activité pour lui permettre de suivre l’exécution de la mission, exigeait la communication de la correspondance entre ce dernier et le client et pouvait mettre fin à son contrat s’il n’apportait pas de nouvelles missions et avait licencié l’intéressé ». De cette manière, elle donnait corps à la qualification de contrat de travail et semblait même la légitimer et la valider complètement.
229Peut-on admettre la qualification de contrat de travail dans ce cadre précis ? Si oui, les critères permettant de conclure à l’existence d’un tel contrat sont-ils « naturellement » réunis, ou s’agit-il d’un simple postulat ?
230Quoiqu’il en soit, compte tenu des éléments de définition du contrat de travail, il semble délicat, en cas de portage salarial, de pouvoir admettre une telle qualification. D’abord, la situation de subordination du travailleur porté est plus qu’improbable puisque par définition, étant « portée », la personne ne travaillera pas chez son supposé employeur. Ce dernier ne pourra pas contrôler, ni surveiller la manière dont il exécute sa prestation. Ensuite, ce dispositif s’adresse spécifiquement à des travailleurs autonomes qui doivent trouver leurs futures missions. La loi garantit également les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. Ces éléments tranchent avec la situation « classique » dans laquelle se trouve en principe un travailleur salarié et subordonné, ils le rapprochent au contraire d’un travail indépendant.
231Cet étirement du contrat de travail s’explique assez facilement. L’intérêt principal de cet « outil » est de permettre aux travailleurs portés de pouvoir bénéficier de droits à protection sociale : assurance chômage, couverture en cas d’accidents du travail...droits auxquels ils n’auraient a priori « naturellement » pas accès en l’absence de ce dispositif car trop autonomes. L’on comprend alors en quoi le contrat de travail ne peut être dans ce cadre qu’un instrument et non une réalité. D’ailleurs, « les travailleurs portés sont demandeurs de protection sociale...bien davantage que de contrat de travail »1300.
232Par conséquent, comme l’observe le Professeur Lise Casaux-Labrunée : « (...) lorsque l’on s’efforce d’appliquer aux travailleurs portés les critères qui permettent habituellement d’identifier les salariés, force est de reconnaître, ainsi que l’on s’y attendait, que peu d’indices donnent à ces professionnels une chance d’obtenir « naturellement » la qualification souhaitée. Seule une analyse renouvelée du lien de subordination pourrait peut-être permettre aux défenseurs du portage de parvenir à leurs fins »1301.
233Si l’existence d’une situation de subordination juridique n’est pas convaincante pour expliquer l’existence un contrat de travail, peut-on justifier plus pertinemment son existence en raison d’une situation de dépendance économique ?
En raison d’une situation de dépendance économique ?
234Pourrait-on envisager que l’extension du régime du salariat aux travailleurs « portés » soit effectuée en vue de contrebalancer une situation de dépendance économique ? Ici non plus, l’explication n’apparaît pas totalement convaincante.
235En effet, ces travailleurs ne semblent pas être en situation de dépendance économique à l’égard de cocontractant, du moins pas plus qu’un autre travailleur, puisque ce sont eux et non leur « employeur » qui constituent leur clientèle, souvent plurielle. En outre, « (...) les professionnels portés travaillent rarement à temps complet et sont peu soumis à des clauses d’exclusivité ou de non-concurrence, ce qui leur laisse largement la possibilité de travailler pour d’autres ou selon d’autres modalités que le portage »1302.
236D’autant plus qu’il n’est pas question ici de profession qui laisserait supposer une situation de dépendance, comme certaines visées dans la 7ème partie du Code du travail, mais plutôt d’une forme d’organisation du travail qui peut potentiellement s’appliquer à diverses professions, qui n’induisent pas toutes une situation de dépendance économique. À la rigueur, le seul rapprochement éventuellement envisageable serait avec les travailleurs à domicile, pour lesquels ce n’est pas la profession qui induit la présomption mais bien la forme d’organisation du travail (hors des locaux de l’employeur)1303.
Les termes de l’échange « protection/dépendances » mis à mal
237La nécessité de protéger par le statut salarial les travailleurs portés nous apparaît par conséquent nettement discutable. Plus qu’une application qui s’impose naturellement, il semble que ce soit la volonté de faire bénéficier d’un statut protecteur des travailleurs n’y ayant en principe pas accès, qui explique sans vraiment le justifier, l’élargissement du champ d’application des dispositions salariales.
238Cette extension soulève un certain nombre d’interrogations, notamment au regard de l’arrêt « Barrat »1304. Selon le principe posé par cette décision, l’on ne peut exclure le travailleur du statut social (le plus souvent salarié) qui lui est naturellement applicable. Il pose un « principe de réalité » qui implique que la qualification donnée à la convention par les parties soit en concordance avec les conditions dans lesquelles la prestation se déroule. Mais ce principe semble également suggérer qu’un travailleur ne puisse pas bénéficier d’un statut social protecteur si, compte tenu de ses conditions réelles de travail, celui-ci n’a pas vocation à s’appliquer. Même si l’extension du régime du salariat résulte ici de la loi et non de la seule volonté des parties, comment justifier que l’on puisse appliquer presque « arbitrairement » les dispositions du statut salarial à un travailleur qui, dans les faits, n’a pas grand chose de commun avec un travailleur en situation de « fragilité » ? En réalité, il s’agit davantage d’un montage juridique qui permet d’appliquer un peu artificiellement le statut salarial à des travailleurs qui n’y auraient pas naturellement accès, car ne se trouvant pas dans une situation de dépendance suffisamment marquée pour déclencher l’application d’un statut protecteur. Par conséquent, il serait possible de se demander si le législateur, par le biais du portage, n’a finalement pas contourné le principe de réalité posé par l’arrêt « Barrat », en forçant la qualification du contrat au-delà de la réalité des faits.
239Si l’application du statut salarial semble le plus souvent déclenchée par la conclusion d’un contrat de travail, en ce qui concerne les différents statuts de la Fonction publique, leur application semble découler de la réalisation d’un travail au service du public.
II - L’application des statuts de la Fonction publique
240Le travail effectué dans le cadre d’un service public – au service du public – constitue le critère essentiel qui permet de déclencher l’application des statuts de la Fonction publique. Pour cette raison, parce que se consacrant au service de l’intérêt général, ces travailleurs ont accès à un statut spécifique. Il s’agit d’une part de compenser, ou plutôt de « récompenser », le fait que ceux-ci effectuent un travail au service de la collectivité, dont chaque individu peut potentiellement bénéficier, d’autre part, de leur permettre de se consacrer pleinement à leur mission, sans avoir à se soucier de la stabilité de leur condition juridique (A).
241La question de la spécificité du travail de service public est aujourd’hui sujette à de nombreuses interrogations. Pour certains, la particularité de ce travail ne permettrait pas de justifier des différences statutaires parmi les travailleurs. Au regard du droit positif, il semble que ces interrogations et réserves trouvent peu à peu une traduction. L’actualité en a récemment offert une nouvelle illustration, concernant la question de l’âge du départ à la retraite1305 et de la pénibilité au travail1306, où les règles applicables à ces deux ensembles de travailleurs tendent peu à peu se confondre et à s’influencer mutuellement. Par conséquent, ce qui fait parfois l’objet de discussions et même dans certains cas de virulentes critiques est le fait que des travailleurs en particulier (excluant donc les autres) puissent accéder à un statut spécifique « hors du (droit) commun », prévoyant des dispositions dérogatoires et semble-t-il plus avantageuses (B).
242La question de l’application des statuts de la Fonction publique pose au moins deux séries d’interrogations : comment caractériser le travail accompli au service du public ? Quel est ce travail qui permet de déclencher l’application des différents statuts de la Fonction publique ? Puis, la spécificité de ce travail peut-elle justifier l’application de dispositions dérogatoires du droit commun ?
243Il convient d’envisager la question du travail au service du public sous deux angles différents : il faut entrevoir celui-ci en tant que critère qui permet de déclencher l’application d’un statut et en tant qu’élément qui justifie l’application d’un statut spécifique.
A - Le travail au service du public : critère déclenchant l’application d’un statut
244La particularité du travail accompli par les fonctionnaires est que celui-ci correspond à la réalisation d’une mission de service public. Activité réalisée dans le secteur public et non marchand, celle-ci diffère - au moins dans l’esprit - d’un travail effectué dans le cadre du secteur privé. L’on notera qu’il est souvent fait référence à la « fonction », à la « mission » des fonctionnaires, davantage qu’à leur travail ou à leur emploi (comme cela est davantage le cas dans le secteur privé). Aussi, c’est parce que ceux-ci réalisent une mission au service du public, qu’ils ont accès à des statuts spécifiques. Ces derniers se partagent alors en trois catégories générales : les statuts de la Fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière.
245La mission principale de ces travailleurs est de servir le public et l’intérêt général, au contraire d’autres travailleurs dont l’activité a davantage vocation à servir des intérêts particuliers. Ce qui change profondément est que ces travailleurs entretiennent un rapport très différent avec les personnes vis-à-vis desquelles ils accomplissent leur mission. Dans ce cadre, il ne s’agit pas de travailler pour un employeur ou un client, mais de se mettre au service de l’Etat et de l’intérêt général pour garantir à tous les usagers un service continu et de qualité. Aussi, « (...) l’agent n’est pas assujetti à un homme déterminé, mais à une organisation et aux valeurs qu’elle incarne. L’idée de rapport individuel occupe ici une place beaucoup plus faible que dans le contrat de travail, tandis que la dimension collective du travail y revêt une signification particulière, celle de la collaboration de tous à un objectif commun »1307. Traduit parfaitement cet état d’esprit, le fait que les agents publics perçoivent un « traitement » et non un salaire. Le montant de leur rémunération n’est pas fixé en fonction de la valeur marchande du service rendu à l’usager, ni même en raison du nombre de services rendus. Il s’agit d’une contrepartie octroyée au travailleur en raison de son engagement au service du public. Le travail n’est pas accompli dans une logique de rentabilité, cette activité n’a pas de finalité marchande. Les missions de service public semblent être accomplies dans un esprit « à part ».
246Effectuant une prestation au profit de la collectivité et participant de l’intérêt général, a priori davantage qu’une activité effectuée dans le secteur marchand plutôt consacrée au service d’intérêts privés, ces travailleurs bénéficient à ce titre d’un régime dérogatoire, semble-t-il plus avantageux. Il s’agit en quelque sorte de reconnaître leur engagement dans une mission dont tout le monde peut potentiellement profiter, mais également de stabiliser leur condition.
247Pour ce faire, l’usage du « statut » pour déterminer la situation juridique de ces travailleurs s’avère particulièrement approprié. C’est pourquoi les agents publics s’inscrivent dans une logique statutaire et non contractuelle, contrairement aux salariés du secteur privé. « La caractéristique commune de tous ces salariés du secteur public est que leur situation est définie par la loi et les textes réglementaires correspondants, et non par le contrat. Il en est ainsi parce que les fonctions et activités exercées relèvent de missions de service public, elles-mêmes inspirées par l’intérêt général exprimé sur le terrain politique »1308. Le choix du statut se justifie alors aisément. « La situation des fonctionnaires (...) n’a de valeur que si elle n’est point précaire, que si elle est l’abri des fantaisies, des injustices, de l’arbitraire toujours possible du pouvoir, que si elle est gouvernée par des règles fixes dont le respect soit assuré, que si, pour tout dire en un mot, le fonctionnaire peut opposer au pouvoir son droit et si la fonction publique est, suivant le mot de Ihering, « juridiquement protégée » »1309. Dès lors, c’est en vue d’assurer une condition juridique solide et à l’abri de tout favoritisme, permettant à ces agents de se consacrer pleinement à leur mission de service public, que le statut s’est avéré plus opportun que le contrat.
248Le travail au service du public constitue le critère qui permet de déclencher l’application des statuts de la Fonction publique. C’est par conséquent le contexte et la finalité de ce travail qui imposent de le distinguer des autres formes de travail. Le service du public joue alors un double rôle : il justifie l’accès aux protections, il constitue l’élément qui déclenche l’application du statut, mais il est également celui qui autorise à distinguer ces travailleurs des autres en leur appliquant des protections particulières. Cependant, de plus en plus, certaines spécificités statutaires, notamment s’agissant de l’âge de départ à la retraite, sont remises en question. Ceci suppose de s’interroger sur la pertinence de ce critère pour déclencher l’application d’un statut particulier.
B - Le travail au service du public : critère justifiant l’application d’un statut spécifique ?
249Existe-t-il une particularité du travail au service du public ? Cette interrogation, soulevée par plusieurs auteurs1310, doit être analysée à deux niveaux. D’abord, ce travail est-il le seul à pouvoir assurer le service de l’intérêt général ? Cette question en induit une autre, le travail au service du public constitue-t-il alors un critère suffisamment « pertinent » pour justifier l’application de règles spécifiques ?
250S’agissant de la première interrogation, si le travail de service public a pour principale mission de servir l’intérêt général, il n’est pas certain que ces activités soient les seules à pouvoir remplir de telles fonctions. N’est-il pas finalement de l’essence du travail en général, et donc de chaque forme de travail, si ce n’est de « servir », au moins de contribuer à l’intérêt général ? L’intérêt général ne doit-il pas plutôt être recherché dans la nature du travail ?
251Le Professeur Alain Supiot propose « (...) de reprendre à la racine la question des rapports du travail et de l’intérêt général »1311. Celui-ci souligne la nécessité de retenir une approche « pragmatique » et de « faire passer la nature concrète du service rendu avant la nature juridique de l’entreprise qui le rend ». Ce « qui n’implique pas seulement d’admettre que le travail effectué dans la sphère privée puisse être au service de l’intérêt général, mais aussi d’admettre à l’inverse que le service de l’intérêt général puisse être en certains cas incompatible avec le service de l’Etat »1312.
252Il conviendrait probablement de prolonger l’analyse en se demandant si les travailleurs associatifs, bénévoles et volontaires, ne servent-ils pas – tout autant que les agents publics – l’intérêt général ? Par exemple, lorsqu’ils mettent en place des actions qui renforcent les sentiments de solidarité, de cohésion sociale (aide au plus démunis, distribution de repas), ceux-ci servent probablement l’intérêt général en agissant là où les pouvoirs publics n’interviennent pas suffisamment. Cette dimension de l’activité bénévole est parfois prise en compte par le droit positif, notamment via la notion d’accident du travail, mais cet élément est encore loin de permettre de déclencher l’application d’un véritable statut. Nous pensons qu’une interrogation analogue pourrait même être posée pour les conjoints travaillant au foyer. Si la finalité première de cette activité est bien de s’occuper de son propre foyer et d’éduquer ses enfants, en leur transmettant une éducation, un savoir vivre, un goût pour les études, n’est-il pas aussi question, en un sens, de service l’intérêt général ?
253Aussi, la particularité du travail suffit-elle à justifier l’application de règles particulières ? Doit-elle se traduire au niveau du statut ? Dans le cadre de ce développement il n’est pas question de trancher ce débat, dans la mesure où cette problématique ne constitue pas l’objet de ce chapitre, mais simplement de souligner que ce critère s’estompe nettement. Il permet toujours de déclencher l’application d’un statut, mais de moins à moins de justifier l’application de règles spécifiques. Cette considération est en revanche un lien direct avec la question traitée dans le cadre du présent chapitre.
254En effet, dans l’hypothèse où ces différences statutaires seraient encore estompées voire supprimées (comme dans certaines législations européennes qui n’opèrent pas de distinctions statutaires majeures entre ces travailleurs, c’est la théorie de « l’indifférenciation »1313), conviendrait-il de rester sur cette distinction classique avec d’un côté les travailleurs du privé liés par un contrat de travail, et de l’autre les travailleurs qui accomplissent une mission de service public ? En cas de rapprochement plus net entre ces statuts, les critères qui déclenchent aujourd’hui l’application de statuts distincts seraient probablement modifiés et remaniés.
255Il convient désormais de s’intéresser aux critères qui déclenchent l’application d’un « statut » lorsque la personne n’accomplit pas d’activité rémunérée.
§2 - Critères en l’absence d’activité rémunérée
256Lorsque la personne n’exerce pas d’activité rémunérée, elle ne peut entrer dans le schéma « classique » emploi – statut et bénéficier d’un statut professionnel. En pareil cas, il est intéressant de remarquer que l’accès à certaines règles protectrices ne résulte souvent pas de l’exercice du travail lui-même, mais se trouve davantage attribué pour compenser l’absence d’activité rémunérée. Il s’agit, ce faisant, d’octroyer des droits à une personne qui ne se trouve pas protégée au titre de son travail. Cette situation concerne la personne qui accomplit une activité non professionnelle, tel le conjoint qui travaille au foyer (I). Elle concerne également le cas, plus marginal, dans lequel la personne exerce une activité professionnelle non rémunérée. Ce cas de figure intéresse notamment le conjoint du chef d’entreprise qui travaille dans l’entreprise familiale. Ici, c’est la volonté de protéger le conjoint (la personne) travaillant gratuitement et sans protection, qui justifie l’obligation légale reposant sur ce dernier de choisir parmi trois statuts professionnels (II).
I - Exercice d’une activité non professionnelle
257L’on distinguera la situation dans laquelle la personne exerce une activité au sein de son foyer, que celle-ci relève de l’éducation des enfants ou d’activités domestiques (A), puis celle un peu différente dans laquelle la personne accomplit une activité d’aidant familial, en intervenant auprès d’un proche dépendant (B). Dans le premier cas l’accès au « statut » (d’ayant-droit) répond d’une volonté de protéger un individu supposé inactif. Le « statut » semble, au moins pour la plupart des droits qui lui sont accordés, déconnecté de l’existence du travail au foyer. Il paraît même fonder son existence sur une supposée absence d’activité. Dans le second cas, la volonté de protection est toujours bien présente, mais le « statut » permet d’encadrer l’activité qui semble alors davantage reconnue et prise en compte. Il est attribué justement en vue de protéger un individu qui décide de se consacrer pendant un temps à l’exercice d’une activité non rémunérée, et qui se trouve dans l’obligation de cesser temporairement ou définitivement son activité professionnelle, qui elle, était source de protections.
A - L’activité du conjoint au foyer
258À défaut d’accéder à un statut professionnel, le conjoint au foyer peut bénéficier s’il remplit certaines conditions du statut « d’ayant-droit ». Celui-ci sera attribué non pas en raison du travail effectué quotidiennement au sein du foyer, mais en raison de l’absence d’activité professionnelle et de la nécessité de protéger le conjoint « inactif » qui ne peut, par sa seule activité, accéder à un certain nombre de protections. Dans ce cas, l’accès au statut ne résulte pas du travail, mais de l’absence de travail rémunéré. L’application du statut est alors déclenchée par la volonté du législateur de protéger une personne qui ne « travaille pas ». La condition juridique de l’aidant familial qui s’occupe gratuitement d’un proche dépendant est un peu différente.
B - L’activité de l’aidant familial
259Le terme d’aidant familial désigne « la personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide peut être prodiguée de façon permanente ou non »1314. Celui-ci va réaliser un ensemble de prestations diverses : des soins personnels (toilette, habillage, repas), apporter un soutien moral et affectif, faciliter l’accès à la vie sociale de la personne aidée (loisirs, travail), accomplir des tâches domestiques. En somme, l’aidant va accompagner la personne dans les actes essentiels de la vie. Il pourra intervenir auprès d’un proche dépendant, adulte ou enfant, que celui-ci soit malade, handicapé ou âgé. Il s’agit en somme d’une activité d’entraide familiale que le droit positif tend peu à peu à encadrer et à protéger.
260Si un « véritable » statut juridique de l’aidant familial n’existe pas encore, ce dernier bénéficie néanmoins de quelques droits. Un encadrement juridique de l’activité de l’aidant familial qui décide de (ou doit) cesser son activité professionnelle pour s’occuper d’un proche dépendant s’esquisse progressivement en droit positif. Mais relevons qu’à l’instar du travail au foyer, les droits attribués à l’aidant ne sont pas totalement liés à l’exercice de l’activité en tant que telle, mais résultent davantage d’une volonté de compenser la parenthèse effectuée dans la vie professionnelle, et donc en vue de contrebalancer les conséquences liées à une absence momentanée d’emploi1315.
261L’aidant familial qui quitte ou réduit son emploi pour s’occuper d’un proche, peut être salarié ou dédommagé par celui qui bénéfice de son aide1316. Une loi du 11 février 20051317 prévoit que la personne handicapée qui reçoit une « prestation de compensation »1318 pourra (si elle remplit certaines conditions) utiliser cette somme pour indemniser ou rémunérer un membre de sa famille. Si la personne aidée est une personne âgée dépendante qui bénéficie de l’allocation personnalisée d’autonomie1319, celle-ci pourra se servir d’une partie de cette somme pour rémunérer une personne de sa famille1320 alors employée en tant qu’aidant familial. Dans ces deux cas, lorsque l’aidant est employé par la personne dépendante, celle-ci devra déclarer cette embauche à l’U.R.S.S.A.F. dans les huit jours qui suivent.
262En revanche, lorsque l’aidant ne souhaite pas cesser définitivement son activité professionnelle, ce dernier a la possibilité de prendre divers congés familiaux. À la fin de ces périodes de suspension de ce contrat, il pourra réintégrer son emploi. Il existe le congé de solidarité familiale qui autorise l’aidant à suspendre son activité professionnelle pour assister un proche en fin de vie1321. Ce congé répond d’une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois. Pendant cette période, l’aidant percevra une rémunération de compensation, appelée « allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie »1322. Ensuite, il existe également le congé de présence parentale qui s’adresse à un parent qui a un enfant à charge gravement malade, handicapé ou accidenté. Si les conditions pour en bénéficier sont remplies (l’enfant à charge doit notamment être âgé de moins de 20 ans), ce congé ouvre droit pour l’aidant à un capital de 310 jours1323. Il est non rémunéré, mais le parent percevra pendant cette période une allocation journalière de présence parentale. En outre, sous réserve de certaines conditions, le parent pourra au cours de cette période « d’inactivité » professionnelle être affilié gratuitement à l’assurance vieillesse (au titre notamment de l’assurance vieillesse des parents au foyer)1324. Il aura également accès à une allocation de compensation : l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. Pour finir, le travailleur peut demander à bénéficier d’un congé de soutien familial pour s’occuper d’un proche dépendant qui présente un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité1325. Sa durée ne peut excéder trois mois, renouvelable dans la durée maximale d’un an. Pendant cette période, l’aidant garde ses droits en matière d’assurance maladie et de retraite (au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer).
263Par conséquent, dans l’ensemble de ces cas – conjoint au foyer ou aidant familial - l’accès à un certain nombre de droits ne semble pas directement rattaché au travail accompli au sein du foyer. C’est au contraire l’absence d’activité professionnelle ou l’obligation de cesser son activité professionnelle (pour l’aidant familial), suggérant l’impossibilité pour un individu d’accéder aux garanties statutaires en principe attachées au travail (à l’emploi), qui semble justifier l’octroi de certains droits sociaux. Ainsi, le statut se présente principalement comme un moyen de protection de la personne (non du travailleur), voire un moyen de « compensation » financière et sociale liée aux « charges familiales » et à l’impossibilité d’exercer au moins momentanément, une activité rémunérée.
264Or, si un statut juridique complet était assuré à celui qui souhaite s’occuper pendant un certain temps de proches dépendants, une question essentielle se poserait : ce statut découlerait-il directement du travail effectué au sein du foyer ou serait-il davantage assuré en vue de protéger une personne qui cesse son activité rémunérée, et donc, afin de compenser l’impossibilité d’exercer par ailleurs une activité professionnelle qui elle assure certaines garanties ? La distinction est importante car dans le premier cas il s’agit de faire de l’activité désintéressée de l’aidant familial un travail, dont l’exercice garantit un statut. Le travailleur accède alors aux protections en raison de son travail. Dans le second, il s’agit d’une certaine manière de « nier » l’activité qui ne se trouve porteuse de droits que pour contrebalancer l’absence d’emploi.
II - Exercice d’une « activité professionnelle » non rémunérée
265Cette situation évoque le cas du conjoint qui travaille au sein de l’entreprise familiale qui a l’obligation de choisir, s’il en remplit les conditions, un statut parmi celui de salarié, d’associé ou de collaborateur. Son activité, si elle est longtemps demeurée synonyme d’entraide, s’apparente parfois dans les faits à une véritable activité professionnelle (activité principale et régulière) la rémunération et le statut juridique « en moins ». En vue de corriger cette situation et « dans le souci d’apporter (...) une protection minimale de ses intérêts »1326, une loi de 19821327 offre la possibilité au conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale, de choisir parmi trois statuts professionnels : celui de salarié, d’associé ou de collaborateur. Partant du constat qu’en pratique le conjoint n’optait bien souvent pour aucune de ces possibilités, une loi du 2 août 20051328 décida de rendre ce choix obligatoire. Ainsi, le conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale, ou désormais de celui exerçant une profession libérale, qui participe régulièrement à l’activité de son conjoint, doit choisir parmi l’un des statuts susvisés, s’il en remplit les conditions.
266La justification de l’accès au statut professionnel semble répondre de plusieurs motifs : d’abord, comme dans les autres cas, il constitue un moyen de protection minimale de la personne, d’autant plus légitime qu’en cas de rupture le conjoint se trouve dépourvu de protection et son travail effectué le plus souvent gratuitement dans l’entreprise, parfois depuis de nombreuses années, ne lui donne alors droit à rien. Il s’agit aussi de mettre d’une certaine manière en correspondance la réalité des faits avec la qualification juridique et de rétablir d’un point de vue du droit la situation telle qu’elle se traduit véritablement dans les faits. En travaillant habituellement et régulièrement dans l’entreprise familiale, et en participant à l’activité économique de l’entreprise, le conjoint, par le travail qu’il réalise, doit pouvoir avoir accès à un certain nombre de droits comme cela est en principe le cas lorsque l’on travaille (lorsque l’on détient un emploi).
267L’obligation de choisir un statut permet ainsi non seulement de reconnaître juridiquement l’activité, de lier directement l’activité « professionnelle » du travailleur (alors travailleur avant d’être conjoint) et l’accès pour lui à un statut, et de reconnaître officiellement l’existence d’un véritable travail (non plus d’une simple entraide) qui mérite statut et protections, et même parfois rémunération (pour le conjoint salarié ou associé).
Section 2. Les critères en construction
268La question des critères en « construction » en vue de déclencher l’application d’un statut, se pose avec acuité au regard de certaines formes de travail n’appartenant pas à la catégorie juridique du salariat. Cette problématique est alors principalement évoquée pour les formes de travail qui ne disposent pas déjà d’un statut juridique protecteur : le travail indépendant, mais également certaines formes de travail non marchandes. Précisons que lorsque nous évoquons le qualificatif de « critères en construction », il ne s’agit pas d’affirmer que ces critères sont totalement absents en droit positif. Cela signifie simplement qu’ils ne constituent pas (encore ?) des critères juridiques pleinement reconnus, permettant en tant que tels, d’assurer automatiquement au travailleur l’application d’un statut.
269S’agissant d’abord du travail indépendant, celui-ci ne dispose pas d’un statut professionnel réglementant uniformément l’ensemble des formes de travail pouvant être incluses sous ce qualificatif, ni même de statuts juridiques véritablement protecteurs. Ceci découle du fait que ces activités professionnelles sont très diverses, et qu’il peut alors s’avérer malaisé de trouver un critère pertinent et communément identifiable. Pourtant, la recherche de protection de la part de certains de ces travailleurs se fait de plus en plus ressentir, comme en témoigne la création du statut d’auto-entrepreneur, ou encore le portage salarial qui permet à des travailleurs autonomes et dont la situation d’infériorité vis-à-vis de leur cocontractant est nettement discutable, de bénéficier de protections importantes. Aussi, si la question relative à la création d’un statut professionnel pour le travail indépendant dans son ensemble apparaît délicate, dans la mesure où elle suppose un traitement juridique identique pour des situations de travail très diverses la question de la création d’un statut protecteur pour une catégorie spécifique de travailleurs indépendants - ceux qui se trouvent en situation de dépendance économique - est évoquée avec insistance. Il conviendra dès lors de s’interroger sur l’opportunité de créer une catégorie juridique distincte pour les travailleurs situés en « zone grise », voguant entre salariat et indépendance (§1).
270Cette question se pose également pour certaines formes de travail non marchandes. Quelques exemples issus du droit positif tendent à démontrer, notamment pour le travail bénévole, que l’utilité sociale de l’activité peut justifier dans certains cas l’accès à quelques protections, par exemple en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle. Ce même critère est avancé par certains auteurs pour justifier et légitimer l’accès à un ensemble plus complet de règles protectrices (§ 2).
§1 - La situation de dépendance économique
271La situation de dépendance économique, ou celle de « parasubordination », est un critère souvent avancé pour justifier l’accès à une protection juridique : que celle-ci soit issue du statut salarial (les professions insérées dans la 7ème partie du Code du travail), ou d’un statut plus spécifique, celui de la parasubordination, alors spécialement consacré à cette catégorie de travailleurs. La dépendance économique est alors ou un critère « en attente », ne constituant pas une catégorie juridique totalement prise en compte - comme en droit français - pour déclencher l’application d’un statut spécifique, ou un critère déjà pleinement intégré et juridiquement distingué, comme dans bon nombre de pays de l’Union Européenne (Italie, Espagne, Allemagne, GrandeBretagne). La délimitation du champ de la notion de dépendance économique – notamment entrevu comme critère d’application d’un statut particulier, autre que salarial - s’avère donc essentielle. Ceci permettra d’identifier le travailleur qui se trouve en situation de dépendance économique (I).
272Il n’existe ainsi en droit positif aucun corpus juridique particulier pour cette catégorie de travailleurs ; exceptions faites des dispositions prévues à la 7ème partie du Code du travail qui « consacrent », d’une certaine manière, la catégorie juridique des travailleurs « parasubordonnés » en leur appliquant une partie des dispositions salariales. Néanmoins, à l’instar de nos voisins européens, ne conviendrait-il pas de soumettre ces travailleurs qui ne sont ni totalement des salariés ni totalement des indépendants en raison de leur dépendance économique, à un statut juridique propre, épousant davantage la spécificité de leur condition (II) ?
I - L’identification du travailleur économiquement dépendant
273Il conviendra de délimiter le domaine de la dépendance économique (B), avant d’identifier les indices permettant de caractériser précisément un « travailleur juridiquement indépendant mais économiquement dépendant », et dont la situation de dépendance est suffisamment marquée pour justifier l’accès à une protection (C). Interrogeons nous préalablement sur l’intérêt de reconnaître une catégorie juridique distincte spécialement consacrée à ces travailleurs (A).
A - L’intérêt d’une catégorie juridique distincte ?
274Reconnaître un régime juridique propre aux travailleurs en situation de dépendance économique1329, implique de prendre de la hauteur vis-à-vis de la distinction binaire qui existe actuellement entre salariat et indépendance, et consacrer ainsi un régime spécifique pour des travailleurs n’étant ni des salariés, car ne se trouvant pas dans un état de subordination juridique, ni totalement comparables à des travailleurs indépendants, puisque économiquement dépendants. Ceci suppose de s’atteler à la tâche ardue que constitue le tracé des frontières d’une catégorie juridique intermédiaire, consacrée à des travailleurs qui ne se reconnaissent totalement dans aucune des catégories actuellement existantes, sachant que elles-mêmes répondent déjà de frontières mouvantes et incertaines. Le risque principal étant « de remplacer une frontière floue par deux qui le seront tout autant »1330.
275Il s’agit également par ce biais de « pointer du doigt » la faible protection juridique actuellement accordée aux travailleurs indépendants. Cette situation s’avère particulièrement problématique pour ceux qui se trouvent, comme les salariés, en situation d’infériorité vis-à-vis de leur cocontractant. Or, l’on se situe pour le moment face à schéma dual, qu’il est possible de décrire de manière un peu caricaturale : d’un côté les travailleurs salariés qui bénéficient d’un statut relativement protecteur, et de l’autre, tous les autres, les non-salariés, c’est-à-dire ceux qui n’entrent pas dans cette catégorie et qui bénéficient de cadres juridiques dispersés parmi diverses réglementations. Ces régimes étant d’ailleurs le plus souvent peu protecteurs, puisque fondés sur le postulat que les travailleurs indépendants quels qu’ils soient, sont insérés dans une relation contractuelle égalitaire, partant, que la protection économique dont ceux-ci jouissent car travaillant « librement » et à leur compte est suffisante. Aussi, « apparaissent clairement les enjeux des deux catégories : pour les uns, salariés, l’exécution d’une prestation dans un lien de subordination juridique est faite en contrepartie d’une protection sociale étendue, couvrant les risques tant sociaux que professionnels ; pour les autres, non-salariés, assumant le risque économique inhérent à leur indépendance, un minimum de contraintes leur est imposé et, de ce fait, leur couverture sociale et professionnelle obligatoire est moindre »1331.
276En outre, en insérant dans un même ensemble la totalité des travailleurs indépendants, sans établir de distinctions entre eux alors même que leur condition économique et sociale peut varier du tout au tout, cette division binaire conduit à éluder un aspect essentiel qu’est la diversité des situations pouvant être incluses sous le qualificatif d’activité professionnelle indépendante. En effet, le dirigeant d’entreprise ne se trouve pas dans la même situation que le prestataire qui travaille seul, à son compte, et dont la clientèle et les commandes sont parfois très réduites. Créer un « sous-groupe » juridique distinct parmi les travailleurs indépendants permettrait ainsi d’identifier précisément des individus en situation de faiblesse, qui ne répondent pourtant pas des critères du salariat. Si la nécessité d’une protection juridique renforcée peut, il est vrai, apparaître discutable pour certains travailleurs indépendants, elle semble en revanche s’avérer indispensable, presque urgente, pour ceux se trouvant en situation de faiblesse économique. La discussion porte davantage sur la manière d’y parvenir.
B - Les frontières de la dépendance économique ou « para subordination » : entre salariat et indépendance
277Lorsque Ton s’intéresse à l’existence d’une troisième voie entre salariat et indépendance, sont évoquées les notions de « travail économiquement dépendant », de « travail juridiquement indépendant et économiquement dépendant »1332, de travail « parasubordonné » en Italie ou même de « travail autonome économiquement dépendant » en Espagne. S’agissant du droit français, les difficultés essentielles qui se présentent sont d’une part que ces notions ne constituent pas un critère juridique permettant de distinguer une catégorie spécifique de travailleurs, qui se trouvent alors fondus dans celle des indépendants, et d’autre part qu’elles ne sont que peu voire nullement définies par le droit, notamment celle de parasubordination que le droit positif français n’utilise jamais. Cette absence de définition juridique laisse place à des conceptions multiples et divergentes de la part de la doctrine.
1 - Dépendance économique et parasubordination : des notions le plus souvent synonymes
278Selon le Professeur Paul-Henri Antonmattéi et Jean-Christophe Sciberras : « La notion de « travail économiquement dépendant » couvre des situations qui ne relèvent ni de la notion bien établie de travail salarié, ni de celle de travail indépendant. Cette catégorie de travailleurs ne dispose pas de contrat de travail. Ils peuvent ne pas tomber sous le coup de la législation du travail, parce qu’ils occupent une « zone grise » entre le droit du travail et le droit commercial. Quoique formellement « indépendants », ils restent économiquement dépendants d’un seul commettant ou client/employeur pour la provenance de leurs revenus »1333.
279Dans le même sens, Elsa Peskine, qui se réfère plutôt à la notion de parasubordination, précise que ce terme « peut désigner toutes les situations dans lesquelles un travailleur, non-salarié, peut néanmoins jouir de certaines dispositions protectrices, inspirées ou même issues du droit du travail, en raison de la situation de dépendance dans laquelle il se trouve placé »1334. De même, selon le Professeur Alain Supiot, la situation de parasubordination évoque un cas d’« application partielle du droit du travail à des travailleurs juridiquement indépendants, mais économiquement dépendants »1335.
280Pour la plupart des auteurs, mais également pour les différents droits reconnaissant la parasubordination comme catégorie juridique distincte, le travailleur parasubordonné se trouve dans une « zone grise », à mi-chemin entre salariat et indépendant, s’apparentant à un salarié sur certains points (le déséquilibre contractuel, la situation de faiblesse vis-à-vis du cocontractant), et empruntant au travailleur indépendant sur d’autres (absence de subordination juridique, autonomie dans les conditions de travail, indépendance technique, support des risques et des profits de l’activité). Toutefois, comme le précise le Professeur A. Perulli, la parasubordination ne constituerait pas une troisième forme de travail. Le travailleur parasubordonné appartient à la catégorie juridique du travail indépendant1336, mais il demeure un indépendant « atypique », puisque économiquement dépendant. Cette acception n’est cependant pas unanime. Pour d’autres auteurs le professionnel parasubordonné doit également pouvoir inclure dans son champ des travailleurs juridiquement subordonnés mais techniquement autonomes.
2 - Parasubordination et travail juridiquement subordonné ?
281Le professionnel parasubordonné ne désignerait pas seulement le travailleur indépendant économiquement dépendant, mais serait susceptible d’intégrer certains salariés bénéficiant d’un degré d’autonomie élevé. En ce sens, selon Jacques Barthélémy : « le critère déterminant de la parasubordination étant la capacité de rétablir l’équilibre contractuel, deux types de relations de travail sont concernées »1337. Certaines impliquant une situation de subordination juridique et d’autres suggérant une situation de dépendance économique. Devraient dès lors pouvoir être inclus sous le qualificatif de parasubordonné, les travailleurs qui sont insérés dans une relation contractuelle déséquilibrée, et pour lesquels l’équilibre contractuel est susceptible d’être rétabli1338. Jacques Barthélémy est d’ailleurs rejoint en cela par d’autres auteurs1339.
282Celui-ci propose ainsi la création d’un statut intermédiaire qui engloberait à la fois des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants. Des salariés plus indépendants que les autres, comme les professions libérales actuellement encadrées par le statut de salarié ou les cadres dirigeants, ainsi que des travailleurs indépendants d’un point de vue juridique, mais dépendants sur d’autres aspects. La première frontière serait alors tracée entre les travailleurs salariés eux-mêmes, matérialisée par « l’indépendance technique » et une certaine autonomie dans l’exécution du travail, impliquant une responsabilité personnelle. La seconde frontière serait identifiée au sein des travailleurs indépendants, et séparerait l’indépendant, dont on ne rémunère que le louage de main d’œuvre, de l’entreprise, qui poursuit comme but le profit1340.
283Cette conception élargie du domaine de la parasubordination n’est néanmoins pas majoritaire et semble même relativement isolée. En effet, au regard des législations européennes notamment, l’on voit que cette notion correspond assez nettement à celle de la dépendance économique. Pour beaucoup, le travailleur parasubordonné est celui qui est économiquement dépendant, mais juridiquement indépendant.
C - Les critères de définition du travailleur économiquement dépendant
284À partir de quand un travailleur se trouve en situation de dépendance économique suffisamment marquée pour induire des effets juridiques et justifier l’accès à une protection particulière ? Cette question est essentielle, s’il est vrai que « toute dépendance économique n’appelle pas une protection particulière »1341. Nous verrons qu’en la matière, les critères avancés peuvent parfois différer. Il conviendra de distinguer les éléments de définition proposés par certaines législations européennes (Espagne et Italie notamment, même si les exemples allemands et britanniques auraient également pu illustrer ces propos), puis ceux avancés par la doctrine (en droit français), pour délimiter le champ du travail économiquement dépendant susceptible, sur ce fondement, de créer des effets juridiques.
1 - Les critères proposés par les législations européennes
285Le « Statut du travail autonome économiquement dépendant », consacré en droit espagnol par une loi du 11 juillet 2007, donne de nombreux indices pour identifier une situation de dépendance économique1342. D’abord, comme l’énonce la loi, les travailleurs autonomes économiquement dépendants sont ceux qui « exercent une activité économique ou professionnelle à but lucratif, de manière habituelle, personnelle, directe et, de manière prépondérante, au profit d’une personne physique ou morale, dénommée cliente, dont ils dépendent économiquement pour percevoir au moins 75 % des revenus de leur activité professionnelle ». Ensuite, des conditions plus précises qui doivent être cumulativement remplies, sont également avancées par le législateur espagnol. Le travailleur, pour être en situation de dépendance économique, ne doit pas être lui-même employeur de salariés et ne pas sous-traiter une partie de son activité (qu’il s’agisse de celle pour laquelle existe une dépendance ou d’une autre activité). Il ne doit pas non plus exercer son activité d’une manière qui ne permette pas de la distinguer de celle qu’exercent d’autres personnes au bénéfice du client, sous quelque forme juridique que ce soit. Celui-ci doit disposer d’une infrastructure productive et matérielle propre, distincte de celle du client. Il convient également qu’il détermine lui-même l’organisation du travail, sans préjudice des indications techniques éventuellement fournies par le client et qu’il perçoive une contrepartie économique en fonction du résultat de l’activité, conformément à la convention passée avec le client, en assumant les risques de l’activité.
286En Italie, l’on ne parle pas vraiment de travailleur en situation de dépendance économique, mais plutôt de travailleur parasubordonné1343. L’idée de parasubordination (et non la notion, qui n’est pas directement utilisée par le législateur) a fait son apparition en droit du travail italien il y a une quarantaine d’années, dans une loi de 1973. Elle fut à cette occasion « insérée », sans jamais être directement nommée, à l’article 409 alinéa 3 du Code de procédure civile. Il s’agissait à l’époque d’étendre le droit des litiges individuels du travail qui s’appliquaient déjà aux travailleurs salariés, à certaines formes de travail autonome dont les contrats de gérance, de représentation commerciale, ainsi qu’à tout autre rapport induisant une « prestation continue et coordonnée, principalement à caractère personnel, même si celle-ci est dépourvue de caractère subordonné ». Le législateur décrivant ici, sans la nommer, une situation de parasubordination.
287C’est pourtant la doctrine qui a développé et interprété plus finement les traits permettant de caractériser une relation de travail parasubordonné. S’appuyant sur les éléments de l’article 409 du Code de procédure civile précité, trois critères cumulatifs sont avancés. La parasubordination désigne ainsi une prestation continue, coordonnée, et dont la nature est essentiellement personnelle. La continuité signifie que la prestation de travail est destinée à satisfaire un besoin durable de l’autre partie, mais aussi que l’exécution se déroule sur un laps de temps et ne peut être réalisée instantanément1344. Tout en relevant que c’est la continuité de fait et non une obligation de durée dans le sens juridique, qui sera retenue1345. Ensuite, la coordination de la prestation de travail de la part du commanditaire doit être distinguée de l’hétérodirection, sinon l’on tomberait dans la catégorie du travail salarié. Sur le plan structurel, la coordination n’implique pas, comme l’hétérodirection, un lien étroit du point de vue des modalités de réalisation de la prestation dans l’espace et dans le temps : elle s’exprime par un lien fonctionnel, par une connexion nécessaire entre l’exécution du travail et l’organisation du bénéficiaire de la prestation (entrepreneur ou non)1346. Enfin, la nature essentiellement personnelle du travail doit être entendue aussi bien dans le sens quantitatif, en ce qui concerne l’apport de capitaux ou d’autres travailleurs, que dans le sens qualitatif, c’est-à-dire en ce qui concerne le relief que prend la prestation dans la gestion de l’organisation de production1347.
288Si jusqu’en 2003 aucun véritable statut légal du travail parasubordonné n’existait1348, la loi « Biagi » marqua en la matière un virage important. En vue d’améliorer la condition de ces travailleurs dont la précarité fut vivement dénoncée (ces derniers étant souvent qualifiés de « salariés au rabais »1349 puisque non soumis au droit du travail, excepté en matière de procédure contentieuse, d’hygiène et de sécurité et autres avantages accordés via les conventions collectives), cette loi instaura un « contrat de collaboration de projet »1350 visant à encadrer plus strictement les « collaborations coordonnées et continues ». La loi « Biagi » modifie ainsi, en élargissant au-delà des « co-co-co » (aujourd’hui appelés « co-co-pro »), le contenu de l’article 409 alinéa 3 du Code de procédure civile qui se trouve davantage « précisé ». Le champ des professionnels concernés par le contrat de projet – qui n’est autre que celui des parasubordonnés - couvre désormais une sphère de travailleurs plus large ; ce contrat désigne une « relation de collaboration coordonnée et continue, essentiellement personnelle et sans lien de subordination, devant être liée à un ou plusieurs projets ou programmes de travail ou phases de travail spécifiques déterminés par le maître d’ouvrage et gérés de façon autonome par le collaborateur en fonction du résultat, sans contrainte horaire ».
289Au-delà de ces quelques précisions, censées éclairer davantage sur la sphère du travail parasubordonné, certains éléments suscitent néanmoins quelques interrogations et zones d’ombre. En effet, qu’est qu’un « projet » au sens de la loi « Biagi » ? Que faut-il entendre par les termes assez larges de « phase » et de « programme de travail » ? Ces questions sont d’ailleurs soulevées par plusieurs observateurs, dont l’un d’eux remarque que le « législateur omet d’indiquer ce qu’il entend par ces termes »1351, alors même que l’un des objectifs de départ était d’affiner la définition du travailleur parasubordonné pour éviter que ce statut n’englobe de « faux indépendants ». Selon une circulaire interprétative du ministère du Travail de 2004 tentant d’apporter quelques éléments de réponse, « le projet consiste dans une activité bien identifiable et fonctionnellement liée à un résultat final auquel le collaborateur participe ». En revanche, le programme de travail ou la phase de travail sous-tend « la production d’un résultat seulement partiel destiné à être complété, pour parvenir au résultat final, par l’exécution d’autres activités ou d’autres résultats partiels ».
290S’agissant du terme de « coordination », tel qu’utilisé par la loi de 2003, celui-ci fait reposer sur le commettant l’obligation de déterminer le projet ou le programme, mais c’est le travailleur qui doit gérer de manière autonome la manière dont il souhaite exécuter son activité. Les modalités de coordination et d’éxécution de la prestation doivent dès lors être prévues dès la conclusion de celui-ci, pour éviter que les modalités d’exécution soient fixées au cours de l’exécution du contrat par le commettant1352.
291Concernant le régime du contrat de projet, mentionnons que la loi de 2003 prévoit que la rémunération du travailleur pour la réalisation d’un projet doit être « proportionnelle à la quantité et à la qualité du travail exécuté », elle doit tenir compte « des rémunérations normalement versées pour des prestations de travail autonome analogues dans le lieu d’exécution du contrat ». Ces travailleurs étant indépendants, le montant de leur rémunération doit en principe être comparé avec celui de travailleurs autonomes (non avec celui des travailleurs subordonnés). Une loi de 2007 (loi no 296/2006) vient cependant apporter une précision supplémentaire en rappelant que ce montant doit certes tenir compte des honoraires normalement versés pour des « prestations professionnellement équivalentes », tout en pouvant se référer aux « conventions collectives nationales de référence ».
2 - Les critères proposés par la doctrine
292Elsa Peskine précise que le critère commun d’identification des travailleurs économiquement dépendants pourrait « être trouvé dans la combinaison entre l’existence d’un rapport de pouvoir et la participation du travailleur aux risques de l’activité »1353. Elle décrit alors l’émergence d’un rapport de pouvoir « original », distinct de celui des travailleurs salariés. Cette originalité résiderait « dans l’articulation entre l’exercice d’un pouvoir et la répartition des risques de l’activité. L’assujetti au pouvoir supporte les risques de l’activité, au contraire du salarié, qui ne supporte pas les risques de l’entreprise »1354. L’on se trouverait alors dans une situation particulière qui emprunte à la fois au salariat - puisque le travailleur est soumis à un rapport de pouvoir vis-à-vis de son cocontractant - alors que c’est lui-même qui subit, au moins partiellement, les risques de l’activité1355 tel un travailleur indépendant. Cette condition juridique, où le risque et le pouvoir sont dissociés, peut apparaître à plus d’un égard surprenante.
293Dans une perspective différente, et en vue de construire un régime juridique propre aux travailleurs économiquement dépendants qui se détacherait alors du statut salarial, le Professeur Paul-Henri Antonmattéi et Jean-Christophe Sciberras proposent des critères d’identification plus précis. Selon ces auteurs, ne seraient concernés par ce régime d’une part, seulement les travailleurs juridiquement indépendants, travaillant seuls, et se trouvant d’autre part, en situation de dépendance économique. Des éléments plus précis sont proposés pour définir à partir de quand, la situation de dépendance est suffisamment marquée pour produire des effets juridiques. Ainsi, il est d’abord nécessaire que le travailleur réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires avec un seul client, un seuil de 50 % est proposé par les rédacteurs du rapport, sachant que celui-ci pourrait être augmenté via les conventions collectives. Pour mémoire, ce seuil est de 75 % en Espagne, et de 50 % pour les quasi-salariés en Allemagne. Il convient ensuite que la relation d’activité soit réalisée sur une durée suffisamment longue pour placer le travailleur en situation de dépendance économique. En effet, une relation courte et ponctuelle qui procure l’essentiel de ses revenus à un travailleur1356, mais sur une courte durée, n’est pas significative pour attester d’une situation de dépendance vis-à-vis de son cocontractant, qui n’est alors que « de passage »1357. Les auteurs du rapport proposent ainsi une durée minimale de deux mois. Enfin, est avancé le critère de la « dépendance de l’organisation productive du travailleur par rapport à l’activité du donneur d’ordres »1358. En somme, il convient que le travailleur, afin d’être considéré en situation de dépendance économique, soit « conduit à opérer une forte spécialisation de son outil de production pour répondre aux attentes de son client »1359.
294Jacques Barthélemy propose quant à lui un critère plus large pour caractériser un travailleur parasubordonné, dont la situation justifierait l’accès à une protection spécifique. Selon lui, « la parasubordination identifie un état de fait de relations entre un donneur d’ordres et un travailleur marqué certes aussi par un déséquilibre contractuel mais qui peut être résorbé grâce à la technique contractuelle »1360. Parmi ces travailleurs, l’on trouve non seulement des salariés, mais également des indépendants en situation de dépendance économique, dont la relation est caractérisée par un déséquilibre contractuel mais qui est cependant susceptible d’être rétabli (contrairement au salarié « classique »), par un corpus de règles spécialement adapté à leur situation. En outre, contrairement à ce qu’avancent plusieurs auteurs et législations, « l’état de dépendance économique ne se caractérise pas à partir d’un pourcentage minimum de chiffre d’affaires réalisé pour un même donneur d’ordres mais par une situation de fait qui a pour effet d’altérer la liberté de décision »1361. Dès lors, « peuvent bénéficier de la qualification de professionnels parasubordonnés tous les travailleurs indépendants effectuant des travaux pour un ou plusieurs donneurs d’ordres en qualité de sous-traitants ou liés à un groupe économique par un contrat de franchise ou appartenant à un réseau, de même que ceux travaillant majoritairement pour une grande entreprise »1362.
295Après avoir décrit les critères d’identification du travailleur indépendant économiquement dépendant, il convient de s’intéresser à l’architecture de la protection juridique dont celui-ci pourrait bénéficier.
II - La protection juridique du travailleur économiquement dépendant
296L’idée même de pouvoir accorder une protection juridique à des travailleurs indépendants est discutée. Pour certains, la condition de ces travailleurs, même en cas de dépendance économique, ne permettrait pas de justifier valablement la création d’un statut professionnel spécifique. Cette construction pourrait en effet être source de freins pour le développement de leur activité. Les syndicats de salariés craignent également que les protections assurées aux salariés soient par la même diminuées, du fait de l’extension possible de certaines mesures qui leurs sont en principe strictement réservées1363.
297Nonobstant ces réticences, et au regard de ce qui existe déjà en droit français ou dans d’autres législations européennes, il convient de distinguer deux démarches : d’abord, lorsque sont appliquées des dispositions protectrices - le plus souvent issues du salariat - à certaines professions autonomes en particulier, légalement déterminées, ceci est le cas en droit positif, où le Code du travail et le Code de commerce prévoient notamment l’application d’un ensemble de mesures à certaines professions ou contrats qui laissent présumer une situation de fragilité économique pour l’une des parties (A). Pour d’autres en revanche, il convient d’aller au-delà et de se diriger vers la construction d’un statut juridique propre au travail indépendant économiquement dépendant dans son ensemble, qui épouserait plus finement les spécificités de cette activité, même si cela n’empêcherait pas, comme cela est déjà le cas en Espagne, d’inclure dans ce statut particulier certaines règles issues du salariat (B).
A - L’accès à une protection juridique pour certaines professions ou contrats laissant présumer une situation de dépendance économique
1 - L’extension des dispositions salariales à quelques professions et activités
298L’extension de dispositions protectrices à certains travailleurs, en raison de leur dépendance économique, est déjà visible en droit positif. D’abord au sein du Code du travail qui dans sa 7ème partie, prévoit l’extension de tout ou partie du statut salarial à certaines professions et activités, parce que ces dernières laissent supposer une situation de faiblesse économique pour l’un des cocontractants1364. Il s’agit par exemple des V.R.P., artistes du spectacle, mannequins, journalistes professionnels, qui sont présumés liés par un contrat de travail. Il convient de distinguer ce cas de figure de celui où les travailleurs sont « seulement » assimilés à des salariés, bénéficiant ainsi d’un régime juridique parfois plus « composite »1365, qui peut se partager entre le droit du travail, le droit civil, ou encore le droit commercial. Il en va ainsi pour les gérants non salariés, entre autres exemples. Par conséquent, c’est la situation de dépendance économique déduite de l’exercice d’une profession et d’une activité spécifiques, qui justifie ici l’accès à des dispositions protectrices et salariales.
2 - L’application de mesures spécifiques à certains contrats professionnels
299Au même titre que le Code du travail, plusieurs réglementations prévoient des dispositions spécifiques pour certains contrats ou activités laissant entrevoir une situation de fragilité économique pour l’une des parties au contrat. Plusieurs exemples pourraient venir illustrer cette hypothèse.
300Les contrats de distribution commerciale d’abord, pour lesquels sont prévus des règles particulières, notamment issues du droit de la concurrence. La loi « Doubin » du 31 décembre 1989 impose ainsi pour certains de ces contrats (en cas d’engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité), une obligation d’information précontractuelle, afin que le contractant « faible » puisse s’engager par un consentement éclairé. En outre, le fournisseur pourra être tenu à l’égard du distributeur d’une obligation de prêt de matériel d’exploitation (dans les contrats d’approvisionnement), d’une transmission d’un savoir faire (contrats de franchise), ou d’une assistance technique et commerciale, voire financière (contrats de concession ou de franchise). La démarche est la même s’agissant des contrats d’intégration agricole. Réglementés par une loi du 6 juillet 1964, elle même complétée par la loi d’orientation agricole du 4 juillet 1980, celles-ci assurent l’agriculteur indépendant et « intégré », et dont la situation de dépendance économique peut s’avérer très forte, d’un certain nombre de garanties. Cette protection résulte notamment de l’assurance pour l’agriculteur d’une stabilité en terme de production et de prix, de l’accès à une aide technique et financière, et de la conclusion de contrats types élaborés avec les organisations professionnelles en vue de préciser les obligations réciproques des parties1366. La situation de dépendance de l’agriculteur s’illustre particulièrement en cas d’obligation d’exclusivité d’approvisionnement avec l’entreprise d’agro-alimentaire, ou en cas d’insertion dans le contrat de certaines clauses autorisant l’intrusion quasi permanente de l’industriel dans de nombreux domaines (s’agissant de la quantité et la qualité de la production). Ainsi, tel un travailleur « parasubordonné », le producteur conserve son indépendance juridique, mais demeure économiquement subordonné à l’entreprise intégrante dans la mesure où celle-ci limite son pouvoir de décision. Cette configuration particulière justifie que des dispositions spécifiques lui sont consacrées.
301À défaut d’effectuer une présentation complète de ces contrats qui auraient tous pu illustrer ces propos, nous avons choisi de consacrer une analyse particulière au contrat de gérance-mandat qui constitue en la matière un exemple topique, car reflétant la zone grise dans laquelle certains travailleurs indépendants peuvent parfois se trouver. Il permet également de soulever la question essentielle du degré et du contenu de la protection juridique devant leur être accordée. Au contraire de certains gérants1367 qui jouissent d’une part importante du statut salarial, le contrat de gérance-mandat est encadré par un ensemble de dispositions intégrées dans le Code de commerce, qui n’ignore donc pas la situation de dépendance de certains travailleurs juridiquement indépendants.
Le contrat de gérance - mandat
302La création par la loi du 2 août 20051368 du statut de gérant-mandataire d’un fonds de commerce ou d’un fonds artisanal1369 témoigne de la prise en compte par le droit commercial de la situation particulière de ce travailleur qui demeure un travailleur indépendant, mais « atypique » puisque économiquement dépendant de son cocontractant. Ainsi, conformément aux travailleurs parasubordonnés, celui-ci se situe « à la lisière de l’entreprenariat (...) (mais) également à la frontière du salariat »1370 et bénéficie à ce titre d’une réglementation particulière. La condition juridique de ce travailleur indépendant interpelle néanmoins, à plusieurs égards.
303Si celui-ci n’est pas salarié et ne bénéficie par conséquent pas des dispositions salariales, puisque non lié par un contrat de travail et a priori non soumis à un lien de subordination juridique, cette exclusion suscite toutefois certaines réserves. D’autant que l’on rappellera que l’absence de subordination juridique n’empêche pas certains gérants de succursales et les gérants non salariés de bénéficier d’une partie plus ou moins importante du statut salarial. Ainsi, l’éviction des gérants mandataires du champ salarial pourrait être discutée, puisque plusieurs prérogatives accordées au mandant confirment qu’il existe de nombreux points de correspondance entre une gérance-mandat et une relation de travail salarié. En effet, c’est bien le mandant, tel un employeur, qui est propriétaire des outils de travail utilisés par le gérant. Il supporte également les risques économiques de l’activité du mandataire. Etant propriétaire du fonds, il peut « légitimement » lui imposer certaines instructions, et contrôler dans quelques domaines l’exécution de son activité. D’ailleurs, certains vont jusqu’à affirmer que le triptyque qui permet de caractériser un lien de subordination juridique « se retrouve justement dans le mandat »1371. Or, s’il n’est pas théoriquement un salarié, il n’est pas non plus un travailleur indépendant « comme les autres », puisque soumis à une obligation d’exclusivité vis-à-vis de son cocontractant, illustrant une situation de dépendance économique.
304Dès lors, l’intervention législative de 2005 s’est inscrite dans une double démarche, visant d’une part à donner un cadre juridique au contrat de gérance-mandat qui jusque là était relativement « nu » de protections spécifiques et d’encadrement, hormis les dispositions générales prévues par le Code civil. D’autre part, en vue d’assurer certains droits sociaux non seulement au gérant dépendant, mais également un ensemble de garanties au mandant, afin de diminuer le risque de requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail. D’ailleurs, selon certains auteurs, « (...) le législateur s’est moins préoccupé de réglementer le contrat de gérance-mandat que de donner un statut au gérant-mandataire et, par là-même, d’octroyer quelques garanties aux mandants quant aux risques de requalification du contrat les liant aux gérants »1372.
305En premier lieu, la loi a eu pour objectif de « sécuriser les actifs exerçant une profession de manière autonome en développant des formes d’activité intermédiaire entre le salariat et l’entreprenariat »1373, dont la gérance - mandat. Pour ce faire, elle donne d’abord une définition du gérant-mandataire, inscrite au sein de l’article L. 146-1 du Code de commerce, par ailleurs récemment affinée1374. La loi attribue également certains droits sociaux au gérant, qui s’inspirent de dispositions déjà connues en droit du travail ou en droit de la consommation. Ceci confirme que le législateur n’ignore pas la situation d’infériorité dans laquelle se trouve le gérant mandataire vis-à-vis de son cocontractant. Plus précisément, il pose une obligation d’information précontractuelle et oblige ainsi le mandant à fournir au gérant, avant la conclusion du contrat, toute information nécessaire à la réalisation de sa mission. La loi prévoit également une commission minimale, genre de rémunération de base garantie au gérant, et dont le montant doit être prévu entre les parties par un accord-cadre. Enfin, s’agissant de la rupture du contrat, celui-ci peut prendre fin à tout moment, mais en cas de résiliation du contrat par le mandant et sauf en cas de faute grave du gérant, le mandant doit lui verser une indemnité égale au montant des commissions acquises. Pour le reste, hormis ces dispositions spécifiques au contrat de gérance - mandat, le gérant est soumis à la réglementation générale prévue au Code civil relative au contrat de mandat.
306En second lieu, afin de sécuriser les relations contractuelles liant le gérant au mandant, la loi de 2005, renforcée en cela par une loi du 23 juillet 20101375, affiche sa volonté de diminuer le risque de requalification des contrats de gérance mandat en contrat de travail, la gérance mandat flirtant « par nature » avec le salariat. En effet, même si comme tout indépendant il demeure autonome dans sa « mission », déterminant seul ses conditions de travail, pouvant même embaucher des salariés, celui-ci se trouve dans une situation particulière, puisque tenu de respecter les instructions de son cocontractant et susceptible d’être contrôlé par celui-ci (oserait-on dire comme un salarié).
307Les quelques requalifications en la matière témoignent d’ailleurs que la frontière est poreuse et que le risque de requalification est important. Aussi, ce qui semble déterminant pour distinguer le gérant-mandataire du salarié est le degré d’autonomie qui est laissée au travailleur1376, sachant que cette part d’autonomie ne semble de toute façon jamais totale. C’est en effet « une question de degré dans les restrictions apportées à l’autonomie du gérant qui est en cause »1377. Dès qu’une part minimale de liberté n’est plus garantie et que celui-ci ne se trouve plus, tel un mandataire, suffisamment autonome dans l’exécution de sa mission, le gérant bascule en principe dans une relation de travail juridiquement subordonnée.
308Comme l’observe Nicolas Dissaux, quatre types d’indices justifient fréquemment une requalification en contrat de travail. Il précise que pour diminuer le risque de requalification, le mandant devra particulièrement veiller à ne pas « prévoir des visites régulières ou, pire, inopinées. Le mandataire doit ensuite pouvoir maîtriser son emploi du temps. Le mandant évitera donc d’imposer à son gérant des horaires, ou des dates de congés. De même, s’abstiendra-t-il d’interdire à son mandataire de se faire remplacer »1378. Un arrêt du 8 juin 20101379 offre un exemple récent de requalification. La loi de 2005 avait pourtant pour ambition de « baliser » plus solidement le terrain...
309C’est pourquoi, la loi du 23 juillet 2010 est venue renforcer ce qui s’apparente désormais à une véritable « présomption de non salariat », en rajoutant un alinéa à l’article L. 146-1 du Code de commerce et précisant que « la mission précise, le cas échéant, les normes de gestion et d’exploitation du fonds à respecter et les modalités du contrôle susceptible d’être effectué par le mandant. Ces clauses commerciales ne sont pas de nature à modifier la nature du contrat ».
310Or, en voulant exclure tout risque de requalification, cette loi sème selon nous encore plus fortement le doute. D’une part, parce qu’elle utilise clairement le terme de « contrôle » du mandant sur la prestation du gérant, indice absolu de subordination juridique. Elle évoque aussi des « normes de gestion à respecter », confirmant expressément que le mandataire n’est pas vraiment libre, voire très peu autonome dans l’exécution de sa mission bien qu’il soit précisé à l’alinéa précédent qu’est laissée à celui-ci « toute latitude ». D’autre part, si la loi a vocation par ce rajout à diminuer les requalifications fondées sur certaines stipulations contractuelles litigieuses, puisqu’il est désormais précisé que celles-ci ne sont « par nature » pas appelées à modifier la qualification du contrat, cet « obstacle » ne semble pourtant pouvoir jouer qu’un temps. Il suffirait en effet de démontrer la nature non commerciale de ces clauses pour pouvoir faire basculer, malgré tout, la gérance-mandat dans le salariat1380. Etant vrai que la formulation même de l’article « ouvre une brèche », énonçant que « (...) les clauses commerciales qui, en application du texte nouveau, sont seules de nature à ne pas modifier la nature du contrat »1381.
311Même dans l’hypothèse où une situation de subordination juridique ne serait pas démontrée, le gérant-mandataire ne serait-il pas en mesure d’invoquer l’application du statut du gérant de succursale ? L’article L. 7321-2 du Code du travail permet en effet à certains gérants de bénéficier des dispositions du Code du travail sans avoir à démontrer l’existence d’un lien de subordination. Ce cadre pourrait-il trouver un terrain d’application en cas de gérance-mandat ? Cette hypothèse paraît plausible, dans la mesure où leurs situations semblent relativement proches. En outre, comme l’observe le Professeur Gilles Auzero, lors des débats qui ont précédé le vote de la loi du 23 juillet 2010, il était question de prévoir des mesures en vue de sécuriser les relations de travail et de diminuer les risques de requalifications en contrat de travail. Dans cette ligne d’idées, la loi fait en effet référence à des clauses qui ne sont pas de nature à modifier la nature du contrat, diminuant par ce biais tout risque de requalification. Elle ne semble se limiter qu’à ce risque précis. Elle n’évoque pas la question de l’application du statut de gérant de succursale, qui permet justement à un gérant de bénéficier de l’application des dispositions du Code du travail sans que son contrat ne soit requalifié.
3 - Une situation de dépendance économique davantage présumée que démontrée
312Dans l’ensemble des exemples précités, ce qui interpelle est que la situation de dépendance économique du travailleur, critère qui justifie rappelons-le l’application d’un statut « protecteur » (qu’il s’agisse d’une simple extension de dispositions salariales ou de l’application de règles plus spécifiques) semble plus déduite ou présumée, que véritablement prouvée.
313L’application de dispositions propres à leur situation paraît alors davantage dictée par l’exercice d’une profession et par la conclusion d’un contrat en particulier, qui eux-mêmes laissent supposer une situation de dépendance économique, plutôt que par une situation de dépendance qui serait démontrée par des critères précis, comme en Allemagne ou en Espagne. Par exemple, en cas de présomptions légales de salariat, jamais le législateur ne démontre ni ne définit la situation de fragilité économique qui légitime pourtant l’accès de ces travailleurs à un statut protecteur. Au mieux, celle-ci est parfois brièvement décrite dans certaines décisions jurisprudentielles, d’ailleurs assez paradoxalement lorsqu’il s’agit de reconnaître l’existence d’un contrat de travail1382 Par conséquent, ceci semble confirmer que la dépendance économique ne constitue pas en elle-même un critère juridique à part entière permettant de déclencher systématiquement, comme cela est le cas pour la subordination juridique, l’application d’un statut protecteur. Le problème n’est alors traité que de manière ponctuelle, épisodique, presque de façon conjoncturelle, par exemple au fil des requalifications comme en cas de gérance-mandat. Cette technique conduit corrélativement à laisser en marge certaines activités qui induisent aussi une situation de dépendance économique, mais qui ne retiennent pourtant pas l’attention du législateur. C’est pourquoi, de nombreuses voix s’élèvent en vue de créer un statut juridique propre au travail économiquement dépendant, dans son ensemble.
B - Vers la construction d’un statut réglementant le travail économiquement dépendant dans son ensemble ?
314Construire un statut consacré spécifiquement au travail économiquement dépendant permet d’assurer une protection juridique à une catégorie de travailleurs dans son ensemble et non plus seulement à un certain nombre d’entre eux. Pour autant, se diriger vers la création d’un tel statut ne doit pas faire oublier un certain nombre de risques. D’abord, en encadrant et en reconnaissant une forme d’emploi « atypique », il s’agit d’encourager et de permettre officiellement son développement, et ainsi autoriser que certains travailleurs soient soumis à un régime juridique spécifique, le tout étant de savoir si « atypisme » rime forcément avec « précarité ». En outre, l’on gardera à l’esprit ce qui s’est déjà produit en Italie, pour éviter d’inclure dans ce régime de « faux indépendants » qui pourraient en réalité prétendre à un statut plus protecteur.
1 - Un statut réservé aux travailleurs juridiquement indépendants seulement
315Si un statut du travail économiquement dépendant venait à voir le jour, il serait préférable que celui-ci ne bénéficie qu’à des travailleurs juridiquement indépendants, et non à certains salariés comme cela est parfois proposé. D’abord, pour une question de cohérence s’agissant du contenu même de ce statut. Puis, surtout pour éviter de soustraire certaines salariés – même si ceux-ci sont techniquement très autonomes – aux dispositions salariales qui leur sont par principe applicables, puisque liés par un contrat de travail. En outre, scinder les travailleurs salariés (ceux qui seraient soumis au statut salarial et ceux qui répondraient du statut du travail économiquement dépendant) risquerait d’induire un important contentieux pour déterminer à partir de quand un travailleur est suffisamment autonome pour pouvoir être exclu du champ du salariat.
316Ensuite, l’accès à ce statut étant déclenché par une situation de dépendance économique, il convient bien sûr de délimiter précisément ce que recouvre ce terme et à partir de quand la situation de dépendance économique est assez prononcée pour justifier l’accès à un statut. À défaut de proposer des critères – l’on se réfèrera aux propositions déjà avancées en ce sens – nous insisterons davantage sur la nécessité d’établir des critères précis, préférable selon nous à une simple présomption légale, qui implique de raisonner en termes de professions et donc d’exclure inévitablement certaines activités pourtant elles aussi dépendantes.
2 - L’architecture d’un statut du « travail économiquement dépendant »
317L’élaboration d’un régime juridique propre au travail économiquement dépendant ne fait pas l’unanimité, loin de là. Pour certains auteurs en effet, une délimitation plus claire des deux catégories déjà existantes et l’extension de certaines règles issues du salariat aux travailleurs économiquement dépendants, serait suffisante et préférable1383. Pour ceux qui se prononcent en revanche en faveur de la création d’un tel statut, l’inopportunité d’appliquer à ces travailleurs les dispositions du statut salarial - au moins dans sa totalité - semble souvent admise. Il serait alors davantage opportun de se diriger vers l’élaboration de dispositions spécifiques, même si celles-ci pourraient emprunter sur certains points au salariat. Il convient de distinguer la question de la protection sociale du travailleur économiquement dépendant, de celle de l’encadrement et des dispositions régissant l’exercice de son activité.
La protection sociale du travailleur économiquement dépendant
318Cette question revêt un enjeu, dans la mesure où la plupart des demandes de requalification en contrat de travail sont invoquées en vue d’accéder aux dispositions du Régime général. Ceci confirmant, s’il en était besoin, que l’attraction du salariat réside principalement dans les prestations de sécurité sociale garanties aux salariés, comparativement à celles qui sont accordées aux non salariés. Même si cette remarque est aujourd’hui à pondérer, étant donné que de plus en plus, cette différence tend à se réduire. Ainsi, l’un des points essentiels concernant le statut juridique du travailleur économiquement dépendant est la question de la protection sociale qui lui sera accordée. Celle-ci doit être selon nous la plus proche possible de celle dont jouissent les salariés.
319Dans leur rapport, le Professeur Paul-Henri Antonmattéi et Jean-Christophe Sciberras, même s’ils insistent sur la centralité de cette question, proposent non pas d’inclure ces travailleurs dans le régime général des salariés, mais plutôt de les soumettre au régime social des indépendants puisque appartenant « naturellement » à cette catégorie. Ceci, tout en renforçant cependant leur protection, et en leur assurant des droits en matière de risques « perte de revenus et accidents du travail »1384. La couverture de ce risque devra alors être garantie par les donneurs d’ordres1385. Cela étant, l’affiliation des travailleurs économiquement dépendants à tel ou tel régime importerait finalement peu, notamment selon J. Barthélémy, puisque l’harmonisation en matière de protection sociale serait « déjà effective »1386. Celle-ci n’étant néanmoins pas encore complète, et si une affiliation au régime des « non - non » était choisie, l’auteur précise qu’il faudrait alors apporter certaines précisions sur la question de l’assurance accidents du travail, afin que ceux-ci bénéficient d’une protection satisfaisante en la matière. Les auteurs semblent en revanche se prononcer d’une même voix contre la création d’un régime de protection sociale propre à ces travailleurs. L’on relèvera pour finir et à titre de comparaison, que les parasubordonnés en Italie ont accès à une protection sociale relativement riche, en matière de retraite, d’accidents et de maladies professionnels, d’assurances maternité et maladie. Les quasi-salariés en Allemagne bénéficient quant à eux d’une protection sociale identique à celle des salariés.
L’encadrement de l’activité de travail économiquement dépendante
320Pour une part de la doctrine mais également au regard des législations européennes, l’extension (ou du moins l’extension totale) du régime du salariat aux travailleurs économiquement dépendants, ne semble pas constituer la solution la plus opportune. Notamment pour Jacques Barthélémy qui explique que si « la dépendance économique (...) justifie un arsenal protecteur, (...) celui-ci n’a pas lieu d’être le droit du travail salarié... (puisque) le recours à une ingénierie juridique adaptée permet en effet de rétablir l’équilibre contractuel »1387. En effet, pour bon nombre d’auteurs, il convient de construire un statut juridique propre au travailleur économiquement dépendant, comprenant des mesures qui lui seraient spécialement consacrées. Elles seraient dès lors accordées en raison de la situation de dépendance économique de ces travailleurs vis-à-vis de leur cocontractant. Pour autant, ce lien de dépendance ne les plaçant pas dans une situation analogue à celle d’autres travailleurs dépendants que sont les salariés, ceci justifierait qu’ils aient accès à une protection juridique distincte.
321D’abord et de manière générale, conformément aux propositions déjà faites notamment en matière de droit de l’activité professionnelle1388, les droits innervant ce régime devraient avant toute chose se forger au regard des « droits fondamentaux du travail », devant être accordés à chaque personne en situation de travail, peu importe au final la forme de travail exercée par celle-ci. La distinction entre statut salarial et indépendance étant dès lors, pour cette catégorie de droits, peu conséquente. Plus précisément, le rapport précédemment mentionné1389 évoque l’application des règles en matière d’égalité de traitement, d’exercice du droit de grève1390 et d’accès à la formation professionnelle1391. Un auteur vise également « le droit au respect de sa vie personnelle à l’intérieur de la sphère professionnelle (...) (et) l’ensemble des procédures permettant le respect des droits de l’Homme au sens de la Convention européenne »1392.
322Ensuite, des dispositions prenant davantage en compte la situation de dépendance économique du travailleur sont proposées, notamment en matière de rémunération. Est évoquée l’idée qu’une rétribution minimale puisse éventuellement être prévue, même si le rapport relève que cette possibilité n’est réalisable que dans la mesure où l’indépendant réalise la totalité de son activité avec le même cocontractant, ce qui n’est pas toujours le cas. S’agissant de la conclusion et de la rupture du contrat de ces travailleurs, un ensemble de mesures nettement inspirées de ce qui existe déjà pour le gérant mandataire, est avancé. Il conviendrait selon ces propositions d’imposer au contractant dominant une obligation d’information précontractuelle en faveur du travailleur dépendant, avant que ce dernier ne s’engage. En cas de rupture, un préavis ainsi qu’une indemnisation seraient également imposés au donneur d’ordres. Un pourcentage minimal de 10 % du chiffre d’affaires réalisé pendant la durée d’exécution du contrat est proposé par les auteurs du rapport. Le versement de cette somme serait alors justifié par le fait que « le donneur d’ordres dominant tire un avantage économique important dans la relation de domination (...), qu’il n’est (donc) pas illégitime qu’il soit amené, lors de la rupture, à compenser forfaitairement le transfert du risque économique dont il a largement bénéficié »1393. En revanche, la motivation de la rupture est écartée, seule une sanction en cas de rupture abusive pouvant être envisagée. Enfin, lorsque le travailleur économiquement dépendant réalise sa mission au sein de locaux appartenant au donneur d’ordre, le rapport préconise que lui soient appliquées les dispositions en matière de santé et de sécurité au travail. De ce fait, il devrait également pouvoir bénéficier de périodes de repos minimales1394. Précisons que d’autres auteurs insistent également sur la nécessité de reconnaître à ces travailleurs le droit de recourir à la négociation collective1395.
323La situation de dépendance économique constitue un critère ponctuellement reconnu en droit positif pour justifier l’accès à un certain nombre de protections. Une remarque analogue pourrait être faite à l’endroit de l’activité socialement utile. Si l’utilité sociale ne constitue pas à l’instar de la dépendance économique, un critère permettant à lui seul et systématiquement de déclencher l’application de règles protectrices, il est cependant possible de relever quelques éléments en ce sens, notamment en droit de la sécurité sociale. Ceci confirmant que d’un point de vue du droit « le processus est déjà enclenché »1396.
§2 - L’utilité sociale de l’activité
324Il sera d’abord nécessaire d’évoquer les exemples issus du droit positif qui illustrent de quelle manière futilité sociale d’une activité tend à constituer, dans des cas de plus en plus nombreux, un critère permettant de bénéficier de dispositions protectrices, voire même d’un statut juridique complet (I). Par la suite, il conviendra de s’intéresser à certaines propositions doctrinales se basant sur ce critère pour justifier un accès plus systématique à un ensemble de protections (II).
I - La prise en compte par le droit positif de l’utilité sociale de l’activité
325Le droit positif semble peu à peu assurer des protections à celui qui accomplit une activité d’utilité sociale1397. Il s’agit par ce biais de reconnaître le bienfait que cette activité procure à la collectivité, de confirmer l’utilité du travail de ces personnes, mais aussi d’encourager (et ne pas dissuader) la réalisation d’activités de ce type, socialement indispensables. Plusieurs exemples viendront illustrer ce propos : les statuts encadrant les activités de volontariat (A), les droits assurés au travailleur bénévole (B), à l’aidant familial (C) ou au collaborateur occasionnel de service public (D).
A - Les statuts encadrant les activités de volontariat
326L’activité de volontariat est encadrée par différents statuts1398. La loi du 10 mars 2010 qui instaure le service civique volontaire permet de « regrouper » les formes de volontariat et d’assurer aux différents volontaires des droits peu ou prou identiques. L’accès aux protections pour le volontaire semble ici répondre d’un double mouvement : d’une part, à l’instar d’exemples précédemment cités (travail au foyer notamment), il s’agit de garantir certains droits à la personne qui ne peut répondre du couplage classique « emploi/statut », et qui doit pour cette raison être protégée. D’autre part, il est également probablement question par ce biais, de « récompenser » le travailleur qui exerce une activité dont la collectivité va tirer profit. Il s’agit en somme de couvrir et de garantir l’individu dans le cadre de sa mission, d’autant plus que celui-ci effectue une activité utile, une mission d’intérêt général, dont la société va tirer avantage. Le législateur évoque, par exemple, ce que peuvent être les missions susceptibles d’être accomplies dans le cadre d’un service civique. Elles « revêtent un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel, ou concourent à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention, de promotion de la francophonie et de la langue française ou à la prise de conscience de la citoyenneté française et européenne »1399. Le caractère d’intérêt général de ces activités explique sans doute pourquoi le financement de la couverture sociale de ces travailleurs repose principalement sur des fonds publics.
B - L’activité bénévole et la couverture contre le risque « accident du travail/maladie professionnelle »
327Le fait que certains bénévoles soient couverts contre le risque « accident du travail/maladie professionnelle » dans le cadre de leur activité témoigne également de la prise en compte par le droit de l’utilité sociale de certaines tâches. S’il n’est pas clairement fait mention que c’est la nature principalement sociale de ces prestations qui justifie une couverture contre ce risque, l’on peut légitimement supposer que le caractère socialement utile de celles-ci « joue », expliquant probablement pourquoi le bénévole bénéficie d’une protection en la matière. Les textes en ce domaine font d’ailleurs assez nettement ressortir cette dimension. L’on relèvera ainsi que le Code de la sécurité sociale prévoit une affiliation possible contre le risque « accident du travail/maladie professionnelle » pour les bénévoles évoluant au sein d’œuvres et d’organismes « d’intérêt général »1400. De même, une affiliation est garantie aux « personnes qui participent bénévolement au fonctionnement d’organismes à objet social »1401. Le raisonnement est analogue s’agissant des propositions visant à intégrer certaines années de bénévolat dans le calcul des droits en matière de retraite. C’est la dimension sociale des activités effectuées par le bénévole et l’utilité qu’elles procurent à la société, qui légitimerait alors la prise en compte « gratuite » (car sans cotisations versées par le travailleur), de ces années d’engagement1402.
C - Le travail de l’aidant familial
328La situation de l’aidant familial qui décide de cesser temporairement ou définitivement son activité pour s’occuper d’un proche dépendant répond probablement de cette même logique1403. Les différentes mesures prises en ce domaine permettent de protéger la personne qui décide d’accomplir une activité socialement utile en lui assurant des droits pendant la période de suspension de son contrat. Il est en effet nécessaire que la personne ne soit pas statutairement « pénalisée » alors qu’elle réalise une activité qui permet assurément de renforcer les liens entre les individus d’une même famille certes, mais également d’une société. Le fait que le droit encadre et autorise leur exercice est important. Cette possibilité permet de reconnaître que le contrat de travail - l’activité économique - puisse temporairement s’effacer et passer au second plan pour laisser place à la réalisation d’une activité dont l’utilité sociale est primordiale.
D - Le collaborateur occasionnel ou bénévole du service public
329Dans un autre registre, il est possible de citer l’exemple du « statut » accordé au collaborateur occasionnel du service public. Celui-ci désigne la personne qui exerce des missions occasionnelles pour le compte de l’Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics administratifs en dépendant ou des organismes privés en charge d’un service public administratif. Ces personnes apportent pendant un temps limité leur concours au fonctionnement d’un service public. De ce fait, et probablement parce qu’il s’agit également de prendre en compte l’utilité de leur travail, le droit leur assure un certain nombre de protections (en cas d’accident au cours de la mission notamment)1404.
II - Les propositions doctrinales prônant une protection juridique continue au-delà de la conclusion d’un contrat de travail
330Un mouvement similaire semble irriguer significativement la doctrine. Le raisonnement suivi demeure peu ou prou identique. Plusieurs auteurs affirment ainsi que le travailleur (ou « l’actif ») doit pouvoir bénéficier d’une protection juridique proche de celle dont jouit le salarié (dans de nombreux domaines et non seulement en cas d’accidents du travail) même lorsqu’il n’est pas lié par un contrat de travail. L’on pense évidemment aux diverses propositions avancées en ce sens par le Professeur Alain Supiot, via le concept « d’état professionnel »1405, par le Professeur François Gaudu avec le « statut de l’actif »1406, le « contrat d’activité » imaginé par les auteurs du rapport Boissonnat, ou les propositions relatives au développement d’une économie sociale et solidaire1407, qui reprennent les mêmes lignes directrices.
331Dans l’ensemble de ces cas, l’idée « maîtresse » et centrale est qu’au-delà de la conclusion d’un contrat de travail et de la possession d’un emploi salarié, le travailleur doit pouvoir être protégé de manière satisfaisante. Il convient que cette protection soit maintenue lorsque l’individu exerce une activité, même si celle-ci est non salariée, ou non rémunérée (associative). Pour le dire autrement, une protection juridique doit être maintenue, dès lors que le travailleur effectue une activité socialement utile. Sous cet angle, la dimension d’utilité sociale de l’activité, constitue l’un des critères justifiant que la personne puisse continûment répondre, au-delà de l’exercice d’un travail salarié, d’un certain nombre de droits sociaux. Cette idée est un sens déjà évoquée par le droit communautaire qui attribue le statut de « travailleur » et donc un certain nombre de protections, aux ressortissants d’Etats membres qui exercent actuellement un emploi salarié ou rémunéré, aux anciens salariés et chômeurs, ou dans certains cas, aux personnes en formation, qui reprennent des études ou qui sont même totalement inactifs (maladie ou accident).
332Le Professeur Jean-Jacques Dupeyroux propose quant à lui, en matière de couverture contre le risque « accidents du travail/maladies professionnelles », de substituer l’idée d’« autorité/protection » actuellement dominante, qui implique de protéger le travailleur soumis à un lien d’autorité « juridiquement organisé » (découlant de la conclusion d’un contrat de travail), à une protection qui serait accordée en raison du profit que l’activité procure à la collectivité (ce qui recouvre par définition un champ nettement plus large). Dans cette ligne d’idées, « (...) méritent cette sollicitude particulière ceux qui sont frappés alors qu’ils accomplissaient une tâche dont la société elle-même tire bénéfice. Autre version du risque/profit, qui justifie la reconnaissance d’un même statut privilégié au travail proprement dit, qui enrichit la collectivité nationale, et à certaines activités sociales d’intérêt général dont la même collectivité tire également profit, même si ce peut être de façon très différente »1408. Si cette proposition venait à être généralisée et étendue, elle pourrait justifier l’accès à un ensemble de droits plus important pour tous ceux qui exercent une activité socialement utile.
333De même, le « contrat d’activité » proposé dans le cadre du rapport Boissonnat, vise à accorder une protection statutaire continue à la personne exerçant non pas seulement un travail salarié ou rémunéré, mais plus largement à celui qui exerce une « activité ». L’activité engloberait alors « toutes les actions socialement utiles, en dehors de la sphère privée qui interdit toute forme de contrôle »1409, ne se limitant plus à une protection qui serait « chétivement » rattachée à l’emploi salarié.
Conclusion chapitre second
334Que ce soit afin de corriger les effets d’une situation de subordination juridique ou de dépendance économique, ou pour assurer d’une protection minimale la personne en situation de fragilité car exerçant un travail non rémunéré (une simple activité du point de vue du droit), le statut se présente principalement comme un instrument de compensation visant le plus souvent à pondérer l’état de faiblesse juridique, économique ou sociale, d’un individu.
335Il constitue d’abord un outil juridique permettant de compenser une situation de dépendance née de la réalisation d’un travail. Que la subordination soit juridique, à suite de la conclusion d’un contrat de travail, ou qu’il s’agisse de certaines professions autonomes ou contrats professionnels qui laissent supposer une situation de dépendance économique. C’est parce que le travailleur se trouve inséré dans une relation contractuelle déséquilibrée que le statut salarial ou certaines dispositions issues de réglementations spécifiques trouveront alors à s’appliquer. C’est ce même argument qui est avancé pour justifier la création d’un statut juridique spécifique pour les travailleurs parasubordonnés, ceux-ci se trouvant également installés dans une relation contractuelle inégalitaire, née d’une situation de dépendance économique.
336Lorsque la personne n’exerce aucune activité rémunérée (étant par conséquent sans emploi), c’est aussi la situation de fragilité économique et sociale de celle-ci, liée à l’absence de protection et de rémunération (et non à un déséquilibre contractuel) qui explique que certaines règles soient spécialement prévues à son endroit. Ici, il ne s’agit pas d’une démarche visant à protéger un travailleur, mais simplement l’individu. C’est une démarche identique qui guide les diverses propositions qui visent à octroyer une protection juridique aux personnes accomplissant une activité socialement utile (par exemple, la protection contre les accidents du travail octroyée à certains bénévoles).
Conclusion titre premier
337Le lien entre « travail » et « statut » semble tissé de manière inégale. Ce constat s’observe à différents niveaux. D’abord, toutes les formes de travail ne conduisent pas la personne qui accomplit cette activité au statut. Le simple fait d’exercer un travail ne suffit pas à assurer l’accès à un certain nombre de protections. Pour ce faire, il semble nécessaire que l’activité de travail soit saisie par le droit et que ce dernier envisage cette activité comme du travail « digne de ce nom ». Les formes de travail qui permettent dès lors à l’individu d’être protégé sont généralement celles qui présentent les traits de l’activité professionnelle (le travail salarié, le travail indépendant, le travail dans le secteur public). En revanche, pour les activités de travail gratuit, non considérées par le droit comme étant du travail, le lien entre ces deux notions s’avère plus fragile. L’une des seules exceptions en la matière concerne le volontariat pour lequel un statut se construit progressivement. Pour les autres, le bénévolat ou le travail du conjoint au foyer, le statut est encore loin. Certains droits sont assurés à ces travailleurs mais de manière éparse.
338Ce lien semble ensuite inégalement tissé car les formes de travail qui conduisent au statut n’assurent pas des protections d’un niveau identique, variant assez nettement en fonction de l’activité accomplie. Il suffit, pour s’en convaincre, de mettre en parallèle et de comparer le statut des salariés avec ceux des indépendants. Le niveau de protection juridique est en relation directe avec le degré de dépendance du travailleur vis-à-vis de son cocontractant. Le salarié, parce qu’en situation de subordination juridique et donc souvent fortement dépendant, a accès à un statut « protecteur » (même si bon nombre de ces protections tendent aujourd’hui à s’effriter). En revanche, le travailleur indépendant, considéré comme étant installé dans une relation contractuelle égalitaire, ne jouit que de dispositions protectrices minimes en corrélation avec sa situation d’indépendance supposée. Ceci confirme que le travail, lorsqu’il conduit au statut, peut potentiellement mener à « des » statuts qui peuvent être très différents du point de vue des protections accordées.
339Or, pour pouvoir assurer une protection juridique satisfaisante à toute personne se trouvant en situation de travail (et non seulement d’emploi), il semble nécessaire de se détacher de la situation précédemment décrite, suivant laquelle cohabitent plusieurs statuts professionnels distincts « attribués » en fonction de la forme de travail exercée, pour se diriger vers un statut du travail qui assurerait à chaque travailleur - dans certains domaines essentiels - des protections suffisantes. Il convient par conséquent de raviver le lien entre travail et protection de la personne au-delà de l’emploi salarié.
Notes de bas de page
1002 G. Cornu (sous la dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, Coll. Quadrige, 9ème éd., 2011, V° Statut. Egalement sur la notion de statut, J.-M. Auby, J.-B. Auby, D. Jean-Pierre, A. Taillefait, Droit de la fonction publique, Dalloz, 6ème édition, 2009, no 67 et s., p. 48.
1003 G. Cornu, ibid..
1004 G. Cornu, ibid.
1005 C Garbar, « Le travail de l’élu », in Le travail en perspectives, LGDJ, 1998, p. 265.
1006 G. Cornu, op. cit., loc. cit.
1007 C. Garbar, « Le travail de l’élu », op. cit. spéc. p. 270, citant (en note de bas de page) J.-M. Becet, « Les garanties allouées aux titulaires de mandats sociaux », RFDA, 1992, p. 967.
1008 A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 2011, p. 13.
1009 R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995 précise que « la prise en compte de cette dimension collective fait glisser la relation contractuelle du rapport de travail à un statut du salarié » (p. 338).
1010 J. Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail (des années 1830 à nos jours), les P.U.R., Presses Universitaires Rennes, 2004, 1er sem., p. 112 (nous soulignons).
1011 A. Jeammaud, « Les polyvalences du contrat de travail » in Les transformations du droit du travail, Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz 1989, p. 299.
1012 Sur ces questions, v. P. Durand, A. Vitu Traité de droit du travail, Paris, Dalloz, Tome II, 1950 ; G. Scelle, Le Droit ouvrier, A. Colin, 2ème éd., 1929.
1013 A. Supiot, op. cit. p. 16 et s.
1014 A. Supiot, op. cit., p. 17
1015 P. Durand, A. Vitu, Traité de droit du travail, Paris, Dalloz, Tome II, 1950, p. 206, no 117.
1016 P. Durand, A. Vitu, ibid.
1017 P. Durand, A. Vitu, ibid.
1018 A. Supiot, op. cit., p. 18
1019 P. Durand, A. Vitu, op. cit. loc. cit.
1020 A. Supiot, op. cit., p. 30.
1021 Même si l’intensité de ce lien est aujourd’hui nettement remise en cause par la diminution des protections et des sécurités attachées au travail.
1022 C. Garbar, « Le travail de l’élu », op. cit., loc. cit.
1023 Loi no 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale, J.O.R.F du 13 juillet 1982.
1024 Loi no 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, J.O.R.F no 179 du 3 août 2005.
1025 V. G. Lyon-Caen, Le droit du travail non salarié, Sirey, 1990.
1026 Loi no 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, JORF no 0174 du 29 juillet 2011.
1027 Loi no 2005-159 du 23 février 2005 relative au contrat de volontariat de solidarité internationale, JORF no 46 du 24 février 2005 ; Loi no 2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique, JORF no 0059 du 11 mars 2010.
1028 Loi no 92-108 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux du 3 février 1992, J.O.R.F. no 30 du 5 février 1992 et la circulaire du 15 avril 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux, J.O.R.F no 126 du 31 mai 1992.
1029 Loi no 2011-893 précitée.
1030 Dictionnaire Gaffiot. Observé par le Professeur Alain Supiot, Critique du droit du travail, op. cit., p. 33 (en note de bas de page).
1031 R. Castel, C. Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la condition de l’individu moderne, Fayard, 2001, p. 14.
1032 E. Durkheim, « Leçons de sociologie », P.U.F., 1950, p. 200. Evoquant l’œuvre de Locke, il précise que « c’est seulement avec Locke qu’apparaît la théorie d’après laquelle la propriété n’est légitime qu’à condition d’être fondée sur le travail ».
1033 R. Castel, C. Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la condition de l’individu moderne, op. cit., p. 30. La notion de support répond d’un sens relativement étendu : « Le terme de « support » peut avoir plusieurs acceptions, mais je le prends ici au sens de condition objective de possibilité. Parler de support en ce sens, c’est parler de « ressources », ou de « capitaux » au sens de Bourdieu ; c’est la capacité de disposer de réserves qui peuvent être de types relationnel, culturel, économique..., et qui sont les assises sur lesquelles peut s’appuyer la possibilité de développer des stratégies individuelles » (pour être un individu et être indépendant).
1034 R. Castel, C. Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la condition de l’individu moderne, op. cit., p. 166. Il relève, « (...) ce qui donne consistance à l’individu ce peut être l’appropriation de biens matériels comme dans la tradition Lockienne de l’individualisme possessif, mais ce peut être aussi la participation à des protections et à des droits. Cela va donc bien au-delà de la possession de biens matériels ».
1035 R. Castel, « La propriété sociale : émergence, transformations et remise en cause », Esprit, août - septembre 2008, p. 171 (nous soulignons).
1036 R. Castel, « La propriété sociale : émergence, transformations et remise en cause », Esprit, août - septembre 2008, p. 171.
1037 R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., p. 300.
1038 A. Supiot, « L’avenir d’un vieux couple : travail et Sécurité sociale », Dr. soc. 95, p. 823. L’auteur précise, « il n’y a pas de sécurité contre la vieillesse, la maladie, les charges de famille, qui puisse se concevoir sans travail pour subvenir aux besoins des enfants, des malades ou des personnes âgées ».
1039 R. Castel, C. Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la condition de l’individu moderne, Fayard, 2001, p. 73. Au-delà, cette notion de protection sociale revêt un sens plus large.
1040 R. Castel, « La propriété sociale : émergence, transformations et remise en cause », précité (nous soulignons).
1041 R. Castel, « Travail et utilité au monde », in Le travail en perspectives, LGDJ, 1998, p. 15, spéc. p. 20 « mais, simultanément, le travail est, si l’on peut dire, dignifié, dans la mesure où il est devenu support de droits ».
1042 Même si admettons que la force de ce lien entre travail et statut, travail et sécurité, est aujourd’hui assez nettement remis en question, en raison de la diminution des protections que certaines formes de travail sous-tendent.
1043 Ce développement qui retrace brièvement l’évolution historique de la notion de métier se réfère à l’ouvrage de R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., chapitre III, et particulièrement p. 129 et suivantes.
1044 R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale op. cit., loc. cit. Notamment, en ce qui concerne le travail manuel, tant méprisé à cette époque, « il (le métier) arrache le travail manuel à l’insignifiance, à l’inexistence sociale qui est son lot s’il demeure une activité privée exercée par des hommes sans qualités ». De plus, « grâce à lui, mais grâce à lui seulement, certains travaux manuels peuvent être dédouanés de leur indignité foncière ».
1045 R. Castel, op. cit., loc. cit.
1046 R. Castel, « Travail et utilité au monde », op. cit., p. 15, spéc. 18.
1047 Proposition de loi no 2079, 9 février 2005, visant à créer un statut du parent au foyer par l’instauration d’un Revenu Minimum d’Education, présentée Mme Claude Greff.
1048 T. Tauran, « Est-il possible de définir la notion de « régime » de sécurité sociale ? », RDSS 2009, p. 1111 : « Les statuts professionnels ou géographiques ont une vertu structurante. Ils rassemblent des personnes qui vivent des réalités identiques et qui se sentent animées par un sentiment commun, à savoir le fait d’être soumis aux mêmes droits et obligations pour ce qui est des prestations et des cotisations sociales. ». (C’est nous qui soulignons).
1049 R. Castel, L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?. Editions du Seuil et La République des Idées, 2003, p. 34.
1050 Cornu (sous la dir.), op. cit., V° Condition.
1051 Cornu (sous la dir.), op. cit., V° Condition sociale : « Situation d’une personne en tant qu’elle appartient à un certain groupe socio-professionnel ».
1052 Cornu (sous la dir.), op. cit., V° Etat. V. également sur cette notion, A. Lavagne, « Les critères respectifs de l’« état » et de la « profession » », Dr. soc. 1950, p. 133.
1053 Cornu (sous la dir.), ibid.
1054 Cornu (sous la dir.), ibid.
1055 A. Supiot (sous la dir.), Au-delà de l’emploi, Flammarion, 1999, p. 83 et suivantes.
1056 A. Supiot, « Travail, droit et lien social », Conférence publique à l’Organisation Internationale du Travail (Genève, Institut International d’études sociales, 11 novembre 1999).
1057 F. Gaudu, « La « Sécurité sociale professionnelle » : un seul lit pour deux rêves ? », Dr. soc. 2007, p. 393, spéc. p. 399 (en note de bas de page).
1058 A. Supiot, Au-delà de l’emploi, Flammarion, 1999, p. 90 ; « Travail, droit et lien social ». Conférence publique à l’Organisation internationale du travail (Genève, Institut International d’études sociales, 11 novembre 1999). Cf. infra no 1067 et s.
1059 A. Supiot, « Travail, droit et lien social », Conférence publique à l’Organisation Internationale du Travail (Genève, Institut International d’études sociales, 11 novembre 1999).
1060 A. Supiot, Au-delà de l’emploi, op. cit., p. 298.
1061 A. Supiot, « Travail, droit et lien social », « (...) il (l’état professionnel) se nourrit des droits acquis dans les périodes d’emploi, mais aussi de ceux qui peuvent être acquis dans d’autres situations de travail (travail indépendant ou travail non professionnel) ou bien garantis par des tiers (Etat, assurance, organismes paritaires, etc). »
1062 F. Gaudu, « La « Sécurité sociale professionnelle » : un seul lit pour deux rêves ? », précité.
1063 A. Supiot (sous la dir.), Au-delà de l’emploi, op. cit., p. 299.
1064 A. Supiot, op. cit.. p. 298.
1065 A. Supiot, « Travail, droit et lien social », précité.
1066 Ils proviennent tous deux du latin status, de stare, se tenir (Dictionnaire Larousse).
1067 F. Gaudu, précité, p. 399
1068 A. Lavagne, précité (nous soulignons).
1069 A. Lavagne, « Les critères respectifs de l’état et de la profession », Dr. soc. 1950, p. 133 (nous soulignons). Témoigne effectivement de cela, la notion d’état des religieux. Pour eux, il s’agit d’organiser non seulement un « travail », mais une vie dans son ensemble ; un travail qui fait partie de l’état de la personne. Ici, travail et vie personnelle ne font qu’un.
1070 C. Garbar, op. cit, loc. cit. qui s’interroge sur l’opportunité d’encadrer le travail de l’élu politique par un statut professionnel.
1071 Pour un exposé précis et complet de l’essentiel de ces mesures : C. Leborgne-Ingelaere, La gratuité en droit social. Essai sur le régime juridique du travail gratuit, thèse Lille, 2005, no 744 et s., p. 478.
1072 Communication relative au service volontaire européen, JOCE C 348 du 9 décembre 1994 (nous soulignons).
1073 B. Merchez, « La loi sur les volontariats civils. Eléments de présentation », Revue française des Affaires sociales, no 4, 2002, p. 75. Loi no 2000-242 du 14 mars 2000 relative aux volontariats civils, JORF no 63 du 15 mars 2000, p. 4031.
1074 Sur le travail volontaire, J. Savatier, « Entre bénévolat et salariat :1e volontariat associatif », Dr. soc. 2007, p. 197. J. Savatier, « Entre bénévolat et salariat : le statut des volontaires pour le développement », Dr soc., 2000, p. 146. F. Mananga, « La reconnaissance des activités désintéressées dans le secteur associatif », R.D.S.S. 2006, p. 1065.
1075 V. sur ce point, B. Merchez, précité.
1076 Loi no 2005-159 du 23 février 2005 relative au contrat de volontariat de solidarité internationale, JORF no 46 du 24 février 2005.
1077 Loi no 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif, JORF no 121 du 25 mai 2006 (abrogée depuis une loi de 2010).
1078 Art. 1 loi no 2006-586, précitée.
1079 Loi no 2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique, JORF no 0059 du 11 mars 2010.
1080 Loi qui précise que le service civique peut également prendre les formes suivantes : volontariat de service civique (durée de 24 mois), volontariat international en administration, en entreprise ou de solidarité internationale.
1081 Ce terme est communément repris dans la loi no 2005-159 précitée (art. 1), dans la loi no 2006-586 (art. 1). En revanche, dans la loi no 2010-241 précitée il n’est fait mention que d’une « collaboration ».
1082 Terme repris par l’ensemble des lois précitées relatives à la réglementation du volontariat.
1083 C’est d’ailleurs en fonction du domaine d’activité choisi que le travailleur volontaire sera soumis à tel ou tel statut : volontariat civil, associatif, de solidarité internationale, de droit public ou de droit privé.
1084 Jusqu’à 24 mois en cas de volontariat de service civique, de volontariat pour la solidarité internationale, de volontariat associatif et jusqu’à 12 mois pour l’engagement de service civique.
1085 Une durée minimale de six mois pour le service civique par exemple.
1086 Loi no 2005-159 du 23 février 2005 précitée ; loi no 2010-241 du 10 mars 2010 précitée.
1087 Loi no 2005-159 (art. 3) ; art. 8 de la loi no 2010-241 précitée qui fait référence à « une attestation de service civique ».
1088 Loi no 2010-241 précitée.
1089 Loi no 2005-159 (art. 3) ; loi no 2006-586 (art. 5) précitée ; loi no 2010-241 précitée.
1090 Loi no 2005-159 (art. 7) précitée.
1091 Loi no 2006-586 (art. 9) précitée ; loi no 2010-241 précitée.
1092 La loi no 2010-241 précitée prévoit une durée de 24 heures.
1093 C. Leborgne, thèse précitée, no 183, p. 111
1094 E. Alfandari, « Insertion et exclusion : l’insertion dans une communauté de vie exclut-elle le contrat de travail salarié ? », D. 2002, p. 1705.
1095 Cf. supra no 457 et s.
1096 C. Leborgne-Ingelaere, « La protection sociale des travailleurs bénévoles », R.D.S.S. 2006, p. 322.
1097 La volonté est une condition centrale de l’engagement bénévole ou volontaire. Le terme « bénévole » en latin « benevolus » « bienveillance » signifie « je le veux bien », et le terme « volontaire » se dit d’une personne qui offre ses services par simple dévouement.
1098 L’activité désintéressée se définit par opposition à une activité professionnelle, c’est-à-dire, non régulière et non rémunérée. Elle n’a pas pour objet principal la satisfaction d’un intérêt personnel et la recherche d’un profit.
1099 B. Halba, « Bénévolat et volontariat : un état des lieux », in Quel statut pour le travailleur bénévole/volontaire ?, colloque organisé au Palais du Luxembourg par l’I.R.I.V., 1 juillet 1998 p. 10
1100 Le droit fiscal précise qu’il est possible d’obtenir une réduction d’impôts pour les frais engagés par des travailleurs bénévoles dans le cadre de leur mission. La loi no 2000-627 du 6 juillet 2000 modifiant la loi no 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, JORF no 157 du 8 juillet 2000 (art. 41) précise que : « Ouvrent également droit à la réduction d’impôt les frais engagés dans le cadre d’une activité bénévole et en vue strictement de la réalisation de l’objet social d’un organisme mentionné aux alinéas précédents, lorsque ces frais, dûment justifiés, ont été constatés dans les comptes de l’organisme et que le contribuable a renoncé expressément à leur remboursement ».
Egalement, en matière d’accès aux soins palliatifs, une loi no 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, J.O.R.F. no 132 du 10 juin 1999, p. 8487, art 10 (aujourd’hui abrogé), précise que des bénévoles peuvent apporter leur concours à l’équipe de soins pour accompagner un patient malade en fin de vie, sous certaines conditions. Ainsi, « des bénévoles, formés à l’accompagnement de la fin de vie et appartenant à des associations qui les sélectionnent, peuvent, avec l’accord de la personne malade ou de ses proches et sans interférer avec la pratique des soins médicaux et paramédicaux, apporter leur concours à l’équipe de soins (...) ».
1101 Art. L. 5425-8 C. trav. : « Tout demandeur d’emploi peut exercer une activité bénévole ».
1102 Loi no 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, J.O.R.F. no 16 du 20 janvier 2000, p. 975, art. 15 (V).
1103 Art. L. 3142-51 C. trav. : « Lorsqu’un salarié, membre d’une association régie par la loi du1er juillet 1901 relative au contrat d’association inscrite au registre des associations en application de la loi du 19 avril 1908 (...) est désigné comme représentant de cette association ou de cette mutuelle pour siéger dans une instance, consultative ou non, instituée pas une disposition législative ou réglementaire auprès d’une autorité de l’Etat ou d’une collectivité territoriale (...) ».
1104 Art. L 335-5 (I), du Code de l’éducation, issu de la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, JORF du 18 janvier 2002 : « Peuvent être prises en compte, au titre de la validation, l’ensemble des compétences professionnelles acquises dans l’exercice d’une activité salariée, non salariée ou bénévole, en rapport direct avec le contenu du diplôme ou du titre. La durée minimale d’activité requise ne peut être inférieure à trois ans ».
1105 Relevons dès à présent le cas particulier de certains dirigeants associatifs qui sont affiliés aux assurances sociales du régime général, comme le précise l’article L311-3-22° du Code de la sécurité sociale : « Les dirigeants des associations remplissant les conditions prévues au deuxième alinéa du d du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts ».
1106 L. Héritier, « La protection sociale des bénévoles et des volontaires », Revue Française des Affaires sociales, 2002/4, no 4, p. 83 : « La protection sociale des personnes bénévoles n’est pas a priori évidente dès lors que la sécurité sociale française, construite sur une base professionnelle, repose prioritairement sur la notion de travail, en échange duquel est versée une rémunération ».
1107 Il est nécessaire que le bénévole ne soit pas déjà affilié à un autre régime légal de sécurité sociale.
1108 Par exemple, pour certains organismes liés aux institutions de prévoyance, de sécurité sociale ou de mutualité, certains organismes liés à la protection sociale et à la santé publique, ou autres institutions judiciaires et ministères.
1109 F. Kessler, « Et...un début de protection des bénévoles contre le risque accident du travail », R.D.S.S. 1993, p. 361, qui « caricature » cette situation en disant qu’il y aurait dès lors d’un côté les « bons bénévoles » (qui auraient droit à cette protection), et de l’autre les « mauvais bénévoles » qui ne pourraient y avoir accès.
1110 Une proposition de loi no 1346 enregistrée le 27 janvier 1999 proposait d’insérer dans le Code de la Sécurité sociale (art. L 412-8-6°) la mention suivante : « Les personnes qui participent bénévolement au fonctionnement d’organismes à objet social créés en vertu ou pour l’application d’un texte législatif ou réglementaire, et les personnes qui participent bénévolement au fonctionnement d’une association pour les accidents survenus par le fait ou à l’occasion de leur activité, de leur formation ou de leur mission de représentation, dans la mesure où ils ne bénéficient pas à un autre titre des dispositions du présent livre ».
1111 Loi no 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, JORF du 30 janvier 1993.
1112 Art. L. 743-2 C. séc. soc.
1113 Art. L. 743-1 C. séc. soc.
1114 Art. R. 743-5 C. séc. soc.
1115 Loi no 99-641 du 27 janvier 1999 portant création d’une couverture maladie universelle, J.O.R.F. no 172 du 28 janvier 1999.
1116 S’il remplit les conditions d’accès à cette assurance volontaire concernant les risques invalidité, vieillesse et veuvage, cette faculté est offerte : 1°) aux anciens assurés sociaux qui cessent de remplir les conditions d’assujettissement obligatoire soit au régime général, soit à l’un des régimes spéciaux, soit au régime agricole après y avoir été affiliée au moins 6 mois ; 2°) aux personnes qui remplissent à titre gratuit les fonctions de tierce personne auprès de leur conjoint ou d’un membre de leur famille infirme ou invalide ; 3°) aux salariés expatriés de nationalité française.
1117 Proposition de loi no 924 enregistrée le 13 juin 2003, « tendant à la prise en compte des périodes d’activité bénévole, au sein d’associations à but non lucratif à caractère ni politique, ni religieux pour l’ouverture des droits à retraites ». Dans le même sens, une proposition de loi no 283 du 15 octobre 2002 visant à favoriser la vie associative et le bénévolat propose (article 6) qu’« entrent dans le calcul des droits à la retraite les périodes pendant lesquelles l’assuré a exercé une activité bénévole au sein d’une association à but non lucratif si l’assuré n’a pu exercer une activité professionnelle donnant lieu au versement de cotisations », v. également une proposition de loi no 212 enregistrée le 24 septembre 2002 tendant à la prise en compte d’une activité bénévole pour le calcul des droits à la retraite.
1118 Art. L. 412-8-6° C. séc. soc.
1119 Art. L. 743-2 C. séc. soc.
1120 C. Leborgne-Ingelaere, article précité.
1121 Sur ces questions v. par ex. C. Blond, « Réflexions sur l’opportunité pour l’assistant victime du recours à la convention d’assistance bénévole », Petites affiches, no 139, 1999, p. 10 ; O. Gout, « Les critères de l’existence d’une convention d’assistance bénévole », J.C.P. G., no 50, 9 décembre 1998, II, 10203 ; S. Hocquet-Berg, « Remarques sur la prétendue convention d’assistance », in Etudes offertes à P. Kayser, t. 1, PUAM, 1979, p. 157 ; A. Marchand, « Les contrats d’assistance bénévole tacite : responsabilité et assurance », in Quel statut pour le bénévole/volontaire ?, colloque organisé au Palais du Luxembourg par l’I.R.I.V., 1 juillet 1998, p. 17 ; C. Roy-Loustaunau, Du dommage éprouvé en prêtant assistance bénévole à autrui : Méthodologie de la réparation, PUAM, 1980 ; G. Viney, Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, J. Ghestin (sous la dir.), L.G.D.J., 3ème éd., 2008, no 184, p. 495.
1122 Pour des exemples : Cass. civ. 1ère, 27 mai 1959, D. 1959, p. 524, note R. Savatier ; J.C.P G, 1959, II, 11187, note P. Esmein ; cass. civ., 23 mais 1962, D. 1962, Somm. 131 ; cass. civ. 27 janvier 1993, Bull. civ. I, no 42 ; cass. civ. 1ère, 10 octobre 1995, no pourvoi : 93-19142 ; Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1997, Bull. civ. I, no 243 : R.D.T. civ. 1997, p. 944 ; J.C.P. éd. G, IV, 1997, JCP 1998, I, 1095 ; cass. civ. 13 janvier 1998, D. 1998, p. 580, note M. Viala ; civ. 10 mars 2004, Bull. civ. II, no 105, p. 89.
1123 O. Gout, « Les critères de l’existence d’une convention d’assistance bénévole », J.C.P. G., no 50, 9 décembre 1998, II 10203.
1124 Notamment en situation d’urgence et de danger immédiat, ou la sollicitation et l’acceptation de l’assisté ne peuvent être que présumées. Voir sur ce point, A. Marchand, op. cit. p. 17 ; A. Dumery, « Assistance à personne en péril avortée en gestion d’affaires affirmée », J. C.P. G, 2010, 532, « (...), la rencontre des volontés dans l’hypothèse d’une assistance est fictive ».
1125 Sur cette question, C. Bloch, L’obligation contractuelle de sécurité, Presses universitaires d’Aix-Marseille, PUAM, 2002, no 82, p. 55 ; R. Bout, « La convention dite d’assistance », in Etudes offertes à P. Kayser, Presses universitaires d’Aix-Marseille, t. 1, 1979, p. 157.
1126 Il sera possible de considérer que la personne qui bénéficie de l’aide n’a pas manqué à son obligation si elle démontre l’existence d’une cause étrangère qui explique l’inexécution de l’obligation de sécurité ou apporte la preuve que le bénévole a commis une faute. Pour un exemple, Cass. civ. 1ère, 13 janvier 1998, Bull. civ. I, no 15 : D. 1998, p. 580, note Viala.
1127 Art. 1135 C. civ. dispose que : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
1128 A. Marchand, op. cit., spéc. p. 19 : « L’équité justifie l’existence d’une obligation de réparation à la charge de l’assisté. On ne peut laisser sans indemnisation celui qui volontairement, gracieusement et bénévolement, s’est porté au secours d’autrui. ».
1129 Cass. civ. 1ère, 27 mai 1959, Z). 1959, p. 524, note R. Savatier ; J.C.P. G, 1959, II, 11187, note P. Esmein.
1130 Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1997, Bull. civ. I, no 243: R.D.T. civ. 1997, p. 944; J.C.P. éd G IV 1997,J.C.P. 1998, I, 1095.
1131 Cass. civ. 1ère, 13 juin 2006, no pourvoi : 04-19344.
1132 A. Marchand, op. cit.
1133 Cass. civ. 1ère, 7 avril 1998, Bull. civ. I, no 141 : J.C.P. 1998, II, 10203, note Gout.
1134 Cass. soc. 3 juin 2010, no pourvoi 09-13526.
1135 Cass. civ. 1ère, 17 décembre 1996, Bull. civ. I, no 463 : RGDA 1997, note Ph. Rémy ; R.T.D. Civ., 1997, p. 431, obs. P. Jourdain.
1136 Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Droit civil. Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, no 1021 ; A. Bénabant, Droit civil. Les obligations, Montchrestien, coll. Domat droit privé, 12ème éd., 2010, no 453 et s ; J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil. Les obligations. 2. Le fait juridique, Sirey, 14ème éd., 2011, no 3 et s. ; P. Le Tourneau (sous la dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, coll. Dalloz action, 2008-2009, no 930 et s., p. 331 ; no 1960 et s., p. 593.
1137 A. Bénabant, ibid.
1138 A. Dumery, « Assistance à personne en péril avortée en gestion d’affaires affirmée », J.C.P. G, no 19, 10 mai 2010, 532.
1139 Cass. civ. 1ère, 26 janvier 1988, Bull. civ. I, no 25 : J.C.P. 1989, II, 21219, note Dagorne-Labbé ; D. 1989, Somm. 234, obs. Aubert. Dans un sens contraire : Cass. civ. 1ère, 7 janvier 1971, Bull. civ. I, no 9, J.C.P. G 1971, II, 16670.
1140 Cass. soc. 17 novembre 1977, D. 1978, p. 571, note J. Le Calonnec ; v. du même auteur, « Solidarité et responsabilité dans le droit de l’entraide entre agriculteurs », in La terre, la famille, le juge, Etudes offertes à Henri-Daniel Cosnard, Paris, Economica, 1990, pp 37-56.
1141 V. sur ces questions J-M. Auby, J.-B. Auby, D. Jean-Pierre, A. Taillefait, Droit de la fonction publique, Dalloz, 6ème édition, 2009, no 38, p. 31 ; J.-C. Bonichot, Rép. de la resp. de la puissance publique, Dalloz V° Collaborateurs occasionnels ; T. Oison, Rép. de la resp. de la puissance publique, V° Collaborateurs occasionnels ou bénévoles du service public.
1142 CE, ass., 22 nov. 1946.
1143 CE, 17 avril 1955. Tel peut être le cas pour une personne qui est blessée en se lançant spontanément à la poursuite d’un malfaiteur.
1144 CE 19 mars 1982, Lebon T. 739, Dr adm. 1982, comm. no 200, RD publ. 1982. 1454, obs. De Soto, D. 1983, IR 133, note Moderne et Bon ; sur la notion d’intérêt général : CE, 25 sept. 1970 ; D. 1971. 55, concl. Morisot, J.C.P. 1970. II. 16525, note AJDA 1971.55, chron. D. Labetoulle et P. Cabanes ; « La notion de service public n’a pas nécessairement un caractère organique. Elle recouvre une mission d’intérêt général confiée par le législateur à une autorité publique, ou même à un groupement privé. Dès lors qu’une personne accomplit une mission dont la responsabilité incombe à l’autorité publique, elle collabore au fonctionnement du service public ».
1145 S. Moreau, « L’activité désintéressée fiction ou réalité en droit social ? », Rev. dr. sanit., IV-1981, p. 510. D’ailleurs, cette opposition presque naturelle entre ces deux sphères, ressort assez clairement lorsqu’il s’agit de définir l’activité bénévole. Par exemple, pour Madame le Professeur S. Moreau, l’exercice d’une activité bénévole relève « (...) d’un choix délibéré, d’une philosophie selon laquelle la contrepartie a d’autres qualités (que la rémunération), une valeur morale qui échappe au droit » (nous soulignons).
1146 J. Bastide, « Le statut du bénévole/volontaire : le monde associatif à la croisée des chemins », in Quel statut pour le bénévole/volontaire ?, op. cit., p. 70. Dans cette même lignée, cet auteur précise que, « il y a opposition entre l’idée de temps donné, de bénévolat, et celle de statut qui sous-tend un cadre officiel, reconnu par la société, contradictoire avec l’engagement bénévole ».
1147 P. Malaurie, « Réserves et réflexions » in Quel statut pour le bénévole/volontaire ?, op. cit. p. 15.
1148 P. Malaurie, ibid.
1149 S. Moreau, article précité, p. 508.
1150 P. Malaurie, op. cit., loc. cit.
1151 J. Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, L.G.D.J., 10ème éd., 2001, p. 36.
1152 J.-M. Poughon, « Une constante doctrinale, l’approche économique du contrat », in Droits. Revue française de Théorie juridique, PUF, Paris, 1990, no 12, p. 52.
1153 D. Demoustier, « Le bénévolat, du militantisme au volontariat », Revue Française des Affaires sociales, 2002/4, no 4, p. 109.
1154 S. Moreau, précité, p. 509. Selon l’auteur, « le désintéressement doit être fondé sur des bases objectives. Mais celles-ci doivent être corroborées par l’établissement de critères subjectifs. Le rôle de la volonté du prestataire est, en ce domaine, un élément prépondérant. »,
1155 J. Savatier, « Entre bénévolat et salariat : le statut des volontaires pour le développement », Dr. soc. 2000, p. 148.
1156 S. Moreau, précité, p. 530, « il y aurait à craindre que l’on qualifie parfois, avec quelque légèreté, de bénévolat, des situations de chômage déguisé. Certaines personnes pour bénéficier d’une couverture sociale et pour être éventuellement nourries et logées se résigneraient peut-être au « bénévolat ». L’ambiguïté serait alors maîtresse et irait à l’encontre de ce qui est le plus respectable : le désintéressement ».
1157 P. Malaurie, op. cit., p. 16
1158 D. Ferran-Behrmann, Le métier de bénévole, Ed. Anthropos, 2002.
1159 B. Murat, « Le bénévolat dans le secteur associatif », Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires culturelles, 12 octobre 2005, p. 24 et suivantes.
1160 B. Murat, précité, p. 29, « La spécialisation du secteur associatif est également un facteur de professionnalisation : les associations assurant, par exemple, un soutien de populations à handicaps mentaux, physiques ou sociaux, doivent, sur des critères précis, sélectionner leurs collaborateurs fussent-ils bénévoles » (nous soulignons).
1161 En effet, il paraît techniquement difficile et peu opportun de faire supporter cette charge financière au bénévole ou même à l’association. D’une part, parce que celles-ci ne disposent pas de moyens suffisants, et d’autre part car cette possibilité constituerait un frein important à l’engagement bénévole.
1162 S. Moreau, précité, p. 529 : « ...si l’activité désintéressée a un intérêt privé, c’est à la personne elle-même de s’affilier...si l’activité désintéressée revêt un intérêt public c’est alors à l’Etat de prendre en charge les cotisations ».
1163 J. Savatier, « Activités bénévoles et activités salariés, une incompatibilité fondamentale ? », in Quel statut pour le bénévole/volontaire ?, op. cit., p. 45.
1164 B. Murat, rapport précité.
1165 J. Savatier, « Entre bénévolat et salariat : le statut des volontaires pour le développement », précité, p. 149 (nous soulignons).
1166 M. Morand, P. Coursier, « Le contrat de travail solidaire », Dr. soc. 2003, p. 156. A rapprocher de la proposition du Professeur Christophe Willmann, « Le service gratuit, à la recherche de son contrat (à propos de l’article 10 de la loi du 29 juillet 1998) » RD sanit. soc., avr.-juin 1999, p. 350. L’auteur s’interroge sur la création d’un contrat propre au travail bénévole effectué par des chômeurs, « le contrat d’insertion par le bénévolat », où le travail du bénévole aurait vocation a être classé dans la catégorie des contrats de bienfaisance.
1167 M. Morand, P. Coursier, précité, spéc. p. 160.
1168 M. Morand, P. Coursier, précité, spéc. p. 162.
1169 M. Morand, P. Coursier, précité, spéc. p. 162.
1170 M. Morand, P. Coursier, précité, spéc. p. 164.
1171 J. Savatier, « Activités bénévoles et activités salariées, une incompatibilité fondamentale ? » in Quel statut pour le bénévolat/volontaire ?, op. cit., p. 45 : « Finalement, c’est principalement pour les activités bénévoles, exercées dans un cadre associatif, que se pose le problème d’un statut. Le monde associatif est si hétérogène qu’il n’est guère concevable d’encourager, de la même manière, toutes les activités bénévoles qui peuvent s’y développer ».
1172 S. Moreau, précité, p. 512.
1173 C. Leborgne, thèse précitée, no 753, p. 483 : « la recherche d’un statut social du travail gratuit répond vraisemblablement à cette exigence affirmée et soutenue de réciprocité, laquelle ne saurait toutefois véritablement respecter la nature gratuite de l’activité qu’à la condition de n’entraîner aucune équivalence entre les prestations fournies ».
1174 J. Savatier, « Activités bénévoles et activités salariées, une incompatibilité fondamentale ? » précité, p. 45.
1175 J. Savatier, « La distinction du contrat de travail et des services bénévoles fournis dans le cadre d’une association », précité, spéc. p. 499 (nous soulignons).
1176 J. Rivero, « Synthèse », in L’activité désintéressée, réalité ou fiction juridique ?, L. Richer (sous la dir.), Economica, 1982, p. 137, spéc. p. 141, « le vocabulaire même en témoigne : voyez le nombre de mots (...) utilisés pour désigner, finalement, les mêmes activités : intéressé, désintéressé, est-ce synonyme de lucratif et de non-lucratif ? Est-ce synonyme d’économique et de non économique ? Comment se situe « bénévole » par rapport « à non lucratif » ou à « désintéressé » ? Comment se situe « gratuit » ? Tous ces mots, nous les avons trouvés, le Droit les utilise tous. Est-ce qu’ils désignent en définitive la même chose ? Nous sommes encore en peine de le dire et je crois que nous en peine de le dire parce qu’il est objectivement difficile d’y parvenir ».
1177 Sur ces questions, v. J. Rivero, « Synthèse », op. cit., spéc. p. 140 : « Ainsi, je persiste à penser que l’activité désintéressée n’est pas une fiction, qu’elle est une réalité, une réalité nécessaire ; et bien sûr, une réalité, comme toute réalité humaine, complexe, confuse et qui est sans doute rarement absolument pure, avec, entre le désintéressement pur de celui qui consacre sa vie à soigner les lépreux ou celui qui se jette à la nage pour sauver un enfant qui se noie et l’intérêt de mon banquier de tout à l’heure, toute une gamme de situations où l’on passe du désintéressement à l’intéressement. La frontière est indiscutablement difficile à tracer ».
1178 J. Rivero, op. cit., spéc. p. 139.
1179 J. Savatier, « Activités bénévoles et activités salariées, une incompatibilité fondamentale ? » précité, p. 39.
1180 Art. 203 C. civ. : « Les époux contractent, ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs entant » ; art. 213 C. civ. : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».
1181 V. par ex. sur ce point, J. Bichot, « Quelle prise en compte des activités non monétarisées par la sécurité sociale ? », Dr. soc. 91, p. 522 ; R. Cuvillier, « L’épouse au foyer : une charge injustifiée pour la collectivité », Dr. soc. 1977, p. 427.
1182 J. Bichot, « Pour en finir avec les droits dérivés ? Le cas de l’assurance-maladie », Dr. soc. 1985, p. 59 ; 1985 ; R. Vezin-David, « Faut-il remplacer le droits dérivés à protection sociale par des droits autonomes ? La nécessaire distinction du droit dérivé aux soins et du droit dérivé à pension », R.D.S.S., 2003, p. 1.
1183 R. Vezin-David, article précité, précise que « (...) les droits dérivés désignent une technique de généralisation utilisée par les systèmes de sécurité sociale de type professionnel pour étendre certaines prestations sociales à des personnes qui en sont logiquement évincées. Cette technique consiste à protéger les membres inactifs d’une famille, appelés ayants droit, par l’intermédiaire du droit de l’assuré avec lequel ils ont un lien ».
1184 Le terme de « droits individualisés » est également évoqué et désigne, un droit « lié à la personne elle-même, indifférent à sa situation familiale ou à la composition de son ménage », Recherche sur l’individualisation des droits en sécurité sociale, université des femmes, Etude réalisée par le ministère de la Prévoyance sociale, Bruxelles, 1993, p. 12.
1185 Sur ce que recouvre la notion « d’ayant-droit », art. L. 313-3 C. séc. soc.
1186 Même si pour cette dernière la qualification de droit dérivé n’est pas universellement admise, v. P. Morvan sur ce point qui préfère la qualification de droit propre. P. Morvan, Droit de la protection sociale, Litec, 2011, 5ème éd., no 360, p. 296.
1187 R. Vezin-David, article précité.
1188 J.-J. Dupeyroux (sous la dir.), Droit de la sécurité sociale, op. cit., no 640, p. 471.
1189 La loi no 78/2 du 2 janvier 1978 sur la généralisation de la Sécurité sociale, JORF du 3 janvier 1978, p. 145, a assimilé, le concubin au conjoint L. 161-14 al. 1°) C. séc. soc.
1190 Seulement depuis 1993.
1191 La loi no 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, JORF no 265 du 16 novembre 1999, qui a étendu la qualité d’ayant droit au partenaire pacsé pour l’ouverture des droits aux prestations en nature pour assurance maladie et maternité.
1192 Dont la liste est établie à l’article L.321-1 C. séc. soc. et à L. 613-14 C. séc. soc. pour les non-salariés.
1193 Art. L. 161-14-1 et L. 381-9. C. séc. soc.
1194 R. Vezin-David, article précité.
1195 M. Badel, « Suppression de l’assurance veuvage et réforme de la pension de réversion : quelle équivalence ? », R.D.S.S. 2004, p. 451 ; J. Bichot, « Veuvage et protection sociale », Dr. soc. 2005, p. 1114 ; M. Harrichaux-Ramu, « L’évolution de la pension de réversion », Dr. soc. 1980, p. 236 ; J.-F. Lusseau, « Vie maritale et droit de la Sécurité sociale », Dr soc. 1980, p. 203 ; S. Valierde, I. Bridenne, « La réforme de la pension de réversion », Retraite et société, no 48, 2006, p. 238.
1196 Art. L. 353-1 C. séc. soc. : « En cas de décès de l’assuré, son conjoint survivant a droit à une pension de réversion à partir d’un âge et dans des conditions déterminés pas décret si ses ressources personnelles ou celles du ménage n’excédent pas des plafonds fixés par décret. La pension de réversion est égale à un pourcentage fixé par décret de la pension principale ou rente dont bénéficiait ou eût bénéficié l’assuré, sans pouvoir être inférieure à un montant minimum fixé par décret en tenant compte de la durée d’assurance lorsque celle-ci est inférieure à la durée déterminée par décret ».
1197 Ou disparu depuis plus d’un an.
1198 Art. L. 353-3 C. séc. soc. Auquel est assimilé le conjoint divorcé non remarié, quelle que soit la cause du divorce. En revanche, les conjoints pacsés ou concubin sont exclus.
1199 Le conjoint a droit à une pension de réversion s’il ne dispose pas de ressources supérieures à 2080 fois le SMIC horaire par an et pour une personne seule, ou 3328 fois le SMIC horaire pour un ménage.
Art. R. 353-1 C. séc. soc. précise les ressources non prises en compte : « 1°) Les revenus d’activité et de remplacement de l’assuré décédé ; 2°) les avantages de réversion servis par les régimes légalement obligatoires complémentaires aux régimes de base (...) ; 3°) Les revenus des biens mobiliers et immobiliers acquis du chef du conjoint décédé ou disparu ou en raison de ce décès ou de cette disparition ».
1200 Le conjoint survivant doit avoir 55 ans minimum, pour bénéficier de la pension de réversion. Cette condition d’âge avait été supprimée en 2003 et a été réintroduite par la loi de financement de Sécurité sociale pour 2009.
1201 Depuis la loi du 23 août 2001, ces conditions sont supprimées. La condition de ressources est modifiée.
1202 Au moins deux ans, condition de durée supprimée si enfant né de cette union.
1203 Sur l’hybridité de la nature de cette pension, à mi-chemin entre logique d’assistance et logique d’assurance ; R. Vezin-David, article précité, P. Morvan, op. cit., loc. cit.
1204 Art. L. 353-5 C. séc. soc., seulement pour le conjoint survivant qui satisfait à une condition d’âge (il doit avoir entre 55 et 65 ans) et qui est non titulaire d’un avantage personnel de vieillesse légal.
1205 Et parce que son conjoint exerce une activité professionnelle.
1206 Art. L. 161-15 al. 1 et 2 C. séc. soc. Il est prévu un maintien des prestations en nature en matière d’assurance maladie, maternité pendant une période de douze mois. Néanmoins, la couverture de ces droits peut être maintenue au-delà de ce délai, et jusqu’à ce que le dernier enfant à charge ait atteint l’âge de trois ans (art. L.161-15 C. séc. soc.).
1207 Art. L. 161-15 al. 3 C. séc. soc.
1208 Pour la statistique, le conjoint au foyer est considéré comme inactif.
1209 J. Bichot, « Peut-on en finir avec les droits dérivés ? Le cas de l’assurance - maladie », précité (nous soulignons).
1210 R. Cuvillier, « L’épouse au foyer : une charge injustifiée pour la collectivité », précité, p. 436.
1211 Expression empruntée à Mme R. Cuvillier.
1212 J.-J. Dupeyroux (sous la dir.), Droit de la sécurité sociale, Précis, Dalloz, 16ème édition, 2008, p. 595, no 813.
1213 V. sur ce point, M. Badel, « Avantages familiaux de retraite : réalités et pertinences », R.D.S.S., 2008, no 4 ; A. Parisot, Conseil d’orientation des retraites, « L’assurance vieillesse des parents au foyer (AVFP) », Document de travail no 08, 28 mars 2007.
1214 En 1979, cette assurance a été étendue aux pères au foyer. Par une loi du 4 janvier 1985, relative à la création de certaines prestations sociales (l’allocation au jeune enfant et de l’allocation parentale d’éducation aujourd’hui remplacées par la PAJE (prestation d’accueil du jeune enfant)), prévoit un alignement des conditions d’ouverture entre père et mère, et vise non plus la seule mère, mais bien la « personne » isolée ou « l’un ou l’autre des membres du couple ».
1215 Loi no 72/8 du 3 janvier 1972 Allocation de la mère au foyer, J.O.R.F. du 5 janvier 1972.
1216 Art. L. 381-1 C. séc. soc.
1217 Art. L. 381-1 C. séc. soc.
1218 Art. D. 381-1 C. séc. soc : La personne isolée ou le membre du couple doit avoir à sa charge au moins un enfant en bas âge.
1219 Art. L. 522-1 C. séc. soc. ; art. R. 522-1 C. séc. soc.
1220 Art. L., R. et D. 544-1 et s. C. séc. soc.
1221 Art. L. 1225-62 C. trav. Il s’agit d’un congé pris par « la personne qui assume la charge d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants ».
1222 Art. L. 3142-22 C. trav.
1223 Art. L 815-1 et R. 815-1 C. séc. soc. et D. 815-1 C. séc. soc. qui visent plus précisément l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).
1224 Art. L. 815-5 C. séc. soc.
1225 Ordonnance no 2004-605.
1226 M. Badel, « Avantages familiaux de retraite : réalités et pertinences », article précité. Comme le relève cet auteur, la notion de dépendance de la mère au foyer vis-à-vis de son époux est toujours bien présente, « si la prestation présentait l’intérêt de constituer un droit propre, son attribution est tout de même très largement soumise au statut du mari (salarié ou ancien salarié) ». Si cette allocation a été remplacée et intégrée à l’APSA, elle est toujours versée aux bénéficiaires n’y ayant pas renoncé.
1227 Art L. 742-1 C. séc. soc. : dont le parent chargé de famille qui ne relève pas à titre personnel d’un régime obligatoire d’assurance vieillesse et qui se consacre à l’éducation d’au moins un enfant âgé de moins de 20 ans à la date de la demande d’adhésion.
1228 Rapport Sullerot, « Le statut matrimonial et ses conséquences juridiques, fiscales et sociales », Conseil Economique et Social, Journal Officiel, 31 janvier 1984.
1229 Loi no 99-641 du 27 janvier 1999, précitée.
1230 Art. L. 380-1 et suivants du C. séc. soc., il est également nécessaire qu’elle réside de manière stable et régulière en France.
1231 Art. L. 1225-17 et s. C. trav. L’idée est la même en cas de congé d’adoption.
1232 Art. L. 1225-35 C. trav.
1233 Art. L. 1225-47 et s. C. trav.
1234 Art. L. 1225-62 et s. C. trav.
1235 Loi no 2005-882 du 2 août 2005 précitée.
1236 T. Lahalle, « Le statut du conjoint collaborateur », J.C.P. S, 2005, Act., 115.
1237 Le décret no 2006-966 relatif au conjoint collaborateur du 1er août 2006, J.O.R.F. no 178 du 3 août 2006.
1238 Art. L. 613-19-1 et L. 722-8-1 C. séc. soc.
1239 Art. L. 613-19-1 C. séc. soc.
1240 Art. L. 633-10 C. séc. soc.et s ; art. L. 642-2-1 C. séc. soc. et s. ; art. L. 723-5 C. séc. soc. et s.
1241 Art. 203 C. civ. : « Les époux contractent, ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfant ». Les articles 212 et 213 du Code civil précisent respectivement que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » ; et que « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».
1242 R. Cuvillier, « L’épouse au foyer : une charge injustifiée pour la collectivité », précité, p. 431, ses propos sont particulièrement révélateurs, « dans l’ensemble toutefois, il (le travail au foyer) ne représente vraiment une activité à temps plein que si et quand il y a des enfants en bas âge (...). Il s’agit évidemment de personnes habituées à faire le travail du foyer dans des conditions de discipline et d’efficience sur lesquelles il faut se fonder si l’on veut évaluer l’activité ménagère comme un véritable travail. Vues sous cet angle, les prestations de la ménagère au foyer ne peuvent guère se comparer avec le labeur d’une vie de travailleur (se) ».
1243 R. Cuvillier, « Sur la protection sociale de l’épouse au foyer non active », précité.
1244 A.-M. Brocas, « L’individualisation des droits sociaux », Rech. et prév., no 55, 1999, p. 11 ; N. Kerschen, « Vers une individualisation des droits sociaux : approche européenne et modèles nationaux », Dr. soc. 2003, p. 216 ; M.-T. Lanquetin, « Principe d’égalité entre hommes et femmes. Individualisation des droits en matière de protection sociale », in Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du XXIème siècle, Mélanges en l’honneur de J.-M. Verdier, Dalloz, 1991, p. 409 ; C. Zaidman, « L’individualisation des droits réduirait-elle les inégalités hommes/femmes ? », Dr. soc. 1998, p. 590.
1245 V. infra no 1169.
1246 Une proposition de loi en 2005, proposait d’assurer le versement d’un revenu minimum d’éducation au conjoint se consacrant à la vie du foyer. Alors que d’autres auteurs rejettent cette possibilité, dont, Mme R. Cuvillier, « au demeurant, puisque tous les parents, actifs ou inactifs, s’occupent de leurs enfants, il faudrait accorder une rémunération à tous ». R. Cuvillier, « Sur la protection sociale de l’épouse au foyer non active », Dr. soc. 1988, p. 531.
1247 M.-T. Lanquetin, « Principe d’égalité entre hommes et femmes. Individualisation des droits en matière de protection sociale », in Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du XXIème siècle, Mélanges en l’honneur de J.-M. Verdier, Dalloz, 1991, p. 411. Selon l’auteur : « D’après la Commission, les droits dérivés posent essentiellement 3 problèmes. Ils cantonnent les femmes qui ne participent que faiblement à la vie professionnelle dans une relation de dépendance dommageable en cas de rupture du lien générant les droits. Ils dissuadent également les femmes de se présenter sur le marché du travail et les encouragent à travailler dans l’économie informelle. Enfin, les droits dérivés tendent à favoriser en matière de retraite les dépendants des salariés à revenus moyens et cela sans contribution supplémentaire pour le titulaire des droits ».
1248 M.-T. Lanquetin, op. cit., spéc. p. 412.
1249 M.-T. Lanquetin, op. cit.. spéc. p. 415, l’auteur observe que « l’individualisation est, en effet, la réponse à une conception plus démocratique de la famille et à son évolution sociologique. Dans une telle perspective chaque personne peut prétendre au bénéfice de droits fondamentaux, chaque personne est titulaire de droits propres alors que dans un système familiarisé coexistent un titulaire de droits propres et un titulaire de droits dérivés dans une relation de dépendance ».
1250 M.-T. Lanquetin, op. cit., p. 414.
1251 C’est pourquoi, l’expression de femme « inactive » concernant le conjoint au foyer, souvent rencontrée en statistique, nous paraît inappropriée.
1252 Ce qui pourrait éventuellement justifier, comme en cas de bénévolat, qu’une partie de ce statut soit financée par la solidarité collective. Néanmoins, certains observateurs, dont R. Cuvillier, proposent d’autres solutions dont celle de la contribution personnelle du ménage : que celle-ci soit assurée par le conjoint au foyer lui-même qui acquitterait des contributions sur l’ensemble de ses revenus (épargnes, biens immobiliers par exemple, à défaut de revenus de travail) ou par le conjoint exerçant une activité professionnelle, car il bénéficie des prestations de son épouse (ou époux) et en raison des avantages financiers et fiscaux que son inactivité suppose. Il serait question d’effectuer une assimilation et d’attribuer à l’épouse au foyer un revenu fictif égal au salaire en nature et en espèces d’une employée de maison (R. Cuvillier, « Sur la protection sociale de l’épouse au foyer non active », précité, spéc. p. 536). Sur cette question v. également C. Zaidman, précité.
1253 J.-J. Dupeyroux (sous la dir.), Droit de la sécurité sociale, Précis, Dalloz, 16ème édition, 2008, p. 595, no 813.
1254 J. Bichot, « Quelle prise en compte des activités non monétarisées par la Sécurité sociale ? », Dr. soc. 1991, p. 522, spéc. p. 527.
1255 Certaines des prestations sociales sont d’ailleurs qualifiées de « salaire indirect », notamment lorsqu’il s’agit de verser au salarié dont le contrat est suspendu (maladie, congés) un « revenu de substitution ». Le montant de ce revenu de remplacement dépendant lui aussi du montant de la rémunération habituellement versée au travailleur. Seuls le droit aux soins et l’accès aux prestations familiales ne sont pas conditionnés à l’exercice d’une activité rémunérée. De sorte que lorsque la personne exerce une activité non rémunérée, celle-ci est exclue d’une grande part des prestations sociales.
1256 Dans ce cadre, la notion d’emploi aurait également pu être utilisée. Cela étant, nous avons préféré l’écarter car trop connotée par la forme salariale.
1257 V. sur ce point notamment, A. Supiot, « L’avenir d’un vieux couple : travail et Sécurité sociale », Dr. soc. 1995, p. 823, en effet, « il n’y a pas de sécurité contre la vieillesse, la maladie, les charges de famille, qui puisse se concevoir sans travail pour subvenir aux besoins des enfants, des malades ou des personnes âgées ».
1258 Il ne s’agira pas de se demander quel est le socle qui recèle le contenu de ce statut (contrat de travail ? Conventions collectives ? Loi ?), mais quel est l’acte qui déclenche son application.
1259 G. Scelle, Le Droit ouvrier, A. Colin, 2ème éd., 1929, qui au-delà de la faible importance que celui-ci attribue au contrat de travail dans la construction du contenu du statut salarial, il en fait néanmoins l’acte permettant de déclencher l’application du droit du travail et du statut salarial, parlant de « simple acte - condition », pour que le statut légal et conventionnel salarial puisse s’appliquer. En effet, G. Scelle, p. 109, « L’ouvrier possède un véritable « statut » de plus en plus minutieusement délimité par la loi, le règlement, le contrat collectif. Le fait de l’embauchage va donc le plus souvent avoir pour unique effet de déclencher sur la tête de l’ouvrier l’application de ce statut, c’est-à-dire de le mettre dans une situation qui n’aura rien de subjectif ou d’individuel, puisque cette situation sera la même pour tous les ouvriers de la même usine, de la même profession » (nous soulignons).
La démarche semble être la même pour Paul Durand, A. Jeammaud y faisant référence, « selon Durand le contrat de travail demeurait la source normale du rapport juridique d’employeur à salarié (donc la condition d’application normale du droit du travail), mais son sens et sa portée s’étaient trouvés réduits avec la considération accordée par le droit positif à l’existence objective d’une relation de travail, c’est-à-dire de ce fait (fait-condition) qu’est l’entrée et la présence du travailleur dans l’entreprise, comme avec l’intensification du rôle de la loi et des conventions collectives dans la détermination de la condition juridique du travailleur dépendant ». A. Jeammaud, « La centralité retrouvée du contrat de travail en droit français », Estudos juridicos en homenage al doctor Nestor de Buen Lozano, 2003, p. 417.
1260 Voir sur ce point A. Supiot, op. cit., p. 109 et suivantes, traitant des « apories de la soumission volontaire ».
1261 A. Supiot, op. cit., p. 115 ; sur un thème un peu analogue (sur le sentiment de justice au travail), F. Dubet, « Propositions pour une syntaxe des sentiments de justice dans l’expérience de travail », Revue française de sociologie 3/2005 (Volume 46), p. 495-528. L’adjectif « inégalitaire » souvent utilisé pour décrire la situation des contractants dans une relation de travail, doit néanmoins être employé avec prudence et précaution. Comme le relève M. le Professeur Alain Supiot, l’idée de hiérarchie, imprégnant la relation de travail salarié, ne doit pas être confondue avec celle d’inégalité. Celui-ci précise : « Tandis que l’inégalité désigne d’une manière générale le produit d’une comparaison objective entre des situations de fait éventuellement indépendantes l’une de l’autre, la hiérarchie désigne toujours un lien de droit. C’est dire que l’inégalité qui résulte de ce lien a une signification particulière : il s’agit d’une relation, et non pas seulement d’une situation, inégalitaire ; et il s’agit d’une inégalité instituée par le droit, et non pas d’une situation de fait ignorée ou combattue par lui. Dans le rapport hiérarchique, c’est l’inégalité et non l’égalité qui fait ainsi figure de principe juridique constitutif. Tel est bien le cas du lien de subordination, qui fonde le rapport entre employeur et salarié sur un principe juridique d’inégalité ».
1262 Même si pour certains sociologues notamment, toute relation de travail implique nécessairement une situation de subordination.
1263 J.-M. Verdier, « Le droit du travail, terre d’élection pour les droits de l’homme », in Les orientations sociales du droit contemporain, Mélanges en l’honneur de Jean Savatier, p. 427, spéc. p. 436 : « Quelles que soient les finalités (du droit du travail), souvent ambivalentes, qu’on lui reconnaît ou qu’on lui assigne, c’est bien, du point de vue de ses techniques, un minimum d’égalité au profit des travailleurs salariés que l’intervention progressive du législateur a cherché à rétablir ou obtenir, qu’il s’agisse des conditions de travail, du régime de l’emploi et de la formation, des limitations du pouvoir patronal et de la protection des libertés fondamentales ».
1264 J. Barthélémy, « Mutations du travail et évolutions du droit social », Les Cahiers du DRH, no 142, avril 2008, p. 35.
1265 Cass. ass. plén. 4 mars 1983, Bull. A. P., no 3 D. 1983, v. note de bas de page no 370.
1266 Article abrogé depuis par la loi du 2 août 1868.
1267 G. Scelle, Le Droit ouvrier, A. Colin, 2ème éd., 1929, p. 10.
1268 Entre les années 1850 et 1900. Sur ces questions voir notamment Le Play, La réforme sociale en France ; E. Cheysson, Œuvres choisies ; A. Gueslin, « Le paternalisme revisité en Europe occidentale (seconde moitié du XIXe, début XXe siècle) », Genèse, 7 mars 1992, p. 201.
1269 Dictionnaire Gaffiot, « patronus » qui est un dérivé de « pater » qui signifie « père ».
1270 J. Le Golf, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail, op. cit., p. 45. Se référant également au Manuel de la corporation chrétienne, 1865, p. 42, « si le devoir de s’intéresser au salut de ses frères est imposé à tous ceux qui ont une action sur d’autres hommes, combien n’est-il pas plus étroit pour l’individu placé par Dieu à la tête de nombreux ouvriers. Le patron est obligé en stricte justice de nourrir ses ouvriers par un salaire équitable. Violer ce devoir serait un crime... Les devoirs du patron envers les âmes de ses ouvriers sont-ils moins rigoureux que ceux qu’il est obligé de remplir à l’égard de leur corps ? Ne leur doit-il pas des soins pour empêcher leur âme de mourir par suite même du travail dans l’usine et aussi des soins pour assurer le pain spirituel... ».
1271 D’ailleurs, le paternalisme dans son sens général peut répondre d’un sens péjoratif, « attitude d’une personne au pouvoir, d’une collectivité ou d’un pays qui, sous couvert de protection désintéressée, cherche à imposer une tutelle, une domination ». (Dictionnaire, Trésor de la langue française).
1272 J. Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail op. cit., p. 43.
1273 J. Le Goff, op. cit., p. 45.
1274 A cet égard, la notion de subordination est extrêmement ambivalente et paradoxale. Puisque si elle permet d’intégrer la personne du travailleur dans la relation contractuelle de travail, ce que le Code civil n’a jamais fait, elle est également ce qui permet l’objectivation d’une part du corps du travailleur (sa force de travail), et donc d’une part de sa personne. Or, ceci revient en un sens à nier et à « gommer », au moins en partie, la personne du travailleur.
1275 J. Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail, op. cit., p. 60.
1276 Que l’on peut dater aux alentours des années 1907, Cour de cassation, 8 janvier 1907.
1277 J. Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail, op. cit., p. 77.
1278 A. Supiot, Critique du droit du travail, op. cit. p. 109.
1279 P. Chaumette, « Quel avenir pour la distinction travail dépendant/indépendant ? », in Le travail en perspectives, LGDJ, 1998, p. 84.
1280 A. Supiot, Critique du droit du travail, op. cit., p. 137 : « Les contrats de travail sont soumis à un ordre public de protection dont la caractéristique essentielle est de compenser la subordination par l’attribution de droits attachés à la seule qualité de salarié (...) ».
1281 J. Barthélémy, « Civilisation du savoir et nouveau droit social », Les Cahiers du DRH, no 142, avril 2008, p. 35, spéc., p. 39.
1282 A. Supiot, Critique du droit du travail, op. cit., p. 115, « Dans le rapport hiérarchique, c’est l’inégalité et non l’égalité qui fait ainsi figure de principe juridique constitutif. Tel est bien le cas du lien de subordination, qui fonde le rapport entre employeur et salarié sur un principe juridique d’inégalité ».
1283 J.-M. Verdier, « Le droit du travail, terre d’élection pour les droits de l’homme », in Les orientations sociales du droit contemporain, Mélanges en l’honneur de Jean Savatier, P.U.F., 1992, p. 427, spéc. p. 436.
1284 A. Supiot, Au-delà de l’emploi, Flammarion, 1999, p. 54 : « C’est cette stabilité qui vient à manquer dans les modèles postfordistes d’organisation du travail. Les entreprises exigent toujours beaucoup de leurs salariés, sans doute même beaucoup plus qu’auparavant, en termes de niveau de formation, d’adaptabilité, de capacité d’autonomie, etc. (...). Mais elles ne garantissent plus aucune sécurité en échange. Ainsi les termes de l’échange fondateur du statut salarial - subordination contre sécurité - se trouvent-ils bouleversés sans qu’aient été définis les termes d’un nouvel échange. »
1285 R. Castel, « Travail et utilité au monde », op. cit., qui évoque l’effritement du couplage entre travail et protections.
1286 J. Barthélémy, « Civilisation du savoir et nouveau droit social », précité, spéc. p. 39.
1287 P. Cuche, « La définition du salarié et le critère de la dépendance économique », DH, 1932, Chr. 104 (p. 101). Voir également sur ce thème, du même auteur, « La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique », D. 1932, Chron. 101. V. également sur ce thème, O. Rivoal, « La dépendance économique en droit du travail », D. 2006, Chron. 891.
1288 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, « Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ? », Rapport à M. le ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, Dr. soc. 2009, p. 229 (début p. 221).
1289 O. Leclerc, T. Pasquier, « La dépendance économique en droit français et en droit comparé (1ère partie : la tentation de la dépendance économique) », R.D.T. 2010, p. 83, spéc. p. 85.
1290 G. Virassamy, Les contrats de dépendance. Essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, Préf. J. Ghestin, Biblio. De droit privé, no 190, 1986, no 184, p. 132. Relevons que l’auteur établit trois critères cumulatifs permettant de prouver l’existence une situation de dépendance économique : l’existence d’une relation contractuelle, l’importance de cette relation quant à l’existence de l’assujetti, et la régularité ou la permanence de ces liens contractuels. (no 188 et s., p. 135).
1291 Cass. civ. 6 juillet 1931, DP 1931, 1, p. 131, note P. Pic, « la condition juridique d’un travailleur à l’égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur et ne peut résulter que du contrat conclu entre les parties ;(...) la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie ».
1292 Cass. soc. 19 décembre 2000, Bull. civ. V, no 437 : A. Jeammaud, précité ; A. de Senga, « Les faux travailleurs indépendants face aux droits du travail et de la protection sociale : les avatars de la requalification », Dr. ouvr. Juin 2001, p. 241. Dans le même sens, cass. soc. 6 octobre 2010 (no 08-45392) ; cass. soc. 3 novembre 2010 (no 08-45391). Avant lui, l’arrêt de l’Assemblée plénière du 18 juin 1976, Bull. A. P. no 9 : D. 1977, p. 173, note A. Jeammaud, cette décision offre une illustration de la prise en compte de la situation de dépendance économique.
1293 S’agissant de la question du renversement de cette présomption : (Journalistes) Cass. Soc. 1er février 1995, Dr soc. 95 ; 8 mars 95, R.J.S. 4/95, no 452. Pour les artistes du spectacle, 12 janvier 1995, R.J.S. 2/95, no 162 ; pour les mannequins, cass. soc. 16 janvier 1996, R.J.S. 3/97, no 326.
1294 v. sur ce thème, F. Benczkowsky, L. Merlin, T. Priestley, « Enjeux et risques du portage salarial : points de vue institutionnels », S.S.L. 2007, no 1332 ; L. Casaux-Labrunée, « Le contrat de travail au défi du portage salarial », Dr. ouvr. 2011, p. 424 ; (sous la dir.), « Le portage salarial, fraude ou nouvelle forme d’organisation du travail », S.S.L.. supplément, no 1332, 10 décembre 2007 ; « Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ? », Dr. soc., 2007, p. 58 ; N. Côte, « Le portage salarial : entre innovation et dérives », J.C.P. E et A no 45, 7 novembre 2002, 1599 ; J.-J. Dupeyroux, « Le roi est nu », Dr. soc. 2007, p. 81 ; H. Gosselin, « Le portage salarial face au contrat de travail », S.S.L. 2010, no 1434, p. 3 ; J. Jarry, « Accord sur le portage salarial : une (re)lecture nécessaire », S.S.L. 2010, no 1473, p. 7 ; P. Morvan « Le portage salarial face à son destin », J.C.P. S, 2008, 1363 ; « Heurs et malheurs jurisprudentiels du portage salarial », J.C.P. S, 2010, p. 1147 ; J. Pélissier « Le portage salarial : une sécurisation inaboutie », R.D.T. 2010, p. 292.
1295 Loi no 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, J.O.R.F. no 0148 du 26 juin 2008.
1296 Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (art. 19).
1297 Cass. soc. 17 février 2010, Bull. civ. V, no 41 : A. Fabre, « Le portage salarial au milieu du gué ? », S.S.L. 2010, no 1435-1436, p. 11 ; « Accord sur le portage salarial : la fin des incertitudes ? », S.S.L. 2010, no 1454 ; H. Gosselin, « Le portage salarial face au contrat de travail », S.S.L. 2010, no 1434, p. 3 ; M.-C. Haller, « Le portage salarial est soumis aux règles d’ordre public du Code du travail », J.S.L. 2010, no 274 ; J. Mouly, « Portage salarial : une validation en trompe l’œil », note sous soc. 17 février 2010, D. 2010, p. 799 ; J. Pélissier « Le portage salarial : une sécurisation inaboutie », R.D.T. 2010, p. 292.
1298 Cass. soc. 17 février 2010, précité ; cass. soc. 3 novembre 2010, Bull. civ. V, no 252 : Dr. soc. 2011, p. 95, obs. C. Radé. Elément cependant contesté par certains auteurs qui estiment que cette obligation peut être écartée par les parties : S. Brissy, « L’obligation pour l’employeur de donner du travail au salarié », Dr. soc. 2008, p. 434 ; P. Morvan « Le portage salarial face à son destin », précité.
1299 Cass. soc. 16 décembre 2009 (no pourvoi 08-17852).
1300 L. Casaux-Labrunée, « Le contrat de travail au défi du portage salarial », précité, spéc. p. 435.
1301 L. Casaux-Labrunée, « Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ? », Dr. soc. 2007, p. 66. Pour un point de vue contraire, P. Morvan, « Eloge juridique et épistémologique du portage salarial », Dr. soc. 2007, p. 607, spéc. p. 614.
1302 L. Casaux-Labrunée, « Le contrat de travail au défi du portage salarial », précité.
1303 Art. L. 7412-1 C. trav.
1304 Cass. ass. plén. 4 mars 1983, Bull. A. P., no 3 D. 1983, p. 381, concl. J. Cabannes ; D. 1984, IR 1984, obs. J.-M. Béraud. En effet, « il appartient aux juges, dans une matière d’ordre public telle que le droit du travail, d’interpréter les contrats réunissant les parties afin de leur restituer leur véritable nature juridique, la seule volonté des parties est impuissante à soustraire (la personne concernée) au statut social qui découlait nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail » ; cass. soc. 25 octobre 2005, Dr. ouvr. 2006, p. 137, note A. de Senga.
1305 Loi no 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, JORF no 0261 du 10 novembre 2010. Le législateur confirme un allongement de la durée du travail, à 62 ans, pour les salariés du privé mais également pour les fonctionnaires (hormis ceux se trouvant en catégorie active, mais dont l’âge de départ est également reculé de deux années). L’effacement des spécificités, concerne également l’extinction, dès 2012, du dispositif permettant à un fonctionnaire ayant eu au moins 3 enfants de quitter son emploi après 15 années d’exercice (et d’accéder à une retraite à taux plein).
1306 Si quelques mesures faisaient déjà état de la prise en compte timide de ce critère, la loi no 2010-1330 précitée prévoit une partie ayant trait à la « retraite pour pénibilité » afin de protéger des salariés qui durant leur carrière, ont été exposés à des facteurs de pénibilité. Ce dispositif comporte un double volet : l’un relatif à la prévention de la pénibilité, l’autre à la compensation de la pénibilité. La loi de 2010 prévoit en effet que tous les salariés qui ont une incapacité supérieure ou égale à 20 %, ou ayant donné lieu à l’attribution d’une rente pour maladie professionnelle ou accident du travail, préserveront cette limite d’âge de départ à la retraite à 60 ans, et pourront accéder à une retraite à taux plein. Par ailleurs, il est également nécessaire que ces mêmes salariés souffrent au moment du départ à la retraite, d’un « affaiblissement physique avéré » pour bénéficier de ce dispositif. Enfin, il est prévu que ce droit sera accordé de manière individuelle, au cas par cas, et non de manière collective et par profession ; au contraire des fonctionnaires en « catégorie active », pour lesquels la prise en compte de la pénibilité résulte d’une appréciation in concreto. Cf., supra no 526.
1307 A. Supiot, « Introduction », in Servir l’intérêt général, J.-L. Bodiguel, C.-A. Garbar, A. Supiot (sous la dir.), p. 17.
1308 A. Le Pors, M. Pochard, « Faut-il rapprocher les statuts d’agents publics et de salariés ? », R.D.T. 2010, p. 144.
1309 Rapport de M. Jules Jeanneney au nom de la Commission de l’administration générale, départementale et communale, des cultes et de la décentralisation, chargée d’examiner le projet de loi sur les associations de fonctionnaires, Journal officiel, Chambre des députés, 2e séance ordinaire du 11 juillet 1907.
1310 J. L. Bodiguel, « Fonction publique et intérêt général », in Servir l’intérêt général, op. cit., p. 35 ; v. également sur cette question J.-M. Auby, J.-B. Auby, D. Jean-Pierre, A. Taillefait, Droit de la fonction publique, Dalloz, 6ème éd., 2009 ; M.-V. Ballestrero, « Emploi privé, emploi public : de la différence au droit commun », in Le travail en perspectives, op. cit., p. 375 ; J. Caillosse, « Le statut de la fonction publique », in Le travail en perspectives, op. cit., p. 347 ; F. Colin, Droit de la fonction publique, Lextenso éditions, 2010 ; A. Le Pors, M. Pochard, « Faut-il rapprocher les statuts d’agents publics et de salariés ? », précité.
1311 A. Supiot, « Le travail et l’opposition public/privé », in Le travail en perspectives, LGDJ, 1998, p. 335, spéc. p. 341.
1312 A. Supiot, « Le travail et l’opposition public/privé », op. cit., spéc. p. 342.
1313 J. L. Bodiguel, « Fonction publique et intérêt général », in Servir l’intérêt général, op. cit., p. 35.
1314 Définition donnée par l’Union Nationale des Associations familiales (nous soulignons).
1315 Il existe cependant, peut-être, une autre explication. Comme le relève Mme le Professeur S. Moreau, s’agissant notamment des mères devant cesser leur activité professionnelle car ayant à leur charge un enfant handicapé, « (...) dans cette optique, la protection sociale est la contrepartie de l’absence d’activité professionnelle. Cependant, il reste à savoir, si l’on étendait trop ce régime, s’il tend à compenser les conséquences d’une activité désintéressée ou s’il ne s’agit pas tout simplement d’une mesure économique ponctuelle tendant à limiter le nombre de femmes sur le marché du travail », S. Moreau, « L’activité désintéressée fiction ou réalité en droit social ? », Rev. dr. sanit., IV-1981, p. 510, spéc. p. 526 (nous soulignons).
1316 Art. L. 245-12 C. action soc. et fam. ; « Reconnaissance d’un contrat de travail au profit de l’aidant familial », J.C.P. 2006, éd. S, no 7, Act. 58.
1317 Loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, JORF no 36 du 12 février 2005.
1318 Art. L. 245-3 C. action soc. et fam.
1319 Art. L. 232-1 C. action soc. et fam.
1320 Cette mesure ne s’adresse pas au conjoint, au concubin ou au partenaire de Pacs de la personne dépendante.
1321 Art. L. 3142-16 C. trav.
1322 Loi no 2010-209 du 2 mars 2010 visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie », JORF no 0052 du 3 mars 2010 ; art. L., D. 168-1 C. séc. soc.
1323 Art. L. 1225-62 C. trav.
1324 Cf. supra. no 729.
1325 Art. L. 3142-22 C. trav.
1326 B. Saintourens, « La réforme du statut du conjoint du chef d’entreprise travaillant dans l’entreprise familiale », R.T.D. com. 2005, p. 701.
1327 Loi no 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale, J.O.R.F du 13 juillet 1982.
1328 Loi no 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, J.O.R.F no 179 du 3 août 2005.
1329 S. ces questions v. notamment P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, « Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ? », Dr. soc. 2009, p. 221 ; J. Barthélémy, « Essai sur la parasubordonation », SSL 2003, 8 septembre 2003, p. 6 ; « Parasubordination », Les Cahiers du DRH, no 143, mai 2008, p. 27 ; P. Gassmann, « Professionnels indépendants, donneurs d’ordre et dépendance économique : sécuriser les relations contractuelles et favoriser la création d’entreprises individuelles », rapport présenté au nom de la commission du travail et des questions sociales et adopté à l’Assemblée générale du 13 juin 2002 ; M. Hascoët, « » Le contrat de projet » : le nouveau visage de la parasubordination en Italie », Dr. soc. 2007, p. 879 ; F. Martelloni, « La naissance du contrat de projet en droit italien », R.D.T. 2008, p. 475 ; A. Perulli, « Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociales et économiques », 2003 ; E. Peskine, « Entre subordination et indépendance : en quête d’une troisième voie », R.D.T. 2008, p. 371 ; F. Valdés Dal-Ré, O. Leclerc, « Les nouvelles frontières du travail indépendant. A propos du Statut du travail autonome espagnol », R.D.T. 2008, p. 296.
1330 J. Barthélémy, « Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle », Les Cahiers du DRH, juin 2008, p. 35, spé. p. 36.
1331 P. Gassmann, rapport précité.
1332 A. Perulli, « Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociales et économiques », précité.
1333 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, « Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ? », précité, spéc. p. 222. Les auteurs reprennent une définition donnée par le livre vert de la Commission des Communautés européennes « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXI e siècle » du 22 novembre 2006.
1334 E. Peskine, « Entre subordination et indépendance : en quête d’une troisième voie », précité, spéc., p. 372 (nous soulignons).
1335 A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Dr. soc. 2000, p. 131, spéc. p. 142.
1336 Confirmé par le Professeur A. Perulli, rapport précité : « Le travailleur parasubordonné rentre dans la catégorie des travailleurs indépendants, mais sur la base des caractéristiques que nous venons d’examiner, il se trouve dans une situation de faiblesse, c’est-à-dire de dépendance socio-économique par rapport à la contrepartie contractuelle. Pour cette raison, qui signale une différence à l’intérieur de la catégorie générale, la législation italienne a prévu un certain nombre de protections spécifiques pour le travailleur para subordonné » (p. 64). De même, « (...) on ne peut pas dire que le travail parasubordonnée constitue une troisième forme de travail, différente du travail salarié et du travail indépendant, car le travail parasubordonné appartient toujours à la seconde catégorie » (p. 62).
1337 J. Barthélémy, « Essai sur la parasubordonation », précité, spéc. p. 8.
1338 J. Barthélémy, ibid.
1339 P. Gassmann, précité.
1340 J. Barthélémy, « Le professionnel parasubordonné », J.C.P. E, 1996, p. 487.
1341 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, « Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ? », précité, p. 224.
1342 F. Valdés Dal-Ré, O. Leclerc, « Les nouvelles frontières du travail indépendant. A propos du Statut du travail autonome espagnol », précité.
1343 A. Perulli, « Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociales et économiques », précité.
1344 A. Perulli, « Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociales et économiques », précité, p. 63.
1345 A. Perulli, ibid.
1346 A. Perulli, précité, p. 63.
1347 A. Perulli, ibid.
1348 F. Martelloni, « La naissance du contrat de projet en droit italien », précité. Avant la création du « contrat de projet » en 2003, l’auteur explique que différentes propositions ont vu le jour. Elles pouvaient être réunies en trois groupes. La première était relative à la « création d’une tertium genus entre subordination et autonomie, capable de regrouper dans le cadre de ce nouveau type contractuel de nombreux emplois enfermés dans la zone grise et de leur reconnaître un statut intermédiaire protecteur ». La seconde envisageait « une modulation graduelle et continue des droits le long d’une échelle allant du travail autonome à la subordination au sens strict ». Enfin, la troisième proposait de revenir sur la définition de la notion de subordination « pour la remplacer par un nouveau type normatif intitulé « travail pour le compte d’autrui ». L’idée était de faire entrer dans cette nouvelle catégorie tous les emplois qui se caractérisent par la nature personnelle et continue de la prestation mais surtout par le fait que ces deux éléments sont absolument étrangers au travailleur et exclusivement dans les mains de l’employeur : l’organisation de l’entreprise et les fruits du travail ».
1349 M. Hascoët, « » Le contrat de projet » : le nouveau visage de la parasubordination en Italie », précité, spéc. p. 880.
1350 M. Hascoët, « » Le contrat de projet » : le nouveau visage de la parasubordination en Italie », précité, p. 879 ; F. Martelloni, « La naissance du contrat de projet en droit italien », précité.
1351 F. Martelloni, précité, p. 477 ; M. Hascöet, précité, p. 882.
1352 F. Martelloni, précité. Comme l’explique l’auteur, la jurisprudence est par la suite venue apporter quelques précisions supplémentaires concernant la détermination du projet du travailleur. Elle rappelle, en se basant sur les termes de la loi, que le projet ou le programme mentionné au contrat doit être déterminé dans son contenu caractéristique. Il doit se caractériser par sa spécificité. Sur ce fondement, elle a ainsi pu refuser la légitimité de plusieurs « contrats de projet standardisés, identiques en tous points entre eux, et identiques aussi à l’objet social de l’entreprise du commettant ». Cet élément a été repris par la suite dans une circulaire ministérielle de 2008.
1353 E. Peskine, précité, p. 371.
1354 E. Peskine, précité, p. 374.
1355 E. Peskine, précité, p. 377. L’auteur cite comme exemple la responsabilité du gérant de succursale, et du gérant non-salarié en cas de « déficit d’exploitation ». Ainsi, une clause au contrat peut prévoir que les déficits de gestion ou les déficits d’inventaire peuvent s’imputer sur la rémunération du gérant de succursale, et sur celle du gérant du non-salarié. Pour des exemples, pour le gérant de succursale, cass. soc. 7 février 1990 no 87-13309, RJS 1990, p. 186. Pour les non salariés, soc. 4 juillet 1985, Bull. civ. V, no 403, sur un déficit d’inventaire. Même si la responsabilité du gérant est de toute façon limitée par le fait que même en cas de déficit, lui est garanti une somme au moins égale au SMIC : (les arrêts précités).
1356 G. Virassamy, thèse précitée, no 196, p. 141, l’auteur illustre parfaitement cette condition. Celui-ci distingue les contrats de situation, qui peuvent attester d’une situation de dépendance économique, des contrats d’occasion, qui eux ne le peuvent pas par définition. Ainsi, « lorsqu’un chaland s’arrêt pas hasard chez un boulanger et lui achète 90 % de sa production du jour, contrat unique qui ne sera plus renouvelé, nous sommes en présence d’un contrat d’occasion. Le boulanger ne le prévoyant pas, ne s’y sera pas préparé et il n’y aura pas de dépendance économique malgré l’importance de l’achat effectué. En revanche, s’il s’agit d’un client qui, par contrat, s’engage à lui acheter pendant deux ans la majeure partie de sa production quotidienne, il y aura contrat de situation. Le boulanger va en effet s’organiser (recrutement d’aides, achats de nouveaux fours...) en fonction du contrat. Sa dépendance économique sera établie, car cette convention représentant désormais une part essentielle de son activité et de ses revenus, « il comptera sur elle », et sur son renouvellement à l’échéance du terme ».
1357 Néanmoins comme le précise A. Perulli pour les collaborations continues et coordonnées, en droit du travail italien, « lorsque la prestation effective est exécutée en un seul « acte de travail », mais que le travailleur a passé un temps important à préparer cet acte, on peut estimer qu’il existe une continuité dans le sens d’une durée temporelle du rapport. On procédera de manière analogue lorsque le « travail » sera répété plusieurs fois », A. Perulli, précité, p. 63.
1358 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, précité, p. 226.
1359 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, ibid.
1360 J. Barthélémy, « Essai sur la parasubordination », précité, p. 8.
1361 J. Barthélémy, « Essai sur la parasubordination », précité, p. 8.
1362 J. Barthélémy, ibid.
1363 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, précité.
1364 V. sur cette question notamment F. Gaudu, « L’application du droit du travail à des travailleurs non salariés », Revue juridique d’Ile-de-France, no 39-40 1996, p. 163.
1365 E. Peskine, précité.
1366 F. Collart-Dutilleul, P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 9ème éd., 2011, no 908 et s., p. 880 ; G. Virassamy, thèse précitée, no 7 et s., p. 19.
1367 Notamment ceux visés à l’article L. 7321-2 du Code du travail.
1368 Loi no 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, J.O.R.F no 179 du 3 août 2005.
1369 Il s’agit des articles L146-1 à L146-4 du Code de commerce. V. sur ce point B. Saintourens, « Le nouveau statut du gérant-mandataire d’un fonds de commerce ou d’un fonds artisanal », R.D.T. Com. 2005, p. 704.
1370 N. Dissaux, « La gérance-mandat : une troisième voie ? », D. 2010, Chron. 667
1371 N. Dissaux, ibid. L’auteur précise : « Le pouvoir de direction du mandant procède des instructions qu’il donne au mandataire. Celles-ci peuvent varier dans leur contenu et leur intensité ; leur existence n’en est pas moins constante (art. 1989 C. civ.) ; le mandant dirige donc bien quelque part l’activité du mandataire. Mander quelqu’un ne signifiait-il pas jadis lui donner un ordre ? Pour le reste le mandataire est tenu de rendre compte au mandant (art. 1993 C. civ.). Or, cette obligation investit ce dernier d’un pouvoir de contrôle et de surveillance ».
1372 G. Auzero, « Le législateur à nouveau au chevet de la gérance-mandat », R.D.T. 2010, p. 642.
1373 Les travaux préparatoires de la loi du 2 août 2005.
1374 Loi no 2010-853 du 10 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, JORF no 169, du 24 juillet 2010.
1375 Loi no 2010-853 du 10 juillet 2010 précitée.
1376 N. Dissaux, « La gérance-mandat : une troisième voie ? », précité, selon elle le critère de distinction doit être tiré « de l’objet respectif de ces deux contrats ». Et non dans le critère de la subordination juridique qui ne serait pas opérant.
1377 G. Auzero, « Le législateur à nouveau au chevet de la gérance-mandat », R.D.T. 2010, p. 642, spéc. p. 643. V. également sur cette question N. Ferrier, « Contrat de gérance mandat », J.-Cl. Commercial, Fasc. 323, mai 2008, §9.
1378 N. Dissaux, article précité.
1379 Cass. soc. 8 juin 2010 (no pourvoi : 08-44965). L’arrêt affirme qu’ : « appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, parmi lesquels le livret d’exploitation détaillé systématiquement joint aux contrats de gérants-mandataires et les courriels adressés tant aux gérants mandataires qu’à leurs épouses ou compagnes, la cour d’appel après avoir relevé que ces personnes travaillaient sous l’autorité et le contrôle direct de la société B&B, qu’elles devaient impérativement respecter les normes et standards de la chaîne, selon le livret annexé sans pouvoir y déroger, qu’elles ne disposaient d’aucune liberté en matière de fixation des prix et de choix des clients, de procédure d’accueil, de promotion, de publicité et de tenue de comptabilité, qu’elles devaient suivre les directives de la société B&B qui en contrôlait la bonne exécution en pratiquant des inspections suivies de remontrances et en menaçant de représailles ceux qui ne respecteraient pas ces instructions, et de résiliation du contrat ceux qui voudraient être indépendants dans leurs décisions commerciales ; qu’ayant ainsi fait ressortir l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, elle a pu décider, par motifs propres et adoptés (...) que les gérants-mandataires et leurs épouses ou compagnes étaient liés à cette société par un contrat de travail ».
V. également pour d’autres exemples de requalification depuis la loi de 2005 : cass. soc. 16 janvier 2008, D. 2008, Chron. 477, obs. E. Chevrier ; J.C.P E 2008, 1981, note S. Béal et C. Terrenoire. ; cass. soc. 21 janvier 2009, no 07-18276.
1380 G. Auzero, Précité, p. 643.
1381 G. Auzero, Ibid (nous Soulignons).
1382 Cass. soc. 19 décembre 2000, Bull. civ. V, no 437 : A. Jeammaud, précité ; A. de Senga, « Les faux travailleurs indépendants face aux droits du travail et de la protection sociale : les avatars de la requalification », Dr. ouvr. Juin 2001, p. 241. Dans le même sens, cass. soc. 6 octobre 2010 (no 08-45392) ; cass. soc. 3 novembre 2010 (no 08-45391). Avant lui, l’arrêt de l’Assemblée plénière du 18 juin 1976, Bull. A. P.. no 9 : D. 1977, p. 173, note A. Jeammaud, cette décision offre une illustration de la prise en compte de la situation de dépendance économique.
1383 En ce sens, P. Gassmann, « Professionnels indépendants, donneurs d’ordre et dépendance économique : sécuriser les relations contractuelles et favoriser la création d’entreprises individuelles » qui ne semble pas en faveur de la création d’un statut spécial mais pour l’application de certaines règles protectrices à ces travailleurs (p. 24).
1384 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, précité, spéc. p. 227
1385 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, ibid.
1386 J. Barthélémy, « Essai sur la parasubordination », précité, p. 11.
1387 J. Barthélémy, « Essai sur la parsubordination », précité, p. 8.
1388 P. Durand, « Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle », Dr. soc. 1952, p. 437 ; Dr. soc. 2010, p. 1246 (réed.).
1389 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, précité, spéc. p. 227 et suivantes.
1390 J. Barthélémy, « Essai sur la parsubordination », précité, p. 10.
1391 Sur ce point v. P. Gassmann, précité, p. 26 ; J. Barthélémy, « Essai sur la parsubordination », précité, p. 10. Ce dernier auteur précise que le travailleur parasubordonné (selon lui indépendant ou dépendant) doit pouvoir bénéficier en raison de son degré de responsabilité, plus élevé qu’un salarié, de droits spécifiques concernant l’information sur la marche de l’entreprise et en matière de formation professionnelle.
1392 Barthélémy, « Essai sur la parsubordination », précité, p. 10.
1393 P.-H. Antonmattéi, J.-C. Sciberras, précité, spéc. p. 229.
1394 Mesure déjà observable en droit espagnol, qui fixe également une durée maximale du travail prévue au contrat, et une limitation des heures supplémentaires de 30 % de la durée prévue au contrat.
1395 Barthélémy, « Essai sur la parasubordination », précité, p. 10.
1396 J.-J. Dupeyroux, « Travail et activité sociale », Dr. soc. 1995, p. 24, spéc. p. 25
1397 Pour la définition de ce mot cf., supra no 553.
1398 Cf., supra no 668.
1399 Loi no 2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique, JORF no 0059 du 11 mars 2010.
1400 Art. L. 743-2 C. séc. soc.
1401 Art. L. 412-8 al.6 C. séc. soc.
1402 D’ailleurs, le parlementaire M. C. Vanneste avait proposé lors du débat sur le projet de réforme des retraites, que chaque année de bénévolat effectuée dans une association reconnue d’utilité publique puisse permettre la validation d’un trimestre.
1403 Cf.. supra no 801.
1404 Cf.. supra no 698.
1405 A. Supiot, Au-delà de l’emploi, Flammarion, 1999, p. 90 ; « Travail, droit et lien social ». Conférence publique à l’Organisation internationale du travail (Genève, Institut International d’études sociales, 11 novembre 1999)
1406 F. Gaudu, « Du statut de l’emploi au statut de l’actif », Dr. soc. 1995, p. 535.
1407 V. sur cette question, J.-M. Harribey, « L’économie sociale et solidaire, un appendice ou un faux-fuyant ? », Mouvements, Sociétés, Politique, Culture, no 19, janvier - février 2002, p. 42-49 ; « De la fin du travail à l’économie plurielle : quelques fausses pistes », in Appel des économistes contre la pensée unique, Le bel avenir du contrat de travail, Alternatives au social - libéralisme, Paris, Syros, 2000, p. 19 ; T. Jeantet, J.-P. Poulnot, L’économie sociale, une alternative planétaire, Ed. Charles Léopold Mayer, 2007 ; J.-L. Laville, Une troisième voie pour le travail, Desclée de Brouwer, Paris, 1999 ; L’économie solidaire (une perspective internationale), Desclée de Brouwer, Paris, 1994 ; A. Noya, E. Clarence, Pour une économie sociale. Créer de la richesse par l’intégration sociale, Ed. Economica, 2009 ; J. Rifkin, La fin du travail, Editions La Découverte, 1996 ; G. Roustang, J.-L. Laville, B. Eme, D. Mothé, B. Perret, Vers un nouveau contrat social, Desclée de Brouwer, 1996 ; R. Sue, La richesse des hommes : vers l’économie quaternaire, Odile Jacob, 1997.
1408 J.-J. Dupeyroux, « Travail et activité sociale », Dr. soc. 1995, p. 24.
1409 J. Boissonnat (sous la dir.), Le travail dam vingt ans, op. cit. p. 32.
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