Synthèse et clôture des travaux
p. 261-265
Texte intégral
I – LES PROPRIETES
1Les propriétés engendrent des droits qui portent sur des objets et exercés par des sujets.
A – Les objets
2Le terme de propriété, dans la langue générale, se confond avec le bien lui-même : une propriété. Mais les objets sur lesquels portent le droit de propriété sont infiniment variés. La plupart des biens sont des choses mais pas tous. On entend par biens ce qui est dans le commerce au sens juridique. Sans doute la meilleure définition du patrimoine se trouve-t-elle dans ce que dit le Code civil de l’héritage : biens, droits et actions. Les biens peuvent être des choses corporelles mais aussi de nature incorporelle. La question fut évoquée par Jacques Poumaréde et Jean-Pierre Marty, mais aussi Fernand Bouyssou, au sujet des privilèges accordés aux uns qui sont aujourd’hui des droits particuliers de la puissance publique.
3Claire Neirinck a rappelé la règle voulant que le corps humain n’est pas estimable, donc ne peut être vendu. Aujourd’hui ce principe se voit contesté. Jacques Poumarède a rappelé le fameux chapitre de Locke sur la propriété de la personne. L’argument souvent opposé est de dire que le sujet et le corps sont indivisibles. Cet argument est puissant et découle indubitablement de la conception chrétienne de la personne. Saint Paul avait choqué les Grecs en professant non pas l’immortalité de l’âme mais la résurrection de la chair. Le corps, “temple de l’esprit” ne peut être séparé de celui-ci : telle est bien l’assise du principe de la dignité de la personne humaine rappelé dans le préambule de la Constitution de 1946. Mais on doit trouver aujourd’hui un autre principe : tout être humain est le reflet de l’intégralité de l’humanité. La notion d’humanité transcende la personne de chacun d’entre nous. C’est pourquoi la jurisprudence de la chambre criminelle reconnaît qu’un crime contre l’humanité peut être commis envers une seule personne ; tout comme en 1839, elle avait reconnu qu’un esclave, tout en ayant une valeur mobilière, était bien une personne.
4La question se déporte ensuite vers les produits du corps. Les données sont alors bien différentes. Le produit (non l’organe) entre dans une catégorie qui est celle des choses. Si le droit issu des lois de bioéthique interdit un paiement, c’est une pudeur. Indemniser, concrètement, c’est malgré tout payer. Il eut été utile, sans doute, que le colloque se penche sur la question du droit sur l’image et poser la vraie question : paye-t-on vraiment l’image ?
5Viennent alors le cas des idées dont a parlé Jacques Larrieu, question infiniment disputée avec Philippe le Tourneau. Le débat et le suivant : les idées peuvent-elles entrer dans la propriété intellectuelle ? On peut dire que les idées sont un peu dans la même situation que le sort de l’embryon. C’est une propriété “en devenir”. Question proche, celle des autorisations administratives traitées par Fernand Bouyssou, Jean-Pierre Marty et Jean-François Barbièri. On a évoqué les diverses autorisations administratives au profit des personnes et des entreprises. On a vu aussi l’arrivée des quotas laitiers en droit rural qui font un peu penser aux droits démembres de l’ancien régime. S’y ajoutent les quotas d’émission d gaz à effet de serre. Il s’agit là d’attributs juridiques de certains biens. Le parallèle peut être fait avec les valeurs patrimoniales pures examinées par Jean-Pierre Marty. Ainsi on peut dire que le droit de présentation est une pure valeur patrimoniale sans lien avec un bien, pure distinction du titre et de la finance. En ce sens, l’arrêt du 7 novembre 2000, comme on a pu justement l’écrire (Yves Serra) ne change rien à la situation connue jusqu’alors. Car ici, et c’est le point commun avec la défense des idées, c’est la responsabilité civile qui prend le relais de la propriété.
6Si on quitte le droit privé, on entre dans le cadre du droit public. Le débat est ancien. Jacques Poumarède et Christian Lavialle l’ont repris : y a-t-il une propriété de l’État ou un “domaine” de l’État, par nature affecté à ses pouvoirs régaliens ? Le président Kintz a très justement souligné que le trait marquant du domaine public n’est pas l’inaliénabilité mais l’affectation des biens au service public. Lorsque cesse cette affectation alors le bien est aussi ordinaire qu’un autre. Ce faisant on peut dire qu’il y a le domaine proprement dit et la propriété de l’État, plus encore des infinies collectivités territoriales du pays. Lorsqu’il s’agit de ce que l’on dénomme le domaine privé on se trouve très proche de la propriété de droit commun. En revanche, le domaine de l’État, héritier des biens de la Couronne, échappe à toutes les règles de droit privé. De même que le roi avait un successeur et non un héritier, le domaine lié étroitement à l’exercice des droits régaliens ne peut être appréhendé par le droit privé pur. Christian Lavialle a rappelé cette séparation fondamentale, jadis argumentée par le doyen Hauriou. On a, d’ailleurs, un autre argument tiré du Code civil qui vient corroborer la démonstration. L’État n’hérite pas des successions vacantes, il recueille, au titre de la souveraineté, des biens sans maître : ce n’est pas pareil.
B – Les sujets
7Le point important n’est pas qu’une personne soit physique ou morale, soit de droit privé, soit de droit public, puisse être propriétaire. Ce qui est le plus important, c’est qu’il puisse y avoir plusieurs titulaires de divers démembrements du droit de propriété et plusieurs co-partageants de la plénitude du droit. Sur le premier aspect, Marc Nicod et Marc Ivanesko, ont ouvert toutes les pistes qu’offrent aujourd’hui la distinction entre nue-propriété et usufruit, mais, ce qui est plus nouveau (et très toulousain !) les multiples déclinaisons de ce même usufruit. L’usufruit peut être divisé en qualité, réparti dans le temps. Il peut exister en quasi usufruit ou encore en usufruit successif. Il est certain que ces techniques contemporaines bouleversent considérablement le droit contemporain de la transmission du patrimoine. L’usufruit est le droit essentiel du conjoint : ce faisant la loi de 2001 a pratiquement revivifié les anciennes pratiques d’avant la révolution. Mais la réforme en cours du droit des libéralités permettra des libéralités déclinées : libéralités transgénérationnelles ou en démembrement de propriété. Est-ce là bien nouveau ? L’ancien droit connaissait et pratiquait beaucoup les substitutions. Quant au fameux trust anglo-saxon, il fut inventé par les canonistes pour résoudre la question des biens des ordres mendiants (voir le livre de Muriel Fabre-Magnan).
8Il peut aussi y avoir pluralité de propriétaires. La copropriété divisée du Code civil du Québec de 1994 en est un nouvel exemple. Cette copropriété d’antan, dont on parlé conjointement Daniel Tomasin et Louis Rozès, est devenue une règle de la vie urbaine. Toutefois, il est notable que, peu à peu, cette collectivité des propriétaires devient, comme l’avait prédit Ripert, une petite démocratie privée plutôt qu’une indivision de pairs. Louis Rozès a souligné que les droits d’exploitation constituent aussi de vrais droits de propriété. La propriété permet donc de dissocier les simples baux de ceux qui sont des actes de disposition. De ce point de vue, on revient avec Jacques Poumarède aux deux domaines de l’ancien droit dont a parlé Jean-Jacques Barbièri.
9Arnaud Raynouard a parlé des technique nord américaines. Sont-elles absolument intransposables chez nous ? Chacun sait que la propriété du sol et du dessus est dissocié à Londres… mais aussi à Lourdes. On aurait pu parler d’autres propriétés collectives : les indivisions forcées et perpétuelles dont, au fond, ne sait pas trop quoi faire le droit français. C’est le cas de l’héritage moral de la famille : ses souvenirs (Jean-François Barbièri) et son tombeau. Il conviendrait alors de se poser une vraie question : l’indivision est-elle aussi néfaste qu’on se plait à le dénoncer dans les livres de droit ? Est-elle une pathologie de la propriété individuelle ?
II – LA PROPRIETE
10Elle n’est pas un droit simplement privé. Elle a des incidences fortes dans le droit privé mais elle trouve sa racine dans l’acte fondateur qu’est la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : “droit sacré” ni plus, ni moins. Cela signifie que la propriété touche aux droits fondamentaux de la personne et de l’Etat.
A – La liberté de la personne
11On a dit que la propriété est le vol mais on peut aussi dire que la propriété est encore le meilleur moyen d’éviter que l’on en vienne à voler. S’il est absolument nécessaire qu’il y ait un équilibre entre la propriété individuelle et la propriété collective, une nation plonge inexorablement dans le désordre, la révolution et, au bout du compte, dans la dictature quand cet équilibre n’est ni atteint, ni maintenu. Il est superflu de parler des ravages de la collectivisation dans les pays de l’Est entre 1917 et 1989, mais il ne faut pas oublier que si l’Espagne du XIXe siècle et du début du XXe siècle avait su mieux répartir la prospérité il est probable que les éléments déclencheurs de la guerre civile ne seraient pas accumulés.
12Cette liberté en France est ancienne. Jacques Poumaréde nous a dit que, dans les faits, la féodalité était morte en 1789 mais le grand transfert des biens de l’Église et des grands seigneurs vers la petite bourgeoisie a contribué à cette vérité dont parle Portalis dans le discours préliminaire : “Faire surgir un nouvel ordre de citoyens d’un nouvel ordre de propriétaires”. Au XIXe siècle, celui qui avait voix au chapitre est le propriétaire. La question se pose à nouveau aujourd’hui avec ce qui fut évoqué par Bernard Plagnet puis par Licette Corbion, Sylvaine Peruzzetto et Gérard Jazottes. Le droit fiscal lorsqu’il aboutit à une spoliation éteint la vie sociale qu’il est, au contraire, fait pour soutenir. Plus encore, il est remarquable de voir qu’aujourd’hui la Cour européenne des droits de l’homme se fonde de plus en plus sur le droit de propriété pour établir ce “droit civil des droits de l’homme”. Frédéric Zenati, à son tour, a soutenu que le lien qui unit le droit subjectif avec le droit de propriété est profond, on oserait dire inaliénable.
13Pour revenir à Jacques Larrieu, au XIXe siècle on trouvait expédient de dire que l’auteur disposait d’une “propriété” sur son œuvre, tout simplement parce que le droit de propriété apparaissait comme le droit idéal et le droit maître, et des maîtres. Or le droit sur l’œuvre est un droit qui établit la liberté de l’auteur, liberté sur son œuvre, liberté de sa vie par son œuvre. De ce point de vue, on comprend mieux en quoi le droit de propriété est absolu. Il est absolu parce qu’il constitue une personne maîtresse d’un bien et par l’usage de ce bien lui confère une liberté, une autonomie. Par voie de conséquence, Philippe Simler voit dans l’exclusion le trait le plus caractéristique de la propriété : le droit qui ne se discute pas.
B – La souveraineté de l’État
14On sait l’importance de l’œuvre de Christian Lavialle en matière de droit du domaine. Il a bien montré que les idées de propriété conviennent mal au domaine. C’est un peu une mode aujourd’hui de dire que la séparation entre droit privé et droit public serait abolie et caduque. Or, il a bien un droit public clairement distinct du droit privé car tourné, le premier, vers l’intérêt général, le second, vers l’intérêt particulier. Il y a le citoyen et il y a la Nation. Il est plus exact de dire que la séparation n’est pas étanche, qu’il y a des passerelles. Aubry et Rau, dans leur introduction de leur fameux cours, écrivaient qu’il est plus exact de dire “plutôt de droit public ; plutôt de droit privé”.
15Partant de là, le domaine de l’État, issu du domaine de la Couronne, a des attributs plus forts que ceux du droit de propriété individuel. Les droits du domaine sont vraiment perpétuels et ils sont inaliénables pour la seule raison que l’État ne peut disposer de sa souveraineté. On ne peut en droit privé fonder un quelconque “droit au suicide” sur un droit de propriété de la personne sur son corps. On ne peut non plus, en droit public, admettre que l’État abdique sa souveraineté : ce serait son propre suicide. Partant de là, on voit deux erreurs classiques : établir la liberté de la personne en contemplation de celle de l’État et entrevoir celle de l’État au regard du droit de propriété. Il y a évidemment un parallèle frappant entre l’absolutisme du droit privé de propriété et celui des droits régaliens de l’État mais il ne s’agit que d’un parallèle, pas une convergence.
CONCLUSION
16En définitive, il existe des droits qui permettent d’exercer les diverses figures de ce qui constituent l’essence de la propriété : maîtriser et bénéficier d’un bien ou d’un droit. Il n’existe, sans doute pas, une conception unique de la maîtrise des biens : la propriété dans son degré le plus absolu, la propriété plénière le permet aux personnes en tant qu’individus, mais la propriété ne rend pas compte de la maîtrise suprême de l’État sur son territoire qui est le sien. La propriété est donc un droit à facettes, à gradations, un droit fondamental de l’individu lié au droit fondamental de la Nation, sans se confondre avec aucun. Il est sacré, comme le sacré il suscite l’admiration, voire l’adoration et la crainte. Il est fondateur de la démocratie moderne, le régime des classes moyennes, des petits propriétaires. On a dit de la démocratie qu’elle est le pire des régimes, exceptés tous les autres : il est probable qu’on puisse en dire autant du droit de propriété.
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