La déontologie ancienne de l’avocat (France : ΧΙΙIe-ΧVIIe siècle)
p. 333-352
Dédicace
à Jean-Louis Gazzaniga
Texte intégral
1A l’heure où les professions judiciaires se voient-elles aussi reprocher un lourd déficit éthique, où de criantes défaillances individuelles et collectives éclatent au grand jour, où l’opinion dénonce l’impunité des acteurs mêmes de la Justice, les retours historiques sur la déontologie ancienne de ceux qui font métier de juger ou de défendre semblent plus que jamais nécessaires. Il est possible d’affirmer que celle des magistrats n’a guère subi de changements notables au cours des siècles. Qu’il exerce en tant qu’officier royal le jugement de Dieu ou qu’il prononce au nom du peuple français, le juge avant et après la Révolution est soumis aux mêmes impératifs catégoriques, quelle qu’ait pu être la manière de nommer ces derniers : impartialité, vérité, intégrité, indépendance...1. Mais l’avocat ? Les cinq premiers siècles de son existence médiévale et moderne le montrent revêtu d’une panoplie d’obligations et de devoirs professionnels bien différente de celle de l’avocat contemporain. Il faut cependant prendre garde. Derrière les dérèglements qui aujourd’hui inquiètent, il se pourrait bien que quelques principes oubliés de sa déontologie primitive refassent quelque peu surface. N’est-ce pas le lot des vieilles professions ?
2Après une longue éclipse, l’avocat réapparaît sur la scène judiciaire au XIIe siècle dans les cours d’Église, au siècle suivant devant les tribunaux royaux. Consécutive à la réforme grégorienne et à la genèse de l’État royal, cette renaissance de la profession s’explique aussi par la rapide mise en œuvre devant les officialités et les nouvelles juridictions séculières (les tribunaux de bailliage et de sénéchaussées, le Parlement) d’une procédure écrite et contradictoire, de type romano-canonique. Une telle procédure, rationnelle, savante, impose l’intervention d’un expert, l’advocatus, pour assister les parties. A l’avocat revient de rédiger le libelle introductif d’instance. Celui qui assiste le défendeur (reus) rédige les exceptions (péremptoires, déclinatoires, dilatoires) pouvant être soulevées contre le demandeur. L’avocat du demandeur (actor) rédige les interrogationes et les positiones ayant pour but de faciliter la preuve en fixant les points en litige qui ont besoin d’être prouvés. Il a un rôle important dans l’interrogatoire des témoins, lui qui rédige aussi les articuli ou capitula, c’est-à-dire les points sur lesquels doivent être interrogés les témoins produits par le demandeur. De son côté l’avocat du défendeur rédige des interrogatoria ou tituli, liste des questions à poser aux témoins par le juge. Il appartenait aussi aux avocats de discuter la valeur des témoignages quand l’audition en était terminée. Enfin les plaidoiries, présentées quand tous les moyens de preuve (instruments et témoignages) avaient été produits et communiqués mutuellement entre les parties. Au terme des plaidoiries, dont il pouvait demander un résumé, le juge assignait un jour aux avocats ad renunciandum allegationibus et concludendum in causa. Les avocats sollicitaient le prononcé de la sentence. A eux incombait de relancer la procédure en cas de recours2.
3A l’opposé d’un quelconque empirisme, cette procédure doit tout au renouveau concomitant de la science du droit. Dès le XIIe siècle, en effet, magistri et doctores en droit canonique ou en droit civil (romain) font de l’ordre du procès un domaine privilégié de leur enseignement, lui consacrent même des traités particuliers, les ordines iudiciarii3. Et c’est au demeurant dans cette précoce littérature à vocation professionnelle que figurent les premiers linéaments de la déontologie des juges et des avocats. Chose remarquable, tandis que les glossateurs bolonais mettent l’accent sur le rôle technique de l’avocat, prennent particulièrement en compte les mécanismes complexes que décrit le Corpus iuris civilis, hors d’Italie, les ordines et les summae contrastent par leurs définitions et leurs considérations éthiques4.
4Reste qu’au royaume de France, au XIIIe siècle, dans les idées comme dans les faits, "toute justice émane du roi". Le maillage juridictionnel du territoire, et la centralisation judiciaire, qui marquent le règne de saint Louis, imposent une professionnalisation de la justice, l’attribution de la fonction de jugement à des officiers royaux nouvellement créés, celle du conseil et de la défense à des avocats. Alors qu’au siècle précédent d’aucuns pouvaient se plaindre de la penuria advocatorum5, le nombre sans cesse croissant des tribunaux royaux et l’essor des facultés juridiques provoque leur multitudo : en France, déplore un Geoffroy de Paris, "a tout plein d’avocats". Très vite, la littérature, la poésie, le théâtre font leur miel de ce nouvel acteur de la vie sociale, maître dans l’art de la chicane, fourbe et rapace par nature6.
5Il est révélateur que la première réglementation officielle du métier d’avocat suive de quelques années à peine les premières ordonnances royales sur la procédure, les devoirs et les obligations des juges (1254, 1256, 1258). Il s’agit de l’ordonnance de Philippe le Hardi du 23 octobre 1274. Celle-ci impose en premier lieu que les avocats tant du Parlement que des autres juridictions royales jureront sur les Évangiles, à peine d’être interdits d’exercice, qu’ils ne se chargeront que des causes justes, diligemment et fidèlement, qu’ils les abandonneront dès qu’ils s’apercevraient qu’elles ne le sont pas. En second lieu, cette ordonnance prescrit que le salarium de l’avocat doit être proportionné à son mérite et au procès, sans pouvoir néanmoins excéder trente livres. Les avocats devront jurer chaque année qu’au-delà de cette somme ils ne prendront rien à leur client, directement ou indirectement (c’est la prohibition implicite du quota litis), sauf à être notés de parjure et d’infamie, exclus de plein droit de leur fonction à moins que les juges ne les punissent suivant la qualité du méfait7. On le voit, cette ordonnance fondatrice est essentiellement disciplinaire et morale8. Si elle vise à garantir l’accès à la justice, elle envisage déjà l’avocat tel un porte parole intègre et véridique d’une cause méritoire, sous le contrôle du juge.
6Une seconde ordonnance, rendue par Philippe le Bel en novembre 1291, confirme ces dispositions, interdit en outre de proférer des propos injurieux, de demander des délais frustratoires et d’avancer des faits contraires à la vérité9. Dans celle du 11 mars 1345 (n.s.), Philippe de Valois reprend le texte du serment en vingt clauses qu’avait prescrit un règlement du Parlement du 13 novembre 1340, et ajoute une série de limitations10. La royauté légifère ensuite à quatre autres reprises (1364, 1454, 1507, 1528) jusqu’à l’ordonnance d’octobre 1535. Elle aussi récapitulative en vingt articles des obligations disciplinaires des avocats, elle impose au surplus (aucun texte précédent n’avait formulé cette condition en termes formels) le grade in altero iurium pour être reçu et matriculé. C’est elle qui jusqu’à la fin de l’Ancien Régime fera référence11.
7Quel crédit accorder à cette abondante législation ? On constate qu’il n’est pas une seule de ses dispositions majeures (cause juste, limitation du salaire, prohibition des injures, obligation de vérité, serment, exigence du diplôme) qui ne trouve un précédent dans le droit canonique12 lui-même en grande part inspiré des dispositions du Code et du Digeste13. C’est dire que la déontologie des avocats en cours laïques est calquée sur celle des avocats en cours d’Église. D’essence et de facture romano-chrétienne, on ne peut plus idéale, elle contraste avec les critiques faites à l’avocature dès l’instant de sa réapparition. La mauvaise réputation de l’avocat est de toujours14.
8Mais le fait est que cette réglementation officielle, si contraignante et si élevée de ce métier, a résonné large, au moins jusqu’au XVIIe siècle, qu’autrement dit le roi justicier n’a pas légiféré dans le désert. Car ces ordonnances n’ont pas cessé d’avoir pour interprètes et gardiens vigilants les magistrats eux-mêmes. C’est vers eux que l’historien doit se tourner pour examiner jusqu’à quel point la vision ancienne du ministère de l’avocat diffère de notre conception contemporaine, celle d’un défenseur bénéficiant lui-même, face au juge, tant dans l’intérêt de la justice que de son "client", de "droits de la défense".
9A partir du XVIe siècle, en effet, le lendemain de la Saint-Martin (12 novembre, qui marque l’ouverture de l’année judiciaire), à lieu la cérémonie de rentrée solennelle des cours et des tribunaux royaux. A ce moment, devant les juges et les avocats assemblés, lecture est donnée par le greffier des ordonnances royales sur l’administration de la justice. Après quoi, un représentant du ministère public, généralement un avocat du roi, fait un discours "d’ouverture". Ces discours d’ouverture ont pour objet l’exaltation de la justice royale, d’une part, d’autre part le rappel des devoirs des avocats (et plus succinctement de ceux des procureurs). Tous ces discours alors, dans le droit fil des ordonnances, exhortent les avocats à respecter les règles de leur profession. Ainsi se trouve en quelque sorte commentée, périodiquement, et comme martelée, dans l’enceinte même des juridictions, la législation disciplinaire.
10Mais il n’y a pas que ces discours d’ouverture. Il y a aussi ces "Harangues" prononcées par les gens du roi à chaque mercuriale, soit tous les six mois (selon l’ordonnance de Blois). Là, devant les chambres assemblées du Parlement, le procureur général ou le premier avocat général s’adressait aux magistrats et aux avocats pour cette fois encore leur rappeler les devoirs de leur état. Le style de ces harangues, comme celui des discours d’ouverture, était fort emphatique, et le propos lourdement chargé de citations de toutes origines, juridiques autant que religieuses et historiques, philosophiques autant que littéraires et poétiques. Quant au fond, toutes développent les mêmes thèmes, toutes critiquent les mêmes comportements, toutes vitupèrent les avocats oublieux des dispositions des ordonnances royales15.
11Ces discours d’ouverture et ces harangues, véritables sermons judiciaires, cette rhétorique des plus répétitives mérite d’autant plus d’attention que, lorsqu’on la compare à d’autres sources, doctrinales notamment, on observe que les traités quels qu’ils soient, tout comme les dictionnaires de droit, de jurisprudence et de pratique recèlent et défendent une conception rigoureusement identique du ministère de l’avocat. Entre les orateurs (gens du roi) et les jurisconsultes (auteurs) la communauté d’inspiration et d’idées est telle, et les emprunts à ce point réciproques, que tous au bout du compte non seulement assènent la lettre de la déontologie prescrite par la législation royale, mais en amplifient encore à l’unisson l’esprit. C’est de cette manière que fut durablement et solidement entretenue sous l’Ancien Régime la conception médiévale de l’avocat, d’un avocat au service exclusif de la justice, non point défenseur indispensable des parties mais avant tout auxiliaire, au sens le plus étroit du terme, de la magistrature.
12Certes, oratoires ou doctrinaux, ces divers témoignages ne laissent pas de considérer "l’honneur" de la profession (I). Mais cette honorabilité même impose à l’avocat deux types de conduites obligatoires. Vis-à-vis de son client il doit agir à la manière d’un "premier juge" (II). Au procès, face au juge, il doit représenter les parties "dépouillées de leurs passions" (III).
I – L’HONNEUR ET LES DEGRES DE LA PROFESSION
13On doit aux premiers glossateurs des compilations justiniennes la mise en lumière, à partir des passages les plus significatifs du Code, des titres historiques de la profession. Géraud, dans la Summa trecensis, définit l’honestissimum officium de l’avocat. Placentin, dans sa Summa codicis, non seulement qualifie les avocats de togati, mais développe en outre leur appartenance à la militia inermis, idest litteratoria, rappelle enfin le caractère laudabile et necessarium vitae hominum reconnu par les empereurs à l’officium advocatis16.
14Le dossier des gloses juridiques flatteuses est allé grossissant jusqu’à la fin du Moyen Age17 et fut enrichi au temps de l’humanisme d’un large éventail de citations philosophiques et littéraires. Innombrables sont alors les auteurs de la doctrine et les orateurs du Palais qui reproduisent les éloges impériaux18, les adornent de l’un ou l’autre dire de Cicéron, Tacite, Pline, Plutarque ou Quintilien. Tous se livrent peu ou prou à un exposé des origines antiques de la profession propice à souligner la noblesse des oratores ou patroni causarum sous la République, à rappeler les privilèges et exemptions des advocati sous l’Empire, les marques éminentes de l’estime et de la considération princières accordées à ces avocats promus avocats du fisc, puis élevés à la dignité de comtes de premier rang après vingt ans d’exercice19.
15Ces éloges historiques de la profession pourraient paraître bien convenus s’ils n’étaient pas prétexte à mettre l’accent sur quelques principes fondamentaux de la déontologie, et, tout particulièrement, indissociable de l’honneur, sur le désintéressement. Au gré des rappels du passé surgit toujours le délicat problème de la rémunération, car, après avoir bien noté qu’originairement à Rome les citoyens les plus notables se faisaient un devoir de prêter leur instruction et leur éloquence à la défense des causes, comment ne pas regretter cette époque où les patroni causarum ne demandaient aucun salaire, aucune rétribution ? Ce que la loi Cincia (204 av. J.-C., constamment évoquée) vint encore interdire ?
16Certains auteurs, comme Loyseau20, comme La Roche-Flavin21, lèvent alors le voile : d’une part, expliquent-ils, ces premiers "avocats et orateurs" vivaient dans l’opulence, d’autre part, ce que les patrons des causes sous la République recherchaient, par-delà l’estime de leurs concitoyens, était la constitution de clientèles politiques nécessaires à leur élection aux fonctions dirigeantes. C’est pourquoi, lorsque les magistratures ne furent plus électives, avec l’Empire, ils furent réduits en "milice" et autorisés par le Prince à prendre des salaires modérés, assimilables au peculium castrense, chose somme toute bien naturelle pour une activité érigée en profession. Le renoncement au salaire, de mise aux temps républicains, ne doit donc pas faire illusion, et il est d’autant moins transposable qu’en France aucun candidat à la profession ne peut se prévaloir du train de vie des sénateurs romains22. Domat ne tient pas un raisonnement différent au tout début du titre 6 (Des avocats) du livre II du Droit public, avant que d’insister sur cette "raison générale que tout service mérite une récompense”. Il n’y a donc pas à rougir de l’écart qui sur ce point nous sépare des origines, il n’est du reste qu’apparent : "Ainsi, quoique la profession des avocats ne s’exerce pas aujourd’hui sans récompense, et qu’elle n’ait pas cette dignité qu’elle avait à Rome, lorsqu’elle s’y exerçait gratuitement, et par les premiers de la République, elle a toujours les caractères essentiels de l’honneur attaché à des fonctions, qui de leur nature renferment l’usage des premières qualités de l’esprit et des premières vertus du cœur (...)"23.
17De l’avocat primitif on retire toutefois cet enseignement que la rémunération ne saurait être "qu’honoraire" (le terme, emprunté au Digeste, 50, 13, 10 et au Code, 2, 6, 5, ne se répand qu’au XVIe siècle), non point "mercenaire"24. L’assistance au procès relève du patrocinium, et c’est dans cet esprit que les rois, comme avant eux le firent les empereurs, ont limité le montant des salaires. Réclamer au client des sommes outrepassant celles prescrites par les ordonnances constitue un latrocinium25.
18Aussi est-ce en regard d’autres pratiques jugées manifestement indignes que l’attention se porte, notamment sur ces accords secrets en rapport avec les gains du procès26. "Comme la profession d’avocat, inséparable de l’honneur, n’a rien de mercenaire, les pactions, que les avocats feraient par avance, passeraient pour exactions de leur part..."27. Et tout particulièrement les pactes de quota litis, déjà prohibés par le Code (2, 6, 6, 2)28. La Roche-Flavin cite des exemples d’arrêts rendus par le Parlement de Toulouse cassant ces conventions et pactes29. Quand bien même les auteurs montrent-ils ici ou là quelque indulgence, tous insistent sur le fait que l’honoraire est un présent : il se reçoit, ne se négocie pas. Ferrière assure même que "les avocats du Parlement de Paris font gloire aujourd’hui de ne point se servir de l’action qu’ils ont pour leur honoraire, car ils se contentent de recevoir ce que les parties leur offrent volontairement"30 ! Issu du référent antique, c’est un dogme maintenu jusqu’à la fin de l’Ancien Régime que l’exercice de la profession doit conduire à l’honneur et non à la fortune31. L’honneur, dont on ressent aussi l’ombre portée sur la naissance précoce de la commission d’office32.
19Mais si jurisconsultes et magistrats conçoivent aisément l’honorabilité de ce métier, il s’en faut de beaucoup qu’ils envisagent les membres du Barreau à dignité égale. C’est une habitude au Parlement de considérer celui-ci composé de "trois espèces", "rangs" ou "degrés" d’avocats. Au "Temple de la justice royale" -cette métaphore est un lieu commun de la rhétorique judiciaire-33, il en va comme chez les vestales34, ou encore comme chez les jésuites qui se répartissent en novices, en régents et en profès. Très influencé par les harangues de Louis d’Orléans, lequel en avait fait un procédé de choix35, La Roche-Flavin distingue nettement trois "espèces" d’avocats, accorde même un chapitre spécifique aux "avocats écoutants", aux "avocats plaidants", et aux "avocats consultants". Les premiers sont les jeunes et ne font qu’assister aux procès ; les seconds d’âge plus mûr ont la charge des écritures et de la plaidoirie ; les troisièmes sont les plus anciens et expérimentés. Cette hiérarchie à trois niveaux est bien signifiée, explique ce président de chambre, par les trois bancs situés derrière la barre, trois bancs figurant "trois palissades au jardin de la justice". La première n’est que "feuille", la seconde n’est que "fleur", la troisième n’est que "fruit". L’admission au Barreau n’offre donc pas d’emblée accès à toutes les responsabilités. La profession s’apparente à un cursus, à un long parcours fait d’étapes obligées. Sous condition de respecter la stricte discipline propre à chacune d’elles, seuls les meilleurs avocats parviennent au sommet d’une carrière leur assurant, sur le tard, une vraie dignité36. Cette tripartition en "âges", également commentée par un Despeisses et un Du Faur de Pibrac, n’est pas une invention purement rhétoricienne. Elle se lit au travers du texte du serment prescrit par le Parlement en 1340, repris dans l’ordonnance du 11 mars 1345. Peut-être que le mouvement qui porte au XVIe siècle les avocats de chaque ressort parlementaire à constituer un seul et même "ordre" a-t-il par réaction incité la haute magistrature à en multiplier les gloses37. Toujours est-il que cette insistante division ternaire illustre la déconsidération grandissante des grands juges pour le Barreau, tant on les voit et les entend exploiter ce canevas pour dénoncer par le menu, et non sans morgue parfois, l’oubli des valeurs professionnelles et morales.
20Suivons La Roche-Flavin. Les jeunes avocats sont appelés les "écoutants" car l’on ne saurait se hasarder à plaider sans s’être préalablement montré auditeur attentif. Il faut plusieurs années pour se familiariser avec les subtilités et les procédures du Palais. L’accès au Barreau est en France par trop aisé. Les études universitaires sont généralement bâclées. On peut y être reçu à dix-sept ans, ce qui est conforme au droit romain, mais la différence gît dans l’absence de numerus clausus. D’où un pullulement d’avocats dans ce royaume, dont on pourrait faire "plusieurs régiments". Quatre obligations pèsent sur ces stagiaires en attente d’être "employés" : l’assiduité, la ponctualité, l’écoute très attentive et l’étude personnelle. Les choses entendues aux audiences doivent chaque jour, y compris les arrêts, être conférés "pleinement" avec les "livres de droit". Même nantis du grade de docteur, encore faut-il que les jeunes avocats soient véritablement doctes, eux qui auront plus tard à plaider devant des juges éminemment doctes. Nul n’est besoin d’avocats chicaneurs et solliciteurs, mais d’avocats instruits de la vraie science du droit et, autant que de besoin, des autres disciplines...38.
21A l’avocat plaidant, il demeure tout aussi nécessaire de "hanter le barreau" sans cesser de s’imprégner d’une bonne doctrine et érudition par les livres. Hanter le Barreau n’a rien à voir avec le spectacle désolant qu’offrent aujourd’hui "les piliers du palais", ces avocats qui s’y rendent "pour prendre plaisir, juger des coups et donner leurs avis en toutes choses". Eux ne profitent de rien et empêchent les autres de profiter. S’il échappe lors d’une plaidoirie quelque parole de travers, on les voit éclater de rire, et se moquer comme s’il s’agissait de célébrer la fête du dieu Risus... Ces avocats plaidants sont encore tout plein de "jeunesse". Ils n’ont cure d’étudier le droit et préfèrent se divertir aux lettres humaines. La science et l’éloquence se dérobent peu à peu du Barreau...39.
22Les consultants", eux, ont bien meilleure presse. Non seulement ils procurent aux avocats plaidants les moyens de soutenir les causes, mais par leurs sages conseils, fruits d’une longue expérience, ils sont de "vrais oracles publics", puisque de toute la ville on vient les consulter pour régler des querelles privées. Ils ont leur place réservée au troisième rang du barreau, sur des sièges fleurdelisés, ce qui évoque le titre d’advocati consiliarii dont les gratifiaient les anciennes ordonnances, tandis que les anciens praticiens les qualifiaient de "conseillers en cour laye". A tous égards, ils figurent les jurisconsultes romains portant le titre de conseillers du Prince40. La Roche-Flavin emprunte ici à Loyseau, lequel avait bien insisté sur le fait qu’en France, à l’inverse de Rome, "nous n’avons point séparé les orateurs des jurisconsultes" ; les orateurs sont en ce royaume "compris" sous le nom d’avocats plaidants, les jurisconsultes sous celui d’avocats consultants41.
23N’idéalisons cependant pas42. Cette louangeuse comparaison des consultants avec les jurisconsultes antiques n’est pas exclusive de condescendantes admonestations43. Ils sont particulièrement bien dignes de blâme lorsqu’ils se trouvent "en advis, opinions et consultations contraires"44.
24Surtout, ils n’en demeurent pas moins fondamentalement, eux aussi, comme les plaidants, les "premiers juges des parties".
L’AVOCAT "PREMIER JUGE DES PARTIES"
25L’expression revient comme un leitmotiv45. Qu’il plaide ou qu’il consulte, l’avocat ne doit avoir en vue que l’intérêt de la justice. Il en résulte une double obligation. D’une part, ne se prêter qu’à la défense de causes justes. D’autre part, tout au long de l’instance, n’agir "que par les voies de la vérité"46.
26L’obligation de ne soutenir que des causes justes est clairement formulée dans les ordonnances royales. Et c’est une des premières clauses du serment que les avocats renouvellent chaque année. Ceux qui la violent se montrent ainsi parjures47, mais aussi, insiste Domat, "prévaricateurs de leur ministère", "complices d’une espèce de sacrilège"48. Une conviction rythme la plupart des harangues : le ministère de l’avocat "participe" de celui de la Justice, fonction divine49. Les avocats œuvrent eux aussi à l’accomplissement du "regnum iudiciale"50. Louis d’Orléans leur dit : "Vous êtes juges vraiment, ni plus ni moins que ceux qui siègent sur les fleurs de lys [les conseillers au Parlement], encore que vous n’ayez que le nom d’avocats"51. "Premiers juges volontaires des parties"52, ils sont comme des "médiateurs" de la justice, placés entre les parties et les magistrats à qui incombe le judicium Dei53. Ainsi, "l’ordre naturel de la fonction des avocats est d’examiner en juges la justice ou l’injustice des prétentions de leurs parties, par la lumière que leur fournit le bon sens et la connaissance des règles ; c’est de rejeter les mauvaises causes, et de condamner par leurs conseils l’injustice que les juges doivent réprimer par leurs jugements"54. Les causes douteuses ? Pour celles-ci, "la principale règle des avocats est de ne pas prendre pour douteuses les causes qu’on peut rendre telles, en couvrant l’injustice des apparences de la justice, mais de prendre sincèrement pour douteuses toutes celles dont les décisions sont incertaines, soit par les circonstances des faits, soit par l’obscurité du droit, ou par d’autres considérations qui mettent la justice en balance. Dans ces sortes de causes, les avocats doivent se déterminer par leurs lumières et par leur conscience, et ils ne doivent ni les entreprendre, ni les défendre que de la même manière, et par les mêmes voies que les causes justes"55.
27La Roche-Flavin est beaucoup plus ferme sur la conduite à tenir face aux causes douteuses. Si lui aussi réfère la prohibition royale de ne se charger d’aucune cause injuste à la loi Rem non novam (C. 3, 1, 12, 1), il la commente au moyen de nombreux exemples tirés de l’Antiquité et assure, tirant à lui Protagoras, qu’il ne saurait être question pour l’avocat "de faire d’une mauvaise cause une bonne". Tout à l’inverse de la sophistique, le droit est "une vraie philosophie". Défini comme l’ars boni et aequi, lui ôter le bon et le juste le ferait dégénérer en un autre art. "Le grammairien, qui fait une incongruité, sort des bornes du grammairien ; le musicien, qui fait un faux ton, n’est plus musicien : de même les avocats, qui soutiennent l’injustice, ne sont point avocats, mais rabulae, qui contra justitiam armatam linguam gerunt. Ils ne sont plus philosophes, mais abreuvés d’une fausse teinture de philosophie, leur but devant être non de persuader simplement, mais de persuader des choses justes : tout ainsi que l’office du juge n’est pas simplement de juger, mais de juger justement. Celui qui fait le contraire, fait le rebours de l’intention de son art, et [agit] contre le serment qu’aux ouvertures des parlements chaque année on fait faire aux dits avocats (...) de ne détendre sciemment les causes qu’en leur conscience ils jugeront injustes. (...) Si un avocat homme de bien est appelé en consultation sur une mauvaise cause, jamais il ne la conseillera ; si on lui baille à la défendre, jamais il ne la plaidera ; s’il la juge, toujours il la condamnera. C’était une des louanges de Caton, que nullus ab eo rem improbam postulasset, et quod rem improbam non fecisset. La réponse de Papinien chancelier de l’empereur Caracalla est digne de perpétuelle mémoire : lequel étant prié dudit empereur son maître d’excuser le parricide par lui commis, lui répondit courageusement, et en homme de bien : Perpetrari a te parricidium potuit, excusari a me non potest. Ainsi l’avocat homme de bien, pour quelque occasion qui arrive, pour quelque temps qui se présente, ne fera chose qui soit éloignée de la raison, et en conséquence n’entreprendra de soutenir ni défendre une cause injuste et irraisonnable"56. Il devra toujours se souvenir qu’il n’a pas été admis aux "sièges de la justice" pour faire gagner les causes de ses clients, mais pour "éclaircir le droit à celui seulement qui l’a"57. Le consultant n’échappe pas à la règle. Lui aussi doit fermer sa porte à ceux qui ont une mauvaise cause, à tout le moins les dissuader d’aller au procès58.
28Pas d’assistance aux causes injustes, en étroite conformité avec les ordonnances. Mais qu’elle marge de manœuvre en présence de causes justes ?
29"Pour les causes justes, la seule règle est de ne les défendre que par les voies justes, sans mensonge et sans artifice"59. Sur le premier juge des parties pèse nécessairement une absolue obligation de vérité. Ce qui constitue la "règle certaine du devoir des juges (...) est encore la règle de tous ceux qui participent aux fonctions de la justice"60. Non seulement Domat invoque le serment des avocats contemporains les engageant sur l’Évangile à ne détendre "quod verum justumque existimaverint", selon les propres termes du serment des avocats à Rome61, mais dans ses harangues, de facture toute théologique, lesquelles ne cessent de conjoindre justice et vérité en tant qu’expressions sur terre de la loi de Dieu62, "l’excellence de leur ministère" est constamment accolée à leur "devoir indispensable" de se faire "les arbitres de la vérité contre leurs parties"63. Si "l’amour de la vérité" est consubstantiel à la fonction divine qu’exercent les magistrats64, défendre la justice "par les voies de la vérité" forme "le caractère essentiel de la profession d’avocat". Joint à l’interdiction de soutenir des causes injustes, c’est ce qui "les rend premiers juges de leurs parties"65.
30C’est dans leurs plaidoyers autant que dans leurs écritures qu’ils doivent être "véritables", explique La Roche-Flavin, exploitant en désordre Cyprien, saint Bernard, Homère, Pausanias, le Digeste, Pline, Tertullien et saint Augustin. Alléguer un faux fait est "le crime des crimes". C’est "comme une mauvaise odeur qui part de la bouche des avocats ; c’est comme une putréfaction..."66. Parce que Vérité et Justice sont sœurs, les ordonnances commandent aux juges de condamner à l’amende parties et avocats pour chaque "faux et calomnieux" mis en avant. De même François Ier a-t-il enjoint de lire les actes aux audiences "sans omission, interruption, ou déguisement"67. Très réaliste, ce haut magistrat témoigne : "Il y a des avocats (...) si déshontés, qu’ils ne se contentent pas de plaider par mémoires, ce qui toutefois n’est permis, mais ils plaident tout le rebours de ce qu’ils ont par pièces : voire, il y en a de si téméraires, que quand la Cour leur commande de lire leurs pièces, les lisant ils commettent une fausseté, in omittendo vel addendo". Puisqu’ils ne craignent point de "faire de tels tours en pleine face du Parlement (...), puisque l’honneur commande si peu à telles gens, on doit pratiquer à l’encontre d’eux les lois des anciens gymnosophistes. Elles voulaient que celui qui avait une fois faussement parlé, que l’usage de la langue lui fut interdit à perpétuité"68.
31Aux ouvertures du Parlement, Louis d’Orléans multiple les rappels et les avertissements : "Nous vous recommandons souvent la vérité dans vos plaidoiries, et la lecture des ordonnances qui la désirent de vous, et afin que cet objet de la vérité qui vous doit être si précieux demeure fortement imprimé dans vos esprits, nous faisons lire deux fois l’année les ordonnances qui vous enjoignent de ne rien dire en plaidant qui ne soit véritable, et dont vous n’ayez la preuve par les pièces qui sont entre vos mains. Vous ne plaidez jamais en ce temple de justice que vous ne voyez l’image de ce grand Dieu qui est la lumière de la vérité"69. Les avocats qui plaident devant les juges doivent avoir "une même pensée que les juges mêmes, lesquels pour s’acquitter de leur devoir ne s’écartent jamais de la vérité"70. Contre Cicéron qui n’a pas été toujours de cet avis, parce qu’il parlait "en païen", il conçoit la liberté que l’on pourrait prendre avec la vérité pour "aussi peu tolérable à un avocat qu’à un juge, car il est le premier juge de sa cause, et faut qu’il soit persuadé le premier avant que de persuader les juges"71 Les avocats doivent considérer qu’ils sont "non pas de simples avocats, mais iuris antistites", et qu’en plaidant "ils font un sacrifice à Dieu". La fausseté d’un notaire est commise en secret et ne nuit qu’à la personne adverse. Celle de l’avocat "est commise en ce sacré Temple de la justice en présence des juges" ; elle "surprend la religion des juges, et les fait pécher, et prononcer autrement qu’ils n’eussent fait". Elle est "sacrilège"72.
32Si alléguer des faux faits condamne l’avocat, son devoir "d’embrasser la vérité" l’oblige à deux autres lignes de conduite. L’une consiste à "s’attacher au sens et à la vraie intelligence des textes de droit et des ordonnances"73, à ne rien soutenir non plus contre les arrêts, ni contre les maximes et la "commune opinion du Palais"74. L’autre, plus relative à l’ordre même du procès, consiste d’une part "en la visitation et discussion des pièces" qui sont adressées par les parties aux avocats, et d’autre part "en la communication" réciproque de ces pièces entre avocats. Si parmi les pièces reçues de son client l’avocat remarque que l’une ou l’autre préjudicie au droit, il doit s’abstenir de la produire. Quant aux pièces transmises à la partie adverse, il faut bien se garder de n en soustraire aucune75. Cette préalable et franche communication, prescrite par l’ordonnance de 1535 (art. 20, 22 et 30)76, doit permettre aux avocats de se présenter à l’audience d’accord" de leurs faits77, de manière à ne pas égarer le juge ou retarder son jugement en plaidant des faits contraires78. On ne voit que trop se pratiquer au Palais "les surprises". Les avocats avant que de plaider "gardent toujours la meilleure pièce en arrière" pour prendre leur adversaire au dépourvu. Ainsi plaidées, les causes ne peuvent être que mal jugées. "Ce n’est pas la faute des juges, c’est celle des avocats"79
33Ainsi, aux XVIe-XVIIe siècles, quel que soit l’auteur, son érudition, la profondeur de sa pensée, son style, un même discours amplificateur de la législation royale prétend assujettir l’avocat au service exclusif de la justice. Service tout religieux. Parce que la justice "est toujours combattue par la calomnie, le mensonge, [Dieu] a établi en ce monde les avocats pour la conseiller, représenter et défendre incessamment"80. Enfermée dans une telle approche, la représentation et la défense du justiciable, tout comme la relation personnelle au client n’importent que très secondairement. Seule compte au fond la contribution active et sincère, la "participation" de l’avocat à l’office sacré des magistrats "prêtres de la justice". Chaque procès est un "sacrifice" fait sur "l’autel de la justice". Chaque procès consiste sous le crucifix à "égorger le mal"81. L’avocat ne plaide donc pas pour faire gagner la cause de son client, il plaide pour préparer la vérité du jugement. Il n’en va pas différemment de l’avocat consultant, fût-il comparé au jurisconsulte romain ; lui aussi doit toujours "avoir la crainte de Dieu devant les yeux", ne proposer que des "fruits mûrs et du sel", soit des conseils exempts de corruption, de fausseté, "comme ces fruits et ce sel autrefois utilisés pour les sacrifices"82. Dans ses Remontrances, Guy du Faur de Pibrac fait des avocats les humbles "diacres" des juges-prêtres83.
34Si les auteurs n’affectent point d’imaginer les pratiques du Barreau conformes à cet idéal84, si même ils en dénoncent sans détour les scandaleux écarts, on aurait tort de croire que la thématique de l’avocat "premier juge des parties" fut limitée aux heures les plus solennelles de la liturgie du Palais, seulement proclamée aux "ouvertures" et aux mercuriales, ou bien encore qu’elle ne fut propre qu’à la doctrine de quelques hauts magistrats austères, tout imprégnés de jansénisme. Il est en effet patent que "ce bel axiome"85 fut colporté hors l’enceinte des cours, qu’il fut même parfaitement assimilé par des élites du Barreau. Les règles de la profession d’avocat que dans son Dictionnaire Ferrière énumère et exalte ne dérogent en rien à cette déontologie des plus instrumentales, au contraire, elles y renvoient toutes86. Dans ses fameuses Lettres sur la profession d’avocat, Camus continue d’y sacrifier87.
L’AVOCAT "REPRESENTANT DES PARTIES DEPOUILLEES DE LEURS PASSIONS"
35Si dans le conseil les avocats doivent agir comme "premiers juges des parties", dans la défense, ajoute aussitôt Domat, "ils doivent représenter les parties comme dépouillées de leurs passions"88. Car la représentation des parties, rendue indispensable par la complexité du droit et la multiplicité des lois, a pour autre motif cette passion qu’ont les hommes "à entreprendre les uns sur les autres". C’est pour préserver la justice des "emportements", "faussetés" et "malices" impossibles à étouffer dans la bouche des plaideurs que les avocats ont également été établis. Ainsi doivent-ils au procès, c’est une raison d’être de leur ministère, ne défendre les parties que "dépouillées de leurs passions"89. Récurrente chez les auteurs, cette expression résume deux impératifs : la modération dans tous les actes de la profession, la brièveté dans la plaidoirie.
36"La modération s’impose comme le premier devoir dans tous les actes de la profession", écrit Ferrière90. Ce qui est principalement visé, ce sont les injures. Comme l’affirme Dareau, avocat lui-même, et auteur d’un Traité des injures dans Tordre judiciaire (1775), "le champ de Thémis ne doit point être pour eux [les avocats] une arène de gladiateurs"91. L’interdiction de proférer des injures à l’encontre des parties adverses ou de leurs avocats apparaît dès l’ordonnance de 1291, toute inspirée du Code (2, 6, 6, 1). Elle est ensuite renouvelée et assortie d’amende arbitraire ou de radiation par toutes les ordonnances ultérieures92. La Roche-Flavin rapporte plusieurs arrêts en condamnation d’avocats peu circonspects, et commente : "les avocats se doivent abstenir d’user de paroles piquantes, et injurieuses, et considérer la majesté du lieu où ils plaident, qui est un temple sacré, et inviolable". En injuriant ou en proférant des propos calomnieux les avocats secondent "les affections et passions de leurs parties, eux qui participant de l’œuvre de justice sont tenus de ne rapporter que du droit et de la vérité de la cause93. Le Parlement n’a cessé de veiller à restreindre leur liberté de parole, toute sa jurisprudence le montrant ici encore gardien d’une déontologie envisageant ceux-ci comme des collaborateurs du juge, bien plus que comme des défenseurs94
37Dans le même sens, les ordonnances médiévales avaient fait inclure dans le serment la promesse d’être brefs en plaidant, stigmatisant elles-mêmes la "subtilité et invention" des avocats "trop longs et prolixes en préfaces et réitérations de langage, accumulations de faits et de raisons sans cause", ardents à exposer des griefs sans rapport avec le principal et à multiplier les "redictes"95. Toute cette législation soumettait les contrevenants à l’amende arbitraire, en cas de récidive à la suspension, voire à la radiation. Ainsi la forme et manière de plaider était-elle placée sous le contrôle de la magistrature, les présidents et conseillers devant à tout le moins "enjoindre" aux avocats d’être en tous leurs plaidoyers "brefs le plus que faire se pourra"96.
38Quelle place alors pour l’éloquence ? Si la lecture des plaidoiries de la fin du Moyen Age et du début de la Renaissance (au travers des analyses ou résumés conservés dans les registres du greffe) accrédite amplement la prolixité tant reprochée par la législation royale, elle ne permet guère en revanche d’en apprécier le degré d’éloquence97. L’art oratoire du Barreau ne peut être mesuré avec quelque exactitude qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle lorsque les avocats, pétris de Cicéron, de Démosthène, de Plutarque, de Quintilien et d’autres grands représentants des litterae humaniores ne peuvent qu’endosser l’idéal humaniste de l’orator. Mais c’est précisément à "l’âge de l’éloquence"98 que sur le fondement des prescriptions législatives la haute magistrature française s’emploie, mercuriale après mercuriale, discours d’ouverture après discours d’ouverture, à tenir en lisière des avocats dont elle n’admet point qu’ils sacrifient à l’ornatus oratoire, aux figures de style et de pensée, ou encore à la mode grandissante des citations. Tandis qu’au Parlement, présidents, conseillers et gens du roi, acquis en nombre à l’humanisme, tous certains de figurer des "sénateurs" en charge des affaires d’État99, déploient dans leurs harangues et remontrances politiques des trésors d’éloquence érudite, ces mêmes parlementaires infligent aux avocats le devoir de plaider dans un temps court et un style sobre, strictement limité au fait et au droit de la cause100. A l’avocat, dont la parole n’est requise que pour une cause individuelle, l’éloquence est mesurée. A l’inverse, au ministère public, "dont l’autorité est celle de la Loi, du Roi et donc de Dieu et de la Vérité", rien n’interdit de cultiver "le sublime d’enthousiasme"101. Ce sont ces gens du roi, ardents aux mercuriales et aux ouvertures à célébrer le logos de la Justice en termes luxueusement religieux, philosophiques, historiques, poétiques et littéraires, qui exigent des avocats de "ne pas jeter de la poudre aux yeux des juges"102. Si les avocats veulent s’inspirer d’un modèle oratoire, expliquent-ils, ce n’est ni chez Démosthène ni chez Cicéron qu’ils doivent aller le chercher, mais chez les moindres rhéteurs, le vieux censeur Caton, plus encore Phocion, "lequel par sa prud’homie persuadait plus fortement que par un autre moyen"103. Ainsi, dans les plaidoiries, nul besoin d’exorde ni de captatio benevolentiae visant à flatter les juges et leur faisant perdre un temps précieux. Inutile la recherche "d’ornement", de "miel et douceur d’élocution" destinée à amollir les sens du juge et à assoupir son entendement. Inutile l’étalage superflu d’érudition et d’allégations hors du sujet104. Inutile de jouer les doctes puisque le Parlement est peuplé de "gens doctes"105. La brièveté doit être la règle, la fin du plaidoyer n’étant assurément pas de persuader. "Si cela était, la fin ne serait pas toujours raisonnable : car on pourrait aussitôt persuader le juste, comme l’injuste"106. Domat, moins emphatique que ses homologues du Parlement, n’en tient pas moins quant au fond des propos identiques aux avocats du siège présidial de Clermont : "représenter les parties dépouillées de leurs passions pour les défendre dans la sincérité et la vérité nous découvre (...) le principe de la véritable éloquence qu’ils doivent employer dans tous leurs discours. Puisqu’il est vrai que les avocats doivent défendre leurs parties d’une manière digne du tribunal de la justice, que les passions des parties avaient profané, il s’ensuit cette règle qu’ils doivent retrancher de leurs discours tous les vices qui ont fait exclure les parties de leur propre défense. Ainsi cette règle condamne capitalement les emportements, les injures, les faussetés, les suppositions, les déguisements, les tours inventés pour détourner la vue des juges de la connaissance de la vérité, les fausses interprétations des lois, et généralement tout ce qui tient ou de la passion ou du mensonge. Ainsi, la plupart de ce qu’on appelle figures et ornements du discours, qui tiennent de l’un ou de l’autre de ces deux vices, de la passion ou du mensonge, exagérations, amplifications, et tout le détail des ornements de cette nature, bien loin d’avoir aucune éloquence, ne font qu'un appareil ridicule de la faiblesse du mensonge et de l’injustice ; au lieu que la véritable éloquence consiste dans la simplicité naturelle de la vérité, qui est seule infiniment plus forte par elle-même que l’étendue des discours (...) ; car l’éloquence n’est autre chose que la vérité mise dans son jour"107. C’est une sorte de "mémoire" plutôt qu’un discours que les magistrats attendent de la plaidoirie de l’avocat, "un texte à lire après avoir été médité et émondé à loisir"108.
39Le plus remarquable est que cette offensive tendant avec acharnement à cantonner le plaidoyer à la stricte information des juges ait survécu au moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle, à une époque où les foules se pressent au Palais pour écouter les émules d’un Gaultier ou d’un Le Maître, de préférence à ceux d’un Patru109. De cette tenace offensive de la haute magistrature, d’Aguesseau, alors avocat général au Parlement de Paris, a lui-même amplement témoigné. Dans ses Maximes tirées des ordonnances, parmi les six qu’il formule relativement aux "Fonctions et devoirs des avocats par rapport aux Juges", la seconde mérite ici d’être citée : "Brièveté et précision tant dans les plaidoyers que dans les écritures. Il y a jusqu’à sept ordonnances qui enjoignent aux avocats d’être courts, même selon quelques-unes à peine d’amende"110. Et d’ajouter plus loin : "pour exciter les avocats à remplir ces devoirs, on a institué les discours de l’ouverture des audiences, dans lesquels on doit leur enjoindre, sur le serment par eux prêté, qu’ils seront diligents et brefs, véritables et modestes en leurs plaidoiries, et leur seront remontrées en général les fautes ou contraventions à nos ordonnances..."111.
40Modérément ravalée dans son premier discours112, l’éloquence constitue le thème central du second (La connaissance de l’homme, 1695) et du troisième (Des causes de la décadence de l’éloquence, 1699). Là, le futur chancelier déverse reproches et mises en garde face à des avocats qu’il accuse franchement de dévoyer leur dignité. Aujourd’hui, lance-t-il, l’éloquence "refuse son secours à ceux qui veulent la réduire à un simple exercice de paroles (...), elle ne leur laisse que le nom de déclamateurs frivoles"113. A l’inverse de l’orateur antique tenu de connaître le caractère particulier des juges et de plaire aux foules, les avocats devraient se souvenir qu’au tribunal de la justice royale la personne privée des juges s’efface entièrement sous leur personne publique. Chez ces derniers, "aucun mélange de passions, d’intérêts, d’amour propre n’a jamais troublé la pureté des fonctions de leur ministère"114. C’est par conséquent imprégnés d’une chaste sévérité, seule à même de leur assurer "l’approbation" des juges, que les avocats doivent plaider. "Ne travaillez donc point à concilier leur attention par les vaines figures d’une déclamation étudiée (...). Ne recherchez point leur faveur par des artifices superflus (...), rien n’est plus éloquent auprès d’eux que la vertu"115. En cette fin de XVIIe siècle, d’Aguesseau ne se contente pas de vitupérer les avocats. C’est l’Ordre tout entier qu’il juge en pleine décadence, une décadence dont aux ouvertures du Parlement de Paris il se fait un devoir de flétrir les causes116. Obsédé qu’il se montre de la "sainteté" de la justice royale, du "saint respect" que l’avocat doit à "la dignité du Sénat", il ne peut tout spécialement tolérer dans les plaidoiries cette bassesse de style, et cette familiarité indécente du discours, plus convenable à la liberté d’une conversation particulière qu’à la majesté d’une audience publique"117.
41 Orator vir bonus (ou bien probus) dicendi perdus. Concluons ce parcours déontologique avec la classique définition de l’avocat selon Caton. Lorsque les auteurs la mettent en avant, c’est pour avertir l’avocat qu’il ne persuadera le juge qu’en se montrant homme de bien, armé de sa seule "probité"118, vertu qui le révèle observateur rigoureux dans ses paroles comme dans ses actes de la discipline des ordonnances et de ce que les magistrats attendent de lui. C’est cette probité de rigueur que le défenseur doit continûment montrer au juge, et qui fait dire incidemment aux déontologues que juges et avocats sont "confrères dans la distribution de la justice"119, que les avocats sont de la famille de la justice"120. De tels qualificatifs ne sauraient être tenus pour des louanges. Ils n’apparaissent jamais que noyés dans les récriminations, n’indiquent au vrai que la permanence dans les rangs de la haute magistrature de l’idéal médiéval et chrétien de l’avocat "premier juge" et représentant "dépouillé" des passions des parties, quand bien même son comportement au Palais en apporte-t-il quotidiennement un flagrant démenti.
42Dans quelle mesure cette opiniâtre vision instrumentale de l’avocat, assurément caractéristique de l’idéologie judiciaire de l’État royal, a-t-elle concrètement mobilisé, hors l’enceinte du Parlement, les autres cours et tribunaux121 ? Et dans quelle mesure a-t-elle affecté la psychologie même des anciens avocats122 ? On sait qu’il a fallu attendre le siècle des Lumières pour que l’Ordre, tirant profit de la fièvre politique et des idées nouvelles, amorce son émancipation123. Une émancipation qu’au siècle suivant seule l’admission de l’avocat aux procès criminels a permis d’arracher124.
43Mais qui dira que les magistrats d’aujourd’hui ne caressent plus le rêve de voir les avocats leur proposer le droit et le fait avec toute la "probité" que leur serment continue, le plus laconiquement du monde, d’exiger ?
Notes de bas de page
1 Les études examinant sur leur longue durée les principes de l’éthique judiciaire faisant généralement défaut, on tirera un grand profit de la récente et remarquable synthèse de P. Prodi, Una storia della giustizia, Bologne, II Mulino, 2000. Pour une approche de l’impartialité au travers de l’histoire procédurale, B. Bernabé, La récusation des juges. Etude médiévale, moderne et contemporaine, Thèse droit, Toulouse, 2005, dactyl.
2 P. Fournier, Les officialités au Moyen Age, Paris, 1880, ch. 4.
3 L. Fowler-Magerl, Ordo iudiciorum vel ordo iudiciarius, Francfort, 1984.
4 A. Gouron, "Le rôle de l’avocat selon la doctrine romaniste du douzième siècle", L’Assistance dans la résolution des conflits, Recueils de la Société Jean Bodin (LXV), Bruxelles, 1998, p. 15-16 notamment.
5 A. Gouron, "Penuria advocatorum", Initium. Revista catalana d’historia del dret, 4 (1999), p. 1-11.
6 R. Delachenal, Histoire des avocats au Parlement de Paris (1300-1600), Paris, 1885, p. 299-329. B. Guenée, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Sentis à la fin du Moyen Age (vers 1380–vers 1550), Paris, 1963. J. K. Rynen, "Un exemple de critique médiévale des juristes professionnels : Philippe de Mézières et les gens du Parlement de Paris", Histoire du droit social, Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, 1989, p. 333-344.
7 Ordonnances des rois de France de la troisième race, éd. E. de Laurière et alii, I, p. 300-301
8 Elle suit de quelques mois le deuxième concile de Lyon (mai-juillet 1274) qui dans son dixneuvième canon avait limité à vingt livres le montant des honoraires, et rendu obligatoire le serment annuel sur les Evangiles. Sur cette législation ecclésiastique, H. Vidal, "L’avocat dans les décisions conciliaires et synodales en France (XIIe-XIIIe siècles)", Revue de la Société internationale de l’histoire de la profession d’avocat, 3 (1991), p. 1-21.
9 O.R.F., I, p. 322. Les mêmes interdictions avaient été formulées par les conciles au XIIIe siècle. Cf. H. VIDAL, article cité à la note précédente.
10 O.R.F., II, p. 225-226. Reproduite (avec quelques légères corrections) dans R. Delachenal, ouvr. cit., p. 393-396.
11 J.-F. Brégi, "Les règles de la profession d’avocat dans l’ordonnance d’octobre 1535" Revue de la SIHPA, 4 (1992), p. 143-171.
12 Cf. H. Vidal, article cité à la note 8.
13 Ce qu'en plein XVIIe siècle, le titre VI du Droit public de Domat, consacré aux fonctions et devoirs des avocats, illustre à la perfection.
14 Voir supra note 6.
15 Sur l’intérêt de cette littérature oratoire pour l’histoire de la pensée politico-judiciaire, on verra tout particulièrement M.-F. Renoux-Zagamé, DU droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, 2003, passim.
16 Cf. A. Gouron, article cité à la note 4. Egalement H. Vidal, "L’avocat dans les coutumes méridionales : l’exemple de Montpellier (XIIe-XIIIe siècles)", Revue de la SIHPA, 4 (1992), p. 1-6. Rappelons ici que le deuxième livre du Code de Justinien consacre ses titres VI à IX aux avocats (De postulando, De advocatis diversorum iudiciorum, De advocatis fisci, De errore advocatorum vel libelles seu preces concipientium).
17 J. A. Brundage, "The Medieval Advocates’s Profession", Law and History Review, 6 (2), 1992, p. 439-464. P. GILLI, La noblesse du droit. Débats et controverses sur la culture des juristes dans l’Italie médiévale (XIIe-XVe siècles), Paris, 2003, p. 76, 81, 109 et 112.
18 Ou qui les subliment, comme Claude-Joseph de Ferrière : "(...) pour renfermer tous leurs éloges en un seul, il suffit de lire la Novelle de postulando de l’empereur Théodose, où après avoir réuni tous les éloges imaginables et les avoir attribués aux avocats, il reconnaît qu’il n’y a point d’honneur, si grand qu’il puisse être, qui soit au-dessus de leur mérite, et conclut que même les privilèges qu4il leur accorde sont peu de chose pour une fonction si nécessaire, si grande et si sacrée", Dictionnaire de droit et de pratique, éd. de 1740, v° "Avocats", p. 192 col. 1. (Dans toutes nos citations d’auteurs d’Ancien Régime nous modernisons l’orthographe et modifions parfois la ponctuation).
19 A titre d’exemples, Jean-Etienne Duranti, Quaestiones notatissimae, Toulouse, 1564, (addition sur la qu. XXXIV), p. 182-183. Loyseau, Traité des ordres et simples dignitez, ch. VIII, § 15-30. Bernard de La Roche-Flavin, Treze livres des parlemens de France, Bordeaux, 1617, p. 233-237. Domat, Le droit public, titre VI (début). Cl.-J. de Ferrière, Dictionnaire, éd. cit., p. 191-192. Dictionnaire de Trévoux, Paris, 1723, v° "Advocat", col. 159-160.
20 Les cinq livres du droit des offices, livre I, ch. VIII, § 15-21. Dans OEuvres, éd. de 1678, p. 50 col. 1.
21 Treze livres, éd. cit., p. 234, 235, 272-273.
22 La Roche-Flavin, Treze livres, p. 272 et 274.
23 Le droit public, Paris, 1771, p. 135-136.
24 Ferrière, Dictionnaire, éd. cit., v° "Honoraires".
25 Ces critiques font écho aux efforts officiels. Pour empêcher le dépassement illicite des honoraires, l’article 161 de l’ordonnance de Blois (1579) avait en effet prescrit aux avocats comme aux procureurs de faire figurer sur leurs écritures les sommes reçues de leurs clients à titre d’honoraires, sous peine de concussion. On sait que lorsque cette décision fut renouvelée par un arrêt de règlement du Parlement de Paris en 1602, une grève des avocats vint aussitôt paralyser la vie judiciaire de la capitale, Loysel lui-même se faisant dans son Dialogue l’interprète de l’indignation du Barreau. (J.-L. Thireau, "Lumières et ombres de la profession d’avocat au tournant des XVIe et XVIIe siècles d’après le Dialogue des avocats au Parlement de Paris", Revue de la SIHPA, 5 (1993), p. 51-67). Par la suite, en dépit d’une déclaration royale confirmant l’arrêt susdit, puis de la réitération de cette obligation professionnelle dans l’Ordonnance civile de 1667, les avocats persistèrent à ne pas mentionner leurs honoraires. Ainsi, tandis qu’à la Renaissance les déontologues se scandalisaient de la rapacité des avocats (Trésor, p. 386-388, 440-441, Treze livres, p. 272), tout se passe aux XVIIe et XVIIIe siècles comme s’ils se résignaient à fermer les yeux sur la violation quotidienne de cette disposition légale. Ferrière indique sans autre commentaire qu’on a "jamais pu obliger les avocats à mettre au bas de leurs écritures le reçu de leurs honoraires" (Dictionnaire, p. 195 col. 1). Voir v° "Honoraires", p. 721.
26 Guillaume Du Vair, "Remontrances faictes tant à l’ouverture du Parlement de Provence, que de la Chambre de Marseille" (1597), Les Œuvres du Sr Du Vair, Rouen, 1624, p. 195.
27 Ferrière, Dictionnaire, p. 192 col. 2.
28 Ibid.
29 Treze livres, p. 274-275. Mais là encore on aperçoit la gêne des auteurs. La Roche-Flavin ne vise que les "petits avocats de village", précisant bien que les avocats au Parlement, eux, "s’en gardent". Ferrière ne croit "rien hasarder" en disant que "les avocats au Parlement de Paris ont toujours vécu avec un désintéressement, une intégrité et une bonne foi convenable à la noblesse de la profession" (Dictionnaire, p. 193 col. 2).
30 Dictionnaire, p. 192-193. Ferrière fait crédit à Brillon qui dans son propre dictionnaire estime qu’ils pourraient réclamer en justice les honoraires non versés. Sur la jurisprudence relative aux honoraires, cf. J.-F. Brégi, "La profession d’avocat chez les arrêtistes provençaux", Revue de la SIHPA, 4 (1992), p. 50-58. Sur la position officielle de l’Ordre, L. Karpik, Les avocats, entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe siècle, Paris, 1995, p. 89-90.
31 "Ce n’était pas sans raison que dans la ville de Rome et dans celle d’Athènes on plantait des palmes vis-à-vis les maisons des avocats, pour faire entendre par cette marque de distinction que l’honneur est le véritable prix des pénibles travaux de cette glorieuse profession". Ferrière, Dictionnaire, p. 192 col. 1.
32 F. Roumy, "Le développement du système de l’avocat commis d’office dans la procédure romano-canonique (XIIe-XIVe siècle)", Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 71 (2003), p. 359-386. Egalement B. Auzary-Schmaltz et S. Dauchy, "L’assistance dans la résolution des conflits au civil devant le Parlement de Paris au Moyen Age", L’assistance dans la résolution des conflits, Recueils de la Société Jean Bodin (LXIV), Bruxelles, 1997, p. 52-55.
33 J. Krynen, "De la représentation à la dépossession du roi : les parlementaires prêtres de la justice", Mélanges de l’Ecole française de Rome, t. 114-1, 2002, p. 95-119.
34 Sur cette comparaison, voir notamment Guillaume Du VAIR, "Remonstrances faictes à l’ouverture de la Saint Rémy", Les Œuvres du Sr Du Vair, Rouen, 1624, p. 202-205.
35 Les ouvertures des parlements, Lyon, 1619, p. 373-394 et 431-445.
36 Treze livres, p. 239-269.
37 L. Karpik, ouvrage cité, p. 60 et suiv.
38 Treze livres, p. 240-244, 265-266.
39 Ibid., p. 262-265.
40 Ibid., p. 265-269.
41 Traités des ordres, dans OEuvres, éd.cit., p. 50 col. 1-2.
42 Le code de conduite des consultants comporte en effet un certain nombre de règles à observer au Palais venant s’ajouter à celles des autres avocats. Cf. la formule de serment (fixée en 1340-1345) en vigueur jusqu’à la Révolution, qui prévoit sept clauses spéciales que ces dignes avocats doivent "en outre" jurer. La première les engage à se rendre au Palais bene mane ("de bon matin"), la seconde à ne point empêcher de plaider ceux à qui l’audience aura été donnée, la troisième à faire leur fonction debout, et derrière le premier banc, la sixième à ne pas proposer de faits inutiles, la dernière à ne pas quitter la Chambre avant que les juges ne s’en soient retirés. R. Delachenal, ouvr.cit., p. 395. Pour le texte français du serment, Antoine-Gaspard Boucher d’Argis, Histoire abrégée de l’ordre des avocats, Paris, 1778, p. 97.
43 Louis d’Orléans, Les ouvertures des parlements, p. 391-393 et 445.
44 Treze livres, p. 269.
45 Ainsi chez Domat, Harangues, p. 192 col. 1, 194 col. 1-2, 203 col. 2, 211 col. 2, 212 col. 1.
46 Domat, Le droit public, p. 138 col. 1. Harangues, p. 203 col. 2.
47 Domat, Le droit public, p. 137 col. 1. Un serment dont l’annotateur souligne encore que "par le droit romain" il était "réitéré en chaque cause par les avocats" (ibid.). Voir aussi Harangues, p. 201 col. 2.
48 Le droit public, p. 138 col. 1. Harangues, p. 194 col. 1.
49 Harangues, p. 201.
50 Louis d’Orléans, Trésor, t. 2, p. 225.
51 Ibid., p. 232.
52 Domat, Harangues, p. 192, col. 1.
53 Ibid., p. 194 col. 1. Sur l’idée de théocratie judiciaire chez Domat, M.-F. Renoux-Zagamé, ouvrage cité, p. 177 et suiv.
54 Harangues, p. 202 col. 2.
55 Le droit public, p. 138 col. 1 (annotation). Harangues, p. 194.
56 Treze livres, p. 252-253 et 260.
57 Ibid. Voir aussi p. 256.
58 Treze livres, p. 267 et 268.
59 Domat, Harangues, p. 194 col. 1.
60 Ibid., p. 186 col. 2 et 187 col. 1.
61 Ibid., p. 201 col. 2, 203 col. 2, 136 col. 1.
62 "La loi de Dieu, c’est la vérité (...) et cette loi s’appelle justice (...). Il est donc vrai que la justice en elle-même est la vérité", Harangues, p. 184 col. 2, 185 col. 1.
63 Harangues, p. 187 col. 1.
64 Cf. M.-F. Renoux-Zagamé, supra note 53.
65 Harangues, p. 203 col. 2. Les juges, proclame Guillaume Du Vair, "seraient du tout inutiles et sans fonction, si les avocats ne venaient à leur secours, et par leur industrie et laborieux travail ne leur découvraient la vérité cachée et déguisée par les artifices des plaideurs, et l’équité plongée et comme abîmée dans les gouffres et fondrières de la chicanerie". "A l’ouverture des Grands Jours de Marseille" (1602), Les Œuvres du Sr Du Vair, p. 249.
66 Treze livres, p. 247.
67 Ibid., p. 251.
68 Ibid., p. 253.
69 Trésor, p. 26-27.
70 Trésor, p. 63-65
71 Ibid., p. 67.
72 Ibid., p. 68-69.
73 Trésor, p. 70, et t. 2, p. 151.
74 La Roche-Flavin, Treze livres, p. 253.
75 Louis d’Orléans, Trésor, p. 70-71 et 84-86.
76 Cf. J.-F. Brégi, art. cit., p. 169-170.
77 Louis d’Orléans, Trésor, p. 71 et 150.
78 Ibid., p. 192. Voir aussi t. 2, p. 150, 176-178 et 224.
79 La Roche-Flavin, Treze livres, p. 254-255 et 260.
80 Ibid., p. 256.
81 Marc Fumaroli insiste sur la découverte par l’humanisme français de Philon d’Alexandrie "théoricien du sacrifice" (L’âge de l’éloquence. Rhétorique et res literaria de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, 1980, rééd. Paris, 1994, p. 478-480).
82 La Roche-Flavin, Treze livres, p. 267.
83 M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence, p. 590.
84 Sauf Cl.-J. de Ferrière, docteur régent à la Faculté de droit de Paris, ancien avocat au Parlement, qui exempte de toute critique les avocats du Parlement de Paris.
85 Balzac, Le curé de village, (éd. La Pléiade, IX, p. 812), cité par J.-L. Harouel, "Les avocats dans La Comédie humaine", Figures de justice. Etudes en l’honneur de Jean-Pierre Royer, Lille, 2004, p. 159.
86 Voir notamment p. 186-189.
87 Voir dans l’édition de 1805 (la première date de 1772) les pages 7-11.
88 Le droit public, p. 136 col. 1-2. Harangues, p. 194 col. 1.
89 Harangues, p. 193 col. 2, 202 col. 2 et 203 col. 1. Comme l’écrit encore Camus à la fin de l’Ancien Régime : "N’oubliez jamais que vous êtes l’organe de la justice, non les ministres des passions de votre client", Lettres sur la profession d’avocat, Paris, éd. cit., p. 153-154.
90 Cité par J.-L. Gazzaniga, "Notes sur la liberté de parole de l’avocat", Pouvoir et Liberté. Etudes offertes à Jacques Mourgeon, Bruxelles, 1998, p. 48 (aujourd’hui dans Défendre par la parole et par l’écrit. Etudes d’histoire de la profession d’avocat, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2004 p. 69-80).
91 Traité des injures dans Tordre judiciaire, p. 55 et 231. Repris par le même auteur dans son article "Avocat" au Répertoire Guyot (1781), p. 790.
92 Cf. J.-F. Brégi, art. cit., p. 156-157.
93 Treze livres, p. 254 ; Voir aussi p. 259-260.
94 R. Delachenai, ouvr. cit., p. 202-205. J.-L. Gazzaniga, "Notes sur la liberté de parole de l’avocat", art. cit., p. 48-52.
95 Voir les nombreux extraits d’ordonnances cités par J.-F. Bregi, art. cit., p. 148-154
96 Ibid.
97 R. Delachenal, ouvr. cit., p. 227-260. J.-L. Gazzaniga, "Comment plaidait-on devant le Parlement de Toulouse au milieu du XVe siècle ?", Anthropologies juridiques. Mélanges Pierre Braun, Limoges, 1998, (aujourd’hui dans Défendre par la parole et par l’écrit, ouvrage cité à la note 90, p. 251-266).
98 M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence, p. 475-492 en particulier.
99 J. Krynen, "Une assimilation fondamentale : le Parlement Sénat de France, A Ennio Cortese", t. II, Rome, 2001, p. 208-223.
100 A titre d’exemple, Guillaume Du Vair, Les Œuvres du Sr Du Vair, éd. cit., p. 204 et 238-239.
101 M. Fumaroli, ouvr.cit., p. 468.
102 Guy du Faur de Pibrac, cité par M. Fumaroli, ouvr. cit., p. 483.
103 Guy du Faur de Pibrac, cité par M. Fumaroli, ouvr. cit., p. 485.
104 M. Fumaroli, ouvr. cit., p. 486-488.
105 Despeisses, (cité par M. Fumaroli, ouvr. cit., p. 483 n. 127), repris par La Roche-Flavin, Treze livres, p. 244.
106 Louis d’Orléans, Trésor, p. 190. Voir aussi p. 176, 192-194 et t. 2, p. 152-153, 222-224. Grand sectateur des ordonnances et des récriminations des avocats généraux, La Roche-Flavin consacre cinq pages de citations très denses à l’indispensable brièveté des plaidoyers. Treze livres, p. 247-251. Voir aussi sur cet auteur M. Fumaroli, ouvr. cit., p. 590.
107 Harangues, p. 203 col. 2.
108 M. Fumaroli, ouvr. cit., p. 487-488.
109 L. Damiani, "L’avocat au milieu du XVIIe siècle devant le Parlement de Paris" Revue de la SIHPA, 8 (1996), p. 126-140.
110 Œuvres de M. le Chancelier d’Aguesseau, t. V, Paris, 1767, p. 632.
111 Ibid., p. 634.
112 "L’indépendance de l’avocat", son premier discours (1693), est passé à la postérité à raison de la connotation moderne de son titre et de l’un ou l’autre passage jugé magnifiant, dont celui-ci, souvent cité : "Dans cet assujettissement presque général de toutes les conditions, un Ordre aussi ancien que la Magistrature, aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la justice, se distingue par un caractère qui lui est propre ; et seul entre tous les états, il se maintient toujours dans l’heureuse et paisible possession de son indépendance" (Discours pour l’ouverture des audiences du Parlement, dans Œuvres de M. le Chancelier d’Aguesseau, t. I, Paris, 1759, p. 2-3). En réalité, ces paroles font suite à un exorde foncièrement pessimiste sur "l’esclavage volontaire" auquel se réduisent les hommes "prodigues de leur liberté", "malheureux par la vue de ce qu’ils n’ont pas". Replacées dans leur contexte, elles peuvent d’autant moins être comprises comme un éloge qu’elles ne servent que de transition à une longue méditation sur la conduite idéale de l’avocat, sa relation froidement maîtrisée avec les parties contrastant avec les démonstrations de "l’amour" qu’il doit à la justice. Placés pour le bien du public "entre le tumulte des passions humaines et le trône de la justice (...), vous [les avocats] êtes également redevables et aux juges et à vos parties, et c’est ce double engagement qui est le principe de toutes vos obligations". Vis-à-vis des parties s’impose l’obligation de désintéressement et de respect intégral de "l’empire de la loi", sans que le zèle apporté à leur défense ne soit "capable de vous rendre les ministres de leurs passions". Moins dominés par la tyrannie des passions que le commun des hommes, les avocats doivent se montrer "esclaves de la raison". Car "l’homme n’est jamais plus libre que lorsqu’il assujettit ses passions à la raison, et sa raison à la justice" (p. 7). Vis-à-vis des juges, les avocats doivent nourrir des pensées et des sentiments proportionnés à leur dignité. "Vous ne devez pas moins de vénération aux ministres de la justice qu’à la justice même". Vénération active : "travaillez à mériter leur estime (...) et regardez leur approbation comme la plus solide récompense de vos travaux" (p. 8-10). La seule indépendance dont il est question dans ce discours est celle qui sourd de l’application de ces devoirs, ce que d’Aguesseau nomme ici la vertu : "n’oubliez jamais que, comme la vertu est le principe de votre indépendance, c’est elle qui l’élève à sa dernière perfection" (p. 3). L’éloquence ? "Disons enfin à la gloire de votre Ordre, que l’éloquence même, qui paraît son plus riche ornement, ne vous est pas toujours nécessaire pour arriver à la plus grande élévation" (p.6).
113 Deuxième discours, Œuvres de M. le Chancelier d’Aguesseau, t. I, p. 15.
114 Ibid., p. 26-27.
115 Ibid., p. 27-28.
116 "On ne sacrifie aujourd’hui qu’à l’intérêt (...) : la plus libre et la plus noble de toutes les professions devient la plus servile et la plus mercenaire". Troisième discours, dans Œuvres de M. le Chancelier d’Aguesseau, t. I, p. 33.
117 Ibid., p. 39. Voir aussi I. Storez, Le chancelier Henri François d’Aguesseau (1688-1751). Monarchiste et libéral, Paris, 1996, p. 357-404.
118 Cf. Louis d’Orléans, Trésor, p. 6-7, 68-69. La Roche-Flavin, Treze livres, p. 246. d’Aguesseau, Troisième discours, p. 41. Ferrière, Dictionnaire, p. 189.
119 Louis d’Orléans, Trésor, p. 69.
120 Guillaume Du Vair, Les Œuvres du Sr Du Vair, p. 263.
121 Il est probable qu’une recherche dans la jurisprudence des arrêts confirmerait cette conclusion de l’avocat (Dareau) signataire de l’article "Avocat" au Répertoire Guyot : "Voilà à peu près ce que l’on avait à dire d’intéressant sur la profession d’avocat. Nous ajouterons seulement que les juges, dans tous les temps, ont cherché, tantôt à l’honorer, tantôt à lui donner des entraves : on est étonné de voir combien il y a d’arrêts ou de préjugés différents sur les mêmes points, et dans les différentes cours du royaume" (p. 798, col. 2).
122 On ne peut tenir pour passager le malaise de la profession décrit par Loysel face au regain d’arrogance et de sentiment de supériorité manifestés par les magistrats de son époque. Cf. supra note 25. Voir aussi J.-L. Thireau, "Le monde des avocats dans la France d’Ancien Régime", Droits, 40 (2004), p. 3-21.
123 L. Karpik, ouvrage cité, p. 92 et suiv. ; J.-P. Royer, Histoire de la justice en France Paris 1995, p. 436-439
124 On ne saurait méconnaître cet argument de Pussort lors de la discussion de l’article 8 du titre VIII de l’Ordonnance de 1670 prohibant le ministère d’avocat dans la plupart des procès criminels : l’expérience, déclare-t-il, a montré que le conseil "se faisait honneur et se croyait permis en toute sûreté de conscience de procurer, par toutes voies, l’impunité à l’accusé". L’on sait, poursuit-il, combien les avocats "sont féconds en ouvertures, pour former des conflits de juridictions ; combien ils inventent de subtilités pour faire trouver des nullités dans les procédures, et pour faire naître une infinité d’incidents". Procez verbal des conférences tenues par ordre du Roy..., t. II, Paris, 1724 p. 164-165. Si cette éviction des avocats des causes les plus graves (au demeurant initiée en 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts) suscita l’opposition du président de Lamoignon (A. Laingui et A. Lebigre, Histoire du droit pénal, t. II, La procédure criminelle, Paris, 1980, p. 94-98), tout porte à croire, sachant la persévérante volonté parlementaire d’instrumentalisation extrême de la défense dans les procès civils, que ce grand magistrat ne s’est pas fait sur ce point l’interprète de ses collègues.
Auteur
Professeur d’histoire du droit à l’Université Toulouse I. Institut universitaire de France
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