L’influence de la doctrine sur l’évolution législative en droit pénal des affaires
p. 175-182
Texte intégral
1Au commencement étaient le droit pénal spécial et le droit commercial... mais l’on peut souligner, comme le faisait en 1973 le Professeur Vouin1, que les affaires et le droit pénal ne se sont jamais totalement ignorés. En effet, quelques textes d’incrimination orientés vers le commerce étaient contenus dans le code pénal de 1810, constituant en quelque sorte-au sein du droit pénal spécial-les fondations d’un droit pénal spécifique aux affaires2. Les fondations ainsi posées ne connaîtront pas d’évolution marquante avant la fin du XIXe siècle. L’essor économique, le développement des relations commerciales, la création de nombreuses sociétés créèrent un contexte propice à l’émergence d’une délinquance spécifique, tant par la nature des agissements en cause que par la personnalité des auteurs. Les faits révèlent des actes astucieux très souvent dissimulés par l’écran de la personne morale, commis par des personnes socialement bien intégrées, par exemple des dirigeants de sociétés. Face à cette évolution de la délinquance, le législateur réagira par la multiplication des textes d’incrimination, notamment en matière de sociétés anonymes (loi de 1867), par les décrets-lois de 1935 relatifs à l’abus de biens sociaux, à la présentation de faux bilan, à l’usure et par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.
2Depuis lors les dispositions pénales relatives à la vie des affaires ne cessent de se multiplier. L’ensemble des infractions qui ont pour finalité commune d’encadrer et d’assainir la vie des affaires peuvent être regroupées et émerge alors, un ensemble cohérent que la doctrine a tout d’abord qualifié de droit pénal des sociétés, puis de droit pénal financier voire à une certaine époque de droit pénal économique.
3Parallèlement à cette évolution de la matière pénale, le droit commercial enfermé dans une enveloppe devenue étroite eu égard au développement des activités économiques, cherchait un nouvel essor qu’il trouva dans une discipline nouvelle –le droit des affaires– qui lui permit d’englober de nombreux pans d’autres branches du droit3. Le "big bang du droit des affaires", selon l’expression du Professeur Paillusseau4 a eu une répercussion quasi mécanique sur la naissance du droit pénal des affaires, puisque les nombreuses disciplines qui constituent le droit des affaires ont eu, toujours plus largement, recours à la sanction pénale enrichissant ainsi la substance de cette matière.
4L’enseignement du droit pénal des affaires dans les universités a contribué à sa reconnaissance et enfin, sa consécration résulte de la publication de deux ouvrages dans les années 1970 : celui du Professeur Larguier5 et celui de Madame le Professeur Delmas-Marty6.
5Depuis le droit pénal des affaires n’a cessé d’évoluer, non pas dans le sens de l’autonomie par rapport au droit pénal général puisque les principes généraux demeurent communs7, mais dans celui de sa spécificité au regard du droit pénal spécial, ce que Madame le Professeur Rassat8 souligne en écrivant que le droit pénal des affaires est un "rameau qui se détache du droit pénal spécial". Aujourd’hui ce rameau est devenu un arbre en pleine croissance.
6Une nouvelle branche du droit est née. La question, dans le cadre de ce colloque, est de déterminer quelle est l’influence de la doctrine sur son évolution législative. C’est une mission délicate qui implique de mesurer l’influence doctrinale sur la création du droit pénal des affaires, son développement législatif et son devenir. La doctrine peut influer sur les choix du législateur : les prédictions9 ainsi que les suggestions doctrinales constituent une analyse par anticipation du futur, qui a pour finalité d’orienter l’évolution du droit en éclairant l’auteur de la norme pénale. Dans cette perspective, la doctrine participe à l’élaboration du droit, plus ou moins efficacement en fonction du moment où les analyses sont faites –antérieurement ou postérieurement à la promulgation de la norme pénale– et de l’écoute du législateur, ce qui dépend largement de l’impact politique ou économique de la loi et des pressions qui s’exercent sur lui.
7En droit pénal des affaires, la doctrine a-t-elle une influence marquante sur l’évolution législative ? Au vu de l’état actuel du droit pénal des affaires, la réponse doit être affirmative10. L’interrogation formulée initialement se déplace alors afin de cerner les manifestations concrètes de l’influence doctrinale sur cette branche du droit. A partir d’une approche globale du droit pénal des affaires, de sa naissance aux réformes les plus récentes, il apparaît que l’influence de la doctrine se manifeste dans deux directions : d’une part, la doctrine contribue à un enrichissement du droit pénal des affaires (I) et d’autre part, à la recherche de l’effectivité de la norme pénale (II).
I – LA CONTRIBUTION DOCTRINALE A L’ENRICHISSEMENT DU DROIT PENAL DES AFFAIRES
8La contribution doctrinale à l’enrichissement du droit pénal des affaires peut être entendue dans une approche au plan quantitatif, les travaux doctrinaux révélant que les auteurs appellent souvent de leurs vœux la nécessaire incrimination de certains comportements frauduleux, afin de réguler la vie des affaires.
9Mais l’apport doctrinal principal apparaît au plan qualitatif, dans la mesure où la doctrine s’efforce de dégager des principes directeurs de notre droit, qui lui assurent une certaine cohérence. Cette influence peut être mise en lumière d’une part, en droit interne (A), d’autre part, en droit européen (B).
A – En droit interne
10En droit interne, l’influence de la doctrine peut être caractérisée au travers des réformes législatives récentes. L’intitulé des lois les plus récentes qui concernent le droit des affaires en témoigne. Depuis quelques années la doctrine –l’analyse démontre une convergence idéologique de la doctrine pénaliste et de la doctrine commercialiste– réfléchit à l’orientation de la vie des affaires et fait émerger des principes fondamentaux pour l’organisation de la vie économique contemporaine. Nombreux sont les colloques, les articles et les ouvrages à l’occasion desquels la doctrine a la volonté d’éclairer le législateur, de guider ses choix sur la nécessaire moralisation de la vie économique, sur l’éthique de la vie des affaires, sur le renforcement indispensable de la sécurité et de la régulation des marchés financiers, sur la transparence des relations commerciales, sur l’égalité des partenaires économiques, sur le fonctionnement de la justice économique et financière... Ces concepts novateurs ou rénovés proposés ou soutenus par la doctrine commercialiste et "pénaliste-affairiste" ont une répercussion directe sur l’évolution législative du droit pénal des affaires, puisqu’il apparaît que depuis l’origine la transformation des deux disciplines va de pair, la sanction pénale étant souvent conçue comme un gage d’efficacité des dispositions législatives en matière économique notamment.
11L’écho trouvé par les propositions de la doctrine auprès du législateur peut être démontré par divers exemples empruntés à l’évolution législative du droit des affaires. Nous n’avons pas la naïveté ou la prétention de croire que l’évolution législative est nécessairement le produit de l’influence directe et systématique des suggestions doctrinales sur l’œuvre de l’auteur de la norme pénale. Les bureaux de législation suivent souvent leurs propres intuitions ou les directives reçues dans le cadre d’une politique économique pour élaborer la norme, sans tenir compte de l’avis de la doctrine11. Cependant, il est permis de penser que l’apport doctrinal à la réflexion juridique n’est pas ignoré par le législateur qui l’intègre, dans une mesure variable, dans ses choix.
12La loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales12 –loi majeure en droit pénal des affaires qui enrichit la matière de multiples infractions à la constitution, la gestion et à l’échec des sociétés commerciales– fournit une illustration de la prise en compte des suggestions doctrinales. La doctrine commercialiste condamnait fermement le système des nullités prévues dans la législation antérieure dans l’hypothèse d’irrégularités dans la constitution et le fonctionnement sociétaire, car il était totalement inefficace. Elle appelait de ses vœux une réforme qui devait –à ses yeux– nécessairement passer par une pénalisation des comportements, afin d’assurer l’efficacité de la norme dans le cadre sociétaire. Le législateur de 1966 a entendu les suppliques doctrinales, a supprimé toutes les nullités, les a remplacées par des sanctions pénales en consacrant un titre entier aux dispositions pénales13.
13Les lois les plus récentes répondent assez largement aux vœux de la doctrine relatifs à la nécessité de l’encadrement de la vie économique. La loi Nouvelles régulations économiques14 en fournit une illustration, lorsque dans l’exposé des motifs, le Ministre de la Justice précise que l’État doit se doter d’instruments de régulation efficaces, afin d’assurer la transparence dans le déroulement des opérations financières et le respect de l’égalité de chacun entre acteurs de l’économie. De cette déclaration de principe découlent de nombreuses infractions relatives à la moralisation des pratiques commerciales réclamées par la doctrine, ainsi que le renforcement de la lutte contre le blanchiment de capitaux par l’élargissement des personnes assujetties à la déclaration de soupçon15. Les exemples qui révèlent que le législateur n’est pas hermétique aux propositions doctrinales pourraient être multipliés dans les dernières législatures : loi sécurité quotidienne (15 nov. 2001), loi sécurité financière (1er août 2003), loi sur la confiance dans l’économie numérique (21 juin 2004)...
14Les principes directeurs que la doctrine s’efforce de formuler et que le législateur consacre dans certaines hypothèses, ne peuvent que contribuer à l’enrichissement du droit pénal des affaires. En effet, lorsque la doctrine commercialiste plaide pour un encadrement plus strict des transactions financières, du marché financier en général dans un souci de sécurité et d’égalité des opérateurs économiques, et que le législateur reprend ces idées dans un texte, il est toujours assorti de sanction pénale ce qui renforce l’emprise du droit pénal des affaires dans la vie des affaires. L’influence de la doctrine peut, au-delà du droit interne, être également caractérisée en droit européen.
B – En droit européen
15En droit européen l’influence de la doctrine peut être encore plus nettement identifiée, dans la mesure où de nombreuses commissions ou comités d’experts qui sont à l’origine de textes de nature pénale sont composés d’éminents représentants de la doctrine pénaliste16. Cette doctrine, dans son ensemble, attire l’attention du législateur sur le fait que l’ouverture des frontières et la consécration d’un espace sans frontière intérieure où le principe fondamental est la libre circulation des personnes et des biens, est une aubaine pour le développement de la criminalité économique, mais un obstacle à sa répression, car si la délinquance devient internationale, la matière pénale demeure encore pour l’essentiel territoriale.
16La question de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne a particulièrement sensibilisé les institutions communautaires et la doctrine. Il apparaît en effet, que les fraudes au budget de l’Union européenne sont très nombreuses et préjudiciables, mais la sanction demeure difficile car le budget européen n’est pas pris en considération par les législations nationales. Les détournements de fonds publics peuvent être poursuivis et sanctionnés dans la plupart des législations européennes à la condition qu’ils portent sur le budget de l’État au plan national. Le budget européen ne pouvait en aucun cas entrer dans les catégories juridiques nationales. Afin de combler ce vide, la Convention Protection des Intérêts Financiers de l’Union européenne du 26 juillet 199517, souhaitée par la doctrine dans un souci d’effectivité de la répression de la délinquance d’affaires, organise un processus de lutte contre ces infractions transnationales. En droit français, une application dérivée de la convention PIF, plus exactement du premier Protocole additionnel à la convention PIF de 1996, a donné lieu à l’incrimination d’un nouveau cas de corruption (art. 4354-1, CP) : la corruption passive d’un fonctionnaire communautaire, d’un fonctionnaire national d’un autre État membre de l’Union européenne, d’un membre de la Commission des Communautés européennes, du Parlement européen, de la Cour de justice. Cette pénalisation qui apparaissait nécessaire à la doctrine, pour protéger les intérêts économiques au niveau européen ainsi qu’un ordre public supra-national s’inscrit dans le cadre de l’évolution du droit de l’Union.
17Cette évolution pourrait se poursuivre, mais l’œuvre est beaucoup trop ambitieuse, dans le contexte plus général d’un "Corpus Juris" qui tendrait à l’élaboration de normes pénales supranationales tant en ce qui concerne le droit substantiel que la procédure, destinées à protéger les intérêts fondamentaux de l’Union européenne18. Un exemple parmi les propositions formulées serait la création d’un ministère public européen chargé de la représentation des intérêts de l’Union européenne, ce qui impose à titre préalable la reconnaissance d'un ordre public pénal européen. Le texte du projet de "Corpus Juris" a été élaboré à la demande du Parlement européen, par un groupe d’experts universitaires issus des différents États membres –Madame le Professeur Delmas-Marty représentant la France–. Ce texte reflète incontestablement une réflexion sur la compétence pénale de l’Union européenne et permet ainsi à la doctrine de faire des propositions au législateur européen. La doctrine remplit ici son rôle de guide de la réflexion théorique qui permettra peut-être dans l’avenir au législateur de concrétiser les choix dans un instrument juridique opérationnel. Cependant, l’aboutissement de ce projet, compte tenu de l’ampleur des propositions, demeure encore très hypothétique ce qui donne à la doctrine pénaliste française, et plus largement européenne, d’importantes possibilités de réaliser de multiples prédictions et suggestions afin d’affiner les lignes directrices de ces normes pénales.
II – LA CONTRIBUTION DOCTRINALE A L’EFFECTIVITE DU DROIT PENAL DES AFFAIRES
18La doctrine, depuis déjà longtemps, dénonce l’inflation des dispositions pénales et la multiplication des infractions par le législateur en dehors de tout souci de politique criminelle cohérente. La doctrine, pénaliste ou commercialiste, se rejoint pour soutenir deux idées qui sont indissociables. D’une part, elle formule un véritable plaidoyer pour une nécessaire dépénalisation du droit des affaires (A), ce qui permettrait d’autre part, d’opérer un recentrage du droit pénal des affaires (B).
A – Plaidoyer pour une nécessaire dépénalisation du droit des affaires
19Ce plaidoyer n’est pas nouveau dans la réflexion sur l’évolution des disciplines constituant le droit des affaires. Le Professeur Levasseur écrivait déjà en 1974 : "Le droit pénal est une technique indispensable au début de l’implantation d’une règle nouvelle de vie sociale ; mais il devient paresse de l’esprit lorsqu’il persiste trop longtemps"19. La réglementation, l’encadrement du droit des affaires et plus généralement de la vie économique justifiaient à l’origine l’existence de sanctions pénales afin de donner une orientation générale à l’organisation sociale. Cependant, tant le droit que les règles sociales ont évolué, ce qui conduit la doctrine unanime à souligner que l’époque de la pénalisation du droit des affaires devrait être révolue et qu’il est nécessaire de supprimer de multiples incriminations qui n’ont plus d’utilité ni sociétaire, ni sanctionnatrice.
20Les auteurs pénalistes et commercialistes dénoncent depuis longtemps une pénalisation massive qui n’épargne aucun domaine du droit des affaires et qui se traduit par une multitude de textes d’incrimination20. Cette inflation législative n’est pas spécifique au droit pénal des affaires, la remarque vaut pour le droit pénal et pour le droit en général. Mais l’inflation est encore plus marquée en droit des affaires, eu égard aux incidences économiques de ce droit, à l’évolution des politiques pour favoriser l’économie, les échanges, pour modeler les entreprises. Or, dans la mesure où chaque réforme en droit des affaires a une répercussion sur le droit pénal des affaires parce que de nouvelles incriminations apparaissent ou leur champ d’application est étendu, le droit pénal des affaires est un droit en constante mutation. Les critiques relatives à l’excessive pénalisation de la vie des affaires sont connues et elles sont persistantes : carcan pénal imposé au chef d'entreprise contraire au nécessaire dynamisme de la vie des affaires, ce qui débouche inévitablement sur la méconnaissance d’une législation pléthorique. De surcroît, la doctrine souligne que le législateur recourt trop souvent à la sanction pénale par facilité sans véritable réflexion de politique criminelle, parce qu’il pense qu’elle assurera l’efficacité de la norme21. Monsieur Jean Foyer, principal auteur de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, en faisait l’aveu des années après l’adoption du texte en ces termes : "Faute d’imagination, nous nous sommes rabattus sur les dispositions pénales... sur ce point nous avons manqué de perspicacité"22. Si nous combinons les propos du Professeur Levasseur et de Monsieur Foyer, il apparaît qu’en 1966 les dispositions pénales se justifiaient pour assurer la mise en œuvre et l’efficacité d’une nouvelle organisation sociétaire, mais il faut en conclure que, presque quarante ans plus tard, le législateur contemporain est paresseux s’il conserve l’ensemble de ces infractions devenues pour nombre d’entre elles inutiles.
21Cependant, il ne faut pas nier les efforts accomplis par le législateur qui, depuis quelques années, s’est engagé sur la voie de la dépénalisation du droit des affaires, même s’il faut le reconnaître, l’ampleur de ce mouvement est encore limité. Le principal reproche que l’on peut adresser à ces dépénalisations législatives est d’être faites isolément. 11 faudrait conduire une véritable réflexion sur la politique criminelle contemporaine, ce qui permettrait d’identifier les valeurs essentielles que le législateur entend protéger, de cerner le sens de la sanction pénale en droit des affaires et de dépénaliser de manière globale les comportements qui n’entrent pas dans ces perspectives.
22Cependant, le mouvement de dépénalisation existe et quelques illustrations en droit des affaires l’illustrent ces dernières années. Nous pouvons citer à titre d’exemples la dépénalisation du droit de la concurrence par l’ordonnance du 31 décembre 1986 ; la dépénalisation du chèque en 1991 ; la loi Nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 qui dépénalise de nombreuses formalités de constitution des sociétés commerciales. Les lois sur l’initiative économique et sur la sécurité du 1er août 2003 poursuivent le mouvement de dépénalisation des formalités sociétaires.
23Le législateur s’est engagé heureusement dans la voie du recul de la sanction pénale, la dépénalisation souhaitée par la doctrine ne reste plus un vœu pieux. Ce qui masque un peu les efforts du législateur, c’est qu’en même temps dans d’autres domaines le champ d’application de certaines infractions s’étend (délit d’initié, blanchiment de capitaux...), ce qui laisse une impression générale de pénalisation de la vie économique. La dépénalisation engagée doit être poursuivie, la doctrine unanime le souligne, ce qui permettra d’aboutir à un recentrage du droit pénal des affaires.
B – Le recentrage du droit pénal des affaires
24Ce recentrage autour des infractions les plus graves réclamé par la doctrine est une condition déterminante de l’effectivité du droit pénal des affaires. En multipliant les incriminations le législateur nuit au droit pénal en supprimant une grande partie de la valeur de la sanction. L’inflation pénale entraîne une dévalorisation de la symbolique de la peine. Cette dévalorisation n’est pas une exclusivité du droit pénal des affaires, mais elle est particulièrement marquée. En effet, les dirigeants sociaux ont le sentiment que quel que soit leur comportement, ils tomberont toujours sous le coup d’une incrimination car l’étendue de la législation ne permet pas d’en connaître exactement le contenu. Par conséquent, les dirigeants intègrent le risque pénal dans leur activité comme inhérent à leur fonction et en organisent la gestion. Lorsque la sanction intervient, elle était envisagée et elle ne peut donc pas remplir sa fonction sanctionnatrice et préventive.
25La doctrine incite le législateur à dépénaliser de multiples comportements qui relèvent d’un droit pénal matériel qui sanctionne des agissements qui ne traduisent pas une faute grave. Dépénaliser ne signifie pas pour autant de laisser toute liberté au chef d’entreprise pour agir à sa guise, mais suppose que le législateur ait suffisamment d’imagination pour prévoir d’autres sanctions, civiles par exemple, qui permettent de réguler et de contrôler le dirigeant défaillant. La dépénalisation de comportements de peu de gravité permet de recentrer le droit pénal des affaires sur des fautes graves qui impliquent et légitiment la sanction pénale. En limitant le domaine du droit pénal des affaires aux infractions les plus graves, elles ne seraient plus noyées dans la masse des incriminations, ce qui permettrait au législateur de redonner à la sanction son efficacité et sa valeur. Les vœux de la doctrine sont formulés en ce sens.
26En conclusion, il apparaît que le législateur lit la doctrine et l’entend, l’évolution législative récente en témoigne. Mais dans certains cas, le législateur devient aveugle et sourd aux sollicitations de la doctrine, par exemple en ce qui concerne une réforme législative de la prescription en matière d’abus de biens sociaux qui est réclamée afin de mettre un terme au dérapage de l’interprétation jurisprudentielle23, mais qui gène le Parlement... et dans ce cas, chacun sait qu’il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre...
Notes de bas de page
1 R. Vouin, "Préface" à l’ouvrage de Droit pénal des affaires de Madame M. Delmas-Marty, Thémis, 1973.
2 Banqueroute, violation d’un secret de fabrique, altération des prix...
3 J.J. Daigre, "De l’existence et de l’avenir du droit commercial", Mélanges J. Paillusseau, p. 264, Dalloz.
4 J. Paillusseau, "Le big bang du droit des affaires à la fin du XXe siècle", JCP, 1988, 1, 3330.
5 J. Larguier, Droit pénal des affaires, A. Colin, collection U, 1970.
6 M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires, Thémis, 1973.
7 Principes contenus dans le Livre premier du code pénal : principe de la légalité des délits et des peines, application de la loi dans le temps et dans l’espace, interprétation de la loi pénale, responsabilité...
8 M.L. Rassat, Droit pénal spécial, Dalloz, 2003.
9 N. Molfessis, "Les prédictions doctrinales", Mélanges F. Terre, L’avenir du droit, p. 141.
10 La doctrine joue également un rôle important dans l’élaboration et l’évolution de la jurisprudence en droit pénal des affaires. Une production doctrinale très abondante est consacrée à la matière (si abondante que nous ne pouvons pas citer tous les auteurs qui écrivent sur ces questions, et qui ne se réduisent pas aux quelques références du rapport précédent publié dans cet ouvrage cf. B. Challe).
11 M. Delmas-Marty, "L’évolution du droit pénal des affaires", Gaz.Pal., 1999,1, p. 354.
12 Codifiée au Livre deux du Code de commerce.
13 P. Bezard, Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, p. 14, Dalloz, 1997.
14 Loi du 15 mai 2001.
15 Art. L. 561-1 ss du Code monétaire et financier.
16 M. Delmas-Marty, "Union européenne et droit pénal", Cahiers de droit européen, 1997, no 5-6, pp. 607 ss.
17 Convention réalisée sur la base du Traité sur l’Union européenne, JOCE, 27 nov. 1995 ; S. Manacorda, "Le droit pénal et l’Union européenne : esquisse d’un système", RSC, 2000, p. 95.
18 De Angelis, "Le Corpus Juris portant dispositions légales pour la protection des intérêt financiers de l’Union européenne", D., 1998, chr. 221 ; M. Delmas-Marty, "Vers un parquet européen", Justice, juillet 1997, p. 3 ; pour une bibliographie complète v. Manacorda, RSC, 2000, p. 98.
19 G. Levasseur, "Droit social et droit pénal ?", Mélanges Brun, 1974, p. 317.
20 Par ex. M. Delmas-Marty, "L’évolution du droit des affaires", Gaz.Pal., op. cit. ; A. Vitu, "Regard sur le droit pénal des sociétés", Mélanges Roblot, p. 247 ; B. Bouloc, "La dépénalisation dans le droit pénal des affaires", D., 2003, chr., p. 2492 ; C. Mascala, "Vers une dépénalisation des infractions d’affaires : une réalité ?", D. Aff., 1998, p. 1030.
21 "La responsabilité pénale du chef d’entreprise", Petites Affiches, 19 Juillet 1996, Chr., p. 16.
22 J. FOYER, "Réflexion d’un ancien législateur sur le droit des sociétés : réforme sur réforme ne vaut", Mélanges Cabrillac, Litec, 1999, p. 575.
23 C. Mascala, "Le dérapage de l’interprétation jurisprudentielle en droit pénal des affaires", D., 2004, Cah. Dr. Aff., Point de vue, p. 3050.
Auteur
Professeur à l’Université Toulouse I
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