L’autorité parentale, institution “mythée”
p. 447-463
Texte intégral
1Plus de trente ans après sa création par la loi du 4 juin 19701, l’autorité parentale se présente comme une institution “mythée”2, c’est-à-dire mangée, rongée par le mythe contemporain du couple parental3 qui survit à toutes les vicissitudes de la vie familiale. On pouvait espérer une réussite plus éclatante de cette loi qui, en substituant l’autorité parentale à la puissance paternelle inscrite dans le code Napoléon, mettait fin à une tradition plus que séculaire. Ce grand texte animé par la pensée du Doyen Carbonnier, profondément novateur, inscrivait en effet le droit français de la famille dans la modernité en mettant pour la première fois à égalité les père et mère à la tête de la famille. Pourquoi, dès lors, un bilan aussi décevant ?
2En 1970 le législateur avait perçu la difficulté inhérente à la notion qu’il imposait : faire surgir deux responsables là où il n’y avait qu’un chef, c’était créer un “aigle à deux têtes”4, une famille ingouvernable dès lors qu’il n’y avait pas une réelle entente entre le père et la mère. Leur concertation était indispensable, gage d’un fonctionnement correct de l’autorité parentale. Le législateur, en 1970, en avait parfaitement conscience. Pour éviter les décisions contradictoires des parents, source d’une vie chaotique pour l’enfant et d’incertitudes pour les tiers, la concertation des père et mère devait être un prérequis. C’est pourquoi, en dépit de l’avancée que représentait l’autorité parentale par rapport à la puissance paternelle, le législateur n’avait adopté qu’une démarche limitée. L’exercice en commun de la nouvelle autorité parentale n’était accordé que dans l’hypothèse où cette concertation pouvait être tenue pour acquise à partir de l’existence d’une démarche juridique antérieure –le mariage qui crée une famille– et d’un mode de vie, la cohabitation. Ainsi seuls bénéficiaient d’un exercice en commun de l’autorité parentale les parents légitimes non divorcés. Même en retenant une présomption d’accord parental pour les actes usuels et en se contentant d’exiger un accord effectif pour les actes plus graves, le législateur estimait qu’un tel exercice partagé ne pouvait pas être systématisé dans les hypothèses du divorce –hypothèse circonscrite à cette époque au seul divorce conflictuel pour faute– et de la famille naturelle. Dans ces deux cas de figure, le législateur n’admettait un exercice en commun que subordonné à un contrôle judiciaire. Cette réserve ne relevait pas du conservatisme ou du manque d’audace. Bien au contraire puisque le législateur avait choisi de confier l’entier exercice de l’autorité parentale à la mère –et non au père– lorsque les deux parents naturels avaient reconnu leur enfant. La portée limitée de la réforme signifiait seulement que le réalisme devait l’emporter sur l’idéalisme.
3Cependant, cédant à des considérations plus politiques que sociales ou juridiques, le législateur a abandonné le souci d’efficacité initial pour promouvoir d’une part l’égalité entre les père et mère quelle que soit la forme familiale et d’autre part l’intérêt et les droits de l’enfant5. Ces deux mythes d’ailleurs sont souvent utilisés pour se renforcer mutuellement, l’un servant de pseudo-justification à l’autre : par exemple il est constamment affirmé qu’il est de l’intérêt de l’enfant d’être élevé par ses deux parents. Mais quand un seul parent est présent auprès de l’enfant, est-il en fait cohérent d’imposer la co-gestion ? L’évolution a concerné tant la notion d’autorité parentale que son exercice. En ce qui concerne la notion, les transformations qui l’ont affectée ont été réalisées, selon l’expression de Madame Bruggeman, de manière “impromptue”6, sans que ce résultat soit réellement pensé et recherché. Au contraire l’exercice de l’autorité parentale en commun, à l’instar de ce qui avait été accordé en 1970 aux parents légitimes unis, a été au cœur des préoccupations législatives.
4En premier lieu la loi du 22 juillet 19877, dite loi Malhuret, a permis aux parents naturels d’exercer en commun l’autorité parentale sur une simple déclaration conjointe faite devant le juge des tutelles8. Cette réforme conservait une dimension réaliste, ce qui explique ses limites : l’accord parental formulé devant le juge permettait de se dispenser du contrôle de ce dernier. La loi du 8 janvier 19939 réalisa une avancée plus significative puisque l’exercice en commun de l’autorité parentale dans la famille naturelle était désormais acquis de manière automatique comme dans la famille légitime à la double condition que l’enfant soit reconnu avant son premier anniversaire par ses deux parents vivant en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance. Cette avancée était soulignée par son inscription dans le très symbolique article 372 du Code civil jusqu’alors réservé “aux parents mariés”. Enfin la loi 4 mars 200210 a achevé le mouvement en donnant entière satisfaction à ceux qui réclamaient une totale égalité des parents quelle que soit leur situation familiale. L’exercice en commun de l’autorité parentale est aujourd’hui acquis dans tous les cas de figure : l’article 372 du Code civil l’affirme, sans distinguer entre famille légitime et famille naturelle, tandis que l’article 373-2 proclame que “la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale”. Beaucoup ont applaudi cette consécration de la coparentalité11 mais cet affichage glorieux est en trompe-l’œil.
5La démarche législative relève de la méthode Coué. Nier la difficulté de la mésentente familiale, affirmer l’intérêt de l’enfant et ses droits de manière indépendante comme si celui-ci n’avait pas place au sein d’une famille qui a pour mission de le protéger, ne résout rien. Au contraire, cette démarche favorise toutes les dérives, l’ignorance et le mépris du droit. En privilégiant le mythe sur la réalité familiale, le législateur a sapé l’autorité qu’il prétendait imposer. Au fil des réformes législatives, un fossé s’est creusé entre l’autorité parentale, notion juridique de plus en plus traitée sur un mode théorique et abstrait, et la réalité sociale au service de laquelle elle est organisée au point que deux mots aujourd’hui résument le bilan de cette évolution : incertitude (I) et disqualification (II).
I – L’INCERTITUDE
6L’incertitude qui entoure l’autorité parentale porte tant sur la notion elle-même (A) que sur son exercice (B). Il s’agit d’une incertitude d’ordre juridique, conceptuelle, qui rejaillit fortement sur la pratique car l’autorité parentale est une notion quotidienne, maniée en principe par des non-juristes.
A – L’incertitude quant à la notion d’autorité parentale
7Qu’est-ce que l’autorité parentale ? Il faut l’avouer : le législateur de 1970 n’a pas été pas particulièrement prolixe sur sa définition. Mais cela se comprend : partant de la puissance paternelle, notion traditionnelle et connue, il n’a précisé que ce qui était nouveau. Au fil du temps la compréhension initiale s’est émoussée et ce travail de délitement a été accéléré par l’adoption de nouvelles dispositions légales ajoutant la confusion à l’incertitude initiale.
8Succédant à la puissance paternelle, l’autorité parentale conserve sa substance. Comme elle, elle est un droit –droit de contrôle et droit de décision– exercé sur l’enfant. Cependant elle en diffère par deux traits. D’une part elle n’est plus l’apanage exclusif du père, chef de famille. Elle a vocation à être confiée à la mère comme au père, tous deux l’exerçant en commun c’est-à-dire ensemble. Comme l’a souligné Madame Gobert, “toute la réforme comprise dans la loi du 4 juin 1970 a consisté à faire apparaître un couple là où il n’y avait qu’un père”12. D’autre part le droit est mué en fonction13, comportant telle une médaille deux faces, un avers droit et un revers devoir tournées vers l’enfant. Cette dualité permet d’affirmer que l’autorité parentale, même si elle demeure incontestablement un droit qui appartient aux père et mère ne poursuit pas une finalité égoïste ; il doit être exercé dans l’intérêt de l’enfant.
9Ce pouvoir dont l’attribution, l’exercice et le contrôle sont légalement organisés, ne s’exerce pas sur la scène du droit mais dans le monde très concret de la vie quotidienne. En effet l’autorité parentale n’a pas pour objet de pallier l’incapacité juridique du mineur, incapacité qui justifie le recours à la représentation14. Ce volet juridique est assuré par l’administration légale qui permet au mineur incapable de faire des actes juridiques et d’agir en justice grâce à ses représentants légaux15. Au contraire l’autorité parentale ne s’attache qu’à l’immaturité physique, à la vulnérabilité corporelle et intellectuelle de l’enfant qui, en raison de son jeune âge, ne sait pas ce qu’il doit faire et est incapable de décider et d’agir dans son propre intérêt. Si le Code civil évoque les “actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant”16, l’expression ne renvoie pas à la notion d’acte juridique –c’est-à-dire à une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit– pour lequel une représentation est possible. En effet ces actes usuels de l’autorité parentale ont pour objet d’encadrer les besoins du mineur et ce dernier ne peut ni être éduqué, ni être soigné par représentation. L’acte usuel est ici pris dans son sens banal, non juridique, d’action17. Cette référence renvoie simplement aux décisions prises par les titulaires de l’autorité parentale et à leur comportement : amener l’enfant chez un médecin, choisir un traitement de préférence à un autre, signer son carnet de notes...
10C’est donc à tort que l’on assimile l’autorité parentale à l’incapacité du mineur. La loi du 23 décembre 198518, en liant l’administration légale à l’exercice de l’autorité parentale, a placé cette dernière sur le devant de la scène. D’une part le pouvoir juridique des père et mère a tendance à disparaître au profit de leur seul pouvoir de décision. Par exemple, quant un juge aux affaires familiales ordonne, parce que cela doit les responsabiliser, un exercice en commun de l’autorité parentale après divorce entre parents en conflit et géographiquement très éloignés l’un de l’autre, il ne se préoccupe jamais de son incidence sur l’administration légale qui échappe ainsi à tout contrôle19. Cette confusion induit une minoration des droits des parents. D’autre part l’autorité parentale se transforme en formule magique sans contenu précis.
11La loi du 4 mars 2002 a consacré l’incertitude initiale de la notion même si, indirectement, elle a affirmé le pouvoir de décision des parents20. Son contenu a fait l’objet d’une réécriture laborieuse qui ne modifie pas la présentation initiale : l’autorité parentale demeure un ensemble de droits et de devoirs exercés dans l’intérêt de l’enfant. Des précisions nouvelles ont été ajoutées, telles des références à son développement et à son respect. Si elles ne sont pas mutiles, elles n’ajoutent rien en elles-mêmes à l’esprit de l’ancien article 371-2. Toutefois elles témoignent d’un glissement : l’autorité n’est plus centrée sur les parents qui l’exercent mais sur l’enfant qui donne forme par ses besoins et son intérêt à l’ensemble.
12Des disparitions fondamentales sont en revanche à déplorer, qui rendent la notion incertaine quant à son contenu. Il avait semblé utile au législateur de 1970 de préciser ce qui était nouveau : l’autorité parentale était constituée des droits et devoirs de garde, de surveillance et d’éducation. Aujourd’hui le Code civil se borne à indiquer que l’enfant ne peut, sans la permission des père et mère, quitter la maison familiale et qu’il ne peut en être retiré que dans les cas de nécessité que détermine la loi. Le droit de garde est donc retenu pour une de ses applications, le domicile de l’enfant, mais n’existe plus en tant que tel dans son principe. Il a même été remplacé par l’exercice de l’autorité parentale comme fondement de la responsabilité des père et mère dans l’article 1384 du Code civil. L’éducation est associée à l’obligation d’entretien dans l’article 371-2 du Code civil, mais le droit et le devoir d’éducation n’existe plus comme attribut nommé de l’autorité parentale. Enfin le droit de surveillance, l’élément le plus riche de l’autorité parentale depuis que la loi Malhuret avait contribué à le détacher du droit de garde auquel il était antérieurement lié, a totalement disparu. A travers lui, les père et mère exerçaient un contrôle sur le corps de l’enfant, sur ses activités et ses fréquentations.
13Pour certains auteurs, la disparition des composantes de l’autorité parentale doit être approuvée car elles “étaient désuètes”21. On peut au contraire voir dans cette disparition le signe d’un réel affaiblissement de l’autorité parentale puisqu’il est devenu impossible de nommer les prérogatives qui la composent. Les droits et devoirs de garde, de surveillance et d’éducation n’appartenaient qu’aux parents et présentaient une valeur symbolique et pédagogique indéniable. En les imposant, le législateur suggérait que nulle part l’enfant ne pouvait être mieux qu’auprès de ses parents (la garde), qu’eux seuls veillaient sur lui avec tout le désintéressement et l’attention nécessaires (la surveillance) et qu’ils lui assuraient au-delà de la transmission des biens, une transmission immatérielle faites de principes et de valeurs (l’éducation). Surtout ces attributs, jouant le rôle de squelette, donnaient corps à la notion d’autorité parentale qui se présente aujourd’hui comme un “sac mou”, au contenu imprécis. Renonçant à le décrire, le législateur contemporain adopte la méthode de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince : il dessine une boîte –un ensemble de droits et de devoirs- et laisse chacun imaginer son contenu. Le droit d’autorité devient de plus en plus incertain dans sa composition. Il est en outre confus.
14Cette confusion résulte de l’introduction d’une notion parasite : l’obligation d’entretien visée à l’article 371-2 : “chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources et de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur”. Pourquoi avoir rattaché à l’autorité parentale, droit qui prend fin automatiquement à la majorité de l’enfant, l’obligation d’entretien, fondée sur la filiation, indépendante de l’exercice de cette autorité et qui perdure au-delà de la majorité ? L’objectif était d’étendre le contenu de l’article 203 du Code civil22 au-delà du mariage à la famille naturelle, ce que la jurisprudence faisait depuis longtemps23 : fallait-il pour autant lier autorité parentale et obligation d’entretien ? En effet l’article 203 du Code civil n’a pas été supprimé, désormais réservé, en dépit des objectifs égalitaires de la loi, aux seuls enfants légitimes. Il vise l’obligation d’entretenir et nourrir alors que l’article 371-2 pose celle d’entretenir et éduquer, valable pour tous les enfants. Ainsi le contenu différent de deux textes qui visent une obligation unique peut être d’autant plus gênant que ceux-ci n’impliquent pas le même régime. En effet l’obligation d’entretien qui pèse sur les époux bénéficie de la solidarité passive de l’article 220 du Code civil, ce qui permet au tiers contractant de poursuivre le remboursement de la dépense engagée pour l’enfant auprès de l’un ou l’autre des parents. En ce qui concerne l’obligation d’entretien dans la famille naturelle, seul le parent qui l’a engagée est tenu à l’égard du tiers créancier. Il lui appartient ensuite d’exercer un recours contre l’autre parent, si la somme acquittée excède sa part contributive.
15Enfin, l’amalgame opéré par le nouveau texte entre entretenir et éduquer est critiquable car ces deux notions sont distinctes. L’obligation d’entretien, de nature économique, correspond à une forme particulière de solidarité familiale. Elle n’est pas réciproque, n’est due que par les parents et les obligent à faire vivre l’enfant selon leur propre train de vie. Dès lors la nouvelle référence aux besoins de l’enfant est troublante car elle suggère que ceux-ci pourraient constituer une limite à l’obligation parentale. Le droit d’éducation, pouvoir de décision quant à la formation intellectuelle de l’enfant, constituait un des trois attributs de l’autorité parentale aujourd’hui supprimé. Il existe effectivement un lien entre le droit d’éducation et l’obligation d’entretien. Lorsque les parents décident le contenu et la forme de l’éducation, par exemple un enseignement catholique dans un collège privé, ils doivent assumer le côté matériel de cette décision. Néanmoins, les deux notions sont distinctes et indépendantes. Après la majorité, les parents demeurent débiteurs de l’obligation d’entretien à l’égard du jeune étudiant, mais, à l’époque où il était nommé, ils n’avaient plus le droit d’éducation, c’est-à-dire le pouvoir de décider de ses études ou de son mode de vie. En outre l’obligation d’entretien ne s’applique pas qu’à l’éducation. Elle recouvre tous les besoins du mineur24. Ayant fait l’objet d’une réflexion insuffisante à propos de la réforme de 2002, la notion d’entretien, déjà fort confuse car essentiellement organisée par la jurisprudence, l’est devenue d’avantage en raison de son ancrage dans l’autorité parentale.
16Finalement, la notion d’autorité parentale est des plus floues et cette incertitude croise celle qui est liée à son exercice.
B – L’incertitude quant à l’exercice en commun de l’autorité parentale
17L’autorité parentale est le pouvoir du quotidien, des décisions concrètes de la vie familiale. Elle organise les rapports des parents entre eux, avec leur enfant et avec les tiers. Mais précisément, alors qu’elle concerne par définition des personnes non-juristes, plus ou moins conscientes de se trouver dans une relation de droit, son exercice implique de se livrer à une analyse complexe en dépit d’une simplicité apparente : l’autorité parentale appartient aux père et mère25 qui l’exercent en commun26.
18Dans la famille légitime l’attribution initiale automatique d’un exercice en commun de l’autorité parentale, acquise depuis 1970, demeure. La difficulté peut apparaître en cas de divorce ou de séparation de fait, désormais pris en compte. La séparation des parents est en principe sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale27, ce qui a conduit le législateur à abroger toutes les dispositions spécifiques aux conséquences du divorce pour les enfants28. Néanmoins, si l’intérêt de l’enfant le commande le juge aux affaires familiales peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents29. Un exercice unilatéral est donc toujours possible, même s’il a tendance à devenir de plus en plus rare, les magistrats n’hésitant pas à imposer un exercice en commun en l’absence de toute concertation possible, afin de responsabiliser les parents30.
19Dans la famille naturelle, la situation est différente. En effet l’alinéa 2 de l’article 372 du Code civil soumet l’exercice en commun à une double exigence : l’établissement de la filiation à l’égard des deux parents volontairement et avant le premier anniversaire de l’enfant. Cette règle n’est pas totalement nouvelle, déjà imposée par la loi du 8 janvier 1993 en ce qui concerne la reconnaissance. L’abandon de la cohabitation des père et mère lors de la seconde reconnaissance en constitue la nouveauté apparente. Moins apparente et moins attendue est l’extension d’un exercice en commun à toute filiation naturelle établie, ce qui implique la prise en compte de la possession d’état. Comment savoir avec certitude que la possession d’état, qui se constitue avec le temps qui passe par petites touches, est suffisante avant le premier anniversaire de l’enfant ? Comment les tiers peuvent-ils en être informés ? Alors que la reconnaissance inscrite à l’état civil bénéficie d’une incontestable publicité31 qui permet aux tiers d’en tenir compte, la possession d’état peut exister sans être officiellement constatée. C’est pourquoi il est particulièrement regrettable que le législateur n’ait pas subordonné l’exercice en commun de l’autorité parentale à la publicité de la filiation résultant de la possession d’état32.
20La difficulté dénoncée ne concerne que les pères qui, contrairement aux mères, ne bénéficient pas de l’article 337 du code civil. Ainsi les hommes dont le nom figure sur l’acte de naissance des enfants ou qui les élèvent ne sont pas pour autant traités en titulaires de l’autorité parentale en l’absence de reconnaissance. Par exemple, certains juges des enfants, procédant à un retrait du mineur en assistance éducative, n’accordent pas de droit de visite au père en l’absence de reconnaissance car, disent-ils, ils ne sont pas les juges de la filiation.
21Lorsque l’autorité parentale est confiée à un parent qui l’exerce seul, il convient de souligner qu’il n’existe pas en la matière une formule comparable à celle de l’administration légale sous contrôle judiciaire. En ce qui concerne l’autorité parentale, le législateur a retenu le principe du tout ou rien. Cependant, la différence entre l’exercice unilatéral et l’exercice en commun n’est pas toujours aussi marquée qu’on pourrait le croire dans la relation des père et mère entre eux. L’unique parent bénéficiaire de cet exercice décide seul. L’autre parent ne peut prétendre qu’à un droit de visite et d’hébergement et au droit d’être informé des choix importants relatifs à la vie de l’enfant33. Cela lui permet éventuellement de saisir le juge aux affaires familiales pour obtenir une modification les conditions d’exercice de l’autorité parentale qu’il ne juge pas satisfaisantes34. Lorsque celle-ci est exercée par les deux parents, à supposer qu’ils puissent être désignés avec certitude, l’exercice est en commun. Aujourd’hui leur indispensable concertation est de plus en plus requise dans des hypothèses où elle n’est pas nécessairement réalisée au départ. Que se passe-t-il si un parent agit de son propre chef, ce qui est fréquent, sans en avoir informé l’autre ? L’article 373-2-8 du Code civil autorise le parent frustré à saisir le juge aux affaires familiales pour obtenir une modification des conditions d’exercice de l’autorité parentale qu’il ne juge pas satisfaisantes35. Le parent dont l’accord devait être obtenu se retrouve ainsi dans la même situation que celui qui n’avait pas à consentir.
22La différence entre un exercice en commun et un exercice unilatéral est davantage marqué dans les relations avec les tiers. En effet lorsqu’il s’agit d’un exercice unilatéral, le tiers n’a pas à contrôler le pouvoir de décision du parent qui s’adresse à lui. En revanche, en cas d’exercice en commun, à l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale36. Tenant pour acquis que la bonne foi est toujours présumée, tant qu’il n’a pas connaissance d’une opposition de l’autre parent, le tiers n’a aucun contrôle à opérer lorsqu’un parent l’associe à un acte usuel. Au contraire, pour un acte non usuel, c’est-à-dire grave, il doit impérativement obtenir l’accord des deux parents. En supposant que les tiers connaissent cette règle et qu’ils soient à même de savoir qu’ils ont en face d’eux un parent qui exerce en commun l’autorité parentale –ce qui n’est en pratique jamais le cas–, la distinction entre acte usuel et non usuel n’est pas des plus facilement opérationnelle. Qu’est-ce qu’un acte usuel ? Finalement la notion d’acte usuel se banalise et seuls les actes les plus graves échappent à la présomption de concertation, c’est-à-dire uniquement des décisions particulièrement graves et très ponctuelles. L’essentiel des décisions prises par les parents est considéré comme relevant des actes usuels. En tout cas les parents dont les droits sont bafoués saisissent rarement le juge pour faire constater qu’il s’agit d’un acte grave pour lequel le tiers devait rechercher leur accord : le contentieux est particulièrement insignifiant.
23L’imprécision qui résulte du critère “acte usuel” et l’impossibilité à laquelle se heurtent souvent les tiers de connaître le mode d’exercice de l’autorité parentale débouchent en fait sur un exercice individuel généralisé de l’autorité parentale. Chaque parent prend l’habitude d’agir seul et de voir ses décisions respectées sans le contrôle (souvent impossible) de l’autre parent ou des tiers. La résidence alternée37 consacre cette évolution en favorisant un exercice unilatéral, à temps partagé. Pendant le temps où l’enfant vit avec un parent, celui-ci exerce seul l’autorité parentale, l’accord de l’autre étant supprimé dans la mesure où le sien le sera également lorsque ce dernier exercera à son tour l’autorité parentale. La jurisprudence a d’ailleurs parfaitement intégré le sens de cette réforme. Ainsi on peut lire dans une décision que “le législateur n’a ajouté aucune condition tenant notamment à l’existence d’un consensus entre les parents sur l’instauration d’une résidence alternée”38. Cependant, si le législateur a pris soin d’indiquer qu’en cas de désaccord entre les parents une résidence alternée pouvait être ordonnée à titre provisoire, c’est parce qu’implicitement, dans la durée, l’exercice en commun que suppose la résidence alternée est impossible si la concertation n’existe pas. Les magistrats ne doivent donc l’ordonner que si elle peut favoriser l’émergence d’une meilleure concertation entre les père et mère. Or pour les juges, le critère déterminant est celui de l’intérêt de l’enfant que sert cette coparentalité plus apparente que réelle39.
24Finalement l’exercice en commun peu à peu se transforme en exercice unilatéral. Chaque parent exerce donc un droit, parallèlement à celui de l’autre. En pratique cette évolution favorise les mères, plus faciles à désigner et plus présentes que les pères dans la vie quotidienne de l’enfant : la puissance paternelle finalement a été remplacées par une autorité maternelle de plus en plus évidente.
II – LA DISQUALIFICATION
25L’imprécision et la confusion qui cernent l’autorité parentale favorisent une disqualification “rampante” des parents, largement tolérée si ce n’est encouragée (A). Mais pour libérer l’enfant d’un joug jugé trop pesant, le législateur contemporain a expressément disqualifié les parents en permettant à l’enfant de s’affranchir de leur autorité (B).
A – La disqualification tolérée
26La disqualification se mesure sur le terrain, chaque fois qu’un parent ne respecte pas les droits de l’autre ou qu’un tiers passe outre les droits des père et mère : bien qu’un droit soit bafoué, il ne se passe rien40.
27Il est relativement fréquent que des parents ne respectent pas le droit de l’autre parce qu’ils ignorent qu’ils exercent en commun l’autorité parentale. Cette ignorance, par exemple, résulte de l’application immédiate de l’article 372 à tous les enfants nés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de la loi du 4 mars 2002, dès lors qu’ils ont été reconnus par leur père et mère dans l’année de leur naissance41. Or nombreux sont ceux qui, nés avant la loi du 8 janvier 1993, étaient soumis à un exercice unilatéral confié à la mère en l’absence de déclaration d’exercice en commun devant le greffier en chef du Tribunal de grande instance ; d’autres nés depuis cette date n’avaient pu bénéficier d’un exercice en commun parce que leurs parents ne cohabitaient pas. Ainsi ces enfants naturels reconnus par leurs deux auteurs avant leur premier anniversaire, soumis depuis leur naissance à un exercice unilatéral, sont immédiatement passés sous le régime de l’exercice en commun en mars 2004. Il est vraisemblable que peu de parents ont compris l’évolution de leur droits et il est probable que peu ont tenu compte de ce changement dans leurs relations avec l’autre.
28Les tiers également sont souvent conduits à bafouer l’autorité parentale parce qu’ils ne peuvent pas connaître la filiation de l’enfant ou les modalités d’exercice de l’autorité parentale. On peut illustrer cette affirmation par un exemple emprunté à une situation de fait relativement fréquente. Une mère a reconnu son enfant et l’a inscrit dans une crèche. Elle touche l’allocation parent isolé42. Elle vit cependant plus ou moins avec un homme dont rien n’indique qu’il est le père de l’enfant bien qu’il s’en occupe de temps en temps. Généralement, dans le formulaire d’inscription, la mère n’a pas autorisé le personnel de la crèche à remettre l’enfant à cet homme. Aussi, bien qu’il considère qu’il a en face de lui le père biologique –et nous ajoutons le père au sens juridique dès lors qu’existe une possession d’état–, le personnel refuse généralement de remettre l’enfant à ce dernier qui vient le chercher. On comprend l’attitude de la directrice de l’établissement qui n’a aucun moyen d’appréhender la réalité de la vie familiale de la mère et de l’enfant et qui, dans le doute, préfère sacrifier celui qui, peut-être pour des raisons économiques, n’a pas clairement inscrit son statut de père. L’est-il ? Ne l’est-il pas ? L’incertitude qui pèse sur la désignation des titulaires d’autorité parentale pénalise essentiellement les pères. S’ils ignorent leur droit d’autorité, ils ne l’exercent pas et ne l’imposent ni à l’enfant ni aux tiers.
29Par souci de simplification, au motif de respecter la vie privée, l’administration –ce terme renvoie aux crèches municipales, services de PMI, garderies, tiers,...– tenue de respecter l’autorité parentale, ne se donne que rarement les moyens de connaître la situation juridique des familles qui s’adressent à elle. Elle se contente au mieux du livret de famille qui n’est pas toujours tenu à jour. Par exemple, lors de l’inscription d’un enfant pour une prestation assurée par la mairie de Toulouse, le document unique qui doit être rempli par le parent demandeur ne contient aucune référence au lien de filiation et vise uniquement “le responsable” de l’enfant. Il est impossible au vu de ce dossier de déterminer si on est présence d’un exercice en commun de l’autorité parentale. D’une manière générale les tiers ignorent souvent les règles légales qui déterminent l’exercice de l’autorité parentale. En revanche, à partir d’une croyance populaire aussi erronée que répandue, ils se fondent sur le nom porté par l’enfant naturel pour déterminer celui des parents qui exerce l’autorité parentale.
30La rupture des parents, séparation de fait, divorce, augmente les risques de disqualifications de fait. Les parents sont invités dans ce cas à soumettre à l’homologation du juge aux affaires familiales des conventions dans lesquels ils organisent les modalités d’exercice de l’autorité parentale43. L’homologation est là pour rappeler que le devoir d’autorité est d’ordre public et que son exercice ne dépend pas uniquement du bon vouloir des parents. Ce principe n’est pas nouveau44 et il ne suffit pas de le l’inscrire sous une nouvelle forme pour le rendre plus opérationnel. Les concubins, par définition se séparent sans avoir recours au juge, à la différence des époux qui divorcent. La séparation de fait inorganisée demeure donc pour eux la situation la plus fréquente, laissant subsister sans aucun aménagement particulier une autorité parentale exercée en commun par parents qui n’ont plus aucun contact. Cela permet au parent qui vit avec l’enfant de se comporter comme si l’exercice de l’autorité est unilatéral. Parfois la séparation provoque une telle distorsion entre le droit et les faits que les tiers ne savent plus quel parent doit être respecté. Par exemple, que peut faire la directrice d’une crèche lorsqu’un parent, bénéficiant d’un exercice partagé de l’autorité parentale, systématiquement en retard, affirme de manière persistante qu’il appartient à l’autre de récupérer l’enfant tous les soirs à 17 heures ? Doit-elle saisir le juge en application de l’article 373-2-8 du Code civil ?
31La disqualification rampante, qui implique le non-respect de l’autorité parentale, est encouragée par le législateur. Le parent ou le tiers confronté à un exercice en commun de l’autorité parentale inopportun ou impossible à mettre en pratique peut, pour éviter le blocage, bénéficier de l’article 373 du Code civil : “est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause”. Grâce à cette disposition le fait prime le droit : sans aucun contrôle judiciaire45, parce que l’un des parents est introuvable, trop éloigné pour être utilement saisi, placé ou non sous un régime de protection des malades mentaux, l’exercice en commun cède la place à un exercice unilatéral, pour une durée indéterminée, sans que ce changement de régime soit inscrit de manière officielle. Ce texte permet de justifier bien des entorses au principe d’un exercice en commun de l’autorité parentale.
32De même, la méfiance liée au signalement des mineurs victimes de mauvais traitements favorise cette disqualification des père et mère46. Les soupçons qu’on nourrit contre eux incitent à les tenir à l’écart alors même qu’ils devraient être juridiquement consultés. Par exemple, un guide de bonnes pratiques édité par le Ministère de la Justice47 précise que dans le cadre d’un signalement les titulaires de l’autorité parentale doivent être tenus informés du signalement. Néanmoins, “exception sera faite à ce principe dans les cas où l’information peut mettre l’enfant en danger et/ou entraver le cours de la justice. Ainsi, lorsqu’il y a un risque d’interférence sur le déroulement d’une enquête pénale, l’information des parents est différée”. Observons que dès que le corps de l’enfant est en jeu, ne serait-ce que pour l’examiner, il faut l’autorisation d’un titulaire de l’autorité parentale. En cas de refus ou si des investigations sont nécessaires, l’autorité judiciaire doit être avisée sans délai48 car elle seule peut porter atteinte au droit d’autorité parentale. Ainsi l’information des parents va bien au-delà de la seule information portant sur l’existence du signalement. Il est pour le moins surprenant qu’un texte dépourvu de valeur juridique mais émanent d’une source qui peut paraître fiable propose aux tiers, de leurs propres initiatives, de décider s’ils respecteront ou non l’autorité parentale pour ne pas interférer avec le déroulement d’une enquête pénale dont ils ignorent tout.
33De la disqualification tolérée et plus ou moins encouragée, le législateur est récemment passé à la disqualification légalisée.
B – La disqualification légalisée
34Dans les textes les plus récents, le législateur autorise le mineur à échapper à l’autorité de ses parents, sans qu’aucun reproche puisse être formulé à leur encontre. Si l’autorité demeure une notion d’ordre public pour les parents, elle ne l’est plus pour le mineur qui peut aujourd’hui s’en affranchir de sa propre initiative, avec l’aide d’un tiers.
35La présence d’un tiers, suppléant d’une autorité familiale défaillante n’est pas nouvelle. Outre l’administrateur ad hoc qui intervient sur le terrain de l’administration légale, figure, sur le terrain de l’autorité parentale, le tiers auquel le juge aux affaires familiales peut confier l’enfant en cas de séparation des parents49 ou le tiers délégataire de l’autorité parentale50 ainsi que le tiers digne de confiance que désigne le juge des enfants dans le cadre de l’assistance éducative51. Enfin, dans les hypothèses les plus graves apparaît le tiers auquel le Tribunal de grande instance confie l’enfant, après un retrait de l’autorité parentale, à charge pour lui, éventuellement, de susciter l’ouverture d’une tutelle52.
36Tous ces tiers, conçus comme des béquilles à la fonction parentale, présentent des caractéristiques communes, même si leurs rôles et leurs interventions sont variés. En premier lieu il faut observer que ces tiers n’existent que par rapport à la décision judiciaire qui les nomme. Le juge a, au préalable, constaté la carence des parents, la sanctionne ou tente d’y suppléer, ce qui justifie leur apparition auprès de l’enfant. C’est donc à partir d’un mandat judiciaire que le tiers joue un rôle, après avoir été choisi par un juge. Le plus souvent, le législateur encadre ce choix. Par exemple, l’article 373-3 du Code civil précise : “le juge (JAF) peut, à titre exceptionnel et si l’intérêt de l’enfant l’exige, notamment lorsque l’un des parents est privé de l’exercice de l’autorité parentale, décider de confier l’enfant à un tiers, choisi de préférence dans sa parenté”. De même l’article 1210-1 du code de procédure civile recommande au juge de le choisir au sein de la famille ou parmi les proches, sauf s’il est impossible de le faire dans l’intérêt du mineur. On ne peut que souligner les précautions langagières dont le législateur encadre cette désignation. Il précise toujours sa qualité : un “membre de la famille ou tiers digne de confiance” dans le cadre de l’assistance éducative53, un “tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants” dans le cadre de la délégation de l’autorité parentale”54.
37En second lieu, on peut pointer que la mission de ces tiers consiste toujours à suppléer une défaillance des parents. Ils interviennent à leur place, de manière limitée dans le temps et ne se voient confier qu’une parcelle de leurs droits. Leur action s’inscrit dans le fonctionnement de l’autorité parentale qu’il convient de respecter. Ainsi lorsque le JAF confie le mineur à un tiers, l’article 373-4 du Code civil précise que “l’autorité parentale continue d’être exercée par les père et mère” : le tiers ne se voit confier que les “actes usuels relatifs à sa surveillance et à son éducation”. Il en va de même dans l’assistance éducative. L’article 375-7 proclame que “les père et mère dont l’enfant a donné lieu à une mesure d’assistance éducative, conservent sur lui leur autorité parentale et en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l’application de la mesure”. On peut toutefois pointer la difficulté de respecter les droits des père et mère depuis la disparition des attributs de l’autorité parentale en cas de retrait de l’enfant. Néanmoins les tiers visés par le Code civil témoignent par leur désignation et leur mission du respect de l’autorité parentale.
38Les nouveaux tiers ont une fonction bien différente : ils délivrent l’enfant de l’autorité parentale. Ils l’émancipent de la tutelle d’un parent dont il n’est nullement démontré une action insuffisante et n’interviennent que pour masquer son autonomie et la solitude qui en est le corollaire.
39C’est dans le domaine de la santé de l’enfant que la promotion de ces tiers a été consacrée. Depuis la loi du 4 juillet 2001, lorsque la mineure enceinte désire garder le secret et ne veut pas que ses parents soient consultés pour l’interruption de sa grossesse, l’IVG ainsi que les actes médicaux et les soins qui lui sont liés peuvent néanmoins être pratiqués à la demande de l’intéressée, “accompagnée dans sa démarche par la personne majeure de son choix”55. L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique autorise le médecin, par dérogation aux règles de l’autorité parentale, à se dispenser du consentement des père et mère lorsque le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas ou cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. “Dans ce cas, le mineur se fait accompagner d’une personne majeure de son choix”. Cette possibilité est ouverte sans restriction à tout enfant mineur, quel que soit son âge. En ce qui concerne la personne majeure, tiers référent qui l’accompagne, l’unique critère de compétence exigé par le législateur est sa majorité. On peut déplorer un critère unique aussi insuffisant. Mais si on s’interroge sur son rôle précis, on constate que la personne majeure n’a aucun fonction, en dehors de sa seule présence au moment de l’IVG ou au moment du traitement ou de l’intervention médicale. Celle-ci n’est requise que pour donner le change : le mineur non assisté de ses père et mère n’est pas seul. L’impression est importante car cette désignation a pour but d’évincer des titulaires de l’autorité parentale dont il n’est ni démontré ni exigé qu’ils soient défaillants ou aient démérité. Il ne leur est rien reproché : la volonté de l’enfant suffit à les écarter56.
40La protection de la santé de l’enfant est également mise en avant pour autoriser un tiers, le médecin, à bafouer de son propre chef l’autorité parentale. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades prévoit de passer outre le refus de soins des parents. L’article L. 1111-3 du code de la santé publique précise dans son alinéa 5 que si le refus d’un traitement par les parents risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur, le médecin délivre, de sa propre initiative, les soins indispensables. Antérieurement un tel conflit ne pouvait être tranché que par le juge des enfants, juge du danger couru par le mineur en raison d’un mauvais exercice de l’autorité parentale. Le juge des enfants ne donnait pas toujours raison aux médecins57. L’article L. 1111-3 dispense désormais le praticien du contrôle judiciaire. On ne peut que souligner le pouvoir d’appréciation important et sans contrôle que lui confère cette nouvelle disposition : dès lors que le titulaire de l’autorité parentale a refusé le soin, le médecin, simplement parce qu’il estime que ce refus “risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur” peut agir de son propre chef et délivrer les soins qu’il juge indispensables. Le texte n’impose aux conséquences du refus parental ni qu’elles soient acquises avec certitude par le praticien, ni qu’elles affectent de manière vitale la santé du mineur.
41Au terme de trente années d’évolution, qu’est devenue l’autorité parentale ? Une notion vague et confuse58, que personne ne respecte, pas même l’enfant. En précisant en 2002 que les “parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent”59, le législateur a lui-même ruiné l’idée d’une autorité parentale car l’association impose une égalité de rapport qui n’existe pas entre celui qui a le pouvoir d’imposer et celui qui obéit. A trop vouloir promovoir un exercice en commun de ce pouvoir incertain et disqualifié, par idéologie et sans tenir compte de l’individualisme qui anime les transformations de la famille, il a suscité la disparition de la notion même d’autorité parentale et a dévoyé son exercice. Le vocabulaire rend compte de cette mort par désuétude, avant même que les juristes n’en prennent conscience. On ne parle plus d’autorité parentale mais de parentalité ou de coparentalité60. On change alors complétement de registre. Ce terme n’implique aucun pouvoir de décision consacré par le droit. Il ne s’agit que de traduire une aptitude à assumer les besoins d’un enfant, une compétence à son élevage. Le succès foudroyant de ce mot, l’engouement avec lequel différentes disciplines l’ont adopté traduit sa réelle efficacité pratique61. Mais la parentalité n’implique ni que l’on soit parent ni qu’on exerce les droits : elle renvoie seulement à l’efficacité d’un rôle “technique”. La puissance paternelle est finalement remplacée non par une autorité parentale mais par un droit inconsistant, exercé de manière unilatérale quand il n’est pas purement et simplement bafoué. Dressant le bilan de ce naufrage idéalogique, comme François Villon, nous interrogeons “mais où sont les neiges d’antan ?”, où est passée cette institution si brillante qui a enthousiasmé notre adolescence ?
Notes de bas de page
1 L. no 70-459 ; M. BRAZIER, “L’autorité parentale”, JCP, 1970, I, 2362.
2 L’auteur demande au lecteur d’excuser ce néologisme en forme de jeux de mots, retenu parce qu’il rend exactement compte du phénomène que cet article tente de décrire, inspiré par le travail des mites qui arrivent à détruire, à rendre non présentable, les étoffes les plus brillantes comme les plus solides.
3 F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, “Réflexion sur les mythes fondateurs du droit contemporain de la famille”, RTD civ., 1995, p. 249.
4 Cette image a souvent été utilisée au cours des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi du 4 juin 1970 ; elle a ensuite été reprise par plusieurs auteurs : cf. L. GAREIL, L’exercice de l’autorité parentale, préface L. LEVENEUR, LGDJ, 2004, coll. Bibliothèque de droit privé, tome 413, no 99.
5 L. GAREIL, op. cit., no 345 et s.
6 M. BRUGGEMAN, L’administration légale à l’épreuve de l’autorité parentale, Presses universitaires d’Aix Marseille 2002, no 15 à 17.
7 L. no 87-570 ; F. DEKEUWER-DEFOSSEZ et F. VAUVILLE, D., 1988, chr. 137.
8 Le juge des tutelles fut remplacé par la loi du 8 janvier 1993 par le juge aux affaires familiales, lui-même remplacé par la loi du 8 février 1995 par le greffier en chef du tribunal de grande instance.
9 L. no 93-22 ; D. FULCHIRON, 1993, chr. 117 ; F. BOULANGER, D., 1999, chr. 233.
10 L. no 2992-305 ; F. BOULANGER, “Modernisation ou utopie ? : la réforme de l’autorité parentale par la loi du 4 mars 2002”, D., 2002, chr. 1571.
11 H. FULCHIRON, “L’autorité parentale rénovée”, Rép. Defrénois, 2002, art. 37580, p. 959 ; A. GOUTENOIRE-CORNU, “Commentaire des dispositions relatives à l’autorité parentale”, AJ Famille, no 4/2002, p. 124.
12 M. GOBERT, “L’enfant et les adultes”, JCP, 1971, I, 2421.
13 C. NEIRINCK, La protection de la personne de l’enfant contre ses parents, LGDJ, 1984, coll. Bibliothèque de droit privé tome 182, sp. no 15 et 16 ; E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, thèse Paris II, 1985.
14 Il convient d’observer que si le Code civil comporte au titre 9 du livre I un chapitre I “de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant” et un chapitre II “de l’autorité parentale relativement aux biens de l’enfant”, ce dernier chapitre se borne pour l’essentiel, dans l’article 382, à opérer un renvoi vers l’administration légale organisée dans le titre 10. La structure aujourd’hui vieillie du Code favorise une simplification entre la personne de l’enfant et ses biens qui n’est pas suffisante et qui est peu opérationnelle. Pour cette raison il nous paraît indispensable d’opposer le pouvoir de décision de l’autorité parentale au pouvoir de représentation qui relève exclusivement l’administration légale : C. NEIRINCK, “La dualité de régime de l’administrateur ad hoc des mineurs”, JCP, 2000, I, 228.
15 Sur la différence entre administration légale et autorité parentale V. M. BRUGGEMAN, op. cit., no 73 à 130.
16 C. civ., art. 372-2.
17 Selon l’étymologie même du mot “acte”, issu du participe présent actum du verbe latin agere, “faire”, qui permet de traduire l’activité humaine.
18 L. no 85-1372, relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs
19 M. BRUGGEMAN, op. cit., no 289 et s.
20 C. civ., art. 371-1 al. 3.
21 C. BRIERE, “La coparentalité : mythe ou réalité ?”, R.D. sanit. soc., 2002, p. 567, cependant ce caractère désuet est affirmé mais non démontré.
22 “Les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants”.
23 V. par ex. Versailles, 3 oct. 1996, D., 1998, somm. 30, obs. GRANET, “comme les parents mariés, les parents naturels ont l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants conformément aux dispositions de l’article 203”. V. M. CAMASSES, Essai sur la modernisation de l’obligation d’entretien, thèse dactylographiée, Toulouse, 2003.
24 L’obligation d’entretien conduit les parents à souscrire de nombreux contrats que certains ont tendance à rattacher soit à l’autorité parentale, soit à l’administration légale, signe de la confusion qui règne en la matière. Prenons l’exemple du contrat médical passé entre le parent d’un enfant malade et un médecin libéral. Dans ce contrat le parent ne représente pas l’enfant ; il s’engage personnellement à payer ses honoraires : il ne s’agit donc pas de l’administration légale. Ce faisant le parent exécute son obligation d’entretien, assumant ainsi le côté économique de la prise en charge de l’enfant. En revanche, le choix du médecin et du traitement relève bien de l’autorité parentale.
25 C. civ., art. 371-1 al. 2.
26 C. civ., art. 372.
27 C. civ., art. 373-2.
28 C. civ., art. 286.
29 C. civ., art. 373-2-1.
30 L. GAREIL, op. cit., no 319.
31 Tant qu’une reconnaissance notariée n’est pas transcrite en marge de l’acte de naissance, elle ne produit aucun effet.
32 L’acte de notoriété prévu à 311-3 du Code civil est mentionné en marge de l’acte de naissance de l’enfant.
33 C. civ., art. 373-2-1.
34 C. civ., art. 373-2-8.
35 C. civ., art. 373-2-8.
36 C. civ., art. 372-2.
37 C. civ., art. 373-2-9.
38 CA Bastia, 23 déc. 2003, A.J. famille, no 3/2004, p. 100 : cette décision concernait un enfant de deux ans et demi, or les enfants très jeunes sont particulièrement sensibles à l’impression d’insécurité qui peut résulter de l’absence de concertation des parents.
39 Par exemple CA Saint-Denis de la Réunion, 26 déc. 2003 : “attendu que le désir de l’enfant est généralement d’être “avec Papa et maman” ; que la garde alternée est par nature plus proche du souhait de l’enfant...”, AJ. famille, no 3/2004, p. 100.
40 Très souvent des professionnels de l’enfance posent cette question “qu’est-ce qu’on risque si on ne respecte pas l’autorité parentale ?” et il est vrai que sauf exception, en fait si non en droit, ils ne risquent pas grand chose.
41 art. 11 al. 2 de la loi no 2002-305.
42 Il ne s’agit pas, par cette mention de suggérer une fraude ou de porter un jugement de condamnation mais d’évoquer des situations bien connues des caisses d’allocations familiales.
43 C. civ., art. 373-2-7.
44 C. civ., art. 376-1.
45 Le plus souvent l’application de l’article 373 résulte de la seule déclaration du parent qui exerce l’autorité parentale ; l’autre parent n’étant pas informé ne peut s’opposer à sa décision, ce qui explique le contentieux quasi-inexistant que suscite cette disposition : à quoi bon s’opposer après-coup à une décision qui ne s’est pas révélée néfaste pour l’enfant ?
46 “L’enfant, l’adulte, la loi : l’ère du soupçon ?”, Les Recherches du GRAPE, Erès, 2001.
47 Enfants victimes d’infractions pénales : guide de bonnes pratiques par le Ministère de la Justice, Direction des affaires criminelles et des grâces conjointement avec le Ministère de la jeunesse, de l’éducation et de la recherche, Direction de l’enseignement scolaire : http.//www.Justice.gouv.fr, p. 25.
48 CASF, art. 226-4.
49 C. civ., art. 373-2-8.
50 C. civ., art. 377 et 377-1.
51 C. civ., art. 375-3.
52 C. civ., art. 380.
53 C. civ., art. 375-3, al. 3.
54 C. civ., art. 377.
55 CSP, art. L. 2212-7.
56 M. CONTIS, “Le mineur qui veut échapper à l’autorité parentale”, La famille que je veux, quand je veux ?, Erès, 2003, p. 168 et 172.
57 CA Nancy, 3 déc. 1982, JCP, 1983, II, 20081, note G. RAYMOND.
58 Il est significatif par exemple que le Rapport du groupe de travail présidé F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, “Rénover le droit de la famille – propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps”, sept. 1999, chap. Il, §1, B, précise pour “souligner le caractère intangible de l’autorité parentale : que l’on vive ou non avec l’enfant, que l’on partage ou non l’exercice de l’autorité parentale, on est parent pour toujours. Nul, sinon le juge ne peut remettre en cause le caractère intangible des liens entre l’enfant et ses parents”. Or ce qui est décrit dans ce passage relève de la “filiation” et non de “l’autorité parentale”.
59 C. civ., art.371-1 al. 3.
60 S. THOURET, “La loi no 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale ou la recherche d’une véritable coparentalité”, Procédures, mai 2002, p. 8.
61 Les sciences humaines, la sociologie en particulier, font référence à la parentalité et plus particulièrement au soutien à la parentalité : le législateur a consacré cette notion dans l’article 373-2-11, 3° : lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération... « l’aptitude de chaque parent à assumer ses devoirs...” ; C. NEIRINCK, “Parenté et parentalité, aspects juridiques”, Lien familial, lien social, sous la direction de M. DELAGE et Ph. PEDROT, Presses universitaires de Grenoble 2003, p. 59.
Auteur
Professeur de droit privé, responsable du Centre de Droit privé (EA1920) - Directeur du Centre Droit de la Famille
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