L’émergence de la conception moderne de la représentation juridique : une influence italienne ?
p. 167-202
Texte intégral
1En 1919, s’expliquant sur la possibilité et l’intérêt d’une comparaison entre les droits français et américain, Ed. Lambert érigeait le droit français en common law des pays de langue latine, tout en le dilatant considérablement puisque, à ses yeux, ce droit français-droit commun ne se réduisait pas aux codes napoléoniens ni aux lois françaises postérieures, mais renfermait également, sous forme de synthèse, des « éléments nouveaux apportés par la doctrine italienne, espagnole, hispano-américaine, etc. » et par « la pratique judiciaire des autres pays » de langue latine. La place particulière qu’Ed. Lambert pensait ainsi conférer au droit français lui venait donc de ce que ce droit avait en quelque sorte pour fonction de fusionner et de condenser des apports étrangers ; une fonction qui, aux yeux d’Ed. Lambert, s’expliquait par le fait que le droit français « est la législation-mère de toutes les législations de ce groupe [les droits des pays de langue latine], parce que c’est par l’intermédiaire de notre Code civil que tous ces droits se relient au droit romain » (et, plus spécialement encore aux yeux de Lambert, au droit romain médiéval). Ed. Lambert ajoutait, sans toutefois mentionner l’Allemagne : « par sa masse, notre doctrine attire à elle les doctrines filiales moins compactes et en absorbe peu à peu l’essentiel »1. Pour illustrer ce que pourrait être une histoire comparée des droits italien et français et vérifier le bien-fondé des affirmations d’Ed. Lambert, on a choisi l’exemple d’une technique juridique importante dans le champ des actes juridiques, la représentation juridique, au motif que des juristes de chacun de ces deux droits nationaux sont parvenus en 1927, dans le Projet franco-italien de Code des obligations et des contrats2, à se faire de cette technique une conception non seulement commune, mais différente de celle dont on soupçonnait jusqu’alors la présence dans le Code civil français (1804) et dans le Code civil italien (1865), et qu’on appelle la théorie moderne de la représentation. D’une telle convergence, le rapport qui accompagne la publication du Projet dit qu’elle a été préparée par la doctrine et la jurisprudence. On cherchera donc à voir quand la conception à l’œuvre dans ce Projet a émergé en France, et on se demandera si elle a été, dans la doctrine française, un pur produit d’importation ou une génération spontanée. Il s’agira donc tout à la fois d’observer l’éventuelle circulation des idées juridiques, si elles circulent – histoire comparée des idées juridiques –, et d’identifier les jalons qui, lentement, ont préparé le terrain à la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 qui, dans le tit. iii du liv. iii C. civ., a introduit, dans la section relative à la validité du consentement, un paragraphe spécial dédié à la représentation (art. 1153 à 1161) exposant un ensemble de règles valables pour toutes les hypothèses de représentation, légale comme conventionnelle – histoire interne du droit français –. On arrivera à la conclusion que l’étude du développement, en France, de la théorie moderne de la représentation juridique conforte, mais seulement partiellement, le point de vue d’Ed. Lambert : si c’est bien ailleurs qu’en France que cette théorie s’est d’abord développée avant d’être progressivement adoptée par quelques juristes français, puis finalement, mais tardivement, par la législation, c’est en Allemagne d’abord, et non pas dans l’un des droits des pays latins, que cette théorie moderne a vu le jour.
2Après avoir dit quelques mots du Code civil français et de son interprétation classique, et envisagé les naissances allemande puis italienne de la théorie moderne de la représentation, il nous faudra donc revenir en France, pour tenter de prendre la mesure de la pénétration de ces idées nouvelles dans la doctrine française, avant et après l’élaboration du Projet franco-italien.
I. Le Code civil français et son interprétation classique
3Ceux qui, à partir du tournant des xixe et xxe s., critiquent l’idée que, la représentation étant devenue la ratio même du mandat, le mandat et le rapport de représentation doivent être confondus, expliquent une telle confusion par l’histoire : depuis que, sur l’exemple du droit canonique, le droit français a admis la règle Qui facit per alium est perinde ac si faciat per ipsum exposée dans le Sexte, les juristes français auraient rattaché la représentation au mandat et vu en elle la substance même du mandat, confondant ainsi l’acte qui régit les rapports entre représentant et représenté et le rapport juridique que constitue la représentation juridique, i.e. le fait qu’un acte puisse obliger celui qui, concrètement, n’y a pas pris part. Cette conception, qu’ils dénomment souvent « théorie classique », pour ancienne qu’elle soit, ne leur paraît pas rendre compte de la réalité, notamment dans la mesure où il existe des cas dans lesquels un individu, pourtant qualifié mandataire, ne représente pas un autre que lui, par exemple le commissionnaire, de sorte que, en droit français, un mandataire n’est pas toujours un représentant.
4Mais cette théorie classique est-elle dans le Code civil, ou n’est-elle pas plutôt le fruit de son interprétation ? Tout au long du xixe s., les civilistes français sont en effet persuadés que le Code civil a fait de la représentation la substance même du mandat et que l’intervention d’un tuteur, par exemple, relève d’une autre logique. Pour preuve, ils soulignent que le Code civil ne consacre pas de dispositions propres à la représentation juridique dans ce qu’ils considèrent comme le siège de la théorie générale de l’obligation et du contrat, à savoir son livre iii, titre iii, Des contrats ou des obligations conventionnelles en général. Forts du constat d’après lequel, à l’intérieur du chapitre ii, Des conditions essentielles pour la validité des conventions, la section i consacrée au consentement n’évoque, à propos des tiers, que la stipulation pour autrui et la promesse de porte fort, ils expliquent que c’est dans le titre xiii du livre iii consacré au contrat spécial de mandat qu’il faut rechercher les règles qui régissent le pouvoir qu’un individu peut donner à un autre de faire quelque chose à sa place, comme si représentation et mandat ne faisaient qu’un. Ils ajoutent que le Code civil voit dans le mandant le vrai cocontractant du tiers.
5Relisons toutefois l’art. 1984 C. civ. : « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». Pris à la lettre – et c’est l’interprétation qu’en proposera Pilon dans sa thèse3 –, il est parfaitement possible de lire dans cet article la distinction entre, d’un côté, le mandat, considéré comme un acte juridique conclu entre le représentant et le représenté et, d’un autre côté, le pouvoir de représenter conféré par cet acte juridique (« acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir »). Formellement, la lettre même de l’art. 1984 C. civ. distingue la source du pouvoir du pouvoir lui-même. Quant à l’art. 1998 C. civ., il impose au mandant, lorsque le mandataire s’est maintenu dans les bornes de sa mission, « d’exécuter » les « engagements contractés » par le mandataire, comme si le mandant n’intervenait qu’au stade de l’exécution du contrat conclu avec le tiers, et non pas au stade de sa formation ; formulation qui mérite d’être rapprochée de celle de l’art. 2009 C. civ., qui évoque également les « engagements du mandataire », pour rappeler qu’ils doivent être « exécutés » par le mandant ou ses héritiers à l’égard des tiers qui ont de bonne foi ignoré la cause qui a mis fin au mandat. On pourrait en déduire que, comme dans ce que les Allemands appelleront la Repräsentationstheorie, c’est bien le mandataire qu’il faut considérer comme le cocontractant du tiers, ce que les travaux préparatoires du Code civil ne contredisent pas lorsqu’ils insistent sur le fait que l’action du mandataire doit être conforme aux « intentions tracées dans le mandat » : rappeler ainsi l’importance de la volonté du mandant, ce n’est pas nier l’idée selon laquelle le mandataire déclarerait, en agissant avec le tiers, une volonté propre, c’est tout simplement dire qu’il suffit, pour que le mandant doive exécuter les engagements pris par le mandataire, que, pour la formation du contrat qu’il a conclu, il ait déclaré une volonté conforme à celle du mandant, i.e. conforme à la mission qu’il lui a confiée, ce qui ne peut se vérifier qu’à la lecture du mandat (le Code civil ne faisant pas expressément de la déclaration par le mandataire qu’il agit pour le compte d’un autre une condition de la représentation). En outre, le fait que l’art. 1994 C. civ. croit utile de souligner que le mandat ne se forme « que par l’acceptation du mandataire », alors que la règle consensualiste dispensait d’une telle précision, est peut-être une manière de marquer que le rapport de représentation est le résultat au moins autant de la volonté du représenté que de la volonté du représentant.
6Cela dit, et en premier lieu, les rédacteurs du Code civil n’ont pas tiré toutes les conséquences d’une telle distinction entre la source du pouvoir et le pouvoir lui-même, sinon ils auraient adopté une conception générique et unitaire de la représentation juridique, propre à se décliner en fonction de chacune de ses sources possibles, la volonté des parties (représentation conventionnelle) ou la loi (représentation légale). Ils semblent n’opérer cette distinction que dans la mesure où, lorsque le mandataire a accompli sa mission, il faut envisager distinctement la question des rapports entre le mandant et le mandataire, et la question des rapports entre le mandant et le cocontractant. Des deux questions, c’est d’ailleurs la première qui intéresse le plus les rédacteurs du Code, puisque la plupart des dispositions du titre xiii visent à régler les rapports entre le mandant et son mandataire. En second lieu, les travaux préparatoires, d’ailleurs laconiques sur ce point, parlent parfois du mandataire comme d’un « commettant », un « simple organe » du mandant, et ils voient dans le mandat à la fois l’acte sur la base duquel les relations entre représentant et représenté doivent être réglées, et l’acte par lequel pouvoir est donné à un individu par un autre d’agir pour son compte.
7Pour le dire autrement, les rédacteurs du Code civil ont hésité. Sans doute ces hésitations s’expliquent-elles par l’influence de Pothier, chez qui ces derniers ont abondamment puisé pour la rédaction du livre iii, titre iii du Code civil4. On découvre en effet chez Pothier trois éléments importants. D’abord, l’idée même de représentation juridique, i.e. la règle selon laquelle l’acte conclu produit directement ses effets sur la tête du représenté (d’après Pothier, sur la base d’une fiction). Le mandat est en effet défini par Pothier comme le contrat par lequel « le mandant charge le mandataire de faire, pour lui et à sa place, une affaire », de sorte que le mandant est « censé la faire lui-même par le ministère de son mandataire ». C’est le cas de dire : Qui mandat, ipse fecisse videtur5. Ensuite, une conception presque générale de la représentation juridique. La question du pouvoir d’engager autrui n’est en effet pas traitée par Pothier exclusivement dans son Traité du mandat. Elle est également évoquée dans le Traité des obligations6, à propos du principe de l’effet relatif des obligations et comme exemple de cas dans lesquels on peut stipuler et promettre par le « ministère d’un tiers » sans tomber sous le coup de la prohibition des stipulations pour autrui. Or, envisageant ces cas, Pothier mentionne à la fois des hypothèses de représentation légale (représentation par un tuteur, un curateur) et des hypothèses de représentation conventionnelle (mandat). Mieux : il saisit l’occasion pour formuler un certain nombre de règles, dont la caractéristique est précisément d’être communes et applicables à toutes ces hypothèses, comme si ces règles constituaient le régime de droit commun de la représentation juridique quelle qu’en soit la source. C’était là une manière de prendre ses distances avec la tradition issue du droit romain, dont les rédacteurs du Code n’ont pas su ou voulu tirer toutes les conséquences. Enfin, on trouve chez Pothier l’idée que le mandataire contracte ; idée qui, cette fois, trahit une forme – relative – de fidélité au droit romain, lequel tenait, concrètement et juridiquement, le mandataire pour le seul cocontractant de l’acte conclu avec le tiers. On pourrait toutefois affirmer que, chez Pothier, tout le monde contracte, soit concrètement soit par fiction. Le mandataire, pour l’exécution du mandat, contracte réellement avec le tiers. Mais s’il lui signale agir en qualité de mandataire, le mandant est alors censé contracter par son « ministère » et s’obliger « envers les personnes, avec lesquelles son mandataire a contracté en cette qualité », ce qui, conformément au principe de la représentation parfaite, exonère le mandataire de toute obligation envers le tiers parce que, alors, « ce n’est pas lui qui est censé contracter »7. Censé contracter : on a affaire ici à une fiction8 qui, comme toute fiction, ne consiste pas à nier la réalité – en réalité, c’est bien le mandataire qui contracte –, mais à faire comme si autre chose s’était produit. Si, au contraire, le mandataire a contracté « en son propre nom », il devient le débiteur ou créancier principal de son cocontractant, et le mandant, loin d’être exclu du rapport obligataire ainsi créé, y prend la position de créancier ou de débiteur conjoint9. Cela dit, le Traité du contrat de mandat est presque tout entier consacré à l’exposé des rapports mandant/mandataire et ne consacre que quelques lignes aux rapports entre le mandataire et le tiers contractant, comme si le mandataire n’intervenait que pour prêter son ministère au mandant, lequel est censé faire lui-même. De là le fait que les rédacteurs du Code civil aient vu en lui un simple organe du mandant.
8Quoi qu’il en soit, l’absence, dans le Code civil, de toute réglementation générale relative à la représentation juridique quelle qu’en soit la source constitue pendant longtemps, en doctrine, un obstacle au développement d’une théorie générale et unitaire de la représentation juridique. Jusqu’à la fin du xixe s. au moins, l’attitude qui consisterait à dissocier le mandat – contrat – de la représentation juridique – pouvoir d’agir – en vue d’élaborer une théorie générale de la représentation est loin de s’imposer. Aubry et Rau, bien qu’ils soulignent, à partir de la quatrième édition de leur Cours (1871), que les termes de l’art. 1984 C. civ. conviennent davantage à la procuration par laquelle le pouvoir est conféré, i.e. à « l’acte instrumentaire », qu’à « la convention même de mandat »10, laissant ainsi supposer qu’il conviendrait de distinguer le pouvoir de représenter de sa source, font par exemple le choix, même après l’adoption du BGB, de ne pas traiter la représentation juridique comme une technique autonome11. Labbé a beau signaler à ses collègues qu’ils cèdent trop facilement à la tendance fâcheuse qui consiste à donner au mot représentant un sens très large, trop « vague »12, rien n’y fait. Pour la plupart des juristes français du moment, la technique de la représentation juridique repose sur des bases considérées comme des évidences : elle ne s’exprime véritablement qu’en tant que représentation conventionnelle, mise en œuvre au moyen d’un contrat – le mandat –, dont les traits caractéristiques sont identifiés (au mieux s’évertue-t-on à mieux distinguer le contrat de mandat du contrat de louage de service, en mettant en exergue le critère de la gratuité). Au moyen du mandat est à l’œuvre la fiction juridique par laquelle la personnalité du représenté se trouve transportée sur la personnalité d’emprunt du représentant, explique M. Boyer dans la thèse qu’il soutient à Toulouse en 1898. On ne saurait dire plus clairement que le représentant ne peut être juridiquement considéré comme le véritable cocontractant du tiers, ce que Labbé enseignait déjà13 et que E. Magnin confirme, en soulignant que c’est en vertu d’une fiction juridique que le droit autorise une personne (le représenté) à sortir « d’elle-même, en quelque sorte pour revêtir la personnalité » d’un autre, le représentant14. La plupart des auteurs15 critiquent d’ailleurs la rédaction de l’art. 1998 C. civ., qui évoque les engagements contractés par le mandataire, au motif que le mandant est le seul contractant parce que tout repose, à travers le mandat, sur sa volonté. Nombreux sont donc ceux qui, en France et avant l’entrée en vigueur du BGB, demeurent fidèle à l’idée que la représentation est une fiction en vertu de laquelle le représenté est censé manifester sa volonté par l’intermédiaire du représentant qui n’est, au fond, que le véhicule de la volonté du représenté. Une telle conception est censée correspondre, pour ces auteurs, aux vues subjectivistes qu’ils prêtent au Code civil : puisque l’obligation conventionnelle repose sur l’échange des consentements, i.e. l’accord des volontés, on ne peut être débiteur qu’en l’ayant voulu, de sorte que, malgré la lettre de l’art. 1998 C. civ (qui parle des engagements « contractés par le mandataire »), nos auteurs tiennent que c’est bien le mandant qui contracte.
9C’est un tout autre discours qui émerge dans la doctrine allemande à partir de la seconde moitié du xixe s., puis en Italie.
II. Le développement de la dissociation mandat/représentation
10Dans la zone germanique, ce n’est ni dans le Codex Maximilianeus Bavaricus Civilis (1756), qui n’opère aucune distinction entre mandat et procuration, comme si le pouvoir de représenter ne pouvait découler que d’un mandat, ni dans l’Allgemeine Landrecht für die Preußischen Staaten (1794), qui réglemente le Vollmachtsaufträge16 et dispose que l’incapacité de contacter du mandataire n’empêche pas le mandant et le tiers d’être liés (§ 1018), comme si la personne du mandataire et sa volonté propre s’effaçaient totalement, ni enfin dans le Code civil autrichien (ABGB, y compris après la réforme de 1916), qui évoque pour sa part un Bevollmächtigungsvertrag (contrat pour déléguer un pouvoir, § 1002) et qui le plus souvent ne traite de la représentation qu’à travers des contrats spéciaux, en fait le mandat17, qu’il faut rechercher les prémisses de la théorie moderne, mais plutôt dans la doctrine. En dehors de certains pandectistes restés attachés au modèle romain, qui rejettent donc toute idée de représentation directe et admettent, au mieux, le mécanisme romain de la cession des obligations contractées par le représentant vers le représenté, sous le nom de Zessionstheorie – pour certains même, seules les actions qui sanctionnent ces obligations peuvent être cédées par le représentant –18, une partie de la doctrine germanique cherche en effet à rendre compte de la pratique et à saisir les caractéristiques propres de la représentation directe, le plus souvent en dépassant la seule hypothèse du mandat. Ces auteurs sont d’accord pour dire qu’il y a représentation directe lorsque les effets d’un acte conclu par un individu se produisent immédiatement sur la tête d’un autre, appelé le représenté. En revanche, ils adoptent des explications souvent divergentes d’un tel phénomène, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer qui doit être considéré comme le véritable cocontractant du tiers. Pour Savigny s’instaure, en cas de représentation juridique, une dissociation entre les contractants (ceux qui sont présents au moment de la formation du contrat) et ceux qui sont parties au contrat (ceux sur qui les effets du contrat vont rejaillir)19. Rejetant la théorie de la fiction, il considère le représentant comme un simple messager, porte-parole du représenté, un nuntius, qui, lorsqu’il agit avec le tiers, ne déclare pas sa propre volonté mais celle du représenté. Bien qu’il prenne le droit romain pour point de départ, il construit ainsi une théorie qui fait du représenté le véritable auteur du contrat (Geschäftsherrentheorie : théorie du propriétaire/maître du contrat). Dans un tel système, dont le BGB prendra l’exact contre-pied, l’acte conclu avec le tiers ne saurait être regardé comme le fruit de la volonté du représentant. Sans nécessairement partager cette conception du représentant comme nuntius, Ruhstrat, Hellman, Scheurl, Canstein ou encore Dernburg considèrent également que le représenté est le seul véritable cocontractant du tiers.
11Une telle conception se heurte cependant aux situations dans lesquelles le représenté est frappé d’une incapacité juridique, comme c’est par exemple le cas dans les hypothèses de représentation légale de protection, et, prise à la lettre, elle interdirait de prendre en compte un dol ou une violence dont seul le représentant aurait été victime, puisqu’il n’est pas considéré comme un contractant. C’est sans doute la raison pour laquelle B. Windscheid au contraire considère le représentant comme le véritable cocontractant, au motif que l’acte conclu avec le tiers n’est pas le résultat direct de la volonté du représenté, et enseigne en conséquence que c’est seulement en vertu d’une fiction juridique que le représenté peut être tenu pour créancier ou débiteur comme s’il avait contracté lui-même20. La Repräsentationstheorie, qui se développe notamment sous l’impulsion de Jhering, considère également le représentant comme le véritable cocontractant, parce qu’elle prend en compte la volonté de celui qui, directement et réellement, a pris part à la formation du contrat avec le tiers, i.e. le représentant, dont la volonté se substitue à celle du représenté et produit ses effets directement dans le patrimoine du représenté. À l’instar de Jhering, Unger décrit également la représentation juridique comme un lien direct entre le représenté et le tiers, qui justifie que l’un puisse agir contre l’autre sans recourir à la médiation du représentant ; en conséquence, il critique l’idée que les obligations naissent d’abord sur la tête du représentant pour être ensuite transférées au représenté. Cette technique, comparable, au plan concret, aux pratiques imaginées par le droit romain, ne relève pas selon lui de la notion de représentation, même qualifiée indirecte, l’expression représentation indirecte constituant d’ailleurs à ses yeux une contradictio in adiectio.
12Cette Repräsentationstheorie, que les rédacteurs du BGB adopteront, revient donc à distinguer, au plan externe, la représentation comme rapport juridique entre le représenté et le tiers (Vollmacht, procuration) et, au plan interne, la cause du pouvoir de représenter (Auftrag – mandat –, loi…), qui sert seulement à régler les rapports entre le représenté et son représentant. C’est cette distinction que les auteurs allemands finissent par désigner sous le nom de Trennungsprinzip (principe de séparation), dont les prémisses sont sans doute chez Brinz, qui enseignait qu’un contrat de mandat emporte nécessairement un pouvoir d’agir (afin que le représentant puisse exécuter le mandat) tout en admettant la technique de la représentation indépendamment du mandat21.
13En législation, la préparation du Code de commerce de 1861 (ADHGB) est une première occasion de distinguer la procuration-pouvoir de représenter (Prokura), qui sert à régler les rapports du représentant avec ceux avec lesquels il contracte, du rapport qui se noue entre lui (Faktor) et le représenté (Prinzipal). Mais cette distinction, si elle se traduit d’une certaine manière dans le fait que le § 227 de l’ADHGB finalement adopté considère qu’une procuration émise par un homme d’affaires pour son commerce n’est pas annulée par le fait de son décès (sauf si une volonté contraire ressort de sa déclaration ou des circonstances), n’équivaut pas à une séparation franche, dans la mesure où la procuration semble nécessairement liée à l’acte qui lui sert de cause, l’Auftrag des Faktors, i.e. le mandat donné par le représentant. Quoi qu’il en soit, c’est à partir de ce code que P. Laband, persuadé que l’assimilation du pouvoir-procuration (Vollmacht) au mandat empêche de bien comprendre la nature de la représentation juridique, propose, dans un article publié en 1866 au Zeitschrift für das gesamte Handelsrecht und Wirtschaftsrecht, de les dissocier clairement, et explique qu’ils sont soumis à des conditions qui leur sont propres et qu’ils développent leurs effets indépendamment l’un de l’autre22. Et c’est sur la base de ce code encore, et de la théorie nouvelle exposée par Laband, que L. Ladenburg, à partir d’un article de 1868 paru dans la même revue, popularise la thèse de l’indépendance de la procuration par rapport à sa causa, i.e. la thèse de l’abstraction, en affirmant que « die Vollmacht ist hunabhängig von ihrer causa »23.
14Une deuxième occasion est offerte par l’élaboration du Code civil de Saxe (Sächsisches Bürgerliches Gesetzbuch, 1863), première codification qui rompt avec la conception traditionnelle consistant à arrimer la représentation juridique au contrat de mandat. Ce code choisit en effet de dissocier les deux et cette dissociation se manifeste, dans son architecture, par le fait que la représentation juridique, en tant que technique générale, est évoquée dans le titre premier de la section 3 de la troisième partie (art. 788 à 791), tandis que le contrat de mandat est évoqué plus loin, à l’art. 1295, qui le définit comme le contrat par lequel, gratuitement, un individu s’engage à agir pour le compte d’un autre. Ce mandataire n’est d’ailleurs pas nécessairement un représentant, comme c’est le cas lorsque les actes qu’il accomplit produisent leurs effets sur sa propre tête et non pas sur celle d’un autre. Au contraire, lorsqu’il y a représentation au sens des art. 788 et sv., l’acte accompli par le représentant produit nécessairement ses effets directement sur la tête du représenté parce que, comme le dit l’art. 788, la déclaration de volonté du représentant remplace celle du représenté, à la condition évidemment que le contenu de cette déclaration entre dans les limites du pouvoir que le représenté lui a donné et que le représentant se soit présenté au tiers comme représentant d’un autre (ce qui n’implique pas qu’il doive déclarer agir au nom et pour le compte du représenté), tandis que la déclaration de volonté adressée par le tiers vaut directement contre le représenté.
15Quant au BGB, c’est dès le premier projet qu’est exprimée très majoritairement la volonté de traiter de la représentation juridique indépendamment de sa cause, dans la future partie générale. En revanche, les avis divergent s’agissant de la question de l’abstraction de la procuration, que les travaux de la deuxième commission finissent par rejeter. Quoi qu’il en soit, la version promulguée du BGB envisage finalement la technique de la représentation juridique au liv. i, sect. iii, tit. v, juste après les paragraphes qui réglementent le terme et la condition, comme si la représentation juridique n’était au fond qu’une modalité possible des actes juridiques. Adoptant pour l’essentiel la conception développée dans le Code civil de Saxe, ce code considère que le mandat, en tant que contrat, ou bien la gestion d’affaires, ne font pas naître la représentation juridique, mais seulement des obligations entre les parties, et que le rapport de représentation n’existe que si le contrat de mandat est accompagné d’une procuration, ou, dans le cas d’une gestion d’affaires, si le géré a ratifié la gestion, la ratification opérant alors comme une procuration à effet rétroactif. C’est donc la procuration ou la ratification a posteriori qui sont la source de la représentation. Il n’y a représentation, à suivre le § 164, que lorsque celui qui n’entend pas faire produire sur sa tête les effets de l’acte qu’il conclut exprime cependant une volonté qui lui est propre. Contrairement à l’hypothèse du messager, le représentant veut et parle, c’est donc sa déclaration de volonté qu’il faut scruter pour déterminer la validité de l’acte qu’elle a contribué à réaliser (§ 166), mais comme les effets de cet acte se produiront sur la tête du représenté, l’efficacité de sa déclaration n’est pas entachée par le fait qu’il soit frappé d’une incapacité d’exercice (§ 165). La loi ne protège en effet les incapables que contre les actes qu’ils font pour eux. Elle n’a pas à s’inquiéter du fait qu’un représenté les ait choisis. Toutefois, le BGB conditionne la représentation au fait que le représentant ait agi au nom d’autrui : sa déclaration n’a d’effet directement pour et contre le représenté que si elle est faite au nom du représenté (« Eine Willenserklärung, die jemand innerhalb der ihm zustehenden Vertretungsmacht im Namen des Vertretenen abgibt, wirkt unmittelbar für und gegen den Vertretenen »). Cela dit, le § 164 précise qu’il n’est pas nécessaire que la déclaration soit faite expressément au nom de la personne représentée, dans la mesure où cette condition peut résulter des circonstances elles-mêmes (« Es macht keinen Unterschied, ob die Erklärung ausdrücklich im Namen des Vertretenen erfolgt oder ob die Umstände ergeben, dass sie in dessen Namen erfolgen soll »). Il n’est donc pas nécessaire d’indiquer le nom du représenté. Il importe seulement, comme on peut le déduire de l’al. 2 du § 164, que la volonté d’agir au nom de quelqu’un d’autre ait été reconnaissable.
16Enfin, en Suisse, après la loi fédérale de 1881 (art. 36 à 49), le Code des obligations de 1911 (CO, art. 32 à 40) traite de la représentation juridique de manière unitaire et en général dans la première partie intitulée Dispositions générales, plus précisément dans le chapitre dédié aux obligations qui naissent des contrats, un choix que certains juristes suisses reprochaient d’ailleurs déjà à la loi fédérale de 1881 : pourquoi ne pas renvoyer ces dispositions aux développements consacrés au contrat de mandat et à la gestion d’affaires, puisque, affirmait par exemple P. Jacottet24, c’est dans le mandat qu’il a reçu que le mandataire puise le pouvoir de traiter avec des tiers ? Quoi qu’il en soit, la loi fédérale de 1881, art. 392, définit simplement le mandat comme le contrat par lequel le mandataire qui l’accepte s’oblige à gérer selon les volontés du mandant l’affaire dont il s’est chargé (sans faire, donc, allusion, aux rapports représenté/tiers contractant), tandis que le CO de 1911 traite au fond le mandat comme une opération proche du contrat de travail. Ces deux textes adoptent la théorie allemande de la Repräsentation, dans des développements qui s’intéressent essentiellement aux conditions de la représentation et qui distinguent selon qu’elle prend sa source dans un contrat ou non. Si le représentant n’a pas fait savoir qu’il agissait pour le compte d’un autre, le représenté n’est pas engagé, sauf si le cocontractant devait inférer des circonstances qu’il devait exister un rapport de représentation, ou s’il lui était indifférent de traiter avec le représentant ou le représenté. Cette règle nouvelle, introduite par la réforme de 1911 à l’art. 32, al. 2 CO, place la loi en conformité avec les pratiques antérieures des tribunaux25. Lorsque le CO aborde la réglementation du mandat (art. 394 et sv.) et de la gestion d’affaires (art. 419 et sv.), il n’a donc plus qu’à évoquer les règles qui régissent exclusivement les rapports entre mandant et mandataire, ou entre géré et gérant d’affaires. Le mandat, pour ne prendre que cet exemple, est un contrat qui n’intéresse que ceux qui y sont parties. De son côté, la doctrine souligne que, en cas de représentation avec pouvoir, le pouvoir peut résulter soit de la loi ou du juge, soit d’un acte juridique – mais, dans tous les cas, « leur effet est identique » –, que le représentant doit être « capable de volonté » (ce qui n’implique pas qu’il jouisse de la « capacité civile »), que l’erreur du représenté n’a aucune importance », mais qu’il en est « autrement » de celle du représentant et que « celui qui est chargé de donner connaissance d’une nouvelle » n’est qu’un messager et non pas un représentant26. Quant au Tribunal fédéral, il n’exige pas que le représentant ait indiqué le nom du représenté et se contente de la preuve qu’il résultait des circonstances que le représentant n’agissait pas en son propre nom (ATF 28 II 520). Il admet que le dol du représentant puisse être opposé au représenté (ATF 31 II 380). En revanche, contrairement au droit allemand, il considère que le représentant qui a agi sans mandat n’est responsable que du dommage subi directement par l’autre partie (Negative Vertragsinteresse), et non pas du dommage complet (Erfüllungs interesse), parce qu’elle peut seulement demander à être replacée dans la situation où elle était avant la conclusion du contrat (ATF 25 II 848).
17En Italie, le Code civil de 1865, assez largement inspiré du Code civil français, n’expose pas non plus une théorie générale de la représentation et ne traite de cette question qu’à l’occasion du contrat de mandat et à propos du contrat de société (art. 1728). Son art. 1736 définit le mandat comme le contrat en vertu duquel une personne s’engage gratuitement ou moyennant une rétribution à accomplir une affaire pour le compte d’une autre personne. Il adopte ainsi une formulation différente de celle du Code civil français, dont l’art. 1984 dit que le mandat donne le pouvoir de faire quelque chose pour le compte du mandant. Pour le reste, le Code civil italien s’écarte peu des solutions du Code civil français. L’art. 1744 se contente de rappeler que, lorsque le mandataire a agi en son nom, le mandant n’a pas d’action contre ceux avec qui le mandataire a contracté, et que ces derniers n’en ont pas contre le mandant. Il n’y a pas, dans ce cas, représentation, et le mandataire est directement tenu envers la personne avec qui il a contracté, comme si l’affaire lui était personnelle. La représentation suppose donc que le représentant ait fait savoir qu’il ne contractait pas pour lui27.
18Mais, dès la fin du xixe s., le fait que de nombreux auteurs italiens se tournent désormais davantage vers l’Allemagne plutôt que vers la France pour l’interprétation de leur code28 explique à la fois l’intérêt théorique pour la question de la représentation juridique et la façon nouvelle d’aborder cette question. Dès 1890, nombreux sont en effet les auteurs italiens qui consacrent à la représentation juridique des développements spécifiques et généraux dont l’objet est d’exposer un régime général applicable à toutes les espèces de représentation. Pour ne citer que ceux qui sont connus en France, on pense à L. Tartufari29, qui traite conjointement de la représentation juridique dérivant de la loi – chap. 6, où il évoque également la gestion d’affaires –, et de la représentation juridique dérivant de la volonté du représentant – chap. 7 : mandat civil ou commercial –, à G.-P. Chironi et L. Abello30, qui traitent de la représentation juridique dans la parte generale, ou encore à N. Coviello31. Sont également connus de certains des juristes français qui s’intéressent à la question de la représentation juridique, spécialement R. Demogue, les travaux de A. Nattini, dont La dottrina generale della procura32 traite ensemble la représentation légale et la représentation conventionnelle et se donne pour objectif, dans un premier chapitre, d’identifier la procura en tant que rapport juridique autonome, pour ensuite mettre au jour la structure de la procuration – chap. 2 – avant d’étudier son contenu – selon qu’elle est spéciale ou générale – et les causes qui mettent fin à la procuration, ou encore le manuel de R. de Ruggiero33. Et parmi les commercialistes, une place de choix revient évidemment à C. Vivante (dont l’influence décisive sur la rédaction des articles consacrés à la représentation juridique dans le Projet franco-italien de Code des obligations est dévoilée par G. Chiodi dans ce volume), qui, dans ses Istituzioni di diritto commerciale, admet l’effet direct sur la tête du représenté sans le truchement de la fiction et enseigne qu’il suffit que le représentant ou le représenté ait fait savoir aux tiers avec lesquels le représentant a traité qu’il n’agit pas pour lui-même mais pour le représentant.
19À croire G. Giorgi, qui soutient des conceptions plutôt classiques, l’émergence d’un tel traitement scientifique de la question de la représentation juridique ne serait au fond que le résultat de l’influence nouvelle exercée par la doctrine germanique sur les juristes italiens, lesquels auraient fini par importer dans leur ordre juridique national une conception qu’il considère, pour sa part, comme assez éloignée de la tradition italienne. Il est vrai que les représentants de la doctrine allemande sont nombreux parmi les références citées par les Italiens, et que l’analyse et la discussion de leurs théories semblent un passage imposé, comme le montrerait à lui seul l’ouvrage de Nattini. Il est vrai également que, depuis 1880, une bonne partie de l’élite économique et intellectuelle italienne regarde volontiers du côté de l’Allemagne, au point qu’on a pu parler d’un « parcours commun italo-allemand »34, et on voit mal pourquoi les juristes (et les idées juridiques) seraient restés en dehors de ce phénomène, alors que ces derniers cherchent précisément à rompre avec une méthode – la méthode française des deux premiers tiers du xixe siècle – qu’ils estiment insuffisamment scientifique35. Cela dit, et de la même façon que sont perceptibles, en Allemagne, des divergences de vue, notamment quant à l’analyse de la situation du représentant, ces auteurs ne parlent pas tous d’une même voix, et leurs analyses évoluent parfois. Chironi par exemple pense d’abord, dans l’édition de 1888 de ses Istituzioni, que le représentant n’est qu’un instrument de transmission de la volonté du représenté (ce qui rappelle l’analyse de Savigny), puis, s’adjoignant la collaboration d’Abello, il finit par opposer le nuntius au véritable représentant qui, lui, au contraire, exprime sa propre volonté. Tartufari se range plutôt à l’avis de Mitteis et adopte la théorie de la collaboration, tandis que A. Giovene et E. Pacifici-Mazzoni placent encore la fiction au cœur du mécanisme de la représentation juridique et, à la manière de Winscheid, pensent que le représentant est le véritable cocontractant mais que, par l’effet d’une fiction, le représenté est censé avoir contracté.
III. Mesurer l’influence en France des idées germaniques et italiennes avant le Projet franco-italien
20L’éventuelle influence que les constructions doctrinales (ou législatives) allemandes, italiennes et suisses ont pu exercer en France suppose, évidemment, qu’elles y aient été connues… Or, à cet égard, un premier constat s’impose : en France, les revues juridiques, pourtant généralement considérées comme un outil efficace de circulation des idées36, n’ont pas joué de rôle significatif dans la diffusion des conceptions nouvelles venues d’Allemagne, d’Italie ou de Suisse. L’innovation législative (relative, compte tenu de l’antériorité du Code saxon) introduite par le BGB n’est pas même relayée : on n’en trouve pas l’écho dans les numéros de la Revue critique de législation et de jurisprudence publiés à partir de 1896, ni dans les numéros de la Revue trimestrielle de droit civil – créée deux ans après l’entrée en vigueur du BGB –, ou ceux de la Revue générale du droit (pour les années 1896 à 1914, période pendant laquelle le caractère novateur du BGB aurait pu susciter l’intérêt) ou encore ceux des Annales de droit commercial. Les Bulletins de la Société de législation comparée – au moins pour les années 1896 à 1908 – ne renferment pas non plus d’études consacrées à la question de la représentation juridique et aucun de ses contributeurs français n’a cru utile d’interpeler ses compatriotes sur une innovation aussi importante que celle que le BGB venait d’introduire. Pourtant riches en comptes rendus d’ouvrages étrangers, ces Bulletins ne signalent pas non plus par exemple l’importante étude consacrée à la représentation par Tartufari, dont la Revue critique de législation et de jurisprudence ne rend pas compte non plus, pas plus qu’elle ne rend compte de la publication du manuel de Chironi et Abello. Quant aux comptes rendus du Traité de droit commercial de C. Vivante publiés à la Revue générale du droit, ils ne disent pas un mot de la question de la représentation juridique. Alors que la doctrine italienne n’est évidemment pas absente des chroniques bibliographiques proposées par ces revues, les réflexions nouvelles qu’elle consacre à cette question ne sont donc pas évoquées.
21Outre les revues, les traductions offrent également un moyen d’accéder facilement aux idées étrangères. Cela dit, la publication à partir de 1904 d’une édition traduite du BGB sous la responsabilité de C. Bufnoir, J. Challamel, J. Drioux, F. Gény, P. Hamel, H. Lévy-Ullmann et R. Saleilles, si elle offre aux lecteurs français un accès simplifié non seulement aux solutions adoptées par le BGB mais également aux discussions doctrinales dont elles procèdent, n’a pas vraiment été l’occasion, pour les civilistes français, de se saisir du droit allemand pour repenser la représentation juridique. Pour ne prendre qu’un exemple parmi les leading civilists, les éditions successives du Traité élémentaire de Planiol ne font pas cas, pas davantage que la première d’ailleurs, de ces discussions et de ces solutions37. Et ceux qui s’écartent des conceptions classiques le font parfois sans l’aide, du moins explicitement reconnue, de cette traduction. R. Demogue par exemple ne la cite que très rarement et préfère s’appuyer sur les auteurs eux-mêmes. On ajoutera que l’Essai d’une théorie générale de l’obligation d’après le projet de Code civil allemand de R. Saleilles, paru en 1890, ne traite pas la question de la représentation juridique (sauf sous l’angle de la représentation en matière délictuelle), ni non plus son Étude sur la théorie générale de l’obligation d’après le premier projet de Code civil pour l’Empire allemand38.
22Quant à la littérature juridique italienne, elle ne fait, pour la matière qui nous concerne, que très exceptionnellement l’objet d’une traduction en langue française. Certes, le Traité de droit commercial de C. Vivante est traduit à partir de 1910, sur la base du texte de la 3e édition italienne, par un jeune docteur en droit, J. Escarra, à l’initiative de la Bibliothèque internationale de droit privé, mais la théorie nouvelle de la représentation qu’il renferme n’attire pas l’attention de l’auteur du compte rendu publié aux Annales de droit commercial. Il faut attendre la publication italienne de la 5e édition, en 1922, pour que l’auteur du compte rendu signale que « cette dernière question [la représentation juridique] en particulier est reprise à la base et l’auteur s’efforce, en tenant compte des données de la pratique fort abondantes en cette matière, de séparer la représentation soit du mandat, soit du louage d’ouvrage ». Le lecteur n’en saura pas plus, mais c’est déjà ça, car les manuels de droit civil, pas plus que les ouvrages spécialement consacrés à la représentation juridique, ne sont quant à eux pas traduits.
23Pourtant, une partie des juristes français commence à prendre quelques distances avec la théorie classique. Si on met de côté, d’une part, ceux qui n’adoptent qu’un seul des deux éléments de la théorie moderne (à savoir : faire une place à la volonté du représentant dans le mécanisme de représentation / faire une place à la représentation dans la théorie générale des actes juridiques), comme par exemple A. Tissier (qui ne dit rien dire de la manière de penser la place de la représentation dans le droit des obligations, mais qui affirme, dans une note au Sirey de 1899, que le représentant est bien le cocontractant du tiers, et qui cite à l’appui de cette affirmation le § 166 BGB, qu’il juge conforme au « principe » même de la représentation39), et, d’autre part, ceux qui se rallient à la théorie moderne mais par le truchement d’autres influences (par exemple, H. Lévy-Ullmann, qui sera membre du comité français de rédaction du Projet franco-italien mais dont les idées sont puisées dans le droit anglais), ils sont, certes, plutôt rares. Mais s’ils sont peu nombreux, ils connaissent parfaitement les discussions allemandes et italiennes.
24Trois noms émergent en effet. En 1897, E. Pilon, qui finira sa carrière à la Cour de cassation et qui, au temps où il sera Professeur à la Faculté de droit de Paris, intégrera le comité de rédaction du Projet franco-italien, publie sa thèse de doctorat, dans laquelle il affirme d’emblée vouloir « dégager une théorie de la représentation qui soit une, homogène, applicable à toutes les hypothèses de représentation, quelle que soit leur forme ». On ne saurait mieux dissocier la représentation juridique du mandat, dont Pilon écrit qu’il n’est pas de son « essence » d’emporter nécessairement représentation40. À la base de cette théorie, il place deux convictions : d’une part, l’idée moderne de l’obligation consiste à l’analyser comme un lien de droit entre deux patrimoines autant sinon plus que comme un lien de droit entre deux personnes ; d’autre part, l’idée qu’il n’y a représentation que lorsque s’établit un rapport direct entre une personne et un tiers consécutivement à un acte accompli par un autre pour son compte. En conséquence, la théorie de la représentation ne devrait embrasser que les règles qui régissent la relation entre le représenté et le tiers, à l’exclusion donc des règles qui régissent le rapport entre le représenté et celui qui agit en son nom. Il s’agit au fond de tirer toutes les conséquences de la « substitution réelle et complète de la personnalité juridique du représentant à celle du représenté »41, pour affirmer clairement que c’est bien la volonté du représentant qui « participe directement et réellement à la formation du contrat » conclu avec le tiers42. Notamment, l’erreur commise par le représentant, la violence qu’il a pu subir devraient être regardées comme des causes de nullité de l’acte qu’il a conclu43.
25Pour conduire ses analyses, Pilon puise abondamment dans la doctrine allemande. Dès les premières pages de sa thèse, il fait appel à Savigny, Jhering et Windscheid parce que, écrit-il, « l’examen du mouvement doctrinal qui s’est produit en Allemagne est ici nécessaire ». Les développements consacrés à la distinction entre représentation parfaite et représentation imparfaite ou entre représentant et simple nuntius (avec référence à Schliemann), à la question de la fiction ou encore, par exemple, à la distinction du mandat et de la représentation (distinction exposée à partir essentiellement des travaux de Laband44) montrent une excellente maîtrise des travaux produits outre-Rhin, depuis Buchka (1832) jusqu’à Mitteis en passant par Laband, Windscheid et les autres. La doctrine italienne apparaît également, quoique de manière moins massive, à travers notamment les travaux de Tartufari, qu’il utilise pour critiquer la théorie de la réalité de la déclaration du représenté (il lui emprunte alors la distinction entre conditions d’efficacité du contrat et conditions de perfection du lien contractuel, i.e. la détermination précise de l’objet du contrat ; distinction essentielle pour admettre l’idée que la volonté du représentant participe à la formation du contrat conclu avec le tiers)45 ou pour discuter les idées de Mitteis46. Dans tous les cas, ces références dénotent une connaissance approfondie, de première main, des auteurs cités, dont les thèses sont exposées avec une grande précision47. Pilon met toutefois en garde son lecteur : il n’est pas question de se faire « esclaves de ces théories ». L’objectif demeure en effet à ses yeux de construire une théorie française de la représentation48, sur la base d’un usage libre et raisonné des ressources allemandes et italiennes, qu’il considère d’abord comme des matériaux.
26Après E. Pilon, ce sont deux éminents civilistes, futurs membres également du comité français de rédaction du Projet franco-italien, qui promeuvent la théorie moderne de la représentation : H. Capitant (et A. Colin) et R. Demogue. Le premier exprime une nette préférence pour l’Allemagne dès la première édition de son Introduction à l’étude du droit civil (1898), qui consacre un paragraphe à la représentation dans les actes juridiques, dans lequel les concepts et le vocabulaire allemands sont fortement présents et dont la bibliographie mentionne, outre le néerlandais J.-E. Goudsmit (Pandecten Systeem, 1866), les Allemands Windscheid et Unger, mais aussi, pour la France, Ortolan. Ce paragraphe est inséré dans la section qui traite de la naissance et de l’extinction des droits qui procèdent des actes juridiques, et, comme dans le BGB, il fait suite aux paragraphes consacrés au terme et à la condition, comme si Capitant à son tour voulait montrer que la technique de la représentation juridique n’était au fond qu’une modalité de l’obligation, plus précisément une modalité qui affecte ses effets. À la doctrine allemande et au BGB, il emprunte l’idée que, en cas de représentation, c’est le représentant qui réalise la déclaration de volonté nécessaire à la formation de l’acte juridique conclu avec autrui, quand bien même, au moyen de cette déclaration, il agit en réalité pour le compte du représenté49. Il faut ainsi, écrit-il, tenir compte de la « présence » du représentant et admettre notamment que c’est dans la personne du représentant qu’il faut chercher si les conditions de validité de la déclaration de volonté qui donne naissance à la convention contractée avec autrui sont respectées50. Il lui emprunte également l’idée de présenter la représentation juridique comme une technique générale relative au pouvoir d’agir, qui ne saurait se limiter à la seule représentation conventionnelle par mandat. Il explique ainsi que le « droit de représenter une personne dans un acte juridique » peut dériver soit de la loi soit d’une procuration, et distingue donc, conformément au BGB, le pouvoir de sa source. Il est cependant difficile de dire si une telle attitude traduit une influence directe de la pensée juridique allemande, dictant une nouvelle manière de penser la représentation juridique, ou si Capitant se contente de reprendre à son compte, parmi les concepts élaborés en Allemagne, ceux qui lui permettent d’exposer sa propre vision de la représentation juridique. On pencherait plutôt pour la seconde branche de l’alternative, en raison notamment du fait que son Introduction n’est pas une œuvre de pure spéculation mais qu’elle a pour fonction d’initier à l’étude du droit français positif, ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi H. Capitant demeure, dans une certaine mesure, lié à la tradition romano-française, comme lorsque, par exemple, pour expliquer que les effets de l’acte juridique conclu par le représentant se produisent immédiatement sur la tête du représenté, il concède que le représentant n’est au fond qu’un « intermédiaire »51. Il lui faut bien en effet rendre compte des solutions adoptées en la matière par le Code civil, notamment celle qui consiste à apprécier les conditions de capacité dans la personne du mandant, ou celle qui admet comme mandataire un incapable (art. 1990 C. civ.), et c’est seulement sous cette condition-là, i.e. sous la condition de leur aptitude à être réutilisées pour rendre compte du droit positif français, qu’il ouvre la porte aux idées venues d’Allemagne.
27Les références étrangères, essentiellement allemandes chez Capitant, se diversifient chez Demogue. Dès 1911, sa manière d’appréhender la représentation juridique dénote. Dans les Notions fondamentales du droit privé, il l’évoque d’abord dans le chapitre consacré à la notion de sujet de droit et à la distinction entre la jouissance des droits et l’exercice des droits, où il fait de la représentation un droit, qui peut découler de la loi ou de la volonté : le droit, pour une personne, le représentant, de participer à l’exercice du droit d’une autre personne, le représenté. Puis il évoque ensemble la représentation conventionnelle et la représentation légale comme manifestations de ce qu’il appelle le phénomène d’autorité privée, i.e. les situations dans lesquelles un individu dispose, vis-à-vis d’un autre, d’attributs qui caractérisent ordinairement l’autorité (comme par exemple un « pouvoir de direction » sur le patrimoine d’autrui). Voilà donc la représentation juridique placée du côté du pouvoir et de l’autonomie du sujet. Dans son Traité des obligations en général cette fois, qui paraît à partir de 1922, c’est au t. i, dans la seconde partie consacrée aux contrats, que la représentation juridique est l’objet, après la déclaration de volonté, d’un chapitre entier (le ch. iii). D’emblée, Demogue insiste sur le fait qu’on ne peut parler de représentation juridique que lorsqu’une déclaration de volonté n’émane pas de celui qui en supporte in fine les effets. À l’appui d’une telle approche, il cite des auteurs allemands (Schlossmann, Oser, Jhering, Windscheid et des commentateurs du BGB) mais aussi italiens, comme Nattini, Ruggiero, Tartufari, Chironi et Abello, et Coviello. Plus loin, il passe en revue toutes les explications doctrinales de l’effet direct du contrat conclu par le représentant sur la tête du représenté, de la fiction chère à Savigny à la Repräsentationstheorie en passant par la théorie de la coopération développée par Mitteis (et adoptée en France par Corbesco52) et les critiques que lui a adressées Tartufari (qui pourtant n’est pas loin d’admettre l’idée de la coopération des volontés respectives du représentant et du représenté dans certains cas de représentation conventionnelle). Sa connaissance de tous ces auteurs paraît directe et découler de la lecture personnelle de leurs ouvrages, comme le montre également le tour d’horizon de droit comparé auquel il se livre, où il souligne que, malgré la structure du Code civil italien, nombre de ses commentateurs (Chironi et Abello, Barassi, Ruggiero, Chironi par exemple) se livrent désormais à une étude générale de la représentation juridique dans leurs ouvrages. Ensuite, il explique que, dans l’acte conclu avec le tiers, c’est bien le représentant qui déclare sa volonté. Lorsqu’un « mandataire achète pour son mandant, un tuteur pour son pupille, le représentant conventionnel ou légal a manifesté sa volonté ». Un représentant légal « manifestera une volonté dans l’intérêt d’une personne qui n’en a pas ou n’en a qu’une défaillante », ce qui montre que le rapport de représentation, contrairement au contrat de mandat, n’a pas nécessairement besoin, du côté du représenté, d’une volonté juridiquement efficace. Et c’est encore cette intervention directe de la volonté du représentant, dont Demogue dit qu’il prend part aux pourparlers et exerce une « surveillance » sur le contrat conclu avec le tiers, qui permet à ses yeux de différencier un représentant d’un simple nuntius, porte-parole chargé par un individu d’adresser à un autre une communication, qui déclare une volonté (celle d’un autre) mais n’est pas « celui qui veut ». Dit autrement : chez Demogue, la place que le droit doit reconnaître au représentant découle d’une vision réaliste du droit.
28Ainsi le droit de représenter, quand il n’a pas sa source dans la loi, a sa source dans la volonté du représentant. Et Demogue de conclure : « La représentation est distincte du mandat, puisqu’il peut y avoir représentation sans mandat (gestion d’affaires, tutelle, etc.), et mandat sans représentation (prête-nom). En soi, la représentation juridique qui ne vient pas de la loi directement (père administrateur, tuteur légal) ou d’une désignation en vertu de la loi (tuteur datif, syndic, etc.) résulte de la seule volonté unilatérale du représentant, et ne suppose pas l’acceptation du représenté, dont l’expression de volonté n’est nécessaire que pour la formation de l’acte juridique qui sert de source à la représentation, laquelle en elle-même relève bien du genre des rapports juridiques établis par la volonté unilatérale d’un individu. Au soutien d’une telle affirmation, Demogue cite à nouveau Tartufari. Et au fait que le Code civil français, art. 1900, admet comme mandataire la femme mariée et le mineur émancipé, et que la jurisprudence admet pour sa part le mineur non émancipé et l’interdit, Demogue répond que la seule capacité exigée du représentant, c’est la capacité naturelle, i.e. la capacité de jouir de ses facultés mentales, et non pas la capacité civile, sans doute parce que cette dernière, comme l’expliquait Tartufari, est relative au représentant et n’a pas de raison d’affecter un acte qui ne produira pas ses effets contre le représentant. En revanche, la règle d’après laquelle l’incapacité du représenté l’autorise à faire annuler l’acte source de la représentation, et en conséquence à faire tomber l’acte conclu par son représentant, doit être comprise, selon Demogue, comme une exception propre à la représentation conventionnelle par mandat, qu’il explique non pas par l’incapacité d’être représenté (le plus souvent, hors mandat, les représentés sont d’ailleurs des incapables), mais par l’incapacité de contracter valablement le mandat, source de la représentation. Au soutien de cette explication, Demogue cite là encore L. Tartufari. Dans le même sens, la règle d’après laquelle, par exemple, la capacité d’acquérir doit s’apprécier chez le représenté lorsqu’il a donné mandat d’acheter s’explique par le fait que le contrat produit directement ses effets dans le patrimoine du représenté : ce n’est pas la volonté du représenté qui est en jeu, mais le but de l’acte conclu avec le tiers. Plus généralement enfin, Demogue donne à la représentation juridique un champ d’application qui dépasse le seul mandat, puisqu’elle peut trouver à s’appliquer en cas de mandat conventionnel, judiciaire ou légal, de gestion d’affaires, mais aussi dans toute une série de situations de fait où elle est rendue nécessaire pour garantir le crédit ou la sécurité juridique des conventions. Les sources de la représentation juridique sont donc multiples, et c’est sous ce rapport que se comprend la distinction, formulée également par G.-P. Chironi et L. Abello, entre la représentation originaire – celle qui résulte d’un droit concédé avant la conclusion de l’acte par le représentant – et la représentation dérivée – celle qui résulte de la ratification de l’acte accompli par le représentant –.
29Que retenir de tout cela, non pas sur le fond, mais du point de vue de la circulation des idées ? Un bilan sans doute mitigé. D’un côté, on l’a dit, les références aux auteurs allemands et italiens sont nombreuses, mais en proportions variées. Chez Corbesco et Capitant, les Allemands dominent (Corbesco cite Vivante pour seul auteur italien). Chez Pilon, ils dominent également, mais la présence de Tartufari est cependant significative, sur des points importants de la théorie moderne. Chez Demogue, les auteurs italiens, sans nécessairement constituer les occurrences les plus nombreuses, sont davantage présents encore. Mais, d’un autre côté, et spécialement chez Demogue, les développements s’appuient également sur la jurisprudence française, et les idées émises en Allemagne et en Italie sont appelées à se concilier avec les conceptions propres de nos auteurs. Chez Demogue notamment, elles viennent s’agencer avec certaines idées générales qui lui sont chères et qui fondent souvent ses raisonnements. On peut songer à la notion de sécurité dynamique, qu’il oppose à la sécurité statique. Par exemple, la formule par laquelle il résume le champ d’application de la notion de représentation juridique – » La représentation a lieu lorsque le représentant se présente comme tel, eut-il excédé ses pouvoirs, pourvu que le tiers avec qui il traite ait agi de bonne foi et sans faute » – lui est inspirée tant par les solutions jurisprudentielles, notamment celles qui admettent la théorie de l’apparence en matière de mandat, que par la primauté qu’il croit devoir accorder à la sécurité dynamique sur la sécurité statique. On peut songer, également, à l’idée de solidarité. C’est en effet pour des raisons sociales, plus spécialement des raisons de « solidarité sociale », de « solidarité active » entre le représentant et le représenté, que le représentant se voit reconnaître « un pouvoir sur le patrimoine d’autrui ». Or c’est en raison de ce pouvoir que le représentant fait usage, en contractant avec le tiers, d’un droit « propre », et c’est également en raison de ce pouvoir qu’il faut apprécier en sa personne la capacité à contacter ou encore les vices du consentement qui peuvent affecter ce contrat.
30Bref, il ne s’agit pas ici d’une simple réception de doctrines étrangères, mais plutôt de tirer profit de ces réflexions pour élaborer une théorie présentée comme originale.
IV. L’impact du PFI
31Le Projet franco-italien publié en 1927 dissocie la représentation juridique, comme pouvoir, du contrat de mandat, qu’il ne considère au fond que comme l’une des sources possibles de ce pouvoir. Le fait qu’il traite cette question dans les dispositions générales (tit. i) montrerait à lui seul la volonté de voir en elle une technique générale apte à obéir à une réglementation valable pour toutes les hypothèses de représentation. On retrouve là une vision incarnée, en législation, par le BGB et le CO suisse, avec la différence que, dans le BGB ou le CO suisse, la représentation est traitée dans le chapitre consacré aux modalités de l’obligation, alors que, dans le Projet franco-italien, elle est évoquée au § 6 de la section 1 du chapitre dédié à l’exposé des sources des obligations. Il n’en demeure pas moins que ce Projet opère un déplacement du regard, du représenté vers le représentant, et s’intéresse davantage à la volonté du représentant : le représentant n’est plus considéré comme un simple messager, il exprime une volonté propre qu’il faut prendre en compte. En conséquence notamment, et de la même manière que le BGB (§ 166) ou le CO suisse, le Projet, art. 31, al. 2, dispose que l’acte conclu avec le tiers est annulable si la volonté du représentant a été viciée. Mais si les al. 1 et 2 de l’art. 31 incitent à voir dans le représentant le véritable cocontractant du tiers (il suffit qu’il ait la capacité de représenter autrui et qu’il exprime une volonté non viciée), l’al. 3, qui souligne que l’acte conclu par le représentant est annulable lorsque la volonté du représenté est entachée d’un vice, « en tant que le représentant n’a fait qu’exprimer la volonté du représenté », dénote. S’agit-il d’une concession à la théorie classique ? S’agit-il de dire, comme dans la théorie de la collaboration, qu’il est des cas dans lesquels l’acte conclu avec le tiers peut être le fruit à la fois de la volonté du représentant et de la volonté du représenté, auquel cas le vice affectant cette dernière autorise la demande en nullité ? Les origines plutôt italiennes de la rédaction de cet article – comme le montre G. Chiodi dans ce volume – incitent à opter pour la seconde branche de l’alternative.
32Quoi qu’il en soit, et du point de vue de la circulation des idées juridiques, il importe de remarquer que, en France, le sort réservé par les principales revues juridiques à ce Projet appelle le même constat que celui qui a été dressé plus haut à propos des innovations consacrées par le BGB en matière de représentation juridique : on n’en trouve aucun écho dans les numéros des années 20 et 30 de la Revue critique de législation et de jurisprudence, ni non plus à la Revue trimestrielle de droit civil et à la Revue générale du droit (pour les années 1927/1928/1929/1930). Seul le Bulletin de la Société de législation comparée fait exception. Il accueille en 1928 une étude de R. Popesco-Ramniceano, dont l’objet est d’attirer l’attention sur les innovations introduites en la matière par le Projet. L’auteur, un an plus tôt, le 23 novembre 1927, avait soutenu devant H. Lévy-Ullmann, Demogue et Fliniaux une thèse de doctorat consacrée à l’étude, comparée, des doctrines et des législations relatives à la représentation dans les actes juridiques.
33Quid cette fois des manuels ou des cours publiés ou enseignés après 1927 et jusqu’à la guerre ? Un coup d’œil même rapide permet de dresser un double constat : d’une part, la présence du Projet s’y fait plutôt discrète ; d’autre part, la théorie moderne de la représentation reste contestée. D’une part, en effet, une relative indifférence accompagne la publication en France de ce Projet, alors que le Comité français de l’union législative entre les nations alliées et amies, présidé par F. Larnaude, réunissait un nombre important des grandes figures de la doctrine privatiste de l’époque (Ch. Lyon-Caen, vice-président ; H. Capitant, secrétaire général ; Bartin ; Baudouin, alors Premier Président de la Cour de cassation ; Colin ; Cuq ; Demogue, E. Gaudemet ; Gény ; Japiot ; Josserand ; Julliot de la Morandière ; Lerebours-Pigeonnière ; Lévy-Ullmann ; Piédelièvre ; Ripert ; Thaller ; Wahl et Weiss). De nombreux ouvrages ne prennent pas même la peine d’en mentionner l’existence. Les éditions du Traité élémentaire de Planiol qui suivent la publication du Projet n’y font pas la moindre allusion pour ce qui concerne notre sujet. En 1937, la Théorie générale de l’obligation d’E. Gaudemet consacre moins d’une page à la représentation juridique, où seule la doctrine classique est exposée et sans jamais évoquer le Projet (ni d’ailleurs la doctrine allemande et italienne). Publié à la veille de la deuxième guerre mondiale, le Précis de droit civil de J. Bonnecase enseigne que le Code civil renferme une « théorie de la représentation dans les actes juridiques », tout en concédant cependant que la matière est « réglementée d’une manière tronquée et à l’occasion de telle ou telle forme particulière de la représentation »53. Sans jamais évoquer ni le BGB ni le Projet, Bonnecase croit pouvoir affirmer que la notion même de représentation est exprimée à l’art. 450 C. civ. relatif à la tutelle, à l’art. 389 C. civ. relatif à l’administration légale et à l’art. 1984 C. civ. relatif au mandat, ce qui revient à dire, conformément à la conception générale et unitaire qui caractérise la théorie moderne de la représentation juridique, que, quelle que soit l’application qui en est faite (représentation légale, judiciaire ou conventionnelle), la représentation obéit à la même idée. Et dans la mesure où c’est spécialement à propos du mandat que le Code civil expose les règles les plus nombreuses, celles-ci ont vocation à s’appliquer aux autres applications de cette notion : il suffit donc, écrit-il, de remplacer les mots mandant et mandataire par représenté et représentant pour se faire une idée de la théorie de la représentation renfermée dans le Code civil.
34Curieusement, certains des membres du comité français ne croient pas non plus utile de s’y référer. H. Capitant reste fidèle, dans la cinquième édition de son Introduction au droit civil (1929), à la théorie unitaire de la représentation, valable quelle que soit la source du pouvoir attribué au représentant54. Il souligne que cette théorie unitaire a donné lieu, en Allemagne, à de « longues discussions », qui n’ont en revanche reçu en France qu’un « faible écho »55 ; il consacre à la matière des développements bien plus amples que dans la première édition – et davantage critiques à l’égard de la doctrine française classique –, mais sans faire grand cas du Projet franco-italien. La définition qu’il donne de la représentation juridique est d’une facture assez nettement allemande : la représentation, c’est le fait que celui qui accomplit l’acte juridique « agit au nom et pour le compte d’une autre personne » et « fait connaître cette intention à celui avec qui il traite »56, avec pour conséquence que les effets « se produisent directement et immédiatement sur la tête du représenté, comme si lui-même avait accompli l’acte »57. Le mandat n’est en réalité qu’une des manières de donner naissance à ce pouvoir d’engager autrui, à côté de la loi et de la gestion d’affaires. Surtout, à ses collègues français, Capitant fait remarquer que la doctrine classique, encore majoritaire, qui fait du représentant le simple intermédiaire du représenté, doit être écartée parce qu’elle ne permet pas de rendre compte de tous les cas de représentation, spécialement ceux dans lesquels la représentation est organisée par la loi elle-même, à propos par exemple d’un incapable : « Lorsque le représentant tient son pouvoir de la loi, il est impossible de prétendre qu’il exprime la volonté de l’incapable, puisque celui-ci peut en être totalement privé »58. Quoi qu’il en soit, lorsque, contrairement à la première édition, qui se limitait à reproduire le rattachement classique de la représentation juridique au mandat, les nouvelles éditions de son Cours élémentaire publié avec A. Colin présentent à leur tour, dans un chapitre intitulé Théorie générale des actes juridiques, une section entièrement dédiée à la représentation juridique (section qui, comme chez Pothier, offre l’occasion de traiter ensemble, comme des manifestations d’une même technique, les hypothèses de représentation légale et les hypothèses de représentation conventionnelle), Colin et Capitant ne font aucune allusion sur ces points au Projet franco-italien.
35La même remarque s’applique à L. Josserand, membre également du comité français de rédaction du Projet franco-italien : s’il le cite parfois, ce n’est pas à propos de la représentation juridique. Conformément à la théorie moderne, il adopte une conception unitaire de la représentation, sans d’ailleurs partager la Repräsentationstheorie allemande. Dans le tome i de la troisième édition de son Cours de droit civil positif français qui paraît en 1938, il place l’étude de la représentation juridique au sein de la théorie générale des actes juridiques. Au n° 156, il la met en relation avec le principe de la relativité des conventions, car si les actes juridiques ne produisent en principe leurs effets qu’entre les parties contractantes, encore faut-il savoir qui elles sont. C’est ici, écrit-il, qu’il faut « parfois percer l’enveloppe pour atteindre jusqu’à la réalité, écarter les contractants apparents pour démasquer les contractants effectifs ». Or ce souci de la réalité, qui conduisait Demogue à voir dans le représentant le cocontractant du tiers, conduit au contraire Josserand à affirmer que le représentant n’est pas partie à la convention qu’il passe pour le représenté et dont les effets se réaliseront dans la personne et dans le patrimoine de ce dernier. Sur ce point, Josserand est d’accord avec G. Ripert. Dans son Cours de droit civil de deuxième année qu’il dispense en 1932-1933, Ripert donne le sentiment d’embrasser ensemble les cas de représentation légale et les cas de représentation conventionnelle (auxquels il ajoute même des cas de représentation « forcée », qui correspondent à la représentation des personnes morales), comme étant des espèces d’un même genre, mais, décrivant l’étendue plus ou moins grande de la représentation, il mêle des situations que d’autres distinguent, à savoir : le représentant comme simple porte-parole (mandataire chargé de signer pour le compte de l’acheteur un acte de vente), le représentant comme mandataire chargé de discuter le contrat à conclure, le représentant qui agit en son nom personnel (le commissionnaire du droit commercial) et, enfin, la gestion d’affaires. Or, admettre que toutes ces hypothèses (on mettra ici de côté la gestion d’affaires) entretiennent une certaine proximité, c’est s’interdire de penser de manière unitaire la relation entre le représentant et le tiers. Dans le cas du porte-parole, Ripert explique que seule la volonté du représenté compte : c’est donc en lui qu’il faut évaluer la qualité du consentement nécessaire pour la formation du contrat. Dans le cas du commissionnaire, il y a, enseigne Ripert, représentation imparfaite et le contrat conclu produit ses effets à l’égard du commissionnaire. Dans le cas du mandataire, qui dispose au contraire d’une certaine marge de manœuvre, Ripert admet que la formation du contrat suppose chez lui une volonté propre, mais explique que la représentation a pour effet de faire du représenté la véritable partie au contrat, en lieu et place du mandataire, dont la personnalité juridique ne doit pas être considérée comme engagée. Le fondement de la représentation est ramené à l’idée libérale et subjectiviste de la volonté : c’est parce que la volonté reste l’élément essentiel du contrat, qu’il est nécessaire, pour expliquer les effets du contrat contre le représenté, d’en appeler à la force de la volonté, laquelle ne peut être que celle du représenté lui-même. On comprend ainsi pourquoi le Cours de Ripert (mais on pourrait dire la même chose des rééditions qu’il donne du Traité de Planiol) ne fait aucune référence au Projet franco-italien, ni aucune mention des discussions qui ont animé la doctrine en France, en Italie ou en Allemagne.
36Dernier exemple : en 1939 paraît le Précis de droit civil publié par L. Julliot de la Morandière d’après le Cours élémentaire de droit civil français de Colin et Capitant. Certains des choix de Capitant s’y retrouvent. La représentation est ainsi évoquée dès le tome i (n° 62 et sv.), comme élément de la théorie générale des actes juridiques. Elle se décline en trois espèces que sont la représentation contractuelle (mandat), la représentation quasi-contractuelle (gestion d’affaires) et la représentation légale ; trois espèces qui relèvent du même genre et sont donc soumises aux mêmes règles, qu’il s’agisse de leurs conditions ou de leurs effets. Pour le reste, la doctrine du Précis n’est pas toujours très claire. D’un côté, en faisant de la représentation juridique une exception à la règle générale d’après laquelle l’auteur d’un acte juridique doit produire lui-même la manifestation de volonté qui donne naissance à cet acte, le Précis semble accréditer, dans une perspective peu conforme au droit allemand, l’idée selon laquelle l’acte conclu par le représentant n’est pas le fruit du concours de sa déclaration de volonté avec celle du cocontractant. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par le fait que le Précis n’attribue comme fondement à la représentation conventionnelle que la volonté du mandant (volonté d’assumer les effets des actes conclus par son mandataire) et celle du cocontractant du mandataire (volonté de contracter en réalité avec le mandant), et réduit le mandataire au simple rôle d’« instrument », de « véhicule de la volonté du mandant ». D’un autre côté, au moment d’évoquer les conditions de la représentation juridique, le Précis enseigne que la manifestation de volonté qui produit l’acte conclu avec le tiers « doit émaner de celui qui agit », i.e. du représentant, de sorte que, par exemple, le représenté pourra invoquer la nullité de l’acte si la volonté du représentant a été affectée d’un vice. On le voit, Julliot de la Morandière hésite, comme il hésitera de nouveau lors des discussions de la Commission de réforme du Code civil qu’il présidera après-guerre. Quoi qu’il en soit, mais cela s’explique peut-être par le format réduit qu’implique le choix d’un précis, il n’est pas fait mention des législations étrangères ni du Projet franco-italien.
V. Après 1945
37Après la deuxième Guerre mondiale, l’idée de dissocier la source du pouvoir du pouvoir de représenter gagne davantage de terrain encore, comme le montrent les discussions qui agitent la Commission de réforme du Code civil instituée auprès du Ministère de la Justice par le décret le 7 juin 1945, et dont la sous-commission Partie générale est chargée de rédiger un projet de partie générale devant prendre la forme d’un livre préliminaire, dans lequel Niboyet demande qu’on inclue la question de la représentation juridique59. C’est finalement la sous-commission Obligation qui s’en charge. Dans son projet, cette dernière consacre la distinction entre le pouvoir de représenter et la cause de ce pouvoir (art. 27) et précise que « les pouvoirs du représentant légal sont fixés par la disposition qui édicte la représentation », tandis que ceux du représentant conventionnel le sont « par le contrat passé entre le représentant et le représenté » (art. 50). Cette sous-commission fusionne ensuite avec la sous-commission Partie générale pour constituer une nouvelle sous-commission dédiée aux Actes juridiques, désormais en charge de la question. Cette nouvelle sous-commission, lors de sa réunion du 28 juin 1947 sous la présidence de Lyon-Caen, adopte à son tour l’idée de « construire une théorie générale de la représentation commune à tous les actes juridiques », plutôt que de « renvoyer cette matière au Livre des contrats », au motif que cette théorie « déborde largement du cadre contractuel » pour s’appliquer aux actes unilatéraux60. Elle propose donc, dans le cadre d’une théorie de l’acte juridique, la rédaction d’un paragraphe entier relatif à la représentation, placé dans la section 1 (Des conditions de validité au fond) du chapitre 1 (De la formation des actes juridiques), après les articles relatifs à la volonté (volonté tacite, engagement unilatéral, vices de la volonté) et au principe de la capacité juridique.
38Dans ce nouveau projet, un art. 26 explicite le principe de la représentation directe (les effets de l’acte passé par le représentant pour le compte du représenté se produisent à l’égard du seul représenté) et un art. 27 consacre la conception unitaire de la représentation (elle produit les mêmes effets, qu’elle résulte de la loi, d’une décision de justice ou de la volonté commune du représentant et du représenté)61. Comme le Projet franco-italien, ce projet opte pour le parallélisme des formes : le pouvoir d’accomplir un acte juridique doit être donné dans la même forme que celle qui est requise pour la formation de cet acte (art. 37). Mais là s’arrêtent les concessions à la théorie moderne de la représentation. L’art. 25 en effet précise que les conditions de validité de l’acte passé par le représentant doivent s’apprécier dans la personne du représenté62. D’après les termes du P-V. de la séance du 28 juin 1947, la sous-commission fait en effet le choix de « mettre l’accent sur la volonté du représenté ». Mais que faire des situations dans lesquelles le représentant n’a pas été en mesure de manifester une volonté réelle ou du cas dans lequel la volonté du représentant, affectée d’un vice, « a abouti à un résultat en contradiction avec celui voulu par le représenté » ? Pour régler ces situations, la sous-commission Actes juridiques ajoute trois précisions, reprises à l’art. 25 : 1°) le représentant doit pouvoir comprendre la portée de la mission qui lui est confiée : c’est l’idée d’une capacité naturelle, intellectuelle (mais on remarquera que l’art. 35 voit dans la disparition de la personnalité juridique du représentant une cause de cessation de la représentation) ; 2°) le vice qui entache la volonté du représenté n’autorise l’annulation de l’acte que si le représentant n’a fait qu’exprimer la volonté du représenté, ce qui revient à dire qu’il y a des cas dans lesquels le représenté et le représentant expriment tous deux leur volonté, et des cas dans lesquels le représentant n’agit en réalité que pour lui-même (mais alors il n’y a pas de représentation) ; 3°) enfin, contrairement à la règle posée en commençant, il est prévu que le représenté, lorsque c’est son intérêt, puisse invoquer, pour annuler l’acte, le vice qui entache la volonté du représentant. En outre, l’art. 28 précise que le représenté n’est engagé que lorsque le représentant a agi dans la limite de ses pouvoirs, ou, s’il a dépassé ses pouvoirs, qu’autant que le représenté a ratifié l’acte. Tout cela reflète au fond un souci de compromis entre la théorie moderne et la théorie classique (mais un compromis plutôt favorable à cette dernière) : la sous-commission estime que la volonté du représenté doit jouer un rôle cardinal, mais elle concède que celle du représentant ne peut être totalement ignorée dans certains cas.
39Le 9 juin 1948, la sous-commission Actes juridiques reprend la discussion de l’art. 25. Julliot de la Morandière fait remarquer que si la conception de la représentation juridique qu’il qualifie « ancienne » – celle qui voit dans le mandat « l’essence » de la représentation – pouvait se justifier au nom d’une conception individualiste du droit, les « conceptions plus modernes », moins individualistes, admettent que l’acte d’une personne puisse engager une autre sans que la volonté de cette dernière ne soit intervenue63. Il souligne que l’allusion au fait que le représentant peut n’avoir fait qu’exprimer la volonté du représenté vise en réalité le cas du nuntius, lequel nuntius (par exemple, l’employé qui apporte une lettre) n’est pas, à ses yeux, un véritable représentant64. Enfin, il acquiesce à la remarque de Niboyet, selon qui il n’est concevable d’apprécier les conditions de validité de l’acte dans la seule personne du représenté qu’en cas de représentation conventionnelle65. Il est d’avis de restreindre la prise en compte des vices de la volonté du représenté aux seuls cas de représentation conventionnelle et estime « entièrement faux » le principe d’après lequel les conditions de validité de l’acte ne s’apprécient que dans la personne du représenté66, sauf à considérer que le représentant n’est que le « porte-parole »67 du représenté, i.e. qu’il ne fait que transmettre la volonté de ce dernier (mais alors, dans la conception de Julliot, il ne s’agit plus d’un représentant stricto sensu, mais d’un nuntius). Toutes ces positions sont approuvées par Charpentier, qui déclare vouloir adopter un point de vue réaliste et affirme que, dans les faits, « c’est le représentant qui est trompé ou qui subit une violence »68.
40C’est alors qu’entre en scène H. Mazeaud. Convaincu qu’on ne peut expliquer que les effets de l’acte conclu par le représentant se produisent sur la tête du représenté que par un mécanisme de substitution du représenté au représentant, il commence par soutenir que les vices de la volonté ne peuvent s’apprécier que chez le représenté, puisque, par l’effet de cette substitution, la personne du représentant « disparaît ». Mais il opère finalement une distinction entre ce qu’il appelle la représentation indéterminée (partant en voyage, je donne mandat à un ami de gérer mes affaires, sans lui donner de consignes spéciales) et ce qu’il appelle la représentation déterminée (lorsqu’un individu donne à un autre l’instruction, détaillée, de faire telle chose pour son compte). Dans le premier cas, seuls les vices affectant la volonté du représentant peuvent être pris en compte, tandis que, dans le second cas, le représentant n’étant qu’un porte-parole, c’est la volonté du représenté qu’il faut prendre en compte69. Sans le dire, il adopte les positions les plus radicales des Modernes : il n’y a représentation que lorsque le représentant dispose d’une marge de manœuvre suffisante, et, dans ce cas, seule sa volonté compte.
41Au terme de ces discussions, lors de la séance du 11 juin 1948, la partie de l’art. 25 consacrée aux vices de la volonté est reformulée, sur la base d’une proposition présentée par Houin, pour devenir le nouvel art. 2270 : « l’absence ou le vice de la volonté s’apprécient dans la personne du représenté ou dans celle du représentant dans la mesure où la volonté de chacun a concouru à l’acte »71. Mais il est difficile de dire si cette nouvelle formulation reprend volontairement la thèse de la collaboration chère à Mitteis et Corbesco, et à laquelle semblait se rallier Demogue, ou si elle ne traduit pas plutôt l’incapacité de la sous-commission à trancher la question de la détermination du cocontractant du tiers.
42Quoi qu’il en soit, les discussions ainsi menées font-elles intervenir des éléments de droit comparé, ou sont-elles l’occasion de citer le Projet franco-italien ? Lors de la séance du 9 juin 1948, Niboyet évoque le cas des Hollandais, qu’il dit « impressionnés par la conception allemande de la représentation » et qui, en conséquence, distinguent le mandat de la représentation et admettent la représentation sans mandat ; il souligne également, par contraste, que « la littérature française, sur ce point, n’est pas très abondante » ; mais il paraît attaché au lien entre mandat et représentation72. Quant à Ancel, mais sans le dire explicitement, il paraît bien opposer une « conception française » de la représentation juridique à la conception allemande, en rappelant que la première, dont il dit qu’elle se retrouve dans « beaucoup de législations latines » (mais il ne dit rien ici du nouveau Codice civile italien !), fait de la représentation une technique « assez exceptionnelle »73, qui n’est admise que dans des cas déterminés. Il faut attendre la séance du 11 juin 1948 pour que, mais sans fioriture, un hommage soit rendu au Projet franco-italien. Comment faire autrement, d’ailleurs, dans la mesure où, comme le rappelle le secrétaire de séance, l’art. 25 reprend pour l’essentiel l’art. 31 de ce Projet74 ? Sur la question de la capacité du représentant (il doit pouvoir « comprendre la portée de l’acte qu’il doit accomplir »), Mazeaud demande ainsi qu’on revienne à la formule du Projet75 et, finalement, l’art. 25 est modifié sur ce point, au profit de la formule suivante : « il suffit qu’il [le représentant] soit capable de représenter autrui conformément à la loi »76. En revanche, aucune référence n’est faite aux doctrines allemandes, ce qui doit se comprendre à la lumière des discussions relatives à l’utilité d’introduire, dans le nouveau Code civil, une partie générale incluant la théorie de l’acte juridique et de la représentation. Au sein de la Commission, Latournerie, membre du Conseil d’État, s’y montre favorable77, ainsi que Niboyet. Mais Julliot de la Morandière se fait plus critique : il ne veut pas d’une partie générale qui ressemblerait à celle du BGB, qu’il juge « de la pure doctrine »78, et il refuse d’introduire dans le futur Code civil une théorie générale de l’acte juridique79. Il est, sur ces points, rejoint par Mazeaud et Ancel, ce dernier reprochant à Saleilles, notamment, d’avoir « pensé à des réformes françaises qu’à l’ombre, pour ainsi dire, du Code allemand »80. L’Allemagne défaite, le moment n’est donc pas à « faire l’apologie » du BGB, ni même à le considérer comme un modèle, ni même un simple exemple81. Il n’en demeure pas moins que, si le travail de la Commission Julliot de la Morandière avait abouti, la représentation juridique y aurait été présentée dans une conception unitaire, ce qui aurait été un premier emprunt, certes pas le plus essentiel, à la théorie moderne de la représentation.
43Quant à la production doctrinale proprement dite d’après-guerre, elle témoigne également de la lente pénétration des idées modernes. Mais si les premiers partisans de la théorie moderne avaient cru utile d’appuyer leurs convictions sur des exemples et des auteurs étrangers, allemands et italiens, ce souci semble désormais disparaître peu à peu : les auteurs, en limitant volontairement les références aux droits étrangers, semblent faire de cette théorie moderne un produit français. En atteste notamment le cours du Diplôme d’études supérieures de Droit privé que A. Rouast consacre à la représentation en 1947-1948 à la Faculté de droit de Paris. On y retrouve, conformément à la conception moderne : 1°) l’idée que la représentation est une technique juridique dont le régime doit être pensé de manière globale, pour tous les cas dans lesquels elle trouve à s’appliquer, la source du pouvoir de représenter, variable selon les cas, n’entrant en ligne de compte que lorsqu’il s’agit de déterminer, dans les rapports entre représentant et représenté, l’étendue du pouvoir conféré au représentant ; 2°) l’idée que « le représentant n’est pas un simple messager » dont la fonction se limiterait au rôle de « porteur » de la volonté du représenté, car cette idée seule est compatible avec une conception unitaire de la représentation qui englobe, à côté du mandat, d’autres hypothèses de représentation qui mettent en cause des représentés dépourvus d’une volonté juridiquement efficace (par exemple, la représentation légale de l’incapable), et, seule, elle rend compte du fait que le représentant déploie une activité personnelle, i.e. qu’il « a donc un rôle personnel dans l’acte » ; 3°) la règle d’après laquelle la qualité du consentement donné à l’acte conclu avec le tiers s’apprécie chez le représentant, puisque « c’est lui qui émet un consentement », tandis qu’il ne faut exiger de lui que le fait d’être « sain d’esprit » ; 4°) l’affirmation selon laquelle le représenté, au contraire, n’émet pas de volonté « au moment où la représentation joue », de sorte qu’il suffit qu’il existe au moment où l’acte est conclu et qu’il ait, au jour où cet acte produit son effet, la capacité juridique nécessaire pour supporter cet effet ; 5°) et enfin l’idée qu’il suffit que le représentant ait déclaré agir ès qualité, ou que cette qualité ait pu être déduite des circonstances. Dans toutes ces explications, les références au Projet franco-italien et les éléments de droit comparé, qui se limitent à l’Allemagne et à la Suisse, tiennent, au début du cours, en une demie page (où ils sont plutôt superficiels, comme on peut en juger à propos de qui est dit du Projet), et, dans le reste du cours, ils réapparaissent essentiellement au moment où Rouast aborde la question du fondement technique de la représentation et les différentes théories auxquelles elle a donné lieu (fiction, coopération…) : il cite alors, à côté des civilistes français, Savigny, Mitteis et Tartufari. En revanche, expliquant que le vice du consentement du représentant permet au représenté de demander la nullité du contrat, il ne prend pas la peine de citer la règle correspondante du BGB.
44Des progrès de la théorie moderne dans la doctrine civiliste française dans la seconde moitié du xxe s. témoigne, également, la deuxième édition du Cours de droit civil de Ch. Beudant, dont le t. viii, consacré aux obligations, paraît en 1953. Dans le chapitre dédié à l’effet relatif des conventions (comme chez Josserand), à côté de la stipulation pour autrui, se trouve exposée une « théorie de la représentation » destinée à rendre compte et à s’appliquer aussi bien à la représentation conventionnelle, dont le mandat est le « type », qu’aux autres actes sources de représentation. Mais, là encore et moins que chez Rouast, aucune allusion au Projet franco-italien ni au BGB, comme si les idées émises étaient apparues sur le sol national. Plus généralement, et en dehors des manuels, la question de la représentation juridique suscite en réalité toujours aussi peu l’intérêt des privatistes français dans la seconde moitié du xxe s. La présentation de l’avant-projet Catala en fait d’ailleurs l’aveu, expliquant qu’il était temps de « préciser une technique finalement assez peu étudiée, sous le prétexte que toute représentation ressemblerait à un mandat, ce qui est certainement faux pour la représentation légale ou judiciaire et a provoqué d’importantes confusions ». Assez peu étudiée : le jugement n’est pas sévère ; on l’a vu, sauf quelques thèses anciennes et les longs développements que lui consacre Demogue, la question de la représentation juridique n’aura pas donné lieu, en France, à une production doctrinale aussi intense qu’en Allemagne ou en Italie.
45Que conclure de tout cela ? C’est très lentement que la théorie moderne de la représentation a fini par s’acclimater sur le sol français. Il y a à cela des explications variées. Certaines tiennent aux vicissitudes de l’histoire : il faut attendre la Libération pour que soit réellement envisagée la révision du Code civil (mais avec l’insuccès que l’on sait), révision susceptible de permettre l’intégration de cette théorie moderne dans le droit positif français. Or la victoire des Alliés est perçue comme une occasion, pour la France, de revigorer l’influence de son droit82. Plus généralement, les deux guerres auront conduit nombre de juristes français – y compris ceux qui, comme L. Josserand, étaient prêts à s’inspirer du droit allemand83 – à exalter la culture latine, faite du respect de la parole donnée et du droit, contre la culture germanique, réduite au culte de la force84. Le moment n’est donc pas à emprunter à l’Allemagne, mais de proclamer que les « codifications latines », au premier rang desquelles le Code civil français, ne sont pas des « étapes dépassées »85. Le risque dénoncé en son temps par Saleilles, celui d’un « nationalisme intransigeant » conduisant à frapper « d’ostracisme… des idées et des conceptions destinées à s’universaliser »86, s’est ainsi en partie réalisé… D’autres raisons sont d’ordre théorique. La conception moderne de la représentation juridique suppose de considérer l’obligation davantage comme une relation entre deux patrimoines, plutôt que comme une relation entre deux personnes. Or, à quelques exceptions près (dont font précisément partie ceux qui promeuvent la théorie moderne), de nombreux juristes français restent attachés à la conception subjectiviste de l’obligation. Finalement, au fur et à mesure qu’on avance dans le xxe s., la part concédée aux droits étrangers par la réflexion des juristes français se réduit. C’est dans ce contexte que l’avant-projet de révision du livre iii, titre iii du Code civil rédigé sous l’autorité de P. Catala a envisagé de consacrer dans le Code civil une théorie générale de la représentation en lien non pas avec la question de l’effet relatif des conventions mais avec celle de la capacité juridique : l’idée est désormais passé dans le Code civil révisé à la faveur de l’ordonnance du 10 février 2016. Si la théorie moderne de la représentation juridique a été consacrée en France, c’est donc en perdant ses attaches avec sa matrice originelle.
Notes de bas de page
1 Ed. Lambert, L’enseignement du droit comparé. Sa coopération au rapprochement entre la jurisprudence française et la jurisprudence anglo-américaine, Annales de l’Université de Lyon (nouvelle série, II. Droit, Lettres – Fasc. 32), Lyon et Paris, 1919, p. 89.
2 Sur ce texte, cf. G. Alpa, G. Chiodi, Il progetto italo-francese delle obbligazioni (1927), Milan, 2007 et D. Deroussin, « Le Projet de Code des obligations et des contrats franco-italien de 1927 : chant du cygne de la culture juridique latine ? », Clio@Themis [Online], 2 | 2009.
3 E. Pilon, Essai d’une théorie générale de la représentation dans les obligations, Thèse Droit, Caen, 1897, p. 54.
4 Cf. D. Deroussin, « Éléments pour une généalogie du livre III, titre III du Code civil », G. Pignarre (dir.), Le droit des obligations d’un siècle à l’autre, Paris, 2016, p. 35-76.
5 R.-J.-M. Pothier, Traité des contrats de bienfaisance, Paris, 1766, t. ii, Traité du contrat de mandat, n° 10.
6 R.-J.-M. Pothier, Traité des obligations, Paris, 1761, part. 1, ch. 1, sect. 1, § 4.
7 R.-J.-M. Pothier, Traité du contrat de mandat, op. cit., n° 87.
8 Sur les mécanismes fictionnels en droit, cf. Y. Thomas, « Fictio legis. L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », Droits (21) 1995, p. 17-63 (réédité dans : Y. Thomas, Les opérations du droit, Paris, 2011), et les contributions réunies par A.B. Caire, Les fictions en droit, 2015.
9 R.-J.-M. Pothier, Traité du contrat de mandat, op. cit., n° 88.
10 Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français : d’après la méthode de Zachariae, Paris, 1871, 4e éd., t. iv, § 410, p. 634.
11 Ils n’en traitent qu’à propos du mandat, au t. vi, § 410, où le mandat est défini, sur la base de l’art. 1984 C. civ., comme le contrat « par lequel l’une des parties donne à l’autre le pouvoir, que celle-ci accepte, [ou, dans certains, cas, est présumée accepter], de la représenter à l’effet de faire, en son nom et pour son compte, un acte juridique, ou une série d’actes de cette nature » (Cours de droit civil français : d’après la méthode de Zachariae, Paris, 5e éd., 1897-1922, t. vi par E. Bartin, p. 153).
12 Ortolan, Explication historique des Institutes de l’Empereur Justinien, Paris, 1883, 12e éd. par J.E. Labbé, p. 865.
13 Id.
14 De la représentation, Thèse Droit, Paris, 1899, p. 6.
15 L. Guillouard, Traité des contrats aléatoires, Du mandat, Paris, 1893, n° 184 ; Fr. Laurent, Principes de droit civil, Paris-Bruxelles, 1869, t. xxviii, n° 50.
16 Mandat de procuration, ALR, I, 13.
17 L’ABGB met cependant en place, § 1027-1029, une sorte d’autorisation tacite d’agir pour le compte d’autrui (stillschweigende Bevollmächtigung) dont l’objectif est de protéger le tiers de bonne foi qui a contracté avec un représentant commercial, en tenant compte de l’objet et de la nature de l’affaire.
18 Sur cette théorie, cf. Müller-Freienfells, « Die Abstraktion der Vollmachtserteilung im 19. Jahrhundert », H. Coing et W. Wilhelm, Wissenschaft und Kodifikation des Privatrechts im 19. Jahrhunderts, 1977, t. ii, n. 46-50.
19 Das Obligationrecht als Theil des heutigen Römischen Rechts, 1851, § 53.
20 B. Windscheid, Lehrbuch des Pandektenrechts, § 313.
21 A. Von Brinz (sur H. Buchka, Die Lehre von der Stellvertretung, bei Eingehung von Verträgen. Historisch und dogmatisch dargestellt, 1852), dans : Kritische Blätter civilistischen Inhalts, n° 2, 1852, p. 1- 42.
22 P. Laband, « Die Stellvertretung bei dem Abschluss von Rechtsgeschäften nach dem allg. Deutsch. Handelsgesetzbuch », ZHR (10) 1866, p. 183-241.
23 L. Ladenburg, « Die Vollmacht als Verkehrsmittel », ZHR (11) 1868, p. 72. Sur les principes de séparation et d’abstraction et l’influence de Laband, cf. notamment N. Jansen et R. Zimmermann, Commentaries on European Contract Laws, Oxf. Univ. Press, 2018, p. 591, ou encore K. Schmidt, « Zur ‘Abstrakheit’ im Stellvertrtungsrecht », Privatrechtsdogmatik im 21. Jahrundert. Festchrift für Claus-Wilhelm Canaris, Berlin, 2017, p. 118.
24 Manuel du droit fédéral des obligations, 1884.
25 Cf. A. Schneider et H. Fick, Commentaire du Code fédéral des obligations du 30 mars 1911, 1915, p. 85.
26 A. Schneider et H. Fick, op. cit., p. 67, 81 et 85.
27 Le Code civil espagnol de 1889, art. 1717, ne dit pas autre chose.
28 Cf. A. Cavanna, « L’influence juridique française en Italie au xixe siècle », Revue d’histoire des Facultés de droit, 1994, vol. 15, p. 87-112. Certains des monuments de la Pandectistique allemande sont ainsi traduits en italien. Sur ce point : F. Furfaro, Recezione e traduzione della Pandettistica in Italia tra Otto e Novecento. Le note italiane al Lehrbuch des Pandektenrechts di B. Windscheid, Turin, 2016.
29 Della rappresentanza nella conclusione dei contratti in diritto civile e commerciale, 1892.
30 Trattato di Diritto civile, 1904.
31 Manuele de diritto civile italiano, 1910, i, p. 381.
32 Milan, 1910.
33 Istituzioni di diritto civile, 1915, i, § 28 et ii, § 92.
34 F. Niglia, « Oublier l’ennemi, retrouver l’allié. L’attitude de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne après la première et la seconde guerre mondiale », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 88 | 2014.
35 Sur l’attrait des juristes italiens pour l’allure davantage scientifique des constructions doctrinales allemandes, cf. P. Grossi, Scienza giuridica italiane. Un profilo storico 1860-1950, Milan, 2000.
36 Cf. N. Hakim et A. Monti, « Histoire de la pensée juridique et analyse bibliométrique : l’exemple de la circulation des idées entre la France et l’Italie à la Belle Époque », Clio@Thémis. Revue électronique d’histoire du droit, 2018 (en ligne), n° 34.
37 M. Planiol, lorsqu’il publie la 1ère édition de son Traité élémentaire en 1901, consacre, dans le t. i, au chapitre dédié à l’effet relatif des actes juridiques, un premier paragraphe à la question de la « représentation dans les actes juridiques » (n° 298 et sv.). Le fait de traiter la question de la représentation juridique dans des développements relatifs à la « théorie des actes juridiques » peut être perçu comme le signe qu’il s’éloigne des habitudes anciennes. Pour autant, il ne propose pas formellement de distinguer le droit de représentation de l’acte qui lui donne naissance, et il n’indique à l’appui de sa démarche aucune autorité doctrinale allemande ou italienne, ni ne fait mention de la nouveauté introduite par le BGB.
38 Paris, 2e éd., 1914.
39 Cass. civ. 15 juin 1898, S. 99.1.209.
40 E. Pilon, Th. précit., p. 278 et sv.
41 Ibid., p. 46.
42 Ibid., p. 47.
43 Ibid., p. 61.
44 Ibid., p. 281 et sv.
45 Ibid., p. 35.
46 Par exemple : ibid., p. 41.
47 Par exemple, Pilon (ibid., p. 42) voit bien que Tartufari distingue au fond selon que la représentation procède de la loi ou de la volonté du représenté : dans le premier cas, c’est par l’effet conjugué de la loi, de la volonté du représentant et de celle de son cocontractant que le contrat conclu produit ses effets dans le patrimoine du représenté alors que, dans le second cas, c’est en conséquence de la coopération des volontés du représentant et du représenté que cet effet se produit.
48 Ibid., p. 13.
49 H. Capitant, Introduction à l’étude du droit civil, Paris, 1898, p. 305.
50 Ibid., p. 308.
51 Ibid., p. 305.
52 D. Corbesco, La représentation dans les actes juridiques, Thèse Droit, Paris, 1912, p. 20.
53 Paris, 1938-39, t. ii, p. 216.
54 H. Capitant, Introduction à l’étude du droit civil, Paris, 1929, 5e éd., n° 316.
55 Ibid., n° 319.
56 Ibid., n° 318.
57 Ibid., n° 316.
58 Ibid., n° 319.
59 Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Année 1945-1946, Paris, Sirey, 1947, p. 112.
60 Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Année 1947-1948, Paris, Sirey, 1949, p. 34.
61 L’art. 50 du projet de la sous-commission Obligation est, pour sa part, jugé « inutile » (Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Année 1947-1948, op. cit., p. 36).
62 Le projet antérieur de la sous-commission Obligation était encore plus explicite dans sa volonté de ne voir dans le représentant qu’un instrument entre les mains du représenté : dans son art. 45, il disposait que « le consentement est valablement donné par l’intermédiaire d’un représentant ».
63 Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Année 1947-1948, op. cit., p. 216-217.
64 Ibid., p. 219.
65 Ibid., p. 219.
66 Ibid., p. 220.
67 Ibid., p. 221.
68 Ibid., p. 221.
69 Ibid., p. 222.
70 Ibid., p. 255.
71 Ibid., p. 245.
72 Ibid., p. 216.
73 Ibid., p. 216.
74 Ibid., p. 234.
75 Ibid., p. 236 et p. 241.
76 Ibid., p. 243.
77 Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Année 1945-1946, op. cit., p. 98.
78 Ibid., p. 100.
79 Ibid., p. 105.
80 Séance du 23 oct. 1945, ibid., p. 106.
81 Même chez ceux qui optent pour la mise en forme d’une partie générale, comme Latournerie, cf. Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Année 1945-1946, op. cit., p. 99.
82 Il n’est pas anodin que l’Association H. Capitant, créée avant la guerre sous le nom d’Association des juristes de langue française, ait fortement encouragé le Gouvernement provisoire à mettre en place la Commission de révision du Code civil, à laquelle Julliot de la Morandière, vice-président de l’Association, a pris une part importante.
83 Cf. par exemple son étude de la propriété en main commune -Gesammte Hand- dans le Livre du centenaire du Code civil (Paris, 1904), dont il juge l’organisation moins individualiste que celle de l’indivision du droit français.
84 Cf. D. Deroussin, « Comment forger une identité nationale ? La culture juridique française vue par la doctrine civiliste au tournant des xixe et xxe siècles », Clio@Themis [Online], 5 | 2012.
85 Selon l’expression d’Ed. Lambert, L’Institut de droit comparé, son programme, ses méthodes d’enseignement, Leçon faite à la séance d’inauguration, Lyon, Rey, 1921, p. 6.
86 R. Saleilles, Introduction à l’étude du droit civil allemand, Paris, 1904, p. 123.
Auteur
Université Jean Moulin Lyon 3
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