Avant-Propos
p. 7-9
Texte intégral
1Il n’est déjà pas rassurant que le droit soit flexible. Peut-on sans inquiétude admettre qu’il soit changeant ? La mutation des nonnes juridiques ne va pas de soi. Les coutumes sont forgées par le temps, les lois sont faites pour durer. Théologiens, philosophes, jurisconsultes, tous les grands esprits qui ont pensé le droit ont martelé cette conviction qu’il entre dans sa vocation de sécréter des normes durables. Son propre mouvement historique l’illustre aussi bien. A Athènes, le peuple législateur traque les manœuvres préjudiciables aux nomoï, A Locre, rapporte Démosthène, quiconque propose une nouvelle loi “le fait la corde au cou”. A Rome, les leges de la jeune République sont gravées sur des tables de bronze, plus tard, celles des empereurs chrétiens sont dites “très sacrées”. Dès la fin du Moyen Age, princes et rois prétendent légiférer par ordonnances “perpétuelles et irrévocables”. Et notre Code civil, sage transaction entre le droit écrit et les coutumes, de figurer “une espèce d’Arche sainte”, un “immortel ouvrage”, une “bible juridique”.
2De cet idéal antique-moderne de stabilité normative, on sait ce qu’il est advenu passé le temps des grandes codifications. Phénomène le plus visible, l’instrumentalisation de la fonction législative. Pressé par la revendication sociale et les nouvelles doctrines politiques, le législateur fut vite mis en demeure de satisfaire les intérêts catégoriels et les aspirations conjoncturelles ou partisanes. Alors la loi, plutôt que de “fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence...”, de s’atteler aux cas et aux conflits particuliers, urgents, douloureux. Et dans l’Etat-providence la prolifération des textes réglementaires de s’ajouter à l’inflation législative. Dès le XIXe siècle encore, à rebours du rêve légicentriste de nos révolutionnaires, on voit surgir un plus discret mais inexorable retour en force de la jurisprudence, s’inscrivant de nouveau parmi les sources du droit, phénomène bien propice sous le regard de la doctrine à l’émancipation rapide de nouvelles disciplines juridiques, le droit administratif, le droit commercial, le droit du travail, le droit des assurances, aujourd’hui celui de l’environnement, de la santé, de la propriété intellectuelle ou des technologies... Enfin, c’est une révolution, la théorie puis l’avènement au XXe siècle de l’Etat de droit, national et européen. Dans ce système, la loi autrefois souveraine devient norme subordonnée, à la constitution, aux traités internationaux, au droit communautaire, aux droits fondamentaux”. Et la garde de cet Etat de droit, de la hiérarchie et de la délicate interprétation de ses nonnes multiples d’incomber, nolens volens, aux juges de tout acabit. Le Juge, nouvelle figure de proue de la démocratie.
3Plus que jamais protéiforme, parfois même livré à des “autorités indépendantes” (Hauts comités, Conseils, Chambres...), voici le droit contemporain chroniquement sujet au changement. Les juristes universitaires, autant que les praticiens, l’éprouvent tous les jours, avec ce sentiment d’enseigner ou d’écrire sur des sables mouvants. Il était donc bien naturel que l’Institut fédératif de recherche créé en 2003 au sein de la Faculté de droit de l’Université Toulouse I affiche pour préoccupation centrale la “mutation des normes juridiques”. Une telle dénomination n’étonnera pas le professionnel, il la trouvera même banale, mais, à l’heure de la “lisibilité” des activités universitaires elle attirera peut-être l’attention de ceux qui, dans les sphères de l’enseignement supérieur et de la Recherche, victimes d’un préjugé classique, présupposent le conservatisme des juristes, n’imaginent pas en tout cas que le droit soit une discipline vivante, se mouvant elle aussi, comme les sciences dites “dures”, entre recherche et application.
4Si, à l’instar de grands établissements scientifiques, la Faculté de droit de Toulouse a créé un IFR, c’est qu’elle accueille 130 professeurs et maîtres de conférences, une cinquantaine d’attachés temporaires d’enseignement et de recherche, qu’elle est dotée de deux écoles doctorales et de 13 équipes de recherches. C’est aussi parce qu’à l’encontre des clivages anciens entre le droit privé, le droit public, l’histoire du droit, eux-mêmes de plus en plus sectorisés, il convenait d’y promouvoir le traitement collectif et périodique de problématiques nouvelles, ou de thématiques transversales, intéressant l’actualité dans ce qu’elle présente de plus complexe et (ou) de plus controversé : “Le droit saisi par la morale”, “L’imprégnation du droit communautaire par le droit français”, actuellement en chantier, en sont quelques illustrations, tout comme La légitimité des juges (Presses de l’Université des sciences sociales, 2004, coll. des Travaux de l’IFR, no l, 224 p.) examinée en octobre 2003 lors de journées marquées par la participation à parité de grands praticiens de la justice. Cet IFR, on l’aura compris, souhaite devenir un observatoire des transformations du droit contemporain, son ambition est même, par la complémentarité des apports et des approches, par la collaboration aussi des professionnels concernés par ses travaux, d’imposer à terme notre université comme un pôle de référence au sein de la recherche juridique nationale, voire internationale.
5Le présent ouvrage, rassemblant 33 contributions (30 individuelles, 3 par équipes) laisse présager la forte capacité de mobilisation des chercheurs-juristes de l’Université Toulouse I. Faisant suite à la proposition, en quelque sorte inaugurale, de rendre compte, chacun dans son domaine de spécialité, de l’une ou l’autre mutation juridique de ces 20-30 dernières années, on ne s’attendra pas à ce qu’il fournisse des réflexions croisées, on en appréciera plutôt la spontanéité et la tonalité critique. La première donne à voir le bouillonnement de la recherche à la Faculté de droit toulousaine, la seconde la liberté d’esprit de ses acteurs. Il faut bien admettre que les plus grands “enfants du texte” sont les juristes, les universitaires au premier rang. Mais on le verra ici : qu’ils dressent des bilans (tome I), qu’ils jugent des réformes ou qu’ils pointent quelques révolutions (tome II), leur indiscipline est de rigueur.
Auteurs
Professeur d’histoire du droit, Centre Toulousain d'Histoire du Droit et des Idées Politiques (EA 789), Président de l’IFR
Professeur de droit public, Equipe Théorie des Actes et du Contrôle des Institutions Publiques (EA 786), Directeur de l’IFR
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