La Convention de Berne sur le transport ferroviaire de marchandises (14 octobre 1890) : uniformisation du droit en Europe et internationalisation du droit français
p. 223-247
Texte intégral
1Si c’est sans tenir compte de l’existence de frontières nationales que s’est développé, tout au long du xixe s., le réseau des voies ferrées, les marchandises transportées sont, pour leur part, soumises à des ruptures de charge : à chaque franchissement d’une frontière doivent être réalisées des opérations de chargement/déchargement soumises à l’accomplissement de formalités administratives particulières (délivrance de lettres de voiture). Un moyen de surmonter partiellement de telles contraintes, source de retard voire d’entrave à la circulation des marchandises, a été pour les compagnies de conclure des accords de tarifs organisant le transport des marchandises sur leurs réseaux respectifs1. Toutefois, limités à la question des tarifs, de tels accords ne réglaient pas toutes les difficultés. Ils étaient conclus hors la présence de représentants des États et ne pouvaient contenir de règles de conflits de lois contraignantes pour les juges, alors que les droits nationaux européens accusaient parfois en la matière des spécificités importantes. Ils laissaient donc pendante la question du transport d’une marchandise d’un pays à un autre en service direct : quelle législation appliquée ?
2C’est pour répondre à cette question que la Suisse, « pays de transit »2 où la plupart des opérations de transport sont des opérations internationales, au moment où elle s’apprête à se doter d’un droit des transports intérieures propre (loi du 20 mars 1875), propose aux autres nations européennes de s’engager dans la voie de la négociation d’un traité, au moyen d’une conférence internationale destinée à régler certaines parties au moins de la législation sur les transports internationaux par voie ferrée. Il s’agissait de conférer à l’unification législative espérée un caractère véritablement international, les États liés par une convention internationale étant dans l’incapacité, au moins temporaire, de modifier le contenu matériel des règles de droit élaborées (alors qu’une loi ordinaire votée par le Parlement peut toujours être modifiée par lui, ce qui n’aurait pas garanti la pérennité du droit). G. de Seigneux, avocat et député au Grand Conseil de Genève, et H. Christ, avocat à Bâle, en juin 1874, présentent alors au Conseil fédéral suisse une pétition et un mémoire réclamant l’organisation, grâce aux représentants de la Suisse à l’étranger, d’une telle conférence. Ils s’adressent également à l’Institut de droit international fondé à Gand en 1873, lequel, lors de sa session de Zurich en 1877, se propose ainsi de réfléchir à une réglementation internationale du droit relatif aux moyens de transport3, tout en chargeant l’un de ses membres, Bulmerincq, de rédiger un rapport4.
3De son côté, soucieux d’encourager l’essor des chemins de fer suisses et conscient des difficultés que présente, à cet égard, la trop grande variété des législations nationales5, le Conseil fédéral suisse s’adresse aux gouvernements allemand, français, italien et autrichien, et organise plusieurs conférences à Berne entre 1878 (six ans après le commencement des travaux du tunnel du Saint-Gothard, qui allait ouvrir de nouvelles voies à l’Allemagne6) et 18867. De ces conférences, où le français et l’allemand constituent les seules deux langues officielles (les procès-verbaux étant rédigés dans les deux langues), naît la Convention finalement signée le 14 octobre 1890 pour une durée de trois ans (avec reconduction tacite) par les neuf États qui avaient répondu à l’invitation du gouvernement suisse : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, la Hollande, l’Italie, le Luxembourg, la Russie, la Suisse et la France. En France, elle est approuvée par une loi du 29 décembre 1891 et promulguée par décret du 25 novembre 18928. Elle entre en vigueur en 1893 et la liste des États signataires s’allonge ensuite : entre 1897 à 1922, son succès suscite l’adhésion de huit autres pays européens, le Danemark en 1897, la Roumanie en 1904, la Suède en 1907, la Serbie en 1910, la Bulgarie en 1911, la Norvège en 1920, la Pologne et la Tchécoslovaquie en 1922. Cette convention, plusieurs fois modifiées à l’occasion de nouvelles conférences tenues à Berne en 1893, 1895 et 1906 et à Paris en 1898 avant qu’une nouvelle convention ne soit signée en 19249, qui étend les dispositions mises en place en 1890 au transport de voyageurs, vise non seulement à régler les droits et obligations des parties (expéditeur, transporteur, destinataire), mais également à mettre sur pied un Office central des transports internationaux, auquel elle confie la double mission de jouer le rôle d’intermédiaire entre les États et d’arbitrer la résolution d’éventuels conflits10.
4Dans le domaine des relations internationales, elle a pu être jugée par Lyon-Caen comme « un des faits les plus importants et les plus heureux du siècle »11, ou encore comme l’une des œuvres internationales « les plus intéressantes et les plus importantes »12 de la fin du xixe s., un acte « d’une importance considérable pour le développement ultérieur des échanges entre les nations continentales »13. Au point de vue économique, elle a répondu à une nécessité (le réseau ferré s’est développé à l’échelle du continent et le trafic a augmenté). Élaborée dans un contexte de rivalités internationales, elle a cependant traduit de multiples convergences d’intérêts entre les États signataires et peut être considérée comme une « pierre angulaire » dans la construction d’un espace européen du transport de marchandises dont elle a favorisé l’intégration14.
5Au point de vue juridique, elle se distingue des conventions d’Union antérieures (Union postale, Union télégraphique, Unions pour le système métrique, pour la publication des tarifs douaniers, etc…) par le fait que, plutôt que de porter exclusivement sur les rapports administratifs entre États contractants, elle constitue « un essai de codification à peu près complète du droit international en matière de transports »15 (limité à l’Europe). Elle a en effet pour objet d’énoncer des règles uniformes et communes à plusieurs États, destinées à se substituer aux droits nationaux pour mettre un terme, fût-ce partiellement, aux différences juridiques nationales16. De ce point de vue, la Convention de Berne a réalisé une étape importante dans la construction d’une Europe juridique et du droit européen des affaires lato sensu. Car si la convention est internationale, elle est en réalité européenne, comme le montre la liste des États signataires mais aussi la méthode comparative employée par les juristes qui ont pris part aux discussions17. Mais cette convention peut aussi être étudiée au regard du droit français, ce qui est une manière de s’intéresser à un phénomène plus général, et qui gagne en ampleur à fin du xixe s. : l’internationalisation du droit privé français. On pourrait même dire qu’elle offre un exemple de ce phénomène, à un moment où ce phénomène n’est pas encore nettement appréhendé par la doctrine privatiste comme un questionnement nouveau et singulier (ce que fera au contraire R. Demogue dans ses conférences en Argentine publiées sous le titre : L’unification internationale du droit privé).
I. L’élaboration de la Convention
6Sans doute convaincus qu’il était plus facile d’intervenir sur des questions internationales par un accord international destiné à être approuvé par les institutions nationales, plutôt que de modifier directement leur droit interne, par la voie législative, en vue de le faire concorder avec les droits internes des autres États, les États conviés répondent à l’appel du Gouvernement suisse. Certains d’entre eux (l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie) n’ayant accepté l’invitation qu’à la condition que le travail d’une future Conférence prenne pour base un texte-programme précis, le Conseil fédéral fait élaborer un avant-projet de convention18.
7Cet avant-projet intervient dans un contexte particulier. Le droit commercial français est assez largement adopté en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas, tandis que les droits commerciaux suisse, allemand et autrichien, s’ils diffèrent du droit français sur certains points, s’inspirent de principes analogues. Certaines pratiques débordent déjà le cadre national. Par exemple, le règlement d’exploitation allemand du 11 mai 1874, qui s’applique à la fois en Allemagne et en Autriche pour les transports intérieurs et extérieurs, a été étendu aux compagnies néerlandaises et à quelques lignes belges par une convention du 1er juin 1876. En Allemagne, les négociants montrent leur insatisfaction à l’égard des règlements et tarifs des chemins de fer approuvés par l’Exécutif, qui s’ajoutent aux dispositions du Code de commerce depuis 1861 (§ 422 et sv. ; ces mêmes dispositions s’appliquent en Autriche-Hongrie). En France, où les chemins de fer sont soumis au droit applicable aux entreprises de transport, l’inadaptation du Code de 1807 (art. 96 et sv.) au transport ferroviaire paraît de plus en plus évidente et provoque, entre la Cour de cassation, arcboutée sur l’application du Code, et les juridictions commerciales, des conflits de jurisprudence fréquents19, sans compter qu’il convient également, pour les questions de responsabilité, recourir à l’art. 1382 C.civ., qui, au nom du principe de la réparation intégrale du dommage, empêche de fixer à l’avance l’indemnité due par les compagnies. On pourrait dire la même chose de l’Italie où, en l’absence de législation spéciale, s’appliquent des dispositions comparables à celles du Code de commerce et du Code civil français. En Belgique, les sociétés commerciales réclament une réforme. En Suisse, les cantons alémaniques accueillent favorablement les dispositions du droit allemand, tandis que la Suisse romande adopte plutôt le système français20.
8Par ailleurs, plusieurs pays européens s’apprêtent à légiférer en matière de transports intérieurs ou l’ont déjà fait avec, le plus souvent, pour objectif de soumettre le transport ferroviaire à une législations spéciale (qui n’abandonne au droit commun que quelques points limités) et de limiter les avantages que les compagnies se sont jusque-là octroyés. En Allemagne, où le système ferroviaire s’est développé selon un mode plutôt décentralisé et où régnait une assez grande variabilité des prix, déterminés de façon différente selon le type de réseaux (le Werttarif – tarif déterminé en fonction de la valeur de la marchandise – lorsque le service est constitué en monopole ; le Raumtarif – tarif négocié en fonction des coûts de transport – lorsque le service est soumis à la concurrence21), le projet du 1er mars 1874 entend faire œuvre de centralisation tout en tenant la part égale entre la liberté contractuelle et la protection d’un public souvent placé dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des transporteurs22. Il impose ainsi une obligation de transport y compris en cas de service direct vers l’étranger (art. 29), ce qui suppose la conclusion de conventions entre les compagnies allemandes et les compagnies étrangères, cette obligation n’étant toutefois imposée qu’à la condition de réciprocité. En cas de perte ou détérioration de la marchandise, le projet prévoit une responsabilité sans faute, seuls la force majeure, un vice propre de la chose ou un emballage défectueux ou insuffisant (dont le défaut n’est pas identifiable extérieurement) pouvant exonérer le transporteur, et cette responsabilité peut être mise en jeu contre la compagnie qui a accepté la lettre de voiture pour tout dommage causé pendant le transport, y compris sur la portion prise en charge par une autre compagnie (art. 49). L’indemnité est égale à la valeur déclarée, sauf à la compagnie à prouver qu’elle dépasse la valeur commerciale de la chose (sauf si la différence entre la valeur déclarée et la valeur commerciale s’explique par un intérêt particulier du propriétaire, qui toutefois ne peut excéder la moitié du prix de la chose).
9En Suisse est adoptée, le 20 mars 1875, une loi fédérale relative aux transports par voie ferrée (après que la loi du 23 décembre 1872 a transféré à la Confédération les droits de souveraineté en matière de chemins de fer23). Cette loi autorise les compagnies suisses à refuser un transport externe (vers un autre pays) lorsqu’elles prouvent ne pas être en relations avec la compagnie étrangère concernée, sans préciser si le terme relations renvoie à l’existence de conventions d’exploitations entre les compagnies (art. 1). Comme le projet allemand, elle impose également aux compagnies, mais sous condition de réciprocité, l’obligation d’établir des services directs avec des lignes étrangères (art. 2). En matière de responsabilité en cas de prise en charge par plusieurs transporteurs, cette loi s’éloigne du projet allemand en ce qu’elle distingue la responsabilité du premier transporteur et celle du dernier. Le premier est, comme dans le projet allemand, responsable de tout dommage causé pendant l’entièreté du trajet, même si la lettre de voiture est modifiée pendant le trajet, tandis que le dernier transporteur est libéré de sa responsabilité pour les dommages causés par ceux qui l’ont précédé en cas de modification de la lettre de voiture (art. 23 et 24). Enfin, comme le projet allemand, la loi prévoit une responsabilité sans faute. Elle présume même (art. 21) que certains dommages ont été causés par force majeur ou par la faute de l’expéditeur. On remarquera d’ailleurs que ces projets ou lois (auxquels on peut joindre le projet italien de révision du code de commerce, visant à insérer dans ce code un nouveau chapitre dédié au transport par chemins de fer) abandonnent le plus souvent les systèmes de responsabilité limitée que les compagnies avaient tenté d’imposer (mais que les jurisprudences nationales n’admettaient pas nécessairement, par exemple en Italie24), au profit d’une réparation qui correspond (parfois plus, comme dans le projet allemand) à la valeur commerciale de la chose, comme en droit français. Enfin, en France, la loi du 11 avril 1888, votée à la demande des négociants pour mieux les protéger contre les transporteurs25, modifie les articles 105 et 108 C.Com., qui régissaient antérieurement les rapports entre les compagnies de chemins de fer (ou autres voituriers) et le destinataire, s’agissant des avaries, pertes ou retard, en mettant fin à la déchéance des droits au motif du seul paiement du prix du transport et en instaurant par exemple une prescription d’un an de l’action.
10Élaboré dans un tel contexte, on aurait pu imaginer que l’avant-projet du Conseil fédéral puise son inspiration essentiellement soit dans le droit français, soit le droit allemand (Code de commerce allemand, tit. v, sect. ii, § 422 et sv., auquel il faut ajouter le règlement sur l’exploitation des chemins de fer de 1874, compte tenu de l’étendue de son application territoriale26 et des précisions que la jurisprudence avait pu apporter), ces deux législations dominant alors, parce qu’elles étaient appliquées par deux groupes importants de pays. Il préfère s’appuyer sur une première tentative de transaction, celle que la loi fédérale du 20 mars 1875 a cherché à mettre en place pour la Suisse. C’est donc pour l’essentiel sur la loi suisse de 1875 que l’avant-projet s’appuie, quitte à rompre avec certains principes des droits allemand et français et à privilégier un droit qui n’a pas véritablement fait ses preuves27. Présenté en 1878, il n’aborde que le trafic international, pas le trafic interne. Chaque État signataire peut donc introduire des règles particulières en la matière, ce qui s’explique, d’après l’exposé des motifs28, par la volonté de s’assurer un résultat. Vouloir réglementer le trafic interne, c’était prendre le risque d’un échec, ou d’un accord plus limité encore. Peut-être a-t-on d’ailleurs pensé que, avec le temps, le droit interne des États finirait par être interprété et appliqué à la lumière de la Convention29. Il suscite, cependant, de nombreuses critiques. Certaines portent sur l’étendue des matières traitées, jugée trop limitée. Dans le rapport qui accompagnait la pétition adressée par le Conseil fédéral aux gouvernements allemand, français, italien et autrichien en vue d’organiser une conférence internationale, il avait déjà été indiqué en effet que la Convention ne devait porter que sur quelques points précis relatifs à la responsabilité en cas de transport international de marchandises30 : la détermination du for en matière de réclamations pour avarie ou retard ; l’établissement de certaines formalités uniformes pour la constatation des avaries ; l’admission du principe d’après lequel le dernier transporteur est seul tenu d’indemniser, à charge pour lui d’exercer son recours contre les autres transporteurs selon une procédure à déterminer dans la Convention ; la détermination des limites de la responsabilité du transporteur, du commissionnaire principal et des commissionnaires intermédiaires. L’avant-projet soumis aux gouvernements porte quant à lui essentiellement sur la responsabilité pour retard ou perte des marchandises, notamment en raison de l’attitude de certains États, spécialement la France, qui n’avaient pas souhaité étendre au-delà le domaine des négociations31. Le belge M. Fassiaux par exemple réclame que la future convention, conformément aux efforts déjà réalisés en matière de poste et télégraphe, réglemente l’ensemble des activités liées au transport ferroviaire. D’autres portent sur la portée des règles. Le juriste allemand G. Eger, qui travaille à la direction des Chemins de fer de Prusse, reproche ainsi au projet de laisser subsister les réglementations locales dans une trop grande proportion, ce qui revient à ses yeux à limiter trop fortement, voire à annihiler, tout effort d’uniformisation, alors qu’une réglementation unique serait nécessaire32.
11Bref, l’avant-projet renonce à traiter de manière systématique l’ensemble des questions soulevées par le transport ferroviaire international de marchandises, et c’est sur la base de ce texte que s’ouvre la première conférence. Dès l’ouverture des discussions, alors que la France paraît peu s’intéresser à la question33, l’Allemagne obtient que lui soit substitué un projet rédigé par ses soins (et notamment grâce aux efforts d’Eger). Il faut dire que, au sein de la Commission de contrôle instituée pour encadrer les discussions, l’Allemagne et l’Autriche ont chacune une voix, tout comme la Hollande et le Luxembourg (où le modèle allemand est prépondérant), ce qui donne aux pays germaniques une représentation forte. Les résolutions préparatoires de cette première conférence sont renvoyées aux différents gouvernements. En France, M. George, sénateur des Vosges, obtient qu’elles soient étudiées par le Comité consultatif des chemins de fer, rattaché au ministère des Travaux Publics. Après plus d’une dizaine de séances, ce comité formule plusieurs demandes de modifications, touchant tant le fond que la forme, qui s’inspirent en partie des recommandations formulées par les grandes compagnies34. C’est forte désormais de ce rapport que la France aborde la deuxième conférence (1881), où elle envoie le sénateur George, accompagné d’un ingénieur en chef des Ponts et Chaussées (Baum) et du chef d’exploitation de la Compagnie de l’Est (Durbach)35.
12Plusieurs modifications au projet de 1878 sont présentées lors de cette deuxième conférence, notamment à la demande de la France (par exemple, le fait que seuls les chemins de fer proposés par les États et inscrits sur une liste seront soumis à la convention, ou encore la décision de mettre en place l’Office international des transports, nommé par le Conseil fédéral suisse), et de l’Italie, où les principales compagnies s’étaient entendues pour formuler leurs critiques dans un mémoire commun et où le gouvernement militait pour l’adoption du projet sous réserve de certaines modifications. Elles sont adoptées à l’unanimité moins deux voix, celles de l’Allemagne et de la Belgique (il est possible que l’Autriche se soit dissociée de l’Allemagne en raison du fait que l’ouverture du tunnel de l’Arlberg lui donne désormais la possibilité d’écouler les marchandises venant de l’Est sans emprunter les rails allemands). Contrariée, l’Allemagne quitte les négociations. Il faudra les efforts conjoints du Conseil fédéral suisse et du bureau provisoire de l’Office international des transports pour qu’elles reprennent en 1886 et aboutissent à un protocole final arrêté lors de la séance de clôture du 17 juillet 1886, consacré dans la Convention signée en 189036. Dans cette aventure, la doctrine privatiste n’aura pas joué un rôle essentiel. Elle s’est, le plus souvent, contentée de rendre compte du contenu de la Convention.
II. Un espace commun
13Dans l’intérêt du commerce et des particuliers, la Convention, d’une part, garantit dans une certaine mesure la libre circulation des marchandises dans l’espace constitué par les réseaux des pays contractants. Une certaine mesure parce que, contrairement à l’avant-projet suisse, l’art. 1 reprend la proposition française de limiter l’application de la convention aux seules lignes de chemin de fer indiquées dans une liste transmise par les gouvernements nationaux et annexée à la convention. Néanmoins, une fois inscrite sur cette liste, la compagnie se voit imposer par l’art. 5 l’obligation de procéder au transport, le transport international étant défini (art. 6) comme le transport d’une marchandise d’une station d’un État à celle d’un autre État qui lui est reliée par un réseau ininterrompu de rails. L’expéditeur n’aura donc pas à faire avec plusieurs compagnies, mais une seule : toutes celles qui participent au transport se présente à lui « comme formant un seul réseau », une Transportgemeinschaft37. Cette obligation de transport était la règle en Allemagne et en Suisse, mais elle était encore balbutiante en France (où elle n’était reconnue qu’à propos des transports intérieurs, comme en Belgique38), malgré les efforts de la Cour de cassation. Encore faut-il que ce dernier se conforme aux règles de la convention, que le transport soit possible (eu égard aux moyens ordinaires de transport) et que des « circonstances de force majeure » ne s’opposent pas à cette possibilité. Sous ces conditions, une telle obligation est conforme à celle qu’entendait poser l’avant-projet suisse (où elle était toutefois imposée à toutes les compagnies œuvrant dans les États signataires et supposait que les gares d’expédition et de destination fussent reliées par une ligne à la fois ininterrompue et située entièrement sur le territoire des États signataires).
14D’autre part, la Convention laisse parfois les juges nationaux appliquer certaines des dispositions de leurs droits nationaux. Mais elle crée en quelque sorte un espace judiciaire commun, en disposant que les jugements prononcés par le juge national compétent en vertu des règles de désignation de la Convention seront, une fois qu’ils sont devenus définitivement exécutoires dans son ordre juridique, déclarés exécutoires sur le territoire de tous les États signataires par l’autorité nationale compétente, sans qu’une révision au fond soit possible (art. 56)39.
15Enfin, la Convention crée, au sein de cet espace commun, un organisme aux fonctions multiples, l’Office central des transports (art. 57). Chargé de recueillir et d’assurer la diffusion des informations adressées par les États signataires et les compagnies, de mettre à jour de la liste des compagnies nationales soumises à la Convention, de faciliter les relations financières entre compagnies, il exerce également une fonction d’arbitrage à la demande des compagnies pour les différends qui les opposeraient, l’idée d’instituer un tribunal international chargé d’appliquer la Convention ayant été écartée lors de la deuxième conférence40. Il a, enfin, pour mission de faire évoluer le droit de la Convention, en instruisant les éventuelles demandes de modifications proposées par les États signataires (mécanisme de révision qui s’ajoute aux conférences de délégués des États signataires qui doivent se réunir tous les trois ans au moins en vue d’éventuelles modifications à la Convention, art. 59), étant entendu par ailleurs que, d’après l’art. 1, les dispositions réglementaires prises d’un commun accord par les États signataires pour l’exécution de la convention ont la même valeur juridique que la convention elle-même. Dans cet espace commun, la Convention entend écarter les conflits de lois. Elle y est parvenue principalement en supprimant la cause même de ces conflits, i.e. la diversité des lois, par la prescription d’une législation uniforme et obligatoire, et, accessoirement, en déterminant le pays dont la loi doit être appliquée.
III. Des règles communes d’ordre public
16Ces règles uniformes et d’ordre public concernent d’abord la formation du contrat de transport ferroviaire international.
17Le contrat se forme au moment où le premier transporteur accepte la marchandise et appose son timbre sur la lettre de voiture, d’après l’art. 8 qui reprend l’art. 4 de l’avant-projet suisse en ajoutant la nécessité pour la compagnie qui reçoit la marchandise de certifier cette remise sur un duplicata de la lettre de voiture. La Convention rend donc nécessaire la rédaction d’une lettre de voiture (alors que, par exemple, la pratique de la lettre de voiture s’est raréfiée en France dès les années 187041). Dans un but de simplification, l’art. 642 uniformise le contenu de cette lettre de voiture internationale. Pour former le contrat de transport international, elle doit comporter a minima plusieurs indications permettant d’identifier les lieux, les personnes, la chose et le trajet. Il faut en effet d’abord indiquer le lieu et la date de création de la lettre, la gare d’expédition et l’administration expéditrice, la gare de destination. Il faut ensuite mentionner le nom et le domicile du destinataire, sauf si la chose doit, à la gare de destination, être remise à l’expéditeur. La marchandise doit être désignée, avec indication des marques et numéros, du nombre et du poids des éventuels colis. Les papiers d’accompagnement nécessaires au franchissement des frontières doivent être énumérés. S’agissant du trajet, la lettre doit préciser si l’expédition se fait en grande ou petite vitesse, en port dû ou en port payé, aux conditions du tarif général ou d’un tarif spécial (avec limitations de responsabilité), ainsi que la voie à suivre (à défaut, le premier transporteur doit choisir la voie la plus avantageuse pour l’expéditeur43). Enfin, le nom et la signature (ou timbre) de l’expéditeur sont nécessaires, parce qu’il est responsable de l’exactitude des indications données et supportent toutes les conséquences qui résulteraient de l’irrégularité ou de l’inexactitude de ces déclarations (art. 7). Alors que l’avant-projet suisse prévoyait que, tant qu’un formulaire unique n’aurait pas été élaboré par les États signataires, d’autres éléments pouvaient s’ajouter à ces mentions, notamment celles qui sont en usage dans les différents pays traversés, le nouvel art. 6 interdit d’insérer dans les lettres de voiture d’autres déclarations ou d’y ajouter d’autres documents que ceux que la convention autorise.
18La rédaction de la lettre de voiture suppose donc l’accord des parties sur la chose et le prix (tarifs). Quant à la chose, l’art. 2 exclut du champ d’application de la Convention une liste de marchandises, qui ne peuvent donc pas faire l’objet d’un transport international entre pays signataires : objets dont le monopole est réservé à l’administration des postes ; objets que le matériel de l’une des compagnies ne pourrait pas transporter ; objets dont le transport est interdit sur le territoire de l’un des États à traverser. Quant aux tarifs, l’art. 4 soumet l’application des conditions des tarifs (tarifs communs des associations ou unions de chemins de fer, tarifs particuliers de chaque compagnie) à leur conformité à la convention ; à défaut, ces conditions tarifaires doivent être considérées comme « nulles et non avenues ». On ne saurait exprimer mieux le caractère impératif de la Convention sur ce point, caractère que revêt également l’art. 11, qui interdit tout traité particulier accordant à un ou plusieurs expéditeurs une réduction de prix sur les tarifs et en prononce la nullité de plein droit. Seuls les tarifs dûment publiés et légalement en vigueur peuvent donc s’appliquer. Ces frais, s’ils n’ont pas été payés au moment de la prise en charge de la marchandise, sont réputés par la convention être mis à la charge du destinataire (art. 12).
19Le contrat formé, des règles uniformes et d’ordre public réglementent son exécution. Celles-ci fixent, en premier lieu, les droits respectifs de l’expéditeur et du destinataire (art. 15). Il faut dire que, contrairement au transport maritime où la pratique du connaissement (bill of lading) est réglementée de manière à peu près uniforme dans tous les ports, le transport ferroviaire avait jusque-là donné lieu à des pratiques variables d’un pays à un autre quant à déterminer les droits de l’expéditeur et du destinataire sur la marchandise. Ces pratiques peuvent être ramenées à cinq systèmes : interdiction de tout changement à lettre de voiture après le départ de la marchandise ; transposition au transport ferroviaire de la technique du connaissement (le transporteur délivre à l’expéditeur un certificat qu’il peut transmettre à qui il veut et qui confère le pouvoir de disposer de la marchandise, mais ce système a suscité l’opposition de nombreuses compagnies de chemin de fer, et a été rejeté en Allemagne et en Autriche44) ; délivrance d’un récépissé nominatif à l’expéditeur, que ce dernier est obligé d’exhiber s’il souhaite disposer autrement de la marchandise ou dont le destinataire désigné dans le récépissé peut exciper pour faire valoir le droit à disposer de la marchandise que lui confère la possession de récépissé45) ; droit exclusif de l’expéditeur jusqu’à l’arrivée au lieu de destination (pratique allemande46) et tant que le destinataire n’a pas reçu la lettre de voiture ou agit pour réclamer la marchandise, même si l’expéditeur lui a transmis un récépissé ; détermination du droit de disposer par une clause insérée dans la lettre de voiture (système adopté par la loi suisse sur les transports par chemins de fer du 20 mars 1875 : l’expéditeur a le droit de disposer s’il a stipulé dans la lettre de voiture que les marchandises voyagent pour son compte et à ses risques).
20L’avant-projet (art. 10) proposait d’aménager le système suisse : en principe, une fois la marchandise remise et la lettre de voiture timbrée, l’expéditeur perd la main et le transporteur ne doit tenir compte que des ordres du destinataire, transmis par la gare de destination. Ce principe souffrait toutefois deux exceptions : la lettre de voiture pouvait en effet soit mentionner que l’expéditeur se réserve le droit de disposer ultérieurement de la marchandise, soit n’indiquer aucun autre destinataire que l’expéditeur lui-même. Il revenait donc à l’expéditeur de dire qui, de lui ou du destinataire, aurait le droit de disposer de la marchandise pendant le trajet. L’art. 15 de la Convention adopte un principe différent, qui emprunte à la fois au droit allemand et aux pratiques françaises : seul l’expéditeur a le droit de disposer de la marchandise (pour la reprendre, arrêter le transport, la faire livrer à un autre que celui qui est désigné dans la lettre de voiture), mais il doit pour cela exhiber son duplicata de la lettre de voiture (engage sa responsabilité le transporteur qui obéit aux ordres nouveaux de l’expéditeur sans exiger ce duplicata) et faire passer ses ordres par écrit par la gare d’expédition. C’est la raison pour laquelle la gare de livraison, en cas d’empêchements à la livraison, doit prévenir l’expéditeur et ne pas retourner la marchandise sans son consentement (art. 24). Les droits de l’expéditeur cessent lorsque, la marchandise arrivée à destination, la lettre de voiture a été remise au destinataire, ou si ce dernier a assigné la compagnie sur le fondement de l’art. 16 de la Convention (l’art. 16 permet au destinataire de réclamer la marchandise lorsqu’elle est arrivée à la gare de destination, tant qu’aucun ordre contraire n’a été donné par l’expéditeur dans les termes de l’art. 15).
21La marchandise arrivée à destination, la Convention impose au dernier transporteur de recouvrer la totalité des créances résultant de la lettre de voiture, pour son compte et pour celui des autres compagnies qui ont pris part au transport (art. 20). L’art. 23 le rend notamment responsable du paiement de la lettre de voiture s’il délivre les marchandises sans se faire payer. Il est placé par l’art. 21 dans la situation d’un créancier gagiste, tant que la marchandise est entre ses mains. Enfin, si la force majeure ou un cas fortuit empêche l’exécution du contrat et qu’une autre route ne peut être empruntée, le contrat demeure obligatoire et le transporteur a l’obligation de demander à l’expéditeur de nouvelles instructions (art. 18), qui peut demander la résiliation (à charge de payer les frais préparatoires, de déchargements et les frais de transport à proportion du chemin parcouru).
22Plus spécialement, la Convention met en place un droit uniforme de la responsabilité civile des compagnies. À cette fin, elle formule là encore des règles positives directement applicables dans les ordres juridiques des États signataires et se distingue par-là d’autres conventions internationales, par exemple la convention sur les postes et la convention sur les télégraphes, où ces questions de responsabilité sont souvent négligées. Pour limiter les difficultés que le caractère international du transport ne manquerait pas de produire, il faut en effet que soit connu à l’avance le tribunal compétent et le défendeur, par des règles du for et de légitimation passive claires et communes à tous les États signataires. Il faut également qu’un régime pour ainsi dire complet de responsabilité soit établi. C’est ce à quoi s’attelait l’avant-projet suisse, en prenant souvent appui sur la loi suisse du 20 mars 1875 et, sur le plan de la sévérité, en se plaçant à égale distance des rigueurs du droit français et de la modération dont font preuve les règlements d’exploitation allemands et autrichiens.
23S’agissant de la légitimation active, l’art. 26 dispose que les actions contre les compagnies fondées sur le contrat de transport international n’appartiennent qu’à celui qui a le droit de disposer de la marchandise. S’il s’agit de l’expéditeur, il doit exciper de son duplicata (à défaut, il doit se faire autoriser par le destinataire). L’avant-projet conférait au contraire en principe le droit d’agir au destinataire, censé agir devant le tribunal du lieu de destination (parce qu’il est à portée du destinataire) ; exceptionnellement, il conférait ce droit à l’expéditeur, s’il s’était réservé le droit de disposer de la marchandise jusqu’à la livraison ou s’il était lui-même le destinataire47. Les règles de légitimation active formulées par l’avant-projet déterminaient celles de la légitimation passive : lorsque le droit d’agir était accordé à l’expéditeur, le premier transporteur était constitué défendeur ; lorsque, au contraire, le droit d’agir était accordé au destinataire, l’action devait être intentée contre le dernier transporteur, y compris si la marchandise n’avait jamais circulé sur son réseau. Ici, le projet innovait : en cas de pluralité de transporteurs, le droit allemand/autrichien donnait à l’expéditeur le droit de s’adresser au premier ou au dernier transporteur, mais pas aux autres, sauf sur la preuve d’une faute propre qui leur soit imputable. Ni la loi suisse ni les pratiques françaises ou belges, quant à elles, n’admettaient une pareille responsabilité, sauf si la compagnie s’est volontairement engagée au moyen d’une commission48. L’avant-projet la fondait sur la fiction juridique que toutes les compagnies relevant des États signataires étaient censées accepter de se représenter mutuellement, au nom de l’intérêt du commerce et de leurs clients, et accompagnait cette responsabilité du dernier transporteur de la possibilité d’un recours contre les autres compagnies. La Convention, dans son art. 27, déclare responsable le transporteur qui a accepté la marchandise avec lettre de voiture pour le « parcours total jusqu’à la livraison ». Mais elle préfère donner au demandeur un droit d’option : l’action fondée sur le contrat peut être intentée contre le premier chemin de fer, contre celui qui a reçu en dernier lieu la marchandise avec la lettre de voiture ou contre celui sur le réseau duquel le dommage a eu lieu (le défendeur actionné disposant d’un recours contre les autres compagnies qui ont pris part au transport). Au passage, la Convention consacre la responsabilité du fait d’autrui. D’après l’art. 29, le chemin de fer est responsable des « agents attachés à son service et des autres personnes qu’il emploie pour l’exécution du transport dont il s’est chargé ». Comme toute action, celle du demandeur est enfermée dans des limites temporelles. À cet égard, la Convention met en place un droit uniforme quant à l’extinction du droit d’agir par déchéance ou prescription.
24Le paiement du prix de transport et des frais à la charge de la marchandise éteint toute action provenant du transport. Cette règle, formulée par l’art. 44, n’est pas exactement celle de l’avant-projet, dont l’art. 29 évoquait également le fait de réceptionner les marchandises sans réserve expresse. Dans la Convention, les réclamations pour défauts constatés avant l’acceptation de la marchandise ou après, s’ils n’étaient pas extérieurement apparents49, constituent des exceptions à la déchéance du droit d’agir, à l’instar de la preuve que le dommage a pour cause le dol ou la faute grave du transporteur ou de la réclamation pour retard faite dans un délai de sept jours (art. 44). Il faut comprendre en effet que la déchéance prend acte d’un désistement tacite, d’une renonciation implicite au droit de réclamer fondés sur une présomption, que le projet écarte notamment lorsque la victime prouve que le dommage a sa cause dans le dol ou la faute grave d’une des compagnies. Une telle solution s’écarte du droit allemand et de la jurisprudence des juges du fond français, qui conditionnaient la déchéance à la double condition du paiement de la lettre de voiture et de la réception de la marchandise, au motif que la livraison et la réception sont deux opérations distinctes, la réception supposant en outre que le destinataire ait pu reconnaître la marchandise, l’examiner, ce qui suppose son déballage. Elle est au contraire conforme à la position de la Cour de cassation française, qui considérait que la livraison et la réception ne forment qu’un seul et même acte. S’agissant de la prescription, l’art. 45 de la Convention fixe en principe le délai à un an, que le dommage résulte de la perte ou d’une avarie, et par exception à trois ans, en cas de dol ou faute lourde du transporteur (l’avant-projet allongeait dans ce cas le délai à cinq ans). Elle entend ainsi mettre fin aux disparités qui existaient d’un ordre juridique à un autre, voire à l’intérieur d’un même ordre juridique. En France, en Italie et en Hollande, le délai était de six mois pour les expéditions faites à l’intérieur et d’un an pour les expéditions à l’étranger, alors qu’un délai unique d’un an s’imposait en Suisse et en Allemagne. La Convention considère le transport dans sa globalité, comme un trajet unique, et il aurait été curieux d’admettre que, pour ce même transport, l’action soit éteinte dans un pays et pas dans un autre.
25De quel type de responsabilité s’agit-il ? À l’instar du projet de lois allemand et de la loi suisse de 1875, l’avant-projet (art. 18) imposait au transporteur une responsabilité stricte : dès lors qu’un dommage (perte totale ou partielle, avarie de la marchandise, retard dans la livraison) est constaté, le transporteur (tel que désigné en vertu de la règle posée par l’art. 16) est responsable, même s’il n’a pas pris part à l’événement qui a causé le dommage. Ce principe ne souffrait que quelques exceptions, limitativement énumérées par l’avant-projet, qui consistaient dans le fait pour le transporteur de rapporter la preuve que le dommage est dû à une faute de l’expéditeur au moment de la conclusion du contrat (en rapport avec les art. 3, 5 et 6), à un ordre donné par l’expéditeur ou le destinataire (en rapport avec l’art. 10), à un vice de la marchandise ou à la force majeure. Pour échapper au paiement de l’indemnité prévue par l’art. 16, le transporteur devait donc prouver que le dommage trouvait sa cause dans le fait du créancier, dans la chose ou un fait insurmontable et imprévisible. L’art. 30 de la Convention met également en place une responsabilité stricte, de principe, sauf preuve d’une cause extérieure au transporteur, tandis que l’art. 33 considère comme perdue la marchandise qui n’a pas été livrée dans les trente jours qui suivent l’expiration du délai de livraison, déchargeant le demandeur d’avoir à rapporter la preuve de la perte50, et que l’art. 39 n’exonère le transporteur du dommage occasionné par le retard dans la livraison que sur la preuve que ce retard procède d’une circonstance indépendante de sa volonté et de son fait. En cas de retard toujours, l’art. 40 souligne d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire, pour le demandeur, de prouver un dommage. La seule preuve du retard suffit pour obtenir une indemnité calculée d’après les modalités fixées par l’art. 40, tandis que la preuve d’un dommage permet d’obtenir, en outre, des D.I., mais dans la limite de la somme déclarée, d’après l’art. 40 qui reprend les dispositions de l’avant-projet suisse et contre la jurisprudence française, qui refuse que l’indemnité pour retard soit fixée dans la lettre de voiture51.
26Cette responsabilité stricte est toutefois écartée dans les cas limitativement énumérés par l’art. 31. Premièrement, en cas d’avarie survenue à une marchandise transportée en wagons découverts, lorsque cette avarie résulte des risques engendrés par ce type de transport. La règle est moins contraignante pour le transporteur que la solution dégagée en France par la Cour de cassation sur la base des art. 103 C.com. et 1784 C.civ., qui déclarent le voiturier responsable des avaries de la marchandise, sauf la preuve qu’elles proviennent du vice propre de la chose ou de la force majeure. Dans un arrêt du 16 février 1870, elle avait en effet jugé que, bien que les avaries éprouvées par la marchandise (du vin) soient la conséquence du mode de transport par wagons découverts choisi par l’expéditeur, la compagnie devait être déclarée responsable, dès lors que la cause (le froid, entraînant le gel d’une partie du vin) de ces avaries était prévisible et ne constitue donc pas un cas de force majeure et qu’elle a négligé de prendre, pour la conservation de la marchandise, les « précautions que peuvent commander les circonstances survenant au cours du transport » (avec la possibilité pour elle de se faire indemniser par l’expéditeur des frais qu’elle a pu engager)52.
27Deuxièmement, en cas d’avarie survenue en raison du défaut d’emballage, lorsque ce défaut a été signalé dans la lettre de voiture et qu’il a permis le dommage. Comme en Allemagne et en Suisse, l’art. 9 de la convention53 impose en effet le soin d’emballer la marchandise à l’expéditeur, lorsque l’emballage est rendu nécessaire en raison de la nature de la marchandise et du mode de transport, et autorise, à défaut, le transporteur à porter sur la lettre de voiture une mention spéciale indiquant le défaut d’emballage. Troisièmement, en cas d’avarie survenue à un animal vivant, lorsque cette avarie résulte du danger que représente pour l’animal un tel transport, etc… Dans tous ces cas, dominés par considérations objectives qui mettent en jeu les standards de la nécessité et du raisonnable, si les circonstances de fait laissent penser que l’avarie a pu résulter de l’une des causes ainsi mentionnées, la Convention présume qu’elle est effectivement la cause du dommage, sauf au demandeur à prouver le contraire. Dans le même esprit, le transporteur n’est pas responsable de la perte de poids éprouvée par la marchandise en raison du transport lorsqu’elle est précisément de nature à éprouver une telle perte en cas de transport, du moins tant que cette perte n’est pas excessive (art. 32).
28Les conditions de la responsabilité satisfaites, la Convention souhaite garantir à chaque demandeur, quelle que soit nationalité ou celle du défendeur, une indemnité dont le mode de calcul est imposé à toutes les juridictions des États signataires, afin d’éviter les disparités qui pourraient résulter de l’adoption ou non, dans chacun des ordres juridiques nationaux, du principe de la réparation intégrale ou encore de la prise, ou non, de la gravité de la faute dans la détermination du quantum de la réparation. C’est en effet sur ce point que les modèles français et allemand divergent le plus (bien que la jurisprudence de la Cour de cassation se rapproche, sur la question des dommages dus en cas de recours à des tarifs spéciaux, du droit allemand). D’après le droit français, la victime peut réclamer, outre la restitution de la valeur de la marchandise, la réparation de tous dommages, y compris pour bénéfice perdu (et d’après la jurisprudence française contemporaine de la Convention, la compagnie doit indemniser à hauteur du dommage réellement subi, lorsqu’il excède la valeur commerciale ordinaire ou la valeur déclarée, quelle que soit la gravité de la faute commise). Le droit allemand limite au contraire l’indemnité à la valeur commerciale de la marchandise, sauf preuve du bösliche Handlung (acte malveillant) du transporteur, et concède aux compagnies la faculté de restreindre davantage encore leur responsabilité (dans des limites fixées par la loi54). C’était donc seulement en cas de dol que le Code de commerce allemand imposait la réparation intégrale55.
29En cas de perte totale ou partielle, et sauf insertion d’une déclaration d’intérêt à la livraison dans la lettre de voiture56, la Convention calcule l’indemnité d’après le prix courant de marchandises de même nature et qualité (art. 34). Le juge doit se placer au lieu et à l’époque où la marchandise a été acceptée au transport (lieu d’expédition). À défaut de prix courant, elle est calculée d’après la valeur ordinaire de la marchandise57. En cas d’avarie, la compagnie doit payer le montant intégral de la dépréciation subie par la marchandise (art. 37). Ces dispositions s’écartent de l’avant-projet, dont les art. 20 et 21 (qui visaient la perte ou destruction mais qui, suivant l’art. 25, s’appliquaient par analogie aux cas d’avarie ou de perte partielle) distinguaient selon que la valeur de la marchandise avait été déclarée dans la lettre de voiture ou pas58.
30Quant au retard dans la livraison, il donne lieu à des indemnités fixées directement par la Convention (art. 40), en fonction du prix du transport et de la longueur du retard (par exemple, 1/10ème du prix de transport pour un retard égal ou inférieur à 1/10ème du délai de transport). La Convention adopte ainsi un mode de calcul plus précis et adapté au retard, alors que l’avant-projet prévoyait une indemnité unique égale à la moitié des frais de transport (mais l’indemnité pouvait monter à la totalité des frais de transport en cas de retard excédant le double du délai de livraison prévu, art. 26). Elle plafonne l’indemnité à la valeur de la somme déclarée, ce qui rompt à la fois avec les droits allemand et autrichien (sauf si l’expéditeur s’est assuré contre le retard, il n’a droit qu’à une indemnité dont le montant ne peut dépasser le prix total du transport, sauf s’il prouve la mauvaise de la compagnie ou de ses agents) et avec le droit français, qui pratique le principe de la réparation intégrale.
31Comme souvent (on peut penser à la loi de 1898 relative aux accidents du travail), la consécration d’une responsabilité stricte, garantie d’une indemnisation plus facile, s’accompagne d’une tarification de la réparation, sans souci d’une réparation intégrale du préjudice. Cette tarification n’est abandonnée, au profit de la victime, que sur la preuve d’un comportement particulièrement grave du défendeur. C’est ce que montre l’art. 41 de la Convention, qui prévoit que, en cas de dol ou faute grave, une indemnité pleine et entière comprenant les dommages et intérêts peut être réclamée. Le quantum de la réparation dépend donc de la gravité de la faute. Là encore, les principes du droit commun français de la responsabilité civile sont écartés, au profit du Code de commerce allemand.
IV. La part laissée aux droits nationaux et à l’initiative privée (stratégies de jurislation)
32Si la Convention impose, elle fait aussi parfois le choix de se placer en retrait. C’est ainsi que, souvent d’ailleurs à propos des questions de procédure, elle se limite à renvoyer aux droits nationaux. Par exemple, l’action de celui dont la marchandise a été endommagée doit être intentée devant un tribunal de l’État où la compagnie attaquée a son siège et dont la compétence doit être déterminée d’après les lois de cet État (art. 27)59. Mais il peut s’agir aussi du droit matériel. En cas de recours de la compagnie condamnée à payer contre les autres compagnies qui ont pris part au transport, la Convention se contente de déterminer le juge compétent (celui du défendeur, le demandeur ayant le choix du juge du domicile si plusieurs compagnies sont concernées, art. 53) et l’autorise à appliquer les règles déterminées par son droit national, sauf si elles sont contraires aux dispositions de la Convention (art. 55). Autre exemple : alors que l’avant-projet ne prévoyait que deux causes d’interruption de la prescription (exercice d’une action en justice ou envoi d’une réclamation écrite à la compagnie responsable), l’art. 45 dispose que l’interruption est régie par les lois du pays où l’action est intentée.
33Plus généralement, il arrive que la Convention reconnaisse des droits ou impose des obligations, mais abandonne leur mise en œuvre au droit national qu’elle désigne. Il en va ainsi du droit de gage reconnu au transporteur (art. 21), dont les effets sont réglés d’après les lois du pays où s’effectue la livraison (art. 22), ou des vérifications auxquelles le transporteur doit se livrer, en cas de perte totale, partielle ou avarie, pour dresser immédiatement procès-verbal de constatation de l’état de la marchandise, du montant du dommage et, si possible, de sa cause : ces vérifications doivent être faites conformément aux lois et règlements du pays où elle a lieu (art. 25). De même, le calcul des taxes de transport et des frais, le calcul des délais de livraison, la livraison des marchandises, leur éventuelle remise au destinataire en dehors de la gare de destination, doivent être réglés conformément aux lois et règlements en vigueur et applicables à la compagnie chargée de la livraison (art. 19). Pourquoi n’avoir pas ici formuler un droit uniforme pour tous les États ? Sans doute parce que les compagnies sont nombreuses, qu’elles constituent toutes des personnes morales représentant les intérêts particuliers des associés et liées aux différents États par des conventions particulières. Les soumettre, au moyen d’un traité international auquel elles n’ont pas pris part, à des tarifs et des délais uniformes et profitables au public aurait constitué une atteinte trop grave à leurs intérêts60. En outre, les législations nationales étaient souvent divergentes quant à savoir si la livraison doit se faire au domicile du destinataire ou en gare. La Convention préfère ne pas trancher entre elles. Dans tous ces cas, les droits internes l’emportent parce qu’il s’agit au fond de questions secondaires ou d’enjeux étroitement liés aux besoins et aux usages locaux.
34Outre ces hypothèses de renvoi aux droits nationaux, la Convention met parfois en place un droit marginalement supplétif. Le caractère supplétif de certaines dispositions s’explique sans doute par la volonté de distinguer l’énonciation des principes, réservée à la Convention, de leur mise en œuvre. La question du recours que la compagnie condamnée à verser une réparation peut exercer contre les autres compagnies qui ont pris part au transport en offre un exemple. D’un côté, la Convention énonce elle-même un principe, d’ailleurs admis déjà par les jurisprudences française, suisse et italienne et par les règlements allemands du 1er juillet 1874 : lorsque le dommage a été causé par le fait de plusieurs compagnies, chacune est responsable pour son propre fait, mais également pour les faits des autres transporteurs intermédiaires. D’un autre côté, elle ne formule, pour la mise en œuvre de ce principe, qu’un droit supplétif. D’après l’art. 54, les règles contenues aux art. 47 et sv. (art. 32 à 34 de l’avant-projet) relatives aux recours des compagnies entre elles ne s’appliquent qu’en l’absence de « conventions particulières que les chemins de fer peuvent, soit d’avance, soit dans chaque cas spécial, contracter entre eux concernant les recours »61, sans doute parce qu’elles ne concernent pas directement les clients et propriétaires de marchandises. C’est ainsi entendu que l’art. 47 dispose que chacune doit répondre du dommage causé par sa propre faute, et que la compagnie condamnée doit pouvoir se retourner contre la/les compagnie(s) fautive(s). S’il n’est pas possible de déterminer dans quelle mesure la faute de l’une des compagnies à contribuer au dommage, il faut appliquer la règle prescrite pour le cas où il n’est pas possible de prouver que le dommage a été causé par la faute d’une ou plusieurs compagnies : toutes les compagnies qui ont pris part au transport, sauf évidemment à établir que le dommage n’est pas survenu sur leurs lignes, répondent du dommage en proportion du prix du transport62 qu’elles auraient reçu si la marchandise était arrivée à destination intacte63.
35Ce caractère supplétif s’explique également par la volonté de préserver l’autonomie privée des parties au contrat64. C’est ainsi que, par dérogation aux modalités de calcul des indemnités dues en cas de perte ou de retard prévues par la Convention, l’art. 35 autorise les compagnies à insérer, mais seulement dans des tarifs spéciaux réduits, des limitations de responsabilité, en établissant un montant maximum à payer en cas de perte ou d’avarie. En France, une telle possibilité, contraire au principe de la réparation intégrale, avait d’abord été rejetée par la jurisprudence, avant d’être admise, sous les mêmes conditions, par des arrêts de la Cour de cassation des 15 mars 1869, 2 et 23 juin 1874, 4 et 6 janvier 1875, qui reconnaissent la validité des clauses dites de transport à tarifs réduits sans responsabilité, qui peuvent même décharger la compagnie de toute indemnisation, sauf pour l’expéditeur à prouver sa faute ou sa négligence.
36Que conclure de tout cela ? Premier constat : en couvrant le transport international de marchandises sur plus de 125 000 km de lignes, la Convention de 1890 constitue une « véritable législation internationale des transports par voies ferrées »65, « une sorte de code de commerce international »66. Si les intérêts économiques en jeu ont évidemment favorisé son élaboration, le fait que les droits des principaux pays concernés trouvaient leur source d’inspiration principale dans le receptum nautarum du droit romain ou dans le Code de commerce français l’a sans doute également facilitée. Seules deux questions ont véritablement donné lieu à discussion, parce qu’elles étaient réglées de manière très différente par ces droits nationaux : le droit de disposer de la marchandise en cours de route, et la détermination du montant des indemnités en cas de perte, avarie ou retard. Limitée au transport international de marchandise, elle a influencé dans plusieurs pays européens le droit interne des transports67.
37Ensuite – deuxième constat –, cette convention annonce à bien des égards les voies qu’empruntera, dans le dernier tiers du xxe s., le droit de l’Union européenne. S’inscrivant dans les limites du droit international privé, ce dernier comporte en effet, comme elle, des dispositions de trois types. Les premières cherchent à régler les conflits de juridictions, en proposant un critère de rattachement unique pour tous les pays signataires, par exemple en matière d’avaries ou de retard. Il s’agit donc de déterminer le for au moyen de règles fournies par la convention elle-même et non plus par les ordres juridiques nationaux. Telle est la méthode qu’adopteront les règlements Bruxelles I et Bruxelles II bis. Le deuxième type de règles est constitué par celles qui mettent en place des règles matérielles communes aux pays signataires, par exemple en matière de formalités nécessaires pour la constatation des dommages causés aux marchandises ou de responsabilité du transporteur principal (notamment en relation avec celle des transporteurs intermédiaires). La troisième catégorie de règles sont celles qui, sans imposer aux pays signataires des règles matérielles précises et communes, consistent dans des directives ou principes, que les droits nationaux sont appelés à développer (par exemple, le dernier transporteur est responsable des fautes des transporteurs antérieurs, contre lesquels il dispose d’un recours).
Notes de bas de page
1 E. Olivier, Des chemins de fer en droit international, Paris, 1885, p. 28 et sv.
2 Selon l’expression de Ch. Lyon-Caen, « La convention du 14 octobre 1890 sur le transport international des marchandises par chemins de fer », Journal du droit international privé, 1893, t. 21, n° 5-6, p. 471. Du même, au Journal du droit international privé, 1894, t. xxi.
3 Le même Institut concèdera en 1896 que la création par la Convention d’un Office international chargé de résoudre les difficultés et de proposer des améliorations rend désormais son initiative sans objet (Annuaire de l’Institut de droit international, Paris, 1896, vol. xv, p. iv).
4 Son rapport est publié dans la Revue de droit international et de législation comparée, 1878, t. x, p. 83 et sv.
5 Par exemple, G. Eger, dans La législation internationale sur les transports par chemins de fer (Paris, 1877, p. 1), fait état d’une pétition adressée au Parlement suisse, qui rappelle que le sort d’une marchandise transportée de Francfort à Marseille était réglé successivement par quatre législations nationales différentes pendant son trajet.
6 Sur l’intérêt pour l’Allemagne de ce tunnel et les problèmes juridiques posés par son rachat par la Confédération en raison de la nationalisation du réseau suisse, qui devait conduire à la convention du 18 octobre 1909 signée en l’Italie, l’Allemagne et la Suisse, cf. Revue générale de droit international public, 1911, t. 18, p. 44 et sv. et 1913, t. 20, p. 484 et sv.
7 L. Tissot, « Naissance d’une Europe ferroviaire : la convention internationale de Berne (1890) », in : M. Merger, D. Barjot, Les entreprises et leurs réseaux : hommes, capitaux, techniques et pouvoirs, Paris, 1998, p. 285.
8 A. Picard, Les chemins de fer : aperçu historique, résultats généraux de l’ouverture des chemins de fer, concurrence des voies ferrées entre elles et avec la navigation, Paris, 1918, p. 123.
9 Convention Internationale Marchandises (CIM) du 23 octobre 1924, entrée en vigueur le 1er octobre 1928.
10 C’est cet Office qui, en raison du succès de la Convention de 1890, a été conduit à élaborer un projet de convention relative au transport de voyageurs. Ce projet, après avoir été communiqué aux gouvernements intéressés, a été discuté à Berne à partir du 16 mai 1911. Un projet définitif de convention a été adopté le 30 mai 1911.
11 « La convention du 14 octobre 1890 sur le transport international des marchandises par chemins de fer », Journal du droit international privé, 1893, t. 21, n° 5-6, p. 465.
12 Droz, « L’union internationale des chemins de fer », Rev. gén. de droit international public, 1895, t. II, p. 169.
13 Le Journal des transports, 1890, 13ème année, n° 43, p. 509.
14 L. Tissot, « Naissance d’une Europe ferroviaire : la convention internationale de Berne (1890) », in : M. Merger, D. Barjot, Les entreprises et leurs réseaux : hommes, capitaux, techniques et pouvoirs, Paris, 1998, p. 284.
15 Droz, « L’union internationale des chemins de fer », Rev. gén. de droit international public, 1895, t. II, p. 169.
16 Y compris à l’intérieur d’un même ordre juridique. En France par exemple, les juridictions commerciales neutralisaient les clauses d’exonération de responsabilité imposées par les transporteurs, au motif qu’ils exercent un monopole, alors que la Cour de cassation les admettait, estimant que l’expéditeur, libre de choisir ce moyen de transport plutôt qu’un autre, est censé les accepter en recourant aux services de la compagnie.
17 Dans son étude critique du projet présenté par H. Fick, G. Eger précise ainsi qu’il a étudié les droits allemand, français, hollandais, belge, italien, anglais, suisse et hongrois en vue d’élaborer son contre-projet (G. Eger, La législation internationale sur les transports par chemins de fer, Paris, 1877, p. iv).
18 Texte publié dans : G. Eger, La législation internationale sur les transports par chemins de fer, Paris, 1877, p. 18 et sv.
19 Ibid., p. 2.
20 Ibid., p. 6.
21 B. Gehlen (« Zwischen Wettbewerbsideal und Staatsräson: Die Diskussionen im Deutschen Handelstag über Regulierung und Verstaatlichung der Eisenbahnen (1861–1879) », Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte / Economic History Yearbook, vol. 52, n° 2, 2011, p. 119-152) évoque à ce propos la réflexion de Franz Perrot, expert auprès de la Chambre du Commerce (DHT), qui, en 1872, propose la nationalisation et l’intégration des chemins de fer allemands sur la base d’une comparaison avec la France (70 administrations ferroviaires différentes en Allemagne en 1872 contre 6 en France).
22 Dans les motifs publiés à l’appui du projet de loi on peut lire : « La liberté de contrat que peut en général revendiquer tout industriel – et le chemin de fer n’est pas autre chose – a son régulateur dans la dépendance en matière de contrat où le public se trouve vis-à-vis du chemin de fer, quant aux conditions du transport » (Motifs reproduits dans la Feuille fédérale suisse, 27ème année, vol. 1, n° 11, p. 313).
23 Sur ce point, cf. la Feuille fédérale suisse, op. cit., p. 314.
24 G. Eger, La législation internationale sur les transports par chemins de fer, Paris, 1877, p. 12.
25 É. Bert, Loi du 11 avril 1888, concernant les transports de marchandises par chemins de fer : responsabilité des compagnies en cas de retard, avarie ou perte, Paris, 1888, p. 6.
26 Avant le Code de commerce de 1861, applicable également en Autriche, l’Allemagne ne disposait pas d’un droit commercial uniforme et les compagnies de chemin de fer avaient dû, déjà, se regrouper en 1846 en une association (Verein) qui, au moment des discussions qui devaient conduire à la Convention de Berne, réunissait 72 compagnies, dont 44 allemandes, 21 austro-hongroises, 4 néerlandaises, 1 luxembourgeoise, 3 belges, 1 roumaine et 1 russo-polonaise, sur près de 80.000 km (cf. Droz, art. précit., p. 171).
27 On a pu dire de ce projet qu’il entendait « faire adopter dans l’Europe entière cette loi suisse légèrement modifiée » (G. Eger, op. cit., p. 51).
28 Exposé des motifs, cf. G. Eger, op. cit., p. 30.
29 Lyon-Caen prophétise d’ailleurs que la Convention aura sur les législations nationales une influence considérable, parce qu’elle « amènera peu à peu à leur rapprochement, puis leur uniformité » (art. précit., p. 465).
30 Le transport international de voyageurs a d’emblée été écarté, sans doute parce qu’il est moins exposé que celui des marchandises au risque de conflits de lois.
31 Cf. l’exposé des motifs, publié dans : G. Eger, op. cit., p. 30.
32 G. Eger, ibid.
33 Le Journal des transports : revue internationale des chemins de fer et de la navigation, 1890, 13ème année, n° 43, p. 508.
34 Celles-ci avaient pu examiner le projet lors du Congrès international pour le développement et l’amélioration des voies de transport organisé à Paris en 1878 à l’occasion de l’exposition universelle (cf. Lyon-Caen, art. précit., p. 473).
35 Le Journal des transports…, op. cit., p. 510.
36 V. Asser, Le transport international des marchandises par chemins de fer et la convention de Berne de 1886, 1887.
37 N. Droz, art. précit., p. 172.
38 Lyon-Caen et Renault, Traité de droit commercial, t. iii, n° 772, 844 et 860.
39 Cependant, alors que l’avant-projet voulait que la juridiction désignée pour statuer sur l’indemnité en cas de perte, avarie ou retard se prononce aussi sur les demandes présentées à titre principal que sur les demandes reconventionnelles (ajoutant qu’elle statuait également sur les recours des compagnies entre elles, art. 17), la Convention (art. 28) admet que les exceptions et demandes reconventionnelles peuvent être présentées devant une autre juridiction, prenant ainsi le risque de jugements contradictoires.
40 Cf. N. Droz, art. précit., p. 178.
41 Cf. L. Sarrut, Législation et jurisprudence sur le transport des marchandises par chemins de fer, Paris, 1874, n° 384.
42 Art. 2 de l’avant-projet suisse.
43 En France, la circulaire du 28 mai 1867 donne le choix de l’itinéraire à l’expéditeur, cf. Sarrut, op. cit., n° 377.
44 Cf. exposé des motifs (G. Eger, op. cit., p. 35).
45 Système consacré par le Code de commerce hongrois, art. 404, et pratiqué en France, où il est critiqué par L. Sarrut dans sa Législation et jurisprudence sur le transport des marchandises par chemins de fer, Paris, 1874.
46 D’après le § 402 du Code de commerce et le règlement des chemins de fer, la compagnie doit se conformer aux ordres de l’expéditeur tant que le destinataire n’a pas reçu la lettre de voiture après l’arrivée des marchandises au lieu de destination ou n’a pas agi en justice pour réclamer la lettre et les marchandises. La règle a été recueillie dans le Code de commerce italien, qui toutefois distingue selon que la lettre est à ordre ou au porteur : si elle a été faite au porteur, le porteur du double signé par le transporteur peut disposer des marchandises.
47 Art. 15 et 16 de l’avant-projet. L’expéditeur devait agir devant le tribunal du lieu d’expédition, parce qu’il est le plus à sa portée.
48 En doctrine, le contrat de commission est souvent analysé comme un mandat. Il rend la compagnie responsable du fait de chacune des autres compagnies qui ont pris part au transport. C’est précisément en raison du caractère dangereux et onéreux d’une telle obligation que Sarrut estime que la commission doit toujours demeurer facultative et qu’il ne faut donc pas obliger une compagnie à transporter une marchandise vers un lieu qui ne se trouve pas sur ses lignes, sauf à lui imposer de répondre de préposés qu’elle n’a pas choisis (Sarrut, n° 377). Mais cette qualification juridique de la commission reste discutée, cf. V. Simon, « La commission de transport (XVIe-XXe siècle) : aux origines d’une qualification incertaine », Clio&Themis n° 17, 2019.
49 Sous les conditions que la demande en constatation soit faite immédiatement après la découverte du dommage et au plus tard dans les sept jours et que le demandeur prouve que le dommage est survenu entre la remise de la chose par l’expéditeur et la livraison.
50 Solution empruntée à l’avant-projet, art. 19.
51 Cf. L. Sarrut, op. cit., n° 384.
52 Civ. 16 février 1870, S. 70.1.308.
53 Art. 5 de l’avant-projet.
54 Le § 427 permet au transporteur de fixer un montant maximal pour l’indemnité due au cas où la lettre de voiture ne renferme aucune déclaration de valeur (qui déclenche l’application d’un tarif plus élevé). En Allemagne et en Autriche, les règlements d’exploitation en usage fixaient un maximum de 60 marks en l’absence de déclaration de valeur (Exposé des motifs, cf. G. Eger, op. cit. p. 41).
55 Encore que le droit allemand alors en vigueur ne prenait pas en compte à la fois le damnum emergens et le lucrum cessans.
56 Cette déclaration d’intérêt permet d’obtenir des D.I. supérieurs à ceux qu’autorisent les art. 34 ou 37 de la Convention, dans la limite de la somme fixée par cette déclaration et sur la preuve, par le demandeur, de l’existence et de l’étendue du dommage qu’il invoque (art. 38).
57 Ces modalités de calcul ne reproduisent pas exactement celles prévues par le § 396 du Code de commerce allemand, qui, en cas de perte, restreint la responsabilité du transporteur à la valeur commerciale commune de la marchandise au lieu et au jour de la livraison, déduction faite des frais de douane et de transport et autres.
58 Dans le premier cas, l’indemnité était égale à la valeur déclarée, à laquelle s’ajoutaient des intérêts de 6% à compter du jour où la livraison aurait dû avoir lieu. Une réduction était cependant possible, si le transporteur parvenait à prouver qu’une telle indemnité excédait la somme qui résulterait de l’application de la règle formulée par l’art. 20 de l’avant-projet dans le cas où la valeur de la marchandise n’avait pas fait l’objet d’une déclaration. Cette faveur faite au transporteur était cependant exclue lorsque cet écart pouvait être justifié par un intérêt individuel du demandeur. Dans le second cas, l’indemnité était calculée d’après la valeur commerciale au lieu et à l’époque où la livraison devait avoir lieu. La somme ne pouvait, cependant, excéder 1 500 fr. par 50 kg de marchandises (sauf en cas d’expédition par grande vitesse). Le transporteur pouvait déduire les droits de douane et frais évités en raison de la perte de la marchandise, ainsi que les frais de transport qui n’auraient pas encore été payés. Comme lorsque la valeur avait été déclarée, s’ajoutaient à cette indemnité des intérêts de 6%, à compter du jour où la livraison devait s’effectuer.
59 Art. 16 de l’avant-projet.
60 Exposé des motifs (G. Eger, op. cit., p. 33).
61 Repris de l’art. 35 de l’avant-projet.
62 L’avant-projet énonçait une règle différente : en cas de faute collective ou si le dommage est survenu sur des réseaux appartenant à plusieurs compagnies, toutes sont solidairement tenues à réparer, à proportion de l’étendue de leur faute ou, s’il n’est pas possible de la déterminer, à proportion de la longueur du réseau parcouru (art. 34). L’avant-projet prévoyait également de prendre en compte le comportement du défendeur, puisque le juge était invité à tirer les conséquences du fait qu’une compagnie ait pu, en raison de sa négligence (communication de renseignements tardifs ou insuffisants aux autres compagnies), causer en tout ou partie la condamnation à D.I. Cette disposition ne figure pas dans la Convention.
63 L’art. 47 prévoit de faire supporter l’insolvabilité de l’une des compagnies appelées à contribuer par les autres selon la même modalité. Les mêmes règles s’appliquent en cas de retard (art. 48) : le dommage causé par le retard dû à une faute collective donne lieu à une indemnité supportée par les compagnies à proportion de la durée du retard pris sur leurs réseaux respectifs.
64 Pour autant, la Convention ne reproduit pas les dispositions de l’avant-projet relatives aux limitations ou restrictions de responsabilité, lequel se bornait à affirmer deux principes, obligatoires : d’une part, les limites ou restrictions doivent être mentionnées expressément dans la lettre de voiture (par insertion ou par renvoi) ; d’autre part, ces limites ou restrictions restent sans effet lorsque le demandeur prouve que l’une des compagnies qui ont pris part au transport a commis une faute, cause du dommage (art. 28). Au-delà de ces deux principes, l’autonomie reconnue aux compagnies dépendait des droits nationaux : d’après l’avant-projet, il devait appartenir à la loi du lieu d’expédition, conformément aux principes du droit international privé, de décider si les clauses limitatives insérées dans les règlements (tarifs) approuvés par l’expéditeur dans la lettre de voiture pouvaient lui être opposées, i.e. si elles étaient licites ou non.
65 H. Bonfils, Manuel de droit international public, Paris, 1907, 7ème éd, n° 925.
66 Le Journal des transports, 1890, 13ème année, n° 43, p. 509.
67 En Belgique, le vote de la loi du 25 août 1891 relative au contrat de transport a été retardé précisément pour tenir compte des dispositions de la Convention, et, en Suisse, la loi fédérale du 12 avril 1893, qui remplace celle du 20 mars 1875, reproduit pour l’essentiel les règles de la Convention. En Allemagne et en Autriche, de nouveaux règlements ont été rédigés en 1892 et 1893, pour prendre en compte, là encore, le droit de la Convention. Cf. Lyon-Caen, art. précit., p. 470.
Auteur
Professeur à l’Université Lyon 3-J. Moulin
CLHDPP (EA 669)
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