Territorialité et livraison de biens meubles corporels
p. 41-53
Note de l’auteur
Ce texte a été présenté lors du colloque organisé par notre collègue Francis QUÉROL le 19 octobre 2012. Sophie RAIMBAULT de FONTAINE y a contribué par son aide documentaire et ses échanges sur le sujet. Qu’ils en soient ici remerciés.
Texte intégral
Introduction
1. Définitions
1Les livraisons de biens meubles corporels sont depuis l’origine au cœur du système de TVA. La construction progressive du Marché commun devenu unique a débuté avec la libéralisation européenne de la circulation des marchandises, objet des plus classiques du commerce international et référence traditionnelle tant de la doctrine économique2 que des outils juridiques développés en matière douanière.
2Aux termes de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée3 (art. 14) : “est considéré comme « livraison de biens », le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.”4 Les biens immeubles font l’objet de dispositions spéciales et les livraisons de biens meubles incorporels sont assimilées aux prestations de service (art. 25), catégorie résiduelle de celle des livraisons de biens (art. 24).
3On notera cependant que “ sont assimilés à des biens corporels l’électricité, le gaz, la chaleur, le froid et les choses similaires » (art. 15 Dir. 2006/112), donc des biens dont le caractère corporel aurait pu être discuté. Surtout, “ est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux le transfert par un assujetti d’un bien de son entreprise à destination d’un autre État membre” (art. 17 Dir. 2006/112). La notion de livraison de biens, qui implique par principe un “transfert du pouvoir de disposer […] comme un propriétaire” s’applique ici en l’absence de tout transfert juridique pour des motifs parfaitement clairs de contrôle motivés par le maintien de références aux frontières des Etats-membres. Les principes juridiques sont ainsi aménagés par le droit de l’Union pour tenir compte des limites territoriales à la construction d’un véritable Marché unique. C’est un problème récurrent sur lequel il y aura matière à revenir.
4Qui plus est (art. 20) “Est considérée comme « acquisition intracommunautaire de biens » l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui de départ de l’expédition ou du transport du bien.
5“Lorsque des biens acquis par une personne morale non assujettie sont expédiés ou transportés à partir d’un territoire tiers ou d’un pays tiers et importés, par cette personne morale non assujettie, dans un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport, les biens sont considérés comme expédiés ou transportés à partir de l’État membre d’importation. Cet État membre accorde à l’importateur désigné ou reconnu comme redevable de la taxe en vertu de l’article 201, le remboursement de la TVA acquittée au titre de l’importation, dans la mesure où l’importateur établit que son acquisition a été soumise à la taxe dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens.”
6De plus (Article 21) : “Est assimilée à une acquisition intracommunautaire de biens effectuée à titre onéreux l’affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d’un bien expédié ou transporté, par l’assujetti ou pour son compte, à partir d’un autre État membre dans lequel le bien a été produit, extrait, transformé, acheté, acquis au sens de l’article 2, paragraphe 1, point b), ou importé par l’assujetti, dans le cadre de son entreprise, dans cet autre État membre.” En somme, la notion qui est au cœur de notre propos est d’autant plus difficile à cerner que le problème de sa nature juridique est traversé par une question de territorialité : sa réalisation au sein du Marché unique, un territoire désormais distinct de celui des Etats hors Union mais qui conserve en son sein la réminiscence des anciennes et persistantes frontières nationales des Etats-membres5.
2. Le système actuel
7Comme nous le savons tous, le système transitoire de TVA initialement prévu pour la période 1993-1997, depuis indéfiniment prorogé, est basé sur une distinction entre les opérations impliquant des particuliers6, qui bénéficient depuis le 1er janvier 1993 de la logique – désignée depuis 1967 comme horizon du système harmonisé de TVA – dite “du pays d’origine” (sous réserve de certains régimes particuliers comme les ventes à distance et des acquisitions de moyens de transport immatriculables) et les opérations entre assujettis7, toujours soumises à la logique dite “du pays de destination” que la communication de la Commission en date du 6 décembre 2011 (COM (2011) 851 final) a finalement reconnue comme le principe définitif à retenir pour le régime de TVA intra-UE.
8Les opérations entre assujettis sont régies par les règles de la TVA intra-UE qui nécessitent plusieurs formalités spécifiques et sont basées sur une adaptation de l’ancienne séparation frontalière. Les opérations d’achat par un assujetti français8 auprès d’un assujetti d’un autre Etat-membre ont été distinguées des importations par la dénomination d’acquisition intracommunautaire, devenue acquisitions intra-UE. Quant aux ventes réalisées par un assujetti français à un assujetti d’un autre Etat-membre, elles sont désormais dénommées livraisons intra-UE (ex-livraisons intracommunautaire), pour les distinguer des exportations. La logique reste néanmoins semblable mais les formalités sont basées sur l’attribution d’un numéro d’identification à la TVA intra-UE, numéro dont les mention sur la facture est absolument indispensable pour que l’opération relève du régime de la TVA intra-UE. En l’absence de mention du numéro, l’opération doit être traitée comme une opération interne, ce qui implique le plus souvent que l’assujetti n’ayant pas prélevé la TVA sur une opération qu’il pensait soumise à la TVA du pays de l’acquéreur assujetti soit quand même redevable du montant de TVA omise.
9Si l’opération est réalisée dans le stricte respect des formalités administratives, elle se décompose en deux opérations distinctes.
10La première opération a lieu dans le pays du vendeur assujetti. Comme en matière d’exportation, la livraison intra-communautaire est exonérée de la TVA du pays d’origine. Les formalités administratives vont permettre de justifier l’absence de TVA exigible dans ce pays sans pour autant faire perdre au vendeur le bénéfice de son droit à déduction de la TVA d’amont.
11La seconde opération a lieu dans le pays de l’acquéreur assujetti. Il s’agit d’une adaptation administrative à la disparition des frontières physiques entre les pays du Marché unique européen. L’acquéreur assujetti doit procéder à deux formalités indispensables. Il commence par déclarer auprès de son administration fiscale la TVA relative à l’opération d’acquisition intra-UE. Il procède ici à ce qui est appelé autoliquidation de la TVA au taux en vigueur dans son pays d’installation (le “pays de destination” du bien livré). Dans un deuxième temps, il déclare le montant de TVA correspondant au titre de son droit à déduction en tant qu’assujetti. Ces deux opérations sont souvent mal distinguées par les praticiens puisqu’elles aboutissent dans la plupart des situations à une neutralisation de la TVA exigible par la TVA déductible et donc à un absence de décaissement. Il est indispensable de souligner qu’en cas de droit à déduction nul ou réduit, une différence (et donc un montant de TVA à décaisser) est susceptible d’apparaître. Dans tous les cas, toutes ces opérations administratives sont indispensables au bon suivi des livraisons de biens par les fiscs nationaux, suivi nécessaire pour la réalisation de contrôles9.
12Si le raisonnement est purement national, l’opération semble se limiter à une exonération (dans le pays d’origine) ou à une autoliquidation immédiatement compensée comptablement par un droit à déduction de même montant (dans le pays de livraison). C’est une illusion d’optique fréquente qui laisse souvent penser que l’opération intra-UE échappe au final à la TVA. Il est impératif de distinguer la réalité juridique de ces opérations de leur traduction comptable. Il y a bien application de la TVA : celle du pays de destination (pays où a lieu l’acquisition intra-UE) ce qui permet au final d’introduire le bien livré dans le circuit national de TVA, TVA qui est certes la plupart du temps neutralisée en raison du principe de neutralité de la TVA pour les professionnels (les assujettis).
13Dès lors, seuls les particuliers sont en quelques sortes “libres” de circuler où bon leur semble sur le territoire de l’Union et d’acquérir un bien, en acquittant auprès du vendeur la TVA du pays où a lieu l’opération (le “point de vente”). Ils bénéficient ainsi des conséquences administratives de la suppression intérieures des frontières au sein du Marché unique, frontière matérielles qui permettaient auparavant de faire acquitter la TVA du pays où les biens entraient pour leur consommation finale. Les exceptions à ce principe s’expliquent par une assimilation/un rapprochement entre ce régime et celui des assujettis. Deux raisons, économiques et pratiques, expliquent ces exceptions. Economique car les biens concernés, par leur valeur, impliquent, un important manque à gagner potentiel en termes de ressources fiscales. Raison pratique ensuite car ces opérations réalisées par des non-assujettis sont administrativement contrôlables, ce qui permet la perception de la TVA. En effet, si les véhicules neufs10 sont soumis à la TVA dans le pays où réside leur acquéreur, c’est parce que ce dernier est tenu de les immatriculer : le passage dans les services d’immatriculation permet la perception de la TVA nationale. En ce qui concerne la vente à distance, ce sont les entreprises de vente à distance, des assujetties donc, qui permettent d’effectuer le traitement fiscal des opérations. Une approche globalisante est indispensable et explique que le basculement dans le régime de la TVA du pays de destination des biens livrés aux particuliers soit soumis à un seuil (35.000 ou 100.000 euros selon les Etats-membres11).
14Une dernière remarque : ce régime spécial des ventes à distance s’explique par la nécessité d’encadrer une technique de vente qui aurait pu faciliter pour les particuliers, non-assujettis, la mise en concurrence fiscale des Etats-membres sur la base de leurs différences de taux de TVA. Dans l’absolu, ces non-assujettis auraient été amenés à réaliser la quasi-totalité de leurs achats auprès d’entreprises de vente à distance implantées dans les pays à faible taux de TVA, ce qui aurait ruiné les commerçants de leur Etat de résidence et privé leur Budget national d’importantes recettes fiscales. Une des failles majeures du régime de TVA intra-UE apparaît ici clairement. Ce régime a été conçu dans une perspective, qu’il faut bien qualifier de fédérale, impliquant un grand marché unique préfiguration d’un grand état fiscal. Le maintien inévitable et bien compréhensible de logiques nationales a entrainé une distinction artificielle entre assujettis et non-assujettis qui a donné naissance à ce régime spécial de la vente à distance, conçu pour éviter un détournement de la distinction précédente… En somme une succession d’exceptions sur exceptions qui s’explique fondamentalement par cet entre-deux institutionnel appelé construction “sui generis” de l’Union européenne.
15Il convient de simplifier les réflexions relatives aux livraisons de bien en focalisant notre propos.
3. Concentration du propos sur les opérations entre assujettis (dites “B2B”)
16Les propos qui suivront concerneront les opérations de livraisons de biens meubles corporels réalisées entre assujettis. Deux raisons expliquent ce choix. Une raison pragmatique tout d’abord. Les actuels travaux du “Groupe sur l’avenir de la TVA”12, qui seront largement commentés, s’y sont limités. Une raison de fonds ensuite. Avec la libre-circulation des personnes au sein du Marché unique et la suppression des barrières douanières internes, la remise en cause du système du “pays d’origine” appliqué aux opérations réalisées par les particuliers semble des plus improbables.
4. Plan de l’étude
17Le régime actuel des livraisons de biens intra-UE pose plusieurs difficultés qui motivent les actuels travaux menés par la Commission pour repenser l’ensemble du système.
18Nous pouvons ordonner les réflexions sur ces difficultés autour de deux séries de problèmes : Quelles sont les questions à se poser quant à ce régime de TVA intra-UE pour les livraisons de biens ?
19Quelles sont les difficultés soulevées par les réponses possibles, c’est-à-dire les options ouvertes pour faire évoluer le système ?
20Nota Bene : Derrière le caractère quelque peu informel, descriptif de ce plan, il existe pourtant bien une problématique générale – qui n’a rien de spécifique aux livraisons de bien – qui va très vite apparaître dans la première partie : quelles techniques de TVA adopter pour améliorer la situation des assujettis sans remettre en cause les recettes fiscales des Etats-membres ?
I – QUELLES QUESTIONS ?
21Trois séries de problèmes se posent ici. Tout d’abord comment procéder à la comparaison des solutions ? Il est nécessaire de mettre en place un ensemble de critères d’évaluation dont le maniement n’est pas sans susciter des approches différentes (point 5). Cependant, l’approche synthétique tentée par la Commission européenne ne doit pas cacher la présence au cœur de la problématique de la TVA sur les livraisons de biens de problématiques différentes et pas toujours compatibles selon que l’on se place du point de vue des Etats-membres (point 6) ou des assujettis à la TVA (point 7).
5. Les critères d’évaluation du système et d’identification des difficultés
22Le groupe sur l’avenir de la TVA a dégagé un ensemble de quatre critères pour évaluer de la façon la plus scientifique possible les possibilités d’adaptation du système de TVA intra-UE sur les livraisons de biens. Il précise ainsi que “La Commission a […] défini les critères qualitatifs ci-dessous pour évaluer les options possibles une fois qu’elles auront été sélectionnées. Ils sont tous d’égale importance :
L’égalité et la simplicité – Les opérations domestiques et intra-UE devraient être traitées de la même manière afin que se livrer à des activités dans l’Union européenne devienne aussi simple (en réduisant les coûts de mise en conformité) et aussi sûr (en assurant la sécurité juridique) que le fait de se livrer à des activités purement nationales, en particulier pour les PME. Les règles ne devraient pas être un obstacle au bon fonctionnement du marché unique.
L’incidence budgétaire – les recettes de la TVA devraient être attribuées à l’État membre de la consommation finale des biens selon ses conditions et dans le respect de l’autonomie des taux nationaux de la TVA. L’impact sur la trésorerie des entreprises devrait être similaire à celui résultant des opérations domestiques afin de garantir une réelle égalité de traitement.
La facilité d’administration et les coûts de collecte – une augmentation de la charge administrative pour les administrations fiscales et les entreprises devrait être évitée afin de permettre que le coût de la collecte des recettes fiscales soit semblable à celui pour les opérations domestiques.
La prévention de la fraude et des abus – les ruptures dans la chaîne de la TVA dans le marché unique devraient être évitées dans la mesure du possible afin de s’assurer que le système de la TVA demeure solide et étanche à la fraude.”13
23A la lecture de ces critères, la référence aux passages bien connus de la Richesse des nations d’Adam Smith sur la théorie de l’impôt viendra à l’esprit des économistes. Ces critères semblent frappés au coin du bon sens et, comme tels, difficilement contestables. Il faut cependant immédiatement remarquer que lors de la réunion du 24 avril 2012, les représentants des Etats-membres sont tombés unanimement d’accord pour souligner (pour ne pas dire insister) que ces critères – contrairement à la position de la Commission – ne sont pas d’égale importance et doivent être hiérarchisés14. Les critères d’évaluation 4 et 2 étant placés en tête, le reste des débats nous incite à penser que la liste se hiérarchise de la façon suivante : 4, 2, puis 3, et enfin 1.
24Dès lors, pourquoi placer “La facilité d’administration et les coûts de collecte” avant “L’égalité et la simplicité” ? Parce que les Etats considèrent unanimement que les projets appelés “TVA intégrée viable – VIVAT” et “TVA de compensation” (options 6 et 7 du document de travail du 30 mars 2012, cf. infra) sont politiquement impraticables à cause de leurs contraintes techniques. En effet ces systèmes sont fondamentalement basés sur une simplification du régime de la TVA pour les assujettis grâce à la mise en place entre les Etats-membres de systèmes plus ou moins compliqués de rétrocession de recettes fiscales. En somme, les Etats-membres assumeraient la complexité liée à leurs divergences en matière de taux et d’exonération de TVA alors que les assujettis seraient soumis à un système simple de taux unique spécial pour les opérations intra-UE.
25C’est-à-dire que les Etats placent plus ou moins ouvertement au dernier rang la résolution des difficultés propres aux entreprises, difficultés pourtant au cœur de la démarche d’harmonisation de la TVA au sein du grand marché unique. Faciliter la libre-circulation des marchandises n’est pas – ce que l’on peut comprendre – le souci essentiel des Etats-membres. Cela n’est pas sans poser un problème fondamental au regard de la logique du système. En somme, les Etats-membres se placent délibérément – mais on s’en doutait déjà – en confrontation avec le raisonnement téléologique ou finaliste qui permettrait d’assurer la cohérence générale du système de TVA intra-UE.
26Apparaissent ainsi évident la divergence d’intérêts entre les Etats-membres et les assujettis qui rend le problème de la TVA des plus complexes.
6. Les difficultés pour les Etats-membres
27Les difficultés fiscales qui préoccupent les Etats-membres en matière de réorientation du système de TVA intra-UE sont bien connues et au nombre de deux pour l’essentiel. Deux difficultés qui ne sont que des expressions particulières d’un seul problème : le maintien des recettes fiscales budgétaires nationales.
28Il s’agit tout d’abord pour les Etats-membres de s’assurer que les recettes procurées par la TVA restent liées à la consommation finale des biens livrés sur leur territoire. Ils ne peuvent ainsi qu’être satisfaits du maintien définitif de la logique du “pays de destination” concernant les opérations entre assujettis, les plus importantes en volume et en valeur. Dans les cas de balances commerciales déficitaires entre Etats-membres, la règle du pays d’origine aurait doublé ce désavantage commercial d’une perte de recettes désormais évitée définitivement.
29Le premier point étant acquis, reste le second qui est des plus délicat. Cette difficulté majeure, c’est la fraude intra-UE, quel que soit sa forme, qui remet bien évidemment en cause elle aussi les recettes budgétaires (mais plus dans le cadre d’un problème de répartition entre Etats-membres). Donc, ce qui intéresse les Etats, dans le projet de la Commission, d’un système de TVA “plus simple, plus efficace et plus robuste”, c’est son caractère « Robuste et imperméable à la fraude » : Grâce à des méthodes modernes de collecte et de contrôle de la TVA, il devrait être possible de maximiser les recettes effectivement encaissées et de limiter au minimum la fraude et l’évasion fiscales. Si elle facilitera le respect des règles pour les entreprises, cette manière de procéder exigera également des autorités fiscales nationales qu’elles se concentrent sur les comportements à risque, qu’elles ciblent les fraudeurs avérés et, en définitive, qu’elles agissent collectivement comme une administration européenne de la TVA. Un échange d’informations intensifié, automatisé et rapide entre les administrations fiscales nationales sera crucial pour la réalisation de cet objectif.”15
30Cette problématique en termes de recettes budgétaires n’est bien évidemment pas celle des entreprises assujetties à la TVA.
7. Les difficultés pour les assujettis
31Face à la relative simplicité financière des enjeux étatiques, les difficultés des assujettis sont plus nombreuses mais peuvent en quelque sorte se résumer à l’obtention de la simplification générale attendue dès l’origine dans un grand marché unique.
32En pratique, il s’agit de supprimer, ou de réduire fortement, les coûts de gestion administrative – notamment les coûts de conformité visé par la Commission : coûts liés aux divergences de régimes nationaux de TVA : taux et exonérations – des opérations intra-UE qui aboutissent parfois à dissuader les entreprises – notamment les PME – qui préfèrent les échanges hors UE.
33Dans l’idéal, les assujettis ne devraient avoir qu’un seul interlocuteur (système du “guichet unique”) et les règles devraient être les mêmes dans tout le marché unique (notamment en matière de taux et de règles d’exonération).
34Le problème tient bien évidemment à la confrontation de ces objectifs avec ceux des Etats-membres. Si le “guichet unique” est une hypothèse envisageable, bien que dans les limites qui ont amené à considérer comme “politiquement impraticable” (cf. supra) les options 6 et 7 (systèmes VICAT et CTVA : cf. infra), l’identité des règles remet fortement en cause les politiques de TVA autonomes des Etats-membres. Que ce soit la question des taux ou celle des règles d’exonération, c’est une remise en cause du pouvoir de décision résiduel des Etats-membres mais surtout, avec cette marge de manœuvre, de leurs recettes fiscales.
35C’est le problème majeur qui explique que la Commission mette en avant les avantages financiers pour les Etats d’un système harmonisé : un taux unique inférieur mais des recettes vraisemblablement augmentées pour les Etats (par l’effet mécanique de suppression des taux réduits et par l’effet quantitatif de l’augmentation des échanges commerciaux intra-UE). Le problème de la politique sociale menée par les taux réduit demeurerait entier, c’est pourquoi la Commission souligne le caractère inadapté de cet outil en suggérant de transférer ces politiques sociales sur d’autres techniques que la TVA. En somme, en référence à l’économiste Tinbergen, mieux vaudrait réserver des outils différents aux objectifs différents : la TVA pour procurer des ressources financières aux budgets nationaux et les subventions publiques pour atténuer le coût des biens de première nécessité pour les consommateurs.
II – QUELLES RÉPONSES ?
36Dans le compte-rendu de ses travaux, le groupe de travail de la Commission a répertorié et analysé 7 options possibles avec, la plupart du temps, deux variantes (soit le fournisseur facture la TVA du pays de destination, soit le système de l’autoliquidation est étendu)16 :
Option 1 : Le maintien du statu quo.
Option 2 : L’adaptation des règles actuelles, tout en suivant le flux de biens.
Option 3 : L’alignement sur les règles en matière de ventes à distance B2C.
Option 4 : L’alignement sur les règles régissant le lieu des prestations de services (PS).
Option 5 : L’alignement sur les flux contractuels.
Option 6 : TVA intégrée viable (VIVAT).
Option 7 : TVA de compensation (CVAT)
37L’option no 1 : le statu quo, ayant été évoquée avec ses problèmes en introduction, les six suivantes seront étudiées dans les 3 points qui suivent (points 8 à 10) de façon transversale au travers des trois questions techniques principales au cœur de la redéfinition juridique du régime de la TVA intra-UE sur les livraisons de biens : la notion de livraison de biens elle-même, la question du lieu de la livraison et enfin, celle du redevable de la TVA sur l’opération.
8. Le problème de la notion de Livraison de biens meubles corporels (LBMC)
38En se contentant de redéfinir juridiquement la notion de livraison de biens, il est possible d’apporter des changements significatifs au régime de la TVA intra-UE. Même si nous avons déjà souligné en introduction les difficultés induites de la complexité de la notion de livraison de biens, il est possible de se demander avec la Commission s’il est absolument nécessaire de conserver un système attaché au suivi des flux physiques entre territoires des Etats-membres de l’UE ? La question serait ici de ne plus s’attacher aux déplacements matériels de biens (donc au terme de livraison).
39On remarquera que les régimes territoriaux les plus assurés sont ceux où la localisation physique est incontestable : immeubles, véhicules immatriculables pour les non-assujettis. En dehors de ces hypothèses limitées, pourquoi s’attacher physiquement à l’opération intra-UE ? Deux options ont été soulevées par les services de la Commission. Il s’agirait soit de fusionner les LBMC et les PS (option 4), soit d’opérer un détachement du caractère corporel en appliquant la TVA au suivi du flux contractuel (donc le lieu d’installation de l’assujetti contractant), quel que soit le lieu de livraison matérielle du bien (option 5).
40Ces deux possibilités conservent cependant deux problèmes : il y aurait maintien d’une certaine complexité et de coûts de conformité et la question de la fraude demeurerait.
9. Le problème de la notion de lieu de destination/lieu de consommation finale des biens
41Il s’agirait ici de poser plus clairement le problème de l’identification de l’Etat bénéficiaire des recettes fiscales liées à la TVA. Deux approches sont alors possibles.
42Il s’agirait tout d’abord d’opérer de “simples adaptations” au système actuel. C’est la logique de l’option 2 (qui consisterait à supprimer le découpage en deux opérations successives17) et de l’option 3 (rapprochement du régime des ventes à distance18). Il y aurait ainsi une redéfinition juridique de la notion d’Etat de destination.
43De façon plus ambitieuse, il serait aussi possible d’imaginer une refonte plus poussée en instaurant des systèmes spécifiques unifiés de TVA intra-UE tels que des universitaires les ont proposés19. Il s’agit des systèmes VIVAT20 (option 6) et CVAT21 (option 7). Le point commun de ces deux systèmes serait une nette simplification des opérations pour les assujettis (puisque les “séquelles” des anciennes frontières administratives seraient presque effacées). Cependant, la problématique inacceptable de la perte de recettes fiscales pour les Etats-membres (qui explique le maintien du régime transitoire de TVA devenu définitif) implique à chaque fois un système de compensation de recettes fiscales (imaginé par les universitaires pour rendre donc les propositions acceptables pour les Etats) mais implique quand même un transfert de charge entre les assujettis et les Etats-membres. En effet les charges de gestion administrative de la TVA (ou plus exactement des compensations de recettes) reviendraient aux Etats-membres.
10. Le problème du redevable de la TVA : fournisseur ou client ?
44Après deux points (8 et 9) où la question fondamentale consiste à choisir laquelle des deux parties doit supporter les charges administratives, la troisième et dernière approche repose sur un problème technique qui peut être étudié indépendamment. Il s’agit des deux variantes précitées, applicables dans plusieurs des options mises en évidence (2, 3, 4 et 5)22 :
45“1. Le fournisseur facture la TVA de l’État membre de destination sur ses livraisons intra-UE. Cette mesure permettrait de rétablir l’intégrité du système de TVA en même temps que le mécanisme des paiements fractionnés et les flux existants des recettes et d’assurer la cohérence entre les opérations domestiques et intra-UE. Un guichet unique serait nécessaire cependant afin de permettre au fournisseur de remplir dans l’État membre où il est établi, les obligations (de déclaration et de paiement) de la TVA relatives aux opérations imposables dans les autres États membres.
46“2. En l’absence d’un tel guichet unique, il pourrait être envisagé d’étendre le principe de l’autoliquidation applicable aux prestations de services B2B intra-UE aux livraisons B2B intra-UE de biens dans le cas où le fournisseur n’est pas établi dans l’État membre de taxation. Le client serait donc redevable de la taxe sur les biens livrés. Le fournisseur ne facturerait la TVA à ses clients que sur les opérations domestiques.”
47Ces deux variantes présentant en quelque sorte des avantages et des inconvénients réciproques. Dans la première variante, il y aurait “égalité” entre les différentes opérations de livraisons de biens (domestique ou intra-UE) mais pas de “neutralité” (car les assujettis devraient gérer une lourde adaptation administrative à la TVA des Etatsmembres avec lesquels ils commerceraient). Or, cette absence de neutralité implique des coûts qui sont autant de frein au commerce intra-UE.
48Dans le seconde variante, il y aurait bien “neutralité” de la TVA (car ici pas d’adaptation nécessaire des assujettis à la TVA des autres Etats-membres) mais pas d’égalité entre les opérations (qu’elles soient intra-UE ou domestiques) et surtout il y auraient toujours de graves problèmes de fraude. Cette dernière variante implique donc, si nous reprenons la hiérarchie des critères d’évaluation posée par les Etats-membres, un défaut rédhibitoire pour les Etats-membres qui rendrait son adoption peu probable, sauf à ce que les moyens de lutte contre la fraude à la TVA intra-UE permettent d’annihiler le problème, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Conclusions
49Au final, il semble que la problématique générale se noue entre les différentes techniques de simplification des démarches administratives pour les assujettis (du type guichet unique) pris en charge par les Etats-membres : ceux-ci accepteront-ils – contre une augmentation des recettes liée à l’accroissement des opérations et la baisse de la fraude – de prendre à leur charge ces coûts ? La question reste entière.
50Pour élargir la perspective, il reste, même si elle est désormais écartée, la solution qui se situerait dans la logique de l’intégration européenne : une TVA fédérale qui unifierait les questions mais impliquerait un transfert de pouvoir fiscal (et de recettes budgétaires) à l’Union. Une solution qui n’est pas vraiment à l’ordre du jour.
Notes de bas de page
2 Comme illustration, RICARDO et sa théorie des avantages comparés dans l’échange entre le drap anglais et le vin portugais sont une référence très classique.
3 JO de l’UE L. 347 du 11 déc. 2006, p. 1 s.
4 Transposé à l’art. 256 du Code général des impôts (CGI) en France.
5 La délimitation bien particulière de l’espace juridique de l’Union applicable ici ne sera pas développé. Il sera simplement rappelé que certains territoires des Etats-membres sont exclus et considérés, en ce qui concerne la TVA, comme des Etats tiers à l’Union (les DROM-COM pour la France notamment) mais que le territoire pourtant souverain de Monaco, Etat non membre de l’Union, est assimilé au territoire français pour ce qui est du régime de TVA applicable.
6 Dites “Business to Consumer” ou “B2C” selon un acronyme anglo-saxon approximatif.
7 Dites “Business to Business” ou “B2B”.
8 Pour des raisons de simplification pédagogique, les exemples partiront du point de vue d’un assujetti français.
9 Le problème préoccupant des fraudes en matières de TVA intra-UE atteste du caractère indispensable de ces suivis. Cf. infra l’intervention de Sophie de Fontaine.
10 La définition juridique de la nouveauté ici n’étant pas assez rigide pour ne concerner que les véhicules tout juste sortis d’usine. Un délais de moins de six mois permet de classer une voiture dans la catégorie des véhicules neufs.
11 En règle générale, le seuil de 100.000 euros a été conçu pour les “grands” pays (par leur population) et celui de 35.000 euros pour les “petits” pays. En pratique, le seuil de 100.000 euros a été choisi par l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France, mais aussi par les Pays-Bas mais aussi, plus surprenant, par le Luxembourg. Inversement, l’Espagne et l’Italie ont choisi le seuil de 35.000 euros, comme la Belgique.
12 Groupe sur l’avenir de la TVA, 4e réunion, Livraisons de biens B2B – Taxation au lieu de destination. Définition des options et des critères pour une évaluation qualitative, taxud.c.1 (2012) 423017, GFV no 14, Bruxelles, doc. de travail du 30 mars 2012. Téléchargeable sur le site de la Commission : http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/taxation/vat/discussions_member_states/24_april_2012_working_doc_fr.pdf
13 Groupe sur l’avenir de la TVA, 4e réunion, GFV no 14, doc. de travail du 30 mars 2012, pp. 4-5.
14 “They also stressed that they are not equally important and should therefore be ranked. ‘Prevention of fraud and abuse’and ‘budgetary impact’ were considered as the most important. » : Rapport sur la 4e reunion du 24 avr. 2012, taxud.c.1 (2012) 1023907, 15 mai 2012, pp. 2-3.
15 COM (2011) 851 final, p. 6. Sur ces question, cf. la communication de Sophie de Fontaine.
16 Elles sont analysées successivement p. 5 et suivantes du compte-rendu de la 4e réunion précité : taxud.c.1 (2012) 423017.
17 “Une autre option pourrait consister à adapter les règles actuelles de manière à ce que la taxation soit fondée sur une seule opération qui serait toujours imposable dans l’Etat membre de destination des biens. Elle ne modifierait donc pas le lieu où les biens sont effectivement taxés.” “5.2.1. Qu’est-ce que cette option implique ?
Les livraisons B2B de biens devraient, dans la mesure où il s’agit d’une livraison de biens avec transport, être taxées dans l’État membre d’arrivée du transport. Cela implique que le flux physique des biens serait toujours suivi mais il n’y aurait plus deux opérations imposables (livraison exonérée de biens/acquisition intra-UE de biens), mais une seule (livraison de biens).
Lorsque le transport n’est pas organisé par le fournisseur, le client serait tenu de fournir au fournisseur les informations pertinentes, à savoir l’État membre de destination (pas nécessairement le lieu d’arrivée précis tel que l’adresse postale). Afin de garantir la sécurité juridique du fournisseur, les informations devraient être enregistrées et confirmées par le client.
Avec une seule opération imposable, les deux variantes seraient possibles dans le cadre de cette option.”. Ibid., p. 7.
18 “Comme les ventes à distance B2C, les livraisons B2B de biens avec transport pourraient être taxées dans l’État membre d’arrivée du transport des biens, mais seulement dans le cas où le fournisseur organise le transport.”, Ibid., p. 8.
19 “Des universitaires ont proposé diverses alternatives, comme par exemple VIVAT et CVAT (…) qui, à première vue, ne semblent pas se fonder sur le principe de taxation au lieu de destination des livraisons B2B de biens, comme expliqué ci-dessus.
“En particulier, le taux ne serait pas fixé par l’État membre de destination, et un mécanisme de compensation serait nécessaire, c’est-à-dire que les recettes de TVA ne seraient pas octroyées directement à l’État membre de la consommation. Toutefois, leurs modes de fonctionnement et leurs caractéristiques tels qu’ils sont décrits dans diverses publications diffèrent, ce qui pourrait justifier une analyse plus approfondie. Les principes généraux de fonctionnement de ces systèmes sont exposés ci-après.”, Ibid., p. 13.
20 “Avec VIVAT, toutes les opérations B2B, domestiques et intra-UE, seraient soumises à un taux de TVA particulier et commun. Bien que ces opérations ne soient pas taxées selon les conditions de l’État membre de destination, cet État membre conserverait son autonomie en ce qui concerne le taux applicable à la consommation finale des biens, c’est-à-dire qu’il définirait le taux de TVA applicable aux ventes aux consommateurs finals et à d’autres opérateurs non enregistrés.
“Vu que la VIVAT appliquée sur les opérations intra-UE serait versée à l’État membre d’origine et déduite dans l’État membre de destination (ou constituerait une recette nette si la TVA n’est pas entièrement déductible), un mécanisme de compensation serait nécessaire.
“Les opérations B2B domestiques et intra-UE seraient traitées de façon identique et aucune marchandise ne circulerait à l’intérieur de l’UE sans avoir supporté de la TVA. Toutefois, les entreprises devraient traiter leurs clients différemment selon leur statut TVA. Si le taux de VIVAT est inférieur au taux national, un paiement supplémentaire de la TVA serait requis des clients enregistrés au cas où ils n’ont pas de droit à déduction intégrale ou pour les produits pour lesquels il existe une restriction du droit à déduction.
“Si le taux de VIVAT est fixé au-dessus du taux national, par exemple, les biens sont soumis à un taux réduit, une restitution partielle devrait être accordée à ces entreprises.”, Ibid., pp. 13 s.
21 “Appliquée au sein de l’UE, une “TVA de compensation” (CVAT) serait facturée sur les livraisons B2B de biens entre États membres par le fournisseur, et déduite par le client.
“Le taux sera le même dans toute l’UE. Les livraisons domestiques de biens B2B et B2C seraient soumises à la TVA nationale. Vu que la CVAT serait versée à l’État membre d’origine et déduite dans l’État membre de destination18 (ou constituerait une recette nette si la TVA n’est pas entièrement déductible), un mécanisme de compensation serait nécessaire.
“La fixation du taux de la CVAT exigerait les mêmes ajustements dans l’Etat membre d’arrivée à ceux requis pour la VIVAT, c’est-à-dire des paiements supplémentaires par les clients ou un remboursement partiel.
“Comme pour la VIVAT, l’objectif principal est de renforcer la chaîne de la TVA en veillant à ce qu’aucune marchandise ne circule à l’intérieur de l’UE sans avoir supporté de la TVA.”, Ibid., p. 14.
22 Ibid., pp. 5-6.
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