La protection du conjoint de l’entrepreneur
p. 127-140
Texte intégral
1Le conjoint de l’entrepreneur a une place ambivalente eu égard au projet entrepreunarial, et au fonctionnement de l’entreprise. Il n’est pas le créateur de l’entreprise, ni son dirigeant. Il y est donc « extérieur ». Pourtant la création de l’entreprise, comme la vie de l’entreprise, peuvent avoir des incidences sur son patrimoine, ou du moins celui qu’il possède en commun avec son conjoint. Le tiers qu’il est, devient « concerné ». En effet, bon nombre de couples mariés adoptent, par choix ou par défaut, le régime légal de la communauté réduite aux acquêts1. De nombreux concubins ou partenaires liés par un PACS possèdent des biens en indivision2. En outre, il a été, et reste, fréquent que des époux-épouses, partenaires, ou concubins aident leur conjoint, sans toujours trouver une place bien établie, tant au niveau patrimonial qu’humain, dans le projet du chef d’entreprise.
2Ce faisant le droit a développé différents biais de protection du conjoint. Cette protection est à géométrie variable, selon le statut possédé par le « conjoint ». La protection la plus importante trouve application, dans la figure la plus classique qu’est le mariage. Cette union traditionnelle a permis, plus que les formes modernes, du fait de son ancienneté de concevoir des mécanismes protecteurs pour le conjoint qui participe à l’activité. De plus, la communauté de biens – souvent caractérisée au sein des couples mariés – offre une autre perspective de protection en cas d’usage de biens communs. Est-ce à dire que les couples non mariés sont privés de toute protection ? La réponse est variable selon leur statut. Prenant en compte l’instauration d’un nouveau statut de droit pour le couple, le législateur a étendu des dispositifs de protection aux partenaires liés par un PACS, lorsque l’un d’eux participe à l’activité3. Cette extension ne vaut pas pour les concubins, qui en choisissant une union de fait, se placent hors des unions de droit, et du cadre légal forgé par le législateur. Il ne restera alors aux concubins que les mécanismes de protection du droit des biens, comme l’information et le droit des indivisaires, lesquels sont lacunaires eu égard aux risques liés à l’activité professionnelle. Quant à la valorisation de leur participation, seules les solutions établies par la jurisprudence, comme l’enrichissement sans cause ou la société créée de fait, constituent des palliatifs à l’absence de règles légales.
3Au-delà de ses disparités, le mouvement esquissé est celui d’un accroissement de la protection. La loi PACTE du 22 mai 2019 marque un pas supplémentaire en ce sens4. Celui-ci est-il néanmoins suffisant ?
4La protection offerte au conjoint intervient à deux égards. En premier lieu, le conjoint est protégé par la valorisation de son activité au sein de l’entreprise familiale (I). La protection est, en second lieu, promue, pour préserver ses biens (II).
I. La protection par la valorisation de son activité
5Trois statuts sont ouverts au conjoint de l’entrepreneur pour valoriser son activité. Ceux-ci sont mentionnés à l’article L. 121-4 du code de commerce. Ainsi l’article prévoit-il que « le conjoint du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérales qui y exerce de manière régulière une activité professionnelle opte pour l’un des statuts suivants : conjoint collaborateur ; conjoint salarié ; conjoint associé ». La protection du conjoint est ainsi promue par le rattachement à des statuts clairs, ouvrant des droits. Lui est offert un statut auquel est adossé un régime, qui confère certes une protection, mais octroie aussi parfois de la flexibilité utile au fonctionnement de l’entreprise.
6Lorsque l’entreprise est individuelle, le statut de conjoint associé semble écarté. En effet, du fait de l’association du conjoint, la société unipersonnelle que cela soit une EURL ou une SASU deviendrait pluripersonnelle. Le statut de conjoint associé ne permet donc pas de conserver l’unipersonnalité de l’exercice.
7Aussi l’analyse se limitera-t-elle, d’une part au statut du conjoint collaborateur (A), et d’autre part à celui de salarié (B).
A. Le conjoint collaborateur
8La collaboration consiste en l’accomplissement d’un travail effectué de manière subordonnée, mais sans recevoir de rémunération. Selon l’article R. 121-1 du code de commerce, est collaborateur le conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale ou libérale qui exerce une activité professionnelle régulière dans l’entreprise sans percevoir de rémunération et sans avoir la qualité d’associé au sens de l’article 1832 du code civil. Ce statut assez ancien a récemment été modernisé par la loi PACTE du 22 mai 2019, afin d’assouplir son existence et de renforcer son cadre juridique.
1) S’agissant de l’existence
9Le chef d’entreprise a la possibilité de déclarer cette collaboration au registre du commerce et des sociétés. La loi PACTE facilite l’option pour ce statut. En effet, auparavant, ce statut était réservé au conjoint du gérant associé unique, ou du gérant associé majoritaire du SARL ou d’une SELARL, à condition que la société n’emploie par plus de vingt salariés5. Autrement dit, la petite taille de l’entreprise, appréhendée par le prisme du nombre de salariés, conditionnait la possibilité de privilégier ce statut. Des critiques s’étant élevées eu égard à cette restriction qui pénalisait le conjoint, tout en peinant à trouver une légitimité, elle fut supprimée par la loi du 22 mai 2019. Aussi, depuis le 1er janvier 2020, une souplesse a été introduite. Plus aucune référence à un décret, qui restreint ce statut aux entreprises n’ayant un nombre de salariés inférieur à un seuil, ne se trouve au sein de l’article L. 121-4 II du code de commerce6. Ce faisant, est renforcée la protection du conjoint, par la reconnaissance plus large d’un statut pour celui qui travaille dans l’entreprise familiale.
10L’inscription du conjoint comme collaborateur produit trois conséquences, qui attestent de l’intérêt du dispositif. Tout d’abord, le conjoint collaborateur reçoit un mandat légal lui permettant d’effectuer au nom du chef d’entreprise tous les actes d’administration nécessaires aux besoins de l’entreprise. Ce mandat cesse avec la dissolution du mariage, la séparation de corps, la séparation judiciaire de biens, ou encore en cas de déclaration notariée du chef d’entreprise publiée au registre du commerce et des sociétés. Partant, la représentation légale qui existe du fait de l’union matrimoniale, et permet la gestion concurrente sur les biens, se trouve « prolongée » eu égard à la sphère professionnelle par les effets du statut de collaborateur7. Une autre conséquence réside ensuite sur la possibilité pour le conjoint collaborateur d’être électeur ou éligible aux chambres de commerce et aux tribunaux de commerce. Enfin, le conjoint collaborateur bénéficie de l’assurance maladie du chef d’entreprise et éventuellement d’un régime d’assurance vieillesse.
11L’intérêt du statut de collaborateur tient également à ce que, par principe, il n’ouvre aucune obligation à la dette pour le conjoint ayant collaboré à l’activité. L’article L. 121-7 du code de commerce prévoit clairement que dans les rapports avec les tiers, les actes de gestion et d’administration accomplis pour les besoins de l’entreprise sont réputés l’être pour le compte du chef d’entreprise8. Ils n’entraînent aucune obligation personnelle à la charge du conjoint collaborateur.
12Une difficulté résidait dans l’adoption du statut et de sa déclaration. En effet, bien souvent, le choix d’un statut pour le conjoint n’est pas l’une des premières préoccupations du créateur d’entreprise. À cet égard également, la loi PACTE promeut l’efficacité du régime.
2) Le renforcement du cadre juridique de la collaboration
13Bien souvent, la collaboration est de pur fait. La déclaration de collaboration qui ouvre des prérogatives au conjoint n’était pas souvent effectuée. Un décret du 1er août 2006 avait pourtant tenté de lutter contre cette forme de collaboration factuelle, en incitant à la régularisation de la situation des conjoints dépourvus de statut9. Toutefois, ce texte ne prévoyant aucune sanction, en l’absence de déclaration, les déclarations restaient peu nombreuses. Il avait été parfois proposé, en ces situations, d’appliquer les règles prévues pour le travail dissimulé par le code du travail.
14La loi PACTE conduit, en la matière, à deux évolutions. Elle oblige d’abord à une déclaration. L’article L. 121-4 IV du C. com. dispose que « le chef d’entreprise est tenu de déclarer l’activité professionnelle régulière de son conjoint dans l’entreprise et le statut choisi par ce dernier auprès des organismes habilités à enregistrer l’immatriculation de l’entreprise ». L’obligation de déclaration est posée. L’innovation majeure résulte ensuite, et surtout, de la sanction du défaut de déclaration. À défaut de choix, une présomption est posée : le conjoint ayant exercé une activité habituelle sans statut précis est réputé être salarié10.
B. Le conjoint salarié
15Le statut de conjoint salarié peut résulter du choix du chef d’entreprise. Il peut également être imposé par le législateur comme sanction à l’absence d’option pour un statut.
1) Le choix du salariat
16Le statut peut être choisi spontanément. La qualification de contrat de travail étant d’ordre public et indisponible11, elle s’appliquera dès que les critères de la relation salariale sont réunis. Ceux-ci sont classiquement au nombre de trois : un travail ; une rémunération ; un lien de subordination12. La jurisprudence a cependant précisé que l’existence d’un lien de subordination n’est pas une condition pour l’application du statut de conjoint salarié de l’époux commerçant13.
17Lorsque cette situation est voulue, et qu’un contrat de travail est conclu, le statut de salarié offre au conjoint divers avantages. L’article L. 311-6 du code de la sécurité sociale prévoit son affiliation au régime général de la sécurité sociale14. En outre, une déduction fiscale des salariés versés au conjoint est possible, conformément à l’article 154 du code général des impôts15. Outre ces avantages, le statut de salarié offre une stabilité au conjoint qui sera placé sous les auspices du droit du travail, tant eu égard au licenciement, au temps de travail, à la modification du contrat de travail, etc. Évidemment ce statut engendre des charges et peut apparaître coûteux pour le chef d’entreprise.
2) Le salariat imposé
18La loi PACTE a posé une présomption de salariat qui intervient comme un régime « balai » en cas d’absence de choix d’un statut, par inobservation des règles de l’article L. 121-4 du code de commerce. Pour autant, le législateur n’indique pas si cette présomption est simple ou irréfragable. Toutefois, la qualification intervenant comme une sanction, il est fort probablement qu’elle soit difficile à renverser. La présomption légale permettrait, par principe, d’échapper aux sanctions tant civiles que pénales liées à re-qualification de la participation en relation de travail. Toutefois, le conjoint employeur devra se mettre en conformité avec les obligations liées au droit social : respect du salaire minimum ; application de la convention collective pertinente ; versement des cotisations liées au prestations sociales, etc. Ce statut ouvre, en outre, des droits pour le conjoint qui pourra, en outre, bénéficier de droits collectifs. Demeure tout de même une interrogation sur la permanence de la créance de salaire différé, dont il pouvait être bénéficiaire.
19L’article 14 de la loi du 31 décembre 198916 permet au conjoint de faire valoir, au moment de la succession, une créance de salaire, à condition qu’il ait participé à l’activité pendant dix ans, sans recevoir de salaires, ou sans être associé17. Ce droit de créancier est égale à trois fois le SMIC annuel, dont la valeur est déterminée au jour de décès, les sommes dues ne pouvant excéder le quart de l’actif successoral.
20Ce droit à se prévaloir de la créance de salaire différé subsistera-t-il du fait de l’instauration de la présomption légale ? Il semble, tout d’abord, que le cumul soit écarté. Si le conjoint a obtenu un salaire, le droit à la créance de salaire différé paraît exclu, puisque le conjoint a obtenu une rémunération de son activité. Plus encore, ces deux dispositifs semblent avant tout s’articuler, en fonction du fait que le couple est devenu « désuni », ou soit resté uni, mais que l’entrepreneur décède.
21Si le couple se sépare, le conjoint ou partenaire pourra être tenté de demander la reconnaissance du contrat de travail. Outre qu’il ne souhaitera pas attendre le décès pour percevoir une rémunération, le paiement des salaires est économiquement plus intéressant. Le double plafonnement, tant du montant de la rémunération et que la proportion de l’actif successoral, ne s’applique pas s’agissant des salaires qui pourraient être versés du fait d’une demande de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail. Une telle demande pourrait-elle intervenir d’organismes sociaux, du fait de l’absence de choix du statut du conjoint ? Si le texte a, semble-t-il, avant tout tenté d’offrir une protection au conjoint, il n’en demeure pas moins que rien ne l’exclut. En somme, du fait de l’intérêt qu’induit la qualification de la relation en relation de travail, et au-delà des droits qui en découlent, il nous paraît qu’en cas de contentieux entre les époux, la demande de qualification sera privilégiée.
22Toutefois, la prise de conscience du lien salarial qui pouvait être caractérisé peut intervenir tardivement, et notamment au décès de l’entrepreneur. Le cas échéant, les salaires n’ont pas été versés, mais l’action est souvent, en partie, prescrite du fait de l’application de la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail18. Ce faisant, la créance de salaire différé pourrait trouver application. La reconnaissance de la relation de travail ne se ferait pas devant le juge au contentieux, mais lors de l’ouverture de la succession.
23Si la protection se manifeste par l’ouverture et la consolidation des statuts de collaborateur et de salarié, d’une part, elle est, d’autre part, perceptible eu égard aux mécanismes favorisant la protection des biens.
II. La protection par la préservation des biens
24La protection du conjoint de l’entrepreneur est également assurée eu égard à ses biens. En la matière cette protection résulte avant tout de l’application d’un régime matrimonial lorsque celui-ci fait naître une communauté de biens. En effet, s’agissant des biens communs, chacun des époux peut par principe réaliser seul les actes de gestion, en vertu du principe de gestion concurrente19. Toutefois, une protection est organisée, d’une part, lors de la sortie du bien du patrimoine commun des époux (A), et d’autre part, pour compenser les effets patrimoniaux de la sortie de ce bien (B).
A. La protection lors de la sortie d’un bien du patrimoine
25Lors de l’apport d’un bien à une activité professionnelle individuelle, l’entrepreneur est tenu d’informer son conjoint. Il peut, en certaines circonstances, être tenu de lui demander une autorisation.
1) L’obligation d’information
26Le principe de gestion concurrence a connu des atténuations aux fins de protection du conjoint. Conformément à l’article 1832-2 du code civil, qui pose une exception à l’article 1427 de ce même code, si les époux sont mariés sous un régime de communauté et que l’un des époux souhaite réaliser un apport avec des fonds communs ou un bien commun, il doit en informer son conjoint, lorsque les parts de cette société sont non négociables20. À défaut d’information, l’époux outrepasse ses pouvoirs ce qui permet l’annulation de l’acte sur le fondement de l’article 1427 du code civil21.
27Pour s’assurer de cette information, le code civil prévoit qu’il doit en justifier dans l’acte. Ce formalisme consolide les droits du conjoint. Pour autant, cette mention de l’information dans l’acte, et sa preuve, relèvent de la forme.
28Quel est le périmètre de cette mesure ? S’agissant des structures individuelles, l’EURL est ici visée. Cependant, eu égard à la SASU, aucune exigence d’information n’existe. Une obligation d’information se retrouve, en outre, quand la structure est créée au moyen d’un bien commun est un patrimoine d’affectation. Selon l’article L. 526-4 du code de commerce, lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale, l’entrepreneur doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession.
29Ainsi informé, le conjoint connait le sort du bien affecté qui sort du patrimoine des époux, pour se placer dans le patrimoine d’une société ou encore dans un patrimoine professionnel affecté à l’activité du conjoint. Cette information permet généralement au conjoint de prendre conscience de cette « mutation ». Toutefois, son avis n’est pas requis. La mesure de protection est partiellement. Certes, il pourra s’y opposer, mais l’initiative de l’action lui incombe, ainsi que la preuve du motif valable d’opposition. La protection du conjoint a dès lors été renforcée pour certains biens à la nature, et la valeur, souvent particulières. Pour ceux-ci le conjoint de l’entrepreneur doit autoriser l’emploi.
2) L’exigence d’autorisation
30Pour certains biens, il conviendra que l’apporteur obtienne une autorisation du conjoint. L’article 1424 du code civil pose des exceptions au principe de gestion concurrente22. Ainsi, les époux devront ensemble réaliser certains actes portant sur les biens communs, lorsque ces biens sont un fonds de commerce, un droit réel immobilier, des droits sociaux non négociables, ou encore des meubles corporels soumis à publicité. En raison de leur nature, ce type de biens obéit à un régime de protection renforcée. Le principe de cogestion vient donc en remplacement de celui de gestion concurrente. Le champ de l’autorisation peut, en outre, être renforcé par le régime matrimonial si le contrat de mariage contient une clause d’administration conjointe.
31Ce faisant, le droit offre en théorie une protection importante au conjoint à qui, il n’est pas possible de cacher l’emploi et qui doit y consentir. Néanmoins, la protection est-elle aussi satisfaisante en pratique ? Il sera souvent difficile, au vu des liens familiaux, à un époux de ne pas consentir à un emploi. La protection fluctuera selon l’équilibre familial.
32En cas d’emploi d’un bien commun les droits du conjoint ne se limitent pas à l’information ou l’autorisation. La protection se poursuit néanmoins de manière variable, car seul le conjoint d’un apporteur en société se verra conférer d’autres prérogatives, à la différence de l’époux du constituant d’une EIRL.
B. La protection par la conservation de droits en raison du bien apporté
33L’apport en société d’un bien commun induit deux corollaires. L’époux non apporté à droit à la finance des parts. Il peut, de plus, revendiquer la qualité d’associé.
1) Le droit à la finance des parts
34L’époux qui a été informé ou a autorisé l’apport d’un bien commun n’a pas pour autant la qualité d’associé23. En effet, celle-ci est liée à l’acte d’apport, lequel est réalisé non par lui mais par son conjoint. Cependant, pour réconcilier cette règle du droit des sociétés et le droit des régimes matrimoniaux, une distinction est instaurée entre le titre et la finance. Le titre est distinct de la finance. Ce faisant, les attributs patrimoniaux liés aux parts sociaux relèvent de la communauté24. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt de 2012, en refusant que des parts sociales soient attribués, lors de partage, à l’époux non apporteur25.
35Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que les parts sociales acquises par un époux durant le mariage n’entrent en communauté que pour leur valeur patrimoniale.
36Si les droits semblent importants, ils peuvent être plus nuancés en pratique, fragilisant consécutivement la protection octroyée. Ainsi a-t-il été jugé qu’en dépit du pouvoir de gestion concurrente, des articles 1421 et 1401 du code civil, qui autorise chaque époux à recevoir le paiement des créances communes, seul l’époux qui a qualité d’associé peut percevoir les dividendes26. Le versement des dividendes ne peut dès lors pas s’exercer dans les mains de son conjoint ou être demandé par lui.
37Outre le droit à la finance des parts, le conjoint de l’apporteur peut parfois prétendre à la qualité d’associé, en revendiquant cette qualité.
2) Le droit à la revendication de la qualité d’associé
38Le droit de revendication permet le conjoint de l’apporteur de prétendre à la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales. Ce droit ne concerne que les sociétés de personnes ainsi qu’en témoigne l’article 1832-2 du code civil. Ce droit naît au moment de l’apport et perdure jusqu’à ce qu’un jugement de divorce soit intervenu27. Plus encore, dans un arrêt du 14 mai 2013, la Cour de cassation opère une distinction entre les effets d’une assignation sur les biens et sur l’action en revendication de la qualité d’associé28. Ce droit à revendiquer la qualité d’associé existe au sein des sociétés de personnes.
39Cette action en revendication peut être exercée ab initio. En ces circonstances, l’agrément de l’un des époux entraîne l’agrément de l’autre. La structure unipersonnelle devient inévitablement pluripersonnelle. Le conjoint peut ensuite renoncer à exercer son droit de revendication, cette renonciation est définitive. Dans l’hypothèse du silence, le conjoint peut revendiquer la qualité d’associé. Toutefois, les clauses d’agrément éventuellement présentes dans les statuts lui seront opposables.
40En somme, la protection du conjoint qui se réalise par deux biais dans les structures individuelles : son implication dans l’entreprise et la protection de son patrimoine. Ces protections paraissent allouer un équilibre satisfaisant pour les couples mariés. La seule question qui demeurerait serait de savoir une même protection devrait être octroyés aux concubins. Le rapprochement des modes de conjugalité induisent cette interrogation. Des doutes peuvent être permis, malgré le rapprochement des régimes, ceux-ci se placent sous l’égide d’une relation de fait. Pour autant, il est possible de regretter que le concubin reste encore démuni en cas d’aide à l’activité.
Notes de bas de page
1 Art. 1393 C. civil.
2 S’appliquent néanmoins depuis 2007 un régime de séparation de biens aux partenaires liés par un PACS, à moins qu’ils n’en décident autrement : art. 515-5 C. civil dans ses diverses versions depuis la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Toutefois, des achats en commun, comme par exemple, une résidence se réalise souvent en indivision.
3 L. 121-8 C. com. : « La présente section est également applicable aux personnes qui sont liées au chef d’entreprise par un pacte civil de solidarité ». Est donc applicable aux partenaires les dispositions de l’article L. 121-4 de ce code, qui ouvre différents statuts au conjoint contribuant à l’activité.
4 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
5 L. 121-4, II C. com. dans sa version antérieure à la loi PACTE : « II. - En ce qui concerne les sociétés, le statut de conjoint collaborateur n’est autorisé qu’au conjoint du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d’une société à responsabilité limitée ou d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée répondant à des conditions de seuils fixées par décret en Conseil d’État.
Le choix effectué par le conjoint du gérant associé majoritaire de bénéficier du statut de conjoint collaborateur est porté à la connaissance des associés lors de la première assemblée générale suivant la mention de ce statut auprès des organismes mentionnés au IV ». Le décret du 1er août 2006 prévoyait en son article 3 que « Dans les sociétés mentionnées au II de l’article L. 121-4 du code de commerce, le statut de conjoint collaborateur est ouvert au conjoint du chef d’une entreprise dont l’effectif n’excède pas vingt salariés. L’appréciation de l’effectif est effectuée conformément aux articles L. 117-11-1 et L. 620-10 du code du travail » : Décret n° 2006-966 du 1er août 2006 relatif au conjoint collaborateur.
6 L. 121-4, II, C. com. dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2020 : « II. - En ce qui concerne les sociétés, le statut de conjoint collaborateur n’est autorisé qu’au conjoint du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d’une société à responsabilité limitée ou d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée.
Le choix effectué par le conjoint du gérant associé majoritaire de bénéficier du statut de conjoint collaborateur est porté à la connaissance des associés lors de la première assemblée générale suivant la mention de ce statut auprès des organismes mentionnés au IV ».
7 Sur le principe de gestion concurrente, voir not. : Ph. MALAURIE, L. AYNES, avec la collaboration de N. PETERKA, Droit des régimes matrimoniaux, Defrénois, 7e éd., 2019, n° 416 et s. ; R. CABRILLAC, Droit des régimes matrimoniaux, LGDJ, Domat, 11e éd., 2019, n° 220 et s. ; G. GOUBEAUX, P. VOIRIN, Droit civil, tome II régimes matrimoniaux, successions et libéralités, Lextenso, 30e éd., 2018, n° 127 et s. ; F. TERRE et Ph. SIMLER, Régimes matrimoniaux et statut patrimonial des couples non mariés, Dalloz, 8e éd., 2019, n° 454 et s.
8 L. 121-7 C. com. : « Dans les rapports avec les tiers, les actes de gestion et d’administration accomplis pour les besoins de l’entreprise par le conjoint collaborateur sont réputés l’être pour le compte du chef d’entreprise et n’entraînent à la charge du conjoint collaborateur aucune obligation personnelle ».
9 Décret n° 2006-966 du 1er août 2006 précité.
10 L. 121-4, IV, C. com. : « A défaut de déclaration d’activité professionnelle, le conjoint ayant exercé une activité professionnelle de manière régulière dans l’entreprise est réputé l’avoir fait sous le statut de conjoint salarié ».
11 Cass. Soc., 19 décembre 2000, Bull. civ. V, n° 437, Arrêt Labanne : « Attendu que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleur ».
12 Voir not. : G. AUZERO, D. BAUGARD et E. DOCKES, Droit du travail, Dalloz, 33e éd., 2020, n° 197 et s. ; J.-F. CESARO, A. MARTINON et B. TEYSSIE, Droit du travail, relations individuelles, Lexisnexis, 4e éd., 2019 ; F. GAUDU, R. VATINET et Fl. CANUT, Droit du travail, Dalloz, 6e éd., 2018, n° 64 et s. ; P. LOKIEC, Droit du travail, PUF, 2019, n° 96 et s.
13 Not. Cass. Soc., 13 décembre 2007, Bull. civ. V, n° 210 : « Attendu cependant, d’une part, que l’existence d’un lien de subordination n’est pas une condition nécessaire à l’application du statut de conjoint salarié ; d’autre part, que dès lors qu’il est établi que l’un de époux participe ou a participé effectivement à titre professionnel et habituel à l’activité de son conjoint dans des conditions ne relevant pas de l’assistance entre époux, ce dernier ne peut pour faire échec aux dispositions de l’article L. 784-4 du code du travail opposer à son conjoint l’absence de rémunération du travail accompli à son service ».
14 L. 311-6 CSS : « Est affilié au régime général de sécurité sociale le conjoint d’un travailleur non salarié qui participe effectivement à l’entreprise ou à l’activité de son époux, à titre professionnel et habituel, et perçoit un salaire correspondant au salaire normal de sa catégorie professionnelle.
S’il exerce au sein de l’entreprise des activités diverses ou une activité qui n’est pas définie par une convention collective, sa rémunération horaire minimale est égale au salaire minimum de croissance ».
15 Art. 154 CGI : « I. Pour la détermination des bénéfices industriels et commerciaux et des bénéfices des professions non commerciales, le salaire du conjoint participant effectivement à l’exercice de la profession peut, à la demande du contribuable, être déduit du bénéfice imposable, à la condition que ce salaire ait donné lieu au versement des cotisations prévues pour la sécurité sociale, des allocations familiales et autres prélèvements sociaux en vigueur. Ce salaire est rattaché, à ce titre, à la catégorie des traitements et salaires visés au V de la présente sous-section ».
16 Loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social.
17 Art. 14 loi du 31 décembre 1989 : « Le conjoint survivant du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui justifie par tous moyens avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’entreprise pendant au moins dix années, sans recevoir de salaire ni être associé aux bénéfices et aux pertes de l’entreprise, bénéficie d’un droit de créance d’un montant égal à trois fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance annuel en vigueur au jour du décès dans la limite de 25 % de l’actif successoral. Ce droit est garanti sur la généralité des meubles par le privilège inscrit au 4° de l’article 2331 du code civil, sur la généralité des immeubles par le privilège inscrit au 2° de l’article 2375 du code civil et sur les immeubles par une hypothèque légale. Le cas échéant, le montant des droits propres du conjoint survivant dans les opérations de partage successoral et de liquidation du régime matrimonial est diminué de celui de cette créance. Pour la liquidation des droits de succession, cette créance s’ajoute à la part du conjoint survivant ».
18 L. 3245-1 C. trav. : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ».
19 Supra.
20 Art. 1832-2 al. 1er du code civil : « Un époux ne peut, sous la sanction prévue à l’article 1427, employer des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son conjoint en ait été averti et sans qu’il en soit justifié dans l’acte ».
21 Not. : Cass. Civ. 1re, 23 mars 2011, Bull. civ. I, n° 61, JCP E. 2011, 1428, note H. HOVASSE ; Rev. Sociétés 2011, p. 488, obs. E. NAUDIN ; BJS 2011, p. 464, note S. GAUDEMET et A. GAUDEMET.
22 Art. 1424 C. civil : « Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations.
De même, ils ne peuvent, l’un sans l’autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire ».
23 Art. 1832-2 al. 2 C. civil : « La qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition ».
24 Cass. Civ. 1re, 9 juillet 1991, Bull. civ. I, n° 232, Defrénois 1991, p. 1333, note P. LE CANNU ; Civ. 1re, 10 février 1998, Bull. civ. I, n° 47, Defrénois 1998, p. 1119, note P. MILHAC ; Cass. Civ. 1re, 4 juillet 2012, Bull. civ. I, n° 155, BJS 2012, § 354, p. 608, note H. LECUYER, Dr. sociétés 2012, n° 158, obs. R. MORTIER ; Rev. Sociétés 2012, p. 717, note I. DAURIAC ; Cass. Civ. 1re, 12 juin 2014, Bull. civ. I, n° 108, Defrénois 2014, p. 1093, note V. BARABE-BOUCHARD ; Dr. sociétés 2014, n° 183, obs. R. MORTIER ; JCP E 1651, n° 4, obs. Fl. DEBOISSY et G. WICKER ; Rev. Sociétés 2014, p. 734, note E. NAUDIN.
25 Cass. Civ. 1re, 4 juillet 2012, précité. Par exception en cas de recel successoral : Cass. Civ. 1re, 31 octobre 2007, Bull. civ. I, n° 334.
26 Cass. Civ. 1re, 5 novembre 2014, Bull. civ. I, n° 185.
27 Cass. Com., 18 novembre 1977, BJS 1998, p. 221, note J. DERRUPE ; LPA 1998, n° 78, note D. PONSOT ; Dr. sociétés 1998, n° 22, obs. Th. BONNEAU ; JCP N 1998, p. 789, note S. ROUXEL ; JCP E 1998, 517, note D. VIDAL ; D. 1998, somm. 394, obs. J.-Cl. HALLOUIN D. 1999, somm. 238, obs. V. BREMOND ; Cass. Com., 14 mai 2013, Bull. civ. IV, n° 81, BJS 2013, p. 453, note E. NAUDIN ; Dr. sociétés 2013, n° 135, obs. H. HOVASSE ; D. 2013, p. 2739, obs. A. RABREAU
28 Cass. Com., 14 mai 2013, précité : « la circonstance tirée de la prise d’effet du divorce entre les époux Z...-Y... dans leurs rapports en ce qui concerne leurs biens, à la date de l’assignation en divorce n’a manifestement aucune incidence sur la qualité d’associée et les droits qui y sont attachés, revendiqués par Mme Y… ».
Auteur
Professeur de droit privé
Université Toulouse Capitole
Membre du Centre de droit des affaires (EA 780)
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