Évolution de la fiscalité locale depuis la décentralisation
p. 215-227
Texte intégral
1Trente ans après la décentralisation, les collectivités locales mobilisent un volume de ressources, hors mouvements de dettes, pratiquement égal au budget général de l’Etat, soit 220 milliards d’euros en 2012 contre 225 milliards. La quasi-parité des finances locales et nationales illustre le rôle croissant de la gestion décentralisée des services et équipements publics, en d’autres termes de la dépense publique.
2En revanche, la gestion décentralisée de la ressource recule sous l’action conjuguée des réformes fiscales et des transferts de compétences. En contrepartie, les concours de l’Etat progressent, au prix toutefois d’une dépendance accrue des budgets locaux. De ce fait, l’autonomie fiscale s’affaiblit sous l’impact des suppressions et réductions d’impôts locaux remplacées par des dotations ou des impôts nationaux partagés (1).
3Le renforcement d’une péréquation financière multiforme à la fois se nourrit du recul et accentue le repli de la gestion décentralisée de la ressource. Spécificité du secteur public local, l’émiettement de la carte administrative, avant tout communale mais aussi intercommunale voire départementale et même régionale, place les contribuables et les usagers en situation de grande inégalité face au service public. En conséquence, confrontés à une “fracture territoriale” de grande ampleur, les pouvoirs publics ont institué, par étapes, des dispositifs de péréquation et de solidarité destinés, sinon à supprimer, du moins à réduire les inégalités. La mutualisation de la ressource à l’échelle nationale, régionale ou intercommunale, certes favorise l’égalité des collectivités territoriales, mais au prix d’une perte accrue d’autonomie de gestion du prélèvement fiscal (2).
I – RECUL DE L’AUTONOMIE FISCALE
4Les collectivités locales disposent, via le vote des taux d’imposition, d’une autonomie fiscale à bien des égards plus importante que dans nombre de pays européens. Utilisé intensivement mais aussi inégalement, le levier des taux joue un rôle déterminant dans le développement des services publics locaux en assurant, à la marge, l’équilibre des budgets.
A – Un levier fiscal nécessaire à l’équilibre des budgets
5Hors exonérations abaissant le niveau des produits votés, la fiscalité directe, formée de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, de la taxe d’habitation et de la taxe professionnelle remplacée depuis 2011 par la contribution économique territoriale, progresse d’année en année sous l’influence conjuguée des accroissements de bases et des relèvements de taux.
6De 1983 à 2010, la croissance cumulée du prélèvement provient pratiquement à parts égales de la hausse des taux d’imposition et de la croissance des bases. Le recours au levier des taux varie toutefois sensiblement d’une catégorie de collectivités territoriales à l’autre, dominante pour les régions (avec un relèvement des taux d’imposition à l’origine de plus des quatre cinquièmes de la croissance du produit fiscal), majoritaire pour les départements (la moitié), minoritaire pour les communes et intercommunalités (un peu plus du tiers).
7L’utilisation plus ou moins intensive du vote des taux découle de l’obligation d’équilibre budgétaire. Les dépenses de fonctionnement et les annuités de la dette doivent être couvertes par des recettes courantes (impôts, dotations de l’État, autres produits d’exploitation ou domaniaux), à l’exclusion des emprunts réservés au financement des investissements. En conséquence, d’une année à l’autre, la progression des dépenses exige une variation équivalente des taxes, compte tenu du différentiel d’évolution des autres recettes, notamment des concours de l’Etat. Le vote des taux permet ainsi d’ajuster à la marge la croissance du produit fiscal au besoin de financement des budgets, après comptabilisation des recettes non fiscales. Or, la dynamique des bases d’imposition, à la fois sur les ménages et les entreprises, ne suffit pas à couvrir la croissance des dépenses.
8Hors interventions notamment sociales, la principale source d’alourdissement des budgets provient de l’effet d’entraînement de l’investissement sur le fonctionnement. Les équipements publics locaux génèrent chaque année un flux récurrent de dépenses de fonctionnement, de maintenance et de financement égal au cinquième environ du volume des investissements accumulés. Or, en l’absence d’effet-taux, l’impact récurrent des investissements sur les produits, soit direct via l’évolution des bases ou encore la tarification, soit indirect via les dotations nationales indexées sur la croissance démographique, ne couvrirait que les trois quarts des charges additionnelles.
9Le retour sur bases et autres recettes non fiscales doit donc être complété par un effet-taux, financé sous le régime de la taxe professionnelle pratiquement à parité par les entreprises et les ménages. En revanche, sous le régime de la contribution économique territoriale, le levier des taux sur les entreprises recule sensiblement, imposant en retour soit un report de l’ajustement sur les ménages, soit un freinage de la croissance des dépenses par des économies de gestion et/ou une sélectivité accrue des projets d’investissement.
B – Une prise en charge partielle des hausses de taux par l’Etat
10L’alourdissement de la pression fiscale ne s’est pas répercuté intégralement sur les contribuables locaux. Via les dégrèvements législatifs, un tiers environ de la hausse des taux a été pris en charge par l’État depuis la décentralisation. Le transfert d’effet-taux sur le budget national varie sensiblement d’une taxe à l’autre. La prise en charge atteint près de la moitié pour la taxe d’habitation, un peu plus du tiers pour la taxe professionnelle et moins du vingtième pour les taxes foncières.
11Les dégrèvements législatifs sont à l’origine d’une réforme masquée de la taxe d’habitation et de la taxe professionnelle, transformée dans ce dernier cas en une réforme effective avec la création de la contribution économique territoriale.
12Pour les ménages situés approximativement en dessous du revenu médian par quotepart de quotient familial, la taxe d’habitation est plafonnée, à un taux progressif, en fonction du revenu. Les hausses de taux votées depuis 2000 ne sont pas incluses dans le plafond mais répercutées intégralement sur les contribuables. En conséquence, la taxe d’habitation connaît de facto un double régime fiscal. Pour la moitié environ des contribuables bénéficiaires du plafonnement, le prélèvement correspond à un impôt national progressif sur le revenu, hors relèvement des taux d’imposition. Pour l’autre moitié, la taxe demeure un impôt local à taux proportionnel sur la valeur locative des logements. Le relèvement de la pression fiscale n’étant ni plafonné, ni assorti d’un ticket modérateur, le dégrèvement n’ampute pas l’autonomie fiscale des collectivités, depuis 2011 des seules communes et communautés.
13De même, la taxe professionnelle acquittée par une entreprise, tous établissements confondus, était plafonnée en proportion de la valeur ajoutée. Le budget national prenait en charge le montant excédentaire quelle que soit l’origine du dépassement : croissance des bases ou hausses des taux. Pour neutraliser l’incitation à alourdir la pression fiscale, l’augmentation du dégrèvement imputable au relèvement du taux d’imposition était, depuis 2007, mise à la charge de la collectivité responsable sous forme d’un ticket modérateur. Une cotisation minimale différentielle s’appliquait le cas échéant aux entreprises au-delà d’un seuil de chiffre d’affaires. Plus de la moitié du prélèvement relevait ainsi de facto d’une assiette valeur ajoutée.
14Par conséquent, la taxe professionnelle connaissait aussi un double régime fiscal. Du point de vue des contribuables, le prélèvement correspondait à un impôt national proportionnel à la valeur ajoutée pour les entreprises au plafond ou au plancher. La taxe demeurait un impôt local sur les immobilisations pour les autres. Du point de vue des collectivités, les bases plafonnées ne bénéficiaient plus d’effet-taux. La possibilité de moduler la pression fiscale se limitait aux bases non plafonnées, soit moins de la moitié de l’assiette nationale. Le plafonnement assorti d’un ticket modérateur avait par conséquent déjà amputé l’autonomie fiscale locale avant le remplacement de l’impôt par la contribution économique territoriale formée de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
C – Un recul continu mais variable de l’autonomie fiscale
15La principale source de recul de l’autonomie fiscale provient des réformes de la fiscalité et du financement des transferts de compétences.
1) Recul lié à l’échec ou à la réussite des réformes fiscales
16L’amputation du levier des taux résulte à la fois, paradoxalement, de l’échec et de la réussite des réformes fiscales.
17Au regard des capacités contributives, les bases d’imposition directes (la valeur locative des locaux pour les taxes foncière bâtie et d’habitation, la valeur locative des immobilisations pour la taxe professionnelle) génèrent d’amples inégalités entre contribuables. Ainsi, la taxe d’habitation pèse d’autant plus lourd sur le budget d’un ménage que son revenu est faible. De même, la taxe professionnelle absorbait une part d’autant plus élevée de la valeur ajoutée que le secteur d’activité exigeait plus d’investissements de l’entreprise. En conséquence, des projets de réformes ont été conçus pour reconstruire une fiscalité plus conforme aux capacités contributives des redevables.
18Toutefois jusqu’en 2010, les tentatives de changement des bases d’imposition ont toutes échoué. Ainsi, la création d’une taxe professionnelle sur la valeur ajoutée, prévue par la loi du 10 janvier 1980, a été rejetée par le Parlement en 1984. Reformulé par la commission Fouquet, le projet a été abandonné par le gouvernement en 2005. De même, l’instauration d’une taxe départementale sur le revenu en 1990 a été reportée sine die pour disparaître du code des impôts en 2010. Le rejet des réformes résultait de l’ampleur, jugée excessive, des transferts de charge entre contribuables. L’échec provenait aussi des différences de taux d’imposition recréées, voire amplifiées par les nouvelles assiettes. Chaque collectivité devait conserver un produit fiscal inchangé l’année de la réforme. En conséquence, pour garantir la recette, le taux d’imposition devait compenser le niveau plus ou moins élevé des nouvelles bases. La réforme entraînait ainsi d’entrée une forte différenciation des taux, d’autant plus sensible qu’elle portait sur des assiettes représentatives de la capacité contributive des redevables, le revenu ou la valeur ajoutée.
19Les réformes directes n’ayant pas permis de corriger à la source les inégalités, les pouvoirs publics ont choisi d’en atténuer les conséquences par des suppressions ou des exonérations partielles d’impôts, en sus des dégrèvements législatifs. Ainsi, la taxe d’habitation régionale a été supprimée en 2001. Les bases de la taxe professionnelle ont été réduites en 1987 puis entre 1999 et 2003. De même, des exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d’habitation ont été accordées aux contribuables âgés de condition modeste. En contrepartie, les collectivités ont reçu des dotations de compensation du budget national. Toutefois, en réduisant le périmètre des bases imposées, les exonérations ont affaibli mécaniquement la capacité des collectivités à contrôler le montant des taxes par le vote des taux.
20Si l’échec des réformes a provoqué un recul du levier des taux, la seule réforme aboutie à ce jour a aussi été obtenue au prix d’un repli supplémentaire de l’autonomie fiscale locale. En effet, le taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, créée en remplacement de la taxe professionnelle et en complément de la cotisation foncière des entreprises, n’est pas voté par les autorités locales mais fixé nationalement. En conséquence, les deux tiers environ de la nouvelle fiscalité des entreprises échappent désormais au contrôle des taux par les collectivités.
21Prochain enjeu, la taxe d’habitation pourrait suivre le chemin de la taxe professionnelle et se reconstruire autour, d’une part, d’une composante valeur locative révisée du logement et, d’autre part, d’une composante “revenu” par transformation du plafonnement actuel en assiette. Toutefois, à l’instar de la cotisation sur la valeur ajoutée et après l’abandon de la taxe départementale sur le revenu, la réforme pourrait aussi imposer la fixation d’un taux unique sur le revenu, ou enserré dans un tunnel très étroit. Dans cette éventualité, la modernisation de la taxe d’habitation se traduirait par un nouveau recul de l’autonomie fiscale locale.
2) Recul lié au financement des transferts de compétences
22Le mode de financement des transferts de compétences est aussi à l’origine d’un recul de l’autonomie fiscale locale, du moins par omission.
23Dans le cadre de l’acte I de la décentralisation, les transferts de compétences aux départements et aux régions concernaient essentiellement l’action sociale, l’enseignement du second degré et la formation professionnelle. Toutefois, plus des deux tiers des crédits correspondaient, non pas à un élargissement du domaine d’intervention des collectivités, mais à une modification du mode de financement des aides sociales départementales. La compensation, intégrale et concomitante, des charges provenait pour moitié d’anciens impôts d’État et pour l’autre moitié de dotations. Les régions recevaient la taxe sur les cartes grises. Les départements obtenaient la taxe différentielle sur les véhicules à moteur (vignette) et les droits de mutation à titre onéreux et de publicité foncière. La différence entre les dépenses et les nouveaux impôts, à la date du transfert, était couverte par des dotations. En conséquence, l’acte I de la décentralisation n’avait pas, à court terme, étendu sensiblement le périmètre financier local. En outre, le remplacement des participations de l’Etat aux dépenses sociales pour partie par des taxes à quotités fixées localement élargissait l’autonomie fiscale des départements.
24La seconde vague de transferts de compétences s’accompagne d’un accroissement d’une toute autre ampleur du champ d’action des collectivités locales. Le processus débute en 2004 avec le transfert du financement du revenu minimum d’insertion (RMI) aux départements. À partir de 2005, l’acte II de la décentralisation poursuit l’élargissement des compétences locales dans les domaines du développement économique, de la formation professionnelle, des infrastructures, de la santé, de l’environnement, de l’éducation, du patrimoine et de la culture. L’acte II s’accompagne en outre du transfert de personnels techniciens et ouvriers de service des collèges et des lycées et d’entretien des réseaux routiers.
25Le financement des compétences transférées repose pour l’essentiel sur le partage des deux impôts nationaux : la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) et la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA). Si les régions peuvent modifier à la marge les tarifs de la TIPP appliqués à la consommation des carburants sur leur territoire, les départements ne contrôlent ni les taux, ni même les assiettes des deux impôts. Hormis la fraction ajustable de la TIPP régionale, le financement de la seconde vague de compétences transférées amplifie le recul du pouvoir de taux, du moins par omission en n’offrant pas aux collectivités la possibilité d’ajuster la quotité des prélèvements (tarifs ou taux) au besoin de financement des charges nouvelles. Les produits transférés aux départements représentent en effet des proportions fixes, déterminées l’année initiale du transfert, du rendement national des taxes. En l’absence de localisation de l’assiette et de contrôle du taux, les deux partages relèvent plus d’une logique de dotation que véritablement fiscale.
26En l’absence de pouvoir de taux sur la fiscalité transférée, sauf marginalement pour les régions, l’écart de croissance entre ressources et emplois se répercute sur la fiscalité directe. La compensation intégrale ne concerne en effet que l’année initiale. En revanche, rien ne garantit les années suivantes des évolutions parallèles des recettes et des dépenses que “l’effet de ciseau” résulte du choix des collectivités d’accroître les dépenses pour améliorer l’offre de services ou provienne de la dégradation du marché de l’emploi dans le cas du RMI-RSA ou du vieillissement de la population dans le cas des aides sociales aux personnes âgées. En 2011, 15 % environ du produit des taxes directes servent à combler le différentiel de croissance des charges et des recettes transférées.
II – RENFORCEMENT DE LA PÉRÉQUATION
27Des concours de l’Etat compensent, au départ intégralement puis ensuite en proportion décroissante, les impôts supprimés ou réduits. Le recul de l’autonomie fiscale, source de moins values de recettes, s’accompagne d’une amputation additionnelle des compensations de contrepartie, enfermant les budgets locaux dans une spirale financière régressive.
28En revanche, les dotations de compensation d’impôts locaux supprimés ou réduits fournissent l’essentiel des ressources d’adossement de la péréquation nationale, complétée désormais, dans une proportion croissante, par une péréquation directe entre collectivités. La multiplication des transferts péréquateurs accentue toutefois la perte de contrôle des autorités locales sur l’utilisation d’un produit fiscal local, déjà en recul sous l’impact des réformes. D’une nature différente mais au résultat similaire, le développement de l’intercommunalité à fiscalité propre restreint aussi de plus en plus les marges de manœuvre fiscale des communes au profit des communautés. Toutefois, la délocalisation des taxes résulte ici d’un choix volontaire de coopération.
A – Une spirale financière régressive
29Conséquence de “l’explosion” des allégements de cotisations fiscales, les transferts de l’état aux collectivités locales ont vivement progressé dans le temps en contrepartie du recul des taxes acquittées par les contribuables locaux. Actuellement, les concours nationaux constituent les quatre cinquièmes des compensations soit d’impôts locaux supprimés ou réduits, soit de charges transférées. Le soutien de l’investissement et la péréquation mobilisent, pratiquement à parts égales, le cinquième restant.
30Les compensations d’exonérations ne couvrent pas toutefois intégralement les moins values fiscales, à la différence des dégrèvements. D’une part, la neutralisation des effets taux et l’absence d’intégration des effets bases futurs, dans la plupart des cas, génèrent des pertes potentielles de ressources. D’autre part, la mise sous enveloppe d’une fraction croissante des concours de l’Etat depuis 1996 place les compensations d’exonérations sur une trajectoire d’extinction.
31L’enveloppe, élargie à plusieurs reprises, évolue à périmètre constant en fonction d’une norme d’évolution, également révisée à plusieurs reprises. De 1996 à 1998, l’enveloppe est indexée sur le taux de croissance des prix à la consommation. De 1999 à 2001, une fraction du taux de croissance du produit intérieur brut en volume, respectivement un cinquième, un quart puis un tiers, s’ajoute au critère des prix. L’indexation est ensuite reconduite annuellement de 2002 à 2007. De 2008 à 2010, la référence à la croissance économique disparaît et l’enveloppe est indexée sur le seul taux de croissance prévisionnel des prix à la consommation. En 2011 puis en 2012 et 2013, la référence à la hausse des prix disparaît à son tour et l’enveloppe est stabilisée en valeur à périmètre constant. Près de trois quarts des concours aux collectivités locales sont ainsi gelés en euros courants. En 2014, l’enveloppe diminuera pour la première fois en valeur avec une baisse de 750 millions d’euros et à nouveau de 750 millions en 2015, soit une réduction cumulée de 1,5 milliard par rapport à 2013.
32Au sein de l’enveloppe, des dotations, notamment sa principale composante la dotation globale de fonctionnement (DGF), sont susceptibles d’évoluer plus rapidement. De ce fait, pour respecter la norme globale, des baisses doivent venir contrebalancer les hausses supérieures à la norme. L’ajustement est assuré par les compensations d’exonérations de fiscalité directe locale, principalement de taxe professionnelle.
33Contrepartie de l’économie budgétaire réalisée par l’Etat, la mise sous enveloppe possède un coût pour les collectivités locales. Au regard du critère initial d’indexation sur les recettes fiscales nettes, le manque à gagner du secteur local atteint environ 5 milliards d’euros en 2012. La politique d’exonérations apparaît ainsi doublement coûteuse pour les collectivités, d’une part, en réduisant le champ du vote des taux et, d’autre part, en occasionnant des pertes croissantes de recettes de compensation.
B – Une péréquation exclusivement “horizontale”
34La politique de péréquation emprunte deux canaux, l’un “vertical”, fondé sur la modulation de dotations nationales, l’autre “horizontal”, construit sur des transferts directs entre collectivités, à l’exemple du nouveau fonds national de péréquation des ressources fiscales intercommunales et communales (FPIC), du fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF), ou encore des dotations de solidarité communautaire (DSC) des communautés à fiscalité professionnelle unique.
1) Dimension “horizontale” sous-jacente de la péréquation nationale
35Utilisée pour sa commodité, la distinction entre “vertical” et “horizontal” masque l’unité de fonctionnement de la péréquation territoriale en France. En effet, la DGF, certes constitue un transfert “vertical” de l’État, mais produit une redistribution en définitive “horizontale”. La divergence de nature institutionnelle et d’impact péréquateur résulte de l’origine de la dotation. La DGF constitue, via le versement représentatif de la taxe sur les salaires (VRTS), une ressource de compensation versée par l’État en contrepartie de la suppression de la taxe locale sur le chiffre d’affaires en 1968. L’incorporation de la compensation de la suppression des bases “salaires” de la taxe professionnelle à partir de 2004 élargit la fonction substitutive de la DGF.
36L’adossement de la péréquation à des compensations fiscales modifie radicalement la nature de la redistribution qui, de “verticale” en apparence, devient en fait “horizontale”.
37En variation, l’abondement des dotations péréquatrices par un double transfert révèle la nature “horizontale” de la péréquation nationale. Au sein de l’enveloppe normée d’une part, l’amputation des compensations d’exonérations de taxe professionnelle fournit la première source de financement. Au sein de la DGF d’autre part, la réduction du complément de garantie, mémoire de la taxe locale supprimée en 1968, et de la dotation de compensation des bases “salaires” supprimées de taxe professionnelle constituent la seconde source de financement. Ainsi, depuis 2010 et la stabilisation en valeur de l’enveloppe, le prélèvement cumulé sur le complément de garantie et la dotation de compensation des communes s’élève à-441 millions d’euros, auquel s’ajoute le prélèvement de-164 millions sur les compensations d’exonérations ajustées, soit au total un prélèvement de -605 millions d’euros utilisés pour abonder de 327 millions la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSUCS), de 213 millions la dotation de solidarité rurale (DSR) et de 65 millions la dotation nationale de péréquation (DNP). En variation, la DGF est ainsi un fonds de péréquation “horizontale” qui s’ignore, avec des prélèvements sur certaines collectivités servant à financer les reversements à d’autre collectivités.
38En niveau, la DGF organise également une redistribution “horizontale”. Le prélèvement implicite correspond à la perte actualisée de compensations fiscales et le reversement à la dotation reçue. Derrière l’aspect “vertical” de la péréquation nationale se dissimule ainsi une égalisation “horizontale” alimentée par l’incomplétude des compensations fiscales. La péréquation nationale repose de ce fait entièrement sur une solidarité financière entre collectivités locales, à l’instar des fonds de péréquation explicitement “horizontaux”.
39En conséquence, le renforcement de la péréquation nationale n’est pas envisageable sans accroissement du transfert de ressources entre collectivités contributrices et bénéficiaires. La réduction des concours nationaux à partir de 2014, en organisant une fuite dans le dispositif de transfert au bénéfice de l’Etat, ne peut que freiner la marche des collectivités vers l’égalité en rendant plus difficile l’accroissement des prélèvements destinés à renforcer la péréquation.
40Le fonctionnement “horizontal” par prélèvement-reversement de la péréquation, même quand elle transite par le budget national, explique la conception gradualiste de la recherche de l’égalité sous la forme d’un processus continu de convergence ; conception désormais inscrite dans la Constitution. A contrario, l’objectif de progresser sur la voie de l’égalité ne comporte aucun engagement sur le degré ultime de réduction des inégalités, ni explicitement, ni implicitement.
2) Développement de la péréquation “horizontale” directe
41Face aux limites de la péréquation “par le haut”, les pouvoirs publics se sont attachés à promouvoir en complément une péréquation “par le bas”, d’abord dans le cadre de la coopération intercommunale. Certes, la politique intercommunale ne se réduit pas à la redistribution. Néanmoins, la taxe professionnelle unique (TPU), instaurée en 1992 puis élargie en 1999 et remplacée depuis 2011 par une fiscalité professionnelle unique (FPU), propose un puissant outil, du moins potentiel, de renforcement de la solidarité financière entre communes.
42À l’instar de la DGF et de façon plus explicite, la TPU-FPU organise une redistribution “horizontale” directe entre communes dans une logique de “communauté réduite aux acquêts”, donc de mutualisation des ressources et des charges futures mais non passées. Les différences essentielles avec la DGF résultent naturellement de l’origine décentralisée des choix et de l’étendue limitée des territoires de solidarité. En conséquence, la mise en œuvre de la mutualisation fiscale présente de fortes spécificités d’une communauté à l’autre. L’hétérogénéité des critères de répartition de la DSC illustre la diversité des politiques de péréquation suivie. La coopération n’efface pas les rivalités locales, ou du moins pas dans les mêmes proportions d’un territoire à l’autre. De ce fait, si certaines agglomérations choisissent la solidarité, d’autres préfèrent la règle du “juste retour” aux effets nécessairement moins péréquateurs.
43La mutualisation intercommunale des ressources, et par ailleurs des charges, n’apporte donc pas, du moins partout, le complément de solidarité “par le bas” attendu pour amplifier la solidarité “par le haut” organisée dans le cadre national. Le cumul des effets risque en outre d’être contrarié par la répercussion du poids de la redistribution, à la fois locale et nationale, sur les mêmes communes.
44Face au maintien d’une fragmentation administrative sans exemple en Europe et imparfaitement compensée par un doublement systématique des niveaux de gestion, communes/communautés d’une part, départements/régions d’autre part, une redistribution nationale demeure le seul moyen, réellement performant, de réduire graduellement les inégalités entre territoires dans une perspective de justice fiscale mais aussi d’efficacité économique. La poursuite des efforts de réduction des multiples “fractures territoriales” continue donc de dépendre des comportements coopératifs des pouvoirs locaux, explicitement au niveau local, implicitement au niveau national via l’acceptation de la poursuite des transferts au sein de l’enveloppe et de la DGF.
45Pour pallier une péréquation nationale en voie d’essoufflement, une péréquation coopérative inégale d’un territoire de coopération à l’autre, l’organisation d’une péréquation “horizontale” obligatoire apporte, depuis la réforme de la taxe professionnelle, une impulsion supplémentaire à la réduction des inégalités territoriales.
46La création du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) s’inscrit dans cette perspective. En 2016, au terme d’une période de montée en puissance progressive, le FPIC devrait effectivement amplifier sensiblement la performance consolidée de la péréquation entre ensembles intercommunaux (agrégation de la communauté et de ses communes-membres). Le pouvoir péréquateur du FPIC pourrait alors dépasser celui des dotations communales de péréquation réunies (DSUCS, DSR et DNP). De même, en accompagnement de la réforme de la taxe professionnelle, un fonds de péréquation des ressources a été institué entre régions et un fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises entre départements.
C – Une réorientation progressive des flux péréquateurs
47Le 5ième alinéa de l’article 72.2 de la Constitution définit l’objectif stratégique de la péréquation : “La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales”. Toutefois, quelle égalité ? Ni la Constitution ni la loi n’apportent explicitement de réponses. L’objectif stratégique de la péréquation est révélé par l’objectif opérationnel des dotations, lui-même révélé par les critères d’éligibilité et de répartition.
48La modulation des dotations péréquatrices combine deux séries de critères, des critères de richesse avec le potentiel fiscal ou le potentiel financier, des critères de charges avec notamment la population, le nombre de logements sociaux, le revenu, la superficie ou encore la longueur de la voirie. La répartition s’opère en fonction inverse des écarts de richesse et en fonction des différences de charges.
49La combinaison des critères révèle l’objectif opérationnel des dotations péréquatrices : réduire les inégalités de potentiel financier compte tenu des disparités de charges. En d’autres termes, la péréquation vise à favoriser la convergence des pouvoirs d’achat des collectivités en services publics locaux. La réduction des inégalités de pouvoir d’achat ne représente toutefois qu’un moyen et non en soi l’objectif stratégique de la péréquation. L’égalisation des potentiels fiscaux corrigés des charges représente la condition, à la fois nécessaire et suffisante, pour proportionner les services publics rendus aux usagers à l’effort fiscal demandé en contrepartie aux contribuables.
50La politique de péréquation cherche ainsi à concilier libre administration et réduction des inégalités. La référence à la balance “service rendu-effort fiscal” préserve l’autonomie de décision des collectivités en maintenant la possibilité de choisir un effort fiscal plus ou moins élevé en contrepartie d’un niveau également plus ou moins important de services publics. En revanche, une égalisation du service rendu, ou une normalisation de la dépense, serait incompatible avec un fonctionnement budgétaire décentralisé du secteur public local.
51Le volume du financement fixé, la mise en œuvre de la péréquation est entièrement contenue dans les critères d’éligibilité et de répartition des dotations et de fonds qui révèlent, non seulement les objectifs de la péréquation, mais aussi les inégalités censées être corrigées, ou du moins réduites, par les dispositifs péréquateurs. Or, depuis la décentralisation, l’évolution des critères modifie graduellement l’orientation des flux péréquateurs et par conséquent la nature de l’égalité recherchée entre collectivités territoriales.
1) Mesure des ressources
52Depuis 1979 et la création de la DGF, la référence au potentiel fiscal, et non au produit fiscal (quand les taux d’imposition varient d’une collectivité à l’autre), constitue la pierre angulaire de la péréquation en dissociant la réduction des inégalités de richesse en bases de la préservation de la libre administration des taux d’imposition. L’exclusion du niveau d’effort fiscal de la mesure de la richesse, donc la référence au potentiel et non au produit fiscal, pour sélectionner puis moduler les dotations péréquatrices représente la condition à la fois nécessaire et suffisante pour concilier égalité et liberté, même si tout dispositif péréquateur ampute, dans des proportions variables, le libre usage des ressources locales.
53A l’origine, le potentiel fiscal correspondait au montant des quatre taxes directes qu’aurait perçu la collectivité si les taux nationaux d’imposition avaient remplacé ses propres taux pour établir le produit des impôts. Le périmètre de l’indicateur englobait uniquement les bases d’imposition effectivement imposées sur lesquelles les autorités locales exerçaient un pouvoir de taux. Le potentiel fiscal mesurait ainsi uniquement la richesse fiscale potentielle de la collectivité, indépendamment du niveau des taux votés.
54La comptabilisation de la compensation d’exonération des bases “salaires” de la taxe professionnelle (CSPS) provoque une première évolution du critère. D’une part, les bases exonérées incorporées dans l’indicateur échappent au pouvoir de taux des collectivités locales. D’autre part, la compensation correspond aux bases exonérées valorisées des taux votés en 1999, sauf pour les régions dont la compensation est recalculée par référence au taux moyen national de taxe professionnelle. En conséquence pour les communes, les communautés et les départements, l’indicateur de potentiel fiscal, censé ignorer les inégalités d’effort fiscal, incorpore les taux fossilisés de taxe professionnelle de 1999 appliqués aux bases exonérées. Le potentiel fiscal n’assume donc plus exclusivement sa fonction de mesure de la richesse fiscale indépendamment du niveau d’effort fiscal.
55Une deuxième évolution provient de la consolidation des potentiels fiscaux communaux et intercommunaux. Le potentiel fiscal d’une commune-membre d’un établissement de coopération intercommunale à fiscalité propre ne dépend pas uniquement des bases imposées contrôlées en taux par le conseil municipal. L’indicateur incorpore aussi les bases imposées contrôlées ou attribuées à la communauté. Indépendamment des compensations des bases exonérées, le critère ne reflète donc plus exclusivement le produit fiscal potentiel dont bénéficierait la commune si les taux nationaux remplaçaient ses propres taux.
56La troisième évolution découle de la réforme de la taxe professionnelle. Le potentiel fiscal comptabilise désormais, non seulement les nouvelles bases d’imposition des entreprises, mais aussi les transferts de neutralisation des écarts de recettes induits par la réforme : la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et le fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). La DCRTP et le FNGIR reflètent en négatif le désajustement territorial des recettes fiscales nouvelles et anciennes. La redistribution résulte d’un double transfert, d’une part de potentiel fiscal (effet-base lié principalement au remplacement des équipements-biens mobiliers par la valeur ajoutée) et, d’autre part, d’effort fiscal (effet-taux induit par le remplacement des multiples taux de taxe professionnelle par un taux unique de CVAE et des tarifs nationaux d’IFER). En conséquence, une rupture d’évolution de grande ampleur des potentiels fiscaux par habitant est apparue en 2012, première année d’application du nouvel indicateur, avec pour les communes des hausses et des baisses comprises entre plus ou moins un tiers.
57Or, ces ruptures, à la hausse comme à la baisse, ne sont pas représentatives “de réelles modifications de l’état de la richesse des collectivités concernées”. Le changement provient exclusivement de la comptabilisation de l’effet-taux de la DCRTP-FNGIR. La cristallisation des taux passés de taxe professionnelle provoque un déplacement de l’indicateur de potentiel fiscal, à la hausse en assimilant un niveau élevé d’effort fiscal avant la réforme à un signe de richesse après, et symétriquement à la baisse en assimilant un faible niveau d’effort fiscal avant la réforme à un indice de pauvreté après.
58La comptabilisation de l’effet-taux de la DCRTP et du FNGIR, d’une part, confond potentiel fiscal et produit fiscal et, d’autre part, retient un processus de formation des écarts de taux d’imposition avant la réforme contraire aux choix fiscaux locaux. Un faible niveau d’effort fiscal résultait en général d’un potentiel fiscal élevé et constituait donc un signe de richesse. A l’inverse, un fort niveau d’effort fiscal découlait d’un potentiel fiscal faible et représentait par conséquent un signe de pauvreté.
59En conséquence depuis 2012, la lecture des inégalités a évolué et entraîné un changement d’orientation des flux péréquateurs.
2) Mesure des charges
60La mesure des charges connaît également des évolutions. Imparfaitement définie, la notion de charges se prête à des interprétations différentes. En gestion publique, une charge correspond à une dépense contrainte imposée à la collectivité. La différence entre charge et dépense reflète le degré d’autonomie décisionnelle des autorités locales, c’est-à-dire l’étendue des choix de gestion au regard des obligations légales liées aux compétences et aux normes. Quand la dépense contrainte intègre un niveau normé de consommation publique, la notion de charge s’apparente au concept de “besoin de dépenses”. En l’absence de norme explicite de service rendu, la notion de charge correspond à la notion de coût unitaire. La conception retenue en France se rapproche plus de la notion de coût que de la notion de “besoin de dépenses” en ne fixant pas de normes explicites de services rendus.
61La mesure comptable des coûts des services publics locaux fournirait l’information la plus satisfaisante. Toutefois, l’absence de comptabilité analytique normalisée et d’indicateurs comparables de services rendus exclut tout calcul direct. Le recours à des critères physiques non budgétaires, censés refléter les disparités de charges, s’est par conséquent imposé, à l’exemple de la population, de la superficie, du nombre de logements sociaux etc.
62La démarche favorise l’instabilité des représentations. Ainsi, l’échelle des charges du nouveau fonds départemental de péréquation de la CVAE abandonne les effets de déséconomies de faible densité, précédemment incorporés dans la répartition, via la population et la superficie, au profit d’une lecture focalisée exclusivement sur le social, avec l’inverse du revenu par habitant, le nombre bénéficiaires des minima sociaux et la population de plus de 75 ans. De même, à la différence de la DGF, l’échelle démographique utilisée par le FPIC ignore les déséconomies de faible densité subies par les micro-communes et l’hétérogénéité des charges à population donnée. Autre incertitude, le traitement au coup par coup conduit à définir un indice de charges différent d’une dotation ou d’un fonds à l’autre. Dans le cas du FPIC, la différentiation est même interne au dispositif péréquateur, avec un indice synthétique des ressources et des charges du prélèvement différent de l’indice du versement.
63La multiplicité des échelles confère à chacune d’entre-elles un caractère souvent jugé arbitraire qui rend incompréhensible la représentation d’ensemble. Chaque échelle est alors perçue comme autant de manifestations d’intérêts catégoriels concurrents (urbain vs rural, banlieue vs centre, résidentiel vs industriel,…) au détriment d’une spécification cohérente des disparités de coûts de fourniture des services publics locaux.
64La multiplicité mais aussi l’instabilité des échelles, en déformant les réalités locales, dégradent en définitive de la performance consolidée de la péréquation.
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