XII. Les mythes de fondation dans un opéra « national-républicain » : Vercingétorix de Canteloube
p. 389-406
Texte intégral
1De l’Ardéchois Joseph Canteloube (1879-1957), on n’entend plus que les Chants d’Auvergne, installés par l’engouement américain1 dans les récitals et les catalogues discographiques. Les archives de l’Institut national de l’audiovisuel recèlent un enregistrement de l’opéra auvergnat naturaliste Le Mas, écrit en 1911- 1913, créé à l’Opéra de Paris en 1929. Mais Vercingétorix, « épopée lyrique » en 4 actes, n’éveille que le souvenir d’une photographie de Georges Thill avec une forêt de cheveux2, une cuirasse vaguement celtique et un manteau trop bien drapé. L’opéra n’a pas été repris et Thill n’a pas gravé son étourdissant ut de poitrine3 qui couronnait l’acte II Pourtant, autour de lui et de Marthe Nespoulous (Mélissa), le plateau du 22 juin 1933 était bien digne des fastes du Palais Garnier : Marjorie Lawrence (Keltis) y côtoyait Martial Singher (Ségovax l’archidruide), avec qui elle enregistra huit jours plus tard le duo Telramund-Ortrud de Lohengrin. La contralto Ketty Lapeyrette, créatrice de Waltraute du Crépuscule des Dieux à Paris un quart de siècle auparavant, Erda et Fricka renommée, incarnait la Grande Prêtresse, André Pernet (interprète de Wotan, Marke, Gurnemanz) était Gobannit, père de Mélissa. Un ensemble bien wagnérien, même pour les seconds rôles4, et indéniablement prestigieux : le talent des interprètes fut reconnu et salué. Mais dès la première, malgré la présence du Président de la République, public et critiques semblent unanimement être venus avec la ferme intention, non de siffler mais de rire, ce qui mène plus sûrement encore au fiasco. Une réaction à la famine d’Alésia, au dernier acte, donne le ton : -J’ai faim, dit l’un d’entre eux (des Gaulois) -Du pain ! réclame un autre. Et une voix répond stoïquement – Mange de la terre ! Cette dernière réplique, suscitant de malodorantes variantes dans le public, dut être supprimée5.
2 Que le principal librettiste – associé à J.H. Louwyck, auteur en 1929 de Retour de flamme, roman paru dans La Petite Illustration- ait été Etienne Clémentel, hiérarque radical, ancien ministre, président du Conseil désigné en 1929, pilier de la IIIe République, explique cette hilarité préméditée. S’il avait eu dans sa jeunesse des ambitions artistiques et littéraires frustrées6, il venait de l’Enregistrement (qui ne passe pas pour lyrique, bien que divers écrivains en soient issus) et on le connaissait comme rapporteur du budget et maintes fois ministre7. Mais jeune receveur à Riom, il faisait déjà des conférences sur l’âme celtique. Il était de plus un pur Auvergnat. Né près de Clermont en 1864 -année où l’Académie française propose Vercingétorix comme sujet de son concours de poésie8-, il a fait dans le Puy-de-Dôme études et carrière9, en a été député de 1900 à 1919, sénateur jusqu’en 1935, et y mourra à Pionsat le jour de Noël 1936. Mais justement, outre que le patriotisme en musique avait peu de chances de faire recette entre l’affaire Stavisky et les difficultés internationales, l’image des Auvergnats dans l’opinion est plutôt celle du bougnat des « Vins et charbons » que celle d’un héros. L’Auvergne n’a eu ni Chateaubriand, ni La Villemarqué, ni Brizeux, ni Mistral, pour être à la mode comme la Bretagne ou la Provence. Que le livret fût dédié à la mémoire glorieuse et vénérée de Paul Doumer, Président de la République n’y changeait rien : malgré sa fin tragique, on voyait mal Doumer en Vercingétorix. Les bonnes intentions tombèrent dans une terre aride : Les paroles n’ont aucune importance, puisqu’on les chante et que par conséquent personne ne les entend. Il n’en est pas de même de la musique, qui fait beaucoup de bruit10. Le spectateur est le confiant électeur qui écoute son député, qui l’applaudit, qui s’en va rasséréné, ragaillardi, vers l’âpre vie quotidienne, en fredonnant, sur un air pour Français moyen11 Liberté et Lumière, champignon, tabatière... L’électeur s’en fut, content d’avoir enfin contemplé en face les rêves de ses aïeux, la liberté dans la lumière, et la Beauté dans l’Opéra Parlementaire12. Certes, le livret peut, à un œil innocent, sembler un simple prolongement du grand opéra français, mais Scribe, s’il n’était pas ministre, n’était pas neutre13, et en 1933, il y a plus.
3Au sommet du puy de Dôme, au solstice d’été, Ségovax attend et salue le lever du soleil. La foule apporte des offrandes, le druide Durnac accueille ces paysans Symbolisant Le peuple profond de la plaine14. Survient avec ses hommes le centurion Régulus, portant le salut de César au jeune chef Vercingétorix dont la noce s’apprête. Son arrogance laisse prévoir l’incident15. Vercingétorix et Mélissa vont échanger leur foi quand Régulus force le passage, offrant au fiancé un don brigué des familles romaines Les plus hautaines, Le titre d’Ami de César16. Prenant Vercingétorix à part, il lui promet un trône à Gergovie s’il donne sa foi à César. Mais les légionnaires désœuvrés tentent de violenter Épone et brutalisent son mari Tarvillos. Vercingétorix les frappe et jette à Régulus Va, remporte à César ses promesses fleuries, Je n’en veux pas. Rappelant que depuis six ans Rome combat la Gaule, il refuse une paix destructrice de liberté. Gobannit craint de tout perdre dans une guerre vouée à l’échec et pousse sa fille à retenir son fiancé. Mais Vercingétorix, s’il jure devant Ségovax de n’avoir pour femme que Mélissa, jure aussi de ne pas la toucher tant que César et ses soldats piétineront Nos ancêtres couchés sous la terre des Gaules. Il offre les victimes destinées au sacrifice nuptial pour savoir si Teutatès approuve et légitime (Ses) rêves d’avenir. Mais le désir des dieux reste obscur, le Conseil des chefs doit trancher. Manipulés par Gobannit, les chefs divisés se laissent persuader que Vercingétorix est mû par l’ambition comme jadis son père (exécuté pour avoir voulu se faire roi), la foule devient hostile. Banni, Vercingétorix en appelle au reste du pays, à tout le passé, à la terre, pour une fraternité nouvelle. Il part sous les vociférations, croyant voir au fond de l’avenir Resplendir Sur notre race entière L’idéal radieux Des aïeux, La liberté dans la lumière.
4À l’île de Sein la nuit, Keltis, une des neuf druidesses, prie Bélisame la lune pour que les âmes volent éperdument dans (sa) vaste lumière. Une barque aborde l’île interdite aux profanes. À l’appel de Keltis, sept druidesses veulent massacrer Vercingétorix, débarqué malgré leurs imprécations, pour chercher un oracle, au-delà du silence des druides et de la froide logique, demandant aux filles de la Nuit et de l’Océan de plus lointaines causes, Ainsi qu’on découvre le soir Tant d’astres inconnus que cachait la lumière. Keltis seule veut l’écouter avant de le tuer, mais il affirme Je veux délivrer notre race Et je viens appeler au secours tous vos dieux. Surgit alors la Grande Prêtresse, jusque là cachée et silencieuse. Par ses questions, elle s’assure que Vercingétorix est celui qui doit venir. Elle exige, au-delà de son serment, un total sacrifice : qu’il renonce à Mélissa, à l’espoir d’une postérité charnelle, car la Patrie, Gaule nouvelle créée par lui, sera sa seule fille. Aux druidesses, elle explique que le profanateur, comme le veut la loi, est mort : devant elles est le demi-dieu dont l’âme ardente et l’âpre effort Vont enfin créer la Patrie. Les druidesses, venues des divers clans gaulois, fondent en Vercingétorix ces âmes fragmentaires pour qu’il soit l’animateur de la Patrie. Une tempête subite alarme la Grande Prêtresse : Vercingétorix évitera-t-il le défaut celtique, saura-t-il voir les autres souffrir Comme (il saura) souffrir lui-même ? Keltis le suivra, rappel de son devoir et signe du pouvoir des dieux. Sûr de sa mission et de sa victoire, Vercingétorix part en plein ouragan, entraînant Keltis : Ah ! pourvu que les deux Ne s’écroulent pas sur ma tête, Je cours braver d’un cœur joyeux Les plus effarantes tempêtes Des cœurs, des peuples et des flots !... Je sens monter en moi des forces infinies17 !
5A Gergovie, Keltis convainc les chefs de renoncer à leur vision « noble » de la guerre. Seul Gobannit, persuadé qu’elle est la maîtresse de Vercingétorix, s’entête, trahit et fait des signaux à César quand Vercingétorix a dégarni le camp pour tendre une embuscade. Mais Keltis va prévenir les soldats et Mélissa horrifiée donne l’alarme. Keltis incite les femmes à jeter leurs bijoux pour retarder les Romains. Victorieux, les Gaulois proclament Vercingétorix roi. Ségovax approuve. Mélissa, blessée par son père qu’elle a refusé de suivre chez les Romains, demande à Vercingétorix de l’aide et une explication, lui reprochant de s’être engagé seul, quand ils étaient deux au matin du serment. Tous, même Ségovax, ignorant le serment de Sein, affirment au roi que, son vœu accompli par sa victoire, il lui faut une reine et des fils. Ébranlé, il ouvre les bras à Mélissa qui pose un instant la tête sur son épaule. Il se ressaisit, cherchant Keltis, trop tard. Keltis est partie ! clament plusieurs voix. Stupeur, indique le livret. Un crissement de cymbales déchire soudain la musique comme si quelque chose se brisait.
6À Alise, les Gaulois assiégés meurent de faim. Vercingétorix les encourage, les secours approchent. Mais les alliés restent là-bas, sur la colline au lieu d’appuyer la sortie. Vaincus, les chefs rendent Vercingétorix responsable du désastre. Gobannit survient, suivi de Régulus qui apporte les conditions de paix : une alliance, mais César exige que tous les clans gaulois aident (ses) alliés et que Vercingétorix resté roi vienne aider Rome à conquérir le monde. Tous approuvent, sauf mon âme, interrompt le roi, car la Gaule serait esclave et il la préfère morte qu’asservie. Gobannit entraîne Mélissa. Vercingétorix, pour sauver les autres de la famine, exige d’être livré à César, Qu’on mette à mon cheval tous ses harnais de fête... Devant toi, Teutatès, j’offre ma vie En holocauste à la Patrie ! Ainsi dévoué aux dieux18, il reste seul, implorant la déesse de Sein d’accepter son sacrifice et pleurant son échec, Je n’ai pas su fondre aux feux de liberté Toute ma race dans une ardente harmonie... Je crains d’avoir forfait... et ma vie est finie. Mais Keltis apparaît : par son sacrifice, il crée la Patrie. La Gaule va plier, mais Rome tombera sous un poing plus brutal... Le monde alors verra debout dans ses ruines Tes fils rayonnants d’idéal. D’âge en âge dans le malheur les fils spirituels de Vercingétorix ranimeront la flamme. Dans une lumière de rêve, les Gaulois et leurs descendants, évoquant les éléments les plus symboliques de l’histoire de notre race, chantent le matin merveilleux Où tous les hommes sous les deux Vivront enfin dans la fraternité plénière Le grand rêve de nos aïeux, La liberté dans la Lumière ! Et le thème de la Marseillaise, en la majeur, éclate pour accompagner ce finale19...
7Que Vercingétorix soit un opéra « national-républicain », la fin seule le ferait deviner. Le héros semble parfois, entre deux envolées lyriques sur la gloire des Gaules, chanter le programme radical : cela amusait sûrement un public plus au fait qu’aujourd’hui des discours doctrinaux, première cause d’échec. Mais l’échec a sans doute une autre raison20 : Vercingétorix n’a jamais été pleinement un « mythe de fondation » ; il faudra voir pourquoi.
Un opéra « national-républicain »
8Émile Vuillermoz exprima en 1933 une idée analogue par la formule pittoresque d’opéra sur papier tricolore. Clémente ! et Louwyck évitent au long des 4 actes le mot nation, préférant patrie, voire race21, pour esquiver l’anachronisme, ou parce que le nationalisme est alors surtout de droite. Mais c’est évidemment la nation que Vercingétorix doit construire, selon des conceptions bien connues. Imposée par les sources, la royauté de Vercingétorix brouille superficiellement les pistes, mais son analyse fait ressurgir des programmes républicains. Enfin, dans la formation du héros par les druides, dans sa conception du pouvoir et sa philosophie de l’histoire, éclate l’influence de la franc-maçonnerie.
9La création par Vercingétorix de la patrie gauloise se conforme aux analyses révolutionnaires et à la conviction républicaine d’une invention de la nation par la révolution, théories redites en 1932. Comment ces ordres séparés, rivaux, ennemis, auraient-ils eu le sens de l’unité nationale ?... La royauté qui avait consommé l’unité politique du pays, d’une part en y faisant rentrer tous les grands fiefs indépendants, et d’autre part en ressuscitant l’État par reconstitution de la souveraineté, œuvre essentielle qui fit sa gloire, s’arrêta en route et n’entreprit pas de faire l’unité de la nation22. Pour Julien Benda, il ne suffisait pas pour que la France fût une nation que son sol appartînt à tous les Français, il fallait que chaque Français sentît que le sol de la France toute entière était à lui, et non pas uniquement la partie de ce sol où il résidait... Il fallait substituer à l’idée de possession individuelle l’idée de possession collective, substituer à l’idée d’une terre de France composée de morceaux appartenant chacun à un Français, l’idée d’une terre de France transcendante à ces morceaux et appartenant à la collection des Français, d’une France transcendante aux individus encore que n’agissant que par eux23. Le 5 mai 1939, pour le cent-cinquantenaire de 1789, Herriot proclamera Oui, la royauté avait, par un effort plusieurs fois séculaire, assemblé les terres dont se compose notre harmonieux pays et leur avait imposé au moins l’unité que résumait son ascendant ; mais, comme on l’a dit justement, elle avait centralisé plutôt qu’unifié... C’est un royaume, ce n’est pas encore une nation... Une nuit d’enthousiasme suffit pour briser les vieux cadres... Désormais l’unité française devient possible. La loi du 22 décembre 1789... peut faire surgir un véritable esprit national en créant les départements. Leurs noms... évoqueront les diverses régions naturelles dont les ressources sont désormais rassemblées pour former, sous le contrôle d’un peuple uni, cette puissance morale, cette personne prestigieuse qui s’appelle la France. La nation est créée volontairement, chacun sacrifie ses intérêts propres sur l’autel de la patrie et de l’intérêt général, dans la régénération évoquée en novembre 1789 par Thouret, l’amour de la nation est consacré par la Fédération24. Tout cela reparaît dans la Gaule de Clémentel.
10Les Gaulois de l’acte I, même sympathiques, sont individualistes et d’un patriotisme rudimentaire. Critognat est un baroudeur, J’aime la franche et large besogne... Qu’on ripaille, Travaille Ou cogne, J’en suis ! Mauvaise tête et bon cœur : il défend Vercingétorix à l’acte IV et refuse de le livrer, La faim nous rend hargneux peut-être, Mais nous t’aimons et nul d’entre nous n’est un traître ! Un ordre et nous partons mourir à tes côtés. Pour Viridomar, jeter (son) clan en avant Pour le profit des autres clans Serait un crime. À l’acte III, tous refusent le combat collectif et obscur, réclamant des actions d’éclat : Moi, je ne pioche pas, je cogne, proclame Critognat, et Viridomar, comme chef, refuse de s’enterrer dans des trous. Keltis explique que Glaive ou soc, pioche, casque ou pelle, Le fer est toujours noble et beau, Où la terre-mère condense Sa mystérieuse puissance, et aussi que Vaincre c’est savoir obéir et souffrir, Les morts sont des soldats perdus. Inspiré de César (BG VII 30), ce passage est surtout un hommage aux combattants de 14-18, qui ont accepté de s’enterrer dans des trous au lieu de chercher des élans fougueux mais téméraires, comme le siège de Gergovie et la famine d’Alésia rappellent le siège de Paris de 1870. Gobannit, caricature d’aristocrate, a des vues plus courtes encore : Tu vas perdre ta récolte, tes fils, tes troupeaux, ta maison, dit-il à l’acte I à Vercassillaun ; à Gergovie, il affirme Ma patrie ? Ah ! c’est ma fille flétrie Et mon domaine saccagé.
11Vercingétorix d’emblée voit plus loin, la Gaule n’est pas vaincue ! César n’a brisé Que des clans divisés Par de fratricides querelles. Si nos Tribus Ne luttaient plus Entre elles, Si des Alpes à l’Océan, Si du Rhin jusqu’aux Pyrénées, Toutes soudain d’un seul élan Se ruaient sur les légions étonnées, Rien ne résisterait à leurs forces mêlées !... Le clan est trop étroit, il faut qu’il s’élargisse !... Je veux qu’une Gaule immortelle Plus unie, plus forte et plus belle Se lève sous le ciel doré ! Il jure à la Grande Prêtresse J’unirai les Gaules. Tous nos clans marcheront épaules contre épaules. Mais la juxtaposition ne suffit pas, la prêtresse exige une fusion, C’est une étrange et divine postérité Dont tu peux devenir le père !... Étreins dans ta vigueur et la terre et les cieux, Éveille à ton appel la grande Âme Celtique, Et tu vas engendrer une fille mystique, Être mystérieux Fait de terre et de chair, de mémoire et de rêve, Qu’espéraient sans le voir nos plus lointains aïeux. Ah ! qu’enfin la « Patrie » en frémissant se lève ! Les druidesses unissent en Vercingétorix les âmes des clans et des principes vitaux de l’univers. Canteloube n’a composé que leur chœur final, Reçois Des clans gaulois Les serments d’alliance, Prends en toi l’essence De notre puissance Et sois Le héros qu’on aime et qu’on prie, Sois le libérateur Et sois l’animateur De la Patrie... Que l’Ar-vern, que l’Ar-den et que l’Ar-mor frémissent De ton ardeur ! Que les monts, les forêts et les mers t’obéissent ! Gloire au libérateur ! Gloire à toi dont l’effort va créer la Patrie ! Mais il vaut la peine de citer l’ensemble tel qu’il figure dans le livret : Ar-mor : Je t’apporte la force immense de la mer ! Que tes clans déchaînés, pareils aux flots sauvages Qui détruisent le roc en sable sur les plages Brisent le bloc romain et sauvent l’univers ! -Ar-vern : Sois tel qu’un mont sacré qui reçoit sur sa cime La pluie ou les rayons des deux Et les verse en torrents de flots purs et joyeux Sur tout un pays qu’il anime ! -Ar-den : Reçois le calme large et puissant des forêts ! Que leur sève, dans tes artères Monte ainsi que le sang précieux de la terre, Et que nul ouragan ne t’ébranle jamais ! -4e druidesse : Plus rude qu’un cyclone et douce que la brise, Que ton âme soit sœur du vent. Souffle sur tous les cœur une tendresse exquise, Mais les éveille aussi, secoue, entraîne, attise. Et pousse la race en avant ! – 5e druidesse : Les Morts, ce vaste clan qui dans le sol celtique Attend le signal du réveil, T’insufflent par ma voix leur grande âme héroïque. Ah ! fais lever sur eux l’espoir comme un soleil ! -6e druidesse : Voici l’âme des fils qui vont naître à ta race ! Ah ! prends garde à ne pas faillir ! Ton destin sur chacun va marquer une trace Jusqu’au plus lointain avenir ! -7e druidesse : C’est mon souffle qui tient nos frères dans la vie, Et mon cœur, en battant, règle les autres cœurs. Mais qu’à ton rythme neuf la Gaule s’unifie Et vibre désormais au gré de tes ardeurs ! -Keltis : Le secret vit en moi des puissances divines Qui dans la nuit du sol durcissent les métaux Et forment les tendres racines. Prends-les ! et fais ainsi des âmes de héros ! – La Grande Prêtresse : Dès cet instant je mets sur ton épaule Tout le poids du passé, du présent, du futur ! Plus tu seras vaillant et pur, Et plus telle sera la Gaule ! Dans cet acte, Vercingétorix a, d’un élan, gravi la cime. Les deux actes suivants dissocient les étapes, sur le plan humain : à Gergovie, l’union et la royauté, à Alise la fusion par le sacrifice.
12L’acte de Sein évoque à la fois la Fête de la Fédération et les hymnes révolutionnaires. Mais le livret apporte deux éléments nouveaux à la nation telle que la révolution la voyait. La nation de Vercingétorix n’est pas purement abstraite, elle fait appel, dans l’ensemble des druidesses, à des principes immatériels et s’inscrit dans l’histoire. Au-delà du panthéisme des celtisants, la nation de Renan transparaît, voire la terre et les morts : la guerre est passée par là, avec ses traces indélébiles. Le tableau final est éloquent : Vercingétorix monte à cheval et va s’éloigner quand soudain toute la scène s’éclaire d’une lumière de rêve. Chefs, guerriers et peuples réapparaissent debout et l’acclament. Mais il serait à souhaiter pour donner à ce tableau son ampleur logique, que cette foule évoquât -au moins par les costumes-les époques et les éléments les plus symboliques de l’histoire de notre race : Gaulois conquérants, pairs de Charlemagne, chevaliers des Croisades, compagnons de Jeanne d’Arc, mousquetaires de Louis XIV, soldats de la Révolution, de l’Empire, de notre épopée coloniale, de la Guerre du Droit25, et aussi les grandes figures « civiles »-même féminines26- qui, dans la politique, les arts, les lettres, la philosophie, les sciences etc, attestèrent l’éternelle floraison du génie celtique. Même si le brave Clémentel confond finale d’opéra et défilé de 14 juillet, il cherche à récupérer, non à gommer le passé, même les Croisés naguère honnis des républicains27, désormais précurseurs du mandat français en Syrie. D’autre part, la naissance définitive de la nation exige le sang du fondateur. Le sacrifice de Vercingétorix, politiquement vain (sa mort ne change pas le sort de la Gaule), est métaphysiquement nécessaire. Keltis, qui gémissait à Gergovie Pourquoi faut-il tant de sang Pour que la liberté fleurisse, explique la Patrie enfin va germer dans ton sang ! Au-delà des réminiscences littéraires, Teutatès veut du sang, voire Les dieux ont soif, et de souvenirs flous de rites apparemment étrangers à la Gaule28, il faut justifier par le but supposé les hécatombes de 1789-1815, comme semble l’indiquer après Gergovie (=Valmy ?) l’hymne de victoire, Une source rouge a coulé Hohé ! Sur les flancs noirs de Gergovie ! Que désormais sur notre vie, Hohé ! Jaillisse ainsi la liberté ! Nos clans joyeux ont écarté, Hohé ! La vigueur des lourdes cohortes ! Amis, écrasons de la sorte, Hohé ! Tout ce qui nous a divisés ! Notons enfin le côté girondin des notables radicaux, tant dans la mise en épigraphe du Livre d’Or de Riom que dans la dédicace À l’Ar-vern, à l’Ar-mor, à l’Ar-den, aux Patries celtiques toujours vivantes et à la France qui les unit.
13Le républicanisme est presque aussi manifeste. Dès 1904, inaugurant à Riom une statue de la mort du chef, Clémentel n’affirmait-il pas Grâce à ces prêtres à serpe d’or... la grande pensée de la Fraternité germa à côté de cet amour violent de l’indépendance qui fait le tréfonds de l’âme celtique, ... prépara la Déclaration des droits de l’homme, qui fit enfin la Révolution française comme le retour sur la scène de notre véritable génie national ?
14L’histoire imposait que Vercingétorix devînt roi. Mais quel roi ? Un guerrier victorieux et un juste. Vercassillaun proclame Puisque ton glaive a brisé l’ennemi, Ô Vercingétorix, sois notre roi ! Le héros demande l’avis des dieux, Ségovax, tourné vers le Dôme sacré, prie Puisqu’il est juste et maintiendra le droit, Ô Teutatès, sacre-le roi ! Comme le Dôme s’éclaire, l’archidruide achève Le dieu sourit enfin au rêve de ton père, Fils de Celtill, je te proclame roi ! Mais cette royauté est moins celle dont rêvait Celtill que celle de Louis XVI en 1789 qui, selon Bouché, n’est pas sur le trône par le hasard de la naissance, il y est par le choix de la nation, elle l’y a élevé (Bouché ajoutait comme autrefois nos braves aïeux ont élevé Pharamond sur le bouclier, Vercingétorix remplace Pharamond !). Il est, comme le voulait Siéyès, chef de la nation, premier citoyen, bref, osons l’anachronisme, un monarque constitutionnel, d’ailleurs fort mal obéi.
15Mais l’important est de définir le rôle du peuple, le pouvoir du nombre. À l’acte I, le héros, insulté par les chefs, déconcerté par le silence des dieux, demande aux Druides de l’éclairer. Ségovax déplore Quand les dieux sont muets, le nombre seul décide. Suit cet échange révélateur : Vercingétorix : Mais le nombre est souvent stupide ! -Gobannit : Il nous insulte ! -Vercassillaun : Le nombre t’a donné tort, Obéis à la loi du plus fort -Vercingétorix : J’ai refusé tantôt la servitude, Je la refuse encor, Qu’ils s’appellent César, intérêt, multitude, Je n’obéis pas aux tyrans ! -Cavaros, vexé : Merci ! -Vercingétorix : Je les méprise Et je les brise ! De même, Vercingétorix explique à la Grande Prêtresse J’ai refusé d’obéir à la loi du nombre, et elle le relève joyeusement, Ton cœur est d’un chef ! La foule et le troupeau Roulent d’instinct vers les abîmes, Le chef doit les pousser sans cesse vers les cimes, Vers l’azur, vers le clair, vers le beau ! Malgré les apparences, ces propos, ni réactionnaires ni bonapartistes, s’inscrivent dans une longue suite. Depuis que Rousseau a proclamé la volonté générale infaillible en ajoutant qu’il fallait l’éclairer, révolutionnaires et républicains ont tenté de distinguer peuple et foule, d’éviter les critiques de Platon ou de Cicéron sur le règne du nombre, suivant le discours de Mirabeau de juin 1789, On a cru m’opposer le plus terrible dilemme, en disant que le mot peuple signifie nécessairement trop ou trop peu ; que si on l’explique dans le même sens que le latin populus, il signifie la nation, et qu’alors il a une acception plus étendue que le titre auquel aspire la généralité de l’Assemblée ; que si on l’entend dans un sens plus restreint, comme le latin plebs, alors il suppose des ordres, des différences d’ordres, et que c’est là ce que nous voulons prévenir. On a même été jusqu’à craindre que ce mot ne signifiât ce que les Latins appelaient vulgus, ce que les Anglais appellent mob, ce que les aristocrates, tant nobles que roturiers, appellent insolemment canaille. Victor Hugo a tracé de lyriques frontières : Il y a l’émeute et il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort, l’autre a droit... L’instinct des masses, hier clairvoyant, peut demain être troublé... Israël contre Moïse, Athènes contre Phocion, Rome contre Scipion, c’est l’émeute ; Paris contre la Bastille, c’est l’insurrection. Les soldats contre Alexandre, les matelots contre Christophe Colomb, c’est la même révolte, révolte impie : pourquoi ? C’est qu’Alexandre fait pour l’Asie avec l’épée ce que Christophe Colomb fait pour l’Amérique avec la boussole ; Alexandre, comme Colomb, trouve un monde. Ces dons d’un monde à la civilisation sont de tels accroissements de lumière que toute résistance, là, est coupable. Quelquefois, le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple... Le bruit du droit en mouvement se reconnaît, et il ne sort pas toujours du tremblement des masses bouleversées... Il n’y a d’insurrection qu’en avant29. Vercingétorix, s’opposant au nom du progrès aux chefs et à la foule dévoyée, incarne donc l’insurrection et le droit. Il a aussi pour père spirituel le philosophe radical Alain, qui écrit dans La Dépêche de Rouen en 1912 La démocratie n’est pas le règne du nombre, c’est le règne du droit. Cette formule, que j’ai rencontrée ces jours, est bonne à méditer dans ce moment de notre histoire. Car tous les proportionnantes me paraissent avoir une tout autre conception de la République. Selon ce qu’ils disent, il suffit que le pouvoir soit remis aux plus forts ; la justice n’en demande pas plus. Pour moi, je conçois la République tout à fait autrement. Il n’y a point de tyrannie légitime ; et la force du nombre ne peut point créer le plus petit commencement de droit. Le droit est dans l’égalité... Le peuple veut des législateurs et non des tyrans. Voilà pourquoi il est puéril de compter si exactement les voix ; cela laisse croire que le parti le plus fort aura le droit d’être injuste. Système odieux.
16Comme le philosophe percheron, Vercingétorix refuse la tyrannie du nombre. Il veut l’union, mais pourrait, comme le congrès radical de 1927, la réclamer dans l’indépendance d’une pensée et d’une volonté qui ne s’inspirent que de l’intérêt fondamental du pays et qui ne cherchent que le triomphe de la démocratie. Il représente le peuple tel que le conçoit la pensée philosophique et républicaine, De cette attitude très générale des écrivains du XVIIIe siècle, il résulte que le peuple dont ils font état dans leur système de philosophie n’est pas une donnée réelle, mais une construction théorique... La notion philosophique de peuple est, au XVIIIe siècle, étrangère à toute considération de nombre. Une fois qu’on a mis à part les gens distingués par la naissance, la richesse ou le bonheur, le peuple devient le centre d’imputation quasi mystique de toute une série d’attributs qu’il doit, non à sa consistance, à sa valeur quantitative ou à sa force, mais à une qualité abstraite, impondérable, et dont on ne cherche aucune vérification expérimentale : sa souveraineté. Rien n’est plus étranger à Rousseau aussi bien qu’à Montesquieu et aux Encyclopédistes que de rapprocher les deux idées de peuple et de masse. Et c’est bien parce que le nombre n’a rien à voir avec la construction doctrinale de la notion de peuple que la pensée prérévolutionnaire fut sans cesse occupée à imaginer une volonté populaire qui ne fût pas purement et simplement la loi de la majorité. C’est parce que le nombre ne « faisait » pas le peuple que la souveraineté populaire put être dégagée au suffrage censitaire, et c’est aussi parce que la loi du nombre paraissait impuissante à légitimer l’obéissance que Rousseau vint l’enrober en l’édulcorant dans sa théorie de la volonté générale30. Vercingétorix incarne la vraie volonté d’un peuple auquel il va infuser son âme. Mais il doit aussi éclairer la masse : c’est l’aspect maçonnique.
17L’inspiration maçonnique surgit dès l’acte I. Sur le point le plus élevé du Lieu consacré, debout, les Druides en robe blanche, dominés par la haute figure hiératique de l’Archidruide et tournés vers l’Orient, attendent avec recueillement la minute où les premiers rayons du soleil, franchissant l’horizon, tendront leurs flèches d’or sur la plaine endormie. Leur prière patriotique à Teutatès est sans équivoque, Ô Teutatès ! ô père De la Lumière ! Loin de toi nous souffrons, Nous errons, Parmi les ténèbres immenses ! Ton peuple ardent vers l’avenir s’élance, Mais lourdement, nous nous heurtons Au mal, au mensonge, à l’envie. La Gaule, hélas, tremble, asservie ! Plus rien n’arrête l’étendard De César, L’ombre de la Louve rapace Couvrant ses prés, ses bois, ses champs, Déjà menace Les flancs De ton Dôme ! Ah ! viens délivrer tes enfants Du joug de Rome ! Lève enfin ton visage Éblouissant ! Qu’enfin ta lumière abolisse L’erreur, le doute et l’injustice !... Gloire à toi dont la clarté À l’appel de notre prière S’élargit sur la Gaule entière ! Que tes regards illimités Bondissant par-dessus les frontières Jettent sur chaque esprit et sur chaque cité Une autre et divine lumière, la liberté ! L’hymne au soleil est un vieux thème maçonnique, chez Rameau dans le prologue de Naïs, chez Mozart dans Thamos. En 1933 bien sûr, l’association liberté-lumière, comme le rejet d’une Rome qui est celle à la fois de César et des papes, peut être formulée plus explicitement qu’au XVIIIe siècle. Ces thèmes traversent tout l’opéra. Pour persuader les chefs, Vercingétorix affirme Devant la plus humble lumière, L’immense nuit recule pas à pas. La Grande Prêtresse lui explique l’étendue de sa tâche, Tu ne saurais l’entrevoir tout entière. Écoute : à travers le monde et depuis toujours Luttent l’Esprit et la Matière. Le poing brise le cœur, la haine mord l’Amour Et l’ombre cherche à voiler la lumière... Ah ! le rude combat et souvent inégal ! Mais depuis que Rome, Rome aux mains rougies, Étend sur l’univers son orgueil brutal, Ses soldats, sa force, ses orgies, Jamais tout ce qui sent et vibre Ne subit d’outrages plus mortels. Déjà le monde n’est plus libre, Rome a souillé tous les autels, Son glaive impitoyable brise Trente siècles de rêve et d’élan vers le beau. L’Égypte est morte et la Grèce agonise, La Gaule tient le suprême flambeau ! S’il tombe et que meure sa flamme, Le monde aura perdu sa liberté, son âme, Tout retomberait dans la nuit ! Cette vision de la conquête romaine et d’une Gaule gardienne de la civilisation est de pure fantaisie historique31. Mais dès le XVIIe siècle la maçonnerie naissante en Angleterre, avec Aubrey, puis Toland et Stukeley, se réclame des Celtes et certains, en France, y feront écho32. Au XIXe siècle, on associe volontiers l’Égypte et la Gaule dans la généalogie franc-maçonne, bien que Lachâtre, maçon lui-même, ait rejeté ces fables dans son Dictionnaire. Sue dans Les Mystères du Peuple offre une Gaule mère de la civilisation et une société secrète gauloise, les Enfants du gui, qui lutte contre Rome et préfigure la franc-maçonnerie33. Rien d’étonnant à ce que la Grande Prêtresse voie en Vercingétorix le grand héros qui doit bâtir L’Arche de l’Avenir ! Et les invocations finales des actes I et IV soulignent l’association liberté-lumière.
18Ce rôle, Vercingétorix y a été préparé par Ségovax, tel Tamino par Sarastro. La littérature à la gloire de Vercingétorix est souvent hostile aux druides, par anticléricalisme34. Rien de tel ici, car les Druides sont initiés et initiateurs. Vercingétorix le rappelle à Ségovax au conseil des chefs (la tirade n’a pas été composée) : Ségovax, quand mon père fut élevé Sur le terrible autel que dévorait la flamme, C’est toi qui m’as sauvé Le corps et l’âme. Dans le silence des grands bois, Après quinze ans d’étude et de retraite, C’est ta voix Qui m’apprit les Triades où nos vieux poètes Enclosent au rythme des vers Les lois secrètes De l’univers. Mon cœur s’ouvrait aux purs rayons de ta doctrine Comme au soleil levant se dore la colline ! Ségovax est impuissant à déchiffrer le sort aux actes 1 et III, et Vercingétorix dit aux druidesses Les druides ne sont que les fils du Soleil, Teutatès de clartés ardentes les inonde Mais il les éblouit, Leur raison n’aperçoit que le dessus du monde. Mais en s’adressant aux filles de la Nuit et de l’Océan, il ne se détourne pas de la lumière, il en cherche une plus subtile : la déesse de Sein qu’il prie dans sa méditation finale, c’est la lune qu’a célébrée Keltis, Dans les lueurs un cercle inconnu m’apparaît, Les limites de chaque objet Que la dure clarté solaire Agrégeait, Se relâchent et s’imprécisent, Tous les mondes s’idéalisent... Achève, ô Bélisame ! Fais que toutes les âmes Se libérant d’un brusque effort, Brisent leur gangue de matière, Et, la laissant tomber aux gouffres de la Mort, Volent, éperdument, dans la vaste lumière ! Ségovax et Keltis sont les interprètes complémentaires et non antagonistes du même message formateur d’un héros peu à peu initié35.
19Vercingétorix radical et franc-maçon n’était pas nouveau, ni plus farfelu que certaines interprétations antérieures36. Mais l’Opéra n’était pas le bon endroit pour le présenter : ne fait pas La flûte enchantée qui veut ! Vercingétorix et les Gaulois, malgré bien des efforts, n’ont jamais pu fournir à la France un vrai mythe de fondation. Reste à voir pourquoi.
Vercingétorix et la gaule : un mythe inadéquat
20Revenons à l’épigraphe de Vercingétorix pour analyser son contenu.
21Cet homme est encore notre maître. Avant lui, qu’y avait-il sur notre sol natal ? Des cités rivales et toujours en discorde. Avec ces tronçons et ces lambeaux d’un Peuple qui avait jadis épouvanté les Grecs et les Romains, Vercingétorix a fait la Patrie. De sa lutte et de son martyre est née la Gaule qui est devenue la France. Et l’on refuserait une glorification publique au Créateur de notre nationalité ! Que l’on ne nous objecte point l’éloignement de ses exploits et le lointain de sa gloire. L’œuvre de Vercingétorix est de toutes les heures. Oui ! toutes les fois que la France a bondi contre l’invasion Vercingétorix n’a cessé de revivre dans ses combattants, heureux ou malheureux, qu’importe ! C’est toujours la grande âme guerrière de l’Arverne qui a mené nos pères aux actions triomphantes ou aux résistances suprêmes. Guide lumineux, rayonnant modèle, Vercingétorix s’élève comme le contemporain de tous ceux qui veulent la France grande, superbe, éternelle ! Professeur à la Faculté des Lettres de Clermont, Emmanuel des Essarts lançait ainsi le 14 mars 1886 la souscription pour le monument à Vercingétorix. La copie de cet appel est la première feuille du Livre d’Or précieusement conservé au Musée Jeanne-d’Arc, à l’Hôtel de Ville de Riom, à côté des effigies de Vercingétorix sur monnaie d’or du royaume d’Arvernie, d’une pièce d’argent frappée par la Gens Hostilia à l’occasion du triomphe de César et représentant Vercingétorix après de longues années d’exécration à la prison de Mamertine, et de la lettre de la bonne Lorraine aux Bourgeois de Riom portant la signature authentique de Jeanne. Beau patriotisme local de Clémentel, élu maire de Riom dans les premières années du siècle : on comprend l’allusion de la presse au confiant électeur. Mais allons plus loin.
22Vercingétorix apparaît ici, et la Gaule avec lui, comme un mythe de fondation pour la France. Ce n’est ni la première fois (le duc d’Aumale avait salué en lui le premier des Français) ni la dernière37. Le contenu du mythe explique pourtant son relatif échec. Peu importe que Vercingétorix soit l’homme d’un seul livre38, écrit par son vainqueur César. Énée, modèle des fondateurs mythiques, était vénéré dès le VIIe siècle dans un Latium sans doute encore ignorant des poèmes homériques, mais l’Énée dont la légende triomphera avec Virgile et sera tant copiée est celui de la littérature grecque ennemie, non le Lar Aineas historique mais inconnu39. Peu importerait même que Vercingétorix ait été le contraire de ce qu’en dit la tradition, si l’hypothèse fascinante qui en fait un agent provocateur de César40 pouvait être définitivement prouvée : les fondateurs mythiques des cités italiennes, Énée ou les Anténorides, ont été souvent dits traîtres41, ce qui n’a pas suffi à inverser le mythe, et l’histoire moderne confirme la vigueur des idées reçues en fait de héros. Peu importe enfin que la Gaule mère de toute civilisation soit une fantaisie historique et une pièce rapportée, empruntée justement à la légende troyenne de France : l’idée a assez de charme pour s’incruster. Mais pour servir de mythe fondateur à une nation, Vercingétorix a deux défauts rédhibitoires, que n’a pas vus le XIXe siècle qui ne comprenait pas les mythes : c’est un diviseur et un vaincu. On ne bâtit pas sur des négations.
23L’exaltation d’une Gaule de fantaisie, phare de la civilisation, telle que la décrit la Grande Prêtresse, est antérieure à Clémentel. Député aussi, l’ancien communard Paschal Grousset (1845-1909), romancier associé parfois à Jules Verne sous le nom d’André Laurie42, s’y est livré dans L’héritier de Robinson, avec un de ses héros, l’archéologue Gloaguen : Les Gaulois, nos pères, les Celtes d’avant César, les vieux druides barbus qui ont laissé sur le sol de la Bretagne les majestueux monuments de leur civilisation, et dans toute l’Europe la trace visible de leur passage, voilà quels étaient au fond les objets véritables de son culte scientifique. M. Gloaguen se sentait Celte jusqu’au bout des ongles et il en était fier. Avec Jean Macé, il pensait que la France d’aujourd’hui fait trop bon marché de ses racines préhistoriques, de ce noble rameau de la race aryenne43, venu des rives de l’Oxus jusqu’aux bords de l’Atlantique quelques dizaines de siècles avant que les Grecs ou les Romains eussent un état-civil. L’influence celtique était pour lui la solution de plus d’un problème historique. Il voulait que les Etrusques n’aient été que les élèves de nos druides ; que la Grèce par les incursions gauloises en Macédoine, et même l’Égypte par les Phéniciens et les relations commerciales qu’ils entretenaient avec l’firmorique, n’aient fait qu’emprunter à la Gaule primitive ses arts et ses découvertes fondamentales. Sans les barbares latins et francs, la civilisation du monde eût été en avance de deux mille ans ! « Ce sont eux qui l’ont deux fois étouffée dans son berceau druidique ! » s’écriait-il parfois avec une ferveur singulière. Sue avait rempli de ces thèmes La faucille d’or et La clochette d’airain, les Mystères du peuple de la Gaule indépendante. Une mode venue, en fait, de Chateaubriand.
24Le texte publié des Martyrs donne au livre VII avec le discours de Camulogène une version très abrégée, mais révélatrice, de l’éloge de la Gaule confié initialement à Velléda44, Ignorez-vous que l’épée de fer d’un Gaulois a seule servi de contrepoids à l’empire du monde ? Partout où il s’est remué quelque chose de grand, vous trouverez mes ancêtres. Les Gaulois seuls ne furent point étonnés à la vue d’Alexandre. César les combattit dix ans pour les soumettre, et Vercingétorix aurait soumis César si les Gaulois n’eussent été divisés. Les lieux les plus célèbres dans l’univers ont été assujettis à mes pères. Ils ont ravagé la Grèce, occupé Byzance, campé sur les ruines de Troie, possédé le royaume de Mithridate, et vaincu au-delà de Taurus ces Scythes qui n’avaient été vaincus par personne. Le destin de la terre paraît attaché à mes ancêtres, comme à une nation fatale et marquée d’un sceau mystérieux. Velléda ajoute au livre IX Est-ce là le reste de cette nation qui donnait des lois au monde ? Où sont ces États florissants de la Gaule, ce Conseil des Femmes auquel se soumit le grand Annibal ? Où sont ces Druides qui élevaient dans leurs collèges sacrés une nombreuse jeunesse ?... Ô île de Sayne, île vénérable et sacrée ! je suis demeurée seule des neuf vierges qui desservaient votre sanctuaire ! Ce tableau couvre sans doute des allusions contemporaines, mais la gloire vient des romans du XVIIe siècle45 et, au-delà, des légendes de l’ancienne France, issues du mythe troyen : Rigord au XIIIe siècle fait fonder Paris par un Troyen un siècle avant Rome ; Jean Lemaire de Belges en 1500 dans les Illustrations de Gaule et singularités de Troie fait d’un Gaulois exilé le fondateur de Troie46. Dans sa 24e remarque sur le Livre VII des « Martyrs », Chateaubriand cite Annius de Viterbe : Il donne vingt-deux rois aux Gaulois avant la guerre de Troie : Dis ou Samothès, Sarron, fondateur des écoles druidiques, Boardus, inventeur de la poésie et de la musique, Celtès, Galatès, Belgicus, Lugdne, Allobrox, Pâris, Remus. Sous ce dernier roi arriva la prise de Troie et Francus, fils d’Hector, s’échappa de la ruine de sa patrie, se réfugia dans les Gaules et épousa la fille de Remus. Le romancier ne croit pas plus à ces fables qu’à l’origine troyenne des Francs, mais enrichit des unes et des autres le décor de son récit, comme il invente un descendant de Vercingétorix tué par Mérovée au livre VI : Il semblait que par cette mort l’Empire des Gaules en échappant aux Romains passait aux Francs. Ces mythes avaient leur raison, fonder l’unité du pays : Lemaire répond très exactement à ce qu’on attend au XVe siècle d’un mythe d’origine national : une gloire ancrée dans la réalité du pays. Les Gaulois-Troyens succèdent donc aux Francs-Troyens. La nation française devenue adulte et sûre d’elle-même est à elle-même son propre ancêtre, puisque Troyens et Francs-Troyens ne sont au fond que des Gaulois47.
25Chateaubriand oublie cette raison et suit l’historiographie de division des érudits du XVIe siècle, asservissement des Gaulois par Rome, puis des Romains par les Francs. Ses imitateurs, romanciers ou, hélas, historiens (la vocation d’Augustin Thierry est née de la lecture du chant guerrier des Francs), ont amplifié l’erreur. Au lieu d’exalter des ancêtres communs, le mythe de la grandeur celtique, tel que l’adapte le XIXe siècle avec Vercingétorix pour héros, devient facteur de division : il faut rejeter les Francs, « aristocrates »48 et chrétiens, éliminer comme référence le baptême de Clovis qui créait une France monarchique « fille aînée de l’Église »49, rejeter Rome, unique objet d’un ressentiment composite. Autant et plus que celle des Césars, c’est la Rome des papes qu’on attaque. Les héros de Sue s’écrient Je les redoute, ces princes des prêtres venant établir à Rome le siège de leur mystérieux empire ! à Rome, le centre de la plus effroyable tyrannie qui ait jamais écrasé le monde !... Malheur à la Gaule ! elle aura plus longtemps et plus cruellement à souffrir de l’oppression de la Rome des évêques qu’elle n’a souffert de l’oppression de la Rome des Césars et des empereurs50 ! Émile Lambin affirme La Rome républicaine nous a écrasés, la Rome impériale ruinés (sic !), la Rome pontificale trahis, la Rome royale d’aujourd’hui s’allie à nos pires ennemis51. Le contre-amiral Réveillère vaticine C’est une honte qu’une poignée de pédants soit parvenue à nous convaincre que nous étions des Latins bâtards... Depuis 89, la lutte est ouverte en France entre le génie gaulois et le génie latin : le génie gaulois esprit de liberté, le génie latin esprit de servitude et de servilité52. Cette haine fait appel à des sources hétéroclites, arguments de légistes sur l’indépendance du roi face à l’empire romain germanique et au pape, pamphlets italophobes du temps de Catherine de Médicis ou de Mazarin, et toutes les légendes noires déversées par la Réforme. On aboutit à la caricature de Vercingétorix : Rome confond le droit et le poing et écrase la civilisation, et c’est la paix sinistre de l’ergastule Ou le silence des déserts Que Rome étend comme un linceul sur l’univers53. Il faut, pour Réveillère, mettre entre parenthèses l’essentiel de notre histoire : Vercingétorix le premier, eut l’idée de la patrie gauloise. Sous son inspiration, cette idée illumine nos pères comme un météore -elle s’éteignit avec la conquête romaine pour ne se réveiller qu’à la Révolution française. Malgré leurs erreurs ou leurs crimes, ce sera l’éternel honneur de nos révolutionnaires d’avoir recueilli l’héritage de Vercingétorix54. Mais amputer la France de son héritage franc et surtout romain est impossible, ne fût-ce que pour la langue et le droit, ce qui prouve l’inadéquation du mythe. En faisant de Vercingétorix le père de la patrie, on ampute aussi la France matériellement : il n’a rassemblé que des tribus du centre (et les Éduens flottaient), le soutien des peuples de l’Océan a été verbal, le nord n’a pas bougé ; son action visait à attaquer la Prouincia, de Toulouse à Genève, où nul n’a changé de camp et où César a levé une légion entière, la Ve Alaudae. On pourrait, dans l’histoire mythique, associer pour le Midi Vercingétorix au Simon de Montfort des occitanistes. Et les modernes indépendantistes bretons ne veulent pas de lui parce qu’il est « français ». Pour symboliser le pays, le choix est désastreux, dans le temps ou dans l’espace.
26Vercingétorix divise et c’est un vaincu. On ne bâtit pas une idée nationale sur une défaite. En 1809 après la défaite prussienne, les Allemands ont exalté Arminius55 : comme Vercingétorix il a combattu Rome, mais victorieusement, au moins une fois, et arrêté la conquête (Rome abandonne définitivement le projet de porter la frontière sur l’Elbe : le victoire de Germanicus sur Arminius ne sert qu’à réupérer les aigles et à stabiliser la frontière acquise) ; on ne peut rapprocher les mythes. Dans l’archétype des mythes de fondation, la légende troyenne, les Troyens sont bien des vaincus. Mais ce que la légende décrit n’est pas leur défaite, sauf comme point de départ, mais la revanche que leur offre le destin dans la fondation d’un empire. Énée n’a pu sauver Troie, il a sauvé l’essentiel, le Palladium, et créé un peuple de conquérants, fondateur de la Ville souveraine du monde56. Dans les versions médiévales, que le héros soit Francion, Brutus (en Angleterre57) ou un autre, la légende troyenne garde ce schéma. Mais on ne peut, quel qu’ait été le sort final de l’Arveme58, l’imaginer préparant une revanche après Alésia ! Si une défaite peut stimuler le patriotisme, on ne fonde pas une nation sur un échec59. Léonidas ou Roland sont des héros vaincus rachetés par la gloire, comme les centurions de Gergovie L. Fabius ou M. Petronius60, non des fondateurs.
27Là se situe un curieux élément du mythe de Vercingétorix, la comparaison cent fois répétée avec Jeanne d’Arc, qui repose sur un contresens radical à propos de la Pucelle. Sous l’effet entre autres du romantisme, le XIXe siècle a cru que la mission de Jeanne s’accomplissait par sa mort. En 1865, Bréan écrit dans la préface de son drame Vercingétorix : Notre histoire comme celle de tous les peuples se divise en trois époques bien distinctes ; et au sommet de chacune d’elles apparaît une grande figure qui domine toutes les autres : dans l’Antiquité, Vercingétorix ; au Moyen Age, Jeanne d’Arc ; dans les temps modernes, Napoléon. Le patriotisme, la foi, la gloire. Et comme tout ce qui est grand se complète par l’adversité, comme toute illustration a son calvaire, à Vercingétorix une mort barbare dans les cachots de Rome, à Jeanne d’Arc le bûcher de Rouen, à Napoléon la captivité à Sainte-Hélène61. Passons sur la bizarrerie de cette vision courte de l’Histoire : n’y aura-t-il rien après Napoléon ? Mais Jeanne d’Arc se résume à la foi et au bûcher : de la réalité de son action, rien. Pourtant le bûcher n’est, pour l’histoire de France, qu’un incident. Le rôle historique de Jeanne est déjà achevé quand elle est livrée aux Anglais. Sa mission, délivrer Orléans et faire sacrer le roi à Reims, est accomplie. En ce sens, elle est victorieuse, contrairement à Vercingétorix. Sans être une fondatrice de la France, elle a eu le rôle d’un « génie protecteur » permettant une « refondation », après la longue déchirure de la guerre civile et étrangère, par Charles VII le Victorieux. Un opéra sur Jeanne d’Arc au XVIIIe siècle, quand les fins heureuses étaient l’usage, se serait terminé en toute logique à Reims ; la cantate Giovanna d’Arco de Rossini (1832) évoque brièvement le regard de. flamme de l’ange de la mort, mais plus des trois quarts en sont consacrés à la gloire et au triomphe de celle qui, se fiant à Dieu, a sauvé le roi. On est loin du parallèle avec Vercingétorix, mais beaucoup plus près de la réalité62.
28Une nation est une âme, un principe spirituel, dit Renan. C’est une réussite historique, ajoute Ferdinand Lot63 : définitions plus complémentaires qu’antagonistes. Elles expliquent l’échec relatif de Vercingétorix comme mythe fondateur, et celui de l’opéra en 1933. Comme symbole national, le héros est mal choisi. Devenu républicain et radical, donc moins encore symbole d’union, il aurait eu besoin à l’Opéra d’un musicien de génie, pas seulement d’une partition utilisant pour la première fois les ondes Martenot. Le musicien Paul Le Flem a bien dit « Vercingétorix », tout en reprenant la forme consacrée du drame lyrique, devient, par le caractère noble et sévère de l’action, par le souffle puissant qui l’anime, par la présence constante d’un peuple qui souffre, vibre et s’enthousiasme, une épopée lyrique64, mais ces éloges vont d’abord au sujet (avec ses faiblesses), pas à la réalisation. On ne peut se borner à dire Heureux Italiens, chez, qui un Verdi put exalter, sa vie durant, le sentiment national, sans se voir accuser des pires intentions politicardes, et surtout sans susciter chez les auditeurs et chez les critiques d’autre réaction que l’enthousiasme65 ! Outre son génie musical, Verdi sentait les sujets à effet patriotique et savait les imposer à ses librettistes. L’acte de Côme de Legnano avec l’appel à l’unité italienne, la scène du conseil du Boccanegra rénové qui joint à l’unité un vœu de paix civile, sont des idées du musicien, dont on a vu l’efficacité66. Sa Giovanna d’Arco, malgré ses fantaisies historiques, ne fait pas rire les Français67. Mais en France, ce n’est pas de Vercingétorix mais des Troyens de Berlioz qu’on a pu dire II y a de grandes beautés dans cet opéra si en dehors des habitudes du public : un large et pur sentiment de l’Antiquité y règne, et il y passe par moments avec un éclat de clairon, comme un souffle de poésie homérique68. Berlioz avait choisi le meilleur mythe...
Notes de bas de page
1 Jusque dans les romans d’espionnage : I came from the Auvergne originally... Mountains and mists. And rain -And folk songs, répond l’héroïne (Helen Mac Innes, The double image, Londres 1965).
2 La numismatique avait imposé l’abandon des moustaches dont s’affublaient précédemment les statues de Vercingétorix. Si la tête frappée sur ses monnaies est son portrait et non une image divine, Vercingétorix était glabre, avec des cheveux très courts. L’Opéra lui a gardé de longs cheveux, probablement pour contraster avec les Romains.
3 Robert Kemp sur la première, Comoedia, 30.6.1933.
4 Les ténors Édouard Madlen (Soldat), Raoul Gilles (Vercassillaun), Jean Deleu (Tarvillos, Soldat), I lenri Le Clézio (Durnac, pour son début à l’Opéra), le baryton-basse Jules Forest (Soldat), les basses Léon Ernst (Vieillard, Soldat), Pierre Froumenty (Critognat), Henry Bertrand Etcheverry (Viridomar), ont chanté Parsifal, Tannhauser (écuyers ou chevaliers), Lohengrin (héraut), Meistersingen (Sachs, maîtres, veilleur), Tristan (Marke, Melot), le Ring (Gunther, Ilagen, Wotan, Hunding, Fasolt). Plusieurs ont créé Elektra de Strauss à Paris en 1932.
5 A. Segond, Georges Thill ou l’âge d’or de l’Opéra, Lyon 1980, p. 80. Dans le livret original, Critognat dit Mangeons la terre.
6 Après des études de droit et de lettres, il a appris la peinture chez le Clermontois Carot et le modelage chez Fulconnis. Après la maladie qui lui fit abandonner la politique active en octobre 1930, il s’est à nouveau consacré à la peinture (détails donnés par la rubrique nécrologique d’E. Franceschini dans Le Temps).
7 Ministre des Colonies de Rouvier 24.1.1905-13.3.1906, il prône la coopération avec les indigènes (modèle du Barsac de J. Verne, L’étonnante aventure de la mission Barsac, bien que Barsac soit censé être Aixois ?). Ministre de l’Agriculture de Barthou en 1906, des Finances (Ribot, juin 1914), du Commerce sous Briand, Ribot, Painlevé, Clemenceau (1915-1919), du Travail dans le 6e cabinet Briand, des Finances (après la victoire du cartel) sous Herriot (il démissionne huit jours avant la chute du cabinet). Rapporteur général du budget en 1914.
8 Voir A. Simon, Vercingétorix et l’idéologie française, Paris 1989, p. 49 s.
9 Études aux Facultés de Clermont. Receveur de l’enregistrement à Thiers, puis Riom. Notaire à Riom, 1889, président de sa chambre syndicale. Parallèlement, secrétaire du député Gomot, conseiller municipal puis adjoint à Clermont, député lors de l’élection partielle de Clermont en 1900, maire de Riom, conseiller général, vice-président de la Chambre 1909. Battu en 1919. Sénateur, président de la commission des Finances. Favorise la création de coopératives pour conserver, transformer et vendre les produits agricoles. Conclut en 1916 les accords de Londres sur la baisse du prix du blé. Représente la France avec L. Loucheur au Conseil allié des transports maritimes et au Conseil interallié des matières premières. Impose une procédure obligatoire de conciliation et d’arbitrage des conflits du travail (étendue aux armateurs et marins quand il est ministre de la Marine sous Clemenceau). Fait grouper les syndicats professionnels en Confédération générale de la production française (devenue Confédération générale du patronat français). Favorise les groupements régionaux de Chambres de commerce et la création d’une Chambre internationale du commerce. Rénove l’artisanat, réforme l’enseignement professionnel maritime, crée l’office technique et scientifique des pêches maritimes.
10 H. Prunières, Revue Musicale, 7.8.1933. D. Porte, Roma Diva, Paris 1987, qui fait de Vercingétorix une pénétrante étude p. 523-540, commente à juste titre, savante critique ! Mais c’est ce que dit Stendhal du Freischütz (et de presque tout l’opéra après Cimarosa).
11 II s’agit du refrain de Malbrouk s’en va-t-en guerre, mironton, ton ton mirontaine. Vers 1930, on chantait, fort trivialement, Trou du c... champignon, tabatière.
12 A. Cœuroy, Paris-Midi, 26.6.1933.
13 Cf. J. Fulcher, Le Grand Opéra en France : un art politique, 1820-1870, Paris 1988.
14 Les moissonneurs avaient aussi leur place dans Le Mas. L’hommage à l’agriculture est déjà chez Berlioz, Les Troyens, III, Tous les honneurs pour le plus grand des arts. Part qui nourrit les hommes (reprises régulières à Paris depuis 1921). Mais quand Tarvillos prie Que mon champ d’épis d’or déborde, le public entendait sans doute l’ancien ministre de l’Agriculture.
15 Cesse tes balivernes, dit-il à Durnac. Notons cet ordre à ses soldats (l’enjambement, sinon la rime, eût ravi Hugo) Laissez tranquilles ces dévots ! Dessanglez vos Chevaux !
16 Le librettiste oublie que César est alors loin d’être maître de Rome et dictateur.
17 Le fameux ut de poitrine était donné sur la dernière syllabe.
18 C’est paradoxalement le rite de la deuotio romaine. Il faut éviter aux Gaulois l’infamie de livrer leur chef volontairement : comme le dit Ségovax, après ce vœu, Il est sacré ! Nul ne peut empêcher le sacrifice !
19 L’association n’est pas neuve, cf A. Simon, l. c., p. 55. Le livret suit à peu près César, De bello gallico VII, arrangeant des épisodes (les femmes de Gergovie, la « livraison » de Vercingétorix) et concentrant à Gergovie et Alésia des incidents épars, sauf l’acte II, de pure invention. Depuis Chateaubriand et Velléda, les druidesses de Sein sont inévitables dans un roman « gaulois », des Mystères du Peuple de Sue à La fiancée du Loup de la Mer de G.G. Toudouze, Paris 1957. Cf. J. Carcopino, César, Paris 1968, rééd., et Alésia et les ruses de César, Paris 1958.
20 La musique n’était apparemment pas en cause. Canteloube passe pour un compositeur honnête, sinon génial, et Le Mas a été repris.
21 Race doit être pris dans le sens courant au XIXe siècle, pour lequel on préfère aujourd’hui le mot ethnie. Il n’est pas question de races supérieures ou inférieures comme pour Gobineau, le pangermanisme ou Hitler. Hitler, chancelier en 1933, avait interdit la traduction française de Mein Kampf. La seule qui fut faite, illégalement, parut plus tard ; il n’y a pas eu encore en 1933 de glissement de sens du mot, par rapport notamment à Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?
22 M. Deslandres, Histoire constitutionnelle des Français de 1790 à 1870, Paris 1932, p. 21-22.
23 Histoire des Français dans leur volonté d’être une nation, Paris 1932, p. 89.
24 A. Mathiez, Les origines des cultes révolutionnaires, Paris 1904, p. 39. Discours d’Herriot, 1939. Il est piquant de trouver ce thème, de la terre de toute la France et de l’Empire apportée sur le site, dans la cérémonie organisée en 1942 à Gergovie par Vichy (A. Simon, l. c., p. 115 s).
25 Celle de 14-18. Quand à l’acte I Régulus proclame Le droit, pour un Romain, c’est la vigueur du poing, l’auteur pense aux théories allemandes, Recht ist Macht, et si bouffon que ce soit en matière juridique, assimile Rome à l’Allemagne.
26 On aimerait savoir à quelles femmes (outre Jeanne d’Arc) pensait l’auteur.
27 Sue, Les mystères du peuple : À défaut d’oreilles de chameaux ou de têtes d’ânes, on se nourrissait de chair humaine, et l’Église approuvait fort ces repas de cannibales à la condition que le mangé fût un Sarrasin.
28 Voir les sacrifices d’Iphigénie, de Macarie (Les Héraclides), de Ménécée (Les Phéniciennes) ou d’une fille d’Erechthée (Euripide, frg 362) pour obtenir une victoire ou sauver la cité, ou la fondation de Rome et le meurtre de Rémus, geste nécessaire, puisqu’il déterminait mystiquement le futur et assurait, semble-t-il, à jamais, l’inviolabilité de la Ville. De ce sacrifice sanglant, le premier qui ait été offert à la divinité de Rome, le peuple conservera toujours un souvenir épouvanté... Rome se sent désespérément solidaire du sang de Rémus (P. Grimal, La civilisation romaine, Paris 1960, p. 26). Mais on ne connaît pas de parallèles gaulois (nous ignorons les éventuels rapports entre les sacrifices humains gaulois et les rites de fondation).
29 Les Misérables, 4’ partie, livre X, ch. 11.
30 G. Bardeau, Traité de Science Politique, VI, Paris 1977, 2e éd., p. 386-388.
31 Voir P.M. Duval, Les Celtes, Paris 1977, et le catalogue de l’exposition I Celti (palais Grassi, Venise), dir. S. Moscati, v. fr. Les Celtes, Milan 1991. La littérature ceitisante du XIXe siècle mêle les sources et projette sur la Gaule de Vercingétorix la littérature galloise ou irlandaise plus tardive (amenée en Gaule par la migration des Celtes en Armorique au Ve siècle).
32 S. Piggott, Ancien) Britons and the Antiquarian Imagination, Londres 1989. Pour divers Antiquarians, le gallois venait de l’hébreu, les « Britons », descendants de Gomer, étaient pré-chrétiens comme les Gaulois de Lemaire de Belges et Stonehenge était la tombe de Boadicée (Aubrey l’attribuera aux Druides)... En France, voir Chiniac de la Bastide du Claux (avocat au Parlement), Histoire de l’Église gallicane, 1769, précédée d’un Discours sur la nature et les dogmes de la religion gauloise (réédité en 1997 avec une préface très celtique et druidique de Régis Blanchet, sous le titre Connaissances du monde celtique au XVIIIe siècle).
33 Les Enfants du gui apparaissent dans Le collier de fer ou Faustine et Siomara, 3e épisode des Mystères du Peuple, ch. I. Voir notre « Romantisme militant et manipulations de l’Histoire : l’Antiquité « prophétique » d’Eugène Sue dans les Mystères du Peuple », Mélanges P. Montané de la Roque, Toulouse 1986, p. 539-563.
34 A. Simon, l. c., p. 71,85, 94 s.
35 On laisse de côté l’universalisme de la franc-maçonnerie. Seul le discours de la Grande Prêtresse (et le finale, discrètement) évoque l’aspect mondial de la lutte ténèbres-lumière.
36 A. Simon, l. c., passim.
37 Duc d’Aumale, Alésia. Étude sur la 7e campagne de César en Gaule, Paris 1859, p. 134. A. Simon, l. c., p. 113 s.
38 J. Harmand, Vercingétorix, Paris 1984, p. 9.
39 Bibliographie R. Chevallier, « Les avatars d’Énée depuis la dernière guerre mondiale », Présence de Virgile, Caesarodunum XIII bis, Paris 1976, p. 559-577. Catalogue de l’exposition Enea net Lazio. Archeologia e mito, Rome 1981. M. Torelli, Lavinio e Roma, Rome 1984. A. Grandazzi, La fondation de Rome, Paris 1991.
40 J. Harmand, l. c., passim.
41 J.P. Callu, « Impius Aeneas ? Echos virgiliens du Bas-Empire », Présence de Virgile, précité, p. 161- 174. C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris 1985, p. 22.
42 Notamment pour L’épave du Cynthia où apparaît discrètement l’enthousiasme celtisant.
43 Mot à prendre dans son premier sens, linguistique et d’ailleurs encore imprécis : la plaque de Candahar du roman est censée prouver une parenté celto-chaldéenne.
44 Texte complet éd. Pléiade, Œuvres romanesques et voyages, II, Paris 1969, p. 1633-1635.
45 Chateaubriand avait lu L’Astrée (qui exalte la Gaule, son décor) et les romans « historiques » du XVIIe siècle (éd. précitée, Introduction, p. 16-17 et sur les allusions contemporaines p. 18).
46 Voir notre « Mythes de fondation et mission de la France : la légende troyenne », L’influence de l’Antiquité sur la pensée politique européenne, CERHIIP, Aix-en-Provence 1996, p. 51 -75.
47 C. Beaune, I. c., p. 37. De même, J. Carcopino sur la légende troyenne de Rome, Virgile et les origines d’Ostie, Paris rééd. 1968, p. 677, Apparentés aux Hellènes, aux Sicules, aux Thraces, les Troyens ne sont pas venus s’emparer du Latium, mais le reprendre ; et si, plus tard, les descendants d’Énée fondent Rome, les ancêtres d’Énée étaient venus d’Italie fonder Troie. Rome fut étrusque et grecque ; et par les Troyens, elle est issue de l’Asie qu’elle avait jadis colonisée et que, par un juste retour du destin, elle gouverne aujourd’hui. L’Vrbs en qui toutes les nations se mêlent est le monde en raccourci.
48 Siéyès (Qu’est-ce que le Tiers État ?) voulait les renvoyer dans les forêts de la Franconie (mais gardait l’héritage romain) : la nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne plus se croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains.
49 Pourtant, l’insertion des Francs dans le tissu construit par une aristocratie de tradition culturelle romano-hellénistique, représentée essentiellement par l’épiscopat : telle est la voie par laquelle la Gaule a pu finalement assumer une fonction de guide dans la restauration et la définition plus claire d’un Occident territorialement stabilisé (nous traduisons ici G. Tabacco, « I processi di formazione dell’Europa carolingia », discours inaugural de la XXVII° Settimana del Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, Nascità dell’Europa ed Europa carolingia : un’ equazione da verificare, Spolète 1981, 1, p. 34).
50 Les Mystères du Peuple.
51 Lambin, La Gaule primitive, Paris 1897, p. 59. Allusion à la Triplice.
52 Réveillère, Gaule et Gaulois, Paris 1895, p. 42 et 61.
53 C’est ce que Méry et Du Locle, librettistes du Don Carlos de Verdi, disent de la paix de Philippe II, La paix du cimetière !... Votre empire est un désert immense (II 7).
54 Réveillère, /. c., p. 59.
55 H. von Kleist, Hermannschlacht, 1809 (éd. bilingue, La bataille d’Arminius, Paris 1931).
56 Voir « La majesté de Rome ».
57 Voir notre « De Brutus à Britannia : Troyens, Romains et saints dans le Moyen Âge britannique », Méditerranées, 17-18, 1999, p. 89-105.
58 Son exécution n’est mentionnée que par Dion Cassius, au IIIe siècle de notre ère.
59 Renan a écrit la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs ; ils commandent l’effort en commun (Qu’est-ce qu’une nation ? Paris 1882). Mais ni Waterloo ni Sedan (évidemment présent à son esprit) n’ont uni plus qu’Alésia, au contraire du 11 novembre 1918 (même si cette dernière union a été brève).
60 BG VII 47 et 50.
61 Vercingétorix, Orléans 1865, p. 3.
62 Le parallèle Vercingétorix-Jeanne d’Arc n’a pas toujours paru suffisant. Sue l’a doublé du sacrifice d’Héna, druidesse de Sein, victime volontaire poignardée et brûlée en offrande à Hésus.
63 « Qu’est-ce qu’une nation ? », Mercure de France, 306, 1949 p. 45 (repris dans Recueil des travaux historiques de Ferdinand Lot, Paris-Genève 1968, p. 269).
64 Comoedia, 24.6.1933.
65 D. Porte, ROma Diva, p. 540.
66 La battaglia di Legnano, Rome 1849. Simon Boccanegra, 2e version, Boito, Sc. 24.3.1881.
67 Les 12 et 14.12.1963 à Toulouse, les représentations avec Rita Orlandi-Malaspina pour les 150 ans de la naissance de Verdi ont ému public et critiques.
68 Le commentaire est de Théophile Gautier.
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