Chapitre XVIII : La hiérarchie primitive aux temps apostoliquesi
p. 415-461
Texte intégral
1. Les Apôtres : les Douze et la primauté de saint Pierre.
1Le terme de hiérarchie, ἰεραρχία, qui ne sera employé que par le pseudo-Denys l’Aréopagite, n’apparaît pas dans le Nouveau Testament. Celui de λακο, auquel il s’oppose, et qui est l’adjectif formé à partir du terme λαός, ne se rencontre pas non plus dans les écrits néotestamentaires ; il figure seulement dans la lettre de Clément de Rome à l’Église de Corinthe pour désigner quelqu’un qui n’exerce pas de fonctions liturgiques1. La réalité institutionnelle d’une hiérarchie, distincte de l’ensemble des fidèles, de ce qu’on peut justement appeler le laïcat, n’en existe pas moins aux temps apostoliques.
2Certaines institutions en effet n’ont pas encore de terme spécifique pour les désigner. La langue technique est encore en voie de formation. Certains termes commencent à prendre une signification technique, sans qu’elle soit toujours constante ni exclusive. Ainsi, le terme ἀπόστολος, qui a pourtant déjà le sens d’Apôtre, s’applique à certains charismatiques et aussi aux envoyés des Églises, sortes de commissaires, qui accompagnent l’envoi de la collecte de Jérusalem. Il importe de toujours distinguer entre l’existence des institutions et les vocables qui les désignent.
3Le Christ a institué lui-même les organes essentiels de la hiérarchie de l’Église, le Collège des Douze Apôtres, que continuera l’épiscopat, et la primauté de Pierre, fondement de la primauté de l’Église romaine. Il a établi cette hiérarchie, destinée à conduire le peuple de Dieu vers sa fin surnaturelle, en même temps qu’il fondait l’Église, de sorte qu’il est impossible de les dissocier. Tous les organismes essentiels de la constitution de l’Église sont donc en place aux temps apostoliques. Mais cette constitution revêt d’abord un aspect provisoire, puis elle évoluera vers son aspect définitif, qui est déjà atteint dans une large mesure à la fin du Ier siècle.
4Dans la désignation des Apôtres, qui est rapportée avec quelque solennité par les Évangiles2, les autres disciples qui sont à l’origine de la communauté chrétienne, n’interviennent en aucune façon.
5Le Collège des Douze a été établi par le Christ, qui a choisi chacun des Apôtres et les a formés. Ce sera le fondement de l’épiscopat et de la collégialité des évêques. Ce chiffre de Douze a été sans doute inspiré par celui des douze tribus d’Israël ; ce Collège n’a rien de commun avec l’organisation supérieure des Esséniens, en dépit des rapprochements problématiques qu’on a tenté d’établir.
6Parce que ce chiffre a été voulu par le Christ, bien qu’il relève de l’aspect provisoire de la constitution de l’Église, les Apôtres y attachent tellement d’importance que leur premier geste, avant même la Pentecôte, consiste à compléter le Collège apostolique. Toutefois, comme ils estiment que ce chiffre n’est pas destiné à se perpétuer, après le martyre de Jacques, fils de Zébédée, il n’est plus question de le remplacer.
7Les Apôtres sont les témoins de la messianité de Jésus et de sa résurrection ; ils sont aussi des envoyés, porteurs du message chrétien et doués d’une autorité authentique. Ils sont les mandataires du Christ, comme l’indique le terme hébreu šâlîah, en araméen šâlîhâ, qui est rendu en grec par ἀπόστολος. De là découlent leurs fonctions et leurs pouvoirs.
8Les Douze, qui sont avec Pierre le fondement de l’Église, constituent le sacerdoce de la Nouvelle Loi. Ce sacerdoce n’a rien de commun avec celui de l’Ancienne Loi, qui se recrutait par hérédité dans la tribu des Aaronides. Lorsqu’il célèbre la Cène, le Seigneur leur confère ce sacerdoce nouveau en leur ordonnant de perpétuer le sacrifice eucharistique, qui est le sacrifice unique de la Nouvelle Loi : « Faites ceci en mémoire de moi »3. Ce sacerdoce, dont sont investis les Douze, est une participation au sacerdoce du Christ, l’unique grand prêtre des temps nouveaux4, médiateur entre Dieu et les hommes, et comme ce sacerdoce doit subsister dans l’Église jusqu’à la fin des âges, ils ont pouvoir de le communiquer. Ainsi feront-ils en faveur de leurs collaborateurs, qui formeront un clergé missionnaire, et des presbytres ou épiscopes, qui seront le clergé local des communautés chrétiennes.
9Le Christ a investi les Douze des pouvoirs d’enseignement et de gouvernement, qui en font ici-bas les chefs de l’Église. Le Christ ne s’adresse qu’à eux. C’est à Pierre et aux Douze qu’il entend conférer ces pouvoirs, et non à la collectivité formée par l’ensemble de ses disciples. La société des chrétiens sera hiérarchisée, enseignée et gouvernée par les Douze et à leur tête par Pierre.
10Aux Douze, le Christ déclare accorder le pouvoir de lier et de délier, c’est-à-dire le pouvoir de juridiction : « En vérité, je vous le dis, tout ce que vous aurez lié sur la terre se trouvera lié dans le Ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre se trouvera délié dans le Ciel »5.
11L’hébreu’ âsar, « lier », et l’araméen šerâ, « délier », constituent une expression fort usitée chez les rabbins, et désignent le pouvoir d’interdire, d’ordonner, de permettre, d’infliger ou de lever une peine. On retrouve cette expression dans le Talmud, où elle a incontestablement un sens juridique.
12Dans la pensée qui est la nôtre, qui a été façonnée par le droit romain, ces notions sont exactement rendues par le terme romano-canonique de juridiction. Sans doute, ce terme ne figure pas littéralement dans le Nouveau Testament. Mais la conception n’en existe pas moins, si nous voulons retrouver la réalité institutionnelle. Et il est naturel que dans un milieu juif, de langue araméenne, elle soit exprimée par les termes sémitiques.
13De même, le Christ plus tard affirme à nouveau cette juridiction, lorsqu’il dit aux Douze qui ont tout laissé et l’ont suivi : « En vérité, je vous le déclare, lors de la Régénération, quand le Fils de l’Homme aura pris place sur son trône de gloire, vous qui m’avez suivi, vous siègerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël »6 . Cette phrase s’entend sans doute du Jugement dernier, mais aussi de l’installation ici-bas du Royaume, c’est-à-dire de l’Église. Juger a ici le sens biblique de commander, être à la tête. Les Douze commandent les douze tribus du peuple ancien, et aussi le peuple nouveau, les douze tribus idéales.
14Après sa résurrection, le Christ confirme la mission et le pouvoir des Douze. Il leur donne le Saint-Esprit, les envoie convertir et baptiser toutes les nations : « Tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la terre. Allez donc. De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je vais être avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des temps »7, ce qui signifie jusqu’à la fin du monde.
15Du caractère universel de leur mission, il découle que les Apôtres exercent une juridiction universelle, même s’il a pu y avoir entre eux une répartition des champs d’apostolat. Et comme cette mission n’est pas non plus limitée dans le temps, et que le Seigneur sera avec eux jusqu’à la fin des temps, il en résulte que cette juridiction appartiendra aussi à leurs successeurs, qui seront les évêques.
16Sans doute, cette autorité que le Christ accorde aux Apôtres et à ceux qui les continueront n’est pas énoncée en termes de puissance, comme les royautés païennes auxquelles il fait allusion. Elle est conçue comme un service ; suivant les recommandations du Seigneur, ses Apôtres doivent se considérer comme des serviteurs : « que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert »8. Et encore : « Si quelqu’un veut être le premier, il doit être le serviteur de tous »9. Dans les Actes, où saint Luc rapporte le premier discours de saint Pierre, la charge apostolique est désignée par le terme de διακονία10, de « service », et saint Paul reprend ce terme à diverses reprises : il l’applique au ministère apostolique lui-même11, et à celui qu’exerce Timothée12. Et c’est dans le même esprit que les Papes s’intituleront « serviteur des serviteurs de Dieu ».
17Mais ce service est en même temps un devoir et une charge qui comporte la sollicitude des Églises. Il a pour contrepartie indissociable un pouvoir de commandement, et pour employer la langue du droit, une juridiction. Et cette autorité a le pouvoir d’obliger les consciences de ceux à qui elle commande. Si cette idée de service précise la finalité de cette autorité, l’esprit dans lequel elle doit s’exercer, elle n’enlève rien de sa force.
18Au sein de ce Collège apostolique, le Christ a lui-même conféré la primauté13 à l’Apôtre Simon : « Tu es Pierre (Rocher) et c’est sur ce rocher que je bâtirai mon Église ; et les portes du šé’ôl ne pourront rien contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre se trouvera lié dans les Cieux et tout ce que tu auras délié sur la terre se trouvera délié dans les Cieux »14.
19Suivant un usage rabbinique, il lui donne un nom nouveau, Kêphâ, qui signifie « rocher ». Ce terme araméen est rendu imparfaitement en grec par Κηɸᾶς, qui est celui que saint Paul emploiera de préférence, et qu’on retrouve aussi dans saint Jean. En araméen, Kêphâ au sens de rocher est masculin, et le jeu de mots est parfait. « Tu es Rocher et sur ce rocher »… Déjà, dans la traduction syriaque, une légère dissonance apparaît : Kêphâ est masculin lorsqu’il désigne la personne, mais est féminin au sens de rocher.
20Déjà aux communautés grecques et romaines, il fallait expliquer le sens de ces termes, comme il apparaît dans saint Jean. Celui-ci préfère rapporter « Tu es Simon, fils de Jean ; tu seras appelé Kêphas, ce qui signifie Pierre »15.
21En grec et en latin, il est impossible de rendre ce jeu de mots. Ç’a été un paradoxe, de la part de certains exégètes, suivis par Harnack et plus récemment par von Campenhausen, de prétendre que ce passage a été interpolé. Tout concourt à en établir l’authenticité. Il a une couleur sémitique très prononcée et saint Matthieu a visiblement rapporté les termes mêmes que le Christ a employés.
22L’Église est représentée sous la forme symbolique d’une maison à construire sur le roc, donc inébranlable. On peut rapprocher de ce passage la parabole de la maison que le sage construit sur le roc, et que ni les inondations, ni les tempêtes ne peuvent ébranler16 ; ce terme εκκλησία traduit dans les Septante qâhâl, qui désigne le peuple d’Israël considéré sous l’aspect d’une assemblée religieuse. Il est possible que le Christ ait employé soit qâhâl, soit l’araméen ‘êdhâ(h), qui correspond à l’hébreu ‘êdâ(h).
23Dans tout le monde du Proche et du Moyen-Orient, les « portes » désignent le lieu où l’on rendait la justice, où on concluait les traités et les contrats. La « Porte du Roi » signifiait la Cour royale. Le terme de « portes » était devenu synonyme de force, de puissance, de domination. Ainsi, l’ange de Yahwe(h) dit à Abraham : « Ta postérité conquerra la porte de tes ennemis »17. Le šéôl désigne d’abord le séjour des morts, puis par un glissement de sens, le séjour des morts mauvais, des maudits, et telle est la signification ici. Cela indique bien que les puissances de la mort et du mal ne l’emporteront pas. Les clefs symbolisent toujours les insignes du pouvoir, comme il apparaît déjà dans Isaïe : « Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : il ouvrira et personne ne fermera ; il fermera et personne n’ouvrira »18. Nous retrouvons l’expression « lier et délier », qui a le sens d’infliger une peine, d’interdire ou de permettre.
24Après la résurrection, le Christ confirme la promesse qu’il avait faite à Pierre : « Pais mes agneaux, pais mes brebis »19.
25Là aussi, toutes ces expressions sémitiques20 désignent la primauté et l’universalité de juridiction conférées à Pierre. Sans doute, le terme ne se rencontre pas dans le Nouveau Testament, mais saint Matthieu21 qualifie Pierre en propres termes de πρῶτος, « premier », dans la liste des Apôtres. On ne peut dire que la notion de primauté soit absente des Écritures.
26A Pierre est conférée la primauté de juridiction sur l’Église universelle, ce qu’on peut traduire en termes romano-canoniques par plenitudo potestatis. Il est le fondement sur lequel l’Église sera édifiée : cette Église sera indestructible et immortelle ; elle triomphera des forces du mal.
27Il est impossible de dissocier l’Église de la personne de Pierre, qui en est le fondement, ni des prérogatives qu’il reçoit. On ne peut donc soutenir que celles-ci lui ont été conférées personnellement. Elles doivent nécessairement s’entendre aussi de ses successeurs, sinon ce passage évangélique perd son sens.
28Avant la Passion, le Christ déclare encore à Pierre : « Et moi, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras ressaisi (ἐπιστρέψας), affermis tes frères »22. ’Επιστρέψας signifie « étant revenu à toi, étant rentré en toi-même, t’étant ressaisi, t’étant converti ». C’est une allusion au triple reniement que le Christ lui prédit dans les paroles qui suivent, et aussi à son futur repentir. C’est déclarer que la foi du « premier » du Collège apostolique, et après lui celle des Pontifes romains sera toujours assurée dans la vérité. C’est la promesse explicite d’infaillibilité, qui lui est conférée et qui est attachée à la primauté dans l’Église.
29Cette primauté de juridiction diffère donc de l’autorité morale particulière à Jean et à Jacques le Majeur qui, avec Pierre, sont qualifiés de « Colonnes ». Cette autorité conférée à Pierre apparaît comme distincte et indépendante du pouvoir collectif concédé à tous les Apôtres et n’est pas limitée par ce dernier.
30Cette primauté suppose donc la collégialité du corps apostolique, sans lequel elle ne saurait exister. Ces deux pièces sont essentiellement liées et constituent le fondement de droit divin de la constitution de l’Église. Celle-ci n’est ni purement collégiale, ni purement monarchique : c’est une synthèse des deux principes. La collégialité de l’épiscopat est indissolublement liée à la primauté de juridiction du Souverain Pontife.
31La Révélation se clôt avec la mort du dernier Apôtre – ou tout au moins du dernier disciple qui a pu transmettre un enseignement personnel du Seigneur. Celle-ci désormais ne peut plus recevoir d’augmentation. Le rôle de leurs successeurs -il en était déjà ainsi pour les auxiliaires qu’ils avaient formés- consistera à garder intact le dépôt de la Tradition23, de ce qu’ils ont appris et dont ils ont acquis la certitude24.
32Leurs successeurs pris individuellement ne recevront pas non plus le charisme de l’infaillibilité personnelle. Ce ne seront pas les chefs des communautés locales, mais c’est l’Église elle-même que saint Paul appelle « colonne et soutien de la vérité »25, qui recueillera le privilège de cette infaillibilité.
33Les Apôtres ne transmettront pas à leurs successeurs les charismes qui leur sont propres : don de prophétie, de faire des miracles, de parler en langues. Quant à leurs pouvoirs ordinaires, ils deviendront après eux l’apanage de l’Église tout entière, dans la personne de leurs successeurs ; les pouvoirs d’enseignement et de juridiction -droit de juger, de légiférer et de gouverner- seront transmis à l’ensemble de l’épiscopat. Et l’assistance divine continuera à être assurée à l’ensemble de l’Église, puisque son Fondateur s’est engagé à demeurer avec elle jusqu’à la fin du monde.
34La désignation du douzième Apôtre, avant même la Pentecôte, représente le premier choix fait par l’Église pour instituer un membre de sa hiérarchie26. C’est Pierre qui prend cette initiative, agissant visiblement en tant que « premier » du Collège apostolique. Il pose lui-même les conditions que devra remplir le nouvel Apôtre : ce devra être l’un des disciples qui ont suivi tout le ministère public du Christ, depuis ses débuts. Le rôle de la communauté est nettement indiqué : elle dégage et présente elle-même deux candidats, Joseph Barsabbâ et Matthias. Sans doute les Apôtres se sont-ils inspirés des habitudes communautaires des confréries juives : la communauté joue donc un rôle actif et participe à cette désignation. L’institution, qui confère les pouvoirs spirituels, vient d’en haut, même si précédemment la communauté a participé à la désignation.
35Mais ensuite, le procédé d’institution est le tirage au sort ; les Onze s’inspirent d’une pratique courante dans l’Ancien Testament27, où elle apparaissait comme un moyen de faire connaître la volonté divine, beaucoup plus que comme un procédé de désignation. Ils estiment que ni eux, ni la communauté ne doivent désigner ce douzième Apôtre, parce qu’ils pensent qu’un tel choix doit être fait directement par Dieu. Tous se mettent en prières, en demandant au Seigneur de manifester celui des deux qu’il choisirait. Puis on procède à un tirage au sort. « Le sort tomba sur Matthias et il fut compté avec les onze Apôtres »28. Puisque les Apôtres avaient été choisis directement par le Christ, on voulait que ce choix, unique dans l’histoire de l’Église, ne fût pas l’œuvre des hommes, mais du Seigneur.
2. Saint Paul, Apôtre.
36Saint Paul est Apôtre au même titre que les Douze, car lui aussi a vu le Seigneur et a été choisi directement par Lui. Il est Apôtre « par apocalypse ». Il a été investi de sa fonction par un appel direct du Christ. Ici aussi, comme pour le choix des Douze, on est en présence d’une désignation personnelle faite par le Seigneur, et à laquelle la communauté n’a aucune part. Comme les Douze, Paul est témoin de la résurrection et messager du Christ, comme eux il a reçu mission de promulguer la Révélation et jouit de l’infaillibilité personnelle ; comme eux, il est doté d’une juridiction universelle. Il observe seulement cette règle pratique d’éviter de bâtir sur les fondations posées par autrui29.
37Mais à la différence des Douze, qui ont été choisis par le Christ avant que l’Église ne fonctionnât, saint Paul s’insère dans l’économie de l’Église et reçoit le baptême30. Nous pouvons penser, à cause de cela, qu’il a reçu plus tard l’imposition des mains de l’ordination.
38Mais les Actes ne relatent pas à quelle époque. On a parfois voulu voir la consécration épiscopale de Paul dans l’imposition des mains, qu’il reçoit avec Barnabé de la part des cinq prophètes et didascales d’Antioche, avant son départ pour sa première mission apostolique à Chypre31. Mais Barnabé était certainement déjà presbytre quand il avait été envoyé par les Apôtres pour organiser la communauté d’Antioche et Paul faisait déjà partie de la hiérarchie de cette Église. D’autre part, ou ces prophètes didascales étaient tous presbytres, et alors la consécration épiscopale de Paul est inutile, ou ils ne l’étaient pas et on ne comprend pas qu’ils transmettent des pouvoirs dont ils sont dépourvus. Si seulement certains d’entre eux étaient presbytres et si Paul – ce qui est peu vraisemblable- ne l’était pas encore, on ne voit pas pourquoi ils confèrent à Barnabé cette même imposition des mains.
39C’est en réalité un geste de bénédiction, comme on le pratiquait dans le monde juif. On peut le rapprocher de la bénédiction d’Abraham et de ses fils. Il n’a pas de caractère sacramentel et ne transmet pas un pouvoir, mais une grâce. C’est un geste d’envoi en mission, qui manifeste la continuité des pouvoirs apostoliques. C’est un acte efficace d’intercession en faveur des partants, au seuil d’une mission redoutable.
3. Les Sept ou les premiers diacres.
40L’institution des Sept, qu’il faut identifier avec les premiers diacres, est le résultat d’une tension, qui se produit dans la communauté primitive de Jérusalem, entre les juifs de langue et de culture araméenne, et ceux qui étaient de langue grecque32. Ceux-ci se plaignaient que les veuves de leur groupe assistées par l’Église étaient négligées.
41Les Apôtres, agissant comme chefs de la communauté, prennent l’initiative de créer cette nouvelle institution, pour donner satisfaction aux « hellénistes ». Car ils ne peuvent abandonner le ministère de la prédication pour s’acquitter du service des tables, qui est une fonction subalterne. Ni la fonction, ni le titre de diacre, διακονός, c’est-à-dire de serviteur, qui plus tard y sera attaché, ne paraissent empruntés à une institution juive ou hellénistique.
42Les Apôtres ne veulent pas désigner les Sept d’autorité : ici aussi, comme pour le choix du douzième Apôtre, ils se montrent fidèles aux habitudes communautaires pratiquées dans les confréries juives et demeurées vivaces chez leurs compatriotes. Ils confient ce soin à la communauté de Jérusalem : celle-ci tient donc un rôle actif, qui n’est pas négligeable, tout en demeurant subalterne.
43Mais les Douze fixent eux-mêmes les qualités que devront présenter les Sept, et ils se réservent le pouvoir de les instituer. Cela implique le droit de contrôler l’idonéité des nouveaux élus, et c’est marquer que des Apôtres seuls procèdent les pouvoirs spirituels. La part de la communauté et celle de la hiérarchie sont ainsi nettement délimitées.
44Les disciples choisirent alors sept personnes, dont les Actes ont conservé les noms. « Ils les présentèrent aux Apôtres, qui, après avoir prié, leur imposèrent les mains »33.
45Ici aussi, les pouvoirs spirituels viennent d’en haut, et non pas de la communauté, mais ils sont conférés par l’intermédiaire d’hommes, de ceux que le Christ a constitués ses mandataires sur la terre.
46Le rite de l’institution est l’imposition des mains, empruntée à l’Ancien Testament et au judaïsme rabbinique, geste qui marque la bénédiction ou encore la transmission des pouvoirs et qui prend une signification spirituelle nouvelle. Les Sept reçoivent l’administration des biens de la communauté et le soin de la bienfaisance. Très vite, ils s’adonnent aussi à un ministère spirituel : ils annoncent l’Évangile et ils confèrent le baptême.
47Certains auteurs se refusent à identifier les Sept avec les premiers diacres, mais y voient une institution transitoire, d’où ceux-ci seraient issus, analogue à ce qu’étaient les Apôtres par rapport aux évêques. Mais cette théorie ne semble pas justifiée. Si les Sept ne sont pas encore désignés du nom de διακονοί, saint Luc décrit leurs fonctions par les termes de διακονία et de διακονεῖν. Et on peut constater que ce sont celles qui dès l’Antiquité caractérisent les diacres des communautés chrétiennes.
4. Les presbytres ou épiscopes.
48Les Actes restent muets sur l’apparition des presbytres de Jérusalem et des Églises locales, ainsi que des missionnaires qui seront les auxiliaires des Apôtres, probablement parce qu’elle résulte du développement normal de la communauté chrétienne, sans avoir ce caractère de nouveauté que présente la création des diacres. Presbytres et missionnaires sont institués par l’imposition des mains, qui a une signification différente de celle des diacres, et qui demeurera le rite essentiel de l’ordination des évêques et des prêtres. Ils reçoivent communication des pouvoirs ordinaires des Apôtres, pour les remplacer quand ils sont absents et pour être leurs auxiliaires -à l’exclusion des charismes qui leur sont propres.
49Ce terme de πρεσβύτεροι, « anciens », qui désigne les dirigeants de l’Église de Jérusalem et des Églises locales, est un emprunt au judaïsme orthodoxe. C’est un terme d’une haute antiquité chez les juifs. Les anciens, zeqénim, πρεσβύτεροι, sont les notables, qui ont pris la place des chefs de tribu et qui représentent l’aristocratie laïque, urbaine et terrienne. Avec les chefs de la classe sacerdotale et les scribes, ils constituent le grand Sanhédrin -c’est pourquoi ce collège est parfois appelé πρεσβυτερίον34 ou γερουσία35. Mais dans les derniers siècles, l’influence de ces « anciens » est battue en brèche par le prestige croissant des scribes, qui en majorité appartiennent au parti pharisien. Au cours du Ier siècle, il s’accomplit une évolution qui rend le terme d’« ancien » applicable aux scribes, bien qu’il conserve encore son sens restreint. Après 70, ce sera le privilège exclusif des docteurs de la Loi.
50Dans les villes de la Palestine et de la Diaspora, chaque communauté juive a d’ordinaire à sa tête un collège d’anciens, élus à vie par elle. Il en est ainsi à Caphamaüm, où ceux-ci sont mentionnés par saint Luc36.
51Mais les « anciens » ne participaient aucunement à l’organisation du culte public ; ils n’avaient à cet égard pas d’autre fonction liturgique que celle que les simples fidèles pouvaient accomplir dans le culte synagogal. Les « anciens » étaient dotés de fonctions civiles, à la fois administratives, judiciaires et financières. Toutefois, on ne regardait pas leurs tâches comme purement laïques, puisque le gouvernement du peuple de Dieu était déjà une fonction religieuse. Cette charge était conférée par imposition des mains, effectuée par ceux qui l’avaient déjà reçue.
52Leur tâche principale consistait à enseigner et à expliquer la Tora(h). Ils prononçaient des sentences d’excommunication, qui entraînaient l’exclusion civile et religieuse de la communauté. Ils administraient les revenus des taxes, qui étaient consacrées à l’assistance aux juifs pauvres ou étrangers, à l’entretien des synagogues et des écoles locales, à la subvention que chaque année on envoyait au Temple de Jérusalem. Ils représentaient la communauté vis-à-vis des autorités païennes, de l’administration romaine ou des cités grecques ; ils s’occupaient d’obtenir et de défendre les privilèges et les exemptions nécessaires aux juifs pour leur permettre l’observance stricte de la Tora(h).
53Dans l’organisation chrétienne, ce terme de πρεσβύτεροι désigne les membres des collèges qui dirigent les communautés locales (notons qu’il ne s’est jamais appliqué aux auxiliaires itinérants des Apôtres, qui étaient pourtant dotés de pouvoirs semblables et même plus étendus). Mais il n’y a pas eu décalque de l’institution juive. Les presbytres chrétiens constituent, avec ces auxiliaires itinérants des Apôtres, le sacerdoce de la Nouvelle Loi, en même temps qu’ils gouvernent les communautés. Les institutions chrétiennes ont une allure nouvelle et présentent une originalité certaine, même quand il y a emprunt d’un vocable.
54Remarquons que les premières communautés chrétiennes n’ont jamais donné aux membres de leur clergé l’appellation de prêtre : en hébreu kôhên, qu’on retrouve dans le syriaque kàhnâ, en grec ίερεύς. Dans le Nouveau Testament, ίερεύς ne s’applique qu’au Christ ou sous la forme de son dérivé ίεράτευμα à l’ensemble du peuple chrétien, englobant le laïcat et la hiérarchie. En dehors de ces cas, ιερεύς n’est employé que pour désigner un prêtre juif ou un prêtre païen. Cela tient à ce que la notion du sacerdoce chrétien est toute différente. Le kôhên juif est avant tout un sacrificateur, comme du reste le prêtre païen. Il n’exerce pas un rôle de gouvernement, sinon de façon accessoire (le tiers du Sanhédrin était composé de prêtres). Au contraire le prêtre chrétien a pour mission essentielle de diriger l’assemblée chrétienne ; ses fonctions de gouvernement et d’apostolat sont prépondérantes. Il célèbre l’Éucharistie, qui renouvelle le sacrifice de la Croix ; mais cet aspect sacrificiel de son rôle n’apparaît pas comme le plus en relief. C’est parce qu’il assume avant tout une fonction de direction dans la communauté qu’on lui a appliqué ce vocable d’ancien, πρεσβύτερος, usité dans les communautés juives.
55Il ne paraît pas que cette institution ait été restreinte aux communautés de la Judée ; elle devait être générale. Les presbytres devaient déjà exister à Antioche, vers 40, dès avant le voyage de Barnabé et de Paul. Il n’est nullement dit que les prophètes et didascales, qui célébraient la liturgie dans cette Église, n’aient pas été presbytres. C’est sans doute à l’exemple de l’ensemble de ces communautés que dès leur première mission, qui se termine vers 48, Barnabé et Paul établissent des presbytres dans chaque Église37. Autrement, on ne comprendrait pas qu’ils imitent directement une institution propre à Jérusalem et qui n’aurait pas existé ailleurs.
56Lorsque se tient l’assemblée de Jérusalem, les Apôtres et les presbytres accueillent Paul et Barnabé, qui comparaissent devant eux38. Ces presbytres de Jérusalem -et eux seuls- siègent aux côtés des Apôtres. Ils sont cités immédiatement après ces derniers. Sans doute serait-il excessif de dire qu’ils sont placés sur un pied d’égalité avec les douze. Mais ils viennent immédiatement après eux et ils apparaissent associés à leurs pouvoirs. Les décisions de cette assemblée sont libellées au nom des Apôtres et des presbytres39, qui invoquent l’Esprit-Saint40 qui les a inspirés. C’est dire que dès leur création les Apôtres avaient communiqué aux presbytres leurs pouvoirs de gouvernement et leurs pouvoirs liturgiques. Et le rite par lequel ils conféraient ces pouvoirs a été, comme pour les diacres, l’imposition des mains41, comme on le constatera à propos des communautés fondées par saint Paul.
57Il n’y a aucune raison en effet d’établir une différence entre les presbytres de Jérusalem et ceux des autres communautés chrétiennes – notamment des communautés pauliniennes. H. von Campenhausen soutient que la fonction des presbytres n’est jamais séparée de la participation aux charismes, en alléguant qu’on ne conçoit pas une hiérarchie institutionnelle séparée de la perfection spirituelle42. Or les textes ne suggèrent nullement que ces presbytres aient été choisis parmi les charismatiques, ni même que les charismes dont certains ont pu être revêtus les aient recommandés à cette fonction de manière spéciale.
58Les a-t-on choisis de préférence parmi les disciples du Seigneur, qui semblent tenir une place à part dans la communauté, au-dessus des simples fidèles ? Si la chose est vraisemblable, les textes font défaut, qui permettraient de préciser ces rapports entre disciples et « anciens ».
59M. Schmitt a formulé cette hypothèse que des prêtres juifs convertis auraient tenu un rôle de premier plan dans l’organisation et la vie de certaines Églises judéo-chrétiennes43 ; ils auraient même donné leurs chefs à ces communautés et par-là auraient assuré la continuité entre le sacerdoce juif et le sacerdoce chrétien -encore que ce dernier en soit bien différent. L’absence de textes interdit aussi de se prononcer à ce propos.
60Plus tardivement apparaît un autre terme, appelé lui aussi à une grande fortune, pour désigner ceux qui gouvernent les communautés chrétiennes. C’est celui d’ἐπίσκοπος, qui a le sens de « surveillant », « inspecteur ». Nous le rencontrons, à côté de celui de πρεσβύτερος, qu’il n’a pas éliminé, dans les épîtres de saint Paul, à propos des communautés qu’il a fondées, et dans les Actes, dans le discours qu’il tient aux dirigeants de l’Église d’Éphèse. Nous le traduirons par le terme d’épiscope, pour éviter toute confusion avec l’évêque des siècles postérieurs, de même que nous traduisons πρεσβύτερος par presbytre et non par prêtre.
61Comme ce terme d’épiscope est usité dans les Églises composées en majorité de païens convertis, dans le monde grec ou hellénistique, divers auteurs ont pensé à un emprunt aux institutions grecques. Mais cette hypothèse n’apparaît pas étayée par des arguments décisifs et se heurte à diverses objections, qui la rendent peu probable. Si on songe aux thiases et aux éranies, le christianisme naissant était peu porté à s’inspirer de ces associations religieuses païennes. Ajoutons que les ἐπίσκοποι semblent y avoir exercé une fonction d’ordre surtout financier. Les chrétiens auraient-ils repris le nom d’une magistrature ? Seuls, les ἐπίσκοποι d’Athènes apparaissent comme des commissaires politiques dotés de pouvoirs étendus ; mais à l’époque romaine, cette magistrature temporaire était un souvenir du passé. Dans les autres cités, ce titre est peu fréquent. Si on avait voulu adopter une dénomination de ce genre, il aurait paru plus naturel d’emprunter un titre plus répandu, par exemple celui d’ἄρχοντες, qui avait été repris dans les organisations juives de la Diaspora. Or, nulle part, ce dernier terme n’a été usité dans le monde chrétien.
62Les découvertes des manuscrits de la mer Morte44 ont ouvert de nouvelles perspectives sur l’origine possible de l’épiscope chrétien, sans qu’il faille sortir du monde juif. On y rencontre en effet le terme de mebhaqqér, qui signifie, comme ἐπίσκοπος, « surveillant », ou « inspecteur ». Ceux qu’il désigne ne sont pas de simples surveillants, mais des chefs de la communauté, comme les épiscopes chrétiens. Aussi a-t-on pu écrire que cette dignité réformiste est à l’origine de l’épiscopat.
63Dans le document de Damas, la communauté des « camps » était pourvue de deux chefs : l’un, qui était prêtre, s’intitulait « le prêtre inspecteur des nombreux » (hak-kôhên ham-mûphqadh ’al hâ-rabbîm)45 et l’autre, qui était un laïc, était « le surveillant de tous les camps » (ha-mebhaqqér ’aser lekôl ham-mahanôth)46. Il exerce des fonctions de justice et de gouvernement, et il administre les biens de la communauté.
64En outre, chaque camp a un mebhaqqér, qui est aussi un laïc. C’est lui qui examine les nouveaux adeptes. Sa tâche principale consiste dans l’enseignement de la doctrine aux « nombreux », c’est-à-dire à ceux qui sont définitivement agrégés à la communauté, qu’on pourrait qualifier de profès.
65Dans le Règlement de la communauté de Qumrân, les textes sont moins explicites. Nous retrouvons la même dualité de titres que dans le Document de Damas : « l’homme qui est à la tête des nombreux » (hâ- ’îŠ ha-peqîdh berô ’Š hâ-rabbîm)47 et « l’homme qui est surveillant des nombreux » (hâ- ’îš ha-mebhaqqér al hâ-rabbîm)48. Mais il est possible que ces titres se recouvrent et ne s’appliquent qu’à un même personnage, qui est peut-être un prêtre. Comme seuls les fils d’Aaron ont le commandement pour trancher un point de droit ou décider du sort des biens49, cela laisse entendre que le mebhaqqér doit être choisi dans la classe sacerdotale.
66Il est placé à la tête des « nombreux », qui forment le Conseil étendu qui gouverne la communauté, à côté du Conseil supérieur, dont le rôle est plutôt doctrinal et spirituel. Comme à Damas, le mebhaqqér est chargé d’examiner les postulants ; en revanche il n’exerce pas de fonctions judiciaires, qui sont dévolues au Conseil des « nombreux ».
67Cette explication, qui retrouve l’origine de l’épiscope dans le mebhaqqér, reste une hypothèse, mais qui paraît plus satisfaisante que l’hypothèse hellénistique. Celui-ci en effet remplit des fonctions de gouvernement, d’enseignement, de vigilance pastorale et de surveillance disciplinaire, qui le rapprochent davantage de l’épiscope chrétien. S’il en est ainsi, l’épiscopat tirerait sa dénomination des milieux piétistes et réformistes du monde juif, en marge du judaïsme orthodoxe.
68On s’explique aussi que le terme d’épiscope n’apparaisse qu’assez tardivement dans les communautés chrétiennes et soit ignoré de celles de Jérusalem et probablement de la Palestine. Ce vocable en effet n’est pas employé dans les Actes à propos de la communauté de Jérusalem, où pourtant pour la première fois, après la dispersion des Apôtres, a été réalisé un gouvernement unitaire. Il ne figure pas non plus dans l’épître de saint Jacques. On ne le rencontre pas non plus dans les Actes à propos des communautés de Palestine, dont rien n’indique du reste qu’elles aient connu alors un épiscopat monarchique.
69Cela ne doit pas nous surprendre. Dès ses débuts, comme en témoignent les Actes50 et encore au temps où elle est gouvernée par Jacques, le frère du Seigneur51, l’Église de Jérusalem n’a compris que des chrétiens originaires du judaïsme orthodoxe, et qui restaient fidèles au culte du Temple. Visiblement, on n’y trouvait pas d’adeptes de Qumrân convertis, qui auraient rejeté ce culte. Il est probable que les communautés de Palestine n’étaient pas très différentes.
70En revanche, ce vocable d’épiscope apparaît dans les Églises pauliniennes, notamment dans celles d’Éphèse et de Philippes et il figure dans le vocabulaire de saint Paul. Dans ces communautés se mêlaient juifs et païens d’origine, et les chrétiens qui ignoraient le culte du Temple ne se choquaient pas de l’attitude des qumraniens. Des convertis de cette secte ont pu en faire partie et même figurer dans la hiérarchie, à l’exemple de Manahen, probablement d’origine essénienne, dans l’Église d’Antioche. Ils ont pu y exercer une influence réelle, encore qu’on n’en puisse mesurer l’étendue, et y introduire le vocable de me bh aqqér-ἐπίσκοπος pour désigner les chefs de la communauté52
71Si ce terme a pu être emprunté aux réformistes de Qumrân, il n’y a nullement transposition de l’institution et il est aisé de souligner les différences entre le presbytre ou épiscope chrétien et le mebhaqqér qumranien. Dans la communauté de Damas, le mebhaqqér est un laïc ; à Qumrân, il semble que ce soit un prêtre, sans que nous en soyons certains. En revanche, l’épiscope a reçu nécessairement le sacerdoce par imposition des mains et paraît bien avoir le pouvoir de le transmettre. Il exerce donc des pouvoirs sacerdotaux et même épiscopaux. Et une différence fondamentale subsiste quant à la conception même du sacerdoce : chez les esséniens, on s’en tient au sacerdoce juif, qui est réservé aux Aaronides et se transmet par hérédité. Au contraire le sacerdoce chrétien est spécifiquement nouveau. Il dérive du sacerdoce du Christ, qui l’a conféré aux Apôtres, qui le transmettent eux-mêmes à leurs auxiliaires itinérants et aux épiscopes et presbyties des Églises locales.
72Une autre différence importante se manifeste : si le mebhaqqér est un chef, il jouit d’une autorité dyarchique dans la Damascène, plutôt monarchique à Qumrân. En revanche, aux temps apostoliques, l’épiscope chrétien exerce un pouvoir collégial, sans qu’on décèle une direction unitaire, qui est donnée, en dehors de la communauté, par l’Apôtre ou son « délégué apostolique », ou par le fondateur de l’Église, qui appartient à la hiérarchie missionnaire.
5. Les Églises pauliniennes.
73Les Églises fondées par saint Paul, recrutées dans leur grande majorité parmi les païens, en Asie mineure, en Grèce, en Macédoine, en Crète, nous sont les plus connues et bientôt rassemblent la majorité des fidèles dans le monde chrétien du Ier siècle.
74Elles possèdent une hiérarchie à deux degrés : un collège qui remplit les fonctions liturgiques et exerce le gouvernement de la communauté, et au-dessous les diacres.
75Lors de la première mission en Galatie, quand Paul et Barnabé ont jugé de la solidité de leurs premiers convertis, ils instituent pour eux en chaque Église des πρεσβύτεροι. Le terme χειροτονήσαντες signifie à la fois choisir, nommer, instituer, et imposer les mains53. Ainsi, les communautés de Lystres, d’Iconium, d’Antioche de Pisidie, avaient à leur tête des presbytres.
76L’Église d’Éphèse aussi est gouvernée par des presbytres. Quand saint Paul, désireux de ne pas s’attarder en Asie, décide de ne pas s’arrêter à Éphèse, il gagne Milet et y convoque les πρεσβύτεροι de l’Église d’Éphèse54. Dans le même texte des Actes, ceux-ci sont qualifiés d’ἐπίσκοποι et leur fonction de gouvernement est nettement indiquée : « Veillez sur vous-mêmes et sur tout le troupeau, sur lequel l’Esprit-Saint vous a établis ἐπίσκοποι pour paître l’Église de Dieu »55.
77Ces personnages sont donc identiques. Ils ont la responsabilité de la communauté : Paul compare leur rôle à celui du berger à l’égard de son troupeau. Et cette fonction de gouvernement apparaît bien comme collective.
78L’épître aux Philippiens est adressée à tous les saints, c’est-à-dire aux fidèles qui sont à Philippes, aux ἐπίσκοποι et aux diacres56 . Le terme d’ἐπίσκοποι, qui est au pluriel, correspond exactement à celui de πρεσβύτεροι : on ne saurait soutenir que l’un seulement des presbytres a reçu l’έπισκοπή. La hiérarchie apparaît donc ici aussi constituée par deux degrés : par un collège d’épiscopes -personnages identiques aux presbytres- et au-dessous par des diacres.
79Dans l’épître à Tite, il apparaît que chaque ville de Crète a une Église, dans laquelle ce « délégué apostolique » devra établir des πρεσβύτεροι, s’il n’y en a déjà57. Là-dessus, saint Paul, qui s’exprime au singulier (εἰ τίς ἐστιν), commence à indiquer les qualités que chacun des presbytres devra posséder et il poursuit cette énumération en employant le terme ἐπίσκοπος58, qui visiblement désigne chacun de ces personnages. On retrouve dans la première épître à Timothée la liste des qualités requises de l’épiscope et qui sont à peu près identiques.
80Dans cette première épître à Timothée, à qui saint Paul prescrit de demeurer pour un temps à Éphèse, les πρεσβύτεροι apparaissent comme formant un collège organisé : c’est le collège des presbytres qui lui a imposé les mains59. C’est la première mention explicite du presbyterium.
81Ces presbytres d’Éphèse reçoivent leur charge par imposition des mains60 ; Ils ont la mission de présider la communauté, προεστῶτες. Saint Paul fait une mention spéciale de ceux qui exercent bien la présidence et parmi ceux-ci de ceux qui peinent à la parole et à l’enseignement61. À la fonction de présidence, certains ajoutent donc la charge de l’enseignement. Ceux qui s’acquittent bien de ces deux missions, surtout de la dernière, sont jugés dignes de doubles égards, ce qui doit s’entendre aussi d’un surcroît de rémunération.
82Plus haut, saint Paul entretient Timothée de la charge de l’ἐπισκοπή – visiblement identique à celle du presbytre. Si quelqu’un y aspire, il désire une noble tâche. Et à ce propos saint Paul expose les qualités qu’il faut exiger de l’épiscope. Celui qui remplit cette fonction gère l’Église de Dieu ; aussi faut-il choisir quelqu’un qui s’est montré capable de gouverner sa propre maison. Ainsi l’épiscope est qualifié de celui qui prend soin de l’Église de Dieu : έκκλησίας Θεοῦ ἐπιμελήσεται.
83Sans s’interrompre, saint Paul indique ensuite les qualités qui sont requises des diacres62. Cela prouve qu’à Éphèse, comme en Crète, l’épiscope n’est pas différent du presbytre. Sinon, on ne s’expliquerait pas que l’Apôtre s’étende longuement dans cette épître, comme dans l’épître à Tite, sur les qualités que doit montrer l’épiscope, qu’il se préoccupe ensuite de celles qu’on demande aux diacres, et même à leurs épouses, et qu’il ne dise pas un mot de celles qu’on exige des presbytres. Ici aussi, la hiérarchie locale comporte deux degrés : le collège des presbytres ou épiscopes et au-dessous les diacres.
84Dans la première épître aux Thessaloniciens, saint Paul emploie le terme de προϊστάμενοι, « ceux qui vous gouvernent », vis-à-vis de qui les fidèles doivent montrer de la considération et une charité plus abondante63.
85Ce terme se retrouve dans l’épître aux Romains : dans l’Église nous avons des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée ; tel a reçu le charisme de la prophétie, tel autre de la didascalie, celui-ci est προϊστάμενος et doit agir avec zèle64.
86Si nous étendons nos investigations au-delà des Églises pauliniennes, nous recueillons les mêmes informations dans la première épître de saint Pierre et dans l’épître anonyme aux Hébreux.
87Dans Ia Pétri, saint Pierre s’adresse de Babylone, c’est-à-dire de Rome, aux élus, étrangers de la Dispersion, qui sont dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie. Il se qualifie lui-même d’Apôtre, ἀπόστολος, témoin des souffrances du Christ, et de πρεσβύτερος, d’« Ancien ». Il exhorte les πρεσβύτεροι qui sont parmi eux, lui qui est συνπρεσβύτερος, presbytre comme eux65. « Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, en veillant (ἐπισκοποῦντες) sur lui, non par contrainte, mais de bon gré, non dans un intérêt sordide, mais par dévouement ; non en dominateurs des Églises, mais en devenant les modèles du troupeau »66. Il désigne le Christ du nom d’άρχιποίμην, de berger suprême67, et aussi de « pasteur et épiscope de vos âmes »68.
88Ces πρεσβύτεροι de l’Asie exercent donc la fonction du gouvernement des diverses communautés chrétiennes. Ils ne doivent pas en abuser, sont tenus de répudier tout désir de gain ou de vanité de commandement, en se conformant à l’exemple du Pasteur suprême, qui exerce l’έπισκοπή des âmes. C’est laisser entendre que ces presbytres constituent le degré le plus élevé de la hiérarchie locale et Pierre lui-même se réclame du même titre qu’eux, qu’il joint à celui d’Apôtre.
89L’auteur de l’épître aux Hébreux, d’origine romaine et contemporain de la persécution de Néron et de la Ia Pétri, emploie un terme expressif, emprunté au langage courant : c’est le mot ήγούμενοι, qui est la transposition grecque du terme qui désigne les officiers généraux et tire son origine de la hiérarchie militaire de l’armée romaine. « Souvenez-vous de vos ηγούμενοι qui vous ont annoncé la parole de Dieu69… Obéissez à vos ἡγούμενοι, soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte ». L’auteur termine son épître par ces termes : « Saluez tous vos ήγούμενοι et tous les saints » (c’est-à-dire les fidèles)70. La hiérarchie apparaît donc nettement distincte des fidèles et ne semble pas comporter de différenciation parmi ces dirigeants.
90Il en résulte que lorsque saint Paul écrit ses Pastorales, que l’on peut sans doute placer entre 63 et 67, saint Pierre la Ia Petri, que l’on daterait volontiers entre 62 et 64, lorsqu’est composée l’épître aux Hébreux, peut-être un peu plus tardivement, au temps de la seconde génération chrétienne, en tout cas avant 90, les Églises locales – exception faite de Jérusalem et de Rome- continuent à être gouvernées par un collège de presbytres-épiscopes. Ceux-ci portent indifféremment le nom de πρεσβύτεροι, ἐπίσκοποι, ἡγούμένοι, προϊστάμενοι, en un temps où la terminologie n’est pas encore fixée. Ils remplissent des fonctions liturgiques, et exercent le gouvernement de la communauté.
91Divers auteurs se sont demandé si ce collège comporte un président attitré. Aucun texte ne le mentionne ; le titre d’ἐπίσκοπος n’est pas encore réservé à l’un d’entre eux, et on ne découvre aucune différenciation au sein de ce collège.
92Le lien d’unité est constitué par l’Apôtre qui a fondé ces communautés, qui continue à les gouverner de loin, qui les visite, qui les redresse par lui-même ou par ses auxiliaires. Tant qu’il vit, il n’est pas besoin de président local. Ces communautés sont composées en grande partie de païens convertis, qui ne peuvent encore être laissés à eux-mêmes, sur lesquels la sollicitude de saint Paul et de ses auxiliaires doit continuer à veiller constamment. Elles n’ont donc pas encore acquis l’autonomie qui caractérisera plus tard les diocèses d’une Église stabilisée et qui ne sera plus constituée à l’état de mission.
93Ces presbytres ou épiscopes avaient-ils les pouvoirs d’ordre des évêques ? La question a été discutée entre historiens. Nous estimons qu’il faut répondre affirmativement. À propos de l’imposition des mains qu’a reçue Timothée, saint Paul met sur le même plan le πρεσβυτερίον qui participait à cette ordination, et lui-même. Il lui rappelle encore, sans mentionner sa présence, que par cette imposition des mains, il a reçu une grâce permanente71.
94C’est laisser entendre que ces presbytres ont reçu le pouvoir de transmettre le sacerdoce, ce qui caractérise le pouvoir d’ordre épiscopal.
95On ne saurait invoquer en sens contraire que dans sa première épître à Timothée, saint Paul lui prescrit d’imposer les mains aux presbytres qu’il aura choisis. Il est naturel que lorsque l’Apôtre ou un « délégué apostolique » était présent, il ait procédé lui-même à l’imposition des mains. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’alors le collège des presbytres devait s’associer à ce geste collectif d’ordination.
96Il en résulte aussi qu’en l’absence de l’Apôtre ou de son auxiliaire, fondateur de la communauté, lorsqu’un des membres du presbyterium mourait, le Collège avait le pouvoir de se compléter lui-même, et ordonnait le nouvel élu.
97Et du fait qu’il recevait le sacerdoce au degré le plus élevé, chaque presbytre devait avoir aussi le pouvoir d’imposer les mains aux fidèles baptisés pour leur communiquer le Saint-Esprit, comme le faisaient les Apôtres -ce qui est déjà le sacrement de confirmation.
98Mais on ne peut pleinement assimiler le pouvoir qu’exerce ce collège de presbytres sur la cité et le territoire avoisinant à celui dont jouit l’évêque sur son diocèse. Pourrait-on dire que si les presbytres ont le pouvoir d’ordre, ils n’exercent pas la juridiction épiscopale, laquelle serait réservée à l’Apôtre fondateur de l’Église locale ? Cette distinction, trop précise, ne correspond pas exactement à la réalité. Le presbyterium exerce en effet, collectivement, un pouvoir de gouvernement au sens le plus large, qu’on rangera plus tard sous le titre de la juridiction épiscopale : dans son discours aux presbytres d’Éphèse, saint Paul leur dit que l’Esprit-Saint les a institués épiscopes « pour paître l’Église de Dieu » (ποιμαίνειν τὴν ἐκκλησίαν τοῦ Θεοῦ)72.
99À l’Église de Corinthe, il reproche de n’avoir pas usé de son pouvoir judiciaire le plus élevé, le droit d’excommunier l’un de ses membres, coupable d’inceste73 -ce qu’on rattachera aussi à la juridiction épiscopale74.
100Ce qui fait défaut, c’est l’autonomie qui caractérisera aux siècles suivants la fonction épiscopale. L’Apôtre contrôle étroitement l’exercice que fait le presbyterium de cette juridiction, ou sa négligence à l’exercer – en inspectant fréquemment chaque Église, ou en la faisant visiter par un envoyé ou par un « délégué apostolique », ou même en intervenant de loin. Dans ce cas, c’est la juridiction de l’Apôtre, avec son caractère d’universalité, qui se substitue à celle qu’exerce ou qu’aurait dû exercer le presbyterium.
6. La hiérarchie itinérante : auxiliaires des Apôtres et « délégués apostoliques ».
101Nous rencontrons des personnes, qui sont incontestablement dotées des pouvoirs épiscopaux, parmi les auxiliaires des Apôtres. Ils leur sont associés dans le même ministère et ils sont dotés de pouvoirs spirituels étendus, sans être extraordinaires. Ce sont des missionnaires, qui constituent, sous leur autorité, une hiérarchie itinérante. Ils les secondent et apparaissent comme leurs auxiliaires, qui agissent tantôt dans leur dépendance, tantôt d’une façon plus autonome.
102Ces personnages ont reçu leurs pouvoirs de l’imposition des mains, qui leur a été donnée par un Apôtre, qui pouvait avoir associé à ce geste le presbyterium d’une Église locale ; ils pouvaient l’avoir reçue uniquement de ce presbyterium. Bien qu’ils n’aient jamais porté aucune de ces dénominations, ils détiennent donc des pouvoirs analogues à ceux des presbytres ou épiscopes des Églises locales et même plus étendus. On pourrait dire d’eux qu’ils constituent une sorte de presbyterium itinérant.
103Ils appartiennent donc à la hiérarchie institutionnelle et occupent même, après les Apôtres, le rang le plus élevé. Et il est normal qu’alors la hiérarchie missionnaire l’ait emporté sur la hiérarchie locale, en un temps où l’Église connaissait sa première expansion et n’avait pas encore constitué de cadres territoriaux supérieurs. Mais leur autorité ne s’exerce pas dans un cadre territorial qui leur serait propre, et où elle exclurait celle de leurs collègues dans l’épiscopat. Ce sont essentiellement des missionnaires itinérants.
104Dans le Nouveau Testament, où la langue technique est encore en formation, ils n’ont pas encore reçu de dénomination propre, comme il apparaît aussi dans Eusèbe75. On a proposé de les nommer « apôtres par l’intermédiaire d’hommes », mais cette dénomination d’apôtres ne leur a pas été donnée, sinon à Barnabé, par une légère extension en-dehors des Douze et à Paul lui-même, à qui il est assimilé76. Au sens large, le terme d’apôtres désigne des charismatiques, qui peuvent être soit des membres de la hiérarchie, soit des laïcs.
105Saint Paul les qualifie à l’occasion de συνεργοί77, « auxiliaires, collaborateurs » ou encore συνστρατιώτης78, « compagnon d’armes » – et ce sont ces termes que retient Eusèbe79. On rencontre encore dans le vocabulaire de saint Paul κοινωνὸς ἐµος80, « mon compagnon ». La Ia Clementis dénomme ceux qui après les Apôtres ont mis en charge les membres de la hiérarchie locale « des personnages éminents », ἐλλογίμοι ἄνδρες81
106Ces missionnaires itinérants ont été investis par les Apôtres, qui, eux, ont vu le Seigneur et ont été directement institués par Lui. Ils ont reçu un pouvoir permanent par l’imposition des mains82. Par là, les Apôtres leur ont transmis leur autorité : Dieu les a qualifiés pour être les ministres d’une Nouvelle Alliance, celle de l’esprit, qui vivifie et confère la justice, c’est-à-dire la sainteté83. Pour eux, comme pour lui, saint Paul revendique une autorité qu’ils tiennent de Dieu même ; ils sont en ambassade pour le Christ ; c’est comme si Dieu exhortait par eux84. Ces personnages ont reçu en premier lieu un pouvoir d’enseignement : comme saint Paul, ils annoncent le Christ Jésus, fils de Dieu, et transmettent le message de réconciliation85.
107Mais à la différence des Douze et de Paul, ils n’ont pas pouvoir de promulguer la Révélation. Ils doivent se borner à garder le dépôt révélé86, et se faire les prédicateurs et les défenseurs de la Tradition. Saint Paul insiste fortement sur le caractère traditionnel que doit revêtir leur enseignement87. « Tiens-toi, écrit-il à Timothée, à ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude »88.
108Les Actes et les épîtres de saint Paul nous donnent des informations précieuses sur quelques-uns d’entre eux. Mais il faut nous garder d’une erreur de perspective : ces écrits sont centrés sur saint Paul, et nous risquerions de ne voir que cet Apôtre et ses auxiliaires dans cette expansion chrétienne. Après la dispersion des Douze, nous ignorons l’apostolat mené par chacun d’eux ; or, ils ont dû avoir eux aussi des auxiliaires. Et nous ne devons pas méconnaître l’importance du noyau de l’Église primitive, dont certains d’entre eux sont issus, comme Barnabé, des presbytres de Jérusalem, qui entouraient Pierre, comme de ceux de l’Église d’Éphèse.
109Parmi ces missionnaires itinérants, nous entrevoyons deux sortes : les uns, comme Barnabé et Apollos, tenaient à garder leur autonomie et toute la liberté de leurs initiatives. D’autres, qui avaient le sentiment d’avoir moins d’envergure, se contentaient d’une position plus subordonnée, préféraient rester dans l’orbite d’un Apôtre, tout en prenant à l’occasion des initiatives personnelles et en agissant sans avoir besoin de mandat spécial.
110Joseph, surnommé par les Apôtres Barnabé, lévite cypriote, a fait partie de la première communauté de Jérusalem et jouissait auprès d’eux d’un grand crédit, qui avait été suffisant pour faire admettre Paul, qu’on tenait en suspicion après sa conversion. Il avait certainement reçu l’imposition des mains qui avait fait de lui un presbytre. Les Apôtres lui avaient ensuite donné cette mission de confiance de juger ce qui s’était passé à Antioche, pour approuver ou redresser, et il apparaît alors comme une sorte de « délégué apostolique » (bien entendu, nous n’entendons pas par ce vocable l’assimiler aux délégués apostoliques actuels). Mais on le voit prendre la situation en main et gouverner l’Église d’Antioche, à la tête du collège des prophètes didascales, qui étaient vraisemblablement presbytres.
111C’est alors que l’Esprit prescrit à ceux-ci de le mettre à part, avec Paul, pour l’œuvre missionnaire à laquelle il les destine. Barnabé est le chef de la première mission de Chypre, et Paul n’est que son second. Il consent ensuite à s’effacer, en lui donnant la première place, lorsqu’ils décident de se tourner vers l’Asie. Un différend éclate entre eux, quand Barnabé veut emmener Marc. Ils se séparent alors et Barnabé retourne à Chypre, où il poursuit son apostolat, en toute indépendance vis-à-vis de Paul, et dans un cadre plus limité.
112Apollos, qui était originaire de la communauté juive d’Alexandrie, avait été disciple du Baptiste, et alors qu’il ignorait encore le baptême chrétien, enseignait avec exactitude ce qui touchait à Jésus. Il prêchait hardiment à Éphèse dans la synagogue. Un ménage chrétien de cette cité, Prisca ou Priscilla et Aquila (᾽Ακύλας) le prennent avec eux et complètent son instruction chrétienne. Puis, il se rend en Achaïe et on le retrouve à Corinthe, où par son éloquence et sa science des Écritures, il était d’un grand secours aux croyants. Nous ne pouvons douter qu’alors il ait appartenu à la hiérarchie chrétienne. Mais ce n’est pas un converti de saint Paul ; peut-être avait-il reçu l’imposition des mains du presbyterium d’Éphèse. À Corinthe, un parti s’était formé, qui se réclamait de lui, tandis qu’un second se réclamait de Paul et un troisième de Pierre. Il apparaît donc comme un personnage jouissant d’un prestige considérable, qui avait eu une grande part dans le développement de cette Église, et qu’on plaçait sur le même plan que les Apôtres.
113Apollos entretient d’excellents rapports avec Paul, qui lui rend service à l’occasion, mais ne se considère pas comme son auxiliaire, à la différence de Timothée ou de Tite. Il garde son autonomie dans l’œuvre missionnaire qu’il accomplit, et qui a dû être considérable.
114Parmi les missionnaires qui œuvraient dans l’orbite d’un Apôtre, nous connaissons Jean Marc, qui portait un double nom, sémitique et grec. Il appartenait au noyau primitif de l’Église de Jérusalem, avait débuté dans la vie apostolique sous les auspices de son cousin Barnabé, qui dirigeait la première expédition à laquelle saint Paul prenait part. Il accompagna ensuite Barnabé à Chypre, puis paraît bien s’être spécialement attaché à Pierre, dont il a été l’auxiliaire et avec qui nous le retrouvons à Rome.
115Nous avons plus d’informations sur les auxiliaires de saint Paul : Silvain, qu’il faut sans doute identifier avec Silas, presbytre de Jérusalem de grande réputation, Sosthène, Épaphras, fondateur de la communauté de Colosses, Tychique, Éraste, et ses deux disciples de prédilection, Timothée et Tite. Faut-il ajouter Luc, le médecin originaire d’Antioche, qui était aussi son collaborateur ?
116La situation change au moment où saint Paul écrit ses Pastorales, entre 63 et 67. Saint Pierre a vraisemblablement disparu. Saint Paul est empêché par la maladie ou par la captivité de visiter les communautés qu’il gouverne. Il lui faut faire face à une situation nouvelle, causée par les persécutions et par des difficultés exceptionnelles. Il a alors recours à des auxiliaires, qu’il dote de pouvoirs plus étendus, qui gouvernent des groupes d’Églises et qu’on pourrait appeler des « délégués apostoliques ». Bien entendu, il ne leur a pas pour autant octroyé les privilèges incommunicables des Apôtres : promulguer la Révélation et jouir de l’infaillibilité personnelle.
117Le « délégué apostolique » exerce d’abord une fonction de magistère. Telle est la mission que saint Paul confie à Tite dans la Crète qu’il a évangélisée et qu’il s’apprête à quitter, comme à Timothée à Éphèse. Mais il doit s’en tenir à ce qu’il a reçu de la tradition des Apôtres.
118Il reçoit les pouvoirs les plus étendus, d’abord pour fonder et organiser les Églises, là où les chrétientés sont encore inorganiques, les fidèles épars ou à peine groupés et la hiérarchie locale encore inexistante ou rudimentaire. Le premier soin de Tite sera d’organiser les Églises de Crète, encore naissantes. Il devra d’abord rechercher, choisir et établir des presbytres dans chaque ville, en leur imposant les mains89. Saint Paul détermine les qualités qui doivent les distinguer, indique les vices dont ils doivent être exempts.
119On retrouve comme une réplique des instructions données à Timothée pour le recrutement des presbytres d’Éphèse. Il n’y manque qu’un trait : les chrétientés d’Asie étaient relativement anciennes et Paul écarte du clergé les néophytes. En Crète, on n’avait que des baptisés de la veille ; les exclure, ç’aurait été condamner les communautés à être privées de hiérarchie.
120Là où la hiérarchie locale est déjà instituée, le « délégué apostolique » a tout pouvoir pour visiter, contrôler, redresser. Sa juridiction s’exerce dans sa plénitude non seulement sur tous les fidèles, de tout âge et de toute condition, mais aussi sur les presbytres et sur les diacres. Telle est la mission que Paul confie à Timothée dans l’Église d’Éphèse. Dans cette chrétienté vieille d’une douzaine d’années, il fallait faire face à des difficultés plus complexes qu’en Crète, il fallait là aussi veiller d’abord à la bonne marche de la communauté, choisir et régler les presbytres, les diacres, les veuves, procurer la parfaite décence de la prière officielle et du service divin, inculquer leurs devoirs aux diverses catégories de fidèles, jeunes et vieux, hommes et femmes, esclaves et riches.
121Là où il était nécessaire de combler les vides dans la hiérarchie, Timothée exercera un rôle prépondérant dans le recrutement du clergé : c’est à lui qu’il appartient d’imposer les mains, et il ne devra pas y procéder hâtivement ; sinon il se rendrait complice des péchés d’autrui90 : cela implique que, même quand il ne fait pas de choix personnel, le délégué apostolique est tenu d’éprouver les qualités de ceux que la communauté mettrait en avant, et il est responsable devant Dieu des mauvais choix qu’il accepterait.
122Timothée contrôlera l’ensemble du clergé : il veillera à ce que les presbytres s’acquittent bien de leurs fonctions et témoignera doubles égards à ceux qui sont méritants, surtout à ceux qui peinent à la parole et à l’enseignement91
123Le « délégué apostolique » est doté du pouvoir judiciaire le plus étendu, qu’il exerce personnellement. Au regard du clergé, Timothée reçoit le pouvoir de destituer les indignes et déjà ce pouvoir est réglé d’après les formes judiciaires : il ne devra accueillir une accusation contre un presbytre que sur déposition de deux ou trois témoins92.
124De même, en Crète, après deux avertissements, Tite exclura de la communauté les factieux qui s’attachent à des déviations doctrinales -ce qui est déjà une excommunication93.
125On ne peut donc dénier à ces « délégués apostoliques » la plénitude des pouvoirs épiscopaux, qu’ils exercent sur les Églises dont ils ont la charge, et que les canonistes qualifieront de pouvoirs de magistère, d’ordre et de juridiction. Et ils les exercent par-dessus les collèges de presbytres et éventuellement vis-à-vis d’eux.
126Mais la mission qu’ils assument est temporaire. Ils ne jouissent pas d’un pouvoir permanent sur un territoire déterminé ; ils n’ont pas de diocèse, de παροικία. Ils continuent à appartenir à la hiérarchie itinérante. Et par là, ils diffèrent des évêques qui, dès le temps d’Ignace d’Antioche, exerceront les mêmes pouvoirs sur les Églises qu’ils gouverneront. L’Apôtre envoie ses « délégués » là où il juge leur présence nécessaire ; il les rappelle quand il le juge bon. Il demeure le lien d’unité entre les Églises qu’il a fondées et est seul à exercer sur elles la juridiction suprême. En dépit de l’accroissement de leurs pouvoirs, les « délégués apostoliques » restent ses « auxiliaires ».
127C’est ainsi qu’à la fin de l’épître qu’il lui adresse, saint Paul annonce à Tite que sa mission prendra bientôt fin. Pour le remplacer, il enverra soit Artémas, soit Tychique -le choix n’est pas encore fait-et dès que celui qu’il aura désigné sera arrivé en Crète, Tite devra se hâter de le rejoindre à Nicopolis, en Épire, où il a décidé de passer l’hiver94. De « délégué apostolique », Tite redeviendra simple auxiliaire, quitte à recevoir plus tard une nouvelle mission en Dalmatie.
128Du fait qu’Artémas ou Tychique sera désigné pour le remplacer, on peut entendre que celui que Paul enverra aura vraisemblablement les mêmes pouvoirs étendus et aura donc qualité de « délégué apostolique ».
129Il est vraisemblable qu’Artémas ait été choisi pour succéder à Tite : plus tard, dans la seconde épître à Timothée, Paul déclare qu’il a envoyé Tychique à Éphèse95, ce qui laisse supposer qu’auparavant l’Apôtre l’a gardé momentanément auprès de lui. Mais ce n’est qu’une hypothèse, et il n’est pas impossible que Tychique ait accompli successivement ces deux missions, d’abord en Crète, puis à Éphèse.
130À ce moment, Tite est en Dalmatie96 : il est vraisemblable qu’il y a été envoyé par Paul et qu’il a reçu les pouvoirs étendus d’un « délégué apostolique ».
131De même, dans la conclusion de cette seconde épître à Timothée, l’Apôtre lui fait connaître qu’il met fin à sa mission et l’invite à se hâter de le rejoindre au plus tôt avant l’hiver97. De « délégué apostolique », Timothée redeviendra simple auxiliaire.
132Dans cette même phrase où saint Paul écrit que Tite est en Dalmatie, il mentionne que Crescens (Κρήσκης) est allé είς Γαλατίαν98. Cela laisse entendre qu’il a été doté des mêmes pouvoirs que Tite dans la mission qu’il accomplira probablement en Galatie, s’il ne s’agit de la Gaule (on peut hésiter sur le sens à attribuer à ce terme géographique).
7. La désignation et l’institution des membres de la hiérarchie : δοκιμασία, rôle de la communauté et imposition des mains.
133Après avoir procédé à cette étude analytique, et en tenant compte de l’ensemble des textes, dégageons maintenant la synthèse des données historiques que nous avons rassemblées concernant l’établissement de la hiérarchie chrétienne aux temps apostoliques. Aussi loin qu’on remonte, les communautés apparaissent toujours fortement structurées et dotées d’une hiérarchie distincte de l’ensemble des fidèles. Comment se fait la désignation des membres de cette hiérarchie ? D’une façon assez diverse. Ce sont les Apôtres qui choisissent eux-mêmes ceux qui seront leurs auxiliaires -ces derniers ne portent pas encore la dénomination technique. Cela apparaît tout naturel, puisque ceux-ci seront leurs plus intimes collaborateurs et que leur ministère ne s’exercera pas dans une communauté déterminée. Toutefois, telle ou telle communauté peut être consultée pour rendre témoignage, en somme pour contribuer à ce que nous appellerions l’enquête canonique. Ainsi en est-il des deux communautés de Lystres et d’Iconium à propos de Timothée99.
134Pour la désignation des membres de la hiérarchie locale, il peut arriver que la communauté joue un rôle de présentation. C’est ce que nous observons dans la communauté primitive de Jérusalem, ce qui s’explique par les habitudes communautaires juives, maintenues en honneur surtout dans les milieux piétistes. Déjà auparavant, pour le premier choix qu’avait fait l’Église pour cette désignation extraordinaire du douzième Apôtre, la communauté avait été invitée à présenter deux candidats. Lorsque les Apôtres prennent l’initiative d’instituer les Sept, qui seront les futurs diacres, ils confient à l’ensemble des disciples le soin de les rechercher et de les présenter.
135Nous ne savons comment a été fait le choix des premiers presbytres de la communauté de Jérusalem. La façon dont ont été désignés les Sept laisse supposer que l’assemblée des disciples a été invitée aussi à présenter des candidats.
136Dans les communautés pauliniennes, c’est l’Apôtre ou son délégué qui paraît bien exercer un rôle prépondérant et procéder au choix. Mais l’ensemble des fidèles sont consultés, pour rendre un bon témoignage -de sorte que jamais un membre de la hiérarchie ne leur est imposé, dont ils ne voudraient pas.
137C’est ce que rapportent les Actes à propos de Paul et de Barnabé, c’est ainsi que procèdent les « délégués apostoliques », comme le recommande Paul à Timothée. Telle paraît avoir été la pratique générale aux temps apostoliques, comme il apparaît dans Clément de Rome.
138L’Apôtre ou l’auxiliaire des Apôtres – puisque la terminologie n’est pas encore fixée- n’est pas lié par la présentation ou la suggestion qui émane de la communauté. Il doit d’abord exercer un véritable jugement sur les qualités et l’aptitude de celui à qui il acceptera de conférer l’imposition des mains, une δοκιμασία, pour employer ce terme du droit des magistratures des Cités grecques100 (δοκιμαζέστωσαν, comme l’écrit saint Paul à Timothée à propos des diacres101). Sinon, Timothée serait gravement coupable devant Dieu des mauvais choix qui pourraient être effectués. Cela implique qu’il est tenu de rejeter celui qu’il ne jugerait pas apte à remplir avec fruit le ministère pour lequel la communauté le présente (quand il arrive que celle-ci effectue une présentation ou une suggestion).
139C’est ensuite seulement, après avoir porté ce jugement sur le candidat, que l’Apôtre ou le missionnaire itinérant qui a reçu des Apôtres ses pouvoirs, confère les pouvoirs spirituels par le rite de l’imposition des mains.
140Le rite essentiel de l’ordination, dès les temps apostoliques, consiste en effet dans l’imposition des mains et ce geste, chargé d’une signification nouvelle, paraît bien emprunté à l’Ancienne Loi et aux coutumes juives contemporaines. L’imposition de la main ou des deux mains se faisait sur les victimes destinées au sacrifice ; c’était aussi un geste de bénédiction, usité par Jacob mourant, et repris par le Christ, qui l’emploie encore comme geste de guérison. Mais cette imposition des mains, en hébreu semîlhâ(h), était déjà un geste d’ordination ; il exprimait le transfert d’une qualité ou d’une fonction d’un sujet à l’autre. C’est par l’imposition des mains faite par les enfants d’Israël, comme à une offrande, que les lévites étaient consacrés au culte de Yahwe(h)102. Lorsque Dieu annonce à Moïse qu’il mourra avant d’entrer dans la Terre promise, celui-ci lui demande d’établir sur la communauté un homme « qui sorte et rentre à leur tête, qui les fasse sortir et rentrer (c’est-à-dire un chef), afin qu’elle ne soit pas comme des brebis qui n’ont pas de pasteur. Et Dieu lui prescrit de prendre Josué, fils de Nûn, et de lui imposer la main ». C’est ainsi que Moïse lui communique une part de sa dignité, et l’installe comme un chef103 ; Josué reçoit non seulement l’autorité, mais l’esprit de sagesse, « parce que Moïse lui avait imposé les mains »104.
141Ce geste était usité dans les communautés juives, dès les temps apostoliques, pour instituer les juges et les docteurs. On considérait qu’il opérait une transmission de la personnalité, en même temps qu’il effectuait collation de la juridiction. C’est ainsi que les rabbins conféraient à leurs disciples le ministère qu’ils avaient sollicité105. Cette coutume, attestée au IIe siècle, paraît bien être en vigueur au début de l’époque chrétienne ; et il semble bien que la Synagogue a ensuite abandonné la semîkhâ(h) précisément parce qu’elle s’est aperçue de ce qu’elle estime être un larcin des chrétiens.
142Le rite juif comme le rite chrétien sont des rites d’ordination ; l’un et l’autre sont destinés à instituer des « anciens », l’un et l’autre sont appelés à transmettre l’Esprit. Aussi les Apôtres ont pu s’inspirer principalement des exemples de l’Ancien Testament, et d’une manière secondaire de la coutume juive qu’ils avaient sous les yeux pour déterminer le rite chrétien de l’ordination. Il apparaît pour la première fois à Jérusalem, introduit par les Apôtres, pour instituer les Sept, qui sont les premiers diacres. Vraisemblablement, les Douze l’ont employé pour ordonner les premiers presbytres, car ce rite apparaît ensuite comme général et incontesté. Saint Paul l’emploie pour conférer les pouvoirs spirituels à son auxiliaire Timothée ; les presbytres des Églises locales en usent aussi pour communiquer leurs pouvoirs. Timothée à son tour impose les mains, lorsqu’il complète ou institue la hiérarchie des communautés qu’il inspecte.
143C’est à propos de l’ordination de Timothée que nous possédons les informations les plus précises, qu’il nous faut scruter avec soin. « Ne néglige pas, lui écrit saint Paul dans la première épître qu’il lui adresse, le don spirituel, qui est en toi, τοῦ ἐν σοἱ χαρίσματος, qui t’a été conféré par voie prophétique, avec l’imposition des mains du presbyterium », μετἁ ὲπιθέσεως τῶν χειρῶν τοῦ πρεσβυτερίου106. Et dans la seconde épître qui lui est destinée, l’Apôtre l’exhorte ainsi : « C’est pourquoi je t’invite à raviver le don de Dieu, τὸ χαρίσμα τοῦ Θεοῦ, que je t’ai conféré par imposition des mains », διὰ τῆς ἐπιθέσεως τῶν χειρῶν μου107.
144Il n’y a pas de contradiction entre ces deux passages, ni de raison de supposer que l’Apôtre fasse allusion à deux rites distincts ; ces deux textes se complètent mutuellement. L’imposition des mains a été effectuée à la fois par l’Apôtre et par le collège des presbytres. Si dans la seconde épître, saint Paul ne mentionne pas le presbyterium, c’est parce qu’il veut mettre l’accent sur l’union de l’Apôtre et de son disciple, la similitude de leur situation, de leur grâce, de leurs responsabilités, de leurs fonctions et de leurs épreuves : ce don spirituel, qui est en Timothée, cette grâce qui lui a été conférée par l’ordination, c’est par l’intermédiaire de Paul qu’il l’a reçue.
145Dans ces deux épîtres, saint Paul énonce nettement que l’imposition des mains, ἐπιθέσις τῶν χειρῶν, confère une grâce permanente, un χάρισμα, qui demeure en Timothée, έν σοί, et qui durera donc jusqu’à la fin de sa vie.
146Après avoir reçu cette imposition des mains, Timothée est assuré d’avoir toujours la puissance et l’aptitude surnaturelle pour accomplir le ministère qui lui est départi. Il lui suffit de ne pas se dérober, et de mettre en œuvre le don divin, en ravivant cette grâce permanente. Saint Paul n’explicite pas et n’avait pas à expliciter ici comment la raviver. On peut penser que Timothée devra prendre toujours plus pleinement conscience de la grandeur de sa mission, s’appliquer plus intensément encore à la prière et à la tâche apostolique pour laquelle il a été consacré.
147C’est un don de l’Esprit, une espèce particulière de χάρις, départie gratuitement, moins pour le bénéfice de celui qui la reçoit que pour le bien de la communauté chrétienne, προ τὁ συμɸέρον108, pour que l’Église en tire édification, προ τὴν οἰκοδομὴν τῆς ἐκκλησίας109.
148S’il ne s’agissait en effet que d’une grâce transitoire ou d’une allusion à une manifestation charismatique occasionnelle, il ne pourrait être question de raviver ce don, qui demeurera toujours de façon immanente.
149Le but de cette imposition des mains, ce sont les fonctions spirituelles que Timothée exercera, et qui nécessitent de recevoir une aptitude surnaturelle. Elle opère une consécration totale au culte divin et au gouvernement des Églises. C’est un rite d’investiture d’une fonction, qui communique le don de l’Esprit nécessaire pour bien s’acquitter du ministère qui lui est conféré.
150C’est donc un rite sacramentel, qui diffère d’une simple bénédiction, donnée avant d’accomplir un voyage missionnaire.
151Nous pouvons donc dire que ce χάρισμα est un charisme permanent, habilitant les membres de la hiérarchie à remplir toutes les fonctions, même les plus élevées, de leur ministère. Nous pouvons l’identifier avec la grâce du sacerdoce, qui était alors conféré dans toute sa plénitude, donc avec la grâce de l’épiscopat.
152Ce geste, toutes les fois qu’il est possible, est accompli collégialement. Déjà quand les Douze avaient institué les diacres, bien que ceux-ci fussent destinés à occuper un rang inférieur dans la hiérarchie, tous leur avaient imposé les mains, comme il apparaît dans le récit des Actes : « On les présenta aux Apôtres, et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains »110. Il dut en être de même lorsqu’ils instituèrent les premiers presbytres. Les rabbins imposaient collégialement les mains aux disciples qu’ils ordonnaient et il est vraisemblable que cet usage était déjà suivi au Ier siècle. Il est vraisemblable aussi que lorsqu’au cours de leur première mission, Paul et Barnabé instituèrent des presbytres dans chaque Église, tous deux à la fois leur imposèrent les mains.
153Ces « délégués apostoliques » qu’étaient Timothée et Tite avaient-ils besoin, comme l’a soutenu le P. Spicq, d’une délégation expresse de l’Apôtre pour exercer ce pouvoir d’ordonner ? C’est une hypothèse peu vraisemblable, en désaccord avec tout ce qu’on peut se représenter de l’Église primitive. Du fait que saint Paul les envoyait gouverner l’ensemble des Églises d’une région, ils recevaient évidemment le droit d’établir de nouveaux presbytres : l’Apôtre leur indique les qualités qu’il faut exiger de ces derniers. Même dans l’hypothèse où l’épître n’aurait pas contenu ces instructions, il est évident qu’ils auraient pu user de ce pouvoir. Quant aux missionnaires itinérants, il est invraisemblable qu’ils aient dû requérir des Douze ou de saint Paul une délégation expresse pour ordonner le clergé des Églises qu’ils établissaient. En voulant introduire des raffinements juridiques d’une autre époque, on méconnaît les nécessités d’une Église encore à l’état de mission.
8. La continuité des pouvoirs apostoliques.
154Ainsi, même quand s’exerce le choix de la communauté ou quand elle participe à la désignation d’un membre de la hiérarchie, elle ne fait qu’un candidat. Ce n’est pas des communautés que presbytres et diacres, et à plus forte raison les membres de la hiérarchie itinérante tiennent leurs pouvoirs. Ils n’en sont pas les mandataires. Leur institution est réservée aux Apôtres ou à ceux à qui ceux-ci ont conféré leurs pouvoirs spirituels, et qui ont procédé à cette δοκιμασία : missionnaires itinérants ou presbytres des communautés locales. En définitive, l’origine de leurs pouvoirs réside en la personne des Apôtres, qui sont eux-mêmes les mandataires du Christ et que saint Paul qualifie d’« intendants des mystères de Dieu »111.
155Avant même la fin du Ier siècle, l’évêque de Rome Clément, dans sa lettre à l’Église de Corinthe, a marqué avec force cette continuité dans la transmission des pouvoirs apostoliques :
« Les Apôtres nous ont annoncé la bonne nouvelle de la part de Jésus-Christ. Jésus-Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les Apôtres du Christ. Cette double mission elle-même, avec son ordre, vient donc de la volonté de Dieu.
« Munis des instructions de Notre Seigneur Jésus-Christ, pleinement convaincus par sa résurrection et affermis dans la foi en la parole de Dieu, les Apôtres allaient, tout remplis de l’assurance que donne le Saint-Esprit, annoncer partout la bonne nouvelle de la venue du Royaume des Cieux.
« À travers les campagnes et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs prémices et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les établirent épiscopes et diacres des futurs croyants »112.
« Nos Apôtres aussi ont su qu’il y aurait des contestations au sujet de la dignité de l’épiscopat. C’est pourquoi, sachant très bien ce qui allait advenir, ils instituèrent les ministères que nous avons dits et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés succèderaient à leurs fonctions »113.
156Remarquons à ce propos que Clément ne mentionne que deux degrés dans la hiérarchie des Églises qui demeuraient sous le gouvernement des Apôtres. Puis, dans la suite il revient sur l’établissement de la dignité de l’épiscopat (qui alors ne semble pas distincte de celle du presbytre) et parle à nouveau de ceux qui ont ainsi reçu leur charge des Apôtres, ou plus tard d’autres hommes éminents, ὑɸ ἒτέρων ἐλλογίμων ἀνδρῶν, avec l’assentiment de toute l’Église114. Ainsi, la communauté se borne à donner seulement son assentiment.
9. Pouvoirs permanents et missions temporaires.
157Nulle part aux temps apostoliques n’apparaît cette idée que l’ordination ne vaudrait que pour un temps, que les pouvoirs qu’elle confère cesseraient à l’expiration de la mission pour laquelle elle a été conférée.
158Il faut distinguer soigneusement les pouvoirs permanents, conférés par l’ordination et qui durent toute la vie, des missions qui sont confiées à des membres de la hiérarchie, et qui peuvent être données pour un temps.
159Ainsi les Actes mentionnent une première mission donnée à Barnabé par l’Église de Jérusalem, lorsque cette Église apprend la conversion des païens qui entrent dans la communauté d’Antioche : « La nouvelle en vint aux oreilles de l’Église de Jérusalem et on envoya (ἐξαπέστειλαν) Barnabé à Antioche »115.
160Mais ce serait une fausse interprétation que de considérer que cette mission émane de la seule communauté des fidèles -à l’exclusion de la hiérarchie, et d’imaginer une distinction entre les pouvoirs qui émanent de la hiérarchie et ceux qui émanent de la communauté. Chaque Église locale – qualifiée ici « l’Église de Dieu qui est à Jérusalem »– englobe à la fois la hiérarchie : presbytres et diacres, et les simples fidèles. Et même, cette première mission semble bien se placer avant la dispersion des Apôtres et le départ de Pierre, alors que ceux-ci dirigeaient encore l’Église de Jérusalem.
161Et rappelons que les décisions de l’assemblée de Jérusalem sont rédigées au nom des Apôtres et des presbytres qui leur sont associés116, à l’exclusion des diacres et des laïcs. Il s’agit non pas d’un concile, comme on l’a écrit parfois, mais d’une assemblée qu’on pourrait davantage comparer aux synodes romains du Haut Moyen Âge : elle rassemble ceux des Apôtres qui se trouvent à Jérusalem et les presbytres de cette Église.
162Sans doute, c’est toute l’Église de Jérusalem qui reçoit Barnabé, Paul et quelques autres venus d’Antioche ; c’est elle qui, en accord avec les Apôtres et les presbytres, choisit les envoyés chargés de porter la lettre. Mais c’est aux Apôtres et aux presbytres de Jérusalem qu’à Antioche on décide de soumettre la question litigieuse de la circoncision à imposer aux païens convertis ; ce sont eux qui se réunissent pour examiner l’affaire ; ce sont eux seuls qui décident, au nom de l’Esprit-Saint. On ne peut mieux voir la part de la hiérarchie constituée par les Apôtres et les presbytres et celle du laïcat.
163De même, c’est sous la forme d’une mission donnée, sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, par les prophètes et les docteurs de l’Église d’Antioche, que Bamabé – qui est nommé en premier lieu- et Saul, nom sémitique que portait Paul, sont envoyés pour leur premier voyage missionnaire : « Après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les envoyèrent en mission (ἀπέλυσαν) »117.
164Nous avons montré pour quelles raisons nous ne pouvons voir dans cette imposition des mains l’ordination épiscopale de Barnabé et de Paul, et quelle signification elle revêt.
165Ce sont encore des missions temporaires qu’accomplissent les membres de la hiérarchie itinérante, soit les missionnaires autonomes, soit les auxiliaires d’un Apôtre, qui œuvrent sous sa direction.
166Or, il est frappant que ce soit à propos de Timothée, qui n’est pas attaché au presbyterium d’une Église locale déterminée, qu’est affirmée cette permanence des pouvoirs spirituels et de la grâce qui l’accompagne. Timothée est précisément un missionnaire itinérant, auxiliaire de Paul, qui le charge d’accomplir des missions déterminées d’inspection et de réformation dans les Églises locales, en qualité de « délégué apostolique ». Cette ordination a été donnée dans le passé, bien avant la mission qu’il accomplit présentement à Éphèse.
167Elle n’a pas besoin d’être renouvelée et nous avons montré que Timothée n’avait visiblement reçu qu’une seule imposition des mains, de la part de l’Apôtre, associé au presbyterium d’une Église locale – nous ne savons laquelle. Cette imposition des mains, dont saint Paul ne parle jamais que comme d’une imposition unique, lui a été donnée pour toujours. Quelles que soient les missions successives dont il sera chargé, on ne conçoit pas qu’il soit indisponible et il garde toujours cette qualité. Il conserve toujours cette capacité d’agir et d’accomplir les tâches que l’Apôtre lui confiera.
168Rien ne permet de supposer que chaque fois qu’un des auxiliaires des Apôtres ou qu’un « délégué apostolique », aux pouvoirs accrus, avait terminé sa mission, ses pouvoirs spirituels prenaient fin. Et on ne peut penser que lorsqu’il était envoyé pour accomplir une nouvelle mission, il aurait fallu procéder à une nouvelle imposition des mains sacramentelle pour le mettre à même d’exercer à nouveau ses pouvoirs.
10. Le pouvoir de consacrer l’Eucharistie.
169Aucun texte néotestamentaire ne montre des laïcs consacrant l’Eucharistie dans les assemblées, ou ne peut être interprété dans ce sens -à moins de lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Aucun texte non plus n’indique ni ne suggère que la communauté ait attribué le pouvoir de consacrer, ne serait-ce que temporairement, à l’un d’entre eux qui n’aurait pas reçu l’imposition des mains du sacerdoce.
170Sans doute, les textes néotestamentaires qui se rapportent à l’Eucharistie ne nous présentent pas autant d’informations que nous le souhaiterions. La présence réelle, attestée par les paroles du Christ concernant le Pain de Vie, et que rapporte fidèlement saint Jean118, n’était pas mise en cause. Les discussions à ce propos ne naîtront que lorsque certains s’égareront en recherchant l’explication théologique du mystère. Saint Paul se borne dans sa première épître aux Corinthiens à proscrire les abus qui s’étaient introduits dans la célébration de la Cène. Il déclare que la profanation du Repas du Seigneur (κυριακὸν δεῖπνον), est un crime très grave : « quiconque mangera ce pain ou boira la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur …car quiconque mange et boit, mange et boit un jugement contre lui-même, s’il n’y discerne le corps du Seigneur »119.
171Saint Paul ne dit rien de celui ou de ceux à qui incombe la présidence de l’assemblée chrétienne et qui sont dotés du pouvoir de consacrer. Il n’y avait pas de contestation à ce propos et il n’y avait pas à parler de cette question.
172Il serait erroné de tirer des termes « le calice de bénédiction que nous bénissons…le pain que nous mangeons », que la consécration était l’œuvre de toute l’assemblée chrétienne. Peut-être ce pluriel est-il une allusion à une concélébration à laquelle participeraient tous les presbytres, sous la présidence de l’Apôtre, lorsqu’il était de passage dans la communauté. On trouverait ici l’allusion la plus ancienne à la concélébration, qui a subsisté dans les Églises orientales et a été récemment restaurée dans l’Église latine. On peut invoquer en ce sens que tous les presbytres participaient à l’imposition des mains de l’ordination, et à l’administration de l’onction des malades. Mais l’argument n’est pas péremptoire ; cette interprétation demeure une hypothèse et n’exclut pas la possibilité d’autres interprétations.
173C’est seulement aux Apôtres, que lors de la célébration de la Cène, le Seigneur avait dit : « Faites ceci en mémoire de moi »120.
174Ce n’est pas par l’effet du hasard que saint Paul, de passage à Troas entre Pâques et la Pentecôte 57, préside l’assemblée chrétienne et procède à la consécration et à la distribution de l’Eucharistie121. Les chrétiens de cette Cité s’étaient en effet réunis dans la nuit du premier jour de la semaine pour « rompre le pain », κλάσαι ἄρτον, qui est l’expression coutumière qui désigne l’Eucharistie122. Cette célébration est précédée d’un long entretien avec la communauté, et l’Apôtre prolonge son sermon jusqu’à l’aube. Il semble bien que nous ne sommes pas ici en présence d’une assemblée chrétienne accidentelle, et que le premier jour de la semaine était déjà mis à part et réservé pour la célébration de l’Eucharistie. Une tradition ferme et constante confirme que seules les personnes qui avaient reçu l’imposition des mains du sacerdoce -missionnaires itinérants, auxiliaires des Apôtres, et presbytres épiscopes des Églises locales- avaient le pouvoir de consacrer. Cette tradition est décisive. Celle-ci n’a certainement pas innové à ce propos. Si les laïcs avaient eu le droit de consacrer, on ne leur aurait pas enlevé ce pouvoir.
11. Le problème de la déposition des presbytres ou épiscopes.
175Du fait que les presbytres ne sont pas les mandataires de la communauté, et que leurs fonctions ne sont pas conférées à temps, il en découle que celle-ci n’a pas le pouvoir de les révoquer. Qu’en est-il au cas de faute grave commise par un presbytre ou par un diacre ?
176Quand à Milet saint Paul s’adresse aux presbytres d’Éphèse, il n’ignore pas qu’après son départ, « il s’introduira parmi vous des loups cruels, qui n’épargneront pas le troupeau, et il surgira du milieu même de vous des hommes qui par leurs discours pervers essaieront d’entraîner les disciples à leur suite ». Il prévoit donc la défection de quelques-uns des presbytres, qui écoutent présentement son discours, ἐξ ὑµῶν αὐτῶν123. Mais il ne précise pas ce qu’il conviendra de faire.
177De même, Timothée ne devra accueillir une accusation contre un presbytre que sur déposition de deux ou trois témoins124 -ce qui prouve que des cas d’indignité se rencontraient dans la hiérarchie locale.
178Comment procéder en cas de faute grave commise par un presbytre ou par un diacre ? L’Apôtre, ou en son absence le « délégué apostolique » a tout pouvoir de juger et constitue l’instance suprême. Dans le cas envisagé d’accusation portée contre un presbytre, il appartiendra à Timothée de juger, en tant que « délégué apostolique », et en respectant les formes judiciaires. Sans doute s’associera-t-il les autres presbytres comme assesseurs, peut-être même s’entourera-t-il des diacres et de l’ensemble de la communauté ; c’est ainsi que l’Église de Corinthe aurait dû procéder dans l’affaire de l’incestueux125. Dans une autre cause un châtiment avait été prononcé à Corinthe par la majorité, ὑπὸ τῶν πλειόνων126, et on a invoqué à ce propos l’exemple de Qumrân, où l’assemblée des nombreux exerçait le pouvoir judiciaire127.
179L’Apôtre saint Jean, qui gouverna les Églises d’Asie, réprouve la tyrannie qu’exerce Diotréphès, sans doute évêque monarchique d’une de ces Églises. Il annonce à Gaius qu’il compte s’entretenir avec lui de vive voix128, évidemment pour prendre les mesures qui s’imposent. Mais il ne précise pas quelles sanctions il envisage de porter. On peut supposer que saint Jean déposera Diotréphès et le remplacera soit par Démétrios, en faveur de qui tout le monde rend témoignage, soit par Gaius lui-même.
180Au-dessous de l’Apôtre, du « délégué apostolique » ou même de l’auxiliaire de l’Apôtre fondateur de l’Église locale, celle-ci, constituée par l’ensemble des presbytres, auxquels les diacres et les fidèles pourraient être associés, exerce normalement la justice spirituelle. C’est ce qui apparaît dans cette affaire de l’incestueux de Corinthe, puisque saint Paul reproche précisément à cette Église de ne pas avoir prononcé l’excommunication à l’encontre du coupable. Et il ne conteste pas la légitimité de cette sentence portée par la majorité, lorsqu’il demande à cette même Église de l’adoucir129. À l’égard d’un presbytre, coupable d’une faute grave, en l’absence de l’Apôtre ou du « délégué apostolique », l’Église locale aurait-elle le pouvoir de le déposer ? Ou serait-elle tenue d’en référer à cette autorité suprême ? Nous ne pouvons que poser la question.
181Quelles sanctions encouraient le presbytre ou le diacre coupables qui, après réprimande, refuseraient de s’amender ? Sans doute, ils seraient déposés et excommuniés.
182Que faut-il envisager, si ceux-ci venaient ensuite à résipiscence ? Les réintègrerait-on parmi les simples laïcs ? Les problèmes posés par les conséquences de la destitution d’un presbytre ou d’un diacre ne sont pas élucidés dans le Nouveau Testament.
183Rien ne permet d’affirmer que les Apôtres aient pensé que le pouvoir conféré par l’ordination n’existait que tant que la fonction est remplie et que même si le coupable repenti était admis à nouveau dans l’Église au rang des laïcs, il aurait perdu tous ses pouvoirs et n’aurait rien eu de plus qu’un simple laïc.
184Il semble que dès le début on a dû penser plutôt que l’ordination est irréversible -ce qui est conforme à l’orientation du Nouveau Testament. La tradition constitue l’argument le plus fort en ce sens, même si dans la suite ce point a été parfois discuté. Les publications récentes du professeur Cyrille Vogel, menées sans la rigueur scientifique requise, n’ont nullement établi la démonstration contraire.
12. Le cas de Démas.
185Le cas de Démas se présente d’une façon différente, et on peut se demander s’il n’a pas renoncé à l’exercice du ministère. Il était d’origine grecque et son nom est probablement une forme abrégée de Démétrios -ce qui a conduit certains auteurs à l’identifier avec le Démétrios qui est mentionné dans la troisième épître de saint Jean130. Mais cela demeure une pure hypothèse, qui nous semble peu probable, car les personnes qui portent un nom abrégé sont presque toujours citées sous cette forme hypochoristique.
186Il appartenait à la communauté de Rome, tout au moins il se trouvait à Rome quand saint Paul subissait sa première captivité, car il connaissait les chrétiens de Colosses131, ainsi que Philémon132, à qui l’Apôtre transmet sa salutation. C’était un collaborateur de saint Paul. Dans ces deux écrits, l’Apôtre mentionne son nom tout à côté de celui de Luc et dans la lettre à Philémon, il est mis exactement sur le même plan : tous deux sont ses collaborateurs. Et lorsqu’il quitte saint Paul, durant sa seconde captivité, et que celui-ci est resté seul avec Luc, c’est à deux membres de la hiérarchie qui sont ses auxiliaires, Timothée et Marc, que l’Apôtre demande de venir, visiblement pour le remplacer : car Marc, ajoute-t-il, lui est fort utile dans le ministère. Cela laisse deviner que Démas ne lui rendait pas seulement des services matériels.
187Aussi il nous paraît probable que Démas a appartenu à la hiérarchie et qu’il a compté parmi les auxiliaires de saint Paul. Mais ce n’est pas une certitude et l’appellation de συνεργός, nous l’avons déjà noté, est donnée aussi à des membres du laïcat.
188Alors qu’il est emprisonné à Rome durant sa seconde captivité, saint Paul qualifie sévèrement son comportement, dans sa seconde épître à Timothée. Il invite Timothée à le rejoindre au plus tôt, « car Démas m’a abandonné (ἐγκατέλειπεν) par amour du monde présent, et il est parti pour Thessalonique »133. Le terme ἐγκαταλείπω a le sens d’« abandonner, déserter ». Il ne s’agit sans doute pas d’une apostasie de la foi chrétienne et interpréter ce passage en ce sens serait lui faire dire plus qu’il n’en dit. Mais il reste que l’Apôtre déclare que Démas a déserté, a abandonné son poste, a fait défection. Si ce dernier était membre de la hiérarchie, comme il nous semble probable, c’est qu’il a abandonné le ministère qui lui était confié et qu’il exerçait dans l’orbite de saint Paul, et cela pour l’amour du monde présent.
189Démas a-t-il seulement abandonné saint Paul, comme au cours de sa première mission, que dirigeait alors Barnabé, Marc l’avait quitté lorsqu’ils abordaient la Pamphylie, pour s’en retourner à Jérusalem ?134
190Sa défection était-elle plus profonde et avait-il renoncé à exercer le ministère apostolique pour assurer sa sécurité et s’occuper de ses intérêts matériels, qui risquaient de pâtir de son absence de Thessalonique ? Le blâme de saint Paul viserait alors un abandon du ministère, peut-être définitif dans sa pensée, une sorte d’« autodéposition », pour employer le langage barbare de certains théologiens actuels.
191Saint Paul n’en dit pas plus. S’il blâme Démas, il en parle en tout autres termes que d’Alexandre le Fondeur, qui lui a fait beaucoup de mal et a pris la tête de l’opposition à son encontre135. Il n’est pas question de prendre des sanctions à l’égard de Démas, ni de demander au Seigneur de lui rendre selon ses actes.
13. L’unité de la hiérarchie et les charismatiques.
192Aux temps apostoliques, tout comme dans l’Antiquité chrétienne et aux époques postérieures, on ne découvre jamais qu’une seule hiérarchie, qui tient son pouvoir du Christ, par l’intermédiaire des Apôtres, et qui jouit d’une pleine autorité. C’est sans aucun fondement dans les textes que certains auteurs ont soutenu qu’aurait alors existé une double hiérarchie, l’une institutionnelle, l’autre charismatique.
193Certes, l’Eglise primitive a connu une exceptionnelle effusion de charismes. Ce sont des dons gratuits surnaturels, des grâces extérieures et visibles, que l’Esprit accorde, non pas d’après les mérites de ceux qui les reçoivent, ni même pour leur profit spirituel, mais pour l’utilité de l’Église.
194Ces charismes sont divers et parfois intermittents. Par eux, chacun a son rôle à jouer dans l’Eglise en vertu de la vocation qui est la sienne. Ainsi ceux qui sont qualifiés d’apôtres, au sens charismatique du mot, paraissent posséder en grande abondance les charismes d’enseignement et de prodiges, qui se retrouvent à l’état isolé chez les autres. Les prophètes parlent au nom de Dieu avec une force de persuasion extraordinaire ; pour appuyer leur prédication, ils ont aussi le don de pénétrer les secrets des coeurs et de prédire l’avenir. Les didascales ou docteurs ont le don d’expliquer les vérités de la foi. Les charismatiques proclament le message chrétien, ou enseignent avec une science et une efficacité sans pareilles ; ils parlent des langues qu’ils n’ont pas apprises, ont le pouvoir d’opérer des miracles, d’effectuer des guérisons, ou encore montrent un savoir-faire extraordinaire et saisissant.
195Ces charismes ne sont nullement l’apanage du laïcat. L’Esprit les donne selon sa volonté, aussi bien aux membres de la hiérarchie qu’aux fidèles. Certes, le laïcat a tenu un rôle important aux temps apostoliques et dans l’Antiquité chrétienne. Les laïcs participent activement à l’apostolat, en collaborant avec la hiérarchie, avec laquelle ils se tiennent en contact étroit, sans prétendre pour autant la contrôler, ni la contredire. À plusieurs reprises, saint Paul mentionne des laïcs au nombre de ceux qu’il qualifie de collaborateurs, συνεργοί Ainsi la chrétienne Prisca ou Priscilla et Aquila son mari, qui trois fois sur cinq est nommé le second136.
196Si grand qu’ait été le prestige des charismatiques, le don qu’ils ont reçu ne les habilite pas par là-même à faire partie de la hiérarchie et ne leur confère pas le pouvoir de célébrer l’Eucharistie. Bien plus, ils n’ont même pas la puissance de communiquer l’Esprit : le diacre Philippe, dont on ne peut douter qu’il fut un grand charismatique, qui accomplit nombre de miracles, renvoie ceux qu’il a baptisés aux Apôtres, pour que ceux-ci leur communiquent l’Esprit137, ce qui correspond à la confirmation.
197C’est à la hiérarchie, qui est unique – il n’existe pas de hiérarchie parallèle- qu’appartient le gouvernement de l’Église et des communautés locales, et aussi le contrôle des charismatiques. Dès cette époque, un certain nombre de charlatans prétendaient être des charismatiques. L’inspiration de certains était fort suspecte et était restée la même que certaines formes d’exaltation qu’on notait dans les temples païens. Certains allaient jusqu’à proférer ces paroles : « Jésus est anathème »138. Saint Paul s’élève contre des gens « qui cherchent à être tenus pour nos pareils… Ce sont de faux apôtres, des ouvriers perfides, qui se camouflent en apôtres du Christ »139.
198Saint Paul doit mettre en garde les fidèles de Corinthe, et aussi ceux de Thessalonique, contre ces imposteurs140. Saint Jean aussi s’en préoccupe : « N’ajoutez pas foi à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu, car beaucoup de faux prophètes ont paru dans le monde »141.
199Dès les temps apostoliques, l’une des attributions de la justice spirituelle, qui est détenue par la hiérarchie institutionnelle, a consisté à contrôler l’authenticité des manifestations surnaturelles. Et le don de discernement des esprits, qui voisine avec celui de prophète, est aussi donné à des charismatiques, qui peuvent appartenir à la hiérarchie -ce qui leur sera particulièrement précieux-, ou être de simples fidèles.
200Notons enfin que ces charismatiques authentiques ne tiennent en aucune façon leur mission de la communauté chrétienne. C’est l’Esprit qui leur confère directement ses dons et la mission qu’il leur départit.
Notes de bas de page
1 Clem 40, 5.
2 Mt 10, 2-4 ; Mc 3, 16-19 ; Lc 6, 14-16 ; cf aussi Ac 1, 13.
3 Lc 22, 19.
4 He 3, 1.
5 Mt 18, 11, 18.
6 Mt 19, 28, cf Lc 22, 30.
7 Mt 28, 18-20.
8 Lc 22, 25-27.
9 Mc 9, 35 ; cf aussi Jn 13, 12-17.
10 Ac 1, 17 ; 1, 25.
11 Rm 11,13 ; 2 Co 3, 8 et 9.
12 2 Tm 4, 5.
13 [Bibliographie récente : maccarrone (Mgr m.), éd., Il primato del vescovo di Roma nel primo millenio. Ricerche e testimonianze, Atti del Symposium storico-teologico, Roma, 9-13 Ottobre 1989, Cité du Vatican, 1991, où on peut relever, sur les premiers siècles, knoch (o.), « Petrus im neuen Testament », p. 1-52 ; minnerath (r.), « Le pouvoir de l’Église de Rome aux trois premiers siècles », p. 139-171.]
14 Mt 16, 18-19.
15 Jn, 1, 42.
16 Mt 7, 24.
17 Gn 22, 17.
18 Is. 2, 22.
19 Jn 21, 15-17.
20 [Sur l’équivalence pastorat-justice, et pasteur-roi, lafont (s.), « Nouvelles données sur la royauté mésopotamienne » (RHD, 1995, 4, p. 473-500), supra, ch. XIII. Piété et justice, dès l’époque paléo-sumérienne, « ne sont que les variantes d’un même idéal politique, exprimé dans les emplois du verbe composé si-sà, signifiant fondamentalement « ajuster ensemble les cornes (des animaux) » et par extension « mettre en ordre, régler, normaliser ». Le concept de « bon pasteur » traduit le devoir pour le roi d’assurer le bien-être du pays et symbolise sa légitimité et son efficacité, tirées de sa sagesse et de ses capacités physiques » (ead. (à propos de selz (g.), « Guter Hirte, Weiser Fürst. Zur Vorstellung von Macht und zur Macht der Vorstellung im altmesopotamischen Herrschaftsparadigma », AOF 28, 2001/1, p. 8-39], RHD, 80, 2002, p. 108-109). Donner (comme le Christ à Pierre) une mission de pasteur est donc bien une très ancienne façon, en Orient, de conférer pouvoir et juridiction]
21 Mt 10, 2.
22 Lc 22, 32.
23 1 Tm 6, 20.
24 2 Tm 3, 14.
25 1 Tm 3, 15.
26 Ac 1, 15-26.
27 Ainsi 1 Ch 24, 5-6 ; 26, 13-16.
28 Ac 1, 23-26.
29 Rm 15, 20.
30 Ac 9, 18.
31 Ac 13, 1-3.
32 On ne peut identifier ces derniers, les « hellénistes », avec des adeptes originaires de la secte de Qumrân.
33 Ac 6, 6.
34 Ac 22, 5 ; Lc 22, 66.
35 Ac 5, 21.
36 Le 7, 3.
37 Ac 14, 23.
38 Ac 15, 4.
39 Ac 15, 22 et 23.
40 Ac 15, 28.
41 Cf infra, 7.
42 von campenhausen (h.), Kirchliches Amt und geistliche Vollmacht in den ersten drei Jahrhunderten, Tübingen, 1953, p. 275-281.
43 schmitt (m.), « Sacerdoce judaïque et hiérarchie ecclésiale dans les premières communautés palestiniennes », RSR, 29, 1955, 250-261.
44 [Cf notamment laperrousaz (e.m.), Qumrân. L’établissement essénien des bords de la mer Morte. Histoire et archéologie du site, Paris, 1976 ; Les Manuscrits de la mer Morte, Paris, 1984, 6e éd. ; delcor (m.), Qumrân. Sa piété, sa théologie et son milieu, Paris-Louvain, 1978 ; dupont-sommer (a.), Les écrits esséniens découverts près de la mer Morte, Paris, 1983, 4e éd., et plus généralement note bibliographique supra, fin du ch. I]
45 CDC XIV, 6-7.
46 CDC XIV, 8-9.
47 1 QS VI, 14.
48 1 QS VI, 12.
49 1 QS IX, 7-8.
50 Ac 2, 26.
51 Ac 21, 20-24.
52 nötscher (f.), « Vorchristliche Typen urchristlicher Ämter ? Episcopos und Mebaqqer, Die Kirche und ihre Ämter und Stände », Festgabe Kardinal Frings, Cologne, 1960, p. 315-338.
53 Ac 14, 23.
54 Ac 20, 17.
55 Ac 20, 28.
56 Ph 1, 1.
57 Tt 1, 5.
58 Tt 1,7.
59 1 Tm 4, 14.
60 1 Tm 5, 22.
61 1 Tm 5, 17.
62 1 Tm 3, 8-11.
63 1 Tm 5, 12-13.
64 Rm 12, 6-8.
65 1 P 5, 1.
66 1 P 5, 2-3.
67 1 P 5, 4.
68 1 P 2, 25.
69 He 13, 7.
70 He 13, 17.
71 1 Tm 4, 14.
72 Ac 20, 28.
73 1 Co 5, 2. Cf supra, ch. IX.
74 Il n’importe qu’on admette que, dans une mesure difficile à préciser, la communauté des fidèles ait été associée à l’exercice de ce pouvoir judiciaire.
75 eusèbe, HE, 3, 4, 4 et 8.
76 Ac 11, 1.
77 Rm 16, 21 ; 2 Co 8, 23 ; Col. 4, 11 ; Phm 14. Ce sont Timothée, Tite, Marc, Luc, Épaphras, Archippe.
78 Phm 1, appliqué à Archippe.
79 HE, 3, 4, 4.
80 2 Co 8, 23, appliqué à Tite.
81 44, 3.
82 1 Tm 4, 14 ; 2Tm 1, 6.
83 2 Co 3, 6-9.
84 2 Co 5,20.
85 2 Co 5, 18-19.
86 1 Tm 6, 20.
87 I Tm 1, 3-4, 6 ; 4, 6-11.
88 2 Tm 3, 14.
89 Tt. 1, 5-9.
90 1 Tm 5, 22.
91 1 Tm 5, 17.
92 1 Tm 5, 19.
93 Tt 3, 10-11.
94 Tt 3, 12.
95 2 Tm 4, 12.
96 2 Tm 4, 10.
97 2 Tm 4, 9 et 21.
98 2 Tm 4, 10.
99 Ac 16, 2.
100 En effet, une fois désigné, par élection ou tirage au sort, aucun magistrat n’était admis à remplir sa charge qu’après ce jugement d’aptitude ou δοκιμασία, qui à Athènes était rendu par la βουλή (le Conseil des Cinq-cents) ou par le tribunal de l’Héliée. Il était interrogé sur sa vie publique et privée et devait produire des témoins à l’appui de ses dires.
101 1 Tm 3, 10. Le terme δοκιμασία est employé par l’auteur de l’épître aux Hébreux, 3, 9.
102 Nb 8, 10.
103 Nb 27, 15-20.
104 Dt 34, 9.
105 Sanhédrin, Mišna(h) 4, 4 ; Ye rušalmî, 1, 19a ; Babhlî, 13b, 14a, 16b, 17a.
106 1 Tm 4, 14.
107 2 Tm 1, 6.
108 1 Co 12, 7.
109 1 Co 14, 12.
110 Ac 6, 6.
111 1 Co 4, 1.
112 Clém 42, 1-4.
113 Clem 44, 1-2.
114 Clem 44, 3.
115 Ac 11, 22.
116 Ac 15, 1-33.
117 Ac 13, 3.
118 Jn 6,48-58.
119 1 Co 11, 27-29.
120 Lc 22, 19.
121 Ac 20, 11.
122 Ac 20, 7.
123 Ac 20, 29-30.
124 1 Tm 5, 19.
125 1 Co 5, 2-5.
126 2 Co 2, 6.
127 Cf delcor (m.), « Les tribunaux de l’Église de Corinthe et les tribunaux de Qumrân », Studiorum paulinorum congressus internationalis catholicus, 1961.
128 3 Jn 9-14.
129 2 Co 2, 6.
130 Jn 12.
131 Col 4, 14.
132 Phm 24.
133 2 Tm 4, 9-10.
134 Ac 13, 13 ; 15, 37-38.
135 2 Tm 3, 14-15.
136 Ac 18, 26 ; Rm 16, 3 ; 2 Tm 4, 19, au regard d’Ac 18, 2 et 1 Co 16, 19.
137 Ac 8, 5-17.
138 1 Co 12, 3.
139 2 Co 11, 12-13.
140 1 Th 5, 19-21 ; 2 Th 2, 2-3.
141 1 Jn 4, 1.
Notes de fin
i L’ensemble de cette partie a fait l’objet d’une plaquette ronéotypée diffusée à Toulouse en 1973, avant d’être publié dans Esprit et Vie, 1974, p. 65-76, 97-103, 193-202,209-215.
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