Simplifier le droit de la consommation : une approche comparative
L’exemple du droit allemand
p. 165-176
Texte intégral
1Comme toute spécialité de droit supplémentaire, le droit de la consommation a comme conséquence la complication du droit. Ceci est valable en droit interne, peu importe le pays sur lequel nous portons notre regard, ainsi qu’en droit supranational, par lequel nous entendons en droit de la consommation notamment le droit européen. En matière de droit de la consommation, l’objet de la complication, la branche de droit la plus concernée est le droit civil. Nous allons nous intéresser dans le cadre de cette courte étude notamment au droit des contrats.
2L’émergence du droit de la consommation depuis une trentaine d’années a donc pour effet l’éparpillement du droit, sa complication et non pas sa simplification. Mais vu l’objectif du droit de la consommation, qui est la protection du consommateur dans ses relations avec les professionnels, le contraire serait souhaitable. Pour protéger le consommateur d’une manière efficace, la simplification du droit qui organise sa protection devrait être primordiale.
3Le constat selon lequel le droit de la consommation complique le droit privé n’est évidemment pas réservé au droit français. Ce phénomène existe également dans d’autres pays et particulièrement dans les pays de l’Union Européenne, qui puisent leur droit de la consommation en grande partie du droit européen, par la transposition du droit européen dérivé.
4Mais la transposition des directives européennes se fait d’une façon différente d’un pays membre à l’autre. Ceci résulte d’une certaine liberté qui est accordée aux États membres dans le domaine de la transposition des directives.
5Sur ce point le regard du comparatiste peut apporter quelques éclairages intéressants. En comparant deux systèmes juridiques nationaux, deux droits de la consommation différents si l’on veut, compte tenu du fait que les législateurs des deux systèmes comparés ont été obligés d’intégrer des règles de provenance européenne dans leurs systèmes, il est intéressant de voir quel législateur a réussi cette intégration de la façon la plus “simple” et quel système de droit de la consommation est le plus clair et le plus applicable.
6Le sujet du colloque organisé par l’IFR de Toulouse cette année porte sur la question de la simplification du droit. Cette simplification comporte deux aspects : l’accessibilité du droit et sa compréhension. Ces deux éléments sont particulièrement importants en droit de la consommation. Seul le consommateur informé peut être protégé car au bout du compte c’est lui qui doit invoquer son droit. Il est indispensable qu’il ait connaissance de son droit. Seul le consommateur connaissant et comprenant ses droits pourra les faire valoir, devant une juridiction. C’est pourquoi l’obligation d’information joue un rôle aussi important dans cette spécialité : la valeur souvent faible des litiges fait que le consommateur n’ira pas systématiquement chercher le conseil d’un avocat.
7Concernant la question de la simplification du droit, le constat principal est le suivant : le droit de la consommation ne simplifie pas l’accessibilité du droit et sa compréhension, mais le complique. En ce qui concerne l’accès aux sources du droit de la consommation, il convient de se détacher du point de vue du juriste. Pour le consommateur moyen, des textes de loi ne sont pas réellement accessibles. Les sources du droit sont essentiellement réservées aux juristes.
8Tout comme son accessibilité, la compréhensibilité du droit de la consommation n’est pas exemplaire non plus. Il suffit de porter son regard sur le régime de la vente en droit de la consommation et les différents remèdes dont dispose l’acheteur consommateur pour s’apercevoir de cette difficulté. Le consommateur ne peut connaître et vérifier l’existence de toutes les conditions nécessaires à l’application d’une règle de droit. Les obstacles à la praticabilité du droit de la consommation sont nombreux.
9Pour étudier la question de la simplification du droit de la consommation, nous allons, dans un premier temps, porter notre regard sur la question de l’accessibilité du droit de la consommation, plus précisément de la vente en droit de la consommation, puis, dans un second temps, ajouter quelques réflexions au sujet de la simplification du droit de la consommation.
I – L’ACCESSIBILITÉ DU DROIT DE LA VENTE DE CONSOMMATION
10Plus que dans d’autres spécialités du droit, il est important de se rendre compte que le consommateur n’est pas juriste. Celui qui est censé être protégé ne connaît généralement pas ses droits. La particularité du droit de la consommation est qu’il concerne quasiment la totalité de la population au quotidien. L’information et l’accessibilité du droit est donc élémentaire et la loi en tient compte. L’information du consommateur est primordiale en droit de la consommation, même si l’idée du “homo oeconomicus” semble erronée. L’information sert régulièrement comme mise en garde du consommateur, mais même parfaitement informé, il n’agira souvent pas d’une façon tout à fait rationnelle. Le consommateur doit être informé de la qualité des biens qu’il compte acheter, autant que de ses droits.1
11Dans le souci d’une meilleure accessibilité du droit de la consommation, une première mesure serait la réduction de l’éparpillement des textes de loi qui ont vocation de protéger le consommateur. Actuellement, les règles qui s’appliquent par exemple à un litige qui a comme objet une vente de consommation se situent dans le Code de la consommation ainsi que dans le Code civil. De plus, le consommateur devra tenir compte des règles procédurales du Code de la procédure civile pour faire valoir son droit. Confronté à une marchandise impropre à l’usage, le consommateur devra décider à quel fondement juridique il aura recours. Pour cela, lui. ou son conseil, devra connaître des règles générales du Code civil ainsi que des règles qui relèvent du domaine du droit de la consommation, et en plus trouver une procédure adaptée, par exemple l’injonction de faire ou la saisine d’un juge de proximité, du TI ou du TGI.
12Pour trouver une alternative à cet éparpillement du droit de la consommation entre le Code de la consommation et le Code civil, un regard sur d’autres systèmes juridiques peut être utile. Nous trouvons l’exemple d’une approche différente en droit allemand. Le droit de la consommation (des contrats) a. en grande partie, été intégré dans le code civil allemand (le “Bürgerliches Gesetzbuch”, BGB) à l’occasion de la dernière grande réforme du droit des obligations du 1er janvier 2002.
13Contrairement au droit français, l’intéressé trouve les règles sur la vente des biens de consommation intégrées dans la théorie générale des obligations. Les règles concernant l’inexécution des diverses obligations du vendeur se trouvent toutes dans les §§ 433 et suivants du BGB, partie du code qui traite la vente en général. La protection du consommateur est donc intégrée dans la théorie générale de la vente. En principe, certaines règles qui étaient destinées à protéger les consommateurs et qui résultent des transpositions de directives européennes, ne sont plus réservées au droit de la consommation mais protègent n’importe quel acheteur et s’appliquent à l’ensemble des ventes. L’application des règles ne dépend pas de la qualification subjective du contractant, mais de la qualification objective de l’acte juridique. Nous pouvons retenir que la protection du consommateur en matière de vente se fait, en droit allemand, à travers le droit civil général.2
14Cette protection part du constat qu’une situation crée un déséquilibre et que cette situation est indépendante de la qualification d’un contractant comme consommateur. Le fait que l’un impose à l’autre des conditions contractuelles prérédigées est symptomatique pour un déséquilibre économique entre deux contractants.
15Concrètement, il y a plusieurs endroits dans le BGB où nous retrouvons des règles qui relèvent du droit de la consommation. Il s’agit régulièrement de règles qui ont été créées à l’occasion de la transposition d’une directive européenne. En droit français, ces règles n’ont pas été intégrées dans le Code civil, mais se retrouvent dans le Code de la consommation. En droit allemand, elles ont été intégrées dans la partie du BGB traitant la partie générale du droit des obligations (§ 241 au § 432 du BGB) ou dans la partie traitant les contrats spéciaux (§ 433 au § 853 du BGB).
16La protection du consommateur par rapport au démarchage à domicile (“Haustürgeschäfte”) se trouve réglée dans le § 312 du BGB. Le droit français a choisi les articles L. 121-21 du Code de la consommation pour réglementer cette technique de commercialisation. Ces dispositions ont en commun qu’elles reposent sur la directive 85/577/CEE du 20 décembre 1995, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux.
17Il en est de même pour les ventes de biens et de prestations de service à distance, qui sont réglées dans les articles L. 121-16 du Code de la consommation ainsi que dans l’article 312 b du BGB (“Fernabsatzverträge”). Ces règles reposent également sur une directive européenne, concrètement sur la directive 97/7/CE du 20 mai 1997.
18En ce qui concerne les crédits de consommation, ils font l’objet des §§ 491 et suivants du BGB (“Verbraucherdarlehensvertrag”) ainsi que de l’article L. 311-1 du Code de la consommation. Les directives européennes qui se pourvoient à cette question sont la directive 87/102/CEE du 22 décembre 1986 et la directive 90/88/CEE du 22 février 1990.34
19Le législateur français a déjà intégré la transposition du droit européen dérivé dans le Code civil. Il en était ainsi à l’occasion de la transposition de la directive 2000/31/CEE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Tout comme le législateur allemand, qui a intégré les règles au sujet des contrats électroniques dans le § 312 e du BGB (“Verträge im elektronischen Geschäftsverkehr”), le législateur français a appliqué la même technique et introduit dans les articles 1369-1 et suivants du Code civil les règles concernant le contrat électronique.
20Mais les transpositions les plus importantes en matière du droit des contrats de la consommation et. en conséquence, celles qui ont une influence majeure sur la théorie générale des contrats, sont celles des directives 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et la directive 99/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Le droit allemand a intégré ces deux directives dans le corps du BGB. La transposition de la directive du 25 mai 1999 a même amené le législateur allemand à réformer la théorie générale de la responsabilité pour inexécution d’une obligation.5
21Le droit de la vente a été réformé d’une manière approfondie par la réforme du droit des obligations entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Le législateur allemand a saisi l’occasion de la transposition de cette directive pour revoir et réformer le droit des obligations dans son ensemble.6
22Mais à l’occasion de la réforme de 2002, non seulement la directive 99/44/CE a été intégrée dans le BGB. Il en était pareil pour les directives européennes précitées7, ainsi que pour la directive 93/13/CEE. Les règles concernant le contrôle des clauses prérédigées, qu’on retrouvait autrefois dans la loi du 1er avril 1977, ont été implantées dans les § 305 et suivants du BGB. À cette occasion, la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 a été intégrée dans le BGB et ceci ensemble avec l’ancienne loi du 1er avril 1977 au sujet des clauses prérédigées, qui était une loi à part en dehors du texte du code civil allemand.
23En droit français, le contrôle des clauses abusives est réglé dans les articles L. 132-1 et suivants du Code de la consommation. La protection efficace contre les clauses abusives est réservée aux consommateurs. En ce qui concerne les contrats communs, le juriste français a recours à la théorie générale des contrats.
24En rassemblant et en intégrant les règles du droit des contrats de la consommation dans le BGB et ainsi dans le régime général des contrats, la protection initialement réservée au consommateur bénéficie à tout contractant.8 La qualification objective comme consommateur ne joue pas un rôle aussi déterminant en droit allemand qu’en droit français.9 Elle pose donc moins de problèmes à la doctrine ou la jurisprudence. Les règles de protection s’appliquent selon des critères objectifs.10
25La simplification du droit de la consommation en rassemblant les différentes nonnes juridiques dans un seul texte est une technique que nous retrouvons actuellement en droit européen. Aujourd’hui, les nombreuses directives de protection du consommateur sont elles-mêmes symboliques de l’éparpillement du droit de la consommation. C’est pourquoi l’UE prépare un droit commun communautaire de la consommation. Il s’agit d’une proposition de directive qui a été adoptée le 8 octobre 2008, “relative aux consommateurs”.11 Cette nouvelle directive devrait couvrir l’ensemble des contrats de vente et de service conclus entre un professionnel et un consommateur et rompra ainsi avec les démarches sectorielles adoptées jusqu’alors.
26Mais comme il s’agit ici d’une directive, les pays membres bénéficieront toujours d’une certaine liberté en ce qui concerne sa transposition. La nouvelle directive sera ainsi un autre pas vers une harmonisation renforcée du droit de la consommation, mais il ne s’agira pas d’une uniformisation du droit au niveau européen.
II – LA SIMPLIFICATION DE LA COMPRÉHENSIBILITÉ DU DROIT DE LA VENTE DE CONSOMMATION
27Le regroupement des textes de loi ne suffit évidemment pas pour simplifier réellement le droit de la consommation, même si le rassemblement des textes dans le BGB permet une intégration logique des règles de protection du consommateur dans l’ensemble de la théorie générale des contrats et des contrats spéciaux. Le premier pas pour rendre le droit plus accessible à son titulaire est l’information de ce dernier. L’information ciblée, comme celle concernant le droit de rétractation dans un délai de deux semaines dont dispose le consommateur dans le cadre des ventes à distance, lui communique ces droits d’une manière simple et synthétisée qui contribue à promouvoir la compréhensibilité du droit.12
28L’obligation d’information fait désormais partie intégrale du droit de la consommation. L’article L. 111-1 du Code de la consommation généralise cette obligation qui incombe à tout professionnel.13 Mais il serait souhaitable que le droit de la consommation soit présenté et rédigé d’une façon qui communique d’une manière plus claire et simple les droits dont dispose le consommateur. Après avoir accédé aux sources du droit de la consommation, le destinataire des règles de protection, donc le consommateur, devrait pouvoir mieux comprendre et connaître ses droits.
29Il ne suffit donc pas de faciliter l’accessibilité du droit. Pour simplifier réellement le droit, il faudrait permettre au consommateur de trouver et de comprendre les règles générales du contrat. Celles-ci se trouvent dans le Code civil et forment la base de la protection contractuelle du consommateur. Sans connaissance de la théorie générale des contrat, les règles spéciales concernant les contrats du Code de la consommation ne peuvent correctement s’appliquer. Le handicap dans cette démarche est que la théorie générale des contrats est incompréhensible pour un non-juriste. Celui qui ne connaît pas les notions et les techniques employées, qui ne connaît pas la jurisprudence qui sert à interpréter et à déterminer le contenu des normes juridiques, ne comprendra pas comment employer la majorité des remèdes dont dispose le consommateur dans le cadre de sa relation contractuelle avec un professionnel.
30Au-delà d’une meilleure accessibilité du droit, une simplification des techniques juridiques serait donc souhaitable. Concrètement, on pourrait songer à une simplification des remèdes dont dispose le consommateur. En matière de vente – et le contrat de vente est de loin le contrat le plus utilisé entre consommateur et professionnel – on pourrait songer au remplacement des trois fondements juridiques des remèdes dont dispose le consommateur. Rappelons-nous qu’en droit français, l’acheteur consommateur dispose de la garantie pour vice caché des articles 1641 et suivants du Code civil, des remèdes suite à la non-conformité de la chose vendue que nous retrouvons dans l’article L. 211-4 du Code de la Consommation, ainsi que d’une action pour inexécution de l’obligation de délivrance. Ces nombreuses options sont le résultat du choix contre une réforme approfondie du droit de la vente à l’occasion de la transposition de la directive du 25 mai 1999.
31Dans une démarche différente, le législateur allemand a choisi de transposer la directive sur certains aspects de la vente et de la garantie des biens de consommation dans la partie du BGB traitant le contrat de vente en général. À cette occasion, l’ancienne garantie pour vices cachées (“Sachmangelhaftung”) a été abrogée et remplacée par la garantie pour non-conformité de la chose vendue. Ainsi, la distinction entre l’obligation de délivrer et la responsabilité pour vices cachés a disparu en droit de la vente allemand14. En conséquence ont été évités, entre autres, les différents délais de prescription que nous retrouvons en droit français. Mais aussi les remèdes dont dispose l’acheteur ont été uniformisés. Cette démarche correspond à ce que nous retrouvons en droit international et notamment dans la CIVM. Les obligations diverses mises à la charge du vendeur y sont, comme en droit allemand, rassemblées en une obligation unique. Il s’agit ici de la conception moniste des obligations du vendeur, telle que nous la retrouvons dans la directive du 25 mai 1999.
32Cette démarche a permis de simplifier considérablement le droit de la vente de consommation et de la vente en général. La notion de non-conformité contenue dans la directive coexisterait avec les vices du consentement et la responsabilité pour inexécution de l’obligation de délivrance.15 Ceci a des conséquences importantes sur les conditions et les manières dont l’acheteur peut exercer ses remèdes.
33Malgré l’évolution que nous observons depuis quelque temps dans la jurisprudence16, le droit français confie en principe la mise en œuvre des remèdes dont dispose l’acheteur au juge. L’action estimatoire et l’action rédhibitoire exigent la voie judiciaire.17 Ceci est en tout cas valable pour le régime général du droit de la vente. Les règles spéciales concernant la vente de consommation prévoient dans l’article L. 211-9 du Code de la consommation que l’acheteur choisit entre réparation et remplacement en cas de défaut de conformité. Si la réparation ou le remplacement est impossible, l’acheteur peut rendre le bien et se faire restituer le prix (ce qui ressemble dans l’effet à l’action rédhibitoire) ou garder le bien et se faire rendre une partie du prix (ce qui correspond à l’action estimatoire). Ces remèdes s’exercent selon le choix du consommateur.18
34L’intégration des remèdes prévus par l’article 3 de la directive 99/44/CE dans le droit de la vente du BGB n’a pas posé de problèmes au législateur allemand. La “Minderung” (diminution du prix par déclaration unilatérale en application du § 441 du BGB) et la “Wandlung”, désonnais “Rücktritt” (que nous retrouvons dans le § 440 du BGB, la rédhibition de la vente par déclaration de l’acheteur)19, existaient dans le code civil allemand avant la transposition de la directive.20
35Comme réaction à ce genre de situations, dans lesquelles les prétentions du consommateur sont souvent incontestables, le législateur français a amélioré la situation de l’acheteur en introduisant l’injonction de faire en application de l’article 1425-1 CPC. Il reste que l’on peut imaginer des techniques encore plus rapides et plus efficaces qui mettraient l’acheteur dans une position plus confortable, plus simple, sans aboutir à des résultats inéquitables à l’égard du vendeur.
36Une telle approche est proposée en droit allemand. Les remèdes dont dispose l’acheteur (peu importe s’il s’agit d’un acheteur consommateur ou non) sont exercés par la déclaration unilatérale et ont un effet de plein droit. Ainsi la résolution du contrat ou la diminution du prix se font par déclaration de l’acheteur.21 Nous retrouvons cette technique d’ailleurs en droit de la vente, du bail d’habitation, ou du louage d’ouvrage. Le vendeur, le bailleur, ou l’entrepreneur peuvent contrôler la validité du remède en saisissant le juge qui contrôle la légalité de l’exercice du remède.
37Comme nous l’avons dit, la transposition de la directive du 25 mai 1999 est un élément essentiel de la modernisation du droit des obligations allemand dans son ensemble. Elle a beaucoup contribué à la simplification du droit de la vente en général et, en conséquence, du droit de la vente de consommation. La transposition d’une directive d’une telle importance relèvant du droit de la consommation et – potentiellement – du droit des obligations en général, peut servir comme inspiration et motivation d’une éventuelle réforme du droit des obligations.22 Le même constat est valable au sujet de la directive sur les clauses abusives du 5 avril 1993 et le sera encore plus par rapport à la nouvelle directive “relative aux consommateurs”24. La réforme et la simplification du droit des obligations pourrait se faire, à l’occasion de la transposition de cette nouvelle directive, à travers une refonte du droit des contrats de consommation. De nombreuses questions relèvent de la théorie générale des contrats et ne sont pas réservées au droit de la consommation. Elles sont des incitations indirectes pour réformer le droit des contrats national.
38Un autre exemple pour une intégration réussie dans le BGB de règles qui, en droit français et selon le droit européen dérivé, relèvent du domaine du droit de la consommation, se situe dans les §§ 305 et suivants du BGB. Les règles de protection contre des clauses (prérédigées) abusives, s’appliquent aux contrats de consommation tout comme aux contrats de droit commun.
39La position d’un contractant qui accepte des clauses prérédigées peut être assimilée à celle du consommateur face à un professionnel. Les deux se trouvent régulièrement dans la même position de faiblesse face à un cocontractant capable d’imposer ses conditions contractuelles. La théorie générale du droit des contrats du Code civil a du mal à sanctionner des clauses abusives. Comme exemple soit cité l’arrêt Chronopost du 22 octobre 1996 dans lequel la Cour de Cassation sanctionne une clause limitative de responsabilité par un détour par la théorie de la cause. Il serait plus simple de soumettre les clauses abusives figurant dans un contrat soumis au régime de la théorie générale des contrats au même contrôle que celui réservé aux contrats de consommation. Ceci pourrait être fait en retenant des éléments objectifs, comme le caractère prérédigé des clauses, qui permettent l’application des règles de protection en faveur de tout contractant. Il s’agirait d’un abandon de la qualification subjective comme consommateur qui permettrait l’intégration du contrôle des clauses abusives dans le Code civil et ainsi dans l’ensemble de la théorie générale des contrats. La simplification consisterait dans le fait qu’un seul régime commun serait applicable aux consommateurs comme au contractant commun. La qualification subjective du consommateur, pas toujours évidente, ne serait plus nécessaire.
40Finalement, l’accessibilité et la compréhensibilité du droit de la consommation s’exprime par l’accessibilité de la procédure judiciaire qui permet au consommateur de réaliser son droit. La première étape est souvent un conseil juridique accessible à un prix pas prohibitif (cet aspect est important vu la valeur faible des litiges). C’est pourquoi le travail assuré par les associations de consommateurs ou encore les conseils gratuits assurés par les avocats par exemple dans les maisons de justice locales sont très précieux. Il reste cependant la difficulté de créer le lien entre le premier conseil gratuit et l’action en justice proprement dite.
41En ce qui concerne l’accès au juge, il convient de souligner l’absence d’une class action à la française. Il en est de même en droit allemand. La class action est une spécialité du droit américain. Vu l’avantage considérable pour le consommateur qu’apporterait cette forme d’action, la Commission européenne a proposé dans son livre vert du 27 novembre 2008 l’option d’une class action à l’européenne.24
42La crainte d’une action engagée par plusieurs personnes ayant un intérêt commun aurait l’avantage d’un effet préventif et éducatif pour l’industrie et pour la grande distribution. Cet effet n’est pas atteint par la menace mineure qui résulte du droit de procédure actuel et qui oblige, en principe et sauf exception25, chaque consommateur à intenter lui-même une action. La class action serait une technique adaptée par laquelle de petits préjudices résultant de la consommation de masse peuvent être liquidés d’une manière efficace et équitable.
43Pour éviter des dérives comme nous les rencontrons sur le marché américain, c’est-à-dire des avocats travaillant exclusivement sur la base d’honoraires de résultat, la Commission propose de confier ces actions d’avantage aux associations de consommation. Sur ce point, l’exécutive européenne a apparemment été influencée par le modèle français, car les actions menées par les associations de consommateurs existent déjà en droit français (et d’une manière plus limitée en droit allemand).
CONCLUSION
44Une différence majeure entre le droit français et le droit allemand de la consommation est la manière dont le législateur allemand a intégré le droit de la consommation dans son système juridique. Les règles concernant le droit des contrats de la consommation ont été intégrées dans le BGB, un Code de la consommation n’existe pas. Contrairement au droit français, les nombreuses directives européennes ont été transposée dans le code civil allemand. Certaines font désormais partie intégrale de la théorie générale des obligations (comme le contrôle des clauses prérédigées ou la technique de la rétractation).
45Dans le même esprit d’une simplification de l’accessibilité mais également de la compréhensibilité du droit de la consommation et dans le souci de minimiser l’éparpillement des différents textes de lois, le droit allemand applique davantage la technique de l’objectivisation des situations dans lesquelles l’une des parties contractantes mérite d’être protégée. C’est la qualification de la situation qui entraîne la mise en œuvre des règles de protection et non pas la qualification (subjective) du contractant comme consommateur. En conséquence, la notion de consommateur se retrouve beaucoup moins en droit allemand qu’en droit français.
46Une réelle simplification de la compréhensibilité du droit de la consommation ne peut être observée ni en droit français, ni en droit allemand. Le droit de la consommation reste une spécialité faite par et pour les juristes. Mais la méthode que le législateur allemand a par exemple choisi pour réformer la partie du BGB qui traite le droit des obligations pourrait servir d’inspiration à d’autres législateur. Ainsi la réforme a remplacé l’ancienne théorie des vices cachés et de l’obligation de délivrance par la conception moniste que nous retrouvons dans la directive 44/99/CE ainsi que dans la CIVM de 1980 et dans de nombreux autres textes internationaux. Cette démarche apporte une simplification de plusieurs points de vue. Il en est pareil en ce qui concerne les différents remèdes dont dispose l’acheteur (consommateur ou non) et le créancier en droit des obligations allemand en général. En droit allemand, le contractant peut régulièrement résoudre le contrat ou diminuer le prix par déclaration unilatérale. Si son cocontractant considère qu’un tel remède était exercé d’une manière illicite, ce sera à lui de saisir une juridiction qui contrôlera sa légalité. L’emploi de cette technique signifie une simplification de la mise en œuvre des moyens qui sont une réaction à la défaillance d’un contractant dont le droit français pourrait s’inspirer.
Notes de bas de page
1 L’obligation d’information, qui repose principalement sur les directives européennes, concerne les caractéristiques du produit, l’adresse et l’identité du professionnel, le prix TTC et le mode de calcul du prix, les frais de transport, les modalités de paiement, l’exécution et le traitement des réclamations, le droit de rétractation, le service après vente et les garanties commerciales, la durée du contrat et les conditions de résiliation, l’obligation pour le consommateur de fournir une caution ou d’autres garanties financières.
2 C. Baldus, “Störung der Geschäftsgrundlage und prinzipielle Gleichheit der Privatrechtssubjekte”, in : “Humanoria, Festschrift für Adolf Laufs zum 70. Geburtstag”, Berlin, Heidelberg, 2006.
3 Notons que le Parlement Européen a voté le 16 janvier 2008 la proposition d’une nouvelle directive sur le crédit de consommation.
4 Un autre exemple pour l’intégration de la transposition de directives européennes ayant pour objet la protection du consommateur est la directive 94/47/CE du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l’acquisition d’un droit d’utilisation à temps partiel de biens immobiliers que le législateur allemand a transposée dans le § 481 du BGB, alors qu’en droit français la transposition s’est faite dans l’article L. 121-60 et suivants du Code de la consommation.
5 H. Ehmann, H. Sutschet, “Modernisiertes Schuldrecht”, p. 1, Munich, 2002.
6 Le projet de réforme du droit des obligations, du “Schuldrecht”, existait évidemment depuis bien plus longtemps. Déjà dans les armées 1980 l’éminent Professeur Ulrich Huber a publié son projet de réforme du droit des obligations. Voir : U. Huber, “Gutachten und Vorschläge zur Überarbeitung des Schuldrechts Bd. 1”, édité par Bundesminister der Justiz, Bonn, 1981.
Mais ce n’est pas une coïncidence si à l’occasion de la réfoime de 2002 de nombreuses directives ont été transposées et intégrées dans le BGB, dont notamment la directive du 25 mai 1999.
7 Voir supra.
8 Ce principe connaît évidemment quelques exceptions. Ainsi les § 474 à 479 du BGB disposent de quelques règles réservées à la vente de biens de consommation. Ce sont des dispositions que le législateur allemand ne voulait pas intégrer dans le droit commun de la vente.
9 Des exceptions subsistent. Quelques règles qui relèvent du droit des contrats sont réservées aux consommateurs. Dans d’autres domaines du droit de la consommation, la qualification comme consommateur reste primordiale.
10 Comme la clause prérédigée, la location d’un lieu d’habitation etc.
11 C. Castets-Renard, “La proposition de directive relative aux droits des consommateurs et la construction d’un droit européen des contrats”, in : Dalloz 2009, p. 1158 ; C. Aubert de Vincelles, “Naissance d’un droit commun communautaire de la consommation”, in : RdC 2009, p. 580-598.
12 L’exercice du droit de rétractation dépend uniquement d’une seule condition, qui est le respect du délai de rétractation. En choit français, ce choit de rétractation se trouve notamment réglé dans l’article 121-20 et suivants du Code de la consommation. En droit allemand, il est réglé d’une manière générale dans les §§ 346 et suivants du BGB. La rétractation s’applique, comme en droit français, à la vente à distance et au démarchage.
13 Cet article a été réformé récemment par une loi du 12 mai 2009. Cette obligation d’information s’est généralisée en droit civil, notamment en droit médical, mais également dans la théorie générales des contrats.
14 Alors que cette distinction était à l’origine de grands débats en doctrine et de nombreux arrêts de la haute juridiction au sujet de la distinction entre l’aliud et le vice caché.
15 Précisément la difficulté à laquelle le droit français fait face suite au choix d’une transposition in minima de la directive du 25 mai 1999.
16 Cass. civ. 1re, 13 oct. 1998, in: Dalloz 1999, jur., p. 197, note C. Jamin; Defrénois 1999, p. 374, obs. D. Mazeaud; JCP G, 1999, II, 10133, obs. N. Rzepecki; RTD civ. 1999, p. 394, obs. J. Mestre ; 20 février 2001, in : Dalloz 2001, p. 705, obs. E. Savaux ; RTD civ. 2001, p. 363, obs. J. Mestre et Fages (B.) ; 14 janvier 2003, in : Contrats, conc., consomm. 2003, comm. no 87, obs. Y. Leveneur ; 28 octobre 2003, RDC 2004, p. 273, obs. L. Aynès et p. 277, obs. D. Mazeaud
Nous retrouvons cette jurisprudence également dans les avant-projets de réforme du droit des obligations sous la direction du professeur Pierre Catala et dans le projet plus récent de la Chancellerie. Cass. civ. 1re, 28 avril 1987, D.S. 1988, p. 1, note P. Delebecque ; 13 octobre 1998, Bull. civ., I, no 300, p. 2007 ; 28 octobre 2003, Defrénois 2004, art. 37894, no 5, p. 378, obs. R. Libchaber.
Cette solution a été confirmé par la même Cour dans un arrêt du 20 février 2001, in : Dalloz 2001, p. 1568, note C. Jamin ; p. 3239, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2001, p. 363, obs. J. Mestre, B. Fages.
17 En application de l’article 1644 du Code civil, la diminution du prix ou la résolution du contrat de vente suite à un vice caché s’exerce, selon les règles du Code civil, par voie d’action. Un arrêt pour tous : Cass. 1re civ., 6 oct. 1999, p. 127, observation P.-Y. Gautier.
18 Malgré l’avantage qu’apporte cette règle au consommateur, il faut attirer l’attention du lecteur sur le fait que la restitution du paiement suite à la résolution par déclaration unilatérale devra être ordonnée par le juge, si le vendeur refuse d’accepter la résolution du contrat. Il en est pareil pour la diminution du prix si le vendeur refuse de restituer la partie du prix demandée par l’acheteur. Soit le professionnel accepte le choix de l’acheteur, soit ce dernier est contraint de saisir la juridiction pour faire valoir son droit.
19 L’action de non-conformité est prescrite dans un délai de deux ans à compter de la date de délivrance. Pendant un délai de six mois après la délivrance, l’acheteur bénéficie d’un présomption légale. La garantie pour vice cachée que nous retrouvons dans les articles 1641 et suivants du Code civil reste applicable à côté des règles spéciales du Code de la consommation. La garantie pour vice caché est soumise à un délai de prescription de deux ans, mais à compter de la découverte du vice (article 1648 du Code civil). Finalement, la responsabilité pour non-délivrance de l’objet du contrat de vente est prescrite dans un délai de prescription de droit commun qui est désormais de cinq ans. En droit allemand, il n’y a qu’un délai de prescription concernant la garantie pour non-conformité, qui est – s’il ne concerne pas un immeuble – de deux ans (§ 438 alinéa 2 du BGB).
20 Désormais la résolution unilatérale et la rétractation d’un consentement dans le sens des directives européennes au sujet du droit de la consommation sont intégrées d’une manière générale dans les §§ 346 et suivants du BGB. Le régime juridique de ces techniques, initialement réservées au droit de la consommation, fait désormais partie intégrale de la théorie générale des obligations.
21 Ceci est évidemment plus efficace lorsqu’il s’agit de contrats à exécution successive. Si le consommateur a déjà payé, il devra régulièrement agir en restitution des sommes.
22 La réforme du droit des obligation français est un sujet qui est vivement discuté en politique ainsi qu’en doctrine. Les divers projets de réformes qui ont été publiés ces derniers temps en font preuve. La transposition de la future directive “aux consommateurs” pourrait servir d’occasion pour une réforme approfondie du droit de la consommation ainsi que de la théorie générale des contrats.
24 Proposition de directive relative aux droits des consommateurs du Parlement Européen et du Conseil du 8 octobre 2010. COM (2008), 614 final.
24 M. Tamm, “Ein Gespenst geht um in Europa – das Gespenst der Sammelklage”, in: NJW 2009, IV.
25 COM (2008), 794 final.
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