Simplification et recodification du droit du travail : les liaisons dangereuses
p. 93-102
Texte intégral
1“Il faut simplifier le droit du travail !” affirmait l’ancien ministre du travail Xavier Darcos dans une interview à “La Tribune” le 18 février dernier avec force arguments : “Très complexe, trop sophistiqué, voire contradictoire”, les entreprises le trouvent confus ce qui est “coûteux et angoissant” et génère beaucoup de contentieux... “Les salariés ressentent de l’insécurité car ils perçoivent parfois mal les garanties que peut leur apporter le droit du travail dans un contexte de développement des mobilités et de diversification des activités et des organisations”... “Les entreprises ressentent de l’insécurité face à une application du droit du travail souvent mouvante, instable et parfois peu claire”...
2Le même jour, est lancée une mission aussi délicate qu’ambitieuse confiée au DRH du groupe Vinci. Franck Mougin chargé de formuler des propositions précises “afin que le droit du travail soit un droit plus sûr. plus stable, plus simple” (extrait de la lettre de mission du 17 février 2010). L’annonce de celle-ci provoque aussitôt une levée de boucliers de la part des syndicats : “Péremptoire et inutile” selon Force Ouvrière ; “Au minimum une maladresse, au pire une faute politique”, selon la CFDT1 Invité à quitter son ministère quelques semaines plus tard. Xavier Darcos n’aura pas le loisir d’en suivre l’évolution (les résultats sont en principe attendus pour novembre 2010).
3Le besoin est pourtant réel aujourd’hui en France d’une vraie réflexion de fond sur ce qu’est la complexité du droit du travail français, sur ses causes et origines et sur les facteurs qui l’entretiennent, mais également sur la part irréductible de complexité de ce droit qui régit des relations elles-mêmes complexes. Ce droit ayant pour particularité d’être mis en œuvre par des juristes et des non juristes (représentants des salariés ? conseillers prud’hommes...), chacun aura forcément sa propre idée de la chose, sa propre appréciation de la complexité et de ce qu’il est possible de faire vis à vis d’elle. La simplification du droit du travail est-elle seulement possible ? Mener à bien un projet sérieux de simplification du droit du travail peut difficilement, semble-t-il, faire l’économie d’une réflexion préalable sur sa complexité2. Et il y a fort à parier que le lancement d’une mission de réflexion sur la complexité du droit du travail, sur laquelle chacun s’accorde aujourd’hui, aurait fait consensus bien plus qu’une mission “Simplification” qui suscite d’emblée crispations et oppositions.
4Il y a surtout maladresse à (ré)ouvrir pareil chantier3 sans considération suffisante du contexte qui est celui de l’entrée en vigueur au 1er mai 2008 d’un nouveau Code du travail à l’encre à peine sèche, d’une recodification qui a tenu les syndicats en alerte pendant de longs mois, ceux-là redoutant précisément que ne s’opère à cette occasion une simplification du droit du travail défavorable aux salariés.
5L’expérience de la récente recodification du Code du travail français, dont l’édition précédente datait de 1973, illustre parfaitement un paradoxe dont nul réformateur ne pourra faire l’économie : critiquée de peur que, sous prétexte de rendre le droit du travail plus accessible à ses usagers, elle ne se traduise par des simplifications de fond... cette recodification l’est aussi pour une raison exactement contraire : l’insuffisance de simplification !
6“L’adoption d’un nouveau Code du travail, avec l’ensemble des perturbations qui. inéluctablement, s’y attachent pour l’ensemble des acteurs du jeu économique et social, n’aurait de sens que si elle accompagnait une réflexion de fond se traduisant par une réelle simplification des règles qui gouvernent l’organisation sociale de l’entreprise”4. Et une fois le nouveau Code adopté : “Demeure toujours ouvert le seul chantier qui vaille : celui d’une révision de fond du droit du travail français destinée à assurer effectivement la simplification des lignes et l’intelligibilité du texte, au service d’une vision claire de ce que doit être l’architecture des relations de travail au XXIème siècle, dans un pays membre de l’Union européenne, en un temps où souffle, avec de plus en plus de force, le vent de la mondialisation”5.
7La simplification du droit du travail est un chantier complexe parce qu’elle est autant souhaitée que redoutée. Elle est souhaitée dès lors que les critiques portées à la complexité du droit du travail sont aujourd’hui assez unanimes. Le droit du travail a effectivement atteint, de réformes en réformes, de sources en sources (nationales, internationales, conventionnelles...) un degré de complexité sans précédent où même les spécialistes peinent parfois à se retrouver. Mais simplifier fait également craindre des grignotages d’acquis sociaux, n’étant jamais précisé si l’on parle de fond ou de forme, l’un et l’autre au demeurant n’étant pas toujours aisément dissociables.
8Les “liaisons dangereuses” entre simplification et recodification du droit du travail commencent dès la première loi par laquelle le Parlement autorise le Gouvernement à recodifier le Code du travail, qui est une loi... de simplification du droit ! “Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l’adaptation des parties législatives des codes suivants (dont le Code du travail), afin d’inclure les dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées et pour remédier aux éventuelles erreurs ou insuffisances de codification”6.
9Annoncer dans une loi de simplification du droit l’intention gouvernementale de recodifier ce “monument” à forte charge symbolique, chargé d’histoire et de passions, que constitue le Code du travail est pour le moins une maladresse qui ne pouvait qu’éveiller dès le départ les soupçons des syndicats (l’édifice fêtera en 2010 son siècle d’existence).
10C’est donc dans un climat de méfiance que le Ministre du travail Gérard Larcher lancera en février 2005 les travaux de recodification, en s’efforçant de rassurer les partenaires sociaux : “Il n’est pas question de dynamiter le Code du travail” affirmera-t-il dans un entretien à “Entreprises et Carrières”7.
11Vue l’ampleur de la tâche, le délai de réalisation du travail de recodification accordé par la première loi d’habilitation (18 mois) ne sera évidemment pas suffisant. Une deuxième loi d’habilitation sera nécessaire qui accordera au Gouvernement un délai supplémentaire de neuf mois pour adopter l’ordonnance de recodification8.
12Le nouveau Code du travail entrera finalement en vigueur le 1er mai 2008 : partie législative (ordonnance no 2007-329 du 12 mars 2007) et partie réglementaire (décrets no 2008-243 et 244 du 7 mars 2008). Laissant derrière lui les procès d’intention faits ici ou là au recodificateur accusé de procéder subrepticement à diverses régressions sociales au moment de la réécriture9, le législateur ratifiera l’ordonnance du 12 mars 2007 (loi no 2008-67 du 21 janvier 2008), une loi que le Conseil constitutionnel validera, mettant fin en principe à la dispute10.
13Pilotés par la Direction Générale du Travail, les travaux de recodification ont fait intervenir successivement différents acteurs :
une mission de six agents à plein temps directement rattachée au Directeur général du travail ;
deux rapporteurs près la Commission supérieure de codification, issus du Conseil d’Etat ;
une commission d’experts pour les questions juridiques les plus complexes composée de personnalités reconnues dans leur domaine ;
et enfin, une commission des partenaires sociaux, composée selon les mêmes règles de représentation que la commission nationale de la négociation collective, réunie à plusieurs reprises et consultée sur l’intégralité des travaux.
14C’est le résultat de ce travail en “cercles concentriques” qui sera soumis à la commission supérieure de codification, avant l’avis du Conseil d’Etat11. Rarement processus de recodification aura été entouré d’autant de garanties.
15Mais la confusion est latente entre simplification du Code et simplification du droit, la première paraissant s’inscrire dans l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit (décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999), la seconde mettant irrésistiblement en alerte les défenseurs des droits des salariés.
16Les limites et conditions de l’exercice étaient pourtant posées d’emblée par le législateur, notamment l’exigence de “recodification à droit constant” qui interdit, en réécrivant les textes, de modifier le fond du droit, qui impose de n’agir qu’à la surface pour tenter de rendre le droit plus clair. Exigence, il convient de le souligner, que le législateur s’est imposé à lui-même pour la première fois dans l’histoire de la codification : “Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l’adaptation des dispositions législatives du Code du travail à droit constant, afin d’y inclure les dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées, d’améliorer le plan du code et de remédier, le cas échéant, aux erreurs ou insuffisances de codification”12. Il est probable cependant que tous les acteurs du jeu social n’aient pas la même compréhension de cette expression “recodification à droit constant” qui gagnerait à être explicitée pour une meilleure harmonisation des points de vue.
17A l’occasion de la recodification du Code du travail, et au gré des dérogations au principe de la recodification à droit constant permises par les lois d’habilitation, les pouvoirs publics ont-ils seulement simplifié le Code ou bien ont-ils aussi, sciemment ou non simplifié le droit du travail, remis en cause ici ou là diverses règles favorables aux salariés ? A-t-on simplifié seulement la forme ou bien aussi le fond ?
18Une seule façon concrète et objective de répondre à ces questions : interroger les usagers avertis et utilisateurs réguliers du Code du travail. Tel est l’objectif de l’enquête inédite menée par l’Université Toulouse 1 Capitole depuis le 1er mai 2009, date anniversaire de l’entrée en vigueur du nouveau Code, auprès des avocats, magistrats, inspecteurs du travail, juristes d’entreprise... En attendant ses résultats13, observons simplement que le nouveau Code du travail français procède d’une volonté de simplification formelle, mais qu’il comporte inévitablement aussi des risques de modifications substantielles qu’il convient de mesurer et d’identifier avec précision.
I – UNE VOLONTÉ DE SIMPLIFICATION FORMELLE
19Le nouveau Code du travail porte en lui la traduction de la volonté de simplification formelle affichée par les pouvoirs publics dès l’annonce de la recodification. La réécriture des textes a de fait été conduite en privilégiant une logique “usagers”, d’autant plus importante à souligner que ce Code est entre les mains de juristes, mais aussi de non juristes ayant pour fonction en première instance de juger les contentieux du travail (plus de 14500 conseillers prud’hommes exercent aujourd’hui leur fonction en France)14
20.Si l’entreprise de recodification procède d’une volonté affirmée de simplifier le Code du travail, du souci de le rendre plus accessible et plus intelligible pour ses utilisateurs, quel que soit leur niveau de connaissances juridiques, cette simplification peut seulement toucher l’enveloppe formelle du droit du travail. Toute simplification d’ordre substantiel est par principe exclue (principe de la recodification à droit constant). La consigne est en somme assez claire : “Remanier le Code : oui ; remanier le fond du droit du travail : non” !
21Parmi les modifications formelles opérées, présentées comme ayant pour effet d’améliorer l’accessibilité et l’intelligibilité du Code du travail, certaines d’entre elles touchent à son architecture.
22Le plan autour duquel les dispositions législatives et réglementaires ont été agencées a été élaboré dans une optique fonctionnelle. Il a pour objectif de mieux guider l’utilisateur, grâce au regroupement de règles juridiques de même nature faisant apparaître les principes communs15 Il a également été conçu de façon à obtenir une concordance parfaite entre les parties législative et réglementaire du Code et à inscrire dans une partie réglementaire unique l’ensemble des dispositions introduites par décret, qu’il s’agisse d’un décret simple ou d’un décret pris après avis du Conseil d’Etat (fusion des anciennes parties R et D).
23Dans la même perspective, les articles du Code ont fait l’objet de scissions, afin que se dégage une seule idée par article. Les articles trop longs ou complexes, dont le décompte des alinéas était devenu plus que fastidieux, ont en effet été découpés afin de gagner en clarté et en lisibilité.
24Exemple enfin des sanctions pénales : autrefois rassemblées dans un chapitre distinct placé en fin de titre, elles ont été rapprochées des textes auxquels elles s’appliquent, là encore dans un souci d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit.
25D’autres transformations ont trait, non à la structure du Code, mais à l’écriture des dispositions elles-mêmes, dont la nouvelle rédaction vise à permettre une meilleure compréhension des règles par les usagers.
26L’utilisation du présent de l’indicatif a été généralisée, en remplacement d’expressions telles que l’employeur “doit” ou “doit obligatoirement” ou “est tenu de” : un langage plus simple, tout en conservant l’idée d’obligation dans la mesure où l’indicatif, dans le langage du droit, a valeur d’impératif. Les intitulés de plan ont été reformulés au profit d’intitulés descriptifs, certes plus longs mais ayant le mérite de la clarté. De même, le vocabulaire a fait l’objet de simplifications et a été modernisé dans le but de le rendre plus compréhensible. Des termes contemporains ont remplacé certains termes aujourd’hui désuets : le préavis remplace le délai-congé, le recrutement vient à la place de l’embauchage et la rupture du contrat de travail supplée le congédiement.
27Les modifications formelles réalisées rendent-elles plus claires et plus accessibles les dispositions du Code du travail ? Constituent-elles autant de simplifications salutaires pour une bonne compréhension par les usagers des règles qui leur sont applicables ?
28La nouvelle numérotation à quatre chiffres, qui vient remplacer celle à trois chiffres de l’ancien Code, tient compte des nouvelles subdivisions et permet d’accueillir les réformes à venir. Néanmoins, outre l’effort de mémorisation qu’elle nécessite, n’emporte-t-elle pas les mêmes effets pervers que l’ancienne numérotation, dès lors que lui sont déjà agrégés des nombres complémentaires ? L’on peut déjà en effet trouver un article L. 3121-35 (durée maximale de travail hebdomadaire) ou encore un article L. 6322-59 (congé de formation pour les moins de 25 ans) qui semblent complexifier davantage la numérotation propre à ce Code.
29Le nouveau plan du Code ne rend-il pas en réalité plus difficile l’accès aux normes du droit du travail, dès lors qu’il est bâti autour de huit subdivisions (partie, livre, titre, chapitre, section, sous-section, paragraphe et sous-paragraphe) ? Ne risque-t-on pas de se perdre dans un nouveau Code qui contient aujourd’hui plus du double d’articles que l’ancien (le Code comprend aujourd’hui plus de 3000 articles) ?
30Les changements terminologiques, substituant un langage courant à l’ancien vocabulaire plus technique, ne sont pas non plus sans risque : remplacer “le chef d’entreprise” par “l’employeur” ne peut-il faire oublier qu’en matière de sécurité et de santé dans l’entreprise, c’est la personne physique dirigeant l’entreprise qui est souvent visée ?
31Enfin, de façon générale, les mesures telles que le nouveau plan, le nouvel agencement des dispositions, les découpages réalisés, dont les vertus simplificatrices ont été évoquées, ne peuvent-elles pas induire de nouvelles interprétations des règles de droit ?
32L’appréciation des modifications sera bien souvent subjective. Une même mesure peut en effet comporter une double facette, simplification côté pile, complexification côté face, et être ainsi tout la fois estimée par les uns... et critiquée par les autres.
33Au-delà de la forme, la recodification a-t-elle conduit à simplifier le droit du travail lui-même ? N’emporte-t-elle pas avec elle des risques de simplifications substantielles ?
II – DES RISQUES DE MODIFICATIONS SUBSTANTIELLES
34Nul ne peut sans doute prendre la juste mesure de ce que constitue réellement le travail de recodification, sauf à y avoir procédé lui-même. Colossal travail de réorganisation, de réécriture de textes, à la fois gigantesque et minutieux, auquel on ne procède qu’à condition d’être pleinement convaincu que l’effort de clarification est utile... et certainement doté d’un grand sens de l’intérêt général !
35Est écartée d’emblée l’hypothèse d’une réécriture volontairement régressive du Code du travail, évoquée par quelques esprits critiques au moment de la recodification. C’est précisément l’un des intérêts de l’enquête en cours menée auprès des usagers avertis du Code (v. supra) que de permettre de révéler si la recodification a donné lieu ici ou là à régression sociale, de vérifier si malgré les fortes garanties dont le processus de recodification du Code du travail a été entouré (notamment la constitution d’une commission ad hoc de partenaires sociaux consultés plusieurs fois sur l’ensemble des travaux) le droit du travail, sur le fond, n’a pas été subtilement modifié. Rien pour l’instant ne permet d’étayer cette hypothèse.
36En revanche, à l’échelle d’un travail aussi monumental, de la réécriture de centaines d’articles et de milliers d’alinéas, il n’est bien sûr pas exclu que les nouveaux principes et les nouvelles règles d’écriture mis en œuvre, procédant au départ d’une volonté de clarification et de simplification formelle, entraînent ici ou là quelques risques de modification substantielle. Il est notamment probable que la portée du changement de tel mot par un autre, ou celle du changement de telle ou telle disposition au sein d’un titre ou d’un chapitre ait été sous-estimée ou mal évaluée.
37Pour n’en donner qu’un seul exemple : “Le fait, par tout directeur ou salarié d’une entreprise où il est employé, de révéler ou tenter de révéler un secret de fabrique est puni de...” (ancien article L. 152-7) simplifié et remplacé par : “Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni de...” (article L. 1227-1). Faut-il en déduire que le secret protégé n’est plus seulement celui de l’entreprise où le salarié est employé ?
38Erreurs de recodification ou malfaçons ne sont donc pas exclues du processus, des anomalies qu’il convient de bien analyser et surtout de hiérarchiser de façon à pouvoir repérer les véritables problèmes de fond imputables au travail de recodification.
39Si aucune commission de suivi officiel des travaux de recodification n’a été mise en place, ce qui peut paraître de prime abord surprenant, la Direction générale du Travail a néanmoins assuré le suivi des travaux, enregistré les remontées d’informations venues d’ici ou là, et procédé à diverses corrections. Trois textes ont ainsi été adoptés depuis l’entrée en vigueur du Code pour procéder aux rectifications jugées nécessaires (corrections d’opportunité, corrections matérielles ou corrections de fond) :
la loi no 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l’ordonnance du 12 mars 2007 ;
le décret no 2009-289 du 13 mars 2009 rectifiant certaines dispositions du Code du travail (partie réglementaire) ;
la loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et clarification du droit16.
40Il faut prendre garde par ailleurs à ce que chacun ait une bonne compréhension de l’exigence de “recodification à droit constant” (si possible la même !) de façon à correctement évaluer les modifications observées.
41L’exigence de recodification à droit constant interdit-elle tout changement ? Non, bien entendu. La loi d’habilitation donne là encore les limites bien connues des changements possibles : “Les dispositions codifiées... sont celles en vigueur au moment de la publication de l’ordonnance, sous la seule réserve de modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non. devenues sans objet”17.
42L’exigence de droit constant est un principe qui ne peut être pris à la lettre, auquel cas aucun mot, aucun article ne peut être changé... et l’objectif de rendre le droit plus clair, formellement plus simple, ne peut être atteint18. La loi d’habilitation à codifier par voie d’ordonnance indique au Gouvernement un cap (recodifier à droit constant) mais elle lui laisse aussi une marge de manœuvre sans laquelle ce dernier n’a aucune chance d’atteindre ce qui constitue l’objectif même de la recodification : rendre ce droit plus accessible et intelligible pour ses utilisateurs. “La recodification du Code du travail ne s’est donc logiquement pas limitée au transvasement des anciennes dispositions dans un nouveau plan, mais s’est accompagnée d’un certain nombre de changements dont il n’est pas inutile de rappeler qu’ils visaient soit à supprimer des articles (dispositions devenues sans objet, migration ou déclassement) soit à en créer (intégration de nouvelles dispositions non codifiées, nouveaux articles) soit à les réécrire pour tenir compte des très nombreuses scissions intervenues à la suite de l’adoption du nouveau plan, remédier aux erreurs ou insuffisances d’écriture, assurer le respect de la hiérarchie des normes ou la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, ou encore moderniser le langage du droit”19.
43Il ne s’agit donc pas de “crier au loup” chaque fois qu’une virgule a changé de place ou chaque fois qu’un mot a été remplacé par un autre, mais plutôt d’être vigilant sur la façon dont le recodificateur a utilisé la marge de manœuvre modificatrice laissée par le législateur lui-même pour favoriser la clarification du droit20.
44Les modifications observées peuvent enfin soulever des difficultés d’interprétation, réelles ou imaginées par des plaideurs prenant pour aubaine la réécriture des textes et profitant finalement de la recodification pour suggérer de nouvelles lectures conformes à l’intérêt de leurs clients21.
45La Cour de cassation a rapidement coupé court à ce type d’interprétation : “Lorsqu’elle a relevé des différences entre les deux versions de nature à poser des difficultés d’interprétation du nouveau texte, le principe de la recodification s’est imposé comme un élément important de cette interprétation, la chambre sociale considérant que sauf dispositions contraires expresses, la recodification s’est faite à droit constant” (Eléments de réponse commune au questionnaire d’évaluation du nouveau Code du travail par ses usagers, par les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de cassation, janvier 2010). Plusieurs arrêts en ce sens ont déjà été rendus par les hauts magistrats :
L’arrêt du 29 avril 2009 (no 08-60.484) relatif à l’application de l’article L. 2143-6 du Code du travail qui remplace l’article L. 412-11 concernant les conditions de désignation des délégués syndicaux dans les établissements de moins de 50 salariés d’une entreprise de plus de 50 salariés22 ;
Les arrêts du 8 décembre 2009 (no 08-43.089, 08-42.90, 08-43.158. 08-44.022. 08-40.991) relatifs à l’application de l’article L. 782-7 devenu l’article L. 7322-1 concernant les gérants non salariés des succursales de commerce de détail alimentaire23 ;
L’arrêt du 27 janvier 2010 (no 08-44.376) relatif à l’application de l’article L. 2411-3 concernant le délai de protection du conseiller du salarié, où la chambre sociale marque clairement sa position : “Mais attendu que. sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant”...
46Pour le reste, nul doute que l’enquête en cours auprès des usagers du nouveau Code du travail et le colloque des 27 & 28 mai 2010 organisé à l’Université Toulouse 1 Capitole apporteront d’autres éléments d’éclairage objectifs sur la question de savoir si cette recodification a rendu le droit du travail plus accessible pour ses usagers, plus simple d’accès, ou si elle a plutôt compliqué ce droit... qui n’en a clairement pas besoin !
Notes de bas de page
1 “Xavier Darcos rouvre le chantier du droit du travail”, Le Monde, 18 février 2010 ; “Vers une nouvelle réforme du Code du travail”, Les Echos, 19 février 2010.
2 T. Grumbach, “Le simple et le complexe dans le droit du travail”, Dr. Soc. 2003, 48 ; “Réflexions sur la simplification du droit du travail”, Travaux menés dans le cadre de l’Institut de l’entreprise sous la direction de Ph. Langlois, 2003, http://www.institut-entreprise.fr.
3 M. de Virville, “Pour un droit du travail plus efficace”, Rapport rends à F. Fillon, Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 2004 ; J. Barthelemy et G. Cette, “Réformer et simplifier le droit du travail via un rôle accru du droit conventionnel”, Dr. Soc. 2006, 24.
4 “Un nouveau Code du travail pour 2008 ?”. Entretien avec B. TEYSSIE in Réformes 2008 : quels enjeux pour l’entreprise ?, Wolters Kluwer, Supplt déc 07-janv 08, p. 30.
5 B. Teyssie. JCP (S). no 18. 4 mai 2010 (Le mot de la rédaction).
6 Loi no 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, art. 84 I.
7 Entreprises et Carrières no 748 du 25 au 31 janvier 2005.
8 Loi no 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié, art. 57.
9 G. Filoche, “Tornade patronale sur le Code du travail”, Le Monde diplomatique, mars 2008 ; E. Dockes, “La décodification du droit du travail”, Dr. soc. 2007, 388.
10 Décision no 2007-561 DC du 17 janvier 2008. V. Bernaud, “Recodification ou décodification du droit du travail ? Le Conseil constitutionnel tranche...”. Dr. Soc. 2008. 424.
11 J.-D. Combrexelle et H. Lanouziere, “Les enjeux de la recodification du Code du travail”, Dr.Soc. 2007, 517.
12 Article 57 I de la loi no 2006-1770 du 30 décembre 2006.
13 Colloque “Nouveau Code du travail : évaluation par les usagers et bilan des deux premières années d’application”, 27 & 28 mai 2010. Actes du colloque à paraître dans la Semaine sociale Lamy (automne 2010). Pour plus d’informations : http://www.evaluationnouveaucodedutravail.fr
14 “Le “Nouveau Code du travail”, une réussite ?”, RDT 2007, Controverse p. 356.
15 C. Rade. “Recodifier le Code du travail”. Dr. soc. 2006.483.
16 H. Lanouziere, “L’après-recodification : rectifications et suivi du nouveau Code du travail”, Colloque “Nouveau Code du travail : évaluation par les usagers et bilan des deux premières années d’application”, Université Toulouse 1 Capitole, 27 & 28 mai 2010, Actes à paraître (Semaine sociale Lamy, sept. 2010).
17 Art. 57 II de la loi du 30 décembre 2006.
18 J. Barthelemy, “La recodification vue de l’intérieur”, Semaine sociale Lamy 2008, no 1336, p. 7.
19 Ch. Rade, “Le principe d’interprétation constante du (nouveau) Code du travail : première application par la Cour de cassation”. Dr. Soc. 2009. 776.
20 P. Morvan, “Le Code du travail a-t-il été refait à droit constant ?”, Colloque “Nouveau Code du travail : évaluation par les usagers et bilan des deux premières années d’application”, Université Toulouse 1 Capitole, 27 & 28 mai 2010, Actes à paraître (Semaine sociale Lamy, sept. 2010).
21 Pierre-Yves Verkindt, “L’interprétation des dispositions du nouveau Code du travail”, Colloque “Nouveau Code du travail : évaluation par les usagers et bilan des deux premières années d’application”, Université Toulouse 1 Capitole, 27 & 28 mai 2010, Actes à paraître (Semaine sociale Lamy, sept. 2010).
22 Sur cet arrêt, v. la note précitée de CH. Rade.
23 N. Ferrie, “A propos de la recodification prétendument à droit constant du droit du travail : une pierre dans un “jardin à la française”, D. 2008, chron. 2011. Sur ce problème sérieux de recodification, où la réécriture maladroite conduisait à ouvrir à nombre de commerçants le bénéfice du salariat, plusieurs lois sont intervenues pour apporter les corrections nécessaires : loi no 2008-67 du 21 janvier 2008 : loi no 2008-776 du 4 août 2008 et loi no 2009-526 du 12 mai 2009.
Auteurs
Professeure à l’Université Toulouse 1 Capitole
Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole
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