L’image de Rome et le modèle du droit romain dans la construction du droit colonial français
p. 67-86
Texte intégral
1Tous ceux qui ont vécu dans l’ancienne Algérie française ont été sensibles à la formidable présence de l’image de Rome, au charme poignant et mélancolique des immenses ruines romaines : Timgad, avec les traces des roues des chars sur le pavage du Decumanus maximus, Lambèse avec son Praetorium aux murs élevés, posé sur des dalles presque intactes...1
2Pourquoi tous les auteurs (et jusqu’aux discours des politiques, même ceux de la IVe république) comparent-ils sans cesse la présence romaine à la présence française ? C’est que, explique R. Laffitte2, après les Romains, seuls les Français firent des constructions en pierre de taille en Afrique du Nord. Seuls les Français remirent en service des mines de plomb romaines3, seuls les Français restaurèrent la culture romaine de l’olivier4. Curieusement, l’archéologie vint si bien au secours de l’agronomie que les services agricoles créèrent un service historique, pour examiner si les procédés agricoles des Romains ne pourraient pas être systématiquement restaurés5.
3 Quant aux militaires, dès la conquête, Saint-Arnaud, par exemple, s’enthousiasma des exploits des légionnaires romains6. Et le 1er novembre 1954, l’ethnologue Jean Servier, allant à la recherche des époux Monnerot, abattus par les terroristes dans les gorges de M’chounèche, se prit à déchiffrer une inscription romaine pour apaiser son angoisse7
4Quelle fut la place du droit romain dans les réflexions et controverses sur la colonisation et dans l’élaboration du droit colonial ? Il nous semble que l’on peut reconstituer deux démarches : d’abord une démarche de philosophie politique, où le droit public, les institutions romaines, principalement l’armée et l’administration provinciale, mais aussi la citoyenneté et le droit des cités, sont un objet de méditation pour une doctrine politique coloniale. Cette doctrine a une dimension de philosophie de l’histoire, car l’on se demande sans cesse, comme Montesquieu, pourquoi la grandeur fut-elle suivie de la décadence et de la mort de la civilisation romaine ? En second lieu, nous distinguons une démarche plus positive, où les institutions du droit romain sont utilisées par des juristes pour rendre compte des réalités coloniales par voie de comparaison et d’analogie. À cet égard, nous avons cru utile de rechercher et de décrire la place du droit romain dans les premières thèses de droit colonial, jusqu’à 18998.
I – Le droit romain, objet de philosophie politique coloniale
5Dans l’euphorie du centenaire de l’Algérie française, en 1930, certains considérèrent que la France ne faisait que ressusciter Rome et la Pax romana : « En cent ans, la France a créé l’Algérie, renouant à travers les siècles la grande tradition romaine. Les temples antiques dressent toujours leur forme évocatrice au milieu des villes d’or chères à Louis Bertrand. Mais ce n’est plus le bouvier solitaire dont parle José-Maria de Heredia qui emplit le ciel calme de sa conque où soupire un antique refrain. C’est le bruit joyeux du travail d’une seconde France, c’est l’écho de la vie laborieuse des grandes villes nouvelles qui réveillent les dieux endormis dans le linceul des cités disparues » (Ernest-Picard, président de la Société des conférences de la Société des anciens élèves de l’École libre des sciences politiques)9.
6Les historiens de l’église, comme Mgr Pons, se plaisaient à rappeler que, un siècle plus tôt, lors de la création de l’évêché d’Alger (1837), le pape Grégoire XVI avait reçu Mgr Dupuch avec une affection particulière, tandis que le cardinal Pacca, contemporain de 1789, avait déclaré : « Je puis mourir maintenant que mes yeux ont vu se redresser le siège de saint-Augustin »10.
7Toutefois, à l’inverse, des auteurs se montrèrent pessimistes. R. Aynard se demanda si notre civilisation n’était pas aussi mortelle que celle des Romains : « D’autres nous ont devancé sur cette terre africaine et, moins soucieux que nous de justice, y ont pourtant laissé une noble empreinte, pour y avoir apporté l’ordre et le travail. Allons à Timgad, et là, entre des pierres romaines, nous respirerons le souffle léger et vivifiant des infatigables renouveaux... Mais, qui sait ? Peut-être quelque nouveau dogme politique ou social enflammera-t-il ces races indigènes à des pillages, à des destructions enthousiastes ; une nouvelle éclipse viendra peut-être effacer nos vestiges, moins nets que ceux du vieux municipe romain »11.
8En 1935, l’on vit A. Foucault dénier toute pertinence au modèle romain : « Les résultats de l’occupation romaine déchaînent l’enthousiasme de certains auteurs ; l’Afrique couverte de monuments romains, l’Afrique nourrice des rhéteurs, l’Afrique fournissant à Rome des sénateurs, un empereur... Mille témoignages soulignent au contraire que Rome ne gagna qu’en surface, elle considéra en réservoir d’esclaves cette bande de territoire cahoteuse où vivaient sous la tente des gratteurs de terre et des conducteurs de troupeaux... Carthage avait gavé le burnous et Rome le pressura. Pour les facilités de sa domination, elle s’assura seulement le concours de personnalités locales, comme tel prince marocain qui aime à tenir rang aujourd’hui à Paris, non sans que la France ignore le prix de son faste... Les théâtres, marchés, portiques, bains, arcs de triomphe, d’ailleurs d’une qualité artistique secondaire, ne sauraient nous faire illusion. Ils traduisent la mainmise de Rome sur une contrée productrice de blé, d’huile, transitaire de mille richesses, ils n’expriment pas un ralliement corps et âme à la patrie romaine. Nous y retrouvons la figure de Rome travaillant à pomper le sol africain. Elle ne pouvait qu’être haïssable à la plèbe locale »12.
9En vérité, la plupart des auteurs se montrèrent assez nuancés. En 1925, dans son admirable thèse ès lettres, Charles Tailliart recensa tous les écrits, en français, traitant de l’Algérie, exceptant, il est vrai, les ouvrages des juristes ou les travaux des sciences exactes, l’ouvrage s’intitulant L’Algérie dans la littérature française 13. Reconnaissons que nous ne disposons pas de travail équivalent pour la période 1925-1962, aussi notre modeste article ne donne-t-il que des coups de sonde au gré de nos recherches ! Les propos sur le legs romain changent-ils beaucoup après 1925 ?
10C. Tailliart note d’emblée qu’il n’est guère de Français « de quelque instruction, visitant l’Algérie, qui ne se soit interrogé sur la présence romaine dans ce pays. Beaucoup ont conclu, en comparant, que nous étions de malhabiles colonisateurs ». Dès le XIXe siècle, des savants entreprirent l’exploration archéologique et épigraphique de l’Algérie : Berbrugger donna, en 1843, Algérie historique, pittoresque et monumentale, recueil de monographies ; Delamare publia en 1850, Exploration scientifique de l’Algérie, Archéologie. Ces auteurs précédèrent le grand Stéphane Gsell, Les monuments antiques de l’Algérie, 1901, 2 vol., Atlas archéologique de l’Algérie, 1902-1911, Inscriptions latines de l’Algérie, dont le premier volume parut en 1922. Héron de Villefosse publia des rapports de mission, ainsi que De La Blanchère.
11Les premières monographies et synthèses d’histoire romaine furent éditées dès la Monarchie de Juillet : Dureau de La Malle, Histoire des guerres des Romains, des Byzantins et des Vandales, 1834, rééd. 1852. Sous Napoléon III parurent des livres de Vivien de Saint-Martin (Le Nord de l’Afrique dans d’Antiquité grecque et romaine, 1863), de Mac Carthy (Algeria romana (sic!) – Recherches sur l’occupation et la colonisation romaines en Algérie, 1857). Ces livres précédèrent les chefs-d’œuvre de R. Cagnat, L’armée romaine d’Afrique, 1892, rééd. 1912, dont la conclusion compare la puissance militaire romaine à celle des Français, P. Monceaux, Les Africains, Étude sur littérature latine d’Afrique, Les Païens, 1894, qui prélude à sa monumentale Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne. Le non moins fameux Charles Diehl donna en 1896 son Afrique byzantine, tandis que S. Gsell commençait de faire paraître son Histoire ancienne de l’Afrique du Nord. À la même époque, Gaston Boissier édita avec succès L’Afrique romaine, promenades archéologiques (1895).
12« Quand on parcourt le pays, écrit Tailliart, on trouve, surtout dans la province de Constantine, des ruines nombreuses de villes, dont beaucoup furent importantes, avec des arcs de triomphe, des forums, des théâtres, des vestiges de travaux publics, aqueducs, conduites d’eau, barrages. Et l’on incline à conclure que la domination romaine avait pénétré partout si profondément qu’elle n’avait pas laissé un arpent de terre sans le faire cultiver ou une agglomération du pays sans la marquer de sa forte empreinte. L’interrogation de tout visiteur s’est imposée aux historiens : il en est peu qui se soient limités au strict objet de leur étude, et n’aient pas, ça et là, fait une comparaison, comme si elle leur était imposée, avec la situation actuelle, sous notre autorité, de l’ancienne Africa des Romains ». Tailliart estime injuste de comparer les six siècles romains aux quatre-vingt-quinze ans des Français, qui ne sont qu’un début (croit-il, hélas).
13D’autre part, Cagnat et Gsell ont fait une remarque, résumée par Tailliart, que reprenait récemment notre ami le doyen Laffitte, dans une conférence : « Les Romains se sont emparés d’un pays prospère ; ils n’ont eu qu’à développer cette prospérité ; un grand nombre d’habitants acceptèrent sans arrière-pensée leur civilisation à laquelle les avaient préparé l’autorité des Carthaginois. Nous avons pris, nous, une contrée barbare et mal cultivée, peuplée d’hommes ignorants et grossiers, nous nous sommes heurtés à un obstacle que ne connurent pas les Latins, à des haines nationales et à une irréductible opposition religieuse »14.
14Gaston Boissier, qui aimait comparer passé et présent15, ne cesse, à chaque page, d’esquisser, de suggérer des réflexions politiques mettant en jeu droit romain et droit colonial : « Les Romains, avant nous, avaient commis les mêmes fautes, et elles avaient eu les mêmes résultats. Pour éviter la responsabilité et les dépenses qu’entraîne l’administration d’un pays, ils trouvaient commode d’y établir un chef ou un roi appartenant à quelque ancienne race, qu’ils chargeaient de maintenir la paix et de gouverner sous leur autorité. C’est le système du Protectorat... Le système de l’occupation restreinte n’a pas eu plus de succès chez les Romains que chez nous. L’expérience leur montra vite qu’il n’était pas possible de se tenir dans les frontières étroites qu’ils s’étaient tracées... Outre les légionnaires, les Romains employaient des troupes auxiliaires indigènes. Ce numerus Maurorum (Tacite, Hist., II, 58) devait être une réunion de soldats irréguliers qui représentaient assez bien ce qu’on appelle aujourd’hui les « goums ». Les Romains en avaient donc comme nous... L’empire employait bien des « goumiers » en Maurétanie ». Plus loin, G. Boissier compare longuement la ville romaine de Timgad à la ville française de Batna, notre ville natale, sa voisine. Ce sont toutes les deux des villes militaires au plan géométrique, aux rues se coupant à angle droit, sur un espace plat. Batna fut créée par les Français sur un arrêté du Gouvernement provisoire, en 1848, et dénommée « Nouvelle-Lambèse » avant de reprendre le nom arabe du lieu-dit originaire, qui signifie « le bivouac ». Citant le code théodosien, Boissier (à l’inverse de Louis Bertrand) n’apprécie pas Batna et lui oppose les ornements, le goût du beau des Romains, qui répondait à une politique : « Qu’on juge de la surprise des paysans de l’Aurès et des villages kabyles quand ils pénétraient pour la première fois dans une ville romaine ! Ils passaient sous une porte triomphale que les vainqueurs avaient élevée pour faire se souvenir de leurs victoires ; ils visitaient ces places peuplées de statues, entourées de temples, ils jetaient un coup d’œil sur ces thermes, ils suivaient la foule dans les théâtres, les cirques, les amphithéâtres. La surprise se changeait bientôt chez eux en admiration, ils entrevoyaient un monde nouveau dont ils n’avaient pas soupçonné l’existence. Le souci du bien-être, le sentiment de l’élégance et de la grandeur, s’éveillaient confusément dans leur esprit. Ils devenaient avec le temps plus sensibles à ces plaisirs... Certes, nous avons bâti des villes et des routes, nous avons replanté la vigne, amélioré la culture de l’olivier et celle des céréales, nous sommes en train de rendre à ce pays la vie et la richesse qu’il avait perdues, mais dans une partie de notre tâche, nous avons échoué. Après avoir vaincu les anciens habitants, nous n’avons pas su les gagner. Aucune fusion, aucun rapprochement ne s’est fait entre eux et nous ; ils vivent à part, gardant finalement leurs croyances, leurs habitudes et, ce qui est plus dangereux, leurs haines. Ils profitent des avantages que notre domination leur procure sans en être reconnaissants. L’Algérie contient deux populations voisines et séparées... «. Boissier conclut en identifiant les indigènes de 1895 à ceux des temps les plus reculés : « Il n’y a plus rien du Punique, du Romain ou du Vandale, seul le Berbère a surnagé... Lorsque, dans nos rapports avec eux, nous serons tentés de nous décourager, rappelons-nous qu’ils n’ont pas toujours été réfractaires à l’étranger, qu’il leur est arrivé de s’entendre avec leurs ennemis de la veille... Mais n’oublions pas que leur naturel a fini par reprendre le dessus »16.
15Tailliart remarque que, avant Boissier, Renan identifiait les Berbères aux Numides, dans un article paru à la Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1873 à propos du livre de Hanoteau et Letourneux (admirable et encore lisible) La Kabylie et les coutumes kabyles. Gsell, pour sa part, compare les fonctionnaires romains aux fonctionnaires coloniaux français, atteints par le mal du pays, thème évoqué aussi par Paul Morand, Pierre Loti ou, pour les Britanniques, Somerset Maugham : « Les administrateurs des domaines impériaux ont l’air de regretter leur pays d’origine. L’un d’eux (il s’agit d’une inscription) qui a perdu une jeune femme de vingt-six ans, se plaint amèrement de la fortune qui ne lui a pas permis de revenir avec elle en Italie. Ce sont déjà là les misères des fonctionnaires qui se regardent comme exilés dans les pays qu’ils administrent »17. Autre point de comparaison, pour Gsell : « L’État ne créa pas de villages de colonisation ; d’ailleurs, au point de vue politique, les villages n’existaient pas pour Rome, elle ne connaissait officiellement que des cités avec un territoire et un chef-lieu »18.
16Selon Monceaux, voici une image de l’Africa comparable, peut-être, (d’après Maurice Wahl, en 1903) à l’Algérie coloniale : « Dans tout le Sud, les nomades indépendants (celui qui a vu des nomades sur leurs chameaux autour de Batna en 1950-55 n’a pu qu’être frappé du contraste des temps et des civilisations) ; dans l’intérieur de la Maurétanie, des postes militaires (combien de ces petits postes du XIXe siècle qui réapparurent lors de la rébellion de 1954 !), quelques colonies au bord des routes, des bourgs fortifiés (Batna…), véritables oasis au milieu du monde berbère, lequel était toujours immuable (en 1950, dans notre région, les Berbères ignoraient le robinet d’eau, la vitre ou la cheminée !) ; sur le littoral et dans le Tell oriental, des fermes ou villae, des cités comme Timgad, mais partout une population punique fidèle à sa langue et à ses dieux, presque indifférente à la civilisation du vainqueur »19.
17Cagnat et Gsell ayant noté que l’armée romaine, au fil des siècles, eut très peu de recrutement latin pour l’Afrique, Tailliart se demande à son tour si l’emprise des Romains sur les indigènes fut considérable, il pense que les quelques centaines d’inscriptions concernent des bourgeois latinisés mais que la masse est restée indigène... « Cette population, cinq siècles d’occupation et de Protectorat ne sont pas parvenus à l’assimiler » (Cagnat) ; « l’Afrique ne fut donc pas assimilée, le vaincu, tant s’en faut, ne fut pas absorbé » (Tailliart). Le maître-mot des traités et thèses de droit colonial est donné : assimilation. Suivant ces ouvrages, trois possibilités s’offraient au droit, à savoir l’assujettissement, l’assimilation ou l’autonomie. L’on parlait aussi d’association comme moyen terme souhaitable20.
18Arthur Girault, un des maîtres du droit colonial, commence son traité en s’interrogeant sur une science ou un art de la colonisation, il essaie de classer différents types de colonies : de plantation, d’exploitation, pénales, de peuplement, militaires ou encore stratégiques comme Aden ou Gibraltar. Il ajoute : « La colonisation romaine a été le type de la colonisation militaire. Ce fut une œuvre politique poursuivie pendant des siècles en vertu d’un plan méthodique. Sur le territoire des peuples vaincus, Rome établissait à demeure une sorte de garnison permanente pour assurer leur obéissance ; c’était en même temps pour elle un moyen de récompenser les vétérans ou de se débarrasser des prolétaires »21.
19Les auteurs plus récents ont-ils continué les comparaisons entre droit romain et droit colonial ? Avec beaucoup plus de prudence que G. Boissier, Eugène Albertini a prononcé, en 1922, une série de conférences sur l’Afrique romaine devant les officiers qui se destinaient au service des Affaires Indigènes, leur expliquant comment les Romains tenaient l’Africa et comment ils l’ont perdue. Pour notre hypothèse de travail, il est important de noter que ces conférences, éditées en 1922, ont été rééditées en 1950, sur l’ordre du Gouverneur général M.E. Naegelen, après que le texte ait été complété et mis à jour par des pages supplémentaires écrites par Louis Leschi, directeur des Antiquités d’Algérie22.
20D’abord, Albertini (comme Boissier) explique que la République romaine, comme la Monarchie de Juillet, s’est bornée à l’occupation restreinte : « le rapprochement s’est imposé à tous ceux qui ont étudié cette période, entre cette attitude du Sénat romain et l’opinion très répandue en France, après 1830, d’après laquelle il fallait se contenter d’empêcher la piraterie des Barbaresques, sans songer à coloniser l’Algérie ». Le paragraphe suivant ne dit pas mais suggère seulement une comparaison entre le parti « populaire » de César et le parti colonial du XIXe siècle, outre la logique militaire de la conquête, dont il fut souvent question sous la IIIe république. « Cependant, la domination romaine va s’étendre, écrit Albertini, d’abord parce qu’il existe à Rome un parti de plus en plus fort de novateurs, qui veulent agrandir la cité romaine et romaniser les régions d’outre-mer : c’est le parti qui finit par triompher et prendre le gouvernement avec César et Auguste ; ensuite parce que la force des choses rend précaire toute domination qui s’accroche à un coin de côte, et détermine une réaction spontanée par laquelle cette domination, si elle ne veut pas disparaître complètement, tend à se répandre, à se couvrir dans un rayon de plus en plus large ».
21Ensuite, Albertini enseignait aux officiers les vertus de l’organisation administrative des Romains : « La souplesse et la plasticité... Cette administration n’a nullement le goût des principes immuables, appliqués mécaniquement à toutes les circonstances ; elle ne cherche pas l’uniformité, elle ne désire pas faire rentrer dans un cadre imposé les gens et les choses. En second lieu, nous avons à constater la part très grande que, dans le fonctionnement du système administratif, Rome, -je parle naturellement pour les deux premiers siècles de l’Empire- a laissé aux indigènes ».
22Décrivant avec soin le système militaire romain, Albertini concluait en insistant sur le recrutement africain de l’armée : « Ce sont les Africains qui ont assuré l’ordre en Afrique, pour le compte de Rome... Songeons aussi, qu’outre les troupes régulières, les Romains ont employé, en Afrique, des contingents irréguliers fournis par les tribus et correspondant à nos goums ». Pourquoi les Romains ont-ils perdu l’Africa ? L’auteur voit trois causes : 1° Insuffisance du territoire conquis, car les Romains n’ont tenu ni le Sahara, ni le sud algérois et oranais : « C’était rendre précaire la possession du Tell, que de le laisser en bordure d’un hinterland inconnu, inexploré, plein de menaces ». 2° Le manque d’éléments immigrés, « il n’y avait pas eu ce mélange, ce brassage d’éléments hétérogènes qui est nécessaire, peut-être, pour qu’une civilisation soit vigoureuse et tenace. La romanisation a conservé, un peu, en Berbérie, le caractère d’un enduit superficiel ». 3° La crise économique, à partir du IIIe siècle, a laissé une trop grande différence entre les conditions de vie du gros propriétaire et celle de l’ouvrier agricole, ne donnant pas à ce dernier l’impression d’une solidarité. L’existence du cultivateur non propriétaire devenant insupportable, celui-ci a voulu « sortir de la société romaine. La voie toute indiquée, c’est le retour à la société indigène, d’où la plupart des pauvres tirent leur origine, c’est l’abandon des mœurs romaines pour l’ancienne sauvagerie, et beaucoup de ces malheureux grossissent les bandes fanatiques des Circoncellions, participant à une « jacquerie »... E. Albertini a écrit ces lignes en 1922. C’est admirable car ce texte fait songer à un Messali Hadj, d’abord ouvrier communiste déçu de ne pas profiter des richesses capitalistes (à Paris...) et qui préfère se tourner vers le fanatisme religieux. N’est-ce pas aussi l’évolution de l’Algérie actuelle où les exclus de la société d’abondance se tournent vers un Islamisme fanatisé ?
23Notons la fine conclusion d’Albertini : « Telles sont les raisons pour lesquelles l’assimilation (encore ce maître-mot !) n’a pas été très durable ; elles se sont manifestées dès qu’il y a eu fléchissement dans le fonctionnement de l’Empire romain, et les Berbères se sont retrouvés à peu près dans l’état préromain de pensée et de coutumes. Et il va sans dire qu’on ne saurait transporter telles quelles et considérer comme valables pour l’Afrique moderne des réflexions provoquées par l’Afrique romaine ; mais il y a lieu, du moins, de ne pas négliger les indications qu’elles contiennent : examinées avec précaution, les expériences romaines peuvent, dans une certaine mesure, guider les nôtres »23.
24Albertini est mort en 1941 ; après lui, nous évoquerons un dernier grand historien, Christian Courtois, disparu en 1956, qui donna un suggestif essai Le passé de l’Algérie – La période antique, dans un bel ouvrage collectif, paru en 1957, Initiation à l’Algérie. Après avoir rappelé les découvertes préhistoriques de 1948 et de 1954 qui montrent que l’Algérie fut habitée il y a un million d’années, C. Courtois écrivait, faisant songer aux événements de l’Aurès de novembre 1954 : « On a oublié l’existence des montagnards dont le rôle n’est pas moins essentiel et qui, en deçà même du limes, n’ont été atteints que très superficiellement par la civilisation romaine. Pour autant qu’on puisse considérer comme définitifs les résultats de l’enquête archéologique, on est frappé par la faible romanisation des grands massifs : l’Ouarsenis, les Kabylies, et même, quoique dans une moindre mesure, l’Aurès… Les insurrections montagnardes ont été de beaucoup les plus graves (en 253-263, en 289-297)… Il n’est que juste d’admirer l’œuvre immense de Rome, mais il ne faut pas oublier pour cela l’envers du décor. Même à la belle époque, les routes sont incertaines, parfois. S’il est vrai qu’en temps normal il ait suffi de 30 000 hommes pour maintenir l’ordre en Africa et qu’on n’y cantonna jamais que la seule légion Tertia Augusta, dont les premiers détachements s’installèrent à Lambèse à l’époque de Titus, il ne l’est pas moins qu’on dut avoir plus d’une fois recours à des forces complémentaires. Ce n’est pas sans raison que les villes de Maurétanie et de Numidie s’entourent si aisément de murailles. Paix romaine ? Sans doute, mais que trouble de temps à autre le remous profond des révoltes. Pourtant, aucune civilisation n’a agi sur ce pays avec une volonté plus tenace et plus ferme. Aucune n’a poursuivi avec une pareille constance son effort d’assimilation. Jusqu’aux abords du désert, les Romains ont imposé la conception de la vie urbaine qui leur paraissait inséparable de la dignité humaine et, dans la solitude qui les environne pour la plupart, les champs de ruines de l’Algérie, Timgad, Djemila, Madaure, dressent leurs pierres mutilées comme autant de témoignages d’une grandeur disparue ».
25À… son tour, C. Courtois, notait le souci monumental et esthétique des Romains, leurs thermes, leurs arcs de triomphe, leurs bibliothèques... Cela montrait combien le latin avait pu s’imposer comme langue courante des villes. Comme Albertini, Courtois insiste sur le fait que les Romains n’ont pas su occuper les Hautes Plaines algéro-oranaises, les laissant aux nomades ; lui aussi observe, en 1956, combien « au fur et à mesure que la grandeur de Rome s’enfonce dans le passé, les forces berbères s’affirment et l’on voit réapparaître, dans le décor de la civilisation chrétienne, des États indigènes identiques à ceux qu’avait connus l’Afrique indépendante préromaine, cet auteur cède aussi au démon de la comparaison, à la façon d’un Gaston Boissier : « Dans les territoires évacués par Dioclétien... Les anciennes curies ressemblent à des djemâa et leurs chefs à des caïds ». À la fin du Ve siècle, il y a des royaumes berbères chrétiens indépendants dans l’Aurès ou l’Ouarsenis, comme par hasard ! Ce sera là que la princesse Kahena résistera aux musulmans, ce sera là que l’administration française aura tant de mal à pénétrer, où, en 1954, avant même les événements, vivaient des hors-la-loi comme Grine Belkacem, devenu ensuite chef de bande F.L.N., pouvons-nous remarquer !24
26Pouvons-nous rapprocher les réflexions des historiens des propos tenus par les politiques ? Le 12 novembre 1954, à l’Assemblée nationale, F. Mitterrand, ministre de l’Intérieur évoque l’Aurès : « immense massif de 7 000 km carrés, région qui n’a pas connu les bienfaits du progrès ni même de la technique et est restée à l’écart des grands courants civilisateurs. Aucun de ceux qui connaissent cette région ne pourra prétendre que la situation actuelle de l’Aurès ait été créée de toutes pièces, pas plus par les émeutiers habiles et discrets que par la négligence supposée des autorités gouvernementales. Il y a là un état de fait. Le hors-la-loi, le criminel, qui échappe aux recherches et se réfugie dans la montagne et la forêt se pare soudainement, pour les besoins d’une cause qui n’est même pas la sienne, de ce faux héroïsme grâce auquel on tente d’exciter les foules qui ne peuvent mesurer exactement les bienfaits de la présence française. C’est ainsi »25.
27Le même jour, le député Amar Naroun, à l’indignation des communistes, cite par deux fois les paroles du Cardinal Tisserand (doyen du Sacré collège) : « les malheurs avaient fondu sur Rome lorsque les mœurs de ses citoyens s’étaient déréglées, lorsque les cadres de ses administrations avaient cessé d’être sûrs »26. Remarquons que, antérieurement, le 26 août 1954, Abdelkader Cadi (député de Batna décédé en 1955) avait dit : « la décadence romaine a commencé au jour où les proconsuls de l’empire ne tinrent plus compte des avis du Sénat de Rome ». Il ajoutait qu’il en était de même en Afrique du Nord, que le Quai d’Orsay, donnant carte blanche aux administrations locales d’Outre-mer, « avait laissé se créer un État dans l’État qui n’hésitait pas à désobéir au pouvoir central ». Il en était résulté, selon A. Cadi, des fautes irréparables en matière de politique tunisienne ou marocaine27. Le 9 juin 1959, Ali Mallem, député de Batna, docteur en droit de la Faculté de Toulouse, insistait (comme ses collègues de 1954) sur la nécessité de l’intégration, d’un octroi de la nationalité française aux Arabes et Berbères d’Algérie. Évoquant l’Aurès, l’arc de triomphe de Trajan à Timgad, il menaçait : « la civilisation romaine est morte et de Rome il ne reste que ruines et poussière ». Il reprochait « à quelques techniciens du droit de concevoir des principes logiques sans contact avec la réalité... fl faut aller vers la population musulmane, lui demander son sentiment et son assentiment »28. À vrai dire, ce point de vue était celui, en 1937, de P.E. Viard, professeur à la Faculté de droit d’Alger : « la seule solution correspondant à un principe juridique de notre droit impérial moderne, conforme à notre génie et donnant pleine satisfaction, est celle que connut Rome jadis : c’est l’accession des habitants de l’empire à la citoyenneté française »29.
II – La place du droit romain dans les premières thèses de droit colonial
28La première thèse de droit colonial a été soutenue en 1886 ; par la suite, nous avons remarqué quarante-et-une thèses, soutenues de 1886 à 189930. Plus haut, nous avons noté que Girault ou Larcher faisaient peu de place au droit romain. À vrai dire, si l’on analyse les trois volumes du Traité de législation algérienne de Larcher, l’on remarque combien le droit français est à ce moment au temps du culte de la loi. Certes, l’époque de l’exégèse est révolue, les auteurs étudient les faits historiques, politiques, économiques et sociaux ; mais, précisément, en ces années de culte scientiste du progrès, les juristes soulignent aussi, souvent, la radicale nouveauté de « la colonisation chez les peuples modernes » pour reprendre le fameux titre de Leroy-Beaulieu. Pour beaucoup, Rome, à cause de l’esclavage, de l’exploitation impitoyable des colonies, ne saurait constituer un modèle. Que l’on oublie Cicéron en Cilicie, Ponce-Pilate en Judée ou, pire, Verrès en Sicile ! En outre l’Antiquité n’a pas connu la révolution industrielle, aussi des thèses sur l’économie du Sénégal, du Soudan et de la Guinée française (Defaucompret, Paris 1898-1899) ou sur les Antilles françaises et leur assimilation à la métropole (Alcindor, Paris 1898-1899), par exemple, ces thèses préfèrent-elles ne rien dire du droit romain. À la vérité, la majorité des thèses optent pour la modernité et ne parlent pas du droit romain, tenu pour inactuel. Rappelons que dès 1888, R. Frary était intervenu lourdement dans la querelle naissante, des humanités, par un essai sur La question du latin : « Nous ne sommes pas des latins mais des Français. Nous vivons surtout des idées qu’ils n’ont pas connues. Leur société reposait sur l’esclavage, la nôtre le proscrit. La religion était chez eux une affaire d’État, nous en faisons un sentiment privé... Ils ignoraient le progrès, nous en faisons presque un dieu »31.
29Surtout, les grands juristes français qui illustrèrent le droit colonial à la Faculté d’Alger ou ailleurs, ne placèrent pas du tout au premier plan le droit romain comme base du droit français. Ils se soucièrent plutôt d’apprendre l’Arabe afin d’étudier le droit musulman. Cette démarche constitua, selon eux, la meilleure façon d’aller vers cette « union des cœurs » que préconisaient les grands ethnologues comme Robert Delavignette ou les grands administrateurs comme Joost Van Vollenhoven (auteur d’une thèse de droit sur le fellah algérien). Peltier, Estoublon, Marcel Morand, Louis Milliot devinrent des maîtres admirables du droit coranique32 et René Maunier prolongea cet effort vers une sociologie coloniale33.
30Cependant, le droit romain avait beaucoup d’importance dans la formation du juriste ; jusqu’en 1895, outre la thèse de droit français, les doctorants soutenaient, suivant l’acception ancienne, une thèse ou dissertation de droit romain, assez abrégée, sur une question plutôt classique et non sur un thème de recherche scientifique.
31« Nos administrateurs, écrit M. Pouyanne, auteur d’une thèse admirable, arrivaient en Algérie avec des idées puisées dans le Digeste ou le Code civil, et qui s’adaptaient mal à l’état de choses existant en matière de propriété foncière, par exemple ». Nous retenons ici treize thèses de droit colonial qui font place au droit romain.
32Pouvait-on employer ce dernier pour rendre compte de la condition des personnes en Algérie ? C’est ce que tenta Paul Bachmann : d’après le senatus-consulte de 1861, l’indigène algérien était sujet français mais il était régi (depuis 1830) par la loi musulmane. « Le droit romain, écrit cet auteur, offre une catégorie de personnes dont la condition peut être comparée à celle de l’indigène ; ce sont les latini colonarii ou mieux les latini veteres. Eux aussi n’avaient pas le droit de cité mais étaient mieux traités que les peregrini. On leur refusait les droits politiques à Rome mais ils les avaient dans leurs municipes. Les droits politiques des indigènes ne sont pas non plus très étendus. Mais les indigènes musulmans ont les droits publics, lesquels ont leur source dans le droit naturel, ils jouissent donc de la liberté individuelle, ne peuvent ni être arrêtés, ni être détenus que dans des cas prévus par les lois françaises, ils ne peuvent ni être expulsés, ni être extradés, ils ont la liberté de conscience, la liberté d’aller et de venir sous réserve de l’obligation légale de passeport suivant le code de l’Indigénat de 1890 »34.
33Traitant aussi de la condition des personnes en Algérie et en pays de Protectorat, Ch. Apchié dit que « les Romains conservèrent l’Afrique six-cents ans sans pouvoir en faire la conquête morale, n’en faisant que la conquête matérielle ». Mais cet auteur s’attache à des comparaisons : il voit chez les Annamites un culte des ancêtres analogue à celui des Romains « qui consiste en offrandes et repas offerts aux morts ; les pouvoirs du père de famille annamite sont analogues à ceux du pater familias romain. Le principe que la famille ne doit pas s’éteindre a engendré un certain nombre de règles analogues au vieux droit quiritaire ». Plus loin, considérant l’Inde française, en dépit du régime des castes, Apchié aperçoit des ressemblances entre gotras et gens, entre chef de famille indien et pater familias, il cite Fustel de Coulanges : « C’est à l’Inde ou aux anciennes institutions ariennes que la Grèce et Rome ont emprunté cette paternité fictive, l’adoption ». De même, la commune annamite n’est-elle pas comparable à la cité antique ? « Chaque commune d’Annam se trouve placée sous la protection d’un ou plusieurs génies auxquels est dédiée la pagode dans laquelle les notables tiennent leurs réunions. Un autel élevé par les soins de la commune est destiné à recevoir les tablettes des ancêtres de chaque famille, tous les habitants peuvent aller faire sur cet autel des sacrifices à leurs aïeux »35.
34À propos de l’histoire de la condition des terres, une idée très répandue au XIXe siècle était que tous les primitifs avaient connu la propriété collective. Avocat à Paris, Henri Dambeza soutint, en 1886, une thèse sur La communauté agraire principalement en Algérie. Élaborant une théorie générale, il montrait que le mouvement général de l’évolution allait du collectivisme à la propriété individuelle. En vérité, ce préjugé théorique a parasité les efforts des juristes français pour comprendre les conceptions agraires des Arabes d’Algérie : les juristes français ont mis longtemps à comprendre que, au-delà d’une opposition entre collectivisme et individualisme, ce qui constituait plutôt la réalité chez les Arabes, c’était l’indivision ! H. Dambeza citait Fustel de Coulanges et une communication de Paul Viollet à l’Académie des sciences en novembre 1879 : « La propriété des primitifs avait une base démocratique. Il n’y avait pas encore d’inégalités sociales ; la terre existait en quantité illimitée, la population était peu dense, l’agriculture extensive, le nomadisme fréquent, il n’y avait donc pas de partages et la communauté était propriétaire du sol. Avec l’essor de la quantité de population et le besoin de la nourrir, l’on fit appel à l’intérêt particulier, d’où une évolution vers la propriété individuelle, avec les allotissements périodiques et provisoires, pour commencer ». Et Dambeza cite Les Germains de Tacite, le Mir russe. Pour lui, la seconde étape de l’individualisme, c’est la propriété familiale de la communauté taisible « ou bien de l’actuelle Serbie »... Selon lui, la suppression de la propriété collective aux colonies était un mal car elle engendrait un prolétariat, une oppression... « Le Socialisme actuel préfère la propriété collective »36.
35A. Bleu, traitant aussi de la condition des terres, avait commencé par s’étonner : « Dans le nord de l’Afrique, les Romains, ce peuple si merveilleusement Colonisateur, n’avaient laissé que peu de traces, quelques ruines sur le sol, aucun vestige dans les institutions ». Cet auteur avait bien remarqué combien, du fait de l’oppression turque, les droits réels avaient en Algérie un caractère précaire et dépendant du bon vouloir des dominants, le Dey d’Alger, le Bey de Constantine. Souvent, les guerres aboutissaient à des razzias. Voulant expliquer cela par un recours au droit romain, A. Bleu parle de « l’occupatio bellica par la razzia. L’ordonnance du 31 octobre 1847 ayant mis sous séquestre les biens de tribus révoltées, il n’y a pas confiscation mais une prise de possession provisoire pouvant devenir définitive. D’après les usages antérieurs à 1830, si le propriétaire recouvrait ses droits réels restitués par le prince, il était censé les avoir toujours conservés, c’était donc une sorte de post-liminium. Par contre, si le séquestre était maintenu, les biens étaient réunis au domaine ». L’auteur ajoute que le séquestre était prononcé par arrêté du Gouverneur général de l’Algérie 1° pour abandon individuel de plus de trois mois sans autorisation, 2° pour abandon en masse équivalent à une révolte. Il rappelle qu’après l’insurrection de 1871 en Kabylie, 300 000 ha de terres furent confisqués sur les tribus révoltées !
36Plus loin, A. Bleu explique qu’en 1830, l’État français « succéda aux droits des souverains barbaresques et devint propriétaire de leurs domaines. L’on a dit que, selon le Coran, l’État français pouvait se dire « propriétaire éminent » de tout le sol algérien, le Coran attribuant au souverain la propriété du pays conquis ». En 1881, dans son Discours de rentrée, l’avocat général Bernard dit : « Les Arabes se considèrent plutôt comme les tenanciers du sol que comme de réels propriétaires, et ils placent au-dessus de leurs droits, mal définis, le dominium eminens du prince ». Le député Burdeau dit : « Le seul et unique propriétaire en Algérie, jusqu’au senatus-consulte de 1863, c’était le beylick (ou gouvernement), propriétaire éminent du sol. Le Coran indique que la terre est à Dieu et au Sultan ». D’autre part, notons, ce qui est bien connu, que la référence à l’Antiquité est aussi un recours facile pour la rhétorique des politiques : c’est ainsi que Dutrone en 1849 compare (avec beaucoup d’excès) la loi du cantonnement à une loi punique refoulant les Arabes au désert ! En fait, le cantonnement visait à fixer les superficies des tribus pour mieux établir l’extension des terres domaniales ; il fut abandonné. Jamais les Arabes n’ont été « repoussés au désert », Dieu merci !37
37En 1894, inversement, la thèse de M. Pouyanne essaie d’expliquer la notion des terres melk par le droit romain : « Dans ce cas, le droit qui appartient au détenteur du sol est à peu près le même que le droit du propriétaire français, donc du dominus romain, mais ceci ne concerne que les terres rapportant un produit » (le droit musulman a un droit particulier des terres mortes, dont la propriété est acquise par celui qui les vivifie). « L’État peut posséder des terres melk (domaine privé) qui peuvent provenir de confiscations, de successions en déshérence ».
38Après, les terres melk, Pouyanne voulait tout naturellement expliquer les terres arch par le droit romain : « Le droit de l’État sur les terres arch se rapprochait fortement du dominium théorique de l’État romain sur le sol provincial. Il serait plus exact de comparer ce droit au droit de la cité sur le sol vectigalien. La cité a, en effet, un droit de surveillance et une actio in rem pour expulser le premier qui ne paie pas. Le droit de l’État beylick est plus accusé que celui de l’État romain, car le beylick avait un droit de surveillance sur la culture qu’il exerçait par l’intermédiaire des caïds et que l’État romain ne s’était jamais attribué. Mais la grande ressemblance de la théorie du sol arch avec celle du sol provincial romain apparaît quand on remarque que la principale prérogative de l’État musulman consiste à percevoir l’impôt foncier (vectigal chez les Romains, Kharadj, Hokkor, gherrama, etc. chez les Arabes) »38.
39D’autres thèses sont consacrées à la notion du Protectorat, usité en Tunisie et en Indochine. En vérité, cette notion vient d’une imitation des pratiques britanniques aux Indes, de la doctrine de lord Canning… Mais Maurice Duhamel préfère se demander si cette institution ne vient pas des Romains, avant de conclure : « C’est une création toute moderne et artificielle répondant à un but et à des besoins nouveaux ». L’origine n’est donc pas dans ces traités imposés par Rome à des peuples clients et alliés avec la clause « Ut majestatem populi romani comiter servaret »39.
40Du même avis que M. Duhamel, Marcel Hachenburger se demande s’il faut faire une théorie générale du Protectorat : « Les Protectorats ont peu de règles communes, car ils sont issus de conséquences particulières ; une théorie générale serait nuisible, car elle tracerait des cadres rigides à la politique des États ». Peut-on rechercher, se demande cet auteur, « un principe fondamental du Protectorat ? Est-ce une fédération inégale ? N’est-ce pas le cas de la France, de la Tunisie et de l’Indochine, car la souveraineté de ces deux derniers États est déléguée à l’État protecteur qui a la souveraineté externe ? »… Cet auteur se demande si le droit romain n’explique pas le Protectorat à l’aide de la capitis minutio ; il cite Ortolan et Labbé, les Institutes : « L’individu voit s’éteindre en lui la personnalité civile dont il était doué ; il meurt au point de vue du droit, au regard de la loi positive, sauf à renaître dans une autre position, cité, famille »... Plus loin, Hachenburger préfère dire qu’il « règne une certaine équivoque, au point de vue juridique, en ce que les territoires des Protectorats ne sont ni des colonies, ni des pays étrangers »40.
41Une troisième thèse sur le Protectorat nous aide encore à bien comprendre combien le droit romain, en matière coloniale, n’est utilisé qu’à titre analogique ou de comparaison, tant la dimension historique est grande, tant est considérable la conviction que les juristes, en cette époque de progrès et de scientisme, sont appelés à innover et à inventer... Cela n’empêche pas H. Gairal de faire une longue introduction historique sur les Protectorats de l’Antiquité : « Le Protectorat de notre époque se distingue sans doute profondément du foedus iniquum des Romains ; les deux institutions sont séparées plus encore par une profonde différence de civilisation, de mœurs, de droit des gens que par l’intervalle de vingt siècles. Et cependant, il existe entre elles d’évidentes analogies qui tiennent à certaines similitudes dans les besoins auxquels elles avaient à répondre... Cette situation a sa physiologie, sa rationalité, ses lois »41.
42Pouvons-nous placer à côté de cette thèse celle d’Albert Duchêne (futur directeur au ministère des Colonies) consacrée au régime législatif des colonies ? Évoquant les Protectorats et le statut coranique ou personnel des indigènes, cet auteur voit « une analogie avec la situation des Gallo-romains vis-à-vis des conquérants germaniques. Le principe de la personnalité des lois retrouve ici son application, à cause du contact entre des législations opposées, ce qui fait penser aux conflits de lois du droit international privé »42.
43Nous mettons à part deux thèses consacrées aux esclaves aux colonies, qui invoquent aussi le droit romain de l’esclavage. L’esclave est-il une chose ou une personne ? Le droit français peut-il considérer l’esclavage autrement que pour l’abolir, étant, quant à lui, un droit de liberté de la personne humaine ? Paul Trayer, qui fut rédacteur à la division des Archives du Ministère de la marine, a voulu « étudier les transformations que les doctrines romaines avaient pu subir en passant à une société toute nouvelle, celle des planteurs et des nègres ». L’auteur constate que les sources du droit français en matière d’esclavage aux îles sont nombreuses et mal connues ; malgré les traités de Petit (1777), Saint-Hilaire (1832) qui utilise Moreau de Saint-Méry (1785). À beaucoup d’égards, l’esclave noir est devenu une personne car, le Code noir par exemple (mais aussi d’autres textes) dit que l’enfant d’esclave doit être baptisé, que les Noirs doivent faire des prières et aller à la messe, ne pas travailler le dimanche. L’esclave a le droit au mariage avec autorisation du maître, analogue à celle du père selon l’ordonnance de Blois, dit le Code noir. Le maître ne peut obliger au mariage ni séparer une famille. Si un esclave est vendu, les siens doivent le suivre. À la différence du droit romain, en cas d’affranchissement, l’esclave ne doit pas prendre le nom du maître blanc : « Il ne faut pas détruire la barrière que la sagesse, l’opinion et le gouvernement ont dressée » rapporte P. Trayer. Il ajoute que, en vertu de l’art. 29 du Code noir, l’esclave peut faire du commerce pour le compte du maître et se constituer un pécule. Le Code noir a été bien étudié par les historiens. Notons seulement ici l’opinion d’une thèse de 1887 : « Ce pécule est analogue a celui du droit romain. Mais les Romains étaient plus policés que les gens de nos colonies. Le droit romain est inapplicable et non appliqué aux îles et cet article 29 a été rédigé par un juriste de France heureux de pouvoir appliquer les règles romaines, lequel négligea de s’informer si elles étaient utiles »43.
44Ed. C. André a écrit une thèse très intéressante sur la condition de l’esclave à Madagascar et sur l’abolition de l’esclavage par les Français, dont il fut témoin, en tant qu’aide-commissaire des colonies. Il écrit : « Nous avons confondu l’esclavage malgache avec celui de l’Afrique où il y a la Traite. Notre dégoût a visé les excès des colonies sucrières au XIXe siècle ; les caractères bienfaisants de l’esclavage antique et patriarcal s’éclipsent dans l’ombre. L’esclavage peut être excellent (sans la traite), obligatoire à la vie d’un peuple dans une période donnée et fonctionner naturellement et sans abus ». Cette thèse montre que la condition de certains esclaves malgaches, comme les colporteurs, était plutôt douce, que ces esclaves n’étaient pas maltraités, menaient une existence assez libre, travaillant beaucoup moins qu’un salarié, plus tard, obligé de faire de gros efforts pour mériter le salaire de son patron devenu plus exigeant que le maître ! Ed. C. André dit que l’esclavage que connut l’Antiquité ne doit pas être comparé à celui de la Grande île, « ce serait une erreur grossière », mais il dit aussi que les coutumes malgaches sont identiques au droit de Justinien sur certains points : « Nascuntur ex ancillis nostris ». Une femme libre malgache ayant une relation avec un esclave était déchue de sa caste et devenait esclave, le pire emportait le bon. En 1896, la naissance était la principale source d’esclavage, mais les lois de l’Imérina connaissaient aussi l’esclavage pour dettes et pour désobéissance grave à une loi du Roi. La réduction en esclavage pour dettes provenait de la passion du jeu ! En outre, Ed. C. André compare l’affranchissement verbal malgache à la manumissio romaine : il se faisait par déclaration solennelle devant le Fokon’lona ou assemblée des hommes libres du village44.
45Pour conclure, nous citerons deux thèses dont le sujet est assez général : E. Démaret (Une fédération de la France et de ses colonies, Toulouse 1898-1899) et H. Comby (Population et colonies, Rennes 1897-1898). Ces deux thèses évoquent la civilisation romaine de façon adjacente ; Démaret cite beaucoup Proudhon, mais il dit que, pour comprendre la monarchie en Annam, où le roi est aussi grand-prêtre et père de famille du peuple, il faut comparer L’Annam à l’ancienne Rome ; et il cite, lui aussi, Fustel de Coulanges. « Dans ces deux pays, écrit-il, le chef de famille est tout ensemble administrateur, prêtre, juge, car les lois découlent de la religion qui est fondée sur le culte des ancêtres. Tout Romain et tout Annamite sont préoccupés de laisser une descendance mâle qui rende honneur aux ancêtres. Le chef de famille juge aussi les litiges entre parents, le droit de vie et de mort sur un enfant insubordonné. Le droit annamite dédaigne l’individu pour ne se soucier que de la famille, de la commune, afin de maintenir l’obéissance au roi, chef de la grande famille que constitue la nation. Plus loin, Démaret croit que les djemâa kabyles (assemblées de village) sont plutôt comparables aux Landsgemeinden suisses : « Pays de montagnes comme la Suisse, la Kabylie offre en effet plus d’une analogie avec la contrée helvétique ». Voilà qui est étonnant !
46S’inquiétant de la dénatalité française, H. Comby rappelle : « La dépopulation est un mal qui fit mourir l’ancienne société romaine... Rome promulgua ses lois caducaires pour développer sa population, Montesquieu pense qu’elles ont prolongé de quatre siècles l’empire romain mais Victor Duruy a expliqué comment les Romains perdirent peu à peu le lien moral et l’âme de leur patrie ». Comby conclut en se tournant non vers le droit romain mais vers l’avenir, « la république du travail, où les ouvriers prendront de plus en plus la direction de leurs destinées »45.
47Les thèses de droit colonial sont donc bien résolument tournées vers l’avenir, l’invention, l’innovation engendrée par le progrès, qui fera naître des formes politiques nouvelles, inconnues des Romains : en effet, l’avenir sera fondé sur la justice sociale (qui n’était pas une vertu des Romains), l’avenir sera fondé sur les découvertes scientifiques et technologiques (la vapeur, l’avion, le téléphone), sur la rationalité et le laïcisme et non sur un retour au spirituel et à la religion, sur la liberté et la démocratie tandis que les Romains connurent le régime impérial et l’oligarchie... Rome n’est plus un modèle politique comme en 1789-1805, ce temps des Toges au pouvoir qu’étudia J. Bouineau (éd. Toulouse, 1986). En somme nous apercevons un contraste entre la vue des juristes, pour qui le droit romain n’a plus qu’une dimension historique et scolaire, et d’autre part les archéologues, historiens voire penseurs spécialistes de l’Algérie pour qui la civilisation de Rome est douée d’une présence et d’un rayonnement posthume...
Notes de bas de page
1 Voir par ex. ROZET (G.), Les ruines romaines et les Hauts-Plateaux, Paris 1930, p. 17 à 30 avec les photographies sépia, « cet immense musée de plein air qu’est l’Afrique du Nord »… Il s’agit d’une publication du Centenaire de l’Algérie.
2 Géologue, R. Laffitte fut le dernier doyen de la Faculté des sciences d’Alger en 1962. Voir C’était l’Algérie, Alfortville 1994, p. 177 et s., BASTIER (J.), « Nostalgie de l’Algérie (à propos du livre de R. Laffitte, C’était l’Algérie) », Lecture et tradition, janvier-février 1997, p. 40-46.
3 GAUTIER (E. F.), « L’Algérie d’aujourd’hui et de demain », conférence prononcée en 1929, recueil des conférences de la Soc. des anciens élèves de l’École libre des Sciences po., intitulé Une œuvre française, l’Algérie, Paris 1929, p. 276.
4 Journaliste au Temps puis directeur de [’Agriculture en Tunisie en 1890, Paul Bourde était hanté par ces forêts romaines d’Afrique dont parlent les anciens textes latins et arabes. Il découvrit les ruines de moulins à huile et des souches antiques d’oliviers, alignées... C’est ainsi qu’il créa la célèbre olivette de Sfax, voir CAMBON (H.), Histoire de la Régence de Tunis, Paris 1948, p. 198-199.
5 G. Drouhin, directeur de l’hydraulique en Algérie, créa un Bureau des Recherches romaines pour la prospection systématique des vestiges de drains et de canalisations romains. En 1961, ce service, associé à celui des Antiquités, publia Aquae romanae de BIREBENT (J.), ouvrage étudiant toutes les installations hydrauliques romaines de l’Est algérien, voir JANON-ROSSIER (C.), Ces maudits colons, cent-trente-deux années d’économie française en Algérie, (il s’agit d’une thèse), Paris 1966, p. 46-47.
6 DINFREVILLE (J.), L’effervescent maréchal de Saint-Arnaud, Algérie 1840-Algérie 1960, Paris, 1960, p. 15, cite l’étonnante correspondance de Saint-Arnaud.
7 « […] Comme si, par la magie des mots, au-delà des siècles, la force des légionnaires romains qui avaient franchi ces défilés devait nous venir en aide », SERVIER (J.), Dans l’Aurès sur les pas des rebelles, Paris 1955, p. 19. Ce livre est, en fait, un bel ouvrage d’ethnologie berbère, en dépit de son titre !
8 Ce travail continue notre effort commencé dans « Idées politiques et droit colonial d’après les premières thèses de droit colonial (1886-1899) », dans Pensée politique et Droit, A.F.H.I.P., coll. d’hist. des idées pol. dir. par GANZIN (M.), Aix 1998, p. 451-479.
9 Ouvrage cité supra, préface, p. VII.
10 Mgr A. Pons était protonotaire apostolique à Carthage, La nouvelle église d’Afrique ou le catholicisme en Algérie, en Tunisie et au Maroc, Tunis 1930, p. 19-20. En 1939, le congrès eucharistique eut lieu à Alger, sous la présidence du cardinal Verdier : des enfants (en procession) défilèrent en costumes de martyrs romains. Voir l’illustration.
11 AYNARD (R.), L’œuvre française en Algérie, préface de M.C. Jonnart, ancien gouverneur, Paris 1912, p. 355-358. En 1913, Anatole France publia dans l’Illustration un article enthousiaste sur la colonisation de l’Algérie, au retour d’un voyage...
12 FOUCAULT (A.), L’Algérie, fille de France, Paris 1935, p. 35-41 ; il s’agit d’une enquête sur la colonisation, bien documentée, suscitée par Amédée Froger, maire de Boufarik.
13 TAILLIART (Ch.), (vice-recteur de l’Acad. d’Alger), L’Algérie dans la littérature française, Paris 1925, p. 161-176.
14 Voir CAGNAT, L’Armée romaine…, p. 52 et s., GSELL, L’Algérie dans d’Antiquité…, p. 144-145.
15 Voir le chap. sur G. Boissier dans RICORD (M.), Au service de l’empire, Paris 1946, p. 77 et s.
16 BOISSIER (G.), L’Afrique romaine, promenades archéologiques en Algérie et en Tunisie, Paris 1895, rééd. 1912, pp. 87, 89, 105-106, 212-220, 314-315, 358-360.
17 Voir BOISSIER (G.), ouvr. cité, p. 171, GSELL, L’Algérie dans l’Antiquité…, p. 52.
18 GSELL, L’Algérie dans l’Antiquité…, p. 53.
19 MONCEAUX (P.), Les Africains, Étude sur la littérature latine d’Afrique, Les Païens, p. 39, la comparaison est reprise dans l’intéressant essai de WAHLM (Maurice), L’Algérie, Paris 1903, p. 73-75.
20 Voir les commentaires de TAILLIART, ouvr. cité, p. 167 et s.
21 GIRAULT (A.), (doyen de la Fac. de droit de Poitiers), Principes de colonisation et de législation coloniale, t. 1, Paris, 5e éd., 1927 (la 1ère est de 1894), p. 12 et s. Notons que LARCHER (Émile), Traité de législation algérienne, 3e éd. par Georges RECTENWALD, Paris, 1923, t. 1, p. 45, (Larcher est mort en 1918), ne commence l’étude de l’Algérie qu’en 1830, évoquant, en deux pages, les établissements à partir du XVIe siècle, comme à la Calle.
22 ALBERTINI (E.), de l’Institut, L’Afrique romaine, Alger 1950, avec des photographies. Les livres de cette superbe collection, sur papier glacé, seraient tous à citer et à analyser ! Citons COURTOIS (C.) (mort prématurément), Timgad, antique Thamugadi, Alger 1951.
23 ALBERTINI (E.), ouvr. cité, p. 8, 16, 27, 40, 108-111.
24 GROS ouvr. coll. (dix-huit auteurs) édité par la Librairie d’Amérique et d’Orient. Voir p. 52-69 ; l’auteur conclut comme Boissier et les autres : « Cette histoire n’est pas dépourvue d’une sorte de logique interne. À travers les siècles, on constate que le comportement des indigènes y demeure d’une surprenante fixité […] Le Berbère possède une aptitude particulière à l’adaptation comme à l’oubli. Il accueille avec une remarquable docilité les civilisations diverses qui s’offrent successivement à lui. Mais chaque conquérant le retrouve identique à lui-même et déjà préparé aux nouveaux abandons ». Plus proche de nous, l’on comparera avec les superbes pages de LE BOHEC (Y.) (spécialiste de la IIIa Augusta !) dans L’Armée romaine, Paris 1989, p. 247-268.
25 Journal officiel (J.O.), Assemblée Nationale (A.N.), débats, 12 novembre 1954, p. 4966-4969.
26 J.O., A.N., débats, 12 novembre 1954, p. 4965-4966.
27 J.O., A.N., débats, 26 août 1954, p. 4285-4287.
28 J.O., A.N., débats, 9 juin 1959, p. 832-835.
29 VIARD (P.E.), Les droits politiques des indigènes d’Algérie, Paris, Sirey, 1937, p. 11.
30 Voir notre article cité à la note supra.
31 Voir BASTIER (J.), « La querelle des humanités gréco-latines et la politique de l’éducation de Léon Bérard (1921-1924) », dans L’influence de d’Antiquité sur la pensée politique européenne aux XVIe-XXe siècles, sous la dir. de GANZIN (M.), A.F.H.I.P., Aix 1996, p. 499-540.
32 Voir MILLIOT (L.), « La science européenne du droit musulman », dans Revue juridique et politique de l’Union française, avril-juin 1947 ; MORAND (Marcel), Introduction à l’étude du droit musulman algérien, Alger 1921.
33 MAUNIER (R.), Sociologie coloniale, Introduction à l’étude du contact des races, Paris 1932. Voir p. 179 et s., 191 et s., des comparaisons avec l’Antiquité en matière de politique d’exogamie, en matière de primauté de l’ascendance paternelle, à la façon des Romains, en faveur des métis...
34 BACHMANN (P.), avocat à la Cour d’appel d’Alger, De la condition des personnes en Algérie, Nancy 1894 ; l’on ne soutenait pas encore de thèses à Alger. Cet auteur fit sa thèse romaine sur La cession de biens en droit romain ; voir sa thèse de droit français p. 61-63.
35 APCHIE (Ch.), avocat, De la condition juridique des indigènes en Algérie et pays de protectorat, Paris 1898-1899, sous la présidence d’Estoublon, p. 14 et s., 164-165, 265 et s., préconise une assimilation complète des indigènes à la civilisation française « lentement et sans froissement, par une propagande morale »...
36 1 DAMBEZA (J.H.), Étude sur la communauté agraire principalement en Algérie, Paris 1886, p. 86-88, 91 ; cet étudiant a fait sa thèse de droit romain sur Les intérêts qui dépassent le taux légal.
37 BLEU (A.), avocat à la Cour de Paris, La propriété des colons en Algérie, Paris 1894, p. 3, 14, 16, 87, thèse de droit romain sur La propriété dans les provinces.
38 POUYANNE (M.), lauréat de l’École de droit d’Alger, commença comme juge de paix suppléant à El Milia, termina sa carrière comme Président de chambre à la Cour d’Alger, sa thèse (415 p.) est un classique : La propriété foncière en Algérie, voir p. 4, 23, 149, thèse de droit romain sur La propriété des fonds provinciaux. Insistons sur le fait que ces auteurs, dans leur thèse de droit français, ne se livrent pas à des rapprochements appuyés avec leur sujet de thèse de droit romain. Cette démarche est significative du fait que le droit romain n’est plus qu’une discipline scolaire. En outre, le regretté Paul Ourliac, notre maître, nous faisait remarquer combien beaucoup de romanistes français avaient été des pandectistes peu sensibles aux apports des découvertes archéologiques, alors que celles-ci étaient appréciées à l’École française de Rome.
39 DUHAMEL (M.), Les pays de protectorat, Caen 1891, p. 31, 33, thèse romaine sur La Potestas censoria.
40 HACHENBURGER (M.), rédacteur à la préfecture de la Seine, De la nature juridique du Protectorat et de quelques-unes de ses conséquences en matière pénale, Paris 1895-96, p. 5, 10, 43, 92-93.
41 GAIRAL (H.), Le Protectorat international, Dijon 1895-96, p. 2-27, retrace en détail l’histoire du Protectorat à Rome.
42 DUCHENE (A.), Du régime législatif des colonies, Paris 1893, p. 78, thèse romaine sur Les origines de l’hypothèque.
43 TRAYER (P.), De la condition légale des esclaves dans les colonies françaises, Paris 1887, p. 1 et s., 37, cet auteur indique que, dans les îles, il y avait souvent affranchissement en échange d’un capital versé par l’esclave à son maître lequel acceptait avec empressement tant il était écœuré par la paresse et la mauvaise volonté de son esclave à travailler ! Thèse romaine sur La condition en matière d’affranchissement.
44 ANDRÉ (Ed. C.), De la condition de l’esclave dans la société malgache avant l’occupation française et de l’abolition de l’esclavage, Aix 1898-99, p. 3, 7, 21, 72, 78, 98, 115.
45 DEMARET (E.), ouvr. cité, p. 74 et s. ; COMBY (H.), ouvr. cité, p. 39, 44-48.
Auteur
Professeur à l’Université des sciences sociales de Toulouse
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Les Facultés de droit de province au xixe siècle. Tome 1
Bilan et perspectives de la recherche
Philippe Nélidoff (dir.)
2009
Les Facultés de droit de province au xixe siècle. Tome 2
Bilan et perspectives de la recherche
Philippe Nélidoff (dir.)
2011
Les désunions de la magistrature
(xixe-xxe siècles)
Jacques Krynen et Jean-Christophe Gaven (dir.)
2012
La justice dans les cités épiscopales
Du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime
Béatrice Fourniel (dir.)
2014
Des patrimoines et des normes
(Formation, pratique et perspectives)
Florent Garnier et Philippe Delvit (dir.)
2015
La mystique déracinée. Drame (moderne) de la théologie et de la philosophie chrétiennes (xiiie-xxe siècle)
Jean Krynen
2016
Les décisionnaires et la coutume
Contribution à la fabrique de la norme
Géraldine Cazals et Florent Garnier (dir.)
2017
Ceux de la Faculté
Des juristes toulousains dans la Grande Guerre
Olivier Devaux et Florent Garnier (dir.)
2017