La "commission départementale" de la Haute-Garonne et les républicains en 1852
p. 149-178
Texte intégral
1Le Coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1852, quoique organisé avec soin et soutenu par une force armée bien encadrée, avait suscité de multiples résistances. À Paris, les soulèvements populaires appuyés sur des barricades, seront durement réprimés les 4 et 5 décembre (plus de six cents morts). En province, les républicains "avancés" et les socialistes se soulèvent. L’état de siège est proclamé dans trente deux départements1.
2Dans la Haute-Garonne, le sang n’a pas coulé, et l’expression “une opération de police un peu rude” peut convenir, du point de vue de l’Autorit2. Deux préfets de combat, Maupas (mars à novembre 1851) puis Pietri ont mené la vie dure aux républicains : procès de presse, visites domiciliaires, révocations de maires et autres fonctionnaires. À l’annonce des événements de Paris, Pietri prend ses précautions, de concert avec le commandant de la 18e division militaire. Les troupes sont consignées, les effectifs de garde doublés, le Capitole, siège de la municipalité, gardé par la troupe . Vers 10 heures, une délégation se présente à la préfecture pour protester. Le préfet ne fait entrer que Roquelaine, ancien maire. « Bientôt après, témoignera le commissaire central de police, M. Roquelaine, sortit et le groupe qui l’avait accompagné se retira. Cette démonstration se passa assez pacifiquement ». Selon la tradition républicaine, le préfet aurait posé un pistolet sur son bureau, et menacé de s’en servir. Dès le matin du 3 décembre, des groupes parcourent les rues. Les républicains se concertent sur la conduite à tenir. Une proclamation énergique est rédigée par les chefs républicains, publiée par L’Émancipation et La Civilisation (socialiste) avec l’adhésion d’une soixantaine de citoyens. Elle appelle à refuser l’obéissance à l’usurpateur, déchu du fait même de l’attentat qu’il a commis contre les représentants du peuple et la Constitution, par application de l’article 68 de cette dernière3. De son côté, Pietri à fait afficher le contenu d’une dépêche énergique du gouvernement, complétée par une menace : « les mesures (…) les plus vigoureuses sont prises de concert avec M. le Général commandant la division pour le maintien de l’ordre et vous pouvez être assuré que nous ne faillirons pas à cette mission (…). Si des tentatives criminelles venaient à se manifester, ralliez-vous à l’Autorité et à l’Armée pour les réprimer avec la plus grande promptitude ».
3Des groupes convergent vers le Capitole. Vers deux heures, selon le récit, sommaire et prudent du Journal de Toulouse « quelques chefs de parti démocratique avancé ont débouché par la rue de la Pomme et se sont présentés à l’Hôtel de Ville dont l’accès a été interdit par la troupe ». Les manifestants flottent, incertains. Selon la police, les plus “avancés” tentent de convaincre leurs troupes de donner l’assaut. Un capitaine, aide de camp du général, traverse l’attroupement à cheval. Des pierres sont lancées contre lui, un coup de pistolet, qui ne l’atteint pas, est tiré par derrière. Attentat ou provocation ? Il peut se réfugier dans la cour de l’Hôtel de Ville. On jette des pierres contre les portes. La police arrête les manifestants les plus déterminés. Les autorités font dégager la place par des charges de cavalerie, après sommations. Le soir tombe. Les rues se vident. La résistance organisée a cessé. La répression a déjà commencé.
I – Arrestation et enquêtes
4Dès ce 3 décembre, la cour d’appel, sur réquisition du procureur général, a retenu comme manifestation d’un complot « ayant pour but d’armer les citoyens les uns contre les autres » la proclamation imprimée et distribuée à la foule ce même jour, en se fondant sur la loi du 15 août 1849, et l’article 91 du Code pénal. La qualification était très grave, ce crime étant puni de mort (remplacé en matière politique par la détention à vie). Dès l’après-midi et la soirée de ce 3 décembre, la police, à Toulouse, procède à 38 arrestations, soit au cours des manifestations, soit à domicile. Dans les jours qui suivent, les deux conseillers chargés par la Cour de l’instruction et les juges d’instruction des tribunaux d’arrondissement délivrent des mandats d’amener et des mandats d’arrêt, que les gendarmes exécutent (plus d’une centaine en décembre 1851 et janvier 1852). Les républicains les plus compromis (ou les plus prudents) se cachent. Les journaux d’opposition (de droite et de gauche) sont suspendus. Les prisons se remplissent.
5Dans ces circonstances si défavorables, les républicains encore en liberté tentent au moins de correspondre pour porter des bulletins non à la consultation plébiscitaire des 20 et 21 décembre et expliquer aux populations l’enjeu du scrutin. Non sans risque, car les déplacements et rencontres sont surveillés, les réunions interdites. Les porteurs de missives sont arrêtés tandis que les autorités font de leur mieux pour faire voter oui.
6En décembre et janvier, les dossiers se gonflent : récits des commissaires et agents de police entendus comme témoins, auditions des prévenus eux-mêmes, qui nient autant qu’ils le peuvent : ils ont été sur la place du Capitole, mais pour venir aux nouvelles. Le cafetier ne sait pas qui est venu chez lui, ni ce qui a été dit. Quant aux armes trouvées sur quelques-uns, elles ne leur appartiennent pas. Armand Duportal nie avoir harangué la foule. Ceux auxquels on reproche d’avoir outragé en public le président de la République (une canaille, un brigand, un voleur) nient avoir tenu ces propos. Il n’y a ni société secrète, ni concertation.
7Quant au gouvernement, vainqueur de la rue, débarrassé de ses adversaires, légitimé par l’écrasante majorité du 21 décembre, rejoint par les protestations de fidélité et les Te Deum, il doit régler le sort de quelques vingt sept mille prisonniers sur l’ensemble du territoire. Dans les départements où l’état de siège a été proclamé, les conseils de guerre poursuivent et condamnent. Ailleurs, le renvoi de tant de prévenus devant les juridictions de droit commun aurait entraîné des mois et des mois de procès, et les risques d’acquittement en série qui avaient si souvent ridiculisé la répression politique durant la Monarchie de Juillet. Le gouvernement pouvait redouter aussi qu’en procès public, les avocats, forts de leur traditionnelle liberté de parole, ne manquent point de proclamer que les “compromis” n’étaient que des défenseurs malheureux de la légalité, que le Prince-Président avait ouvertement violée.
8Une autre voie sera choisie par le gouvernement du PrincePrésident, celle des "commissions départementales" ou "commissions mixtes". La circulaire conjointe des trois ministres de la Justice (Abatucci), de la Guerre (Saint-Arnaud), de l’Intérieur (Persigny), datée du 3 février 1852 exprime clairement les desseins du gouvernement. « Animé du désir de mettre un terme aux difficultés qu’on fait naître les nombreuses arrestations opérées à la suite des derniers troubles, et de voir la société délivrée des pernicieux éléments qui menaçaient de la dissoudre, le gouvernement veut qu’il soit statué dans les plus brefs délais possibles sur le sort de tous les individus compromis dans les mouvements insurrectionnels ou les tentatives de désordre qui ont eu lieu depuis le 2 décembre ».
9Après l’exécution d’une circulaire du 29 janvier du ministre de l’Intérieur, donnant « l’ordre à tous les préfets de faire mettre sur le champ en liberté tous ceux des détenus qu’ils jugeaient avoir été seulement égarés et pouvoir être relaxés sans danger pour la paix publique, il restera dans les prisons un certain nombre d’individus plus ou moins compromis, à l’égard desquels il convient également de prendre une prompte détermination ».
10« Le gouvernement a pensé que pour concilier à la fois les intérêts de la justice, de la sûreté générale et de l’humanité, il ne pouvait mieux faire que de conférer dans chaque département, le jugement de ces inculpés à une sorte de tribunal mixte, composé de fonctionnaires des différents ordres, assez rapprochés des lieux où les faits se sont passés pour en appréhender le véritable caractère, assez haut placés dans la hiérarchie pour comprendre l’importance d’une semblable mission, en accepter résolument la responsabilité et offrir à la société comme aux particuliers, toutes garanties de compétence et d’impartialité ». Afin de laisser à ces commissions départementales une entière liberté d’appréciation, « toutes les autorités judiciaires, administratives ou militaires qui sont pu jusqu’ici être chargées d’informer sur les derniers événements (…) sont dès à présent dessaisies et doivent cesser leurs opérations. Toutes les pièces recueillies par les diverses autorités doivent être envoyées à la préfecture, et mises à la disposition de la commission ».
11Chaque commission se compose du préfet du département, du procureur général (ou du procureur de la République s’il n’y a pas de cour d’appel), du général commandant la division (ou du commandant militaire si le chef-lieu du département n’est pas siège de division militaire).
12« La commission ainsi composée se réunira à l’Hôtel de la préfecture. Elle compulsera tous les documents qui auront été mis à sa disposition soit par les parquets, soit par les commissions militaires, soit par les administrations civiles, et après un mûr examen, elle prendra à l’égard de chaque inculpé une décision qui sera transcrite sur ce registre avec les motifs à l’appui et signée de trois membres ». La commission peut décider d’un supplément d’information, à condition d’agir avec célérité. « Les mesures qui pourront être appliquées suivant le degré de culpabilité, les antécédents politiques et privés, la position des familles des inculpés sont [par ordre de gravité décroissant] : le renvoi devant les conseils de guerre, le transport à Cayenne, le transport en Algérie, avec deux classes exprimées par les mots : plus ou moins (plus, détention en établissement pénitentiaire, moins, simple résidence), l’expulsion (définitive) de France, l’éloignement momentané du territoire, l’internement (c’est-à-dire l’obligation de résider dans une localité déterminée), le renvoi en police correctionnelle, la mise sous surveillance du ministre de la Police Générale, la mise en liberté ».
13Chaque commission départementale doit, après avoir achevé ses délibérations, adresser à chacun des trois ministres un état, contenant, pour chaque inculpé, nom et prénom, lieu de naissance et domicile, décision prise à son égard, avec dans une colonne “observation” un résumé de la délibération comportant les motifs qui ont déterminé la commission à placer l’inculpé dans une catégorie, le tout afin que le gouvernement puisse juger de l’adéquation des condamnations.
14La circulaire s’achève par des recommandations aux membres nommés dans ces commissions : « Ces fonctionnaires ont à se pénétrer à la double pensée qui les a dictées : accord entre les autorités pour concourir à une grande mesure de justice et de sûreté générale, célérité dans les décisions à prendre afin de faire cesser au plus tôt une situation qui ne peut se prolonger davantage ». Le gouvernement compte « assez sur la haute intelligence et le dévouement des membres qui composent les commissions pour être convaincu qu’ils marchent ensemble dans une parfaite entente et avec toute l’autorité dont ils sont capables vers le but qu’il s’agit d’atteindre dans le plus court délai. Le gouvernement désire que tout le travail soit terminé et le sort des inculpés fixé au plus tard à la fin du mois de février ».
15La préfecture de la Haute-Garonne a réuni l’ensemble des documents relatifs à ces “événements” de décembre 1851 : notes de police, lettres de détenus et de leurs familles, procès-verbaux d’enquêtes et d’interrogatoires. C’est au vu de ces pièces que la commission prendra ses arrêtés. Ces documents, pour nous, permettent de suivre le cheminement des actions des républicains, et des réactions des autorités.
16L’action des républicains de Saint-Gaudens et de ses environs n’a pas dépassé le stade des conciliabules. On peut les reconstituer à partir des informations recueillies par les autorités, et transmises par le sous-préfet de Saint-Gaudens à son supérieur, le préfet de la Haute-Garonne : Louis Gazave de Labarthe-de-Rivière, a été chargé par les chefs républicains de Saint-Gaudens de convoquer secrètement les fidèles (ou supposés tels) ; parti de Saint-Gaudens dans la matinée du 4 décembre, il se rend successivement à Ardiège, Cier-de-Rivière, Barbazan (où le maire quitte son travail, revient des champs pour gagner Saint-Gaudens), Loure-Barousse, Labroquère, Huos et rentre à Saint-Gaudens par Montréjeau (soit une course d’au moins trente kilomètres). Les individus rencontrés, qualifiés de “chefs du parti démagogique dans ces diverses localités” se rencontrent à Saint-Gaudens, au Café Saturnin dans l’après-midi de ce 4 décembre, et délibèrent sous la présidence de Pégot-Ogier sur la conduite à tenir. Les uns proposent d’attaquer la sous-préfecture et de s’en rendre maîtres ; mais la majorité des participants préfèrent la prudence : attendre les nouvelles d’un commencement d’insurrection à Toulouse. Ce mouvement ayant déjà échoué le 3 décembre, les républicains restent chez eux. Gazave a soutenu qu’il n’a rien fait : on a pris quelqu’un d’autre pour lui.
17Toutefois, le plébiscite prévu pour les 20-21 décembre incite les plus déterminés à tenter au moins de multiplier les votes négatifs. Mais la police surveille : le sous-préfet a appris que le sieur Mariande distribue des bulletins négatifs (colportage interdit par le préfet dans son arrêté du 17 décembre) il les fait saisir avec une lettre du prévenu ainsi appréciée : « En outre de ce qu’elle recommande de faire voter, de répandre dans tous les sens les dits bulletins, elle transmet le mot d’ordre, elle exprime les espérances et les vœux du parti démagogique… Le mot d’ordre, les bulletins, la propagande et la persévérance recommandées sont autant de manœuvres… Il est urgent de les empêcher ». À la demande du sous-préfet, le procureur de la République ordonne l’arrestation de ce « chef du parti démagogique » et une perquisition à son domicile.
18Le 6 janvier, le sous-préfet adresse à son supérieur le relevé des cinq arrestations réalisées (dont un propriétaire, un négociant, trois ouvriers imprimeurs) et aussi de sept personnes en fuite, les uns et les autres prévenus de complot. Trois personnes arrêtées sous ce chef ont été relaxées. Trois autres ont été écrouées à la maison d’arrêt de Saint-Gaudens comme prévenus de cris séditieux et menaces contre le président de la République.
19Le jeu des repentances et des clémences commence aussitôt : le nommé Mariande, avoué de son état, que le sous-préfet dépeint comme un chef démagogue dangereux, écrit au préfet (lettre du 3 janvier 1852) pour se justifier : « Je suis un homme d’ordre avant tout, et je le suis autant par nature que par les principes de mon éducation et les intérêts de ma position sociale. Personne n’a déploré plus amèrement que moi les excès et les brigandages qui ont été commis ces derniers temps sous un prétexte politique… ». Il se déclare bien déçu par le peuple, s’écarte de la politique, se rallie à demi : « Soyez sûr que ma sympathie ne ferait point défaut au chef que la Nation vient de se donner si les actes de son gouvernement répondent aux bonnes intentions dont il paraît animé envers le peuple ». Cette lettre est appuyée par une recommandation du commissaire central de police de Toulouse, qui appelle la bienveillante commisération du gouvernement sur l’impétrant, compromis dans les élections, mais « revenu à de meilleurs sentiments… C’est un homme qui ne tardera pas à venir sincèrement si on ne le traite pas trop sévèrement ». Il sera bientôt libéré.
20Après les coups de filet, les relaxes : le sous-préfet annonce au préfet, le 5 février 1852, qu’il a libéré plusieurs détenus « dans la conviction que j’entrais dans les vues du gouvernement à élargir le plus promptement les individus que votre décision reconnaît avoir agi par entraînement ou faiblesse… L’élargissement des détenus a produit un excellent effet sur l’esprit de la population… Il est à présumer que ce temps de réclusion leur servira de bon avertissement pour l’avenir ». Excellent effet, mais lequel ? Un ex-détenu originaire du village d’Huos est accueilli en triomphe par ses concitoyens, maire en tête, avec drapeau et tambour (5 février). Stupéfait, le sous-préfet se rend lui-même au village, avec la gendarmerie et le procureur de la République pour tirer l’affaire au clair. Il conclut que l’incident est dépourvu de motifs politiques, que le village a “bien voté” (162 oui sur 165 votants), que le maire a agi par ignorance. Naïfs, ou matois, ces paysans du Comminges ?
21Entre-temps, le sous-préfet, comme tous ses collègues, a dressé la liste « des individus que l’on peut à bon droit considérer comme dangereux pour la société » en précisant ce qu’on peut leur reprocher, et les mesures de sûreté qu’il serait opportun de prendre à leur encontre. Considérant qu’il n’y a pas eu de commencement d’exécution des projets pernicieux qu’ils avaient conçus, notre fonctionnaire s’en tient à proposer soit l’expulsion du territoire français, pour les plus dangereux, soit l’éloignement momentané pour les autres. La première catégorie comporte quatorze noms. En tête, celui de Pégot-Ogier, pharmacien, frère du député à la Constituante, lui-même « agent actif de la démagogie ». Les autres sont jugés dangereux soit pour leur violence, soit pour leur influence sur le peuple. Neuf personnes sont classées dans la catégorie « À éloigner momentanément du territoire français » et sept dans la catégorie « À éloigner momentanément du département de la Haute-Garonne et des départements limitrophes ». L’indication de la profession, pour la plupart d’entre eux permet de constater le nombre élevé de membres des professions "libérales" : deux médecins, deux pharmaciens, un vétérinaire, deux avoués, un notaire, un avocat, un huissier. La présence d’un "journaliste", de trois ouvriers imprimeurs confirme la "conscientisation" politique de la profession ; on compte encore deux "négociants", trois artisans, trois propriétaires, un colporteur et un ex-instituteur. La commission mixte se montrera sensiblement moins sévère que le sous-préfet, puisqu’elle prononcera seulement quatre condamnations comme nous le verrons plus bas.
22L’arrondissement de Villefranche-de-Lauragais n’a pas connu de troubles, bien que les républicains avancés soient nombreux et actifs dans plusieurs bourgades. Les autorités ont veillé. Le sous-préfet rend compte au préfet, par lettre du 5 janvier, qu’il a fait procéder, le 19 décembre, à l’arrestation de Raynier, notaire à Calmont, qui, de passage à Nailloux avait tenu des « propos de nature offensante pour Monsieur le Président de la République », et le lendemain, pour le même motif, à l’arrestation d’un second notaire, celui de Baziège. Se concertant avec le procureur de la République, tous deux sont convaincus que la nature des propos ne pouvait pas constituer un délit. Constatant que la mesure d’arrestation « avait eu son efficacité dans les communes où le point important consistait à annihiler les influences et neutraliser leurs actions » [des républicains], le sous-préfet décide de relâcher les deux prisonniers après vingt-quatre heures de détention.
23Le même dossier des Archives départementales contient, dans la sous-chemise "Villefranche", un exemplaire de chacun des procès verbaux d’arrestation par les gendarmes à cheval, sur réquisition du sous-préfet, de neuf citoyens du 15 au 17 janvier. Les opérations ont lieu soit au petit matin, soit dans l’après-midi. Les prévenus sont amenés devant le sous-préfet, qui après les avoir interrogés, les fait conduire par les gendarmes à la maison d’arrêt de Villefranche.
24Le sous-préfet consacre beaucoup de soin, à la même époque, à la rédaction d’une « liste exacte des individus de l’arrondissement tenus pour professer et propager des doctrines anarchiques » qu’il adresse au préfet le 13 janvier 1852. Ce document de vingt pages comporte 119 noms. Il commence : « Terrifiés par la grandeur des événements, ils [les républicains avancés] sont restés calmes, mais leurs sentiments n’ont pas changé, et la moindre issue entrevue favorable à leurs coupables desseins les retrouverait pour la plupart ardents à la lutte ». Le sous-préfet annonce qu’il va faire procéder à d’autres arrestations dans les bourgades, « afin d’amener partout la population au mépris des agents de l’anarchie ».
25De ce document, trop long pour être reproduit dans la présente contribution, nous relèverons les éléments les plus significatifs de l’attitude d’un fonctionnaire d’autorité bonapartiste devant les noyaux "anarchistes" qui se sont implantés dans les villages et les campagnes. Le canton de Caraman comporte à lui seul 69 noms, dont 26 pour la seule commune de Caraman et 12 pour celle d’Auriac. Selon le fonctionnaire « le nombre des anarchistes que recèle le canton de Caraman ne permet pas de douter qu’il y ait eu affiliation en sociétés secrètes ». Les autres cantons de l’arrondissement sont moins touchés : sept suspects sont désignés pour celui de Lanta, neuf pour celui de Montgiscard, sept pour Nailloux, huit pour Revel et seize pour Villefranche.
26Au premier rang de ces "républicains avancés", Jules Pébernard, sous-commissaire de la République dans l’arrondissement en 1848, considéré comme "chef du parti socialiste du canton", propriétaire dans la commune d’Auriac, en fuite. A Villefranche, le chef du "parti rouge" est le médecin Calès, qui se tient maintenant sur la réserve. Les jugements du sous-préfet sur ces adversaires sont sévères : « séides » ou « affidés » de Pébernard, « dangereux dans le succès » ou encore « dangereux propagandistes », « actif, intelligent, ardent ». D’autres sont qualifiés de « braillards », « peu intelligents », « bavards », « mauvais en paroles ».
27Plusieurs fois, l’adhésion à la République unit les hommes de la même famille : frères, père et fils ; ainsi dans la commune de Villenouvelle (canton de Villefranche), le sous-préfet dénonce Cazeneuve Jean-Pierre, père, propriétaire, âgé de 83 ans « républicain avancé de vieille date ; désormais incapable d’agir », et son fils Michel, âgé de 36 ans, lui aussi propriétaire « chef de la bande rouge de la commune, intelligent, réservé, actif, fin, prudent, dangereux dans le succès ».
28Le sous-préfet suspecte la moralité de divers républicains : Pelegry, de Bourg-Saint-Bernard est décrit comme un ex-négociant qui a dissipé une grande fortune mais conserve « une grande influence sur les hommes du parti socialiste ». Au même village, Honoré Loupiac, géomètre, est dit « ruiné par son immoralité et amené par là aux idées socialistes ». À côté des républicains de conviction, d’autres sont qualifiés de « socialistes par calcul » : Delmas, avocat à Villefranche, « socialiste par dépit », « bilieux, jaloux, méchant », avait été « séide de M. Guizot ». Roudière, à Mourvilles-Haute est épinglé « homme à conviction perpétuellement vacillante, suivant assez fidèlement les instructions de l’administration ». La plupart des "suspects" sont des hommes de 30 à 50 ans, dans la force de l’âge ; parmi eux, bon nombre d’artisans, de petits notables locaux : médecins, huissiers, notaires.
29Cette première liste des "suspects" est bien plus longue que celle que le même sous-préfet dresse peu après, sur demande du préfet, celle des individus à punir, avec proposition d’une sanction selon les catégories fixées par le gouvernement. C’est que « la tranquillité publique n’est intéressée qu’à un petit nombre de mesures ». Seul Pébernard devrait être éloigné momentanément de la France, comme « chef avoué de l’anarchie dans l’arrondissement » et signataire de la « proclamation incendiaire » publiée par L’Émancipation le 3 décembre. Il est en fuite, sous le coup d’un mandat d’arrêt. Le sous-préfet demande en outre, que soient éloignés du département quatre habitants du canton de Caraman (Laflèche, pharmacien ; Germier, notaire ; Panavayre, instituteur révoqué, Trantoul, voyageur de commerce) et deux du canton de Villefranche (Cazeneuve fils, expert géomètre, Lacion, ex sous-officier). Quant à Pitorre, Chardons, Pellegry, Alba, Monfrain et Belou, « que j’ai cru devoir mettre provisoirement en état d’arrestation, ce sont autant d’agents subalternes, plutôt égarés que coupables, qu’une leçon comme celle qu’ils viennent de recevoir suffira pour ramener à de meilleurs sentiments ». Ces six "lampistes" sont effectivement élargis dès le 17 janvier. La Commission condamnera le seul Pébernard, à l’internement dans un autre département.
30Pour ce qui est de la ville de Muret, le commissaire de police informe le sous-préfet (lettre du 19 décembre 1851) que depuis longtemps « tout ce que la ville comporte de démagogues et de socialistes se réunissait au Café Albert, qu’un comité discret envoyait des émissaires à Toulouse ». Le 3 décembre, après affichage de la dépêche annonçant la dissolution de l’Assemblée, un « mouvement extraordinaire s’est manifesté parmi les démagogues… ». Ils se sont rassemblés, ont discuté de soulèvement et d’insurrection, mais sans rien faire. Les discussions reprennent le 4 et le 5. Les uns voulaient prendre les armes, les plus nombreux, attendre. Il nomme les plus actifs. Des émissaires envoyés à Toulouse reviennent en catimini, de nuit, après avoir constaté que le chef-lieu est calme et bien gardé.
31Le sous-préfet dressera, comme ses collègues, une liste des individus suspects et groupera les informations sur "les événements de décembre", selon la formule consacrée. Les républicains de cet arrondissement seront durement frappés par la commission : deux condamnations à la transportation en Algérie, deux éloignements du territoire français et cinq internements (résidence surveillée) dans un autre département.
32Le dossier contenant les documents relatifs aux "événements de décembre" conservés à la Préfecture, conserve un certain nombre de demandes d’élargissement formulées par un détenu ou sa famille. Les arguments sont divers et tendent, évidemment à peindre comme des agneaux ceux là même que les rapports de police décrivent comme de « redoutables anarchistes ». Par exemple Dubernat, maire de la petite commune de Cadelhac (canton de Boulogne), commence sa supplique en glorifiant « le courage et le génie de Monseigneur le Président qui s’est montré le digne successeur de Napoléon en préservant la France de l’anarchie » (lettre du 1er février 1852), continue en se déclarant, comme magistrat municipal respectueux des autorités, puis plaide la cause de son fils, médecin à Toulouse, incarcéré pour avoir signé la fameuse proclamation ; il sollicite la clémence du préfet, promet que son fils ne manquera jamais plus à ses devoirs (selon un inspecteur de police, il était au premier rang des émeutiers, place du Capitole). Dubernat sera condamné à la résidence surveillée.
33Plusieurs inculpés se déclarent innocents : ils n’ont pas signé la proclamation qui les fait poursuivre : ainsi Cassagne, arrêté le 16 janvier après s’être caché plusieurs jours, l’écrit à sa mère. Plusieurs citoyens adressent à l’administration, des attestations à l’avantage de ce détenu, bon soldat avant d’être bon ouvrier (« c’est un jeune homme sage, actif, aimant le travail, … doux et je n’ai jamais su qu’il ait l’habitude ou le goût de s’occuper de politique », écrit son patron). Castex n’était pas sur la place du Capitole le 3 décembre à l’heure des mouvements de foule. Deux témoins attestent l’avoir rencontré ailleurs.
34D’autres inculpés tentent de minimiser les charges retenues contre eux. Layerle explique (lettre du 21 janvier 1852) qu’il était allé aux nouvelles le 3 décembre, avec des camarades au bureau de La Civilisation. On y enregistrait les signatures de la protestation : « on prit le nom de mes camarades, je fus obligé de faire comme eux, mes convictions étant républicaines (suivant l’ordre des honnêtes gens) ».
35D’autres demandent une « permission de santé » ; Godofre écrit au premier président pour être autorisé à visiter une propriété, en cours d’échange ; Dubernat, cité plus haut, demande au conseiller Tarraux, magistrat instructeur, d’être autorisé à assister au mariage de sa fille, du moins à la municipalité, entre deux gardiens (17 janvier 1852). Jala écrit au procureur général, le 7 février 1852 ; détenu depuis le 11 janvier, sans connaître les motifs de son incarcération, il espérait bénéficier, comme d’autres détenus de la circulaire du 29 janvier, « pour être rendu à sa famille ». Il a été bon soldat, mis en congé comme sergent-major ; sa conviction c’est que jamais une opinion n’a pu dégrader un homme. « Vous ne voudriez pas perdre ma famille pour un motif insignifiant ».
36Vidal, cordonnier, arrêté le 18 décembre est décrit par la police comme : « l’un des moteurs les plus ardents du mouvement insurrectionnel, qu’il s’efforçait par ses discours de communiquer son exaltation aux groupes… Qu’il s’est montré comme l’un des agents les plus sûrs et les plus dévoués du parti anarchique ». Est-ce bien le même qui écrit au préfet, le 7 février, que sa seule activité sociale est d’avoir géré provisoirement l’association des ouvriers cordonniers ? Il était bien place du Capitole le 3 décembre, mais pour se promener paisiblement. Il joint à sa supplique des attestations de bonne vie et mœurs signées par ses voisins de la rue Palaprat, qui le décrivent comme bon père de famille, d’une conduite exemplaire. Ces attestations ne l’empêcheront pas d’être condamné à la transportation en Algérie (mais il restera à l’hôpital de Toulouse, étant "poitrinaire").
37Rey, commissaire-priseur, arrêté le 23 janvier après s’être caché plusieurs semaines se décrit comme un homme de travail et d’économie, ami de l’ordre, engagé en 1813 au 4ème régiment de hussards, ayant repris service auprès de l’Empereur lors des Cent-Jours. « J’espère, écrit-il au préfet le 7 février, que vous ne voudrez pas briser l’existence d’une famille honnête, d’une vieille épouse presque toujours malade, d’une jeune et sensible jeune femme dans son dernier terme de grossesse et d’un honnête homme qui a toujours respecté les lois, l’honneur et qui proteste de sa soumission à l’ordre de choses établi ».
II – La Commission au travail
38La Commission départementale instituée en exécution de la circulaire du 3 février se réunit une première fois à l’Hôtel de la Préfecture le 14 février 1852, « pour prononcer sur le sort des individus compromis dans les mouvements insurrectionnels ou les tentatives de désordre qui ont eu lieu depuis le 2 décembre 1851 », selon le procès-verbal rédigé par la Commission.
39Étaient présents, le général de division Reveu, commandant la division militaire, Dufresne, procureur général près la Cour d’appel de Toulouse, et Pujol, conseiller de préfecture, secrétaire général, remplissant par intérim les fonctions de préfet. A partir de la seconde séance, le 16 février, le nouveau préfet de la Haute-Garonne (Bret), siège lui-même dans la commission. « La Commission ainsi composée a fait remettre sur son bureau les pièces de procédure, actes d’information, procès-verbaux et autres documents que précédemment les parquets et les administrations civiles du département avaient mis à la disposition de chacun de ses membres, par le dépôt qui en avait été opéré à la préfecture ». Cette documentation comporte la correspondance provenant des sous-préfets et commissaires de police, les procès-verbaux d’interrogatoires suite aux informations ouvertes par le parquet. Le préfet a demandé au parquet des informations sur les antécédents judiciaires éventuels des prévenus. Il est possible que chacun des membres de la Commission ait pris connaissance de certains dossiers avant la délibération. Les rapports des sous-préfets les informaient, avec précision, des comportements politiques des prévenus, de leur influence, du danger qu’ils présentaient pour l’ordre social. La Commission travaille vite « après un nouvel examen de ses pièces et fixant l’ordre de ses délibérations, la Commission a décidé que dans cette première séance, elle s’occuperait exclusivement de ceux des inculpés qui pouvaient être l’objet d’une ordonnance de non-lieu ». Elle se conformait ainsi aux souhaits du PrincePrésident et du gouvernement. Cinq prévenus incarcérés et quatorze prévenus en fuite sont libérés de poursuites avec la formule « Attendu qu’il ne résulte pas des pièces ci-dessus mentionnées des charges et indices suffisants que les Sieurs… aient participé au complot ayant pour but l’excitation à la guerre, à raison duquel ils étaient inculpés, arrête : il n’y a pas lieu de suivre ultérieurement contre les dénommés ci-dessus ». Les trois commissaires lèvent la séance à cinq heures de l’après-midi, ayant décidé en trois heures du sort de dix-neuf inculpés. Les trois commissaires signent le registre (ou plutôt cahier) à la fin de chaque délibération, et dans la marge, pour chaque décision.
40La seconde séance commence à deux heures de l’après-midi le 16 février, et se termine à quatre heures et demi, après avoir statué sur le cas de huit personnes. Elle est consacrée aux inculpés domiciliés à Muret. Chaque arrêté indique successivement les actes reprochés au prévenu dans les mouvements insurrectionnels, ses engagements politiques extrémistes, les circonstances aggravantes pouvant résulter de condamnation ou d’une immoralité notoire. Citer quelques arrêts est le meilleur moyen d’en comprendre les motivations : « Attendu qu’il résulte de l’information et des divers documents produits que le Sieur Moré (Clément) assistait à la réunion qui s’est tenue à Muret le 3 décembre 1851, réunion dans laquelle il avait été décidé que les autorités légales seraient déposées et immédiatement remplacées par des comités révolutionnaires, que dans la nuit du 3 au 4 décembre, il se rendit à Toulouse pour savoir ce qui s’y passait et reporter à Muret le signal de l’insurrection. Attendu que depuis 1848, cet ancien officier ministériel, aujourd’hui destitué, s’est toujours fait remarquer dans les moments de crise et d’agitation politique comme l’un des hommes les plus violents et les plus dangereux de l’arrondissement de Muret, (la Commission) arrête : le Sieur Moré (Clément), ancien huissier à Muret sera transporté en Algérie (classe plus) ».
41Un autre "rouge" de Muret, André Noyer est condamné à la transportation en Algérie (classe moins) : il avait été condamné antérieurement aux événements à cinq ans de prison pour vol qualifié. Le sous-préfet le décrit comme « un homme sans mœurs, sans principes, et qu’il était prêt à prendre part au pillage dont il attendait le signal ». Il se « livrait à une propagande socialiste des plus active » et « s’est fait remarquer par son exaltation dans les bandes insurrectionnelles qui, le 3 décembre, voulaient envahir le Capitole, à Toulouse ».
42Bayard et Azerm sont considérés comme « chefs du complot tramé dans la nuit du 3 au 4 décembre… pour exciter les citoyens à la guerre civile ». Ils auraient envoyé des émissaires à Toulouse, répandu de fausses nouvelles pour troubler les esprits « enfin et depuis 1848, ils n’ont cessé d’y entretenir l’agitation et de s’y livrer à une propagande révolutionnaire et socialiste des plus actives » (éloignés temporairement du territoire français). Enfin cinq autres citoyens de Muret (dont un huissier et un aubergiste) ont assisté à la réunion du 3 décembre en soirée, pris part aux délibérations, « étaient les agents les plus actifs du complot ayant pour but l’incitation à la guerre civile », ils sont signalés comme « les meneurs les plus passionnés et les plus dangereux et ils ont puissamment contribué à y pervertir l’esprit des populations ». Ils sont punis tous les cinq de l’internement (assignés à résidence), et mis sous la surveillance du ministère de la Police Générale.
43La séance du 18 février (de deux heures à quatre heures et demi de l’après-midi) règle le sort de quatre inculpés de l’arrondissement de Saint-Gaudens : Abadie, condamné déjà deux fois pour délits politiques dans le Gers, auteurs « d’articles incendiaires » dans la « presse démagogique » et considéré comme un « chef influent du mouvement insurrectionnel » préparé à Saint-Gaudens, est éloigné momentanément du territoire français. Gazave, émissaire dans les campagnes pour convoquer le républicain à Saint-Gaudens, qualifié de l’un des chefs du parti démagogique dans la commune sera -seulement-mis sous la surveillance de la Police Générale. Pegot-Ogier est le chef virtuel des « exaltés » de Saint-Gaudens. Il a présidé les réunions au Café Sabatier, les 3 et 4, où l’on a projeté d’expulser les autorités légales, et arrêté le choix des autorités révolutionnaires à installer « sans aller plus loin ». Mais il est infirme, « l’état de sa santé de même que le dénuement dans lequel il se trouve, pourrait rendre pour lui trop désastreux le séjour à l’étranger » ; la Commission décide qu’il sera interné dans un autre département, et mis sous la surveillance de la Police Générale.
44Contre Chayrou, l’information retient « qu’il a proféré des propos offensants contre Monsieur le Président de la République et menaçants contre sa sûreté personnelle, qu’il a excité à la haine et au mépris de son gouvernement. Il n’a aucune moralité ». Ce « chef des plus exaltés de la démagogie dans son canton », sera lui aussi interné dans un autre département, sous la surveillance de la Police Générale.
45La Commission, dans les séances suivantes, les 20, 21, 23, 24 et 29 février continue à examiner les dossiers des prévenus arrêtés à Toulouse, à raison de cinq à dix minutes d’étude pour chacun d’eux, en moyenne (20 cas le 20 février, en deux heures et demie ; 14 cas le 21 février en deux heures ; 11 cas le 23 février et autant le 24 février, chaque fois en deux heures, et enfin quatre cas le 29 février. Ce dernier jour, la Commission « ayant terminé les opérations, a clos le présent procès- verbal ».
46Il serait trop long de transcrire la liste de toutes les décisions, qui s’appliquent à graduer la peine selon les griefs (signature de l’appel à la résistance publié par L’Émancipation et La Civilisation, participation à l’attroupement du 3 décembre à Toulouse), . présence, activité et propagande dans les partis "avancés" depuis 1848 et même auparavant ; enfin circonstances aggravantes ou atténuantes tenant aux antécédents ou à la situation des intéressés. Relevons seulement les sentences les plus significatives.
47La plus grave punition prévue par la circulaire du 3 février est la transportation à Cayenne. Deux inculpés sont frappés de cette peine par la commission de la Haute-Garonne. La sentence frappant Jean Bonnassiol est ainsi rédigée : « Attendu qu’il résulte de l’information que Jean Bonnassiol a pris une part active au mouvement insurrectionnel qui s’est manifesté à Toulouse dans la journée du 3 décembre, qu’il est du nombre de ceux qui voulurent arrêter l’aide de camp du général au moment où une tentative d’assassinat était dirigée contre la personne de ce brave officier, qu’au moment de son arrestation, il était porteur de trois cartouches garnies de balles, de huit capsules et de divers articles de journaux socialistes ; que ses munitions de guerre ont été saisies à son domicile. Attendu d’ailleurs que cet individu est d’une immoralité scandaleuse, qu’il tient une maison de prostitution dans cette ville, que son exaltation politique ne connaît pas de bornes et que, constamment excité par l’abus de liqueurs alcooliques, il est représenté comme devant se livrer, le cas échéant, à tous les excès, le meurtre, le pillage et l’incendie, arrête qu’il sera transporté à Cayenne ». Lassalle, fugitif, serrurier de son état, est également condamné au transport à Cayenne : « attendu qu’il résulte de l’information qu’[il] est un implacable terroriste, ne rêvant que de la résurrection de 1793 et ses abominables tueries, que sa boutique était le repère de tous les hommes, qui, comme lui, avaient voué une guerre à mort à la société, qu’il a fabriqué des poignards et autres armes pour les sicaires de son parti, qu’il était un des principaux actionnaires du journal La Civilisation [socialiste] écho passionné de ces cruelles théories et de ces odieuses espérances, qu’au 3 décembre, il fut un des promoteurs les plus ardents du mouvement insurrectionnel, qu’il revendiquait hautement l’honneur », disait-il « et le danger de la première attaque, qu’il fut aperçu sur tous les points où se manifestait l’émotion populaire et qu’il y donna le signal de la guerre civile, que ce fut lui qui, à l’entrée de la rue Lafayette, se précipita sur l’aide de camp du général Reveu et déchargea par derrière sur le brave officier, seul au milieu de la foule, les deux pistolets dont il s’était armé depuis le matin ». La circulaire du 3 février prescrit de ne condamner à la déportation, à la Guyane, dans les départements où l’état de siège n’a pas été proclamé (cas de la Haute-Garonne) que les inculpés convaincus de meurtre ou tentative de meurtre. La lettre du texte n’étant pas respectée pour le premier condamné. La participation du second à l’attentat était douteuse.
48La Commission condamne à la transportation en Algérie (classe plus) les chefs des républicains "avancés", et ceux qui se sont distingués dans les mouvements insurrectionnels du 3 décembre. En première ligne Armand Duportal, le plus combatif des leaders républicains de Toulouse, avec les motifs suivants : « Attendu que Duportal, rédacteur en chef de L’Émancipation, rédacteur principal de l’appel à la révolte publié par ce journal le 3 décembre dernier déclarait hautement le même jour au milieu de la foule en s’adressant à l’un des commissaires de police de cette ville qui venait d’arrêter un des insurgés, que les autorités étaient désormais sans pouvoir et qu’il ne fallait plus les reconnaître, que bientôt après, suivi de quelques uns de ses amis, il descendit sur la place du Capitole, qu’il y harangua la foule, proclama l’insurrection, et distribua de nombreux exemplaires de la proclamation qu’il venait de faire imprimer dans les bureaux de son journal, qu’à ce moment il était porteur d’un pistolet chargé à balle et prêt à faire feu, que Duportal doit être considéré comme moteur principal du complot dont les faits qui précèdent ont révélé l’existence, que ce journaliste n’a cessé, dans la feuille dont il était le rédacteur, de faire l’apologie de la Terreur et de tous les crimes qu’enfanta cet abominable système… qu’il n’a cessé dans les articles qu’il publiait dans son journal de pervertir l’esprit des populations et d’exciter leur haine et leur mépris contre tous les hommes qui lui paraissaient les plus dévoués à l’ordre social, qu’il s’était acquis une influence considérable sur la classe ouvrière et qu’il était clairement désigné comme devant être au jour donné, le chef du mouvement révolutionnaire à Toulouse ». Une philippique à peine moins complète désigne Paul Crubailhe, rédacteur en chef de La Civilisation lui aussi condamné à la transportation en Algérie (classe plus) 4.
49D’autres chefs républicains notoires sont frappés moins sévèrement, soit qu’ils avaient été plus réservés, soit qu’ils paraissent moins dangereux. Beni-Barde, conseiller général, arrêté lors du rassemblement du 3 décembre, auparavant remarqué pour son activité de propagandiste socialiste dans les campagnes est condamné à l’internement et à la surveillance de la police. Bernard Mulé, négociant, signataire de l’appel à la résistance dans L’Émancipation du 3 décembre, l’un des chefs du parti avancé, est « considéré dans sa vie privée comme un homme honorable » en est quitte pour la résidence dans un autre département. Roquelaine a signé lui aussi le même appel, mais après avoir longtemps résisté et usé de son influence pour qu’il ne soit pas publié. Il aurait même fourni des renseignements à la Municipalité. « Il n’a jamais manifesté aucune sympathie pour les théories terroristes et socialistes qui dans ces derniers temps, avaient été adoptées par la plupart des hommes de son parti ». Il sera mis en résidence hors du département. Pébernard, signalé par le sous-préfet de Villefranche comme l’un des chefs républicains de cet arrondissement, signataire de la proclamation du 3 décembre, connu pour l’exaltation de ses opinions, et l’efficacité de ses actions de propagande, sera interné et mis sous la surveillance de la police. Entre les plus prudents et les plus exaltés, Pégot-Ogier, ancien constituant, a suivi une ligne médiane : signataire de la proclamation de L’Émancipation, il est qualifié par la commission « d’homme sans foi politique… intrigant et bavard… courant toujours à la piste des événements [pour y trouver son avantage], l’un des principaux rédacteurs du journal socialiste ». Sa peine est l’exclusion du territoire français.
50D’autres républicains, considérés par la police comme de redoutables hommes de main, sont sévèrement punis pour avoir -outre la signature des protestations- manifesté avec énergie le 3 décembre.
51Il en est ainsi de Brun, qui a signé l’appel à la résistance publié par La Civilisation (3 décembre), « qui était le même jour à la tête du mouvement insurrectionnel qui, vers deux heures, tenta d’entrer dans le Capitole, qu’il y proposait les moyens les plus violents, que d’ailleurs il est signalé comme ayant toujours été l’un des principaux meneurs du parti du désordre dans cette ville » (internement et surveillance de la police) ; de Carolis qui « s’est fait remarquer le 3 décembre par son animation et la violence de ses discours au milieu des bandes insurrectionnelles qui avaient envahi la place du Capitole, … que cet individu est d’une moralité équivoque, et qu’il a toujours été signalé à raison de son exaltation politique » (interné dans un autre département et surveillance de la police). Cartier s’était promis de s’emparer de la Préfecture et du Capitole, « que dans la journée il ne cessa de se mettre en rapport avec les rassemblements formés sur la place du Capitole ; qu’en rentrant chez lui, il montra le drapeau rouge dont il avait été porteur pendant le mouvement insurrectionnel, que cet individu, d’ailleurs livré à la crapule, est signalé comme l’un des hommes les plus dangereux de la ville de Toulouse, qui livré aux plus brutales passions, il s’abandonnait pour les satisfaire à tous les excès, le meurtre, le pillage et l’incendie, que pour lui la politique n’est qu’un moyen de réaliser les plus sinistres projets » (transportation en Algérie, classe plus). Rivière « a signé l’appel aux armes publié par L’Émancipation en connaissant toute la portée de cet acte et en s’associant à ses conséquences, que cet homme pendant son séjour à Paris s’était affilié aux sociétés secrètes, qu’à Toulouse, il s’est toujours fait remarquer parmi les plus violents ennemis de l’ordre et les partisans du pillage des riches et des mesures les plus sanguinaires » (transporté en Algérie, classe plus).
52Les notations qui précèdent, et qu’on pourrait multiplier à partir du relevé des décisions de la Commission suffisent à éclairer sur les motivations de cette dernière : il s’agit de frapper graduellement ceux qui ont manifesté leur opposition, en tenant compte, non seulement de leurs actes avérés mais aussi de leur efficacité d’adversaires politiques, par leur détermination, leur activité, leur influence.
53On ne s’étonnera pas que le monde de la presse républicaine soit particulièrement suspecté : sont condamnés, outre Armand Duportal, rédacteur en chef de L’Émancipation, Paul Crubailhe, rédacteur en chef de La Civilisation (tous deux à la transportation en Algérie, classe plus), Guillaume Lafont, gérant de La Civilisation (Algérie, moins), Tachoires, rédacteur à L’Émancipation (internement), Lucet rédacteur lui aussi (bannissement temporaire).
54Certains éléments du dossier sont retenus comme circonstances aggravantes : les condamnations pour infraction politique ou de droit commun : Balanzac, en fuite, est considéré comme particulièrement dangereux (Algérie, plus) : outre sa protestation, sa participation active au mouvement du 3 décembre, il est accusé d’être « l’apôtre des doctrines de 93 » ; sans moralité, il a détourné à son profit des sommes de son parti. Gaillard (Gabriel), désigné comme « l’un des meneurs du rassemblement qui voulait s’emparer de l’Hôtel de Ville », avait été poursuivi en 1843 pour appartenance à une société communiste et condamné à la même époque par le tribunal correctionnel pour détention d’arme de guerre. Godoffre, autre animateur de la bande qui voulut forcer les portes de l’Hôtel de Ville, était commis-voyageur, distribuait avant 1848, des brochures socialistes qui lui étaient adressées de Paris ; en 1849, il avait été condamné pour cris séditeurs par la Cour d’assise. Il « ne cessa de voyager pour faire de la propagande socialiste, notamment dans les environs de Montauban, où il parvint à surexciter violemment le parti démagogique » (condamné au transport en Algérie, plus).
55Dans d’autres cas, l’engagement politique est aggravé aux yeux de la commission, par l’immoralité : ainsi Estrade « … ne parle que de sang et de guillotine, que sans moralité il est livré aux habitudes les plus crapuleuses et que telle est la brutalité de sa violence qu’il inspire plus que du dégoût aux gens intelligents de son parti » (Algérie, plus) ; Delmas, capitaine d’état-major en retrait d’emploi, signataire de l’appel de l’émancipation auteur de discours enflammés, de moralité équivoque, de conduite dissipée, « a laissé après lui de nombreux créanciers qui attendent encore le remboursement de ce qui leur est dû ».
56En sens opposé, certains inculpés bénéficient d’une indulgence – relative- de la Commission. Pour les uns, c’est qu’ils paraissent sans grande influence, et donc peu dangereux (Debernat, « ses amis politiques le prennent, à raison même de sa légèreté pour un homme peu sérieux, que dès lors son influence, si elle existe est peu inquiétante pour la sûreté publique » (interné dans un autre département). Mascara, « cet homme, malgré l’exaltation de ses opinions politiques est sans influence » (surveillance de la police). Pour d’autres, c’est la considération pour une vie honorable (Bernard Mulé), ou une famille respectable : Amiel « appartient à une famille honorable offrant des garanties… en signant les proclamations en date du 3 décembre, a agi plutôt par entraînement que d’initiative » (surveillance de la police). L’amorce d’un repentir, le maintien de "bons principes" expliquent que Castex soit seulement soumis à surveillance, quoique ayant été « remarqué parmi les émeutiers proférant quelques cris séditeurs ». Lucet, quoique rédacteur à L’Émancipation, signataire de la proclamation, actif dans l’attroupement sur la place du Capitole, porteur d’un poignard, comme l’un des « chefs de la démagogie » est seulement « temporairement éloigné du territoire français ». C’est qu’il « entend renoncer à la vie politique et se consacrer désormais à la gestion de ses affaires ». Le bruit avait couru sans doute qu’une déclaration de repentance inciterait la Commission à l’indulgence. Lucet, avocat, a tenté l’exercice en associant fierté et adresse5.
57Enfin, la Commission choisit quelquefois une sanction modérée par esprit d’humanité : Gerbat, signataire de la proclamation de L’Émancipation et participant aux attroupements est relâché et mis sous surveillance de la Police. « Cet homme est père de famille, il exerce une industrie dans cette ville, il n’y a pas une grande influence ». Il est de même pour Réjeau, correcteur typographie « égaré par les doctrines socialistes » mais époux et père, sans ressources et qui a promis de s’amender.
58En définitive, la Commission de la Haute-Garonne, en sept séances du 14 au 24 février a prononcé soixante-cinq condamnations : deux condamnations à la transportation à Cayenne, vingt-et-une à la transportation en Algérie (classe plus et classe moins), neuf condamnations à l’expulsion du territoire français (dont six expulsions temporaires), vingt-et-une condamnations à l’internement (résidence surveillée) et à la surveillance du ministre de la police, et onze condamnations à la seule surveillance de la police. L’un des prévenus doit être reconduit dans son pays (Belgique). La Commission a décidé lors de sa première réunion du 14 février, qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre dix-neuf des inculpés (dont cinq détenus, et quatorze en fuite). Au cours des séances suivantes, le bénéfice du non-lieu a été décidé pour dix autres inculpés.
59La Commission a rendu quatre-vingt-quatorze décisions. Pour mesurer complètement l’intensité de la répression, il faudrait encore faire état des personnes arrêtées après le 3 décembre 1851 et remises en liberté avant la réunion de la Commission : plusieurs dizaines de personnes sont dans ce cas. Les décisions des commissions départementales ont été validées par le décret du président de la République du 5 mars 1852, lui-même validé comme loi en application de l’article 58 de la constitution du 14 janvier 1852.
60Pour la Haute-Garonne comme pour tant d’autres départements, les opérations de police qui ont suivi les événements de décembre 1851 constituent la plus ample et la plus brutale répression du XIXe siècle.
III – La clémence du Prince
61Le préfet informe immédiatement le ministre de l’Intérieur de l’achèvement des travaux.
62Avant même que le pourchas des « compromis dans les événements de décembre », ne soit achevé, des rumeurs se répandaient jusque dans les prisons, qui faisaient espérer des mesures de grâce. Le Prince-Président et son entourage pouvaient être gênés par l’encombrement des prisons, la rumeur qui parcourait toute l’Europe devant l’intensité de la répression. Il était politique de montrer le visage de la clémence après l’emploi de la force. Machiavel ne conseille-t-il pas au Prince de laisser à ses agents la responsabilité des mesures de répression et de leurs excès, pour se réserver l’emploi des décisions de clémence, attribut du souverain, qui désarme les préventions et suscite les attachements.
63Par une circulaire du 29 janvier, le ministre de l’Intérieur « a donné l’ordre à tous les préfets de faire mettre sur le champ en liberté tous ceux des détenus qu’ils jugeraient avoir été seulement égarés et pouvoir être relaxés sans danger pour la sécurité publique ». La circulaire interministérielle du 3 février insiste : « MM. les préfets se seront sans doute empressés de répondre à cet égard aux intentions du Prince-Président, et ceux qui ne l’auront point fait encore, devront prescrire l’élargissement immédiat de tous les détenus susceptibles d’être mis en liberté sans autre examen, et en rendre compte dans le plus bref délai, aux ministres de la Guerre et de l’Intérieur ». On a pu croire à une libération générale, qui n’entrait pas encore dans les intentions du chef de l’État.
64Ce dernier désigne trois commissaires spéciaux investis de pouvoir de commuer les peines, en exerçant le pouvoir présidentiel de grâce, manifestation de la puissance absolue de pardonner après celle d’exclure. Pour les départements du Sud-Ouest, c’est le colonel Espinasse, aide de camp du Prince-Président qui est investi de cette mission de confiance ; il avise le préfet de sa proche venue, puis de son arrivée, le 2 avril, et le charge de convoquer aussitôt à la préfecture les membres de la Commission, pour réexaminer avec eux les dossiers des inculpés. Cinq d’entre eux bénéficient d’un adoucissement de peine : Vivent, condamné à l’expulsion de France, peut revenir chez lui sous surveillance (l’instruction le décrit comme signataire de l’appel à la résistance, et comme un exalté et partisan de la Terreur). Achard, Brun, Gardes et Mondouis, condamnés à résidence surveillée hors du département peuvent revenir sous surveillance.
65Durant les mois suivants, le préfet est invité à fournir de nouvelles informations à Paris : d’une part, il recherche pour chaque inculpé, s’il avait déjà subi des condamnations. Le préfet s’adresse au procureur général pour obtenir copie des casiers judiciaires, et réitère sa démarche jusqu’à ce que le chef du parquet lui adresse les relevés ou extraits demandés (16 août-11 novembre 1852). Dix-sept des "compromis" de 1851 ont un passé judiciaire, parfois léger (Roquelaine a été condamné à 30 francs d’amende pour chasse sans permis avec port d’armes en 1842), parfois lourd, et lié à l’activisme politique : Baudéan, né en 1812 à Toulouse a été huit fois condamné, notamment pour délits de presse, outrage envers le préfet (1849), attaque contre l’Assemblée Nationale et contre le pouvoir exécutif et excitation à la haine du gouvernement de la République (avril 1849). Armand Duportal a été deux fois condamné : le 28 juin 1851 pour délit de compte-rendu infidèle, de mauvaise foi et injurieux envers les magistrats, le 22 juin 1852, pour outrages publics envers le préfet des Pyrénées-Orientales. Le ministre de la Police Générale envoie au préfet (26 juillet 1852) des fiches, à compléter sur les individus arrêtés. Il les redemande le 7 octobre et 3 novembre.
66D’autre part, le préfet est invité à plusieurs reprises, à formuler son avis sur les demandes de grâce présentées par certains condamnés, et sous l’opportunité de décisions présidentielles de clémence. Dès le 11 mars 1852, le préfet de la Haute-Garonne écrit au ministre de l’Intérieur : les accusés politiques de Muret ont fait l’objet d’interventions nombreuses. « J’ai cru reconnaître avec M. le sous-préfet qu’une mesure de clémence produirait un bon effet. Il a suffi de l’espoir que j’ai fait briller à leurs yeux pour que l’arrondissement tout entier votât dernièrement au profit du candidat du gouvernement… Tout permet de penser que si la clémence du Prince-Président s’étendait sur les condamnés politiques de l’arrondissement de Muret, cet arrondissement rentrerait dans les voies de la sagesse et de la modération ». Il transmet les suppliques en assurant que ces inculpés « prennent tous l’engagement d’abjurer la politique et se de rallier au gouvernement du Prince-Président ».
67L’opinion publique attend encore des mesures de grâce : une circulaire du ministre de la Police Générale aux préfets, datée du 2 août 1852 annonce « depuis quelque temps, des bruits se sont répandus dans le public au sujet d’une amnistie générale qui s’étendrait à tous les individus condamnés pour faits politiques depuis le 2 décembre, et qui serait proclamée à l’occasion des fêtes du 15 août. Telle n’est pas la pensée du Prince-Président ni de son gouvernement, qui comprennent que, dans l’intérêt même du pays… il doit rester fidèle à la politique énergique dont les passions anarchiques et les coupables intentions des hommes de désordre leur ont fait une nécessité. Cependant parmi les hommes que la justice a frappés pour leur participation aux troubles du mois de décembre, il en est dont la culpabilité peut être moins grande et pour lesquels la peine qu’ils ont subie jusqu’à ce jour semble être une expiation suffisante de leur faute. Pour ceux là, l’heure de la clémence peut être venue, s’ils ont donné surtout pour le témoignage de leur repentir, la preuve de leur retour à des meilleurs sentiments. Vous ne perdrez pas de vue et j’insiste fortement sur ce point, que vous ne devez admettre dans vos propositions de grâce ou de commutations de peine que les hommes dont le repentir vous paraîtra sincère ». Le préfet demande aussitôt au commissaire central de lui adresser des propositions nominatives. Ce dernier, le 5 août, lui envoie une liste de cinq condamnés, avec des motifs justifiant une remise de peine6. L’un, parce qu’il jouit de la réputation d’honnête homme, que sa conduite est bonne, et qu’il ne s’occupe plus de politique. Le second était bonapartiste avant de se « jeter étourdiment dans le parti républicain ». Il est à nouveau rallié au gouvernement. Le troisième ancien gérant du journal socialiste La Civilisation peut être gracié, il est vieux et inoffensif. Le quatrième, qui avait été condamné à la transportation en Algérie appartient à une honnête famille, a renoncé à la politique. « Il se mariera à une sage femme fort honnête s’il obtient sa grâce ». Le cinquième, démocrate exalté, dit "terroriste", condamné lui aussi à la transportation en Algérie, demeure à l’hôpital de Toulouse, où « il se meurt de la poitrine ». Les cinq propositions sont transmises au préfet, qui compose, à l’intention du ministre de la justice, un tableau de propositions avec indication des déclarations de soumissions. Les mesures de grâce seront publiées, en forme de décret présidentiel, à l’occasion du voyage de "Son Altesse Impériale" dans le Midi, qui préparera le rétablissement de l’Empire7. Sa venue à Toulouse le 4 octobre est l’occasion de fêtes soigneusement préparées par le préfet.
68La politique de clémence continue par vagues successives8. En novembre 1852, le garde des sceaux demande au préfet son avis sur les recours en grâce formulés par plusieurs condamnés à la transportation en Algérie. Les réponses, après consultation du Commissaire central et du procureur général, ne sont favorables9 que pour l’un d’eux.
69Un peu plus tard, le 18 novembre 1852, le préfet écrit au commissariat central de Toulouse, pour lui demander de faire connaître ceux des condamnés qui lui paraissent mériter une remise de peine, totale ou partielle, en précisant que « ces condamnés ne pourront être admis à participer aux bienfaits que son Altesse Impériale veut bien leur accorder qu’après lui avoir adressé une demande en grâce revêtue de leur signature (légalisée) et contenant leur soumission au gouvernement »10. Le commissaire dresse le tableau qui lui était demandé avec indication des noms, prénoms, profession, domicile, situation de famille, proposition motivée. Soixante-dix-neuf personnes sont énumérées.
70Pour ce qui est des onze condamnés à la seule surveillance de la police générale, le commissaire opine : « rien ne s’oppose à ce qu’il soit graciés », pour quatre d’entre eux, et « à cause de leurs mauvais antécédents, il convient qu’ils demeurent assujettis à surveillance » pour six autres. Un autre vient d’être gracié (Janot).
71Pour ce qui est des vingt-et-un condamnés à l’internement (résidence surveillée dans un autre département), la peine a été déjà commuée en surveillance dans huit cas (parmi eux, trois sont notés « peut être gracié », et les autres « il n’y a pas lieu de supprimer la surveillance ». Dans cette catégorie, sept individus ont été déjà complètement graciés (décision du 22 avril et du 5 octobre 1852), trois sont en fuite, et deux notés : « il n’y a pas lieu de commuer la peine » ; parmi eux, Roquelaine, maire de Toulouse en 1848. Pour les dix condamnés « à l’expulsion du territoire français » (dont un en fuite, et un autre renvoyé dans son pays d’origine, la Belgique), le commissaire observe : « il y a lieu de lui accorder la grâce entière » (deux cas) ; « il y a lieu de maintenir la surveillance de la police » (deux cas) ; « la peine pourrait être commuée en celle de l’internement en France » (un cas) ; pour Pégot-Ogier, l’un des leaders républicains de Toulouse « rien ne semblerait s’opposer à ce que ce condamné fut interné en France, si toutefois il faisait sa soumission au gouvernement de S.A. Impériale ». Pour deux condamnés « il n’y a pas lieu de le comprendre encore dans une mesure de clémence ».
72Les républicains les plus redoutés ont été condamnés à la transportation. Pour un transporté à Cayenne (l’autre est en fuite) « cet homme ne mérite aucune faveur (Bonassiol). Il appartient au socialisme le plus exalté. Il est immoral, ivrogne et incapable de revenir à de bons sentiments » ;. Même appréciation sévère : « Il est indigne de la clémence du Prince » pour Lassalle en fuite. Parmi les vingt-et-un condamnés à la transportation en Algérie, six ont déjà bénéficié d’une commutation en résidence surveillée en France. Le commissaire note « ne mérite aucune clémence » pour six d’entre eux. Pour Armand Duportal, il précise : « il est douteux qu’il fasse sa soumission au gouvernement de S.A. Impériale : c’est pourquoi il n’y a rien à changer encore à sa position ». La notation « peut être commuée en internement » concerne trois individus ; la proposition « peut être commuée en surveillance » quatre autres bénéficient de la proposition « grâce entière ». Moré, dont la peine a été commuée à résidence à Pamiers, et Vidal, resté à Toulouse comme tuberculeux, dont la peine a été commuée en internement, « Aux élections pour l’Equipe, il a voté oui avec son fils à bulletin ouvert ».
73Selon ce dernier tableau, en laissant de côté le cas des contumax, seraient maintenus à Cayenne, un ; en Algérie, huit ; exclus du territoire national, trois ; en résidence surveillée hors Haute-Garonne, dix ; libérés sous la surveillance de la police, dix-neuf. Ainsi, la grâce du Prince réduit par étapes la sévérité de la répression. On s’achemine vers la libération même des plus irréductibles en 1853, tels Duportal.
*
74L’étude des documents relatifs aux "événements de décembre 1851" et à leur répression à Toulouse, que les pages précédentes n’épuisent pas, conduit à plusieurs conclusions.
75Du côté des "autorités", l’efficacité dans la défense de l’ordre est évidente : préfet, commandant militaire, juges d’instruction réagissent vite et fort à l’instant même où des troubles se produisent. Les mesures de précautions ont endigué les velléités de manifestations. La police, les gendarmes, la troupe sont bien tenus en main. Les maires concourent au maintien de l’ordre. L’utilisation de la "force publique" a été préparée et complétée par une campagne psychologique habile, qui "diabolise" les opposants, considérés en bloc comme des démagogues, des socialistes, ennemis de l’ordre, de la paix, de la propriété et de la religion. Le bruit courait, il est vrai à Toulouse comme ailleurs, que 1852 verrait le triomphe du peuple et les règlements de compte. Pour la police, les républicains avancés sont avant tout des « braillards », des violents, des envieux, voire des ambitieux. Il est vrai qu’une chanson républicaine saisie chez un prévenu, porte « Je hais les rois,… Aux ministres je lègue mon mépris… Je voudrais voir les palais en poussière… J’aime le peuple et pleure sa misère… », et continue par un couplet contre « la calotte ». Par leurs déclarations, leur comportement, les "rouges" ont contribué à souder le "parti de l’ordre" et à faciliter l’action de Louis-Napoléon. Les autorités, sans état d’âme, se rangent derrière lui, et traitent les adversaires en fauteurs de guerre civile. L’ensemble des "amis de l’ordre" a été effrayé par les nouvelles relatives aux mouvements insurrectionnels et à leurs excès.
76Quant au mécanisme répressif lui-même, son caractère arbitraire a été fustigé sur tous les tons, par les républicains et les libéraux, depuis les vers impétueux de Victor Hugo jusqu’à la retenue de P. de la Gorce. La répression, commencée conformément aux règles légales en vigueur, a été transformée par simple circulaire dérogeant à la loi, légalisée il est vrai a posteriori par le décret du 5 mars 1852 (homologuant en bloc les décisions des commissions et l’article 58 de la Constitution du 14 janvier 1852). Les commissions mixtes n’appliquaient pas les règles fondamentales du droit pénal : ni débat contradictoire, ni audience publique, ni garantie de la défense, ni séparation de l’autorité qui instruit de celle qui juge.
77L’examen impartial des documents conservés permet d’ajouter que cet arbitraire est raisonné : les commissaires disposent, non seulement des rapports de police, mais aussi des procès-verbaux des interrogatoires accomplis par les magistrats instructeurs. Les prévenus, ou leur famille, ont pu intervenir par lettre, ou faire intervenir. L’examen, cas par cas, des rapports entre sanctions et charges montre qu’il y a bien eu volonté de graduer la sanction en fonction des faits avérés, de l’énergie de l’engagement politique et de la condition du détenu. De même, les décisions de clémence sont prises après examen de chaque cas.
78Il reste que la procédure de répression est étrangère à l’ordre juridique commun. Le gouvernement lui-même a conscience qu’il s’agit d’appliquer des mesures de sûreté générale. La qualification même des sanctions diffère de celles des peines du droit commun. Une fois disparu le régime fondé le 2 décembre, des controverses vont naître à propos de la légalité, ou du moins de la nature de ces tribunaux irréguliers et des peines aberrantes des règles normales de droit qu’ils ont distribuées. La Cour de cassation jugera que les décisions ont été légalement rendues, les commissions ayant été validées conformément à l’ordre constitutionnel approuvé par le peuple français11.
79Les républicains auront le dernier mot : la loi du 30 août 1883 qui permet de "républicaniser" la magistrature par une épuration drastique dispose (art. 3) : « Ne seront pas maintenus, à quelque juridiction qu’ils appartiennent, les magistrats qui, après décembre 1851, ont fait partie des commissions mixtes ». La vindicte républicaine ignore l’oubli, et la prescription.
80Les républicains, durement frappés par la répression ne sont pas en mesure de résister à la vague en faveur du Prince-Président, qui se pose en sauveur de l’ordre et garant du retour à la prospérité. À Toulouse, au plébiscite de décembre 1851, on compte 11 044 oui pour 5 988 non, et 11 000 abstentions ; en novembre 1852, il n’y a plus que 1 241 non pour 13 952 oui. Les opposants sont découragés, pour un temps, au moins. La rigueur de la répression, qui a déterminé tant de vaincus à faire acte de soumission, pour retrouver la liberté et de quoi gagner leur vie, a-t-elle abattu les plus conscients de ces républicains ? Il ne le semble pas : en 1852, l’administration juge que Duportal, Mulé, Roquelaine ne feront pas leur soumission.
81À Toulouse comme ailleurs, le parti républicain renaîtra, reprendra espérance et combats. Il emportera les élections en ville, des 1865. Les chefs auront leur revanche, Gatien Arnould au Capitole, et Armand Duportal, préfet de Gambetta. L’épreuve de 1851-1852 ajoutera à la culture républicaine, la haine du bonapartisme, de ses pompes, de ses institutions, la méfiance vis-à-vis des notables et du clergé, et la volonté de tirer les leçons de l’échec (en colonisant l’Etat, en maîtrisant l’enseignement et en rassurant les possédants des villes et campagnes). Le coup d’État et la répression ont approfondi le fossé entre "deux peuples".
82Proclamation imprimée le 3 décembre 1851 par l’Émancipation et la Civilisation et distribuée ce jour dans la foule à Toulouse (Affiche conservée dans le dossier d’un inculpé Arch. Dép. Hte-Gne 4M77).
Citoyens, habitants de la Haute-Garonne,
83La Constitution de la République, solennellement proclamée par les mandataires du peuple, dispose
84« Art. 68 : Toute mesure par laquelle le président de la République dissout l’Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l’exercice de son mandat, est un crime de haute trahison.
85» Par ce seul fait le président est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l’Assemblée nationale.
86« Art. 110. L’Assemblée nationale confie le dépôt de la présente Constitution et des droits qu’elle consacre à la garde et au patriotisme de tout les Français. »
87Il n’y a plus de Constitution !
88M. Bonaparte, qui avait juré devant Dieu et, devant les hommes, de lui rester fidèle, l’a déchirée de ses propres mains.
89Il n’y a plus d’Assemblée nationale !
90M. Bonaparte qui devait la respecter et la défendre comme l’expression de la souveraineté populaire, l’a dissoute et dispersée par la force.
91Il n’y a plus de République !
92M. Bonaparte, sous prétexte de salut public, concentre provisoirement, en lui seul tous les pouvoirs, en promettant de restituer au peuple convoqué dans les comices et appelé à sanctionner d’abord l’usurpation commise, puis à statuer sur lui.
93Il n’y a plus de président !
94M. Bonaparte, traître et parjure, n’est plus qu’un criminel d’État que réclame de la Haute Cour nationale ; les citoyens sont tenus de lui, refuser obéissance, et quiconque oserait lui prêter assistance deviendrait son complice.
95Et ces horribles attentats, s’il faut en croire un placard officiel, signé du nom d’un préfet de la République, M. Bonaparte les aurait accomplis avec le concours de l’armée et aux applaudissements de la population si démocratique de Paris !
96Mensonge ! Calomnie !
97Les soldats de la République ne prostituent pas au service d’un César les armes que la patrie leur a confié pour la protection de ses frontières et pour l’honneur de son drapeau.
98On trompe le Peuple afin de gagner du temps et de mettre sans doute les conspirateurs hors des atteintes de sa justice.
99Citoyens, le moment est venu où la France doit montrer au monde si elle est digne de la République et de la Liberté, ou si, abâtardie par la corruption et l’égoïsme, elle doit se résigner à courber la tête, esclave sous le joug d’un maître.
100Quand le pacte social est brisé quand l’autorité légale a disparu pour faire place à un pouvoir de fait, c’est au peuple seul qu’appartient le plein et entier exercice de la souveraineté, à lui de faire respecter son droit imprescriptible et inaliénable que ses mandataires ont déserté ou trahi.
101Que les hommes de cœur avisent donc sans retard et que les bons citoyens leur viennent en aide ! Que partout les gardes nationales s’arment pour la punition des coupables et la défense de la Constitution ! Que dans chaque commune des comités révolutionnaires soient institués par acclamation avec mandat d’organiser partout la résistance et au besoin la lutte contre l’usurpation, de suspendre provisoirement les fonctionnaires d’un pouvoir rebelle et de pourvoir à la sûreté publique !
102Citoyens, il n’y a pas d’obstacle pour celui qui veut : que chacun fasse son devoir !
103Vive la République démocratique une et indivisible !
104Vive la Constitution !
105Isidore JANOT, rédacteur en chef de l’Émancipation ; Armand DUPORTAL, rédacteur de l’Émancipation ; CAZENEUVE, rédacteur de l’Émancipation, LUCET, avocat, rédacteur de l’Émancipation ; N. TACHOIRES, rédacteur de l’Émancipation ; PAUL CRUBAILLE rédacteur en chef de la Civilisation, Jean Baux, ouvrier ajusteur ; TROY, menuisier ; J.-M. MÉRIC fils négociant ; Frédéric DOSSET ; COUDOM, horloger ; BALLAND fils aîné ; Aristide BAUDEAN ; Marie ACHARD, ouvrier typographe, rédacteur de la Civilisation ; DEBERNAT, rédacteur de l’Émancipation ; BAUGUEL, ancien préfet de la République ; MULÉ, ex-Constituant, CAROLIS, mécanicien, F. MONDOUIS ; VIVENT, minotier ; F. MONNIÉ, ancien juge au Tribunal de commerce ; BRUN fils ; GOTTREUX, négociant ; ESTENAVE, ex-sous-commissaire ; PEBERNAT, ex-sous-commissaire ; HINCELIN ; WEILLÉ ; MASCARAS ; ROUCH ; TAUPIAC (Antoine) ; J. LAVIGNE ; J. DURAND ; TAURIAC ; LAYERLE, ; L. AMIEL, avoué à la Cour ; PECH, ouvrier ; J. ALLAUX ; Ed. ABADIE ; PÉLISSIER, aîné ; B. RIVEL ; J. BALANSA ; MONTET ; RÉGEAU, correcteur typographe ; RIVIÈRE, bottier ; REY, commissaire-priseur ; BALDAYROUS, corroyeur ; ROQUELAINE, ancien maire, membre du conseil général ; PEGOT-OGIER père, ancien constituant ; St-GRESSE, avocat ; FOX, fondeur en caractère ; BOÉ, typographe ; Jean GRILLOU, boucher ; BÉGUÉ ; PRATVIEL-LANGE ; BÉNIBARDE, membre du conseil-général ; FABRE, avocat ; Armand LEYGUE, ex-sous-commissaire du gouvernement provisoire à Castelsarrasin ; VALLIÉRE, ex-commissaire du gouvernement provisoire ; RISCLE, membre du Conseil d’arrondissement de Narbonne ; BESAUCÈLE, ex-conseiller de préfecure ; Emile GRIMAIL, ancien officier ; Edmond VALETTE ; P.-F. DELMAS, ex-capitaine d’état-major.
Notes de bas de page
1 Esquisse bibliographique : les circonstances du Coup d’État du 2 décembre 1851, les résistances et les modalités de répressions sont décrites dans tous les ouvrages historiques sur la Seconde République et le Second Empire, depuis P. de La Gorce, Histoire de la Seconde République, Paris, Plon, et Histoire du Second Empire, Paris, Plon, 1894, 6 vol. jusqu’aux plus récents : M. AGULHON, 1848 ou l’apprentissage de la République, 1818-1852, Nelle éd., Paris, Seuil, 1992 ; P. Miquel, Le Second Empire, Paris, 1992 ; Ph. Vigier, La Seconde République, P.U.F., coll. Que Sais-je ?, 6e éd. 1992, Ph. Seguin, Louis-Napoléon le Grand, Paris, Grasset, 1990. Adde, Répression et prison politiques en France et en Europe au 19e siècle, Colloque de 1986, Société d’Histoire de la Révolution de 1848, Paris, Créophis, 1990. Dictionnaire du Second Empire, s. dir. de M. Tulard, Paris, Fayard, 1995. Sur la situation à Toulouse, outre les chapitres correspondants dans l’Histoire de Toulouse et dans l’Histoire du Languedoc, Toulouse, Privat (dus à J. Godechot), J. Arlet, Le Second Empire à Toulouse, Toulouse, Loubatières, 1997, le témoignage d’un républicain : A. Bremond, Histoire du Coup d’État dans le département de la Haute-Garonne, d’après les documents officiels et authentiques, Toulouse, 1870, in 8°, 180 p. ; Lamarque, "La fin de la Seconde République à Toulouse" dans : La Révolution de 1848 à Toulouse et dans la Haute-Garonne, s. dir. de J. Godechot, Toulouse, 1948, Comité départemental du Centenaire de la Révolution de 1848. Sur les résistances dans le Gers : Dagnan, Le Gers sous le Second Empire, thèse Lettres, 1929 ; M. Rozes, L’opposition républicaine au coup d’État dans le Gers, mém. histoire, 1973.
2 L’essentiel de la documentation concernant le sujet se trouve dans les liasses 4M76 et 4M77 des Archives Départementales de la Haute-Garonne. La première liasse contient les correspondances adressées et reçues par les sous-préfets et les préfets, et les rapports de police et les décisions de la commission mixte. La seconde conserve les procédures judiciaires engagées contre les "compromis" à partir du 3 décembre, remises comme le prévoit la circulaire créant les commissions mixtes, à la préfecture, à la disposition de la commission.
3 Art. 68 : “Le président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l’autorité publique sont responsables, chacun en ce qui les concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration. Toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l’Assemblée Nationale, la proroge ou met obstacle à l’exercice de son mandat est un crime de Haute trahison. Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions. Les citoyens sont tenus de lui refuser l’obéissance”.
4 « est signataire de l’appel aux armes publié le 9 décembre par ce journal, que le même jour, il était sur la place du Capitole, au milieu des bandes insurrectionnelles, excitant les ouvriers, demandant les armes et invitant le peuple à faire des barricades, que ce journaliste d’une immoralité plus qu’équivoque (sic) s’est posé à Toulouse comme l’un des chefs de la démagogie la plus avancée, qu’il n’a cessé de publier dans son journal des articles empreints de fiel et de haine contre toutes les classes de la société, qui lui semblaient les plus sympathiques à la religion, à l’ordre, à la famille, à la propriété, que la conduite politique de cet homme est d’autant plus blâmable qu’il n’a même pas, pour l’expliquer, une croyance politique de s’intéresser, puisque précédemment, sous un autre gouvernement, il écrivait dans les journaux alors subventionnés ».
5 « Je sais que les magistrats sont heureux d’accorder leur estime à ceux-là même qu’ils se croient obligés de frapper. Je tiens trop à conserver la vôtre, Messieurs, pour acheter votre indulgence au prix d’une faiblesse. Je n’ai rien à répudier de ma foi politique ; j’ai servi mon parti avec tout le courage et le désintéressement dont je suis capable tant qu’il a été debout ; aujourd’hui qu’il est abattu, je lui dois encore du moins le culte stérile de mes sympathies, et vous avez trop de loyauté et d’élévation dans le caractère pour attendre de moi à cet égard une concession que repousserait ma conscience ». Il promet seulement, dans l’intérêt de sa famille et de sa profession de « consacrer exclusivement son temps à l’exercice de ma profession d’avocat et au soin de mes affaires domestiques. Puisse, Messieurs, la franchise de cette déclaration effacer entièrement vos scrupules et vous déterminer à accomplir en ma faveur un acte qui honorera votre justice ». Cette éloquente requête convainc à moitié la Commission, qui le condamne à l’éloignement temporaire du territoire français. Il sera bientôt gracié.
6 Cette liste comprend Janot, condamné à l’internement, Tachoires, Lafont, Beaux, condamnés à la transportation en Algérie puis à l’internement, et Vidal.
7 Les observations du préfet complètent celles des commissaires de police : Janot « s’est exprimé dans nos conversations récentes en termes dignes : il n’attendait que le moment où il n’aurait plus de faveur à réclamer du gouvernement pour lui prouver toute sa reconnaissance et dire hautement tout sa pensée sur Louis-Napoléon » (obtient sa grâce complète) ; Tachoires « m’a adressé sa soumission » (grâce entière) ; Laffont « m’a adressé sa soumission » (surveillance de la police) ; Talons, Sabatier « a fait sa soumission » (grâce entière) ; Beaux « adressé sa soumission » (internement) ; Vidal « a adressé sa soumission » (internement). Le tableau dressé par le préfet a ajouté Talons et Chaysson (internement remplacé par surveillance) a cinq propositions du Commissaire central.
8 Le dossier 4M76 des Archives Départementales de la Haute-Garonne conserve plusieurs état des individus condamnés, l’un d’eux, postérieur aux mesures de grâce décidés par le colonel Espinasse ou le Prince-Président, (avril 1852) et antérieur aux mesures de grâce d’octobre 1852, comporte un relevé par catégorie de condamnés et par ordre alphabétique des noms dans chaque catégorie, avec indication de la date de départ (transporté en Algérie), à Cayenne de la date de délivrance de passeport (internés dans d’autres départements). Un autre état, non daté, mais postérieur au précédent, mentionne d’autres mesures de grâce. Selon ce dernier document, sur 54 condamnations (non comprises les onze condamnations à une simple surveillance), 25 seraient subies, huit condamnés seraient en fuite, deux auraient bénéficié d’une commutation de peine, six d’une grâce complète et quatre condamnés seraient encore détenus à Toulouse.
9 Réponse du procureur général au préfet, du 15 novembre 1852 : « Rolland est un homme d’une profonde immoralité, qui a fait de nombreuses dupes à Toulouse, impliqué dans plusieurs procès politiques, ne fréquentant que des hommes de l’opinion la plus exaltée… Il m’est impossible d’émettre un avis favorable ». Le commissaire central n’est pas plus favorable : Rolland passe pour un dangereux démagogue, ne méritant pas qu’on lui accorde de faveur. Cartier ne vaut pas mieux, « l’un des plus mauvais parmi les démocrates socialistes… était l’ennemi juré de tout ce qui était autorité, il ne rêvait que guillotine et pillage, menaçant tout le monde de vengeance en 1852. Ne semble pas mériter encore sa grâce ». Le préfet répond finalement au ministre de la justice le 30 novembre que Cartier et Estrade ne méritent aucune faveur « seul Rolland paraît digne d’indulgence, sa peine pourrait être commuée en celle de surveillance ».
10 « Son Altesse Impériale est disposée à étendre largement les effets de sa clémence sur les hommes qui ont été frappés par les commissions mixtes à la suite des événements de décembre 1851, et qui après par leur conduite et leur retour à de meilleurs sentiments politiques, se sont rendus dignes d’indulgence ». Les ministres de la Justice et de l’Intérieur l’invitent à leur fournir les renseignements qui leur permette « d’exprimer d’une manière sûre leur opinion sur les mérites des recours en grâce qui seront présentés par les condamnés de la Haute-Garonne ». À son tour, il demande au commissaire central (Cazeaux) de lui désigner « en motivant votre avis individuellement, ceux des condamnés qui vous paraîtraient dignes d’une remise de peine… ; ceux de cette catégorie dont la grâce pourra ne pas être accueillie favorablement par l’opinion publique ; ceux que, dans aucun cas, vous ne jugez dignes d’obtenir ni leur grâce ni une commutation de peine ».
11 Les républicains n’avaient pas manqué de protester contre le caractère illégal de la répression. Le gouvernement lui-même s’est rendu compte du caractère aberrant de la circulaire ministérielle du 3 février, violant les principes les plus solides de la procédure pénale. Les décisions des commissions sont ratifiées et validées par le décret présidentiel du 5 mars 1852 « considérant que les décisions rendues par ces commissions en vertu de la circulaire sus énoncée ont besoin d’être revêtues d’une sanction pénale ». Ce décret est à son tour validé comme loi par l’article 58 de la Constitution du 14 janvier 1852 ainsi rédigé : « La présente constitution sera en vigueur à dater du jour où les grands corps de l’État qu’elle organise seront constitués. Les décrets rendus par le président de la République, à partir du 2 décembre jusqu’à cette époque, auront force de loi ». Un Sieur Amy poursuivit, devant le Tribunal civil de Poitiers, en 1873, le préfet et le procureur qui l’avaient condamné au bannissement en 1852, sur la base de l’article 1382 c.c., arguant que les décisions de la commission étaient dépourvues de fondement légal. Le Tribunal a rejeté en observant (ce qui était discutable) que les commissions ne formulaient que des avis, et que leurs décisions avaient été validées en application de la Constitution, elle-même acceptée par plébiscite (ce qui n’est pas contestable). La Cour d’appel avait confirmé « attendu que les mesures énoncées par l’appelant ont été ordonnées ou consacrées par les actes de l’autorité légitime » (Dalloz, 1874, II, p. 27). A son tour, la chambre des requêtes de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre ce dernier arrêt, par décision du 19 janvier 1875 (D.P. I., 55). L’avocat général, après avoir affirmé que la légalité des actes du Prince-Président pouvait être contestée après le coup d’État, ajoutait qu’à partir du plébiscite du 21 décembre, la volonté populaire avait confirmé les actes du président, et lui avait donné pouvoir pour élaborer la Constitution ; la circulaire du 3 février avait été validée par le décret du 5 mars, lui-même ayant force de loi selon l’art. 58 de la Constitution. La Cour se prononce dans le même sens. Il n’est pas indifférent d’observer que les traités de droit pénal tant du XIXe que du XXe siècle gardent le silence sur ces "commissions départementales" soit qu’elles leur paraissent étrangères à l’ordre judiciaire, soit qu’ils condamnent, par prétérition un procédé de sûreté générale hors de l’État de droit.
Auteur
Professeur émérite à l’Université des sciences sociales
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